Chapitre VIII. Les archipels du Nouveau Monde : esquisse dans l’espace et dans le temps. Les petites Antilles
p. 465-490
Texte intégral
1L’Atlantique hispanique des xvie et xviie siècles est construit suivant les grands axes d’une étonnante symétrie, une symétrie incomplète, d’ailleurs, qui conserve les grandes lignes, les charpentes, les dessins extérieurs et schématiques mais déforme les surfaces. C’est ainsi qu’après avoir quitté l’avant-poste eurafricain de l’archipel canarien, s’être aventuré, le cœur serré, à travers le « golfo », pour cinq mille kilomètres d’une navigation facile, mais toujours quelque peu angoissante par sa durée1, on débouche dans un monde nouveau d’îles et d’archipels qui constitue, aux avant-postes du continent américain, de l’autre côté de la mer, la réplique agrandie, plus au Sud, entre le 10e et le 25e degré de latitude Nord, des archipels — entre le 28e et le 40e degré de latitude Nord — des Canaries et des Açores.
2Ce monde de peu de terre et de beaucoup d’eau joue, dans l’histoire première de l’Amérique européenne, un rôle disproportionné avec son étendue et sa richesse, en raison de sa position, de sa proximité et de son histoire. De sa proximité. La navigation à voile des xvie et xviie siècles, et beaucoup plus encore, la navigation à voile en convoi (85 à 90 % de la navigation du premier Atlantique espagnol) est soumise, à un point que nous imaginons mal, aux courants et aux vents. Les difficultés très inégales de la navigation dans l’Atlantique rapprochent les Antilles. Sur la route, non pas théorique, mais sur la route effective, sur la route effectivement parcourue, comptée non en kilomètres ou en miles, mais en temps vrai d’hommes, en temps de peine et d’angoisse, les petites Antilles sont exactement à mi-route, à l’aller, comme la Havane est, au retour, dans une position presque semblable. C’est ce que traduisent les cartes déformées sur canevas isochrones de l’Atlas2. Sur le plan des hommes de la première colonisation, ou des premières colonisations européennes du xvie et du xviie siècles, les Antilles sont donc, à certains égards, beaucoup plus proches des Canaries et des Açores, qu’on ne l’imaginerait de nos jours. De même que les Canaries et les Açores se sont avancées hardiment, au xve et dans les premières décades du xvie siècle, très avant en direction de l’expérience américaine à venir, comme prémonition et champ de manœuvre, les Antilles ne sont guère, encore, qu’une esquisse des Indes vraies, celles des hauts plateaux du Mexique et du Pérou. Leurs solidarités avec le monde des îles des Canaries et des Açores sont fortes et nombreuses. Il y a, dans une certaine mesure, une fois la jonction faite, plus réuni que séparé par le « golfo » facile, au centre de l’Océan, un monde des îles dont les identités. Canaries, Açores, grandes et petites Antilles, séparées de leurs continents respectifs par des navigations difficiles, l’emportent à plus d’un titre, sur les dissimilitudes.
3Par son histoire aussi, par la vitesse acquise des deux premières décades de la découverte et de la conquête, ce monde joue un rôle disproportionné avec sa participation véritable à la richesse nouvelle des empires, dans la vie profonde de l’Atlantique de Séville. Par rapport aux Indes véritables, les Antilles bénéficient de l’antériorité. Elles ont été le domaine des premières expériences américaines de l’Europe et de leur échec. Conquises, un instant, elles seront virtuellement délaissées par la marche vers l’Ouest d’une colonisation insatiable d’espace. Bientôt elles intercaleront entre les Indes et l’Europe, le poids mort de leurs espaces vides et d’une nature irréversiblement abîmée, un désert, également, par où les puissances du Nord, à la tête d’une deuxième vague d’assaut de l’occupation européenne, viendront cassera son point faible l’épine dorsale des communications impériales du plus vieil empire ibérique. Le premier cycle de l’histoire antillaise est achevé, au terme des colonisations minières, à l’aube des plus grandes fortunes de la colonisation de grande plantation, au moment où l’Anglais s’installe à la Jamaïque délaissée (1654), au terme qu’on a voulu fixer à l’Atlantique de Séville.
LIMITES
4S’il est relativement facile de proposer une géographie présente des Antilles, la tâche est beaucoup plus ardue pour une géographie rétrospective du monde des îles. Les Antilles, comme l’Amérique, les mots ont fait fortune, en dehors des limites chronologiques de ce premier Atlantique. Les textes ne l’ignorent pas, on en suit l’origine, le mot n’a-t-il pas existé avant la chose ? Il avait été créé pour un monde que la fantaisie prémonitrice du Moyen Age chrétien avait imaginé à peu de distance du lieu où on devait le trouver, à peine plus proche des finisterres de Chrétienté que ne le furent les Antilles véritables.
5Si on sait bien ce qu’il est, maintenant, on sait plus mal ce qu’il a été et, tout d’abord, ses limites. Pourtant, il est apparu très tôt dans les esprits et sur la carte. On rte peut attribuer, d’emblée, aux îles anciennes, les limites et les contours que nous leurs connaissons, aujourd’hui. C’est, pourtant, de ces limites et de ces contours qu’il nous faut partir.
6Un peu de terre, beaucoup d’eau. Ce qui est vrai, aujourd’hui, l’est déjà au xvie siècle. Plus vrai, peut-être, encore, en raison des difficultés, des embûches et de la totale imprévisibilité de l’espace liquide de la Méditerranée américaine. C’est à l’intérieur de la Méditerranée américaine que nous avons observé les plus grandes distorsions entre temps longs et temps courts, temps moyens longs et temps moyens courts sur un même parcours3, c’est dans la Méditerranée américaine que l’on rencontre, sans hésitation possible, les coefficients de résistance de l’espace à la navigation à voile les plus élevés4. Mer difficile, mal maîtrisée, l’espace liquide de la mer des Antilles et du golfe du Mexique est plus considérable à l’échelle isochronique des techniques anciennes qu’à l’échelle kilométrique des techniques modernes5. On ne risque pas d’être victime d’une illusion, l’eau dans le vieil espace antillais occupe plus de place, encore, qu’elle ne le fait, par rapport à la terre, aux dimensions des techniques humaines, dans la géographie du xxe siècle.
7Les Bahamas en première ligne, les grandes Antilles au second plan, au Nord-Est, les petites Antilles à l’Est, le continent américain, de la Floride à l’embouchure de l’Orénoque à l’Ouest, délimitent une vaste mer. Nous l’appelons volontiers, après d’autres, Méditerranée américaine, les océanographes préfèrent, parfois6, l’expression de Méditerranée tropicale. Dans une classification générale, elle vient raisonnablement en deuxième position, immédiatement, par l’étendue après le vaste complexe maritime de l’Insulinde, bien avant l’autre Méditerranée, la vraie, la nôtre, sinon l’unique, comme le voulait José de Acosta. Camille Vallaux lui attribue 4 584570 km2 contre 2 967 570 km2 à la Méditerranée eurasiatico-africaine. La superficie combinée de la mer des Antilles et du golfe du Mexique dépasse donc de 55 %, celle de la vieille Méditerranée. Mal connue, encore, à la fin du xvie siècle, incomplètement parcourue et dominée dans le mécanisme complexe et, le plus souvent, imprévisible de ses humeurs, la mer intérieure d’Amérique, qui baigne les Antilles et s’interpose entre les îles et le continent, n’a pas été comprise, tout de suite, dans cette réalité qui s’impose à nous, aujourd’hui, d’autre Méditerranée. Ainsi s’explique le précieux jugement de José de Acosta que Fernand Braudel a exhumé, en le plaçant en exergue de son grand livre7. Malgré les analogies qui, aujourd’hui, nous frappent, José de Acosta, comme la plupart de ses contemporains, ne fait pas de la mer des Antilles et du golfe du Mexique une mer intérieure. Il n’y voit qu’un autre « golfo », plus difficile, plus écrasant, peut-être, encore, que le « golfo » de l’alizé et du contreflux des moyennes latitudes à travers lequel on ne s’aventure, pourtant, qu’en tremblant.
8Beaucoup d’eau, par conséquent, plus encore que nous ne sommes tentés d’en voir, mais peu de terre..., dans une certaine mesure, seulement. Les Bahamas, les grandes Antilles, les petites Antilles (îles sous le vent et îles au vent) couvrent, au total, plus d’espace que les Espagnols sollicités par d’autres espaces, très vite, plus attirants, n’en ont jamais vraiment occupé : un peu moins de 212 000 km2 pour les Grandes Antilles, un peu plus de 26 000 km2 pour les Bahamas et les petites Antilles, Marguerite et Tortue comprises, soit, au total, 238 000 km2, les deux tiers, en gros, de la superficie du Royaume de Castille, mais 5 %, à peine, de la surface des mers intérieures qu’elles délimitent. Un meilleur terme de référence nous est donné par les îles bordières de la Méditerranée Atlantique (12 500 km2 pour l’ensemble des trois archipels des Canaries, de Madère et des Açores). La surface de l’ensemble antillais, lato sensu, représente vingt fois, en gros, la superficie des archipels Canaries-Madère-Açores, leur symétrique sur la rive européenne de l’Atlantique de Séville. Mais ce rapport de 1 à 20, n’est-ce pas, en gros, celui aussi, de la Castille à ses possessions continentales du Nouveau Monde ? On arrive à délimiter, ainsi, autour de la plaine liquide centrale du « golfo », un monde insulaire, Antilles tropicales, d’une part, îles tempérées et subtropicales, d’autre part, qui couvrent à peine moins de 250 000 km2. Or, en termes de navigation ancienne, la distance est moindre des Canaries à l’une des petites Antilles que de Tune de ces mêmes Antilles à la Vera Cruz, pas sensiblement supérieure de la Havane aux Açores que de la Vera Cruz à la Havane. Il y a bien, donc, un monde des îles, bordières du « golfo ». Mais là s’arrête l’analogie, alors, que le développement des îles bordières de la Méditer rance Atlantique est à la fois ibérique et linéaire, celui, par contre, des Antilles, est, rapidement, extra-ibérique et catastrophique. L’unité de ce monde des îles reste, donc, très relative. Elle ne devait pas moins être rappelée.
9Mais, en fait, les contemporains de la Carrera avaient « des îles », une conception différente de la nôtre et c’est à cette conception qu’il nous faut nous référer. Iles, finalement, tout territoire proche ou relativement proche, tout territoire, dirons-nous, qui se trouve entre les ports andalous-canariens et les Indes proprement dites, entendez le Pérou, l’isthme et son avant-poste de Carthagène, la Nouvelle Espagne et Honduras, entre Séville, donc, et les deux grandes entités indiennes de « Nueva España » et de « Tierra Firme ». Tout territoire, également, qui communique mal, peu ou prou, avec son arrière-pays, tout territoire qui ne possède un arrière-pays colonisé et se trouve, de ce fait, adossé à la mer, peut être et a été considéré comme île.
