L’Amérique latine et les Caraïbes dans l’intégration régionale : le cas du Mercosur1
p. 190-212
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur*
2L’Amérique latine et les Caraïbes disposent actuellement de plusieurs options réelles d’intégration et d’insertion externe : d’une part, l’approfondissement de l’intégration régionale et l’établissement de liens à travers les espaces sous-régionaux, et de l’autre, l’intégration hémisphérique à la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) ; ainsi qu’une relation prometteuse avec l’Union européenne et l’extension des liens économiques avec la zone Asie-Pacifique. Il est cependant important de reconnaître que l’Amérique latine et les Caraïbes n’ont toujours pas trouvé de cohésion adéquate dans leur position vis-à-vis de l’extérieur car, du fait de l’existence d’intérêts divers entre les pays et les sous-régions, la région n’agit pas sur la scène internationale en tant qu’entité. Ces différences s’expriment dans les processus de négociation qui sont multiples et dans lesquels on cherche à rendre compatibles l’intégration régionale et les projets de portée extrarégionale et multilatérale.
INTÉGRATION RÉGIONALE ET POSSIBILITÉS DE CONVERGENCE
3Il est vrai que l’intégration de l’Amérique latine et des Caraïbes est en train de prendre un essor et un dynamisme nouveaux qui contrastent avec les époques passées et qui se manifestent dans un échange commercial réciproque croissant, dans l’augmentation des investissements intra-régionaux et dans une plus grande participation au processus des secteurs économiques, des entreprises et des secteurs sociaux tels que les parlementaires, les travailleurs et les intellectuels. Chaque pays latino-américain ou des Caraïbes participe, à de rares exceptions près, à un ou plusieurs schémas ou accords d’intégration, que ce soit à des zones de libre-échange, à des unions douanières, à des marchés communs - engagements de nature et de profondeur diverses, à caractère bilatéral ou multilatéral. Malgré une telle diversité, on peut distinguer dans la région deux espaces économiques et géopolitiques élargis que l’on pourrait nommer " grandes zones de préférences ".
4La première de ces zones est l’espace élargi issu des différents accords qui engagent le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes. À cet espace correspondent les programmes d’intégration centraméricains que sont le Marché commun d’Amérique centrale et ses accords d’association avec le Panamá et le Belize ; les accords de libre-échange entre le Mexique et les pays d’Amérique centrale, ainsi que la Communauté des Caraïbes, élargie avec l’entrée récente d’Haïti. On doit en outre inclure à cette zone les préférences que la Colombie et le Venezuela accordent à l’Amérique centrale et aux Caraïbes, par des accords commerciaux et d’investissement.
5Un trait distinctif de cette zone : tous ces pays dirigent principalement leurs exportations vers le marché américain. De leur côté, les États-Unis sont leur plus grand fournisseur de matières premières, d’intrants et de technologies, raison pour laquelle la négociation avec les États-Unis apparaît comme la première de leurs priorités. Un autre trait à prendre en compte : l’approfondissement et l’élargissement de l’intégration du Mexique en Amérique latine et dans les Caraïbes. En effet, le Mexique profite indiscutablement de sa proximité géographique avec l’Amérique centrale et les Caraïbes, ce qui facilite les communications, les flux et les transports. De même, les multiples liens économiques, financiers et commerciaux qu’entretient cette sous-région avec le Mexique se sont accrus au cours des dernières années, résultat de la signature des accords de libéralisation commerciale et de coopération qui ont été signé au cours des années 1990. Dernier trait : l’action agglutinante que peuvent exercer, d’une part, l’Accord de libre-échange entre la Colombie, le Mexique et le Venezuela, connu comme le groupe des Trois, par l’intermédiaire de de ses programmes de coopération avec l’Amérique centrale et les pays du Marché commun des Caraïbes (Caricom), et, d’autre part, l’Association des États des Caraïbes (AEC) grâce à ses programmes de soutien à la libéralisation du commerce et au développement économique entre ses membres.
6L’autre espace économique élargi est l’Área de Libre Comercio de América del Sur (ALCSA, "zone de libre-échange d’Amérique du Sud"), où les progrès dans les négociations entre le Mercosur et le Chili d’un côté, et le Mercosur et la Communauté andine de l’autre, ont permis de fixer un accord-cadre qui reste encore à mettre complètement en œuvre. Quelles sont les caractéristiques les plus importantes de cette zone de préférence, qui englobe plus de 90 % du commerce entre les pays de l’Association latino-américaine pour l’intégration (Aladi) et les plus gros flux d’investissement intra-régionaux ?
7Tout d’abord, il s’agit d’une association d’accords d’intégration protégés par une norme juridique commune, négociée et structurée de manière institutionnelle à l’occasion du traité de Montevideo en 1980, et qui, de ce fait, peut servir d’instrument pour négocier de nouveaux accords avec l’Amérique centrale, les Caraïbes, le Mexique et même les États-Unis et le Canada. Deuxièmement, il s’agit de deux unions douanières qui, bien qu’imparfaites, ont la perspective de pouvoir avancer vers un marché commun qui leur permettrait d’améliorer leur position économique et de conserver leur identité à l’intérieur d’espaces élargis plus importants, comme pourrait l’être la ZLEA. Troisièmement, les partenaires qui partagent cette zone de préférences ont des intérêts différents quant à leurs priorités de négociation avec des pays tiers ou avec des regroupements d’États. Pour les pays andins, mais dans une moindre mesure pour le Pérou, le principal partenaire est les États-Unis, alors que pour les pays du Mercosur et le Chili, l’Union européenne et l’Asie-Pacifique font partie de leurs principales priorités économiques et commerciales. Il s’agit donc d’un espace élargi plus varié, dont les membres donneront un rythme différent à leurs négociations pour intégrer de nouveaux espaces.
8Il existe entre les deux grandes zones de préférences des liens qui sont nés progressivement et qui constituent une bonne base pour une future articulation. L’idée existe que les différentes sphères de relation externe sont, du moins en théorie, compatibles entre elles et complémentaires les unes des autres. En outre, pour l’ensemble des pays concernés, cette idée possède une valeur stratégique et ordonnatrice : d’un côté, le processus de mondialisation ; de l’autre, les intégrations régionale et sous-régionale ; entre les deux, le processus de négociation pour la constitution de la ZLEA. L’accélération des négociations hémisphériques implique un vrai dilemme pour les pays de la région. Ils doivent soit approfondir leurs processus d’intégration sous-régionale, à la manière européenne, pour avancer vers des formes supérieures d’intégration économique, sociale et culturelle, ou bien, au contraire, continuer à établir de nouveaux accords générateurs de zones de libre-échange qui devraient être absorbées par la création de la ZLEA.
