Chapitre XV. La nouvelle Espagne. — Mexico
p. 729-767
Texte intégral
1Le vrai port de la Nouvelle Espagne — si on veut bien remonter au-delà des apparences —, c’est beaucoup moins la Vera Cruz que Mexico. « Requas » et charrois prolongent les flottes. Mexico enferme au centre de sa haute cuvette1 le meilleur des richesses des plateaux.
I. — SITE ET MISE EN PLACE
2Le choix du site de la plus prestigieuse des capitales du Nouveau Monde — à la différence de ce qui se passe pour la Vera Cruz ou Lima — n’incombe pas aux conquérants. Nulle part, la substitution n’a été aussi parfaite du colonial au pré-colombien. De même qu’il y a superposition de l’état colonial à la confédération aztèque, il y a substitution de Mexico à Tenochtitlán.
SUBSTITUTION DE MEXICO A TENOCHTITLAN
3Le site de l’antique Tenochtitlán, malgré ses dangers, se révèle, à l’épreuve du temps, excellent. Mexico est une cité lacustre, une Venise des hauts plateaux, entourée de volcans.
4Les volcans sont cause de la fabuleuse richesse des terres de Tenochtitlán, mais ils contribuent, avec l’instabilité du sol, au climat d’insécurité qui règne sur la ville. Les tremblements de terre sont particulièrement graves en raison de la montagne et de la lagune. Les secousses sismiques reviennent très régulièrement sous la plume des chroniqueurs. Elles font partie de l’atmosphère. Guijo, Antonio de Robles les mesurent en « credo », en « pater » et en « ave »2.
5En dépit de ces inconvénients..., sur la richesse du site, les preuves abondent. La fertilité du sol, les bois qui recouvrent les montagnes voisines3, l’abondance du sel4, de la main-d’œuvre, mais surtout la lagune.
6Certes, tous les auteurs, nos témoins, sont d’accord, elles contribuent à un état d’insalubrité, ou de moindre salubrité5, mais, au point de vue économique, elle est d’un prix inestimable. Elle a été, nous en avons la conviction, le ciment de la Tenochtitlán précolombienne. Même si on n’admet pas tout à fait les chiffres de population que propose Jacques Soustelle dans son grand livre séduisant6 pour la Tenochtitlán précortésienne (on ne peut quand même s’en écarter beaucoup7, il faut reconnaître qu’une telle concentration humaine n’a été possible que grâce à l’omniprésence de l’eau8. Cette supériorité subsiste, malgré l’amélioration des moyens de transports terrestres. Elle permit l’approvisionnement en poisson et en sel, notamment9, d’un ensemble de cités qui restent lacustres10 même à l’époque coloniale. Entre 1565 et 1570, ces cités, bien que réduites à des proportions plus modestes, ne comptent pas moins sans doute de soixante-quinze mille habitants pour le seul Mexico11 et près de 150 000 âmes, si on fait entrer en ligne de compte toutes les cités des environs, de ce qu’on se risquera à appeler le plus grand Mexico colonial.
RECONSTRUCTION
7La reconstruction de la Tenochtitlán détruite s’est faite rapidement12. La ville des premières années 30, pourtant, est une ville en pleine reconstruction13. A partir de cette date, il semble que la cité coloniale ait trouvé son assiette. Sa croissance est faible, en deux siècles et demi, de 1550 à 1800, la population de Mexico passe de 75 à 130 000 habitants seulement. Par contre, et c’est un enrichissement, la proportion des Blancs ne cessera de s’accroître au détriment des gens de couleur, pour former à l’époque de Humboldt 50 % du total. L’entretien d’une telle agglomération lacustre est souvent à la limite des possibilités des techniques coloniales. Parmi les préoccupations qui reviennent le plus souvent, en effet, au fond de cet excellent miroir où le déroulement de cette vie révolue s’est conservé, entendez les actes de Cabildo, on notera l’entretien des canaux, à la fois voies de communications, moyens d’irrigation également, dans les environs, et le souci de l’eau potable. Autant les eaux croupies et dangereuses abondent, autant l’approvisionnement en eaux propres à la consommation constitue un problème toujours posé, jamais complètement résolu. L’eau de la lagune a, du moins, l’avantage de faire de Mexico une ville propre, à l’échelle des exigences du temps, une ville où l’on vit, pourtant, dans la crainte presque panique des incendies et des incendiaires14. Le feu est particulièrement redoutable sur l’eau pour des constructions de bois légers et de roseaux et la malveillance est à craindre partout dans la cité aux ethnies diverses souvent hostiles et superposées.
MEXICO, CAPITALE
8Pour justifier la présence d’une aussi abondante population, comparable, à tout prendre, à celle de Séville, il faut tenir compte des nombreuses fonctions de la grande cité. Elle est capitale, siège du pouvoir politique, religieux et militaire le plus ancien — sur un aussi large pied — des Indes. Le siège, par conséquent, d’un monde de tertiaires et de leurs innombrables domesticités. Autour du Vice-Roi et de la Vice-Reine, une double Cour qui ne le cède pas tellement, toutes choses étant égales, aux Cours de la Péninsule.
9Il y a l’Audience aussi, ses robins, ses plaideurs accourus de tout le Mexique humide au peuplement compact. Velasco, est, en 1571, très impressionné par ses prestiges et ses richesses. Mexico, c’est encore l’archevêché, les nombreuses religions, le tribunal de l’Inquisition depuis 1570 avec ses procès, ses contrôles sur l’ensemble de la population créole et métisse du Vice-Royaume, son action saine de police des mœurs, combien nécessaire dans ce monde névrosé et si bénéfique pour l’historien, son inquiétante activité, par contre, pour l’infime noyau pensant de la frêle superstructure intelligente de la colonie et, pour la masse, la joie immense de l’autodafé annuel. Elle libère chez les humbles et dans la population colorée des bas quartiers un énorme potentiel de haine, à l’encontre des Blancs, des heureux et des puissants. Ces catégories se confondent. Dans ce sens, l’Inquisition, polarisatrice de haine, est un instrument inestimable de paix sociale.
10Un cabildo, enfin, qui siège à Mexico depuis 1529. On peut ajouter, dans l’énumération rapide des représentants de la force politique ou des activités tertiaires, la masse de réserve d’une force militaire qui s’est accrue au xviie siècle, mais qui reste ridiculement légère. Si on songe à l’insécurité du pays, cette force d’un bataillon de douze compagnies de 120 hommes chacune dont parle Gregorio Martin de Guijo dans son journal15 est une force dérisoire selon nos normes, mais très considérable à l’échelle des ressources militaires du Nouveau Monde. Elle traduit, par contre, une très forte concentration militaire. Il est vrai que dans les Indes de la propre conquête, tous les fils des conquistadores peuvent, en cas de danger, se muer instantanément en soldats.
II. — ÉCONOMIE
11Mais l’originalité de Mexico est ailleurs, elle réside dans une gamme large et complète d’activités économiques. Activités commerciales, bien sûr, puisque c’est à Mexico que résident les maisons créoles qui participent au commerce de la Carrera. Dans l’ordre des parties prenantes du Monopole, Mexico se classe immédiatement en deuxième position après Séville. On suivra, au rythme de la conjoncture16, les tensions qui résultent de cette part croissante (plus grande au xviie qu’au xvie s.), plus vives en période de contraction qu’en période d’expansion cyclique. C’est, selon toute vraisemblance, à ce grand négoce qu’il faut attribuer des fortunes comme celle de ce Simon de Haro, élu le 8 janvier 1650 Prieur du Consulat de Mexico17 et dont la fortune est évaluée à 600 000 pesos, une fortune qui supporte la comparaison, sinon avec les plus grands du grand négoce européen, du moins avec les très grands, celle d’un Simón Ruiz, par exemple18, au sommet de sa puissance.
SOURCES DE FORTUNE ET NÉGOCE
12On peut se demander quelle est l’origine sociale du faste et du luxe, inscrit aujourd’hui encore dans la pierre, des plus grandes fortunes de la ville.
13Au début, il n’est pas douteux qu’elles sont, directement, le fruit de la conquête. Les plus riches sont des conquistadores qui vivent, sans véritable fonction économique, de la rente de leurs encomiendas, en fait, de la rémunération excessive d’une fonction politique et administrative d’une efficacité douteuse. Il suffit pour s’en convaincre de suivre, dans les premiers actes du Cabildo, l’importance des questions qui touchent moins la terre que les Indiens qu’elle porte. Plus tard, comme nous avons trouvé dans la première moitié du xvie siècle, à Mexico, les rentiers de l’encomienda, nous trouverons, à la fin du xvie et du xviie siècles, les rentiers des grands domaines chers à François Chevalier. Quelle est la part, dans les fastes de Mexico, si bien décrits par Irving A. Leonard19, à des époques successives, de la fortune de la mine ? C’est assez difficile à préciser. La mine est partout. C’est elle qui valorise l’Indien. Mais le grand seigneur est moins le minero, l’entrepreneur de la mine, que l’encomendero, seigneur de l’Indien, moins celui qui utilise le travail de l’Indien que celui qui le loue. Marie Helmer avait bien vu qu’au Pérou, l’entrepreneur de la mine restait finalement un assez petit personnage. La leçon en est vraie au Mexique. La mine valorise tout, mais elle enrichit moins les petits entrepreneurs qui l’exploitent, qu’elle ne le fait de tout ce qui gravite autour d’elle, moins ceux qui sont le moteur même de l’entreprise que ceux qui vivent dans son ombre. Parmi les rentiers qui déploient leurs fastes à Mexico, il y a, certainement, beaucoup de mineros à l’état second, mais peu de véritables entrepreneurs de la mine.
14En attendant qu’une étude de la quantité sociale, sur le modèle de celles que commande Ernest Labrousse en France, soit entreprise victorieusement, pour le Mexique colonial20, il faut se borner à des impressions tirées d’une étude forcément superficielle, de documents imparfaitement sériels, tels que les actes du Cabildo ou les journaux du type Guijo, Antonio de Robles. Ces documents permettent d’avancer, provisoirement, jusqu’à plus ample informé et à titre d’hypothèse de travail, le schéma suivant.
15Part croissante, au sommet de la hiérarchie de Mexico, des fortunes du négoce. Cette impression cadre bien avec ce que l’on peut savoir, par ailleurs, de la conjoncture de la Nouvelle Espagne, dont l’expansion se prolonge jusqu’aux abords de l’année 162021. Les fortunes du négoce restent-elles dans le négoce ? Vraisemblablement, comme ailleurs, elles s’enfouissent dans la terre et ici l’Indien, la terre et l’Indien qui anoblissent. Il est vraisemblable que même au cours des années brillantes de 1600 à 1620 les facteurs du négoce n’occupent pas le degré le plus élevé de la pyramide sociale. Mais le contraire seul surprendrait. Tout au plus peut-on, à travers nos témoins, tel Guijo, personnage peu suspect par ses fonctions, sa culture, ses origines, affirmer une hypersensibilité collective de la société de la Mexico coloniale au fait d’échanges22. Le grand négoce semble jouer, au sommet de la hiérarchie sociale de Mexico, un rôle proportionnellement plus important que nulle part ailleurs aux Indes, comparable au rang qu’il occupe dans les grandes cités marchandes de l’Europe Atlantique. Et c’est par ce biais que l’on vérifie, entre autres, cette vérité, Mexico port de l’Atlantique.
16Port de l’Atlantique, certes, mais tout autant port du Pacifique23. Comme Mexico commande la Vera Cruz, il commande Acapulco. C’est à Mexico, non pas à Manille, que résident les négociants les plus importants du « trato de China ».
17Et c’est, peut-être, dans cette caractéristique structurelle que nous tenons la solution d’un apparent paradoxe, celui de la part considérable du « trato de China » dans le miroir, au jour le jour, des événements du monde vus de Mexico par le pittoresque journal de Guijo. Cette insolite importance du commerce de Chine dans la partie pensante de la société du Mexico colonial du demi xviie siècle peut être interprétée en structure et en conjoncture. C’est en conjoncture surtout que nous y avions été sensibles dans une note récente24, et cette interprétation demeure toujours valable, mais la leçon est de plus grande portée encore. Cette part très grande du trafic d’Extrême Orient dans les préoccupations de la société mexicaine, l’importance exceptionnelle de ce qu’on pourrait appeler l’attention Pacifique éclaire le négoce de Mexico, le grand port de l’isthme de la Nouvelle Espagne. En effet, même si le commerce avec le Pacifique s’est accru en importance relative au moment de la grande récession des échanges à long terme dans l’Atlantique espagnol au milieu du xviie siècle — mais cette grande récession est, aussi, celle du Pacifique25 et cela limite, naturellement, la portée de l’observation, en conjoncture —, elle vaut, par contre, d’une manière plus générale en structure.