10Les îles, telles que nous les entendrons, ce sont les « îles », au sens ancien du terme, telles que les entendaient les gens de la Carrera. On peut, à la rigueur, v inclure la Floride, la « isla de Florida ». Elle est île, au sens plein du terme, puisque le mince pédoncule qui la rattache à la terre débouche sur un désert. Après avoir joué un rôle considérable dans l’histoire politico-militaire et stratégique de l’Atlantique de Séville, la Floride s’efface8. La chute du mouvement direct avec le complexe portuaire prouve indirectement le rattachement de la Floride à la Nouvelle Espagne, elle annonce la situation qui prévaut pleinement au xviiie siècle. La Floride — non pas, bien sûr, une Floride théorique de 200 000 km2, mais quelques hases presque insignifiantes — peut être, d’abord, considérée comme une île, à l’époque où prévalent les communications directes9 avec Séville, jusqu’au début des années 70 du xvie siècle, plus tard, mais l’évolution se fait lentement, la Floride s’alignera presque imperceptiblement sur le Vice-Royaume de Nouvelle Espagne dont elle constituera comme une base avancée et paradoxale. Au cours de la première histoire de l’Atlantique espagnol, il est plus sage, sans conteste, de rattacher, les présides (ces hases purement militaires) de Floride à l’entité des îles10.
11Si la Floride pose quelques problèmes, au demeurant, faciles à résoudre, la côte orientale de la Terre Ferme en pose moins. Il suffit de se reporter à la définition contenue dans la cédule du 10 juin 158911 qui donne une définition des îles de Barlovent, on notera qu’elle inclut, outre les îles proprement dites, au sens où nous l’entendons des grandes et des petites Antilles, les territoires d’Ouest en Est, de Santa Marta, Río de la Hacha et Cabo de la Vela, d’une part, le Venezuela, d’autre part, en fait, le tissu discontinu d’occupation côtière depuis la branche orientale du delta combiné des Ríos Magdalena et Cauca jusqu’aux branches occidentales du delta de l’Orénoque. Pourquoi, îles ? Parce que ces premières installations qui portent en elles les germes de grandes puissances, une partie de la Colombie et la totalité du Venezuela ne dépassent pas, pratiquement, les pentes maritimes de la cordillère côtière, Santa Marta, Río de la Hacha et Cabo de la Vela, le flanc nord-ouest de la Sierra Nevada de Santa Marta, de petits morceaux du futur Venezuela, quelques verssant des monts Caraïbes. Iles, ces territoires le sont doublement et triplement. Parce qu’ils ont derrière eux, l’écran d’une montagne, dont le sommet, la plupart du temps, n’est pas franchi, parce qu’un épais écran de végétation non dominée les séparent de l’immense bassin de l’Orénoque. Parce que le monde de l’élevage extensif des llanos — on sait comment sa dramatique opposition à la civilisation créole raffinée de la côte a failli emporter, au début de son indépendance, la fragile existence du Venezuela — n’est pas encore constitué. Tous ces points, encore, sans arrière-pays sont séparés entre eux par des zones côtières bravas. Leur isolement est parfait, ils ne communiquent guère que par la mer. Et puisque la mer est le seul lien qui les rattache au reste du monde, ces territoires épars sont bien des îles au sens plein du mot. La structure de leurs échanges avec le complexe portuaire12 est identique à celle des îles. Leur histoire même présente avec celle des Antilles d’étonnantes analogies. Ces établissements sont parmi les plus anciens, comme les établissements des Antilles elles-mêmes, de l’Amérique espagnole, partis en flèche, ils connaissent un long plafonnement avant les nouveaux départs du xviiie siècle. Cette évolution est celle-là même des Antilles, à la seule différence que la reprise s’est faite, ici, sans intervention extérieure, sans que, comme aux Antilles, la colonisation espagnole ait été relevée par d’autres colonisations. Le dessin de l’évolution des « îles » de la côte de Terre Ferme constitue, donc, la réplique à peine atténuée de celle des « îles » proprement dites.
12On arrive, ainsi, à une définition raisonnable des îles qui annexent aux groupes antillais, la Floride au Nord, sur l’autre rive du détroit que l’on pourrait appeler de Cuba et qui annexe aux îles sous le vent une partie du littoral de la Magdalena à l’Orénoque, avec lesquelles il fait bien corps13. Au total, donc, c’est 300 000 km2, autour d’une plaine liquide d’un peu plus de quatre millions et demi de kilomètres carrés qu’il faut attribuer à cet espace des îles.
GRANDES LIGNES D’UNE ÉVOLUTION
13Ces trois cent mille kilomètres carrés sont le résultat, d’ailleurs, d’un calcul assez théorique, ils représentent beaucoup plus que les Espagnols n’ont jamais simultanément saisi d’espace au cours de ce premier siècle et demi d’histoire. Nous sommes ici, en gros, d’ailleurs, dans le domaine non d’une progression, comme partout, ailleurs, mais d’une régression très rapide. L’apogée des îles se situe autour de 1520, ou si l’on veut, à la rigueur, entre 1520 et 1530. Depuis cette date, à quelques exceptions près, à l’exception de quelques effets non négligeables de concentration urbaine, il y a reflux, sur toute la ligne.
14Que les îles soient en décadence depuis la fin du premier quart du xvie siècle, cela résulte, en fait, du consensus des témoins. « Tous les historiadores de Indias sont d’accord, sur ce point. Ce trop parfait accord peut et doit susciter un réflexe critique. Nos sources ne sont-elles pas pour les îles, comme elles le sont pour le continent, des sources officielles ? On ne s’adresse jamais au Roi en son Conseil, sans arrière-pensée. On quémande une exemption d’impôts, un dégrèvement, une faveur, l’allègement d’une charge. La décadence est un argument. Tant en Espagne même qu’au Pérou ou au Mexique, le thème de la décadence apparaît très tôt au xvie siècle, quand tout ce que nous savons, par ailleurs, contredit le pessimisme orienté de nos témoins. Mais il en va autrement des témoignages sur les îles. Tout d’abord, la vision pessimiste n’est ici contredite par rien. Nous la savons irréversible. Les documents même littéraires étayent leur jugement sur des faits précis et notamment, sur ce que l’on peut saisir de l’évolution démographique indienne. Autrement dit, même si on ne disposait d’aucun indice d’activité précis, on pourrait attacher foi au témoignage unanime et étayé de nombreuses sources concordantes. On dispose, heureusement, avec la statistique sévillane d’un indice d'activité, qui ajoute au consensus des sources littéraires une confirmation de prix14.
15Les chiffres que nous proposons15 doivent être pris moins comme des valeurs absolues (il est certain, en effet, que les îles constituent un point de prédilection pour la fraude et une zone de contrôle particulièrement difficile) que comme des valeurs relatives. Il est certain, d’autre part, que le trafic entre les îles et le complexe portuaire ne représente qu’une partie des échanges des îles. Le trafic d’Inde en Inde est là, encore, pour des raisons géographique évidentes, relativement plus important, peut-être, que pour les grands espaces continentaux de la Nouvelle-Espagne et du Pérou. On a vu, en outre, que la meilleure part du trafic canarien qui nous échappe se fait avec les Antilles16. La série, pourtant, du trafic officiel avec le complexe portuaire constitue, finalement, en l’absence d’autres instruments statistiques, un remarquable moyen d’approche du volume global de l’économie coloniale des Antilles espagnoles. On observera, d’emblée, deux points hauts de l’économie antillaise, 1516-1530, d’une part, 1606-1615, d’autre part, voire, d’une manière plus large, 1506-1530 au début de la série et 1606-1625. Mais 1501-1530, et, à plus forte raison, 1506-1530 l’emportent, de toute manière, beaucoup sur 1606-1615 et 1606-1625. Le sommet — il n’est que relatif — de 1606-1615 (voire de 1606-1625) ne pose pas de problème, il est conforme, en effet, à la conjoncture générale de l’Atlantique espagnol17, sa problématique, si on préfère, n’est pas différente de la problématique de la conjoncture générale. Elle ne mérite pas, par conséquent, d’être prise, en considération, ici.
16Tout à fait spécifique, par contre, l’extrême poussée des premières années. L’indice d’activité du commerce extérieur situe l’apogée des îles entre 1516 et 1530, avec un léger fléchissement au milieu. La rupture est, évidemment, accusée par la conquête de nouveaux espaces et le déplacement consécutif du centre de gravité des Indes plus à l’Ouest. L’annexion du plateau mexica provoque le léger ensellement à la hauteur de la demi-décade 1521-1525, la conquête du Pérou est responsable de la chute du niveau d’activité qui suit le tournant des années 30.
17On verra, à propos de Saint-Domingue, les mécanismes de cette rupture. Le point de départ en est fourni par l’épuisement de la population indigène. Privée de cet écran indispensable pour l’exploitation des richesses, la population coloniale subit l’attrait des espaces continentaux nouveaux, accentué, bientôt, par la découverte des mines. C’est la raison pour laquelle, après une montée d’une extraordinaire rapidité, en gros, jusqu’en 1520 — c’est-à-dire jusqu’à l’annexion du plateau mexica — et un plafonnement lourd, avec symptômes récessifs, sur dix ans, de 1521 à 1530, l’indice d’activité des îles s’abaisse et oscille entre 50 % et 75 % du niveau précédemment atteint. En valeur relative, ce recul de 50 % signifie une chute verticale de l’ordre de 90 à 95 %. Relativement à ce qu’elle représentait au début, dans l’espace américain, les îles ne signifient plus guère que la dixième, voire la quinzième et, exceptionnellement, la vingtième partie des toutes premières années. L’économie coloniale des îles, après une fulgurante expansion, est une économie récessive, d’abord, puis stagnante, dont les fluctuations à longue courbure reproduisent, en les atténuant à l’extrême, les directions les plus générales de la conjoncture générale du trafic. La chute d’après 1640 est plus apparente que réelle. Elle signifie, essentiellement, la perte de cet espace par le trafic officiel et la substitution à la Carrera de la vague déferlante des marines du Nord.
18Or, ce mouvement très particulier de l’économie coloniale des îles est beaucoup plus accentué qu’on ne pourrait le croire, à la simple vue de l’indice d’activité du trafic volumétrique global avec les îles. En effet, depuis les niveaux records du début, il y a eu gain en surface, apparent, du moins, de la zone des îles. De 1506 à 1510, Saint-Domingue est, pratiquement, seule en cause, l’occupation de Cuba n’est pas achevée, quand commence l’aventure mexica de Cortés. La récession unitaire est plus profonde, encore, qu’elle n’apparaît sur un global fictif et c’est elle qui constitue la caractéristique dominante d’un peu plus d’un siècle d’histoire des îles.
19Les îles constituent, aux Indes, jusqu’au dernier quart du xviie siècle, une zone de passage, le terrain, un moment, de riches expériences, vidé au profit des espaces nouveaux. Le thème de la dépopulation qui apparaît, quelques années, à peine, après les premières installations de Colomb, ne cesse plus d’être au centre de tous les esprits.
20Dépopulation indienne, d’abord. Elle va jusqu’à l’anéantissement total. Les populations des Antilles ont été victimes de la brutalité plus grande de l’onde de choc naissante et des hésitations des premières expériences, mais elles ont été victimes, surtout, de leur petit nombre, de leur isolement. Sans l’énorme volant des masses mexica, sur les plateaux de l’Anahuac, quechua aymara sur les plateaux andins, un sort analogue aurait attendu les populations indigènes de la Nouvelle-Espagne et du Pérou.