9Dans cette perspective, l’objectif de ma recherche est de souligner le rôle que pourrait avoir le Mercosur, qui doit relever cinq défis : 1) approfondir le processus d’intégration lui-même en augmentant la cohésion interne ; 2) convenir de l’extension du schéma, surtout à l’échelle sud-américaine ; 3) avancer uniment dans les négociations de la ZLEA ; 4) préparer une zone de libre-échange interrégionale avec l’Union européenne ; et 5) établir un réseau d’interactions commerciales et économiques avec les pays de l’Asie-Pacifique.
10À cet égard, l’un des chemins est déjà exprimé dans la proposition initiale du Brésil d’établir la zone de libre-échange sud-américaine mentionnée plus haut, proposition reprise par le Mercosur, qui a exercé un effet d’attraction indéniable sur d’autres pays d’Amérique du Sud, se profilant comme un axe d’articulation de schémas sous-régionaux et d’autres accords. Comme on l’a noté, l’ALCSA est l’un des espaces économiques élargis qui pourraient se consolider dans le siècle naissant. Cet espace serait formé de la confluence de deux unions douanières : le Mercosur et la Communauté andine. Passons maintenant à l’analyse de chacune d’elles et à leurs relations réciproques, afin d’observer l’impact que cette nouvelle zone d’intégration sud-américaine pourrait avoir sur la région.
LES MÉCANISMES INTERNES DU MERCOSUR
11Le Mercosur a été créé en 1991 afin de constituer un espace géographique commun visant à améliorer les conditions de compétitivité et d’insertion dans le commerce international, et à favoriser la situation de ses quatre membres fondateurs dans un monde qui allait vers la globalisation totale de l’économie. En outre, dans ce monde globalisé, les protagonistes de la concurrence économique ne sont plus les États mais les blocs intégrés. Le 26 mars 1991, le traité d’Asunción est signé au Paraguay pour créer un marché commun entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Dans les premiers alinéas du traité, il est spécifié que l’extension des dimensions actuelles des marchés nationaux au travers de l’intégration constitue une condition fondamentale pour accélérer leurs processus de développement économique accompagné de justice sociale, à partir de l’évolution des événements internationaux, en particulier la consolidation de grands espaces économiques.
12L’article 3 signale que, durant la période de transition qui va de l’entrée en vigueur de ce traité jusqu’au 31 décembre 1994, sont adoptés : un régime général établissant les conditions que doivent remplir les produits originaires des États membres pour bénéficier du programme de libéralisation commerciale ; un système de solution des controverses, qui établit les procédures à suivre en cas de différends entre les États membres à la suite de l’application du traité ; et des clauses de sauvegarde, qui habilitent les États membres à appliquer des mesures de restriction à l’importation des produits bénéficiant du programme de libéralisation commerciale, dans le cas où ceux-ci nuiraient ou menaceraient de nuire gravement à leurs marchés.
13L’article 5 précise que les principaux instruments pour la création du Marché commun seront : un programme de libéralisation commerciale, qui consistera dans la baisse progressive, linéaire et automatique des tarifs douaniers, baisse qui s’accompagnera de l’élimination de barrières non tarifaires ou de mesures aux effets équivalents ; la coordination des politiques macroéconomiques, parallèlement aux programmes d’exonération douanière ; un tarif extérieur commun et l’adoption d’accords sectoriels dans le but d’optimiser les facteurs de production et d’atteindre d’importantes économies d’échelle.
14En outre, le traité établit clairement que la libre circulation des biens, services et facteurs de production entre les pays membres est l’objectif à atteindre à travers, entre autres mécanismes, l’élimination des droits de douane et des barrières non tarifaires à la circulation des marchandises, et de toute autre mesure équivalente. Il y est également proposé l’adoption d’une politique commerciale commune vis-à-vis d’Etats tiers ou de regroupements, et la coordination des positions lors de forums économiques, commerciaux, régionaux et internationaux. De même, on y encourage la coordination des politiques macroéconomiques et sectorielles entre les États membres, comme les politiques de commerce extérieur, agricoles, industrielles, fiscales, monétaires, de change et sur les capitaux, de celles concernant les communications et autres, afin d’assurer des conditions de concurrence adéquates en même temps que l’harmonisation des législations dans les domaines correspondants.
15Le traité d’Asunción, comme on l’a dit plus haut, n’a fait qu’inaugurer la période de transition vers la création d’un marché commun proprement dit, lequel a été mis en place le 31 décembre 1994. C’est à partir du protocole d’Ouro Preto signé en décembre 1994 que l’on a établi un tarif extérieur commun constitutif d’une union douanière imparfaite ou flexible, et qu’a débuté le passage à une union douanière plus perfectionnée. À cette fin, on a créé un régime dit d’adéquation tendant à éliminer peu à peu certaines barrières douanières réciproques encore en vigueur dans l’échange entre les quatre pays, en fixant des délais pour en finir avec certaines listes d’exceptions au tarif extérieur commun qui existaient toujours pour un groupe de produits spécifiques.
16La perspective qui a orienté la structure institutionnelle initiale du Mercosur a été de réduire au minimum les normes et les organismes constitutifs de l’accord. Par opposition aux lourdes structures institutionnelles qui caractérisent d’autres schémas d’intégration comme l’Aladi ou le Pacte andin, on a cette fois fait en sorte que les institutions s’étendent et deviennent plus complexes dans la mesure où l’élargissement objectif du Mercosur réel l’exigerait. Le traité a été homologué devant l’Aladi sous la forme d’un accord de complémentation économique le 21 janvier 1992. En accord avec ce qui est établi dans le traité d’Asunción, les organes de gouvernement du Mercosur durant la période de transition étaient les suivants :
- Le Conseil du Mercosur (CMC), son organe principal, est chargé de l’orienter politiquement et d’assurer l’accomplissement de ses objectifs. Il se réunit au niveau présidentiel et en présence des ministres de l’Économie et des Affaires étrangères des quatre pays.
- Le Groupe marché commun (CMC), organe exécutif de l’accord, est constitué des représentants ministériels de l’Économie, de la Banque centrale et des Affaires étrangères, coordonnés par le ministère des Affaires étrangères de chaque pays.
17En outre, durant la période de transition, onze sous-groupes de travail se sont attelés à l’étude des questions commerciales, douanières, des problèmes portant sur les normes techniques, les politiques fiscales et monétaires liées au commerce, au transport terrestre, et au transport maritime, sur la politique industrielle et technologique, la politique agricole, la politique énergétique et la coordination des politiques macroéconomiques. À ces dix sous-groupes initiaux s’est ajouté un groupe chargé d’étudier les conditions de travail, l’emploi et la sécurité sociale.