18La part du Pacifique dans l’ordre des hiérarchies sociales et des préoccupations intellectuelles du vieux Mexico colonial est sans commune mesure avec le rapport du volume des mouvements respectifs des ports de la Vera Cruz et d’Acapulco. Le Pacifique a la part plus belle même dans la vie du psychisme collectif de la grande cité qu’Acapulco-Manille ne représente en valeur par rapport à l’axe des communications la Vera Cruz-Séville. Le rapport Acapulco La Vera Cruz dans le film des préoccupations du Mexico colonial n’est pas le rapport exact des valeurs respectives des deux trafics. Il est le rapport des participations et, peut-être, aussi des bénéfices tirés des deux trafics par l’aristocratie commerçante du grand port des volcans et de la lagune.
19Les marges bénéficiaires sont beaucoup plus considérables dans le trafic extrême-oriental que dans le trafic Atlantique. Enfin et surtout, Mexico y est presque seule, tandis que, dans la Carrera, elle n’est que partie prenante, entre autres, dans les grandes fortunes du grand négoce que l’on devine plus qu’on ne les apprécie véritablement au sommet de la pyramide sociale, le trato de China doit tenir une place presque aussi importante que le trafic Atlantique. Et comme il est plus chanceux, comme son rythme est plus contrasté, Mexico semble plus tendu dans cette direction qu’en aucune autre.
20Cet aspect de Mexico, capitale, sur sa lagune, d’un grand commerce aux ramifications mondiales, ne risque pas d’échapper. Il nous retiendra longtemps encore, car il est indissociable du rôle qui nous a le plus frappé, Mexico capitale, Mexico métropole d’une partie de l’Amérique qui lui doit sa cohérence. Mais il est un autre aspect qui ne doit pas totalement disparaître d’une interprétation Atlantique de la Nouvelle Espagne, Mexico, capitale régionale et centre d’une grande industrie artisanale.
MICROÉCONOMIE MEXICAINE. — UNE CITÉ RURALE
21Le Mexico du grand négoce, sur lequel il nous faudra revenir, vient coiffer une cité souterraine, précortésienne à certains égards et profondément rattachée au sol. Cet aspect agraire est la rançon, notamment, d’une concentration humaine exceptionnelle. Il faut nourrir la lagune et la lagune nourrit la lagune.
22C’est pourquoi, pour paradoxal que cela puisse paraître de prime abord, on trouve un cabildo attentif aux choses de la vie rurale. Malgré ses cent-cinquante mille habitants, le complexe de la lagune apparaît tout proche de la terre nourricière, en raison même de la masse humaine paradoxalement, ici, accumulée qui fait du ravitaillement de la cité, une préoccupation de tous les instants. Mexico coloniale et dominante surveille de près l’activité de la Tenochtitlán précortésienne qui s’est reconstituée partiellement sous elle et dont elle se nourrit. Toute une série de préoccupations qui enfoncent la Mexico coloniale dans son cadre géographique, et font, un instant, songer à la rustre Caracas.
23Le cabildo se révèle soucieux de protéger les bois des rebords volcaniques et montagneux de sa haute cuvette26 Ce souci éclaire plusieurs aspects de la vie de Mexico, la déforestation menace ses activités artisanales consommatrices de bois, elle menace plus encore ses plans d’eau, de cité lacustre, par l’accroissement de l’érosion. Le problème est urgent, puisque de toute manière, autour de Mexico comme dans toute la nouvelle Amérique coloniale, la concurrence du bétail rompt des équilibres millénaires et pose au milieu toute une série de questions angoissantes, qui sont, en fait, des défis.
24Après le bois, la farine. Une préoccupation du début, de la première moitié du xvie siècle. Au xviie siècle, si on en juge par Guijo et Robles, la Mexico coloniale et dominante sera mieux assurée et plus à l’abri de la disette. Quoi qu’il arrive, la population blanche, solidement enfoncée sur le plateau, ne connaît pas la faim, et c’est une des raisons pour lesquelles sa croissance presque linéaire frappe, par contraste avec les évolutions catastrophiques de la population indienne sous-jacente et dominée. Au cours des années 30 et encore 40 du xvie siècle, Mexico paraît, paradoxalement, connaître non pas tant le problème des grains — cette hantise de l’approvisionnement en grains de toutes les cités de la vieille Europe qui n’ont pas l’avantage d’un rapport comparable de domination — que le problème de la farine. En 1533, une petite disette menace la ville, non parce que le grain manque, mais parce que, d’abord, il y a difficulté de transport aux moulins, enfin, parce que l’équipement insuffisant de ces derniers travaille toujours au-delà de ses limites de sécurité, que des conduites d’amenée viennent à céder et l’approvisionnement de la ville est, un moment, compromis27.
25De toute manière, mais la remarque vaut pour l’ensemble de la production du centre économique de Mexico, la farine produite est une farine grossière, pour laquelle on aspire, encore, en 1546, aux normes de la vieille Espagne28, conscient que l’on est de l’infériorité des techniques mises en œuvre. Quantitativement, la production de Mexico a pu, grâce à ses réserves de main-d’œuvre servile, main-d’œuvre juridiquement servile ou, pratiquement, dans un rapport de domination proche de l’esclavage, égaler ou dépasser l’Espagne. Qualitativement, par contre, il existe, entre les deux productions, une différence générale de qualité que les sources peu suspectes de l’Amérique, elles-mêmes, ne cessent de souligner. L’implantation a été profonde, certes, mais elle reste grossière, elle s’est faite au prix d’une schématisation.
26Malgré le difficile acclimatement du blé, dont parle François Chevalier29, la colonie espagnole est, grâce au maïs, largement approvisionnée en grains. Elle est plus aisément encore pourvue en viande, en viande, dans des conditions de facilité qui rappellent celles qui prévalent dans les îles, pour des raisons identiques30. François Chevalier estime que la viande, en moyenne, en Nouvelle Espagne, est huit fois moins chère qu’en Espagne. Quelques comparaisons entre les prix contenus dans les actas de cabildo et les prix de Hamilton confirment pleinement cette évaluation. Il semble même, et c’est logique, étant donné l’accroissement du troupeau plus rapide que celui de la population blanche consommatrice, que le prix relatif de la viande diminue à Mexico, entendez qu’il s’accroît moins vite que ne le font les prix espagnols et l’ensemble des prix en Nouvelle Espagne. On trouve, en effet, au-delà de 1542, des écarts de prix de l’ordre du simple au décuple. Comme dans les îles — et le fait est d’autant plus notable que l’agglomération humaine est considérable — les abats n’ont pratiquement pas de valeur marchande. Un acte du cabildo du 5 avril 154831 révèle que les abats de bœuf sont donnés aux pauvres à raison de quatre maravedis, l’arrel de de quatre livres.
27Il n’est pas douteux que toute la population de Mexico, dominants et dominés, tire de cette situation de précieux avantages. Grâce au « bon marché » en toutes circonstances de la viande, grâce aux pratiques de l’aumône sur une grande échelle, même la population colorée, si elle n’est pas à l’abri de la faim, est à l’abri, du moins, de la famine. Il ne s’agit pas d’une déduction, a priori, mais bien, semble-t-il, d’une impression fortement étayée que l’on peut tirer d’une lecture attentive des documents d’atmosphère : actes du cabildo et journaux du type Guijo-Robles. La position alimentaire privilégiée des dominants couvre, en quelque sorte, ici, d’un écran protecteur, la plus grande masse des dominés qui sont venus s’agglutiner à la grand-ville. Le prolétariat urbain bénéficie, apparemment, sous l’angle capital d’une relative sécurité alimentaire, d’un avantage de très grand prix.
28Par contraste, la situation alimentaire des campagnes. La viande que l’on donne au maravedí la livre à Mexico est une viande qui tue. Écoutons-en l’aveu naïf du bon Fray Toribio de Benavente en 154232, qui, sans y voir malice, apparemment, malgré son sens remarquable de l’observation, emporté, peut-être, par l’universelle bienveillance franciscaine — cette bienveillance qui, pour une fois, par inattention et manque de discernement, est inconsciemment complice du presque inévitable génocide — célèbre ces « caballos muy hermosos... porque los hace el maiz y el continuo verde que tienen, que do comen todo el año... ». La tranquillité, le luxe alimentaire de Mexico, celui, dans l’ordre naturel, des riches, très accessoirement, mais beaucoup plus meurtrier, celui, monstrueux, des pauvres, est donc construit sur la catastrophe démographique des plateaux agricoles. Seconde conséquence, le gonflement humain de la ville, il faudrait dire, à l’échelle de la population globale du Mexique, le gonflement meurtrier de la ville. Pour se placer sous la protection alimentaire des dominants, une forte émigration d’affamés maintient la population de la ville à un niveau paradoxalement élevé.
29A côté de ce confort de base, la pénurie constante de vin — elle ne gène guère que les plus favorisés des fraîchement immigrés — est un fait mineur33. Il en va, ainsi, pour tous les produits d’importation et, sans doute, également pour l’huile34.
MICROÉCONOMIE MEXICAINE : UN CENTRE MANUFACTURIER DE TYPE SPÉCIAL
30Mexico, ville de plaisirs, où se dissipe la rente tirée des Indiens, de la terre, de la mine, nous est apparue étroitement liée, en raison de sa masse même, à la terre nourricière. Cette masse humaine est nécessaire pour assurer les plaisirs de la fraction blanche dominante. Mais elle devient, à son tour, source de richesse. La richesse humaine du complexe urbain de la lagune, l’extraordinaire bon marché de la main-d’œuvre expliquent le paradoxe apparent du centre industriel de Mexico. Le mot n’est pas trop fort, dans l’ordre des grandeurs de la première modernité.
1. Main-d’œuvre
31On peut en construire, ainsi, le schéma théorique. Une concentration humaine préexistante. Elle est, pour le meilleur, préhispanique. Après la destruction de Tenochtitlán et sa reconstruction par Cortès, les hommes sont venus du plateau de l’Anahuac vers Mexico, par habitude, en fonction d’anciens prestiges que les prestiges neufs des conquérants rehaussent. Pour beaucoup, aller à Mexico-Tenochtitlán, c’était acquérir une double promotion de vainqueurs, celle des Aztèques, jadis interdite, celle des Espagnols eux-mêmes, étrangement ouverte. D’ailleurs, le monde indien brisé par la conquête entrait en mouvement. Pour beaucoup, aller à Tenochtitlán, c’était se réfugier. Il y a dans l’émigration vers la ville, plus ou moins volontaire, plus ou moins forcée, une fuite en avant, une fuite du danger vers le danger.
32Masse de main-d’œuvre, nécessairement médiocre, mais bon marché. En raison d’une révolution alimentaire que la ville connut plus tôt que la campagne : la révolution des mangeurs de viande. Les Indiens de la ville deviennent des dévoreurs d’abats, ils se nourrissent pour rien, du sous-produit de la viande des puissants. Dans la mesure où le coût de la main-d’œuvre se confond avec son coût de production, on comprend qu’à Mexico des conditions uniques dans toute l’Amérique se soient produites. Mexico produit, donc, en grande quantité, pour elle mais aussi pour l’exportation interindienne, à peu près toute la gamme de l’industrie de son temps, une masse considérable de produits grossiers.
33Sous cet angle, les actes du Cabildo constituent une source inappréciable. Tout à la base, on perçoit le produit de la gamme du vieil artisanat indien, aux modes de production inchangés, les dominants emboîtant le pas des dominés, ont dû s’adapter. Tout cela ne va pas sans heurts, sans cris, sans difficultés35. Au-dessus des besoins immédiats de la vie quotidienne, il faudrait citer de grandes entreprises qui associent sous une direction espagnole, des techniques très simples, un travail faiblement divisé, mais un groupement poussé au stade de la concentration de la matière première et de la commercialisation des produits. Le plus parfait exemple est celui de la production de la soie, dont Woodrow Borah a écrit l’histoire définitive.
34Sur ce point, on ne peut que renvoyer à un grand livre qui constitue le type même de la monographie volontairement limitée dans son objet mais parfaite dans sa réalisation36.
2. La Soie
35Il était fatal que les Espagnols cherchassent à prolonger au-delà des mers les bonnes fortunes nouvellement acquises du Royaume de Grenade. La sériciculture nécessite de grosses masses de main-d’œuvre à bon marché, une main-d’œuvre plus abondante et attentive que vraiment habile et qualifiée. Toute conjonction généralement réalisée aux Indes, au début de la conquête.