21Dépopulation coloniale, ensuite, beaucoup plus originale, beaucoup plus spécifique, beaucoup plus significative, donc. Cette tendance séculaire à la dépopulation a pour conséquence, dans la phase espagnole de l’histoire des Antilles, une tendance particulièrement accusée, à l’instabilité. L’instabilité du peuplement dominant est une caractéristique de la conquista, et, plus particulièrement, de la première conquête, celle des îles. Nulle part ailleurs, il n’existe autant de sites essayés puis abandonnés qu’à Saint-Domingue. Nulle part ailleurs, il n’y aura autant de districts, un instant occupés, puis abandonnés. Ce sera, par exemple, le cas de Saint-Domingue, dont la côte Nord, — le site, pourtant, des plus anciens établissements — totalement abandonnée deviendra la base des boucaniers.
22La première vague de colonisation, les exigences de l’orpaillage, les microbes de la vieille Europe ont détruit la population indigène et créé d’immenses déserts où le bétail redevenu sauvage s’est substitué à l’homme. Les premières esquisses des llanos et des pampas du xviiie et du premier xixe siècles se trouvent dans les Antilles d’après l’échec de la première colonisation espagnole. D’où le rôle joué par le cuir dans cette prospérité seconde d’un type très particulier. L’histoire espagnole des Antilles peut se résumer, donc, en un déplacement vers l’Ouest du centre de gravité des îles, une concentration en quelques points d’une population coloniale fortement urbanisée, un dépeuplement général, une substitution systématique du bétail à l’homme, avec, très rapidement, tous les dangers que ne vont pas manquer de présenter, pour les communications impériales espagnoles, la formation et l’agrandissement continu de l’immense désert caraïbe.
PRÉSENCE ENNEMIE
23C’est entre 1530 et 1540 que, selon nos indices d’activité d’après les textes les plus sûrs et ce que laisse supposer, a priori, le bon sens, que se situe la grande cassure de la démographie et de l’économie des îles. Moins de dix ans après, on a l’impression que le contrôle des communications à court rayon d’action échappe, déjà, par place et par moment, aux Espagnols. Il ne nous revient pas de décrire cette lente mais inexorable implantation de l’ennemi l’histoire en a été tracée, jadis, avec bonheur18 — mais, tout au plus, d’en marquer quelques jalons et d’en retrouver les modalités.
24Nous avons déjà vu comment, à propos des Açores19, le centre de gravité des attaques s’est inexorablement déplacé de l’Est vers l’Ouest, de la Méditerranée atlantique, si l’on convient de désigner ainsi le triangle côte ibérique-Açores-Canaries, à la Méditerranée américaine. La géographie des plus grandes catastrophes obéit, parfaitement, à ce schéma : c’est Cádiz20, d’abord, et les alentours de Guadalquivir21, 1587, 1592, 1596, 1625, c’est en 1628, Matanzas22, aux portes de la Havane. Mais Matanzas se place tardivement. C’est après un siècle d’hypocrites efforts seulement que la pénétration ennemie remporte son premier grand succès.
25La course se présente, d’abord, sous la forme d’escadrilles ennemies, qui profitant des vides laissés ou nouvellement créés dans l’occupation côtière, s’installent sur des bases improvisées ; de là, elles s’attaquent23, d’abord, au commerce d’Inde en Inde puis aux navires insuffisamment protégés du trafic d’Espagne. On ne saurait surestimer l’importance de cette implantation, qui découle, d’une manière logique, des déserts laissés derrière elle par les échecs de la première implantation, la ruine de la population indienne et la trop rapide sollicitation des Indes vers l’Ouest. C’est elle qui a amené, au bout de quelques années à peine, dès le milieu du xvie siècle, la généralisation de la navigation en convoi.
26Elle n’est pas, à proprement parler, responsable de la navigation en convoi que d’autres facteurs rendaient nécessaire, mais de sa généralisation et de sa systématisation bien au-delà de l’optimum de rentabilité, dans un cadre purement économique et technique. Dans la mesure, par conséquent, où le vide, creusé dans l’espace de la Méditerranée américaine par le déplacement trop rapide vers l’ouest de la colonisation espagnole, est responsable de l’implantation corsaire, il porte une responsabilité décisive, dans l’augmentation des coûts des communications espagnoles, une des causes les plus profondes qui devaient saper, le plus sûrement, à la longue, la prospérité de l’Empire. Cette exploration corsaire, en outre, en familiarisant les marins français, anglais, et hollandais, avec le dessin des côtes et les conditions générales de la navigation dans ces mers nouvelles et imprévues, a préparé la voie à la seconde vague d’occupation qui jalonne, au-delà de 1650, la mainmise progressive sur la Jamaïque, la partie occidentale de Saint-Domingue, les petites Antilles, Curaçao, la Trinité... On voit, par ces simples jalons, la responsabilité du dépeuplement caraïbe dans les complexes qui sont à l’origine de la décomposition de l’Atlantique espagnol.
27Il n’est pas douteux, d’autre part, que la quasi totalité des attaques ont porté sur les points les plus dégarnis de l’espace caraïbe. Ce n’est pas douteux, lors de la grande attaque française de 154424, où l’on voit apparaître des noms comme le cap Tiburon (au Sud-Est de la partie aujourd’hui haïtienne de Saint-Domingue) et la côte « parent pauvre » de Santa-Marta — Cabo de la Vela. Au plus fort, peut-être, de la guerre hispano-française, lors de la tension du demi-seizième siècle en 1555, on retrouve une situation identique. La course laisse les forts partis du continent mais s’acharne, par contre, sur les îles25... En 1576, ce sont encore les îles qui sont touchées avec prédilection26 comme Cristóbal de Eraso l’écrit de la Yaguana, un territoire particulièrement déserté de la partie occidentale de Saint-Domingue. Peu à peu, il y a prise de conscience du danger que présente ce vide des îles. En 1585, la chose est certaine27. Avant qu’une réaction soit possible, il a fallu que la prise de conscience se fasse clairement. De 1585 à 1606, les expériences douloureuses se sont accumulées. Conseil des Indes et Casa de la Contratación ont compris, en 160628, l’erreur qui a été commise — mais pouvait-on vraiment agir autrement ? — en laissant l’arc des îles sous le vent, depuis Grenade jusqu’à la Dominique et la Martinique, entre les mains d’indiens non soumis. Depuis peu, les corsaires ennemis, Anglais et Flamands rebelles, utilisent ces bases. Pour les en chasser, la Casa préconise un renforcement de l’armada de Barlovent29, entendez l’escadre coûteuse, chargée de la police de la Méditerranée américaine. Il n’en est pas moins sûr que la cause profonde de ce danger réside dans l’abandon de cette porte royale d’entrée de l’Amérique espagnole : les petites Antilles. Pour ne pas l’avoir compris à temps — il serait plus juste, peut-être, de dire, pour ne pas avoir les moyens de détourner les hommes de l’inexorable poussée qui les conduit toujours davantage vers l’Ouest — l’Espagne s’épuise en un effort militaire considérable mais vain. Les mesures de renforcement de l’armada de Barlovent30 présentées, en août 1606, par la Casa de la Contratación ne seront pas plus efficaces que toutes celles qui, après comme avant, seront proposées. La seule riposte possible résiderait dans une présence à terre.
28Les signes de présence ennemie se multiplient, toujours localisés dans le monde caraïbe31, c’est autour de 162532 que l’implantation territoriale commence. A partir de cette date, Anglais et Français se partagent les petites Antilles (le groupe oriental des Leewards, îles sous le Vent), les Anglais à Saint-Christophe, aux Barbades, Névis, Antigua et Montserrat, les Français à la Guadeloupe et à la Martinique, les Hollandais à Curaçao, Saint-Eustache et Tobago. Pour une réussite, écrit Bernard Bailyn, il faut compter douze échecs33. Mais l’occupation se poursuit et l’Espagnol assiste, impuissant34 mais mal résigné, à ce dangereux grignotage d’un domaine qu’il n’a pas eu la volonté ou la force de s’approprier.
29Osorio35, dont les discours célèbres de 1686 ont été presque trop souvent mis à contribution, au terme de sa description de la Méditerranée américaine brosse un tableau sombre mais vrai d’un espace dont les Espagnols ont, cette fois, irrémédiablement perdu le contrôle. Pour Osorio, économiste, porte-parole espagnol d’un strict mercantilisme, le problème n’est plus essentiellement politique et militaire, il est commercial. Parce que le commerce espagnol a perdu le contrôle de la porte d’entrée caraïbe, il a perdu la plus grosse part des échanges avec le continent. C’est, en gros, le procès-verbal de faillite qu’Osorio dresse, en 1686, au tréfonds de la décadence de l’Atlantique espagnol. L’Espagne, pour n’avoir pas su conserver une valeur marginale, a perdu l’essentiel. Vue simpliste, bien sûr, qui ne renferme qu’une petite partie de vérité, une fraction non négligeable, pourtant, de la vérité. De ses bases de la Méditerranée américaine, le commerce au bout de la pique disposera de prises incomparables, sur le continent, à telle enseigne que, selon une évaluation, sans doute, exagérée36, d’Osorio, il finira pas atteindre un volume six fois supérieur à celui du commerce officiel.
LES RÉPLIQUES ESPAGNOLES ET LEUR ÉCHEC
30Mais la situation, à laquelle le rapport d’Osorio fait allusion, date d’une époque tardive, au plus profond de la décadence de l’Espagne, au terme d’une longue évolution, trente-cinq ans au-delà de la limite chronologique de notre étude. Avant d’en arriver là, on aura cherché des palliatifs. Réclamé par les colonies isolées et abandonnées des îles, accordé de mauvaise grâce et, toujours, d’une manière insuffisante, par Séville, le principal palliatif a été celui des navires dits de permission. Nous nous en sommes souvent expliqués déjà37. Quelle qu’ait été, en effet, la rapide décroissance de la population et de l’économie des îles, il semble que Séville s’en soit plus rapidement désintéressé encore38. Le tonnage de marchandises, le volume global de fret mis à la disposition des îles est resté bien en dessous de la capacité d’exportation de leur économie blessée. Cette attitude est surtout visible pendant les très longues périodes d’expansion du xvie siècle. La tension est d’autant plus grande que les îles sont exportatrices de « pondéreux » relatifs, du cuir, surtout, le pondéreux, par excellence, dans l’Atlantique transversal de Séville, en raison de la substitution du bétail à l’homme sur les vastes espaces dévastés des Antilles. Sollicitée par des trafics plus lucratifs, la Carrera laisse systématiquement insatisfaits les besoins des Antilles.
31Cette attitude contribue à précipiter, encore, le rythme de la dépopulation et le déplacement vers l’Ouest du centre de gravité des Indes. Sans mesurer, d’abord, l’énorme danger qu’il comporte pour l’équilibre profond de l’Empire, les officiers de la Casa de la Contratación39 reconnaissent, bien volontiers, cet état d’insatisfaction systématique des besoins en tonnage de l’économie antillaise exportatrice de pondéreux, à l’échelle des relations transocéaniques du temps, donc grosse demanderesse de capacité de transport à bon marché.