18Après la réunion d’Ouro Preto a eu lieu une restructuration des groupes de travail, avec la création des suivants : communications, industrie minière, règlements techniques, questions financières, transport et infrastructure, environnement, industrie, agriculture, énergie, travail, emploi et sécurité sociale. Il existe également une Commission parlementaire conjointe composée de représentants des quatre parlements nationaux. Le Conseil industriel a été créé lors de la première phase de fonctionnement de ce schéma, et il est composé de l’Union industrielle argentine, de la Confédération nationale de l’industrie du Brésil, de l’Union industrielle du Paraguay et de la Chambre d’industrie uruguayenne. Son objectif a été de canaliser le dialogue entre les entreprises autour des thèmes communs de l’intégration, en mettant particulièrement l’accent sur les aspects de la compétitivité industrielle. Après la réunion d’Ouro Preto, ce conseil s’est retrouvé intégré au Forum consultatif économique et social. Au cours de cette réunion, on a également opté pour un système institutionnel à la mesure des principaux opérateurs du Mercosur, mais dépourvu des piliers qui permettraient d’approfondir l’intégration, comme un tribunal et un parlement.
19Cependant, la consolidation du processus d’intégration exige une participation croissante de l’ensemble de la société, et à cet égard, la Commission parlementaire aussi bien que le Forum consultatif économique et social peuvent assurer une participation adéquate des secteurs impliqués. On a aussi ajouté au protocole d’Ouro Preto la Commission du commerce du Mercosur (CCM), qui s’occupe de l’application des instruments de politique commerciale commune tant au sein du Mercosur que vis-à-vis des pays tiers, et qui a la faculté d’établir des comités techniques pouvant absorber les tâches des sous-groupes de travail développés dans le domaine commercial, le Système de solution des controverses lui incombant également.
LES DIMENSIONS ÉCONOMIQUES DU MERCOSUR
Le commerce
20Nous allons revoir les principaux contenus commerciaux du Mercosur dans la période de transition pour ensuite revenir à la nouvelle étape inaugurée à partir du protocole d’Ouro Preto. Le programme de libéralisation commerciale a été particulièrement vaste et inclusif, en établissant des baisses progressives, linéaires et automatiques, des tarifs douaniers, baisses accompagnées de l’élimination de tout autre type de barrières non tarifaires ou de mesures aux effets équivalents. L’engagement d’arriver fin 1994 à un tarif zéro et à une totale libéralisation commerciale a été considéré comme tenu. Les listes d’exceptions ont elles aussi été assujetties à un calendrier de réduction automatique, qui a fonctionné à raison d’une diminution annuelle de 20 % des articles qui les composaient depuis le 31 décembre 1990.
21Les clauses de sauvegarde en matière commerciale ont été conçues pour être appliquées en cas de forte augmentation des importations. Elles ne limitent pas le volume des importations totales mais uniquement le quota de celles qui sont assujetties à la préférence douanière : l’excédent peut être importé, mais en étant soumis aux tarifs ordinaires. Les accords sectoriels tendent à renforcer l’échange de type intra-sectoriel industriel dans le processus d’intégration, mais ils ne peuvent invalider aucune clause de libéralisation commerciale en vigueur, et l’on envisage actuellement de les étendre au Paraguay et à l’Uruguay. Il faut noter que toutes les préférences faisant l’objet d’un pacte entre les pays membres du Mercosur et d’autres États non-membres devaient voir leur effet suspendu après le 31 décembre 1994, mais que ce délai a plusieurs fois été rallongé pour laisser du temps aux nouvelles négociations dans lesquelles le Mercosur agit en tant que bloc.
22À partir de janvier 1995, le tarif extérieur commun a été approuvé, dans une fourchette de 0 à 20 % (la moyenne s’établit autour de 11 %). Il inclut les listes d’exceptions nationales et les listes de base de convergence du secteur des biens d’équipement et du secteur de l’informatique et des télécommunications. Les exceptions représentent 12 % de l’univers tarifaire. En matière de biens d’équipement, un tarif maximum de 14 % a été fixé, avec des convergences ascendantes et descendantes (selon que les tarifs préalables sont en dessous ou au-dessus de cette limite) et des délais jusqu’en 2001 pour l’Argentine et le Brésil, et jusqu’en 2006 pour le Paraguay et l’Uruguay. En informatique et télécommunications, un tarif extérieur commun de 16 % maximum a été fixé, avec des convergences qui doivent être atteintes en 2006.
23Quant à la zone Interne de libre-échange entre les pays membres, on a convenu de listes de produits assujetties pour un temps défini à des droits ou à des taxes d’importation. Les produits inclus dans ces listes, qui représentaient moins de 10 % de l’univers tarifaire, bénéficient d’une réduction annuelle des taxes jusqu’à leur élimination totale. Le délai était de quatre ans pour l’Uruguay et le Paraguay. Ce système a été appelé Régime d’adéquation finale à l’Union douanière, et les baisses annuelles ont été appliquées à partir du tarif nominal en vigueur dans chaque pays à la date du 5 août 1994. Pour des produits provenant du Mercosur, le régime d’adéquation finale n’autorise en aucun cas la perception de droits de douane supérieurs à ceux appliqués à des produits provenant d’autres pays. Le tarif extérieur commun fonctionne ici comme plafond.
24L’avenir de l’échange du Mercosur dépendra de l’approfondissement du commerce intra-industriel et de l’établissement d’une participation équilibrée pour les membres économiquement plus faibles et plus petits. Entre l’Argentine et le Brésil, les produits manufacturés qui connaissent la croissance commerciale la plus dynamique sont les produits alimentaires, les produits chimiques, les machines et les équipements de transport.
25Il mérite d’être signalé qu’entre 60 et 70 % des investissements accumulés par les entreprises multinationales en Argentine et au Brésil sont précisément localisés dans les catégories mentionnées ci-dessus. Le commerce dans ces catégories a trois caractéristiques fondamentales : il est le plus dynamique, il correspond à un degré important intra-industriel et il concentre une très grande proportion du capital étranger localisé en Argentine et au Brésil.
26Le commerce global de la sous-région a connu une croissance à des taux très élevés, supérieurs à 15 % durant les sept premières années d’existence du Mercosur. L’essor du commerce entre les membres du bloc a été assez supérieur à celui enregistré pour le commerce avec les pays non-membres. Entre 1991 et 1997, les flux commerciaux hors zone ont doublé, alors que le commerce entre les membres du Mercosur s’est multiplié par quatre. Ainsi, les flux à l’intérieur de la zone constituent actuellement près du quart des exportations et plus de 20 % des importations totales de la sous-région, posant ainsi les bases d’une interdépendance effective entre les économies du Mercosur.