36Il n’est pas surprenant, dans ces conditions que Woodrow Borah ait trouvé les premières traces sûres d’une intention d’implanter la sériciculture aux Indes, dans l’Española de 150137. Mais les premières tentatives de 1503 et de 1504-1505, celles de 1517 inspirées par les préoccupations humanitaires de Las Casas contre l’opposition féroce de l’administration de Fonseca inspirée par une position de prohibitionnisme systématique à l’encontre des activités concurrentes de celle d’une Espagne pensée essentiellement comme Métropole, devaient échouer38. Non pas, bien sûr, pour des raisons doctrinales, mais simplement parce que la main-d’œuvre indigène avait disparu à l’époque des tentatives lascasiennes. D’autres tentatives virent le jour. Woodrow Borah en a fait l’étude attentive. Le détail en importe peu. Il suffit de retenir de ces échecs39 une double leçon. La première, le désir, du côté espagnol d’une sériciculture indienne, la nécessité, pour y parvenir, d’un puissant matelas de main-d’œuvre indienne.
37Cette condition primordiale ne pouvait se trouver réalisée nulle part ailleurs plus parfaitement que sur le plateau mexica au xvie siècle. C’est pourquoi les tentatives, dans la cuvette même de la grande lagune du pays mexica sont aussi vieilles que la conquête40 elle-même. En 1523-1524, d’abord, en 1530-1531, ensuite. L’idée chemine rapidement, mais l’adaptation des techniques au milieu, l’acclimatement du mûrier au sol, au départ, ne vont pas sans mal. La conquête de la cuvette de Mexico par la production de la soie brute est chose des années 30-40 du xvie siècle. Le projet revêt une telle importance aux yeux de quelques-uns qu’il amène, parfois, des prises de position curieuses. Celle, par exemple, en 1537, de l’évêque Zumarraga41 qui propose pour le bien de la soie, l’importation de Morisques sériciculteurs du Royaume de Grenade. A la limite, on pourrait justifier le projet par un désir d’affaiblir un noyau allogène que rend dangereux la proximité du Moghreb musulman et ennemi, mais, en fait, la seule chose qu’il faille retenir, c’est la nature contradictoire de la part d’une haute autorité religieuse d’une mesure qui irait, si elle avait été suivie, à l’encontre d’un des principes les plus fondamentaux de la législation hispano-indienne en matière d’émigration. En fait, Zumarraga et ses émules sont mus par d’autres motifs qu’ils expriment clairement. Celui, sincère, peut-être, mais singulièrement naïf, d’élever le niveau de vie de la masse indienne misérable, celui, beaucoup plus conforme à une saine interprétation économique de la situation, d’enrichir la colonie espagnole. Nous sommes en 1537, à la fin du cycle de la simple cueillette des métaux, avant le cycle de la mine.
38Mais cette première implantation est celle d’un demi-échec. La vraie prospérité date du demi-siècle. Elle est liée à la création, à cinq et six-cents kilomètres au sud-est de Mexico dans la Mixteca profondément indienne42, d’une grande zone productrice, exportatrice de soie grège. La Mixteca n’est pas la seule province séricicole du premier Mexique colonial, mais elle est, de beaucoup, la plus importante dans la hiérarchie des grandes régions séricicoles. Cette croissance dure jusqu’en 1580, jusqu’au moment où s’exerce, sur le marché mexicain, la dure concurrence des soieries de Chine qu’apporte le galion.
39Les statistiques de Séville ne permettent pas toujours de bien distinguer soies de Chine et soies de Nouvelle Espagne. Une chose est certaine, bien au-delà de la décadence séricicole nouvelle espagnole, que Woodrow Borah place au-delà de 158043, les exportations combinées des soies de Nouvelle Espagne, en recul, et de Chine, en montée, croissent, à l’arrivée, sur les berges de Guadalquivir, au moins jusqu’en 161844, peut-être même, au-delà, mais les séries statistiques s’arrêtent et ne permettent plus de rien affirmer.
40La Nouvelle Espagne possède un important volant, un volant croissant de matière première, une masse considérable de main-d’œuvre disponible. C’est avec ces éléments qu’elle édifie à Mexico un puissant textile de la soie. A partir de 1540, toute une série de témoignages concordants45 permettent d’en suivre la croissance d’une manière qui reste, il est vrai, très qualitative. Si la production de la soie grège est répandue sur de vastes espaces, le travail de la matière première est concentré en trois lieux, Mexico, la Puebla et Antequera, Mexico est le plus ancien et le plus important de ces centres. La Puebla, gênée par Mexico trop proche, compte à peine. Les entreprises du dévidage et du tissage de la soie, dirigées par des Espagnols, encadrées par des Espagnols qui effectuent tous les travaux nécessitant une certaine technicité46, emploient de la main-d’œuvre indienne, souvent en forte proportion servile, à l’exclusion des noirs, en fait, trop coûteux, pour un travail de faible rendement. L’exclusion des noirs et des mulâtres est donnée par les textes pour des raisons d’ordre public47. Elle a, en réalité, on doit l’admettre malgré le silence des textes, d’autres causes économiques, la cherté des noirs.
41Il n’en reste pas moins qu’il faut faire à la soie un sort tout à fait exceptionnel. Il n’y a rien d’équivalent dans toutes les Indes. L’industrie de la soie fait de Mexico le centre industriel le plus important de l’Amérique ancienne. Il se classe immédiatement après les activités minières. Il a quelque chose de tout à fait paradoxal.
42Cette production dépasse largement les besoins de Mexico, les étoffes de soie des « obrajes » mexicains courent à travers la Nouvelle Espagne, jusqu’au Pérou, très certainement. Il est difficile de savoir dans quelle mesure certaines de ces étoffes sont allées jusqu’à Séville. La rubrique « seda » n’est pas explicite. Des soieries de Chine ont emprunté la route de la Vera-Cruz. Quelques étoffes mexicaines ont dû, très vraisemblablement, emprunter le même chemin. Une chose est sûre, ce fut en très faible quantité.
43C’est qu’au vrai, la production mexicaine ne trouvait pas sa place sur le marché européen. La production de Mexico n’est qu’un demi-luxe, un ersatz de luxe, susceptible de couvrir quelques aspirations des éléments les moins favorisés de la population blanche dominante. Elle se situe à un niveau intermédiaire, elle est production d’appoint aux Indes. Elle n’a pas sa place en Europe.
44La soierie mexicaine solidement enracinée traverse toute l’histoire coloniale, mais elle est, depuis la fin du xvie siècle, en décadence. En raison, peut-être, des maladies du ver et du mûrier dont fait état Woodrow Borah. La grande cause pourtant, est, ailleurs, plus, peut-être, que Woodrow Borah ne le croyait : la concurrence insurmontable des soies et des soieries chinoises. La liaison avec la Chine par Manille et Acapulco48 ne s’est pas établie immédiatement. Elle ne peut atteindre un premier niveau de pleine efficacité, sensiblement, beaucoup avant 1580. De toute manière, l’Union des deux Couronnes, en inter disant aux Philippines tout espoir vers les épices, a contraint les Philippines à se jeter, avec toutes leurs forces, dans cette opération de reconversion. Or la série des prix de la soie tels que Woodrow Borah les établit49 se renverse au-delà de 1578-1579. Entre 1579 et 1593, la chute du prix de la soie grège est de l’ordre de 80 %. Le prix de 1593, 1 peso 6 tomines, ne représente plus que 20 % du prix de 1579, il était, alors, de 9 pesos. Cette chute des prix de la soie est d’autant plus significative qu’elle s’établit de la manière la plus fantastique, à contre-courant de tout ce que l’on peut savoir de la tendance générale des prix, en Nouvelle Espagne et dans le monde à une époque, où de 1578 à 1593, la hausse n’est nulle part encore arrêtée. Il est impossible, saisissant mieux désormais le mouvement du trafic avec la Chine que Woodrow Borah ne pouvait le faire en 1943, de ne pas établir entre les deux ordres de phénomènes un lien sûr et particulièrement étroit de cause à effet.
45La concurrence des soies de Chine est d’autant plus plausible que la soierie chinoise est exactement concurrente de la soierie mexicaine plus que de la soierie européenne. Les textes des Philippines50 montrent clairement, en effet, qu’il existe deux catégories de soie de Chine. Un produit de très grand luxe qui est capable de faire le tour de la terre, une soierie bon marché dont on revêt les galériens à Manille. Ce sont ces soies-là qui entrent directement en concurrence sur les marchés des Indes avec la production mexicaine. Mexico ayant eu à faire place à la production chinoise apportée par les galions de la ligne Manille-Acapulco, il est normal qu’il y ait fléchissement au moment de leur arrivée, dans la production des ateliers de Mexico. Mais la crise passée, Mexico continue d’être, jusqu’à 1650 et, sans doute, bien au-delà, le grand centre, vraisemblablement, le seul en Amérique, d’une production massive de soieries de second ordre.
III. — LA POPULATION : SES HIÉRARCHIES
46Les hiérarchies de la ville sont, plus clairement que dans les campagnes, des hiérarchies sociales.
LES INDIENS
47Entre Mexico et Tenochtitlán, s’insère, plus profonde, plus que nulle part ailleurs, la solution de continuité de la conquête. La masse indienne de Mexico espagnole est une masse sans élite et sans cadre, une population qui n’en est que plus durement traitée. Une partie est servile, l’autre est libre, attirée, on l’a vu, entre autres facteurs, par les facilités alimentaires de la ville.
48La composition ethnique varie au cours d’un premier siècle et demi d’histoire coloniale. La population indienne constitue la plus grande part jusqu’en 1650, mais elle décroît lentement, presque insensiblement, relativement à l’ensemble. Sur le sort des Indiens de Mexico, quelques documents du Cabildo sont cruellement révélateurs.
49Avant la dure exploitation des tissages de la soie, la construction de la ville espagnole sur les ruines de Tenochtitlán avait soumis cette main-d’œuvre à rude épreuve. Un document de 153351 émanant du peu suspect Cabildo montre les Indiens de la ville et des environs contraints, pour la construction de la ville espagnole non seulement de fournir sans rémunération la main-d’œuvre nécessaire, à ces tâches pénibles mais, en outre, sans plus de rémunération, les matériaux. Et comme, faute de temps et de moyens, ils ne peuvent se les procurer autrement, ils défont leurs propres maisons et en emportent sur les chantiers pierres et matériaux. L’abus est tel que le Cabildo s’élève contre cette pratique et réclame qu’on paye les Indiens pour leur travail et pour les matériaux et qu’on les traite bien. Les prises de position — autant de prises de conscience — sont dictées par la campagne menée par les Dominicains, à Mexico, comme ils l’ont fait, partout, en faveur des Indiens. A Mexico, comme ailleurs, ces prises de position ne vont pas sans divergences (entre Dominicains et Franciscains, notamment, ces derniers sont moins indigénistes) et sans résistance de la part de la population blanche. On en trouve quelques échos dans les actes de Cabildo de 1533 et 1534.
50Après les travaux d’urbanisme et de construction et d’agrandissement, les Indiens de. Mexico eurent beaucoup à souffrir de l’exploitation particulièrement féroce, à laquelle ils furent soumis à l’intérieur des entreprises textiles de la ville. Borah a fait une ample moisson de témoignages à ce propos. On pourrait en trouver d’autres qui, tous, rendent un son de cloche concordant52.
51Il est difficile d’établir en regard la liste des compensations qu’ils tirent de cette présence, de cette agglutination autour de la population blanche dans la grande cité des lagunes. Elle n’est certainement pas négligeable. Placés face au seul terme de comparaison valable, celui du sort des autres populations indiennes du Mexique central de la première colonisation, les Indiens de Mexico sont, sans doute, relativement favorisés, quelle que soit, même selon nos normes ou — ce type de comparaison est déjà plus valable — en comparaison du sort de la population dominante ou des ethnies placées en situation intermédiaire comme les nègres, la dureté réelle de leur sort. Preuve de cette relative clémence, les Indiens viennent à Mexico, la plupart du temps volontairement, ils y restent et les nouveaux venus viennent régulièrement boucher les trous que creusent dans la masse urbaine, comme ailleurs, même si moins profondément, de cruelles épidémies. Cette constance de la population indienne — voire ses tendances à une évolution croissante — constitue un certain test de contentement.