32Si la clairvoyance de la Casa de la Contratación, pour une fois prise en défaut, paraît tardive et limitée40, la relation avait été mieux comprise par un grand esprit comme Juan Lopez de Velasco, dès 157141 et, sans doute même un peu avant. Malheureusement, son admirable « descripción » ne sera pas publiée avant 1894, elle n’a pu être connue, par conséquent, que par une fraction très restreinte de conseillers des Indes, par quelques milieux gouvernementaux, dirions-nous, si on ne craignait l’anachronisme. La relation qui unit dans l’économie très tôt décadente des Antilles, disparition de la population indienne, vicissitude de l’or, délaissement des ports par la Carrera et décroissance consécutive rapide de la population espagnole, n’a jamais été vue et exprimée avec autant de force et de clairvoyance que par Juan López de Velasco42. Cette clairvoyance isolée d’un homme de science n’aura pas suffi à faire prévaloir des palliatifs, nécessairement très difficiles et pratiquement insuffisants.
33En fait, le système des « permissions » fonctionne mal. On sait en quoi il consiste... accorder des dérogations, sur l’initiative, en général, des intérêts lésés des îles et des économies bordières de la Méditerranée américaine, au régime général des flottes, amener, ainsi, par le biais d’un allégement des contraintes, un certain nombre d’armateurs et un certain nombre de négociants à se détourner des possibilités plus brillantes du continent au service des îles et des secteurs marginaux.
34En fait, la Casa a toujours accordé ces dégrèvements avec beaucoup de réticence. Non seulement l’avantage est trop parcimonieusement accordé, mais il est, semble-t-il, insuffisant pour contre-battre efficacement l’attrait du continent. C’est ainsi, par exemple, qu’en 1589 le Conseil des Indes a été saisi par les Prieur et Consuls43 d’un cas typique de fraude. Des navires Je permission, qui ont obtenu dérogation et avantages, en raison de la situation catastrophique de Saint-Domingue, au lieu d’aller à Saint-Domingue se destinent à la Terre Ferme et à la Nouvelle Espagne. Avantage supplémentaire, bien sûr, et raison supplémentaire, aussi, pour les organes officiels du commerce du Monopole, de faire valoir leurs réticences à l’égard d’un palliatif, par nature, déjà insuffisant.
35Dix ans plus tard, un texte, plus significatif encore, éclaire parfaitement le couple complexe des rapports économie des Indes/Carrera44. Trois personnages, comme toujours, l’Audience de Saint-Domingue que l’on peut supposer représentative de l’intérêt économique majeur du pays, le Conseil des Indes qui se veut comme arbitre et la Casa de la Contratación qui entend limiter, au strict minimum, les dérogations accordées en faveur de la situation dramatique de celle qui fut, à elle seule, toutes les Indes naissantes. Saint-Domingue obtient du Conseil des Indes des promesses de navires. Les navires, —-en l’occurrence des felibotes, ces intrus du Nord qui font leur entrée, ainsi, par la bande dans la Carrière des Indes — une fois, emballés dans les convois, trahissent leurs promesses et se laissent attirer par les marchés plus avantageux de la Nouvelle Espagne et de l’isthme. N’ayant rien obtenu, Saint-Domingue réclame quelque chose, c’est-à-dire de vraies permissions, des navires qui n’allant pas en flotte, iront, peut-être, jusqu’à l’île déshéritée. L’avis de la Casa au Roi en son conseil, est d’un prix sans égal... Certes, il n’y aurait pas d’inconvénient à accorder à Saint-Domingue ce qu’elle réclame, mais il n’y a pas urgence, comme elle le prétend. Il sera temps, encore, lors des prochains convois, traduisons, d’envoyer à Saint-Domingue des navires qui iront ailleurs. Dans la mesure où l’approvisionnement des Antilles décadentes risque d’être une servitude pour Séville, la Casa de la Contratación, plus soucieuse du présent que de l’avenir, travaille à éviter au commerce de Séville, la servitude de l’approvisionnement des territoires, désormais marginaux des îles.
36A partir de ce moment, il ne se passe pas deux ou trois ans, sans que le problème des navires de permission ne soit évoqué. Mais dès les premières années du XVIIe siècle, le commerce étranger de contrebande a assuré la relève, en raison de la lenteur et de la médiocrité des palliatifs adoptés. En 1635, la Casa de la Contratación dont l’esprit s’est ouvert, un peu tard, devant l’ampleur du danger de l’abandon des parents pauvres, non pas en raison des « parents pauvres » eux-mêmes dont Séville s’est résignée, sans mal, au sacrifice, mais parce que les bases que cet abandon offrait au commerce étranger dans la Méditerranée américaine devaient compromettre les positions continentales les plus précieuses du commerce officiel, donne au système des permissions sa véritable justification, éviter le commerce avec l’ennemi45. En 1635, toutefois46, il n’y a plus grand-chose à perdre pour Séville. Le tournant décisif est pris, la perte pour le commerce du Monopole de la Méditerranée américaine, pour le commerce et, bientôt, pour la domination politique sur une grande partie du monde caraïbe, est consommée.
37Veitia Linaje tire assez bien la philosophie de la technique de la « permission »47. A l’intérieur de l’espace de la Méditerranée américaine, il y a comme une hiérarchie d’inintérêt, comme une hiérarchie des abandons. Cette hiérarchie dans l’éloignement et la décadence, on peut la dresser par l’intermédiaire des cédules du 1er juillet 164248. Ces cédules donnent, en effet, le prix des permissions, en 1642. Ce prix est d’autant plus faible que l’attrait pour le territoire est moindre. Elles permettent, par conséquent, d’établir une échelle dans l’enfer des « mal queridos » de l’empire espagnol.
38La Havane (cela se comprend, en raison de la confluence des navires sur le chemin des Retours), Campêche, Honduras (ces espaces ambigus du continent, défavorisés parmi les riches, riches parmi les pauvres), Gilbraltar et La Guaira sont des territoires de licence chère, à deux ducats par tonelada. En deuxième position, à un degré en dessous dans le malheur, la côte défavorisée de la Terre Ferme, la Marguerite, Cumana, Nueva Córdoba, Río de la Hacha et Santa Marta, à un ducat et demi par tonelada. Pour Santo-Domingo et Puerto-Rico, un ducat seulement. Enfin, en ultime défaveur, la Trinité, l’Orénoque et Cuba49 (à l’exception de la Havane, dont la position est tout à fait exceptionnelle), pour lesquels les licences sont données, gratuitement. Cette classification est, d’ailleurs, devenue en 1672, depuis plusieurs années, purement théorique, puisque Veitia Linaje, qui est orfèvre en la matière, conclut que depuis de nombreuses années, il n’a pas vu de licences pour ces directions50. On est bien arrivé au terme d’une longue évolution.
39Cette évolution, l’Espagne ne l’a pas acceptée, sans essayer une esquisse de résistance, constructions de fortifications51, galères, escadres, à poste fixe52, escadres de secours53, armada de Barlovent54. Mais la seule réponse possible, celle qui conditionnait toutes les autres, eût été fournie par le peuplement. Sans occupation continue, rien à faire. On peut dire, qu’en gros, le vide, donc le danger, s’accroît d’Ouest en Est. Les plus abandonnées, donc les premières perdues, ce sont les petites Antilles, que la Carrera n’a pas su ni voulu se donner.
LES PETITES ANTILLES
40C’est là que sera portée, en 1627, la première brèche à la domination de l’Espagne sur les Indes. Les installations françaises de Saint-Christophe, la Guadeloupe et la Martinique55 sont les premières installations durables qui aient réussi, dans le domaine de ce que l’on peut justement considérer, comme faisant raisonnablement partie de l’espace de l’Atlantique de Séville. On ne peut en dire autant, évidemment, de la côte du continent, au Nord de la Floride. Quant aux entreprises françaises de la France Antarctique, elles sont doublement exclues, puisque dans l’espace portugais et vouées à l’échec. Vouées à l’échec, aussi, les tentatives huguenotes en Floride. Or, les petites Antilles étaient restées, pratiquement, dépourvues de toute installation européenne durable jusqu’au xviie siècle.
41Elles constituent deux à trois arcs de cercle concentriques : un arc avant mais incomplet et trop méridional par rapport au faisceau des routes de plus grande fréquence, l’arc de la Trinité, de Tobago et de la Barbade. Plus en arrière, continu et déboîté vers le Nord, l’arc de Grenade et des Grenadines, au Sud, de Saint-Vincent, de Sainte-Lucie, de la Martinique, de la Dominique, Guadeloupe, Antigua, Barbade, Saint-Barthélémy, Saint-Martin, Anguilla. Plus à l’arrière, encore, et en retrait sur le Nord, une ligne d’îlots presque microscopiques, Montserrat, Redonda, Nevis et Saba. L’arc principal, l’arc central se rattache à Puerto-Rico par l’intermédiaire des îles Vierges, l’ébauche d’un arc arrière fait de même par Sainte-Croix.
42Il est curieux de constater que les Espagnols n’ont jamais jugé bon d’occuper d’une manière permanente ces bastions extrême-orientaux de l’Amérique. Outre les causes profondes, le manque d’hommes et, surtout, la rentabilité supérieure des économies coloniales à composante minière du continent56, cet abandon si lourd de conséquences peut être attribué à des causes secondaires, certes, mais qui s’appliquent au détail même des frontières de l’Empire. Le hasard des premières découvertes. Saint-Domingue a été découverte lors du premier voyage. C’est là que Colomb a construit la première base de départ. Les petites Antilles sont apparues lors du deuxième voyage, seulement. Il eût été plus logique, peut-être, d’y constituer le premier relais, mais le pli était pris. On ne saurait surestimer, en effet, la valeur des toutes premières démarches. Le deuxième élément découle de la nature des sociétés indiennes. L’attitude des paisibles Arawaks de Saint-Domingue est radicalement différente de celle des Caraïbes guerriers. On sait la résistance que ces derniers, cent quarante ans après le commencement de la conquista, opposèrent aux Français57. Il fallut vingt années, au moins, pour les réduire, et des moyens aussi considérables, que ceux déployés, ailleurs, par Cortès et par Pizarro, pour des résultats sur le continent, il est vrai, beaucoup plus séduisants. En 1571, López de Velasco58 note encore que les Caraïbes, non contents de défendre fermement leur domaine, font peser une menace intermittente sur Puerto-Rico voisine. A certains égards, les positions de l’attitude caraïbe ne sont pas sans rappeler celles de l’Araucanie dont la résistance à la pénétration européenne, facilitée par le nombre, la nature du relief et du climat, a duré beaucoup plus longtemps encore.