L’investissement étranger direct
27Pendant la période allant de 1990 à 1994, le Mercosur a reçu des flux d’investissement étranger direct (IED) s’élevant à 20,4 milliards de dollars, ce qui représente 44,3 % des 46 milliards de dollars investis en Amérique latine par l’Europe, les États-Unis et le Japon. De ces flux d’investissement reçus par le Mercosur pendant cette période, 24,8 % proviennent de l’Europe (23,5 % de l’Union européenne), 71,4 % des États-Unis et 3,8 % du Japon. On estime, d’après des données concernant les sommes réinvesties dans la région, que celles-ci s’élèvent, pour l’ensemble de l’Amérique latine, à un montant pouvant aller de moins de 1 % à plus de 10 % du total de l’IED reçu. Cette énorme différence se manifeste dans le cas de l’Argentine, dont le stock d’IED provenant de la région a été, en 1992, de 1,8 milliard de dollars (équivalant à 12,2 % du total de l’IED), et du Brésil qui, en 1994 a reçu de la région 0,3 milliard de dollars, c’est-à-dire 0,5 % du stock d’IED comptabilisé à cette date. L’évolution des flux de l’IED a confirmé, durant l’année 1997, l’importance du Mercosur en tant que pôle d’attraction mondial de capitaux étrangers. Il est important de signaler à ce sujet qu’entre 1994 et 1997, l’augmentation de l’IED dans la sous-région a été supérieure à 62 % par an2.
28Voyons à présent quelles sont les normes, approuvées par tous les membres du Mercosur, qui réglementent les rentrées d’IED. Le traitement de l’investissement étranger est réglementé par une série de protocoles. Le premier concerne les investissements provenant d’Etats n’appartenant pas au Mercosur, tandis que le deuxième se réfère à l’investissement provenant des États membres. Le protocole sur la promotion et la protection des investissements provenant d’États n’appartenant pas au Mercosur établit que ces capitaux ne seront pas traités de manière plus favorable que celle spécifiée dans le protocole en question, de façon à ce qu’aucun État membre n’accorde à des pays tiers plus de bénéfices ou de droits que ceux reconnus dans les normes de base convenues dans le protocole. Dans les propositions fondamentales, il est stipulé que chaque État membre accordera une pleine protection à ces investissements, pouvant les traiter de manière non moins favorable que les investissements provenant de son propre pays (traitement national) ou que les investissements provenant d’autres Etats (traitement de la nation la plus favorisée). Cependant, les investisseurs originaires de pays tiers ne bénéficieront d’aucun traitement, préférence ou privilège qui résulterait de la participation ou de l’association à une zone de libre-échange, à une union douanière, à un marché commun ou à un accord régional similaire. On crée de cette manière un cadre global de préférences pour les membres du Mercosur. Les investisseurs n’appartenant pas au Mercosur sont également exclus des accords internationaux dont ils ne font pas partie, lorsque ceux-ci sont partiellement ou totalement reliés à des problèmes d’imposition.
29En bref, ce protocole soulève deux questions fondamentales : la première est d’éviter que l’un des pays membres, dans son désir d’accroître les investissements directs dans son territoire, octroie des préférences impliquant une discrimination vis-à-vis des droits ou d’intérêts des autres pays membres du Mercosur ; et la seconde est de préserver un cadre de préférences spéciales qui ne soient pas applicables à des pays tiers et qui soient uniquement octroyées dans le cadre des accords d’intégration du Mercosur lui-même, ou dans celui d’autres accords auxquels ce schéma participerait. Afin de s’assurer que ces objectifs soient atteints, les États membres se sont engagés à échanger des informations sur les négociations à venir et sur celles en cours concernant des accords de promotion et de protection réciproque d’investissement avec des pays tiers. De même, ils doivent se consulter au préalable en ce qui concerne toute modification substantielle apportée au traitement général convenu.
30Par ailleurs, le protocole concernant la promotion et la protection réciproque des investissements dans le Mercosur établit que chacune des parties contractantes encouragera les investissements d’investisseurs provenant des autres parties contractantes, et qu’elle les admettra sur son territoire de manière non moins favorable que les investissements de ses propres investisseurs (traitement national) ou que les investissements réalisés par des investisseurs de pays tiers (traitement de la nation la plus favorisée), sans porter préjudice au droit qu’a chacune des parties de maintenir de manière transitoire des exceptions limitées correspondant à l’un des secteurs figurant dans le protocole. Pour conclure, les normes réglementant les investissements extérieurs au Mercosur octroient des préférences maximales qui ne peuvent être dépassées par les pays membres. À l’inverse, les normes réglementant les investissements à l’intérieur de la région octroient des préférences minimales qui peuvent être étendues par chacun des pays membres.
31Le Mercosur a également un régime préférentiel en matière d’entreprises mixtes. Celui-ci a été établi par le Statut d’entreprises binationales souscrit entre l’Argentine et le Brésil le 6 juin 1990. Sont considérées comme des entreprises binationales celles dans lesquelles au moins 80 % du capital et des votes appartiennent à des investisseurs de nationalité brésilienne ou argentine, leur assurant ainsi le contrôle réel et effectif de l’entreprise, où chacun des investisseurs nationaux possède au moins 30 % du capital et où les investisseurs nationaux de chacun des deux pays ont le droit de choisir au minimum un membre dans chacun des organes administratifs et fiscaux de l’entreprise.
La dimension socioprofessionnelle
32Le traité d’Asunción n’a pas intégré pleinement à ses normes les considérations d’ordre socioprofessionnel ; les aspects migratoires et professionnels n’y ont été inclus que de façon marginale du fait de la future mobilité du facteur travail, à mesure que l’étape du marché commun prendra plus d’ampleur. Cependant, l’omission ou la relative négligence de ces aspects a été très rapidement corrigée par la réglementation du traité. Une fois l’accord signé, les ministres du travail ont émis une déclaration dans laquelle ils reconnaissaient la nécessité de s’occuper des aspects professionnels et sociaux, afin que l’intégration corresponde à une amélioration effective des conditions de travail des pays membres, anticipant ainsi la création du sous-groupe de travail numéro 11 qui a été rendue effective au milieu de l’année 1992.
33Après la réunion d’Ouro Preto, ce sous-groupe est devenu le sous-groupe numéro 10 et a été restructuré sur la base de ces thèmes. L’état d’avancement de l’intégration dans le Mercosur a jusqu’à présent impliqué de privilégier les problèmes professionnels qui correspondent aux zones de libre-échange ou tout au plus d’union douanière. Le principal sujet de préoccupation est l’incidence du coût du travail (salaires plus apports additionnels) sur la compétitivité relative des différents pays membres au niveau de la nation, des secteurs et des entreprises. Les thèmes d’adéquation, de coordination et d’harmonisation des politiques de travail, de prévision et de sécurité sociale apparaîtront avec plus de vigueur quand les exigences propres à la progression du processus vers le stade de marché commun les amèneront naturellement sur la table des négociations. Il en sera de même en ce qui concerne l’examen des politiques migratoires ou l’examen comparatif des structures professionnelles, des diplômes ou du droit d’exercer des professions libérales dans un autre pays membre.