52Juan López de Velasco53 dont les tendances sont assez nuancées et s’établissent à mi-chemin entre l’orthodoxie lascasienne (un Las Casas dont il a été, en quelque sorte, le dépositaire de l’œuvre et l’exécuteur testamentaire) et les positions anti-indigénistes de Gonzalo Fernandez de Oviedo et, en général, des aristotéliciens, établit un bilan provisoire des avantages obtenus par les Indiens du plateau mexica. Le jugement s’applique plus particulièrement aux Indiens de Mexico. Le bilan qu’il établit..., bêtes de somme, meilleur vêtement..., n’est pas discutable, mais il est des avantages qui tuent. Et ceux-ci sont de ceux-là, puisque, aussi bien la traction animale que le meilleur vêtement aboutit à accroître les concurrences alimentaires qui allaient au seuil de la conquête, sur la mise en place de nouveaux rapports de domination, modifier radicalement le maximum théorique de la population.
53A cela s’ajoute, évidemment, le gain incommensurable de la conversion à la foi chrétienne, mais cette conversion, malgré des signes évidents de bonne volonté, de l’aveu même de Velasco, reste très fragile encore et superficielle. Une telle fragilité n’est pas le fait seulement des campagnes, on en a la preuve à Mexico même. Le Cabildo54 s’indigne, souvent, et prend des mesures dans la première moitié du XVIe siècle, il est vrai, mais il n’est pas sûr que la coutume n’ait pas la vie plus dure et ne dépasse largement le cadre du premier demi-siècle, contre les Indiens qui sortent clandestinement la nuit pour se livrer à des cultes païens interdits. Mais on notera le même phénomène dans la Lima des premières décades de l’implantation coloniale et ailleurs, car il s’agit bien d’un fait de structures. Ainsi les Indiens de Mexico sans conteste, les plus hispanisés et partant, les plus christianisés, ne le sont encore que d’une manière superficielle. A l’intérieur même de la ville, l’unité linguistique n’est pas faite. Au xvie siècle, on parle nahualt dans l’enceinte même de la ville plus qu’on ne parle espagnol. L’assimilation des Indiens, à l’intérieur même de la grande cité, est à peine commencée. Le jugement que Velasco porte sur cette population, jugement plus riche en éléments négatifs qu’en facteurs positifs, peut être pris comme type d’une appréciation plutôt favorable. Elle suffit à prouver qu’à Mexico même (nulle part, ailleurs, la synthèse n’est plus proche, plus tôt, d’être faite), la fusion est loin d’être réalisée : on est en présence d’ethnies simplement juxtaposées, d’une population dominée par l’élément dominant considéré sans excessive aménité55. Mais le jugement de la population créole et espagnole dans sa masse n’est, nulle part, meilleur et l’Indien soumis n’en souffre pas plus à Mexico qu’ailleurs.
54A Mexico, beaucoup plus qu’en aucun autre lieu des Indes, par contre, la population indienne reçoit, nécessairement, quelques miettes du festin préparé pour les grands. Ce sont ces innombrables fêtes, sociales et religieuses, auxquelles le petit peuple d’expression nahualt n’est pas directement convié, mais dont il n’est pas absent. On sait combien elles sont nombreuses, prétexte à distraction, à repos, à détente, plus nombreuses dans l’Ancien Régime que dans l’Europe libérale et sévère du xixe siècle, plus nombreuses dans la péninsule ibérique méditerranéenne qu’au Nord des Pyrénées et des Alpes, aux Indes, qu’en Espagne, où elles se superposent nécessairement et se surajoutent toujours, quelque peu, aux fêtes d’un proche passé précolombien encore à fleur de peau.
55Naturellement, il faut faire, ici, nous en avons l’intime conviction56 dans la hiérarchie des festivités compensatrices, une place de choix à celles que, généreuse, offre l’Inquisition. Il suffit de relire, pour s’en convaincre, à travers un témoin aussi sûr que l’excellent Guijo57, la large participation des Indiens aux autos de fe. Les vivantes descriptions toutes imprégnées de la substance des meilleurs témoignages qu’on lit, ailleurs, dans les grandes « historias del Tribunal de la Inquisición » de José Medina Toribio, confirment cette impression. Bienheureuse Inquisicién, dans la cruauté, le sadisme même de ses exécutions, elle a, peut-être, joué un rôle bénéfique de défoulement collectif, auprès de la masse indienne dominée des grandes villes. Les Indiens sont hors de son for, non par humanité, mais pour des raisons lourdes du mépris, fruit de l’expérience qu’on leur porte parce qu’ils sont jugés incapables d’hérésie. Les faits qui ressortissent de l’Inquisition ne sont, certes, pas tous du domaine de l’esprit — ils ne le sont même que tout à fait exceptionnellement dans la pratique quotidienne — cependant, l’Indien est jugé trop pauvre pour pareille richesse. Elle suppose des raffinements qu’avec raison, sans doute, on ne lui prête pas. Et pourtant, les raisons ne sont pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est le fait de l’immensité indienne. Le spectateur indien des grands jours annuels des exécutions publiques, à la différence du plus défavorisé — donc, du moins susceptible d’être inquiété — des membres de la colonie blanche et métisse, est parfaitement tranquille. Il éprouve — son zèle qui attendrit le bon Guijo le montre — devant ces déchaînements de violence, de cruauté et de sadisme qui frappe des blancs, une joie pure de toute crainte. Mieux, il mêle sa voix aux cris de ceux qui conspuent, sa salive aux crachats des blancs. Recueilli au pied des bûchers, il peut, avec délice et application, rejeter les morceaux de chair incomplètement carbonisée, dans la flamme des foyers, lents à se consumer qui continuent à brûler dans les claires nuits de l’Anahuac. Ce sont là de grandes compensations, des compensations que l’on attend, patiemment, l’année durant et qui, en quelques heures, vengent et équilibrent. Le prestige social du condamné, son appartenance à la race dominante exécrée, le raffinement sadique des exécutions compensent par la qualité du spectacle, sa rareté, par l’intensité du drame, son insuffisante quantité. Dans une juste appréciation du sort des Indiens de la ville, ces trop rares jours de colère ne doivent pas être négligés. Les inquisiteurs ont-ils eu la claire vision de cet effet de catharsis ? Rien ne permet de l’affirmer. De toute manière, il n’était pas au premier rang de leurs préoccupations. Mais leur a-t-il totalement échappé ? Répondre trop vite par l’affirmative serait, sans doute, leur faire injure.
LES INTERMÉDIAIRES
56Entre les indiens et les blancs espagnols, créoles et espagnols gachupines, les intermédiaires, ce sont, essentiellement, les noirs et, a fortiori, les mulâtres, les zambos, toute la gamme, mestizo prieto, mestizo pardo, mulato blanco et morisco, mulato prieto, mestizo pardo, mulato pardo, mulato lobo, mulato alobado, indio alobado58.
57Ils ne sont pas nombreux, du moins au début, leur nombre s’est beaucoup accru, au cours des années qui vont de 1530 à 1650 et leur rôle est très considérable. Il ne faudrait pas se laisser duper, en effet, par la lettre de la « loi des Indes » et des cédilles. Si, juridiquement, une méfiance et de nombreuses incapacités accompagnent toujours, en droit, la condition noire, même affranchie, cette méfiance, ces incapacités ne sont pas autre chose que des précautions contre le danger potentiel d’une importance excessive.
58La condition de noirs est très différente suivant les lieux. Le tableau classique de Saint-Domingue par Charlevoix59, les plantations telles qu’elles sont décrites en taches sombres, au Brésil, par Frédéric Mauro60 ne s’applique pas à la situation urbaine du peuplement noir. La négritude y est, apparemment, plus facile à porter. Le Cabildo de Mexico est, sans cesse, préoccupé de ramener à son rang cette population encombrante. Préoccupé, notamment, de la fixer61, alors qu’elle glisse, manifestement, hors de tout contrôle et toujours prête à gonfler les maquis de nègres marrons ou, plus simplement, de « salteadores » qui rendent les meilleures routes peu sûres. Encore que, sous cet angle, la région de Mexico constitue, sans conteste, une zone particulièrement privilégiée. Et pourtant, ces nègres qu’elle redoute, auxquels elle interdit l’usage du vin, comme aux Indiens62, la colonie blanche craint, à Mexico même, tout ce qui est susceptible d’en gêner l’importation63. Les nègres privilégiés de Mexico sont, comme partout, désirés et redoutés. En fait, les nègres contrôlent à Mexico le petit commerce. Par la ruse, par la force, ils se sont imposés, comme des intermédiaires inévitables entre le consommateur espagnol et la campagne indienne. Mais le phénomène est assez général, dans l’histoire générale des colonisations pour ne pas surprendre tellement. Entre Mexico et ce que l’on n’ose appeler le plat pays, les nègres libérés de la grande cité, forment écran. Cet écran leur permet de contrôler les prix. Les racines de cette situation sont anciennes, elles remontent, tôt dans la seconde moitié du xvie siècle, mais le grand mérite d’Irving A. Leonard dans son très grand livre, c’est d’avoir su décrire, cette paradoxale situation, d’une manière parfaite, quand, en 1600, elle arrive à son apogée64. Parmi ces intermédiaires, il faut faire une place, modeste, certes, au tout petit groupe des Chinois que le galion a entraîné jusqu’à Acapulco et de là à Mexico. Leur rôle n’est pas sans rapport avec celui des noirs. Mais on ne peut guère parler d’un premier embryon de colonie chinoise avant 1630-1640. A partir de 1653, toutefois, on peut relever quelques mentions de « chinos » dans le journal de Guijo65. Comme les nègres, en raison de la brutalité de leur déracinement, du haut niveau de civilisation de leur société d’origine, en raison, peut-être aussi, de la manière dont ils ont été transplantés, et du ressentiment qui en découle, le tout petit noyau chinois constitue un noyau dangereux. Sa participation à la délinquance, à la criminalité est, sans conteste, sans rapport avec son importance numérique. Les Chinois sont, comme les noirs, redoutés. On cherche à les tenir à l’écart des Indiens, car on craint qu’ils ne soient dans la population indienne, un ferment de révolte.
LES BLANCS
59Au début, du moins, les Espagnols sont peu nombreux. Leur nombre ira croissant. En 1570, Mexico compte 3 000 familles espagnoles et créoles, soit 18 000 habitants, si on adopte le coefficient élevé de conversion des feux que Woodrow Borah66 préconise avec raison pour la population blanche débordante d’un exceptionnel dynamisme démographique. Autour de ces dix-huit mille habitants gravitent, en outre, une importante population colorée, plus ou moins associée à la vie familiale des dominants. En 1640, toujours, selon la même hypothèse du coefficient 6, 48 000 habitants67. On rappellera, à titre de comparaison, pour Mexico, les résultats pondérés par Humboldt68 du dénombrement de 1790, 67 500 blancs dont 2 500 blancs européens et 65 000 créoles, 3 000 indiens, 26 500 métis et 10 000 mulâtres, soit au total 137 000 habitants, pour la seule ville de Mexico.
60Ces quelques chiffres, combien imparfaits, montrent l’importance rapidement croissante des blancs à Mexico. Mais c’est aussi une évolution normale, conforme à tout ce que l’on sait de l’histoire ibéro-américaine de la conquête jusqu’à nos jours. La ville de Velasco est encore, malgré la solution de continuité de la guerre de la conquête, fille de Tenochtitlán. La Mexico du milieu du xviie siècle est une ville européenne. Mais cette croissance du Mexico blanc, tandis que le Mexico indien plafonne et décroît, n’est pas seulement une croissance absolue, c’est bien plus une croissance relative. Entre 1570 et 1646, toujours d’après Woodrow Borah69 la population blanche du Mexique central passe de 57 000 à 114 000 habitants, celle de l’ensemble de la Nouvelle Espagne (nouveaux royaumes du Nord inclusivement) de 63 000 habitants à 125 000 habitants. De 1570 à 1640, la population blanche de Mexico s’est accrue de 166 %, la population blanche de l’ensemble de la Nouvelle Espagne, de 100 % seulement. La population blanche de Mexico représente, en 1570, 31,5 % de la population du Mexique central et 28,5 % de l’ensemble de la Nouvelle Espagne, en 1646, les proportions sont respectivement de 42,1 % et 38,4 %70. Cette croissance en flèche de la population blanche de Mexico, la formation d’une ville tentaculaire, constitue un élément clef de toute explication globale de l’économie coloniale mexicaine à cette époque. Elle ne peut qu’exprimer l’importance des transformations dont l’économie mexicaine, au cours des années, est le théâtre.
