Migrants et Indiens : une autre façon d’être transfrontalier entre Mexique et États-Unis
p. 153-163
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur*
2Parler de la population migrante mexicaine qui se trouve de part et d’autre de la frontière séparant le Mexique des États-Unis consiste à faire référence à tous les migrants de nationalité mexicaine quelles que soient leurs origines sociale, régionale ou ethnique. Or, outre une diversité qui tient aux trajectoires individuelles, cette population migrante reflète la variété mexicaine et on y retrouve des représentants des 32 Etats qui forment le Mexique ainsi que des 59 groupes indiens dont les membres se distinguent parce qu’ils sont des locuteurs de langues parlées avant la colonisation espagnole.
3Cependant leur répartition n’est pas proportionnelle au pourcentage national pour des raisons historiques liées à l’ancienneté de la migration. Cette population migrante présente donc une hétérogénéité à la fois géographique, économique, sociale, ethnique et culturelle qui introduit des différences dans les comportements et dans l’adaptation des migrants. Je m’intéresserai ici aux variantes que produit l’origine ethnique en présentant d’abord la population indienne migrante du Mexique puis les aspects originaux de cette migration dans la région frontalière californienne, en particulier celle du groupe mixtèque et j’en analyserai les causes.
LA POPULATION INDIENNE MIGRANTE EN QUELQUES CHIFFRES
4Les Indiens mexicains sont très peu représentés dans les États du nord du Mexique où ils constituaient 1,2 % de la population en 1995 (comptage intermédiaire de la population). Ils se trouvent surtout concentrés dans les États du sud du pays : Oaxaca (36,6 %), Yucatan (39,7 %), Quintana Roo (26,1 %) et Chiapas (25,1 %) (INEGI, 1995). Si l’on considère l’ensemble des Indiens du Mexique, environ 12 % des hommes et 21 % des femmes sont monolingues c’est-à-dire qu’ils ne parlent pas la langue officielle du Mexique, l’espagnol (INEGI, 2001). Par ailleurs leur niveau d’éducation est très bas puisque la moitié des femmes et presque le tiers des hommes n’ont aucune instruction.
5L’histoire de la migration des groupes ethniques suit de près celle des États : dans ceux du centre (Michoacan, Jalisco, Guanajuato, Zacatecas) la migration massive vers le nord et les États-Unis date d’une centaine d’années alors qu’elle en a au plus une trentaine dans ceux du sud (comme Oaxaca) même si des individus isolés sont partis travailler aux États-Unis dans le cadre du programme Bracero1 entre 1942 et 1964. Les plus anciens migrants indiens mexicains aux États-Unis (les purépechas) sont donc originaires du Michoacan et les plus récents viennent du Chiapas. Actuellement, les migrants indiens se répartissent dans tous les États-Unis : les travaux sur ce thème mentionnent des Purépechas en Caroline du Sud, en Illinois et en Californie, des Nahuas en Floride, au Texas et en Californie, des Chamulas et des Zapotèques en Californie, etc.2
6Côté mexicain, les plus nombreux sur la frontière nord sont les Mixtèques qui viennent de l’État de Oaxaca et de Guerrero. Ils migrent de façon saisonnière dans leur propre pays et on les rencontre aussi dans les plantations de café du Chiapas et du Tabasco, dans les champs de coton de Basse-Californie et de Sonora ou dans les champs de tomate de Sinaloa. Depuis la fin des années soixante, ils ont pris le chemin des zones agricoles de Californie où ils travaillent dans les régions d’agrumes et de fraises, mais on les trouve également dans l’Oregon, dans l’État de Washington, en Floride, en Pennsylvanie, dans l’Ohio, dans l’Illinois, principalement dans les zones agricoles. Ils se sont également établis dans les zones urbaines de la frontière nord du Mexique, notamment dans les villes de Tijuana, Mexicali ou Nogales. Les Mixtèques originaires de différents régions et/ou Etats se regroupent dans les mêmes quartiers, associés par les autres habitants à ce groupe ethnique et appelés "quartiers mixtèques" (colonia mixteca).