34Au fur et à mesure que l’on progressera vers la constitution d’un marché commun incluant la libre circulation des facteurs de production et des personnes, il sera nécessaire de constituer un espace social commun où seront respectés des seuils minimums de garanties et de droits dans les thèmes mentionnés ci-dessus pour les personnes originaires de l’un des pays du Mercosur se déplaçant dans un autre pays membre. Les démarches sont accélérées à ce sujet en vue de l’approbation d’un accord multilatéral concernant la sécurité sociale qui se trouve actuellement à un degré avancé d’élaboration.
LES RELATIONS AVEC LES PAYS SITUÉS HORS DE LA SOUS-RÉGION
Les pays associés : Chili, Bolivie
35Les pays d’Amérique du Sud dont les relations avec le Mercosur sont les plus dynamiques et les plus importantes sont le Chili et la Bolivie. En juin 1996, l’accord Chili-Mercosur a été signé malgré l’opposition de certains secteurs internes, en particulier celle des entrepreneurs de l’agriculture chilienne traditionnelle (photographie n° 4, p. 144). Ceux-ci ont protesté contre les termes de la négociation qui ne leur laissaient que le choix entre améliorer la compétitivité de leurs secteurs dans des délais impartis, ou bien se reconvertir. Malgré ces protestations, le gouvernement chilien a signé l’accord avec le soutien des chambres industrielles. La décision de s’associer avec le Mercosur, bien que de manière partielle, n’a été prise qu’après les retards et les doutes occasionnés par une éventuelle adhésion à l’accord de libre-échange.
36La Bolivie entretient des relations commerciales très importantes avec le Mercosur, tout particulièrement avec l’Argentine et le Brésil, et en décembre 1996, elle a signé un accord de libre-échange. Bien que la Bolivie soit pleinement membre de la Communauté andine, ses intérêts en matière de commerce et d’investissement sont très partagés au niveau régional, entre la Communauté andine et le Mercosur. L’adhésion de la Bolivie à cet accord est une manière de rendre compatibles le fait d’appartenir pleinement à la Communauté andine et le fait de pouvoir accéder de manière préférentielle au Mercosur. Le Mercosur propose comme voie de convergence un rapprochement avec les autres pays de l’Amérique du Sud fondé, d’une part, sur la proposition de créer l’ALCSA, et de l’autre, sur le maintien en parallèle des négociations entre le Mercosur et la Communauté andine à propos de la création d’une zone de libre-échange entre ces deux espaces. Si cette alternative prospérait, un pas décisif serait franchi dans l’ensemble des négociations nécessaires à la constitution d’une zone de libre-échange sud-américaine.
L’Union européenne
37L’autre réseau de relations est celui de la signature, en décembre 1995, de l’accord-cadre interrégional de coopération commerciale et économique entre l’Union européenne et le Mercosur, celui-ci étant le premier accord interrégional entre deux unions douanières basé sur le principe de réciprocité. Malgré son importance décisive, le thème commercial n’y constitue que l’un des engagements d’une gamme plus large ayant trait aussi bien aux autres aspects économiques qu’à des domaines d’ordre culturel et politique. L’accord se fonde sur le respect des parties à l’égard des principes démocratiques et des droits de l’homme tels qu’ils sont énoncés dans la "Déclaration universelle des droits de l’homme". Les parties s’engagent entre autres à augmenter et à diversifier leurs échanges commerciaux, à promouvoir la coopération économique afin de renforcer leur compétitivité internationale et d’encourager le développement technologique et scientifique ; à soutenir les objectifs du processus d’intégration du Mercosur ; à obtenir une collaboration plus étroite entre leurs structures institutionnelles respectives ; à approfondir les liens de coopération en matière de formation, d’éducation et de culture ; à lutter contre le trafic de drogue ; etc.
38On a ainsi entamé un processus visant, en ce début de xxie siècle, à créer une zone de libre-échange où, compte tenu de la politique agricole commune menée par l’Union européenne, la première difficulté consiste à mettre en place des processus de libéralisation commerciale dans le domaine de l’agriculture. Comme nous le savons, l’Union européenne est le principal partenaire commercial du Mercosur. Les relations commerciales avec l’Union européenne sont en effet plus importantes qu’avec les États-Unis : environ 28 % du commerce du Mercosur se fait avec l’Union européenne, alors que 17 % seulement se fait avec les Etats-Unis. De même, le Mercosur reçoit environ 70 % des investissements de l’Union européenne en Amérique latine et le plus grand pourcentage du stock d’investissements directs dans Mercosur provient de l’Union européenne : 36 % contre 32 % en provenance des États-Unis. Ces chiffres contrastent avec ceux de l’ensemble de l’Amérique latine où prédominent les relations avec les États-Unis, principalement en raison de l’intensité des liens commerciaux et, en termes de capitaux, entre le Mexique ou le Venezuela - quoique celui-ci dans une moindre mesure - et les États-Unis. Cependant, en matière d’investissement, les flux provenant des États-Unis pendant les années quatre-vingt-dix sont passablement plus élevés que ceux provenant de l’Union européenne, ce qui serait le signe d’un certain affaiblissement des liens économiques avec l’Union européenne en comparaison avec ceux entretenus avec les États-Unis.
La zone de libre-échange des Amériques
39Il faut également souligner le soutien apporté par le Mercosur à la constitution de la ZLEA. La ZLEA est le projet le plus ambitieux de l’histoire des relations hémisphériques, et elle fait partie d’un très vaste schéma incluant des actions dans d’autres domaines et pas seulement dans le domaine commercial. Le processus de négociation qui a débuté au mois de septembre 1998, après trois ans de travaux préparatoires, se déroule dans un contexte où les réalités sont très diverses et où divergent passablement les visions que l’on peut avoir de l’importance de cette initiative pour les relations économiques externes, actuelles et futures, des différents participants. Le commerce avec l’Amérique latine et les Caraïbes n’absorbe que 20 % du total des exportations nord-américaines, et le Mexique représente la moitié de ce pourcentage. En revanche, l’importance relative des relations économiques avec les États-Unis, comme nous l’avons déjà mentionné, varie énormément selon les pays et les sous-régions d’Amérique latine et des Caraïbes, allant d’une proportion de l’ordre de 80 % pour le Mexique et les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, à 60 % dans le cas des pays andins et seulement 40 % pour le Mercosur. Par conséquent, la ZLEA ne représente pas les mêmes implications pour les 34 pays qui participent à ce processus, et leurs intérêts et objectifs vont différer à mesure que l’on progressera dans la définition des engagements qui constitueront l’accord.