43Il est possible que les Espagnols, découragés par leurs premiers contacts avec les habitants des petites Antilles (l’histoire des escales petites-antillaises est pleine des accrochages autour des aiguades59), aient surestimé les possibilités de la résistance caraïbe et qu’ils aient compté, démesurément, sur leur refus de la pénétration européenne pour faire barrière aux pénétrations ennemies. L’obstacle caraïbe, frontière naturelle de l’Empire, aura déçu, comme d’autres frontières naturelles, l’espoir qu’on avait mis en lui. Le raisonnement espagnol — s’il n’a jamais, à ma connaissance, été formulé clairement, était impliqué dans le contexte de toute une attitude, il est sous-jacent, plus ou moins inconsciemment — n’était pas faux, dans le cadre, en gros, des structures du xvie siècle. Pour justifier un effort comparable à celui entrepris par la Compagnie des Antilles issue des premiers pas d’Esnambuc, il fallait une base économique qui n’existait pas, au début du xvie siècle, lorsque fut pris à l’égard des îles sous le vent une virtuelle décision d’abandon qui ne sera jamais rapportée sérieusement, côté espagnol. Il fallait les besoins de l’Europe en produits de plantation, les exigences du Roi Petun, des possibilités plus grandes d’importation de main-d’œuvre lointaine, sur une grande échelle. Toutes choses qui ne seront pas réalisées avant quelque temps. Ce sont là des structures nouvelles, celles d’un Atlantique colonial des grandes plantations réalisé pleinement au xviiie siècle mais dont les racines remontent très avant dans la réalité d’un xviie siècle complexe et loin d’être uniformément disgracié. II ne faudra rien moins que cela pour valoriser des terres volcaniques dont seule la richesse fabuleuse est à l’épreuve des redoutables exigences du climat tropical humide. Les terres volcaniques des petites îles délaissées constitueront, alors, un attrait comparable à ce que furent les placers d’or natif au début du xvie, les riches filons argentifères au demi-siècle de l’amalgame, elles suffiront à faire voler en morceaux, avec les défenses des Caraïbes flecheros, une protection qui fut suffisante aux temps meilleurs, où elles exerçaient un moindre attrait.
44Les petites Antilles de l’Atlantique de Séville ne sont pas autre chose qu’une escale, — le mot est trop fort — elles ne sont, le plus souvent, qu’un poteau indicateur. Il arrive qu’on y fasse eau, mais il arrive aussi souvent, qu’après avoir reconnu l’une d’entre elles, on change de cap et que l’on se hâte, par crainte de l’hostilité des Caraïbes, jusqu’à Puerto-Rico, « la primera de las islas pobladas de españoles »60, voire même jusqu’à Saint-Domingue, comme le préconise, avec une touchante référence au bon vieux temps, la Casa de la Contratación, dans une lettre au Consejo, du 20 septembre 162261.
45Au cours des temps, le premier point d’appui des convois, aux approches du continent américain, a beaucoup varié. Mais ces variations dépendent, plus encore, du hasard des imprécisions de la conduite des navires que d’une volonté délibérée. La statistique que nous en avons proposée62 n’est pas parfaite, puisqu’elle n’englobe pas tous les voyages et qu’elle ne vaut pas pour les périodes les plus anciennes (ni avant 1550, ni, évidemment, après 1650). Elle montre que les points d’appui les plus fréquentés se situent dans la moitié Nord de l'arc intérieur des petites Antilles. La ligne des plus grandes fréquences effectives des passages correspond, ici, au chemin le meilleur. On peut compter sur l’intelligence et l’habileté d’hommes qui, après les premières années d’hésitations, s’étaient rendus aussi parfaitement maîtres que possible des données techniques de leur temps. Nous avons, d’ailleurs, la confirmation, a posteriori, de cette présupposition, dans ce que nous enseigne la géographie des courants et des vents.
46La pente la plus forte entraîne les navires63 en direction d’un point situé quelque part dans la moitié Nord de l’arc central des « sous-le-Vent ». Entre 1550 et 1650, 65 % des passages ont emprunté cette voie, soit, par ordre d’importance et, aussi, du Sud au Nord, Dominique 37 %, Désirade et Marie-Galante (comme Colomb l’avait expérimenté dans son second voyage, on ne découvre pas l’une sans l’autre) 16 %, Guadeloupe 12 %. Incontestablement, c’est la Dominique qui constitue le relais idéal, le point qu’on vise à la belle époque. Il en va particulièrement ainsi, quand on a affaire à un convoi mixte qui doit desservir, à la fois, Nouvelle-Espagne et Terre-Ferme. En effet, si, pour le chemin de Nouvelle-Espagne, l’escale à la Dominique est encore excellente, la plus au Sud des escales les meilleures, elle est bonne, encore, pour les navires qui vont en Terre-Ferme : elle devient, alors, la plus au Nord des bonnes escales possibles. C’est, sans doute, à cette considération qu’il faut attribuer l’intérêt manifesté pour la Dominique dans la Carrera, autour de 155064 et jusqu’au début des années 60 du xvie siècle, c’est-à-dire exactement au moment où les grands convois s’organisent et sous forme de convois mixtes. Tant que ce système a prévalu, en gros, jusqu’à 1565, la Dominique a été l’escale presque nécessaire des convois à l’aller.
47Marie-Galante, la Désirade et la Guadeloupe viennent immédiatement après la Dominique centrale dans la hiérarchie des fréquences, avec respectivement 16 % et 12 %. La Guadeloupe constituait, à plusieurs égards, une base-relais idéale pour les convois de la Nouvelle-Espagne et, à plus forte raison, pour le trafic destiné au groupe des grandes Antilles occidentales. C’est pourquoi, peut-être, on la voit intervenir au début de notre époque65, avant que la Terre-Ferme n’apparaisse au premier plan du trafic des Indes. En 1520, le projet a été formé d’y installer une base fixe qui assurerait la sécurité de la première escale. Il n’a pas pu être mené à bien.
48Cependant, malgré les dangers qu’elle présente, l’escale à la Guadeloupe reste tentante. On continue à y faire aiguade malgré les dangers et, de temps à autre, le vœu réapparaît de l’installation d’un poste protecteur fixe66. Depuis la fin du xvie siècle, la Guadeloupe est, en effet, un repaire de boucaniers. Au-delà de l’installation française dans l’île, en 1635, les autorités politiques de la Métropole seront de plus en plus hostiles à l’escale, pourtant si commode. La Casa souhaiterait, d’ailleurs, que les convois allant en Nouvelle-Espagne renoncent à cette escale67. Au cours des premières années de la navigation, l’hostilité des Caraïbes avait amené les Espagnols à se passer de l’escale petite antillaise et à lui préférer, beaucoup plus au Nord, Puerto-Rico et Saint-Domingue, après s’être contentés, tout au plus, de reconnaître la côte pour fixer la route. Juan López de Velasco et la Casa de la Contratación68 se réfèrent à cette situation ancienne. L’escale à Puerto-Rico, dispensant de tout recours aux petites Antilles, se place, d’ailleurs, même après 1550, avec 19 % des passages, en excellente position, c’est-à-dire en deuxième position après la Dominique. L’escale est acceptable pour des convois allant en Nouvelle-Espagne, à Saint-Domingue ou à Cuba, au prix, pourtant, d’un gros supplément d’efforts. Il faut compter, qu’en moyenne — malgré le danger à rapprocher trop vite des données69 qui ne sont pas parfaitement homogènes : elles donnent, toutefois, d’utiles ordres de grandeur — l’escale à Puerto-Rico allonge d’une bonne semaine la navigation sans ravitaillement dans le Golfo, avec tout ce que cela comporte de gêne technique et d’alourdissement des prix de revient du transport. Malgré le danger de la présence française à la Guadeloupe après 1635, malgré de nombreux accrochages70, l’abandon de l’escale guadaloupéenne ne s’est pas fait sans regrets. Cet abandon71, consécutif à l’occupation progressive des petites Antilles par des puissances concurrentes, n’aura pas été une des conséquences les moins graves, pour l’Empire, de cette pénétration. C’est après coup seulement, et trop tard, que l’intérêt stratégique des petites îles sera compris.
49Pour les convois de Terre-Ferme, évidemment, une route plus « sudée » s’impose. Mais les problèmes ne sont pas plus simples. A certains égards, même, les possibilités de choix sont moindres, et le rôle d’escale des petites Antilles plus difficilement excusable. On peut faire escale à la Martinique (11 % des passages), soit même, beaucoup plus exceptionnellement, tout à fait au Sud, sur un des points de l’avant-arc Sud des petites. Antilles, soit à la Barbade ou à la Trinité (2 à 3 %). Au-delà de 1635, quand, peu à peu, la barrière des petites Antilles de vide qu’elle était devient hostile, l’escale au Sud se fait, de plus en plus difficile, aussi. Mais le handicap résultant de l’appropriation par d’autres puissances des petites Antilles — pendant tout le xvie siècle, non appropriées et, pratiquement, disponibles malgré l’hostilité caraïbe aux besoins limités de la Carrera — pèse plus lourdement sur la route Sud de Terre-Ferme72, que sur la route Nord des grandes Antilles et de la Nouvelle-Espagne, puisque, au vrai, il ne reste plus aux convois que deux solutions également coûteuses — étant exclue l’acceptation d’une dépendance à l’égard d’un territoire étranger, le plus souvent hostile — un long crochet par le Nord avec escale à Saint-Jean de Porto-Rico, pire, presque impossible, un long voyage sans escale jusqu’à Carthagène.
50Mais tout cela n’est vrai qu’au terme chronologique de notre étude. De 1550 à 165073, après une période d’escale plus au Nord et plus à l’Ouest, on peut donc distinguer trois routes dans l’ensemble des arcs externes d’Antilles également vides, une route Nord, en régression avant la reprise finale, Puerto-Rico, soit 19 % des passages, une route Sud, exceptionnelle, 5 % des passages (Barbade, Trinité), une route moyenne, 76 %, qui va de la Guadeloupe à la Martinique inclusivement. Cette solution, la plus élégante, réduit au minimum le Golfo et laisse jusqu’au bout totale liberté aux navires quant à la direction qu’ils entendent suivre. Suivant que l’on annexe, ou non, la Barbade et la Trinité à l’ensemble médian, on aboutit, donc, soit à 76 %, soit à 81 % d’escale aux petites Antilles, au cours de la belle époque. On appréciera mieux, ainsi, à quel point l’Empire, à la belle époque, dans ses communications impériales, était dépendant de ces terres dont il n’avait rien su faire,...se bornant, à moindre frais, à en utiliser la forme, le bois et l’eau.
51Cela suffisait, pour atteindre commodément les bases de Saint-Domingue et de Puerto-Rico. C’est, vraisemblablement, l’existence trop proche du centre de gravité des grandes Antilles qui a, entre autres facteurs analysés à son heure, découragé l’Espagne de laisser insuffisamment protégé le flanc droit antillais.
Notes de bas de page
1 T. VI1, table 128 A, p. 320, De la grande Canarie ou de Tenerife à Tune des petites Antilles, le plus souvent atteintes depuis le second voyage de Colomb en 1493, quand on fait voile vers le Nouveau-Monde, la distance varie de 2 630 à 2 685 milles ; des Canaries à l’île de Saint-Domingue, elle est de 3 100 milles environ, soit plus de 5 000 kilomètres. Il faut, en moyenne, un peu plus de trente jours pour les couvrir..., trente jours sans voir la terre et quand on ne voyage pas en convoi ou qu’on a perdu de vue ses compagnons de voyage, trente jours sans autre chose autour de soi, que le ciel et l’eau, sur une coque de bois imparfaitement étanche, trente jours, au mieux, cela ne va pas sans angoisse.