7Ces petites colonies sont des lieux de retrouvailles. En effet, si une grande partie des hommes travaille légalement aux États-Unis grâce à la loi "d’amnistie" de 1986, qui a légalisé 2,3 millions de travailleurs mexicains sans papiers (J. Durand, 1994 :139), leurs familles n’ont pas bénéficié de cette mesure. L’installation au Mexique permet donc à ces migrants de vivre avec leur famille tout en travaillant aux Etats-Unis, où les salaires sont beaucoup plus intéressants : une semaine de travail payée au tarif horaire minimum aux États-Unis rapporte plus qu’un mois dans une usine au Mexique. Ces "quartiers mixtèques" constituent aussi des tremplins migratoires : l’établissement massif de migrants mixtèques dans les villes frontalières mexicaines facilite le passage de leurs parents et de tous les membres de leur village auxquels ils offrent le gîte et le couvert, qu’ils aident à trouver un passeur ainsi qu’à se procurer la somme nécessaire pour traverser illégalement la frontière et qu’ils connectent au réseau familial ou villageois de migrants dans le pays voisin.
8Les Mixtèques résident également aux États-Unis de façon plus ou moins permanente, mais on ne dispose pas de chiffres détaillés sur cette migration. Seul un recensement réalisé par le California Institute of Rural Studies au début des années 1990 permet de se faire une idée de l’importance et de la mobilité de cette population. Pour l’été 1990, le CIRS a estimé que la population mixtèque constituait 5 à 7 % de la force de travail du secteur agricole dans l’État de Californie, c’est-à-dire presque 50 000 personnes (Rivera, 1998), alors qu’on comptait à la même époque 380 000 Mixtèques pour tout le Mexique (INEGI, 1992). Ces chiffres sont indicatifs et doivent être considérés avec précaution, autant ceux que fournit le recensement mexicain qui utilise la langue maternelle parlée comme critère d’appartenance à un groupe ethnique (ce qui pose le problème de l’identité ethnique de ceux qui soit ne parlent plus leur langue, soit ne veulent pas reconnaître qu’ils la parlent) que les données du CIRS qui ne tiennent pas compte des migrants mixtèques en zones urbaines et qui ne distinguent pas les proportions de migrants résidents et saisonniers ni le lieu de provenance de ces derniers (la frontière nord ? Oaxaca ? d’autres États ?). Une grande partie vient en effet de la Basse-Californie et non pas de l’État de Oaxaca. Je les considèrerai ici comme des transfrontaliers, au même titre que les migrants mixtèques qui vont et viennent quotidiennement entre les deux pays.
UNE AUTRE FAÇON D’ÊTRE TRANSFRONTALIER
9La transfrontérisation est un mode de vie caractérisé par une interaction continue entre des individus et des institutions appartenant à deux structures socio-économiques distinctes (ici deux nations) et se situant dans des lieux proches de la frontière (Alegría, 1989). La typologie du frontalier (borderlander) proposée par O. Martinez (1994) distingue trois types (mexicain, mexico-américain et anglo-américain), divisés ensuite en quatre ou cinq sous-catégories : les transfrontaliers ou commuters (ceux qui travaillent dans un pays et résident dans l’autre), les consommateurs binationaux (ceux qui font leurs courses dans le pays voisin), les biculturels et les binationaux vivant dans l’un ou l’autre des deux pays, et enfin les résidents d’une nation établis dans l’autre. Pour ma part, j’entends par migrant indigène transfrontalier toute personne qui se considère d’origine indigène, issue (ou dont les parents sont issus) d’un État mexicain, qui réside dans l’un des deux États frontaliers, Californie ou Basse-Californie et qui a des liens économiques, familiaux, culturels et sociaux des deux côtés de la frontière.
10Les migrants indigènes transfrontaliers, ici les Mixtèques, ont de nombreux points communs avec leurs compatriotes mexicains, et de façon plus générale avec les migrants internationaux3, à savoir les processus de déclenchement de la migration, l’organisation en réseaux familiaux et villageois qui permettent et facilitent le voyage et l’installation, les modèles d’établissement dans le lieu d’accueil sous la forme de "communautés-sœurs" où se retrouvent une partie des migrants issus du même village, le processus de sédentarisation des migrants saisonniers qui s’établissent dans le lieu de migration quand leur famille les y rejoint, etc. Cependant, la migration des indigènes présente aussi à mon sens deux aspects originaux dans la région frontalière californienne.