40Les États-Unis prétendent, avec la ZLEA, faire en sorte que les normes et les politiques des pays de l’hémisphère soient compatibles avec une zone de libre-échange ne se limitant pas au flux commercial de biens, mais tendant à libéraliser et à égaliser les normes internes comme celles qui concernent les achats gouvernementaux, les services, les investissements et la concurrence. Le point de départ de cet objectif d’ouverture et d’égalisation des normes et des politiques internes est celui qui existe aux États-Unis dans tous ces domaines. En ce qui concerne le traitement avec les partenaires économiques et commerciaux, l’objectif est en outre d’obtenir le traitement de la nation la plus favorisée et d’élargir les niveaux d’ouverture en vigueur au sein de l’OMC. Les ensembles sous-régionaux comme le Mercosur ou la Communauté andine, qui établissent des traitements préférentiels en faveur de leurs membres sont, du point de vue de la globalisation hémisphérique, considérés comme des obstacles au nivellement auquel devrait parvenir la ZLEA. Celle-ci est donc destinée à dépasser, à harmoniser et à faire converger tous les efforts d’ouverture et d’intégration antérieurs, et surtout ceux dont l’intensité et l’étendue sont inférieures à celles dont on a convenu dans la ZLEA.
41Du point de vue des États-Unis, l’absence d’autorisation de négocier par la voie rapide, fast track, n’est pas un obstacle à l’avancement du processus, puisque cette méthode accélérée n’est utilisée que pour forcer le Congrès à ratifier sans amendements les accords internationaux impliquant des changements dans la législation interne des Etats-Unis. C’est le cas, par exemple, d’une modification des tarifs douaniers ou de mesures para-tarifaires, ou bien de la mise en place de subventions agricoles, de normes et de procédures en matière d’antidumping ou de sanctions unilatérales prévues par la section 301 de la législation commerciale des États-Unis. Autrement dit, le fast track est nécessaire pour ce qui est des intérêts de l’Amérique latine et des Caraïbes (meilleur accès au marché des États-Unis, parité avec l’Aléna, garanties de non application de mesures unilatérales), alors qu’il n’est pas nécessaire pour les États-Unis, étant donné qu’ils aspirent à ce que les pays d’Amérique latine et des Caraïbes modifient leurs normes et leurs politiques internes3.
42Les relations avec le principal marché de l’hémisphère sont d’une importance toute particulière pour le Mercosur. En juin 1991, ses membres ont signé avec les États-Unis un accord sur le commerce et sur l’investissement, appelé "Accord du Jardin des Roses 4+1", établissant un conseil consultatif et un vaste programme de négociations. À partir de décembre 1994, le programme commercial de l’accord 4+1 a été intégré aux négociations hémisphériques inaugurées lors du Sommet des Amériques. Pour les pays du Mercosur, le processus hémisphérique n’est pas seulement important pour le contenu du programme des négociations, mais également pour des raisons de procédure. Le fait de s’engager à créer la ZLEA sur la base des accords sous-régionaux et bilatéraux existants est compatible avec différentes formes institutionnelles et procédurales. La thèse soutenue par le Brésil, et partagée par les autres membres du Mercosur, est que l’intégration hémisphérique doit se faire par l’approfondissement et la convergence des accords sous-régionaux et non pas en adoptant de nouveaux engagements qui se superposeraient aux accords déjà conclus au niveau sous-régional, d’une part, et au niveau global (OMC), de l’autre.
43En ce qui concerne l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Mercosur tente de garantir la compatibilité de ses réglementations avec les dispositions du GATT 1994 et avec celles des accords issus du Cycle de l’Uruguay à propos des négociations commerciales multilatérales. Pour ce faire, il a activement collaboré aux travaux du groupe de travail sur le Mercosur et programme les actions de coordination nécessaires à la participation des Etats membres aux activités de l’OMC, tout particulièrement en ce qui concerne les nouvelles négociations qui pourraient avoir lieu sur la base des accords approuvés à Marrakech. Pour ce qui est de l’Aladi, l’objectif est de consolider la politique commerciale commune, de façon à substituer la pluralité des accords bilatéraux en vigueur par des accords qui préservent le tarif extérieur commun comme instrument central de la politique commerciale, qui favorisent ainsi l’expansion des courants commerciaux et qui réaffirment le Mercosur en tant qu’espace d’intégration ouvert.
44La constitution de l’union douanière et la personnalité juridique de droit international ratifiée dans le protocole d’Ouro Preto autorisent le Mercosur à négocier des accords avec des pays tiers, des blocs économiques et des organismes internationaux. De même, l’existence d’une politique commerciale commune exigera l’action conjointe lors de forums internationaux. Dans les zones où n’existe pas de politique commune, on mettra l’accent sur le maintien de la coordination établie par le traité d’Asunción.
La communauté andine
45En août 1966, les chefs des gouvernements de la Colombie, du Chili, du Venezuela, de l’Equateur et du Pérou ont signé la Déclaration de Bogota, dans laquelle ils ont instauré une coopération économique entre eux et établi les bases juridiques de l’intégration sous-régionale du Croupe andin ainsi que d’importantes indications en faveur des pays dont le développement économique était relativement plus faible. En 1969 a été signé l’accord de Carthagène qui a donné naissance au Groupe andin à partir de l’expérience frustrée de l’ALALC ("Association latino-américaine de libre-échange") et d’un sentiment d’appartenance à une sous-région ayant certaines caractéristiques communes lui permettant de progresser plus rapidement dans le processus d’intégration. Les pays du Groupe andin, à l’exception du Paraguay et de l’Uruguay, regroupaient les pays petits et moyens qui avaient fait partie de l’ALALC et qui avaient constaté, après cinq années de fonctionnement, que les bénéfices allaient surtout aux trois pays les plus grands, l’Argentine, le Brésil et le Mexique. En outre, il paraissait difficile, en raison des caractéristiques de l’Association, qu’elle soit autre chose qu’une zone de libre-échange soumis à des mécanismes de marché qui affecteraient les plus faibles.
46Le Pacte andin, contrairement au traité de Montevideo, n’établissait pas la création d’une zone de libre-échange, mais celle d’une union douanière qui devait être achevée dans un délai de dix ans, ainsi que l’adoption d’un régime de planification conjointe, sans règles et sans dates spécifiques préétablies. En outre, l’accord prévoyait un programme de libéralisation automatique et linéaire comprenant l’ensemble des produits, qui devait culminer par la libéralisation totale dans un délai de dix ans, contrairement au traité de Montevideo dont le programme de libéralisation comprenait trois mécanismes, des listes nationales, communes, et spéciales. L’accord de Carthagène a également établi l’harmonisation des politiques d’encouragement à l’industrie, ainsi que l’adoption et l’exécution conjointe de programmes sectoriels de développement industriel. On donnait au mécanisme de la programmation un rôle fondamental dans la stratégie d’industrialisation. Cependant, au cours des années quatre-vingt, la crise économique qui a dévasté les pays latino-américains s’est répercutée sur les processus d’intégration, lesquels ont subi de profondes transformations étant donné l’impossibilité d’appliquer les mécanismes prévus dans les différents regroupements sous-régionaux.