2 T. VII, p. 30-32.
3 T. VI1, tables 18 à 128, p. 177 à 319 et plus particulièrement, table 26, p. 292-193..., table 106, p. 284-285. Mais la table la plus probante est celle, peut-être, de la Vera Cruz à la Havane, temps d’arrêt exclu, avec un écart fantastique de 18 à 58 jours sur les temps extrêmes et de plus de 43 jours à moins de 28 jours, sur les temps moyens lourds et courts, table 104, p. 280-281.
4 T. VI1, table 177 ter et tables 128 A et 128 B, p. 320-321.
5 T. VII, p. 30-31.
6 Camille Vallaux. Géographie générale des Mers (Paris, 1933, gr. in-8, VII-796 p.), p.
7 Fernand Braudel. La Méditerranée, op. cit., p. VII, « Jusques aujourd’huy l’on n’a point descouvert au nouveau monde aucune Méditerranée comme il y en a en Europe, Asie et Afrique... ».
8 Cf. t. VI2, tables 321 à 325, p. 553-555 et tables 487-489, p. 655-656. On note l’effacement qui suit 1570, quand la menace française s’estompe. La Floride n’avait d’intérêt pour Séville que négativement, dans la mesure où une puissance étrangère qui s’y serait installée aurait pu obstruer ses communications sur la route la plus sensible des Retours avec la Méditerranée américaine.
9 T. VI2, table 489, p. 656.
10 On aura noté que nous avons adopté dans la classification du tome VI (3e parties, Les mouvements particuliers, t. VI2, p. 487-687) un principe de classification un peu différent. Nous avons entendu les lies au sens moderne d’Antilles, rattaché la Floride à la Nouvelle-Espagne, et la côte est-colombienne et vénézuelienne actuelle à la Terre-Ferme. Nous avons anticipé, en quelque sorte, sur l’usage encore flottant du xvie siècle, les usages qui achèveront de prévaloir au xviiie siècle, ceux-là que l’Indépendance a perpétrés. On ne pouvait, pour une construction statistique, recourir à la géographie imprécise et mouvante d’un monde en gestation, on a préféré, donc, des cadres plus stricts bien qu’un peu anachroniques. Ils avaient, en outre, l’avantage d’être applicables au xviiie siècle également et de permettre, ainsi, des comparaisons sur trois siècles entre Séville du premier Atlantique et la suite logique qu’on entend bien lui donner pour la période suivante de 1651 à 1783. Mais on n’est pas lié, par les mêmes impératifs, bien sûr, dans la présentation géographique plus libre que nous proposons aujourd’hui.
11 Veitia Linaje, Norte, lib. 2, cap. 13, § I, p. 155.
12 T. VI2. — Les mouvements particuliers, et plus particulièrement, p. 676 à 685.
13 Il est bon de s’arrêter là et ne pas étendre démesurément la notion d’îles. On la trouve confondue, parfois, dans l’usage courant des textes non législatifs de la Carrera bien au-delà de ce premier terme. On finit pas englober dans une même énumération tout ce qui n’est pas Mexique, Isthme et Pérou. C’est un peu, dans ce sens, qu’à notre tour, nous parlons volontiers de « parents pauvres ». Si le mot n’existe pas strictement comme tel dans l’usage de la Carrera, la notion y est, sans conteste possible. On peut relever comme typique de cet usage, tel passage, entre beaucoup d’autres possibles, d’une lettre de Francisco de Leyba à la Casa (Ct. 5101, 28 avril 1593) où le Général aligne Honduras sur Barlovent : « ... sin otros nabios pequeños de Onduras y Santo Domingo y las demas yslas de barlovento. »
14 La confirmation ne se trouvera pas immédiatement dans tes tables du tome VI, mais il est facile de l’établir, en partant, par exemple, des tables 139 (p. 337) et 176 (p. 375). On peut accepter les chiffres non corrigés de la série « Iles », stricto sensu, un calcul très simple permettrait d’ailleurs, de remplacer la colonne purement antillaise par une colonne « Iles » au sens plus large où nous l’entendons, maintenant, par adjonction de la Floride et de la côte orientale de la Terre-Ferme. Il suffit pour les premières demi-décades de calculer d’après les chiffres globaux, ce que doit, après élimination des « Indias » non déterminés, représenter par rapport au total la part des îles. On pourrait, aussi tenir compte d’un plus fort pourcentage de trafic échappant à nos contrôles, au tout début, au moment de la mise en place du système. On arrive, ai : si. à des ordres de grandeur de cet ordre :
1506-1510 : 27 000 toneladas
1511-1515 : 30 000 —
1516-1520 : 40 000 —
1521-1525 : 32 000 —
1526-1530 : 41 000 —
1531-1535 : 20 000 —
1536-1510 : 30 000 —
1511-1515 : 25 000 —
1516-1550 : 30 000 —
1551-1555 : 29 000 —
1556-1560 : 22 000 —
1561-1565 : 27 000 —
1566-1570 : 20 000 —
1571-1575 : 23 200 —
1576-1580 : 16 290 —
1581-1585 : 25 580 toneladas
1586-1590 : 30 610 —
1591-1595 : 29 702 —
1596-1600 : 31 790 —
1601-1605 : 19 920 —
1606-1610 : 39 244 —
1611-1615 : 37 783 —
1616-1620 : 28 996 —
1621-1625 : 29 208 —
1626-1630 : 25 722 —
1631-1635 : 17 665 —
1636-1610 : 18 615 —
1611-1615 : 9 205 —
1616-1650 : 10 428 —
15 Cf. tableau ci-dessus, p. 1472, note 1.
16 Cf. ci-dessus p. 384-430.
17 T. VIII2bis, p. 853-1525.
18 Clarence H. Haring, The Buccaneers, op. cit..
19 Cf. ci-dessus, p. 456.
20 T. VI2, table 658, p. 962.
21 T. III, 1587 A, p. 400, t. IV, 1596 A, p. 12 sq., t. V, 1625 A, p. 105.
22 T. VI2, table 662, p. 968.
23 Colec. Fern. Navarrete, t. XXV, f° 321, dto 10. « Carta de los vecinos de la laguna de San Juan de la Grangeria de las Perlas al Rey..., dandole cuenta como el 13 de octubre de 1544 llegara al Puerto de la ciudad de Santa Maria de los Remedios del cavo de la Vela 5 naos y caravelas y un patax de corsarios franceses, y apoderandose de otras naos y caravelas que hallaron en el de los que havian ydo de España y otras partes, havian estado sin saltar a tierra por la resistencia que rencontraron quando lo intentaren, en seis dias, en los quales solo consiguieron de los naturales porque no hiciesen otros daños se los comprasen 70 y tantos negros que llebaban ; y en su vista por evitar estos daños acordaron de mudar la poblacion al Rio de la Acha y lo executaron inmediatamente. »
Le texte est particulièrement significatif, il prouve, en effet, le lien qui existe entre la faiblesse du peuplement et les possibilités de l’attaque. La résistance a, évidemment, d’autant plus de chance qu’elle s’appuie sur une population espagnole résolue et nombreuse, résolue parce que nombreuse. Elle montre, ensuite, l’attaque corsaire comme facteur de dépopulation et de concentration du peuplement espagnol. Les discontinuités du tissu de l’occupation côtière favorisent l’attaque ennemie et rendent difficile la défense. A son tour, l’attaque incite la population à se concentrer en quelques points défendables, élargissant les vides de l’occupation coloniale espagnole. L’attaque tend, ainsi, à élargir les brèches qui ont, à l’origine, permis son action.
24 Colec. Fern. Navarrete, t. XXV, f. 32 sq, dto 10, cf. ci-dessus note 6, p. 475 ; Colec. Muñoz, t. LXXXIV, f° 70, d’après C. Fern. Duro. Armada I, p. 433 et Colec. Muñoz, ibd., f° 67, d’après C. Fern. Duro, ibd. p. 435.
25 De Panama, dans une lettre du 4 avril 1555 (Colec. Muñoz, t. LXXXVII, f° 331-332 vto, d’après C. Fern. Duro, Armada I, p. 450) : « Esta la mar del Norte dominada de franceses y no sale navio de una isla que no sea tomado, por lo cual, apenas hay contratacion en Ellas ».
26 Colec. Fern. Navarrete, XXII, dto 90, f° 524 vto-525. Lettre de Cristóbal de Eraso du 20 novembre 1576 : « Por aca ha avido este año muchos navios franceses e ingleses, en cantidad demas de treinta y entre ellos navios de 400 toneladas con fuerza de gente y artilleria...
27 Colec. Fern. Navarrete XXV, dto 49, f° 194, 1585 : « Relacion que dió Don Hernando de Altamirano de una poderosa armada inglesa que pasó a las Indias del Mar Océano con el fin segun entendido de ellos de poblar a la Trinidad y Dominica y otras tierras que España no queria poblar... ».
28 Ct. 5170, lib. II, f° 143 vto-145, 8 août 1606, C.C. au Consejo, en réponse à une cédule du 22 juillet, cf. T. IV, p. 211, note 1.
29 Cf. ci-dessous, p. 484, note 3.
30 T. IV, p. 211, note 1.
31 Les grandes attaques de plein fouet sur les bases du continent, et d’ailleurs, avec un médiocre succès, Cartagena... Puerto Belo... Havane... ne se placent pas avant le xviiie siècle. On craint, trop encore, le puissant empire, on estime trop, avec raison, la solidité de ses défenses, pour l’attaquer dans ses bases continentales puissantes. Tout l’effort des adversaires de l’Espagne se porte sur cette zone intermédiaire mal suivie des îles..., la seule partie de l’Amérique où le monde hispanique ait eu à vider, durablement, quelque terrain. Les seuls morceaux d’Amérique, au Sud du Río Grande, où l’on parle des langues européennes non ibériques, français, anglais ou hollandais, se trouve, précisément, là, à l’intérieur de la Méditerranée américaine.
32 Bernard Bailyn. Communications and Trade : The Atlantic in the XVII th century, The Journal of Economic History, vol. XIII, 1953, no 4, p. 378-387 et A. T. Newton, The European Nations in the West Indies (1493-1688) Londres, A. C. Black 1933.
33 Bernard Bailyn, art. cité, p. 378.
34 Mal résigné — les notes aux tableaux des tomes IV et V le montrent. On retiendra, notamment, ces quelques documents :
Dans une lettre écrite, au large de La Havane, le 16 juillet 1624, Don Bernardino de Lugo signale la présence de 7 voiles ennemies au large de la Jamaïque (Colec. Fern. Navarrete, t. XXIV, f° 216 sq, dto 29). En 1626, de Puerto-Rico, le Hollandais rayonne en direction des points faibles de la Marguerite et de Saint Domingue (Colec. Fern. Navarrete, t. XXV, f° 351, dto 80 ; Ct. 5117, Saint-Domingue, 10 mars 1626 et cf. T. V., 1626 R., p. 130-131, note 9). En 1629, on craint qu’enhardis par leur succès, les Hollandais ne visent, désormais, les points les plus forts du monde caraïbe, Rio de la Hacha et la Havane, voire même Carthagène, le bastion de 1’isthme (Colec. Fern. Navarrete, t. XXV, f° 353, dto 81, I. G. 2665, décembre 1629...). Un document du 29 août 1630 (Registro del Consejo de Indias, f° 220 vto, d’après C. Fern. Duro, Armada IV, p. 437) est précieux parce qu’il montre l’espèce de stupéfaction des Espagnols devant l’incrustation hollandaise dans les Leewards. En 1633 ( ?) c’est le général Don Carlos de Ybarra qui rend compte des navires hollandais qu’il a interceptés sur sa route (Ct. 5101), dans cette zone précisément où la colonisation espagnole refluante croise la colonisation hollandaise qui se cherche.