61Mexico est donc, de ce fait, au milieu du xviie siècle, plus vraisemblablement encore qu’au milieu du xvie siècle, la plus grande ville blanche, partant la plus grande ville créole de l’Amérique. Que cette croissance ait les conséquences les plus lourdes sur le bilan de l’économie mexicaine, la chose est certaine, la relation, évidente. Cette croissance de la population créole urbaine, en effet, aura modifié profondément le bilan production-consommation. La population créole est superconsommatrice, à Mexico, plus que nulle part ailleurs. La croissance de Mexico blanche a pu contribuer à fixer sur place une partie des excédents71 qui alimentaient, jadis, les finances publiques du vieux Royaume de Castille. Quant au faste colonial, un niveau effréné de superconsommation qui le caractérise, il a son terrain de prédilection à Mexico il s’agit d’un fait d’observation, d’évidence, sur lequel tous les anciens auteurs sont unanimes. Fray Toribio de Benavente l’exprimait déjà, en 1552, avec beaucoup d’autorité72. Tout permet de penser que cette caractéristique ira, sans cesse, en se précisant, tout au long de l’histoire coloniale. La parure de pierre du Vieux Mexico, ce qui en reste, le prouverait si besoin était. L’économie de gaspillage du xixe siècle, également, le faible niveau, longtemps, d’investissement d’un monde qui a pris des siècles durant, l’habitude de jouir plus que de prévoir, de dépenser plus que de gagner, d’ébaucher plus que de terminer.
62Or, l’élite de cette population blanche tire une bonne partie de ses revenus d’une économie d’échanges à long terme. Avant de quitter Mexico, il importe donc de retrouver les grandes lignes du réseau de ses relations à travers le Mexique central, la Nouvelle Espagne, les Indes, le monde.
IV. — RELATIONS
63Cette vie de relations est étroitement bée à l’existence de la population créole. C’est pourquoi, il fallait finir par elle. Si elle n’est pas la source, nous l’avons vu, de toute la richesse dont elle jouit, il s’en faut de beaucoup, elle sert, du moins, à lui procurer le haut degré de jouissances qui est le sien. Tout ce réseau de communications et de relations est moins encore la cause qu’il n’est l’effet des richesses accumulées à Mexico.
UNE SOURCE : LA « CAJA REAL ». FINANCES PUBLIQUES ET ÉCONOMIES
64Mexico est la capitale commerciale de la Nouvelle Espagne, lato sensu, tout comme elle est sa capitale politique, les deux aspects sont, d’ailleurs, intimement liés. Capitale politique, cela implique, une puissante administration financière, un énorme brassage de fonds qui ne peut que profiter à la ville. Les séries de la Contaduría de l’Audiencia conservées à Séville le prouvent73.
65Les tableaux que l’on trouvera ci-dessous74 en sont extraits, ils choisissent un peu arbitrairement, dans la masse infiniment riche de cette comptabilité d’État, quelques éléments considérés comme les plus représentatifs. Ils montrent l’importance des sommes qui convergent sur Mexico, à peine moins considérables que celles que centralise Lima dans des conditions analogues75. Entre 1576 et 1650, les entrées dans la caisse de Mexico se tiennent entre un million et deux millions de pesos, exceptionnellement, au cours de quelques années records, plus de deux millions, de juin 1608 à mai 1609, 2 379 519 pesos, de mai 1609 à mai 1610, 2 187 693 pesos, de mai 1622 à mai 1623, 3 219 352 pesos. Ce sont des sommes très considérables, puisqu’il s’agit d’un simple mouvement de fonds d’État et que ces mouvements ne représentent, bien sûr, qu’un faible écho des mouvements de fonds privés qu’il ne nous est pas possible de saisir avec une précision comparable. On peut supposer, toutefois, que le mouvement des fonds privés ne risque, en aucun cas, d’être moins que triple et plus vraisemblablement, même quadruple76 des mouvements des fonds d’État que les séries de la comptabilité financière des caisses royales de l’administration des Audiences nous permettent heureusement de saisir.
66La moitié des entrées dans la caisse de Mexico procède des versements des excédents de caisses des pays miniers. Pour apprécier ce que signifient ces entrées, il suffit de constater qu’elles représentent, en moyenne, des sommes égales au double de la totalité des remises des administrations des Indes à l’Espagne77, le tiers de la totalité des exportations des trésors de l’Amérique en direction de l’Europe. Une telle convergence de fonds entraîne nécessairement une importante redistribution de valeurs78 que Mexico réunit, mais qu’elle ne saurait intégralement conserver. Remises à l’Espagne dont l’importance relative diminue, de la moitié à moins du tiers des entrées, remises aux Philippines dont l’importance tant absolue que relative augmente. Autrement dit, les mouvements d’espèces commandés par l’administration publique esquissent la carte des relations commerciales de Mexico.
67Mexico apparaît, rapidement, comme la grande place commerciale du Nouveau Monde. La plupart des entreprises nouvelles espagnoles de quelque envergure y ont leur siège social, même celles dont les activités ont pour principal théâtre, mille kilomètres au Nord, la Nouvelle Espagne minière79. Ce qui est vrai pour la Nouvelle Galice du début du xviie siècle doit l’être pour l’ensemble du territoire lato sensu du Vice Royaume. Tout ce qui compte dans le Vice Royaume converge sur Mexico, est commandé de Mexico. La Nouvelle Espagne a été construite sur les grandes lignes, du schéma de la confédération aztèque démesurément agrandie vers le Nord. C’est pourquoi lors des dislocations de l’Indépendance politique, Mexico a retenu sous son autorité les nouveaux royaumes du Nord, alors qu’au Sud, Lima a été impuissante à retenir dans sa mouvance le haut Pérou minier. Le Mexico post-colonial a hérité des solides réseaux d’échanges et de dépendance que Mexico-Tenochtilán avait su, des siècles durant, depuis la confédération aztèque, tisser autour d’elle. Les bases d’une évolution différente sont posées dans les dernières décades du xvie siècle et les toutes premières années du xviie siècle
MEXICO ET L’EST
68La géographie des relations commerciales de Mexico se confond avec celle de son empire politique. Mexico, c’est la Vera-Cruz, bien sûr, la Vera-Cruz qui n’a pas d’existence propre, simple poste de rupture de charge sur l’interminable route qui de Mexico à Séville unit Ancien et Nouveau Monde. Les leçons qu’on peut tirer de son trafic sont donc des leçons valables pour Mexico. On aura été sensible, à l’intérieur du trafic d’Inde en Inde80 à l’importance du trafic avec Cuba. Or, entre Mexico et Cuba — comme d’ailleurs, il en existe entre Mexico et la Floride — les liens ne sont pas seulement des liens commerciaux, ce sont, aussi, des liens de dépendance politique et financière. Dans cet empire à la fois politique et commercial de Mexico, il est difficile de savoir si le politique et l’administratif précède l’économique ou si, au contraire, c’est l’économique qui commande le politique.
69Ce n’est, d’ailleurs, qu’un faux problème. Les deux fronts marchent de pair. Chaque année, depuis, pratiquement, la substitution de la Havane à Saint-Domingue81, Mexico complète, quand besoin est et il est presque toujours besoin, le déficit de la caisse de la Havane qu’écrase le poids d’une défense et d’un approvisionnement qui dépasse de beaucoup le cadre de ses propres besoins. Le « situado » de Mexico à la Havane, pas plus que celui de Mexico à la Floride, n’a rien à voir avec le « situado » versé aux Philippines, une goutte d’eau à peine. Et pourtant, avec l’armada de Barlovent, cette charge ira croissant.
70Il est non moins douteux que Mexico contrôle la part « indienne » du trafic entre la Nouvelle Espagne et l’Espagne. La participation des maisons de Mexico n’est pas facile en l’état de notre documentation. Mais on peut la déduire indirectement des tensions qui opposent sur la ligne Mexico et Séville. Cette rivalité se déroule en deux temps, un premier temps, celui d’une faible participation de Mexico dans le mouvement, l’hostilité et les résistances viennent, alors, de Mexico, qui s’exaspèrent contre Séville82, dans une deuxième phase, elle correspond, en gros, au xviie siècle, c’est Séville, on le verra dans la « conjoncture »83, qui s’exaspère contre la part toujours plus grande de Mexico. Dans la première phase du conflit, il est impossible de n’être pas sensible, en outre, au dénivellement technique qui oppose Mexico et Séville84. La résistance de Mexico aux tentatives de vente sur mémoire et échantillon est une conséquence, sous un certain angle, du retard de Mexico, au moins, momentané dans le domaine de la technique des affaires par rapport à Séville. Ce retard, on le trouvait, tout à l’heure, dans le domaine des techniques industrielles. Or, Mexico, c’est la première place, la plus avancée de toutes les Indes de Castille. Son infériorité n’en a que plus de signification.
MEXICO ET PÉROU
71Mais cette infériorité relative ne joue plus en direction du Pérou. Dans le flux considérable des échanges Nouvelle Espagne-Pérou, Mexico commande le mouvement. L’initiative lui appartient. C’est à Mexico que réside le siège social des maisons qui font le trafic du Pérou. Rien de surprenant, il en va de même pour les nouveaux royaumes85. Pour ce prolongement important de l’Atlantique de Séville, nous possédons, grâce à la diligence de Woodrow Borah, une monographie excellente86. Mexico communique avec le Pérou, lors du premier apogée de ses échanges par Huatulco, d’abord de 1550, en gros, à 158587, au-delà par Acapulco. A partir de 1585, le trafic Nouvelle Espagne Pérou, une chasse gardée du grand négoce résidant à Mexico, est, essentiellement, un négoce de réexportation, de transit.
72Réexportation, d’abord, des produits de Chine88, réexportation notable des produits d’Europe à partir du xviie siècle.
73Cet important axe Nord-Sud de la vie de relations, que Mexico commande depuis ses origines, est né avec la conquête. A l’époque de la Conquista, confédération aztèque et empire incas s’ignorent. Cet éloignement n’exclut pas, bien sûr, qu’à une époque plus ancienne, civilisations du Nord et civilisations du Sud aient communiqué entre elles sur un rythme continu et considérable89. Ces communications ont existé, il faut bien le concéder à l’impeccable démonstration du Professeur Paul Rivet et de H. Arsandaux90. Il n’est pas moins douteux, qu’au moment de la conquête, elles avaient cessé.
74L’axe Nord-Sud perdu par les précolombiens a été retrouvé pour les besoins de la conquête. C’est d’abord une émigration. Elle est commandée de Mexico, principal foyer de la présence espagnole sur le plateau aztèque. Les marchandises ont suivi la route frayée par les hommes, en 1532-1534, par le premier commando de conquistadores nouveaux espagnols, séduits par les promesses du Pérou et tout prêts à accourir au secours d’une victoire prometteuse. Quatre-cent-cinquante soldats espagnols s’embarquent à la Posesión en 153491, d’autres suivront, des échanges sont nés. Les vicissitudes de ces échanges sont bien établies par Woodrow Borah. Elles suivent, notamment, celles des guerres civiles du Pérou92.
75Les actes du Cabildo, une fois de plus, sont précieux. Un acte du 23 mai 1547 montre clairement, par exemple, comment au début, le commerce suivant l’axe Nord-Sud, Nouvelle Espagne/Pérou, est bien centré sur Mexico, et comment il suit les hommes que Mexico a envoyés au Pérou93. En 1547, encore, le trafic Mexico Pérou semble être, d’abord, un trafic d’appui à l’émigration. Au premier chef, des produits alimentaires qui accompagnent des migrants et leur facilitent la première installation.
76Ce premier trafic aurait, sans doute, périclité de lui-même, avec l’émigration en direction du Pérou qui se tarit progressivement au cours de la seconde moitié du xvie siècle, si les Philippines et les « mercaderías de China » qu’elles déversent à Acapulco n’étaient venues prendre la relève. Le précieux article de Robert S. Smith94 montre, d’une manière précise, le rôle de Mexico dans le commerce de réexportation des « mercaderías de China ». Ce commerce, comme le commerce des Philippines dont il est le prolongement le plus direct, est la chose de Mexico. Certes, les marchandises ne remontent pas jusqu’à Mexico, mais les capitaux qui les paient, mais les hommes qui d’Acapulco conduisent ces échanges sont des facteurs de Mexico. Cette relation est tellement vraie que dans un document du 9 juin 1590 utilisé par Robert S. Smith95, on voit les négociants de Mexico s’appuyer, en tirant argument de cette brutale extension du trafic Acapulco/Callao/Lima, sur la montée ininterrompue, donc, depuis 1565, du complexe Pacifique, pour demander au Roi, à l’instar de Séville et des grandes cités marchandes de la péninsule ibérique, la création à Mexico d’un Consulat des marchands. Cette demande, intimement liée, par conséquent, à l’axe Nord-Sud des communications du continent, est accordée le 22 mars 1593. Mais cette croissance s’accompagne d’une modification du tracé de la route. Jusqu’en 1585, les produits du plateau mexica et plus particulièrement, les vivres jouaient le rôle le plus considérable à l’exportation. Par conséquent, le chemin le plus court s’imposait. C’était la route terrestre de Mexico à Huatulco, maritime de Huatulco au Callao. La position de Huatulco, à proximité de Tehuantepec, lui permettait, en outre, de profiter des courants d’échanges qui furent, à plusieurs reprises, importants à travers l’isthme fameux.