47Au début des années 1990, les gouvernements des pays ayant signé l’accord de Carthagène ont décidé d’accélérer le processus d’intégration, se fixant comme cible la constitution d’une union douanière pour 1995. À cette fin, il a été convenu d’éliminer les taxes tarifaires et non tarifaires qui affectaient le commerce réciproque et d’avancer dans la définition d’un tarif extérieur commun qui serait adopté par la Colombie, le Pérou et le Venezuela et, plus tard, par la Bolivie et l’Équateur, ceux-ci devant d’abord restructurer leur base industrielle afin d’améliorer leur compétitivité et de pouvoir mieux profiter du marché élargi. Ces changements ont introduit d’importantes réformes visant à une ouverture générale des économies au commerce international, tout en laissant un espace pour des préférences douanières entre les pays membres pouvant aller de 10 % à 20 % en fonction du montant du tarif extérieur commun. De même, l’investissement étranger serait facilité et la libre circulation des capitaux sous-régionaux serait stimulée au moyen de normes communautaires. À partir de l’application des accords issus de l’Acte de Trujillo (mars 1996), les institutions et les échanges réciproques de biens et de services, ainsi que les relations externes de la communauté ont été consolidés et perfectionnés.
48En ce qui concerne les échanges à l’intérieur de la sous-région, les exportations de biens des cinq pays vers le marché andin ont dépassé, en 1997, le chiffre de 5,4 milliards de dollars, c’est-à-dire qu’elles ont atteint un taux de croissance moyen de 15 % par rapport à 1996. À l’exception de la Bolivie, tous les pays ont augmenté leurs ventes aux partenaires andins et, en particulier, l’axe Colombie-Venezuela a représenté plus de 45 % du total des exportations en 1997, bien que l’Equateur et le Pérou aient aussi grandement amélioré leur position sur le marché andin. Ainsi, le marché andin élargi représentait alors plus de 11 % du total des exportations de ces pays dans le monde et presque 20 % du commerce au sein de l’Aladi. Quant au commerce des services, l’adoption par les pays andins du Cadre général pour la libéralisation progressive de ce segment du marché commun vise à accéder à la libre circulation des services vers l’an 2005. Il s’agit d’un instrument établissant un ensemble de principes et de normes pleinement compatibles avec ceux de l’OMC, qui englobent tous les aspects des services, tels ceux ayant trait aux banques, aux assurances, au transport maritime, au tourisme, à l’informatique, aux cabinets-conseils, à l’ingénierie, etc. Des principes tels que la garantie d’accès au marché, le traitement de la nation la plus favorisée et le traitement national constituent la base de sustentation de cette importante réglementation, qui renforce d’ailleurs la capacité de négociation de ce processus d’intégration à l’échelle internationale (OMC) et hémisphérique (ZLEA).
49En ce qui concerne l’investissement étranger direct dans la Communauté andine, celui-ci était de l’ordre de 1,2 milliard de dollars en 1990 et a atteint 14,1 milliards en 1997, ce qui représente une augmentation de facteur douze pour la période allant de 1990 à 1997. La Colombie est le pays andin qui a reçu l’investissement étranger le plus important. L’investissement étranger à l’intérieur de la Communauté, pendant cette même période, a tendance à augmenter dans tous les pays membres. En Bolivie, il est passé de 1,6 million de dollars en 1990 à 20,4 millions en 1997 ; en Colombie, ces investissements sont passés de 3 millions à 160 millions en 1995, et ont diminué les deux années suivantes ; l’Equateur est passé de 0,6 million de dollars en 1990 à presque 10 millions en 1997 ; le Pérou a enregistré en 1990 et en 1991 des baisses d’investissements alors qu’en 1995, ils ont été de l’ordre de 20 millions de dollars, accusant une baisse au cours des deux années suivantes ; enfin, le Venezuela est passé d’une baisse d’investissements en 1990 à 9,7 millions de dollars en 1997. Pris individuellement, le plus grand investisseur andin en Bolivie est le Pérou ; en Colombie, la plus grosse partie de l’investissement intra-communautaire vient du Venezuela et de l’Equateur ; et en Equateur, au Pérou et au Venezuela, il vient de Colombie4.
50Pendant le sommet de Cuayaquil, les 4 et 5 avril 1998, les présidents andins ont adopté un ensemble de directives visant à construire un marché commun vers l’an 2005, basé sur la liberté d’échange des biens et des services, sur la libre circulation des facteurs de production, sur la création en commun de projets de développement frontalier, l’intégration des marchés financiers et du capital, la progression vers la coordination des politiques macroéconomiques et sur la conception d’une politique extérieure commune projetant la Communauté andine au niveau international.
51À partir de 1999, des normes communautaires ont été adoptées au sujet de la promotion et de la protection des investissements entre les pays membres. La réglementation communautaire en matière d’investissements étrangers a été actualisée en tenant compte des nouveaux standards et des développements internationaux qui ont eu lieu dans ce domaine. Un des aspects les plus remarquables de ces accords, est qu’ils visent à progresser fermement vers la coordination et la convergence des politiques macroéconomiques, sociales, professionnelles, migratoires et, de manière générale, de tous les domaines de l’intégration.
52Vis-à-vis de l’extérieur, la Communauté andine a développé d’importantes activités : d’une part, elle a fait avancer les négociations avec le Mercosur afin de constituer une zone de libre-échange entre les deux espaces. Dans ce but, les préférences actuelles faisant partie du patrimoine historique de l’Aladi ont été appliquées. L’importante augmentation des échanges entre les deux processus d’intégration au cours des dernières années est un signe des potentialités et des opportunités économiques qui vont naître d’une zone de libre-échange entre les deux groupes. Par ailleurs, parmi les négociations internationales et les activités visant à améliorer le contexte externe et tout particulièrement l’intégration de la Communauté andine dans l’économie et les négociations internationales, il faut souligner le Forum euro-andin qui a eu lieu à Londres en 1998 et qui a donné lieu à une rencontre de grande portée entre les représentants des secteurs économiques, financiers, commerciaux et sociaux liés aux deux processus d’intégration, lesquels ont ainsi pu connaître les possibilités de la Communauté andine en tant que marché unifié en expansion.
53Dans le domaine des relations externes, on fera également avancer les négociations avec le Marché commun d’Amérique centrale et l’Association des États de la Caraïbe dans le but d’établir dans le plus bref délai possible d’importantes relations avec ces pays. Un accord avec les États-Unis concernant la création d’un conseil pour le commerce et les investissements a également été lancé, ainsi qu’un accord-cadre avec le Canada, en vue de la promotion du commerce, des investissements et de la coopération dans différents secteurs, tels la santé, l’éducation, la culture, la science, la technologie et la protection de l’environnement.