Densité particulière autour de 1640 : cf. 1640 (Colec. Fern. Navarrete, t. XXIV, f° 355 sq. dto 82, 1641 (Ct 5118, 20 juillet 1641, Faxardo à C. C.). Long rapport sur l’activité des Français dans les petites Antilles (I. G. 2537).
35 Osorio. Ed.pop. I (ed. Campomanes), p. 168 : « ... Todos los puertos y provincias referidas (il s’agit, en gros, des provinces et des ports de ce monde caraïbe que nous avons retenus), padecen muchas vexaciones de los pyratas extrangeros ; porque les roban las minas de oro y plata y les dan comercio,... sin venir a España llevandoles las ropas desde sus Reynos, a sus aventuras. Este es la causa, por la qual las naciones sacan de los Reynos de las Indias tres veces dobladas cantidades de las que vienen todos los años en flota y galeones. » Ce texte célèbre, rappelons-le, date de 1686.
36 D’après le contexte même, puisque cela va dans le sens de sa démonstration. Le problème sera repris plus tard, dans l’étude consacrée à cette époque. Si le rapport six (fraude) un (commerce officiel) est contestable en 1686, il serait, a fortiori, infiniment erroné d’en transporter les conclusions, cinquante ou cent ans plus tôt.
37 Cf. t. III, IV, V, nombreuses notes aux tableaux.
38 Cf. ci-dessus, p. 472, note 1.
39 Ct. 5168, lib. 5, f° 200, 2 mars 1582, C. C. au Consejo. La Casa de la Contratación dont les points de vue sont, à l’ordinaire, très peu favorables aux îles, très longtemps, du moins, avant que, bien tardivement, elle n’ait mesuré toute l’ampleur de la catastrophe, elle écrit au Conseil des Indes : « ... aunque nos parece que se debia dar alguna traça y horden para que pudiesen traer los frutos de aquella tierra que por yr tan pocos dexan de venir mucha cantidad de cueros y açucares cada año de que se dexan de cobrar los derechos pertenezientes a los almox (arifazg)os. » Ce dernier membre de phrase limite la portée de l’observation de la Casa de la Contratación. Elle semble, en 1582, encore, déplorer la défaillance de l’armement sévillan en direction des îles que sous l’angle de la fiscalité, seulement.
40 1582, et le problème est envisagé sous l’angle fiscal, très partiel.
41 Juan Lopez de Velasco. Geografía y descripción universal de las Indias, recopilada por el cosmógrafo e revista desde el año de 1571 al de 1574, publié par D. Justo Zaragoza, pour la première fois, poux le compte de la Real Academia de la historia, en 1894. Madrid, gr. in-8°, 1894, XV. 808 p. et cartes.
42 Juan Lopez de Velasco, op. cit., p. 99 : « Hay en todos los mas de los rios de esta isla (il s’agit de Saint-Domingue) abundancia de oro de nacimientos, que con las lluvias se vie derribando a los rios, lo cual ya no se saca por haberse acabado los indios y ser la gente pobre ; al principio se sacaba tanto, que valia el quinto dello, algunos anos de 400 000 pesos arrila... La causa de irse despoblando cada dia esta isla (il s’agit, toujours, de Saint-Domingue) es que como no se saca oro, no acuden mercaderes a ella, y asi no pueden contratar sus grangerias y viven con gran pobreza... »
43 Ct. 5169, lib. 9, f° 25, 8 mai 1589, C. C. au Consejo : « Por cedula de 17 de marzo... se nos manda que porque el Prior y consules an echo relacion que algunos navios an pedido visita para la ysla española yvan cargados de mercaderias diferentes de las que se gastan en aquella tierra y los que an cargado no se lleven para la dicha ysla, que tienen su trato en Tierra Firme y Nueva Espana y estos son presupuestos de Hegando en la dicha ysla ondear passar a otras partes lo que se Heva en los d(ic)hos navios y sera en gran daño de los Datantes y despacho de las dotas y para el remedio desto se deve mandar a la audiencia que rreside en Santo-Domingo que las mercadurias que se Hevaren en los dichos navios y se descargaren halli (sec) a su rregistro no consientan se buelvan a cargar ni sacar de la tierra para llevar a otras partes sino que se obliguen a tenellos alli por lo menos un ano para que los conservan en la tierra... » On aura noté que la fraude a été signalée au Consejo par l’organe officiel de l’Université des marchands. La Casa ne manque pas de rappeler — le thème lui tient à cœur — que cette pratique est dommageable aux flottes et responsable du retard de ces dernières. L’alibi est trop beau, puisque la responsabilité du départ incombe à la Contratación. L’Université des marchands a atteint son but : jeter le discrédit auprès des Conseillers des Indes sur le système des « permissions ». La Casa, elle, est convaincue. Il lui est facile, après ce travail de sape, de conclure d’une manière relativement modérée et, apparemment, du moins, dans le sens des intérêts des îles... que le Roi ordonne à la Real Audiencia de Saint-Domingue de veiller à ce que les marchandises enregistrées soient effectivement déchargées dans l’île.
La Contratación se libère à bon compte, par un prudhommesque conseil. L’Audiencia de Saint-Domingue, dont les prises de position sont formelles et l’intérêt évident, n’a pas besoin qu’on lui rappelle des devoirs qu’elle ne risque pas d’oublier. On peut, seulement, douter — la Contratación le sait mieux que quiconque — qu’il soit au pouvoir de la Real Audiencia de Saint-Domingue d’agir dans le sens du conseil, mieux de l’ordre qu’elle lui fait donner. Les clefs sont à Séville plus qu’aux Indes.
44 Ct 5170, lib. 10, f° 420, 13 septembre 1599, C. C. au Consejo. Le point de départ est une intervention du Conseil des Indes auprès de la Casa en date du 23 août. Cette lettre transmettait pour avis, une plainte de l’Audience Royale de Saint-Domingue : « ... que por parte de la ysla española se a representado a V.M. que aunque a sido servido de dar licencia para que vayan a ella, fîlibotes en conserva de las flotas de Tierra Firme y Nueva España con la que fue por junio passado, no fue ningun navio para la dicha ysla y que es forçosso que vaian a ella, bajeles este ano en que se puedan llevar las mercaderias y cossas necessarias y traer los frutos de aquella tierra aunque no aya flota para Tierra Firme, porque si se guardasen para otro año se perderian y an suplicado a V(uestra) M(ajestad) mande dar licencia para que los felibotes que havian de yr con ambas flotas vaian luego y que en ellos se podra llevar el artilleria y armas que se han mandado prover... »
A cette demande, la Casa répond au nom d’un front uni qui comprend les Prieur et Consuls et les principaux intéressés, entendez les principaux cargadores de Séville, dont elle se fait, selon son habitude, le porte-parole complaisant des points de vue de ce front uni « ... aunque no tubiera ynconveniente que por lo que toca al comercio de Nueva España y Tierra Firme y Honduras fueran felibotes aora sueltos, y sin flota a Santo Domingo con obligacion que alli, se consumieran las mercaderias que llevaren... parece que en esta sazon no son necessarios, asi que no abra cargo en esta ciudad para un felibote por aver ydo con el armada de Don Francisco Coloma mill toneladas en cinco navios y no aver aora demanda de mercaderias de aquella tierra como porque aquellos navios son bastantes, a traer della los frutos... y para los del año que viene vastara que vayan los dichos felibotes con la primera flota de Nueva España, o Tierra Firme... » Le porte-parole s’exprime, on peut en juger, au nom d’un principe de sécurité.
45 Ct. 5174, lib. 19, f. 197-197 vto, 6 mars 1635, C. C. au Consejo : « ... que la causa principal que V.M. a tenido de hazer grazia y mereed a estos lugares y yslas de que vayan a elles navios con las flotas a sido el escusar los rescates con los enemigos. »
46 Cf. t. VIII2bis, p. 1723-1748.
47 Veitia Linaje, Norte, lib. I, cap. 18, § 14 et 15, p. 121-122. Il rappelle quelques-uns des textes qui fondent le régime de la permission, ce ne sont pas les seuls : Cédules du 10 juin 1589, du 17 janvier 1591, du 16 août 1607... Première règle : la non-réexportation, le respect de l’affectation (nous avons vu ce qu’il en advenait dans la pratique, cf. ci-dessus p. 480, note 2) « ... las mercaderias que se llevan desde estos Reynos para las Islas de Barlovento, en que se comprehenden los frutos y los que van tambien para los puertos de la Costa, y los otros que no son los principales para donde van Flotas, no pueden sacarse del lugar para donde fucron de registro, pena de perdimiento de lo que se traginare, y privacion de oficio a los Ministros que dieron despachos para ello, y de la carrera y navegacion a los que lo contravinieron ».
La cédule du 17 janvier 1591 instituait, à l’intérieur du puissant Atlantique espagnol ct de la vaste Carrera, un domaine plus restreint des « parents pauvres ». On voit, ainsi, s’opposer, d’une part, Nouvelle Espagne-Honduras-isthme (depuis Carthagène)-Pérou, de l’autre la mer des Caraïbes, monde marginal, monde abandonné et toléré dans sa personnalité rétive à l’être généralisateur de l’Atlantique de Séville, dont la surface finit par se confondre avec celle de la Méditerranée américaine telle qu’on s’est efforcé de la définir : « .. repitiendo esta prohibicien (il s’agit du texte de 1591), se dize que las dichas mercaderias, o frutos despues que se ayan desembarcado en las dichas Islas, y Provincias, se puedan comunicar por los mercaderes, o vezinos dellas de unos puertos a otros, o de unas Islas a otras, y que por el consiguiente se puedan comunicar las de Veneçuela, Santa Marta, rio de la Hacha, y cabo de la Vela, se pueden comunicar algunos frutos, y mercaderias por mano de mercaderes, y vezinos de los mismos puertos y Provincias... », c’est alors que la cédule pose la condition fondamentale : que soit respecté le cloisonnement fondamental des deux espaces, celui qu’on s’apprête à abandonner ct celui qu’on entend conserver, comme si une telle coupure était vraiment possible « ... con que en ningun tiempo ni por ninguna causa se puedan contratar, ni llevar las dichas mercaderias a Cartagena, Nombre de Dios, Honduras ni la Vera Cruz... Un peu plus tard, par la cédule du 16 août 1607, Cuba et la Jamaïque étaient nominativement rattachées au bénéfice du texte du 17 janvier 1591, c’est-à-dire à l’un des deux espaces fondamentaux dans les textes parfaitement opposés, l’espace pauvre. Dans les faits, dans les structures économiques et sociales profondes des Indes, l’opposition était, depuis longtemps, chose faite.
Les textes législatifs ou plus modestement réglementaires ne faisaient, une fois de plus et par le petit côté, qu’entériner des faits qui n’avaient pas attendu cette permission d’être.