77A partir de 1585, à partir du moment où la production de Mexico (production agricole et production industrielle des obrajes pourvoyeurs de produits de consommation courante à bon marché) cède la première place à la simple réexportation de la « mercaduria de China » il était naturel que Huatulco fût abandonné au profit d’Acapulco. Tout passe désormais par le seul axe Mexico-Acapulco-Pérou.
MEXICO-PHILIPPINES-PÉROU
78C’est pourquoi, depuis la fin du xvie siècle, il est impossible de dissocier l’axe Nord-Sud, Acapulco-Pérou, de l’axe Acapulco-Manille. Dans le système complexe d’échanges, dont l’histoire n’appartient pas à ce livre96 qui anime tout le versant Pacifique du continent, la métropole, c’est Mexico. C’est Mexico qui est exportatrice de produits fabriqués, de cette production grossière des « obrajes » dont Lima, plus fruste, encore, faute de mieux, est friande. C’est à Mexico que se tient le siège social des maisons qui affrètent les navires. Vers Mexico montent des produits agricoles, vin au premier chef, et de l’argent brut, en échange du travail de l’industrie mexicaine, en échange aussi de cette production tertiaire invisible qu’est la direction des affaires. Tout cela, d’ailleurs, s’accompagne d’un gros dénivellement des prix, un dénivellement moteur des prix. Le Pérou, pays cher, face au Mexique, reçoit le produit du travail mexicain (d’un travail secondaire et tertiaire). Il en résulte que Mexico est la métropole du Pérou, comme Séville est, sous un certain angle, la métropole de Mexico. On pourrait observer en prolongeant la chaîne, que Séville est, par rapport aux grandes places de l’Europe non ibérique, dans une position qui rappelle celle de Lima par rapport à Mexico et de Mexico en face de Séville.
79La meilleure preuve que l’on puisse fournir, enfin, de cette position de Mexico, métropole, ce sont les rivalités mêmes qui l’opposent à Séville. Séville, métropole du Pérou, n’est pas prête à accepter, sans résistance, la concurrence de Mexico sur le marché péruvien. Séville n’a pas, a priori, d’objection, contre la fonction de Métropole que Mexico assume face aux Philippines, elle n’en a pas, bien sûr, quand la caisse de Mexico97 fournit à Manille les sommes énormes sans l’appoint desquelles la colonisation espagnole aux îles du Ponant, serait impossible.
80La Contaduría de Mexico, confirmée par celles d’Acapulco et de Manille, montre l’allure croissante du situado versé par Mexico, moins de 100 000 pesos en moyenne jusqu’en 1590, 150 000, puis 300 000 et 500 000 pesos, voire, exceptionnellement, plus d’un million de pesos en 1639-1640. Séville n’a pas d’objection tant que cette ponction n’affecte pas les possibilités d’absorption du marché mexicain en produits de Séville, mais elle en a, dès qu’elle croit comprendre que les produits de Chine restreignent, sur le plateau mexica, les possibilités de ses propres produits, elle en a plus encore, quand elle constate que, grâce au tremplin du commerce de Chine, le « négoce » de Mexico pompe à son avantage une partie de l’argent du Pérou, cet argent du Pérou sur lequel Séville entend bien exercer son Monopole.
81Telle est la clef du conflit qui, en structure, oppose, depuis 1590, en gros, Mexico, capitale secondaire du grand commerce avec l’Amérique, mais capitale nouvelle douée d’un dynamisme inquiétant, à Séville, capitale ancienne, mais, forcément, dans ses positions les plus lointaines, en attitude de repli. Le point de départ juridique, on peut le trouver dans la cédule du 11 janvier 159398 qui a la prétention de limiter le commerce de Chine au plafond théorique de 200 000 pesos. De l’avis de tous, le plafond n’est pas respecté, Juan Gutierrez de Garibay affirme, le 8 avril 161099 dans une lettre du Consulat de Séville, que les 200 000 pesos sont devenus un million et demi. Le chiffre repris à satiété, dans tous les documents est, parfois, grossi jusqu’aux deux millions. Ce conflit, ces innombrables, ces très gros dossiers qui s’accumulent sur les tables du conseil des Indes, rendent hommage aux réussites de Mexico, capitale et métropole du grand commerce. Un moment, dans la hiérarchie de ses ennemis, Séville donne à Mexico, capitale paradoxale du Pacifique des Ibériques, la première place. C’est le signe sensible d’une promotion qui ne saurait tromper.
82A l’intérieur de cette rivalité structurelle, la conjoncture intervient comme accélérateur des conflits100. On s’en servira, plus tard, pour apprécier les modifications du cycle et de la phase. Cette tension latente, sans discontinuité, qui oppose Séville, depuis 1590, à Mexico, dans ses entreprises les plus hardies, témoigne de l’ampleur de la réussite de la nouvelle Tenochtitlán. Mexico, — à la limite, malgré l’archaïsme de ses moyens, quand on les compare à ceux de l’Europe privilégiée — est la seule place marchande du Nouveau-Monde.
83Elle est présente sur toute la Nouvelle Espagne et c’est par Mexico que la Nouvelle Espagne participe, peu ou prou, à l’économie-monde.
Annexe
ANNEXE. TABLEAUX RÉSUMÉS DU MOUVEMENT DE QUELQUES POSTES DE LA CAISSE CENTRALE DE MEXICO (1576-1650). A. G. L, Cd 677 à Cd 741)
COMMENTAIRE
Ces tableaux grossiers couvrent, à quelques discontinuités près, la période 1576-1650. Ils sont extraits des legajos de la Contaduría de la caisse centrale de Mexico, série Contaduría 677 à Contaduría 741. Les données retenues dans ces tableaux synthétiques ne représentent qu’une infime partie des possibilités de ces séries, qui feront, ultérieurement, de notre part, l’objet, nous l’espérons, d’une étude beaucoup plus poussée.
1. Au total, neuf colonnes, dont une redoublée, soit dix colonnes.
2. Aux deux extrémités des tables 1 et 10, la tranche chronologique qui correspond à l’exercice.
3. Colonne 2, celle des entrées (cargo). Soit le total des sommes prises en charge par la caisse centrale, plus le solde de l’exercice précédent. Les sommes sont exprimées dans la monnaie utilisée, le peso, divisé en tomines et en grains.
4. La colonne 6, celle des sorties (data), représente les dépenses, payements effectués au cours de l’exercice, pour l’administration du pays, pour venir en aide aux caisses dépendantes, Philippines notamment et à l’Espagne, en tant que contribution à l’Empire.
5. Les colonnes 3 et 4 sont constituées par deux types d’impôts ad valorem, bien connus, le poste almojarifazgos et le poste alcabalas, l’impôt sur les mouvements de marchandises et celui sur les transactions des marchés. En près d’un siècle d’histoire (1576-1650), le contenu de ces rubriques et la jurisprudence de ces impôts varient. On s’est efforcé par un système de lettres-rubriques d’introduire quelques distinctions importantes. Une étude beaucoup plus poussée serait nécessaire pour construire, à partir de ces données, des indices d’activité détaillés région par région. Pour le moment, on se bornera à une étude globale. L’indice fournit une donnée utile, à condition de lui demander des indications générales pour l’ensemble Mexique central et pour de vastes périodes, sans entrer dans l’analyse détaillée de l’espace et du temps, sans oser pour autant appuyer sur ces données l’ébauche même d’une analyse conjoncturelle. On se bornera donc, pour le moment, à une utilisation prudente.
6. La colonne 5 contient le montant des sommes perçues par la caisse centrale pour ses ventes de mercure aux mineurs. C’est un indice d’activité précieux pour le Nord minier, à rapprocher des séries « Mercure » (Cf. t. VIII2bis, 1958-1978) et à utiliser après l’avoir replacé dans un ensemble.
7. La colonne 7 contient les virements faits à l’Espagne, c’est-à-dire la contribution de la Nouvelle Espagne à l’Empire, sur le plan des finances publiques.
8. La colonne 8 est celle des sommes versées à la caisse des Philippines. A partir de 1625, la contribution aux Philippines dépasse celle à l’Espagne.
9. La colonne 9 contient la cote des liasses de la Contaduría d’où ces renseignements sont extraits. Exemple : 677, ... 679, lire Contaduría 677, ... Contaduría 679, etc.
Ces documents sont d’une utilisation difficile car les liasses ont été abîmées par le feu. Ces destructions expliquent quelques-uns des blancs à l’intérieur des comptes d’une année. La reconstitution n’a pas toujours été possible à partir de ce qui reste des tronçons carbonisés de documents.
Notes de bas de page
1 Le continent américain apparaît, en 1541, aux yeux de Fray Torihio de Benavente (op. cit., p. 116) comme une symphonie de montagnes dont la Nouvelle Espagne serait la meilleure expression et Mexico le thème dominant : « ... muy altas y fragosas sierras, mucho mas sin comparación de los Alpes ni de los montes Pireneos... los mayores y los mas ricos del mundo... lo mas alto de esta Nueva España y los mas altos montes, por estar en la mas alta sierra, parecen ser los que estan alrededor de Mexico... »
2 Antonio de Roules, Diario (1665-1703). Lors du tremblement de terre d’août 1667, la secousse a duré « ... por espacio de mas de dos credos... » Lors du tremblement de terre du 13 septembre 1667, « ... mas do tres credos con mucha fuerza... » (p. 40 et p. 43).
3 Fray Toribio de Benavente, op. cit., p. 120.
4 Velasco, op. cit., p. 191.
5 Velasco, op. cit., p. 191 : « ... Por causa desta laguna viene a ser que, aunque el cielo desta comarca es bueno como queda dicho, se levantan en la ciudad algunas nieblas que la laguna echa, y en el verano, de la putrefacción de los pescados della, suele haber mal olor en la ciudad, y viene a ser menos sana que las otras partes de su comarca... »
6 Jacques Soustelle, La vie quotidienne des Aztèques (Paris, Hachette, 1955, in-8 , 318 p.), p. 34 : « ... on peut admettre que Tenochtitlán-Tlatelolco comportait de 80 à 100 000 foyers de sept personnes, soit une population totale de 560 000 à 700 000 âmes. Disons que cette population était sûrement supérieure à 500 000 et probablement inférieure au million.
7 On peut d’autant moins s’en écarter radicalement que les démarches de Jacques Soustelle recoupent les hypothèses construites sur des indices différents de S. F. Cook et L. B. Simpson (The population of Central Mexico in the Sixteenth Century). Or, ces constructions ont été bâties suivant des démarches parfaitement indépendantes. L’ethnologie vient à l’appui, ici, de l’historien statisticien. Cette rencontre un peu imprévue (Cook, Simpson, d’une part, Soustelle, de l’autre) renforce la créance que l’on doit accorder, respectivement, à chacun de ces remarquables travaux.
8 Jacques Soustelle, op. cit., p. 53 : « ... des myriades de bateaux ne cessaient de converger vers la cité lacustre, chargés de denrées alimentaires. Notons en passant que dans un pays où n’existait aucun animal de trait ou de bât, pas une voiture, pas un véhicule terrestre, le transport par eau était, de loin, le plus efficace et le plus rapide... »
9 Velasco, op. cit., p. 191.
10 Información de méritos y servicios de Alonso Garciá Bravo, alarife que trazó la ciudad de Mexico. Introduction de Manuel Toussaint, Impresa universitaria, Mexico, in-8°, 1956, p. 134 Cf. aussi, Velasco, op. cit., p. 192 : « ... andan con esta laguna, al trato de la sal y proveimiento de bastimentos y materiales, de 200 000 barquillas arriba, que los naturales llaman calaes, y los nuestros, canoas como en la Española... »
11 Humboldt (Essai politique, II, ch. VIII, p. 79) attribue à Mexico, au début du xixe siècle, 131 000 habitants. Le volume global de la population n’a pas dû beaucoup varier tout au long de la période coloniale. En 1524, la nouvelle cité de Mexico comptait déjà 30 000 habitants d’après Cortés (Humboldt, op. cit., II, p. 78). A l’époque de Velasco, le complexe de la lagune dépasse, selon toute vraisemblance, les 150 000 âmes. En effet, outre Mexico elle-même, toute une série de grandes cités ou, si on préfère, de gros faubourgs entourent la lagune (Velasco, op. cit., p. 191) : « ... muchos dellas de a 5000 casas, y algunos de a 10 000 casas, como Tezenco, que estan grande casi como Mexico... » Cook et Simpson (The population of central Mexico, op. cit., p. 53) fixent, avec beaucoup de précision et une grande certitude, la population de Mexico, en 1565, à 74 895 habitants.