Les relations Mercosur-Communauté andine
54Le 16 avril 1998, les pays membres de la Communauté andine et les pays du Mercosur ont signé à Buenos Aires un accord-cadre en vue de la création de la zone de libre-échange entre les deux accords d’intégration. L’accord-cadre pour la création d’une zone de libre-échange entre le Mercosur et la Communauté andine partait de la considération qu’il était nécessaire de renforcer et d’approfondir le processus d’intégration de l’Amérique latine, celle-ci étant l’un des instruments essentiels pour que les pays de l’Amérique latine puissent poursuivre leur développement économique et social et garantir ainsi une meilleure qualité de vie à leurs populations... que la formation de zones de libre-échange en Amérique latine constitue un élément important pour rapprocher les processus d’intégration déjà existants, en plus du fait que c’est une étape fondamentale dans le processus d’intégration et dans l’établissement d’une zone de libre-échange hémisphérique : la ZLEA.
55Les objectifs de l’accord sont : créer une zone de libre-échange entre les pays contractants au moyen de l’expansion et de la diversification de l’échange commercial, ainsi que de l’élimination des charges et des contraintes qui affectent le commerce réciproque ; établir le cadre juridique et institutionnel de coopération et d’intégration économique et physique qui contribue à la création d’un espace économique élargi tendant à faciliter la libre circulation des biens et des services et la pleine utilisation des facteurs de production dans des conditions de concurrence et d’équité correspondant à l’effort réalisé par les parties contractantes ; promouvoir le développement et l’utilisation de l’infrastructure physique, en mettant particulièrement l’accent sur l’établissement de couloirs d’intégration qui permette de diminuer les coûts et de générer des avantages compétitifs dans le commerce régional et avec des pays tiers n’appartenant pas à la région ; établir un cadre normatif afin de promouvoir et de stimuler les investissements réciproques entre les agents économiques, d’encourager la complémentation et la coopération économique, énergétique, scientifique et technologique, et de coordonner les positions des deux parties contractantes dans le processus d’intégration hémisphérique et dans les forums multilatéraux.
56En ce qui concerne la libéralisation commerciale, on constate un processus en deux étapes. Dans la première, on a envisagé la négociation d’un accord de préférences douanières englobant les produits de ce que l’on appelle le patrimoine historique de l’Aladi, et incluant de nouveaux produits, accord qui est entré en application le 1er octobre 1998, remplaçant ainsi les accords de portée limitée qui existaient entre les pays du Mercosur et de la Communauté andine. Cet accord est régi par les règles commerciales en vigueur dans le cadre de l’Aladi. La deuxième étape, comprise entre le 1er octobre 1998 et le 31 décembre 1999, impliquait la négociation d’un accord de libre-échange incluant les produits pris en compte dans l’accord préférentiel mentionné ci-dessus, ainsi que les autres produits de l’univers tarifaire. Cet accord est entré en vigueur le 1er janvier de l’an 2000.
57Quant à la coopération économique et commerciale, l’accord stipule entre autres actions la promotion de réunions d’entreprises, l’encouragement des activités de promotion et de développement du commerce, l’échange d’informations sur de multiples aspects, la promotion de la complémentarité et de l’intégration industrielle, de possibles accords de protection et de promotion d’investissements, la non-acceptation de la double imposition, ainsi que le développement d’actions conjointes dans le domaine de la recherche scientifique et technologique.
58Cet accord entre les deux sous-régions constitue plus de 50 % du commerce des pays de l’Aladi et la plus grande partie des investissements interrégionaux ; la valeur des exportations réciproques entre la Communauté andine et le Mercosur a atteint le surprenant chiffre record de 6,045 milliards de dollars en 1997, qui dépasse de 26 % le montant enregistré l’année précédente, qui était de 4,789 milliards de dollars5. Cet accord pourrait avoir, dans un futur immédiat, une influence déterminante sur l’articulation des processus et des accords d’intégration existant en Amérique latine et dans les Caraïbes, en tant que base fondamentale pour améliorer la position négociatrice de la région dans les tractations de la ZLEA.
CONCLUSION
59Comme nous l’avons signalé dans ce chapitre, chaque pays latino-américain participe à un ou plusieurs schémas d’intégration, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux. Malgré leur diversité, il est possible d’entrevoir la formation de deux espaces économiques et géopolitiques en Amérique latine :
- L’espace élargi des accords du Mexique, de l’Amérique centrale et des Caraïbes, dont le trait distinctif est, outre la proximité géographique et historique avec les États-Unis, l’étroite relation que ces pays entretiennent avec celui-ci, en tant que principal marché d’exportation et principal fournisseur de la région pour ce qui est des biens, des services et des matières premières.
- L’espace situé en Amérique du Sud, dont Mercosur constitue le noyau et où se tissent des accords avec le Chili et la Communauté andine, lesquels sont déjà remarquablement avancés.
60Le trait distinctif de cet espace, outre la proximité géographique et historique des États qui le composent, est le fait que ses liens ne sont pas centrés sur un seul pays. Au contraire, il se sont diversifiés, puisqu’ils touchent l’Union européenne, l’Asie-Pacifique, les États-Unis et la région latino-américaine elle-même. L’existence de ces deux espaces permet de comprendre l’importance qu’ils revêtent dans les processus de négociation d’accords de plus grande envergure, comme par exemple la ZLEA, voulue par les États-Unis. En effet, dans la mesure où ses marchés sont diversifiés, l’Amérique du Sud joue un rôle déterminant dans la bonne marche des négociations en vue de la création d’une zone de libre-échange à l’échelle du continent. En revanche, le Mexique et le bassin caraïbe dans son ensemble ne semblent servir que de soutien aux États-Unis, puisque chaque pays de la zone souhaite avant tout conserver les avantages qu’il tire du marché américain.
Notes de bas de page
1 Une première version en espagnol de ce texte a été publiée dans Rosa Maria Piñón, Coordinadora, Uniones monetarias e integración en Europa y las Américas, UNAM y Delegación de la Comisión Europea en México, 2000, pp. 395-420.
2 Intal, Rapport Mercosur, n° 4, janvier-juin 1998, résumé, p. 2.
3 Sela, Reflexiones de la Secretaría Permanente sobre la Dinámica de las Relaciones Externas de América Latina y el Caribe, noviembre de 1998, p.1 et 2.
4 Secrétariat général de la Communauté andine, Inversión extranjera directa anual en la Comunidad Andina, 1990-1997, SG/ 116, 20 de octubre de 1998, p.3.
5 Aladi/Sec/di 1051/Rev.3, 10 de septiembre.
Notes de fin
* Universidad autónoma metropolitana, unité Xochimilco. Traduction : Valérie Juquois et Stéphanie Fellay.
Auteur
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