48 Veitia Linaje, lib. 2, cap. 13, § 32, p. 166.
49 Cette disgrâce relative de Cuba — de Cuba, non de la Havane ; mais la Havane, rapidement, n’est plus Cuba — on la sent poindre déjà, dans un texte de 1571-1574, de Juan López de Velasco (op. cit., p. 110). López de Velasco attribue à Cuba 240 vecinos españoles contre 1 000 à Saint-Domingue, c’est-à-dire, en l’absence, pratiquement, de tout peuplement indien, la plus faible densité des îles peuplées des Antilles. La cédule de 1642 confirme que l’évolution amorcée autour des aimées 60-70 du XVIe siècle, s’est poursuivie.
50 Veitia Linaje, Norte, ibid., p. 166 : « ... pero de muchos años a esta parte no ha visto sacar, licencias para algunos de los referidos como son Río de la Hacha, Santa Marta, Orenoco y Nueva Cordoba.
51 Beaucoup d’argent, beaucoup d’efforts ont été dépensés. Il en reste, aujourd’hui, encore, des traces souvent importantes. En 1537, déjà, on trouverait un dossier copieux (Codoin, Ind. I, 1, p. 509-521, Saint-Domingue, 31 mai 1537). La Havane (on travaille à ses fortifications en 1570, Lopez de Velasco, op. cit., p. 114), Saint-Domingue (Velasco vante la qualité de son site défensif), Saint Jean de Puerto Rico, Puerto Belo et Carthagène sont des places fortes considérables, mais combien d’autres depuis Santiago de Cuba jusqu’à San Germán de Puerto-Rico, offertes, sans défense, à l’ennemi...
52 Les galères, jugées plus appropriées que les navires de haut bord, pour la protection des côtes d’Española, de Cuba, de la Terre Ferme, jouent un rôle quasi permanent, assez efficace, depuis les années 1570-1580, jusqu’aux années 1590-1600, et constituent l’élément le plus constant, le plus actif des escadres à poste fixe, aux Indes, plus encore qu’en Espagne toujours précaires (cf. t. III, p. 238 sq., 252 sq., 328 sq., etc., t. IV, p. 124 sq., Cf. ci-dessus p. 339 et ci-dessous, 537.., 1035-1039, 1041-1054).
53 Tels, en 1596, les trois felibotes qui se rendent à Puerto Rico (cf. t. IV, p. 105 sq.).
54 L’Armada de Barlovent est, de toutes les formes de défense de la Méditerranée américaine, la plus représentative, mais la moins aisément définissable.
Veitia Linaje (lib. 2, cap. 5, § 2, p. 88 sq.), toujours au fait des institutions, semble lui-même assez embarrassé pour la définir. Il se justifie en alléguant la pénurie des sources espagnole-, émanant, dit-il, de la juridiction de l’Armada de Barlovent, sous la dépendance au moment où il écrit, de la vice-royauté de Nouvelle Espagne. Il paraît bien, pourtant, que cette prise en charge de l’Armada de Barlovent par la Nouvelle Espagne — un des multiples aspects de ce glissement vers l’Ouest du cœur de l’empire, un exemple, entre autres, de substitution de métropoles — ne soit qu’un fait épisodique, du moins, tardif, du second quart du xviie siècle.
En réalité, — Veitia Linaje ne l’a pas assez souligné, et ses incertitudes, ses confusions s’en trouvent éclairées, — sous le nom d’Armada de Barlovent, viennent s’inscrire les types d’armadas de défense les plus divers de la Méditerranée américaine et, bien souvent, plus de projets, de velléités que de réalisations effectives, plus de mesures opportunes que d’institutions.
Armada de Barlovent, si l’on veut, l’armada de Juan Ponce de León, en 1514, contre les corsaires caraïbes, l’armada de Juan Tello de Guzman, en 1557 (cf. t. II, p. 532), Armada de Barlovent des années 60, l’armada de l’Adelantado de Floride, Pedro Menéndez de Avilés, « gobernador y capitan de la Florida y de la isla de Cuba y de la Real Armada que anda contra corsarios » (Cf. Fern. Duro Arm. II, p. 471, Registro del Consejo de Indias, f° 193).
Armadas de Barlovent, les armadas garde-côtes, de caravelles, frégates, galères, dont les habitants des Antilles demandaient la création depuis longtemps, — 1541, pour Española (Enci. IV, p. 83), — et qu’on voit fonctionner, d’une façon presque continue, pendant le, trois dernières décades du xvie siècle, sur les côtes de Terre Ferme, puis de Cuba et de Saint Domingue.
On peut, suivant qu’on écarte, plus ou moins, ses formes préliminaires, hésiter sur la date de naissance de l’Armada de Barlovent. Veitia Linaje, Haring, après lui, choisit 1578, sur la foi d’une cédule du 9 septembre, envisageant l’éventualité d’une armada de protection dans la Méditerranée américaine. Un rapport de la Casa de la Contratación de 1618, faisant l’historique de la question (I.G. 2535) la place en 1595 quand 7 navires vinrent, à la suite d’un projet non encore mis sur pied, prendre la relève de l’Armada de la Guardia, à la Havane (cf. t. III, p. 544). On pourrait, tout aussi bien, semble-t-il, la fixer en 1601, année du départ d’Espagne de la première Armada dite, au départ même, de Barlovent, définie par les projets de 1595, destinée à protéger côtes, commerce, navires et convois dans la mer des Antilles (cf. t. IV, p. 118 sq.).
C’est, effectivement, autour des années 1595-1600 qu’est réalisée l’Armada de Barlovent la plus efficace, la plus durable. De 1601 à 1610, sous la poussée de l’ennemi, — notamment l’installation des Hollandais à Araya, — on réussira à maintenir le plus souvent possible l’armada dans la Méditerranée américaine (cf. t. IV, p. 256 sq.).
Mais le financement devait, comme toujours, être le principal obstacle. Conçue, à la demande des habitants, comme une armada de protection du commerce des îles, elle devait, à l’exemple de l’Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias, être financée par les « particulares », grâce à un système d’impôt ad valorem, sur le trafic des îles, système difficilement réalisable et peu rentable.
Son financement revenant à la Real Hacienda, l’Armada de Barlovent fut vite utilisée en dehors de ses propres fins, doublant plus ou moins l’Armada de la Guardia (cf. t. IV, p. 317, note 34). Dès 1610, elle est associée à l’Armada Real del Mar Océano pour convoyer des galeones de plata. Les galions qu’on lui construisait, à la Havane, sont achetés par l’averia (cf. t. IV, p. 341, note 5, p. 267, note 104).
Reconstituée, en 1635, sous l’égide de la Nouvelle Espagne, elle subsiste jusqu’en 1648 ; mais unie, à nouveau, pour les mêmes raisons financières qu’en 1610, à l’Armada Real del Mar Océano, elle ne fera sa réapparition qu’en 1665, cf. t. V, p. 268, note 1, p. 290, note 4, p. 460, 484).
55 Jean-Baptiste Du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les Français, Paris, T. Jolly, 1667-1671, 4 tomes en 3 volumes, in-4°. On a 1625, si on tient compte du premier séjour semi-accidentel d’Esnambuc à Saint-Christophe.
56 C’est ce qu’écrit, déjà, peu après 1650, le Père Jean-Baptiste Du Tertre, dans sa célèbre histoire des Antilles (op. cit., t. I, p. 2). Après avoir constaté que « ... ny la concession du souverain Pontife, ny la cruauté barbare des Espagnols ne purent empêcher les Estrangers de faire voile vers l’Amérique, pour tascher de s’y enrichir... » il insiste sur l’attrait du vide : « ...cur ceux-cy ayant été attirez au fonds du Pérou par l’avidité insatiable de l’or et de l’argent, et d’ailleurs manquant de monde pour peupler tout ce vaste pays, laissèrent derrière eux comme une chose inutile, les Ant-Isles de l’Amérique, qui depuis servirent de retraite et de logement à tous ceux qui s’enrichirent de leurs dépouilles. »
57 J.-B. Du Tertre, op. cit., t. I.
58 J. López de Velasco, op. cit., p. 126 sq.
59 Avec ceux que Fernández de Oviedo appelle « les indios caribes flecheros » (Oviedo, op. cit., I, p. 613-614).
60 Juan López de Velasco, op. cit., p. 126.
61 La Casa transmet dans cette lettre avec un avis favorable en son nom et au nom de l’Université des marchands, le contenu d’un mémoire « ...sobre que las flotas de Nueva España no bayan a hacer su aguada a Guadalupe sino a Ocoa como antiguamente... » Ct 5173, lib. 16, f° 14 vto.
62 T. VII, p. 20.
63 On peut s’en rendre compte sur la carte sommaire que nous avons donnée (t. VII, p. 18-19).
64 Colec. Fern. Navarrete, t. XXI, f° 94 sq., dto 26 — 1550 — « Tres memoriales del Capitan Gregorio de Ugarte presentadas à S. M. sobre la conquista de la Dominica, y su importancia y los medios para su conservacion haziendo en ellas 4 navios de a 50 toneladas y 2 zabras de a 20 para la seguridad de los navios que hicieron su navigacion por alli biendo de España a las Indias... »
Mais le projet n’aura pas de suite. A la Dominique, pas plus qu’en aucune autre des petites Antilles, les Espagnols ne réussiront à implanter un peuplement durable et continu.
65 Une capitulation du 9 juillet 1520 à Valladolid (Codoin, Ind. I, t. XXII, p. 179-183), « Capitulacion con el Lic. Antonio Serrano, vecino de Santo-Domingo sobre poblacion de la isla de Guadalupe... »
66 Ct 5170, lib. II, fos 294-295, 14 août 1607.
67 On l’a vu déjà, dans la lettre au Consejo du 20 septembre 1622. Ct 5173, lib. 16, f° 140-vto Cf. ci-dessous p. 487, note 2.
68 Cf. ci-dessous p. 487, notes 1 et 2.
69 T. VI1, table 128 A, p. 320, no 44 à 52 et 61.
Le danger n’est pas simple. Il est loin d’être purement militaire. Il est même très accessoirement militaire. Il y a le danger de fraude. Il y a, plus grave, peut-être, la certitude que les mouvements vitaux de l’Empire espagnol seront, désormais, à moins de renoncer à une des escales les plus commodes, sûrement repérés..., avec une possibilité de danger différé.
70 Ct 5101, I.G. 2537, 17 juillet 1646, etc., il est impossible d’en faire une liste complète.
71 Veitia Linaje, lib. 2, cap. 27, § 41, p. 261. De tous les ravitaillements, celui de l’eau est le plus sensible à la durée du voyage : « Las naos de Flota, y Armada, esta encargado que lleven suficiente, y que si acaso necesitaren de alguna provision en Canaria, el Regente y justicias los despachen con toda brevedad y para las de Nueva España estuvo ordenado que hiziessen la aguada en la Isla de Guadalupe (que ya no se haze sino es en la de Puerto-Rico)... »
72 La route du Pérou par l’isthme périclite rapidement au xviiie siècle.
73 T. VI, table 128 A, p. 320, nos 44 à 51, no 63, t. VII, p. 28.
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