12 Información de méritos... de Alonso Garcia Bravo, op. cit., p. 14-16.
13 Actas de cabildo de Mexico, III, p. 42, 63, 66, juillet, novembre, décembre 1533.
14 Gregorio Martin de Guijo, Diario, op. cit., t.I, p. 4, 5, etc.
15 Ibid., p. 18.
16 T. VIII 2 bis, p. 851-1953.
17 Guijo, Diario, I, p. 78.
18 Henri Lapeyre (Ruiz, op. cit., p. 81-83) évalue, un demi-siècle plus tôt, avec une extrême précision et une grande certitude la fortune de Simon Ruiz à 363 000 ducats (405 000 florins). Soit, en valeur nominale, de l’ordre de la moitié des 600 000 pesos que la rumeur publique attribuait à Haro, selon Guijo, si on suppose des pesos, monnaie de compte, à 450 maravedis (soit 136 125 000 mrs pour la fortune Ruiz et 270 000 000 mrs pour la fortune mexicaine de Haro). Même compte tenu des niveaux des prix différents entre la fin du xvie et le milieu de xviie siècle, entre le Mexique colonial et la péninsule ibérique, si la donnée de Guijo est exacte, la fortune Haro est au moins comparable à celle qu’avait atteinte, au sommet de ses splendeurs, la maison Ruiz, entendez la plus grande entreprise bancaire castillane en Castille. On est loin, certes, des 4 700 000 florins des Fugger, au sommet, un siècle plus tôt, de leur puissance. Une certitude, pourtant. En 1650, le capitalisme mexicain semble à la mesure de l’Espagne du siècle antérieur. Et c’est une prodigieuse réussite.
19 Irving, A. Leonard, Books of the Brave, Harvard University Press, Cambridge, Mass., 1949, trad. esp., Los libros del conquistador, Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1953, in-8°, 400 p. et à ce propos notre article, Les livres de chevalerie à la conquête du Nouveau-Monde (Annales, E.S.C., 1955, no 2, p. 216-228).
20 L’extrême richesse de la documentation livrée par l’administration espagnole coloniale n’exclut pas, au prix, il est vrai, d’une plus grande approximation que celle à laquelle un est accoutumé en France, la possibilité de semblables études. L’œuvre pionnière, on ne le redira jamais assez, dans d’autres domaines de l’admirable équipe des historiens de Berkeley montre la possibilité, au Mexique colonial, de réussites d’histoire sérielle.
21 T. VIII2bis, p. 851-1525.
22 Annales, E.S.C., 1955, no 1, Pour un portrait triste du Mexique au milieu du xviie siècle. Le « Diario » de Gregorio Martín de Guijo, p. 79-85.
23 Cf. Philippines et le Pacifique espagnol.
24 Annales, E.S.C., 1955, no 1, p. 79-85, article cité.
25 Les Philippines et le Pacifique espagnol.
26 Actas de cabildo de... Mexico, t. III, p. 55, 17 octobre 1533. De très lourdes sanctions sont promises à ceux que continueront de tailler dans les « montes » sans autorisation. Ibid., t. V, p. 302, 12 juillet 1550, un nouveau rappel : « ...que no corten ni hayan leña, del monte sin licencia de esta ciudad ». En veillant sur les bois des bords de sa cuvette, Mexico veille sur sa vie et défend son avenir.
27 Actas III, 14 juillet 1533, p. 43 : « Este dia acordaron e mandaron que porque las cosas estan ya a bajos precios y los ganados an baxado y porque los vecinos se han quexado que los accarreadores lleban a exesivos precios por acarrear el trigo a los molinos... » Le Cabildo fixe un prix maximum, un demi réal de « ... oro de typuzque por cada anega de lo que llevaren e truxeren a los molinos... ». Un peu plus tard, le 22 septembre 1533 (Actas, III, 22 septembre 1533, p. 54), « ... Los molinos que ay en termino desta ciudad que son dos del M (arques) del Valle, dos de Nuño de Guzman e uno del licenciado Matienzo e otro del T(esorer)o A(ntoni)ode Estrada tienen rompidas (sic) las presas que no muelen... » Il en résulte dans la ville « ... daño e ambre... »
Actas, V, 16 mars 1546, p. 129. On devra pratiquer désormais le blutage de la farine « ... Los molinos que ay en termino desta ciudad que son dos del M (arques) del Valle, dos de Nuño de Guzman e uno del licenciado Matienzo e otro del T(esorer)o A(ntoni)ode Estrada tienen rompidas (sic) las presas que no muelen... » Il en résulte dans la ville « ... daño e ambre... »
28 Actas, V, 16 mars 1546, p. 129. On devra pratiquer désormais le blutage de la farine « ... como en España... ». Asi en uso e costumbre en españa no sacarse mas de despolvoreo de una libra... » On peut penser que les techniques plus grossières de la meunerie à Mexico sont plus gâcheuses de grain que celles de l’Espagne. Rançon, aussi, d’un approvisionnement plus facile
29 François Chevalier, Le grand domaine, op. cit., p. 58-59.
30 Actas. Nombreuses interventions concernant les carnecerias mais jamais la mention, voire la simple crainte de pénurie. Beaucoup de mesures d’hygiène par contre (Actas, III, p. 78, 23 mars 1534). Il est recommandé de jeter de la chaux sur le sol : « ... de manera que la carne que se matura este limpia... ») Rien de surprenant, le bétail ne cesse de croître (S. F. Cook, Soil Erosion and Population in Central Mexico, Berkeley, 1949, in-8°, 88 p.) : entre 1550 et 1620, le volume des ovins est multiplié par douze, celui des bovins par vingt. En 1542 (François Chevalier, op. cit., p. 114-115), la viande est, en moyenne, huit fois moins chère qu’en Andalousie.
31 Actas, V, p. 212.
32 Benavente, op. cit., p. 118.
33 Outre les prix astronomiques qu’il atteint (cf. ci-dessus, p. 717), le vin, très souvent, manque. En raison du difficile acclimatement de la vigne, plus encore, que des obstacles légaux mis à son développement par les puissances du Monopole. Ces entraves, d’ailleurs, n’interviendront que beaucoup plus tard. D’où à travers les actes du Cabildo des interventions pratiquement annuelles dans ce domaine critique. Soit sous forme d’ordres de recension des stocks en vue de taxation et de réglementation (Actas, III, 30 août 1535, p. 124, t. V, p. 86, 26 mars 1545), soit sous forme de taxations (Actas, III, 18 mai 1534, p. 82, 1er octobre 1535, p. 128, t. V, 30 juillet 1545, p. 103) soit, et c’est, peut-être, la démarche la plus intéressante, des interdictions de réexportation. Mexico, le port, par excellence de la Nouvelle-Espagne, le noyau qui concentre la moitié, environ, de la population blanche dominante, n’hésite pas, en cas de pénurie extrême, à s’assurer une situation privilégiée au détriment du plat pays. On trouvera des exemples de ces interdictions d’exporter dans les actes, entre autres, du 7 octobre 1532, du 15 novembre 1548 Actas, III, p. 8 ; V, p. 134).
34 A ce propos, il convient peut-être, de faire justice de la fameuse interdiction de planter des oliviers que beaucoup d’auteurs rendent responsables d’une pénurie artificielle. François Chevalier (Le grand domaine, op. cit., p. 69) avoue ne pas en avoir trouvé la source, mais il accepte la relation qui accorde à l’interdiction un rôle efficace d’inhibition. Il nous parait plus sage d’invoquer, comme pour la vigne, la médiocrité des conditions naturelles, pour ces adaptations de cultures trop typiquement méditerranéennes : l’Indépendance politique le démontre, a contrario, qui n’a pas fait surgir vignobles et oliveraies à l’emplacement des champs de maïs.
35 Quel que soit le produit, la qualité est médiocre. Cette médiocrité s’explique aisément, elle procède, quand il s’agit de techniques purement indiennes, d’une détérioration facilement explicable par la conquête et pour les techniques européennes, des difficultés de l’adaptation. Les travailleurs « manuels » que l’Espagne a exportés ne sont pas nécessairement, bien au contraire, ses meilleurs techniciens « ès arts mécaniques », ils sont, de toute manière, trop peu nombreux et peu susceptibles de faire école auprès des indiens. Car ce sont des indiens, mal éduqués, lents et mal adaptés à leur travail qui exécutent la tâche et l’exécutent mal.
Mauvaise qualité des produits de l’industrie mexicaine. Sur ce point, il y a unanimité de jugements. Textes qui émanent de Séville, toujours un peu jaloux et que l’on pourrait révoquer en doute, s’il n’y avait pas tant de confirmations et d’innombrables contre-épreuves. La moins suspecte est celle-là même du Cabildo de Mexico. Le produit mexicain est toujours moins cher et moins recherché que le produit espagnol. Au Pérou, il se place en position intermédiaire, entre le produit espagnol et le produit péruvien justement le plus méprisé.
Pour surveiller une production anarchique, le Cabildo a essayé de la mouler dans un système réglementaire dont il est difficile d’apprécier l’efficacité. Le processus est toujours le même, après un procès-verbal de mauvaise qualité, le Cabildo (Actas) procède à la création et à la nomination de veedores, qui veilleront à la qualité de la production. Cuir et cordonnerie (3 octobre 1533), chandelles (14 juillet 1533), sucre (11 septembre 1544), farine (16 mars 1546). Le veedor espagnol surveille un groupe d’artisans indiens.
Une des branches d’activité qui semble avoir donné le plus de soucis, si on en juge par le nombre extraordinairement élevé des interventions, aux membres du Cabildo, est celle de la cordonnerie. Innombrables plaintes sur la qualité du travail. Il est bien évident que, dans ce domaine plus que nulle part ailleurs, peut-être, la différence des niveaux techniques était écrasante. Mais l’intervention du Cabildo est commandée par d’autres facteurs, également par des faits très nets d’accaparement. En 1533, on observe (Actas, III, p. 54-55, 26 septembre-10 octobre 1533), un phénomène particulièrement curieux, une pénurie artificielle de cuirs, au pays de production massive des cuirs par suite d’une manœuvre de stockage spéculatif et monopoleur. « ... Francisco Hernandez Zapatero e curtidor en esta ciudad, a comprado la corambre de las camicerias e no quiere dar parte de la dicha corambre a otros vezinos... » Ledit Francisco Hernandez cherche à jouer sur son stock pour étrangler ses concurrents et tirer, en outre, de sa matière première des bénéfices spéculatifs. Le procédé dénoncé amène plusieurs interventions règlementaires du Cabildo dont il n’est pas possible d’apprécier l’efficacité.
Mêmes problèmes autour des chandelles. Unanimité pour en dénoncer la mauvaise qualité et mesures spéculatives autour du suif. Il arrive, là aussi, que, paradoxalement, il y ait difficulté de se procurer la matière première... Tout un gros dossier (cf. Actas, III, p. 43, 79, 82, 14 juillet 1533 24 avril 1534, 18 mai 1534 ; t. V, p. 55, 117, 10 juillet 1544, 1er décembre 1545).
36 Woodrow Borah, Silk Rising in colonial Mexico, Berkeley, 1943, in-8°, IX-169, pages, cartes.
37 W. Borah, Silk rising, op. cit., p. 2.
38 Ibid., p. 2 et 3.
39 Notamment, en 1525, en direction du Nord de la Floride, lato sensu (ibid., p. 3-4).
40 Ibid., p. 5 et 7.
41 Ibid., p. 8 et 9.
42 Ibid., p. 16 sq.
43 Ibid., p. 27.
44 T. VI2, table 719, p. 1020-1021.
45 W. Borah, Silk rising, op. cit., p. 33 sq.
46 Ibid., p. 37.
47 Ibid., p. 35.
48 Les Philippines et le Pacifique.
49 W. Borah, Silk rising, op. cit., p. 91.
50 Les Philippines et le Pacifique.
51 Actas, III, p. 41, 30 juin 1533.
52 R. Konetzke, Colección de documentas para la historia social, I, p. 601-602, 21 juin 1589 : « Real Cedula sobre lo que se a entendido cerca de la prision y trabajosa servidumbre con que los Indios son molestados en los obrajes de panos y lo que ha de prover para que se remedie...
53 Velasco, op. cit., p. 185 : « Antes que los españoles entrasen en esta tierra, andaban los mas desnudos, y agora por la mayor parte ya se visten. Entre otras cosas que han ganado de provecho y policia para la vida humana, es el no cargarse, porque antes no tenian bestia ninguna de carga, y asi la traginería era toda de hombres, que acababa a muchos dellos (ce qui fut vrai, surtout, au début de la conquête ; plutôt qu’une vraie amélioration de la conquête, il s’agit donc d’une amélioration qu’une seconde modalité de la conquête apporte à elle-même) lo cual la cesado, sino sea en las partes donde no se pueda excusar... » Mais l’accroissement des besoins peut être, aussi, pour une collectivité preche de son maximum théorique de population, une cause de mort.
54 Actas, op. cit.
55 Velasco, op. cit., p. 185 : « ... Son los naturales de estas provincias (il s’agit, en gros, des territoires de l’Audiencia de Mexico)... de color bazo, debiles y de poco trabajo, principalmente ios de las costas y tierras calientes, muy inclinados a vicios, y aunque faciles de persuadir a virtud poco perseverantes en ella, pero de condicion humilde y rendida, y siendo compelidos flematicos y de mucha paciencia para aprender y tratar oficios mecanicos... » Cependant, et on retiendra la réserve, car elle confirme un jugement que tous les textes portent sur la production des grands « obrajes » mexicains, sur une certaine rusticité et sur un médiocre fini de l’œuvre « ... las obras y oficios de sus manos, por mas acabadas que sean, siempre son conocidas por cierta imperfección, que proviene del poco rigor de sus entendimientos y de ser tan de bajos pensamientos... y asi son pobres porque se contentan con un dia y viento, sin pensamiento demas... »
56 Cf. ci-dessus p. 732.
57 P. Chaunu, article cité (Annales E.S.C., 1955, no 1, p. 79-85), p. 83, notamment.
58 Pour la signification précise dans la gamme de métissage (ajoutons que le vocabulaire ne s’en fixera que, peu à peu, et dans l’ensemble, postérieurement à notre époque) on se reportera a la solide étude déjà citée de Gonzalo Aguirre Beltrán, La Población negra de Mexico (1519-1810), Mexico, 1946, in-8°, x-347 p.
59 Pierre-François-Xavier de Charlevoix, Histoire de l’île espagnole ou de Saint-Domingue, Paris, 1730-1731, in-4°, cartes.
60 F. Macho, Le Portugal et l’Atlantique (1570-1670), op. cit.
61 Actas, III, p. 22, 3 avril 1533. Le Cabildo fait écho à une pétition des habitants qui se plaignent que les « negros ladinos », entendez des nègres hispanisés par un séjour préalable dans la péninsule, se fixent mal dans la ville, mais retournent d’où ils viennent : « Los negros ladinos que venían en estos navios se vuelban à Castilla, de lo qual se quexan e agrabían muchas personas y parece ser en daño de la tierra... »
62 Actas, V, p. 275, 12 novembre 1519, mesure pour éviter qu’ils ne s’enivrent. Mais les in liens ont une compensation qui leur est officiellement accordée, alors qu’elle est refusée aux noirs, officiellement du moins, le libre accès aux « pulperías », les tavernes où l’on consomme l’alcool indien. Parce qu’il faut, par tous les moyens, éviter aux indiens des contacts dangereux pour la tranquillité politique du pays.
63 Une perspective d’augmentation de la fiscalité à l’entrée des nègres (Actas, III, p. 36, 24 avril 1562) provoque, de la part du Cabildo, une levée générale de boucliers.
64 Irving A. Leonard, Libros del conquistador, op. cit., p. 204 : « ... Con una rapacidad y un sigilo que envidarían los gansters norteamericanos de nuestros tiempos, los africanos estaban elevando el costo de la vida en la ciudad de Mexico a niveles prohibitives, a traves de un sistema de extorsión en pandilla. Negros y mulatos se apostaban a las entradas de la capital todos los dias, obligando por la fuerza a los indios que llegaban a vender sus mercancías, a cedérselas a precios irrisorios ; ya con el absoluto control de los alimentos de la ciudad, estos intermedarios vendían los productos a los sirvientes de las casas espanolas a más del cuadruplo de su verdadero precio. Este comercio ilícito que se llamaba recontoneria estaba tan bien organizado que las autoridades virreinales y municipales nada podían bacer, no obstante la protesta general del vecindario... »
65 Guijo, Diario, op. cit., I, p. 223, septembre 1653.
66 Woodrow Borah, New Spain’s Century of Depression, op. cit., p. 8 et 10.
67 Ibid., p. 12.
68 Alexandre de Humboldt, Essai politique, op. cit., t. II, ch. viii, p. 78-79.
69 W. Borah, New Spain’s Century of Depression, op. cit., p. 18.
70 La population blanche de Mexico ne représente plus en 1790 (chiffres de Humboldt et Borah) que 8,7 % et 6,4 % de la population blanche totale du Mexique central de la Nouvelle Espagne.
71 Cette fixation sur place du métal, lié à la croissance urbaine explique, notamment, la chute excessivement rapide dans les importations officielles de métaux précieux, de la catégorie des trésors publics (E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 34 et t. VIII 2 bis, p. 852-917, 1531-1569.
72 Fray Toribio de Benavente, op. cit., p. 118 : « ... todo esto se gasta y consume en Mexico lo cual pone admiración porque se ve claramente que se gasta mas en sola la ciudad de Mexico que en dos o en tres ciudades de España de su tamaño... como estan todos holgados y sin necessidad gastan mucho... » Superconsommation et sous-occupation, les deux termes sont liés sans que leur rencontre puisse vraiment surprendre. Ils sont les deux caractères indissolublement liés d’un même style de vie créole.
73 Contaduría 676 à Contaduría 742, pour la période 1538-1650. En fait, les comptes du Facteur (Contaduría 676) pour la période 1538-1550 sont peu utilisables pour notre propos, ils appartiennent à la catégorie de ce que nous avons appelé, ailleurs, les microcomptes. On arrive à une série presque continue à partir du 12 novembre 1576 jusqu’au 16 juillet 1650. Avec quelques lacunes. Un certain nombre de ces legajos ont été en tout ou partie détruits dans l’incendie partiel des archives des Indes et l’utilisation des lambeaux de compte conservés est une opération délicate, qui transforme, rapidement, l’« investigador » en charbonnier.
74 Cf. Annexe, p. 760 à p. 767.
75 Cf. ci-dessous p. 1129-1169.
76 Cette affirmation, a priori, est étrange. Elle mérite quelques explications. Hamilton, dans ses entrées des trésors à Séville (E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 34-35), a distingué, aux arrivées à Séville, trésors publics et trésors privés. La série des trésors publics est certaine à 100 %, celle des trésors privés, en raison de la fraude, ne l’est que dans une proportion autour de laquelle il est impossible de tomber tout à fait d’accord. Quoi qu’il en soit, on a une certitude à Séville. Les mouvements de fonds de l’Amérique vers l’Espagne commandés par les structures du commerce extérieur dans l’Atlantique, sont triples, au moins, des excédents des caisses de l’Amérique. Quadruple serait plus vrai, compte tenu des distorsions de la fraude. Cette règle du commerce extérieur constitue un minimum, pour le commerce intérieur.
77 E. J. Hamilton (1501-1650), op. cit., p. 34.
78 Cf. Annexe, p. 760 à p. 767.
79 J. H. Parry, The Audiencia of New Galicia in the sixteenth century. A study in the Spanish administration (Cambridge, in-8°, 1948, x-205 pages, 7 cartes), p. 186. S’appuyant sur la si justement célèbre Descripción geographica de Alonso de la Mota Escobar, J. H. Parry a pu écrire avec beaucoup de raison : « A market was every five days held (à Guadalajara) at which the local Indians sold their produce. Other merchandise was brought from Mexico by mule trains, the roads being unfit for carts, and nearly all the merchants trading in Guadalajara had their homes and head-quarters in Mexico... »
80 T. VI1, tables 209 A à 211 B, p. 434 à 445, tables 576-600, p. 814-854 et t. VII, p. 112-113.
81 On note, par exemple, dans une lettre de Christóbal de Eraso au Roi, du 27 août 1579, de la Havane (Colec. Fern. Navarrete, XXII, dto 98) : « ... la fragata que babla ido a Nueva España por el situado... ».
82 Actas, VII, p. 36, 29 avril 1562. — Les actes du Cabildo du 29 avril 1563 contiennent sous la forme des instructions données à Don García de Albornoz, procurador en Corte, des renseignements très précieux, il s’agit d’une attaque à fond contre le Monopole de Séville, d’une demande en faveur d’une ouverture du trafic à d’autres ports espagnols, afin de desserrer l’étau. Le document peut être invoqué, après tant d’autres, en faveur du Monopole. On ne demanderait pas vainement son abolition à Mexico, en 1562, s’il n’existait pas : « Libertad para cargar mercaderias de qualesquier partes... que por quanto todas las mercaderias que se traen a esta ciudad de panos y sedas, liensos, vinos y otras cosas an subido a tan excessives precios y cada dia se encarecen mas que a los vecinos es imposible poderse sustentar y mueren de hambre ellos y sus hijos como es notorio... » On notera une transposition dont le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est extraordinaire. On comprend mal comment les prix excessifs des étoffes de luxe qui gênent, peut-être, un aspect du négoce de Mexico, représenté au Cabildo, peuvent avoir une répercussion sur la situation alimentaire à Mexico. Plus simplement, Mexico tire argument de cette donnée, dans sa lutte contre Séville, en employant auprès du Roi un argument démagogique : « lo qual redundo principalmente de venir las dichas mcrcaderias cargadas solamente de mano de los mercaderes de Sevilla que es bastante impedimento para que esta tierra dexe de ir en grandisimo crecimiento (c’est la croissance, seule, qui est en jeu, même dans l’argumentation excessive du Cabildo) se supplique à S. M. sea servido dar licencia facultad para que todos sus vasallos de su real corona puedan libremente cargar tratar y contratar sus mercaderias para esta nueva españa desde cualesquier puertos de España donde obiere oficiales desta Real Hacienda y donde no lo obiere, haciendo el registre ante la justicia y un registro y un escrivano... » A condition de briser le Monopole « ... la tierra estare bien proveida de todo lo necesario a precios convertibles y moderados... »
Le même document, dans le sixième paragraphe des instructions à Don García de Alhornoz témoigne de la résistance de Mexico à la vente sur échantillon que semblent pratiquer quelques commerçants de Séville. Faute de concurrence, Mexico s’estime lésée, mais cette opposition dénote, avant tout, une différence grave dans le niveau des techniques des affaires. En 1560, les techniques du négoce des maisons de Mexico semblent en retard par rapport à l’Europe méditerranéenne. Il n’en ira plus, sans doute, tout à fait de même, au xviie siècle.
83 T. VIII2 bis, p. 851-1953.
84 Actas, VII, p. 36, 29 avril 1562. Sixième paragraphe des instructions de Don García de Albornoz.
85 Cf. ci-dessus, p. 773-788.
86 Woodrow Borah, Early colonial Trade and navigation between Mexico and Peru, Berkeley, (Los Angeles, University of California Press, 1954, in-8°, 170 p.). Ibero americain no 38 ; à son propos notre article Pour une histoire économique et l’Amérique espagnole coloniale. Revue historique 1956, no 4, p. 209-218.
87 Woodrow Borah, Mexico and Peru, op. cit., p. 27.
88 Les Philippines et le Pacifique.
89 C’est du moins ce qui apparaît de la diffusion des techniques de la métallurgie à travers le continent américain. P. Rivet, et H. Arsandaux, La métallurgie en Amérique précolombienne, Paris, Institut d’ethnologie, in-4°, 254 p.
90 Ibid., carte p. 174.
91 Woodrow Borah, Mexico and Peru, op. cit., p. 10.
92 Woodrow Borah, Mexico and Peru, op. cit., p. 63.
93 Actas, V, fo 181, 23 mai 1547 : que les Indiens apportent les « bastimentos » qu’ils doivent et que ceux qui vont au Pérou soient pourvus.
94 Robert S. Smith, Antecedentes del Consulado de Mexico (1590-1594) Revista de historia de América, 1942, no 2, p. 299-313.
95 Ibid., p. 299-300.
96 Les Philippines et le Pacifique.
97 Annexe, p. 760 à p. 767.
98 Colec. Fern. Navarrete, XXIII, dto 60, fo 377 vto.
99 Colec. Fern. Navarrete, XXIII, dto 60, fo 376 vto.
100 T. VIII2 bis et surtout t. VIII2.
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