11Le premier est une exploitation socio-économique spécifique de l’espace transfrontalier. Les migrants mixtèques qui sont établis à Tijuana tirent principalement leurs revenus des États-Unis tout en résidant au Mexique, ce qui leur permet d’avoir un niveau de vie relativement élevé dans ce pays. Une enquête faite au début des années 1990 (Young, 1994) dans un quartier composé en grande partie de migrants mixtèques, a révélé qu’à l’inverse des autres migrants qui avaient profité de la légalisation de leur statut en 1986 pour s’établir aux États-Unis, les migrants mixtèques s’étaient quant à eux installés à Tijuana avec leur famille (en y achetant des maisons) tout en travaillant aux États-Unis : sept sur dix des hommes interrogés résidaient à Tijuana et travaillaient en Californie dont six à une heure de distance au plus de la frontière, ce qui permettait un va-et-vient quotidien (Young, 1994 :116). Ces chiffres sont bien loin du pourcentage moyen des transfrontaliers à Tijuana, dont à peine un sur dix était employé aux États-Unis tout en vivant au Mexique à la même époque (Alegría, 1989). Ce va-et-vient entre les deux pays s’apparente au modèle de vie des migrants mexicains durant le programme Bracero, modèle qu’ils ont abandonné dès 1964 en s’établissant aux États-Unis (Espinoza, 1998).
12Quant au travail des femmes4 et des adolescents, il est organisé lui aussi de façon à exploiter la richesse du pays voisin puisque la plupart vendent des objets décoratifs ou des bijoux aux abords de la frontière internationale. En grande partie à cause du rejet des vendeurs ambulants non-indiens qui ne veulent pas d’eux dans le réseau de marchés de la ville, les vendeurs mixtèques - et plus largement les vendeurs dont l’aspect et les traits physiques suggèrent une origine indienne - sont cantonnés à cet espace particulier de la ville de Tijuana, où on assiste à un chassé-croisé quotidien de milliers de touristes états-uniens et où la circulation des dollars est la plus dense. Ces vendeurs, surtout des femmes, constituent en quelque sorte le pendant symétrique de la stratégie suivie par des hommes transfrontaliers : les premiers gagnent leur vie, sans sortir du pays, en commerçant avec des Etats-uniens qui traversent eux-mêmes la frontière pour acheter des produits mexicains ; les seconds passent la frontière pour tirer profit eux aussi des capitaux états-uniens en travaillant dans des compagnies de services, dans des usines ou dans des zones agricoles.
13Le deuxième aspect original de la migration mixtèque est une mobilisation politique et sociale singulière qui se base à la fois sur l’dentité ethnique et sur la qualité de migrant, et qui exploite l’espace frontalier en coordonnant ses actions dans les deux pays à la fois, notamment dans les États de Californie et de Basse-Californie à travers quelques organisations (Velasco, 1999). En avril 1997, la plus médiatisée d’entre elles, le Front indigène oaxa-queño binational (FIOB)5, a été à la tête de plusieurs manifestations ayant lieu en Californie et s’opposant à la nouvelle loi contre l’immigration. Le FIOB y prenait part au nom de tous les migrants et se rattachait par ce geste aux migrants mexicains aux États-Unis. Par contre, en décembre 1997, la même organisation a organisé plusieurs marches, toujours aux États-Unis mais également dans le nord du Mexique, et a écrit une lettre aux présidents des deux pays ainsi qu’à certains sénateurs États-uniens pour demander que justice soit faite à la suite du massacre commis dans le village d’Acteal au Chiapas : elle se rattachait par ce geste aux Indiens du Mexique.
14Le FIOB défend donc les Indiens au Mexique qu’ils soient migrants ou pas, notamment ceux qui sont originaires de l’État de Oaxaca et plus particulièrement de la région mixtèque, tout en garantissant aussi les droits des Indiens en tant que catégorie face à l’État mexicain. Mais selon les événements, le FIOB défend aussi les migrants en Californie et aux États-Unis, qu’ils soient ou non indiens, jouant sur les différentes identités attribuées aux migrants indiens et assumées par ces derniers. Cette organisation fait partie du Congrès national indigène qui regroupe les organisations indiennes au niveau national et s’inscrit dans la construction d’un nouveau mouvement indien au Mexique en souhaitant que soient pris en compte les "acteurs ethniques" dans la société nationale6.
15Cette mobilisation politique dans l’espace frontalier s’accompagne d’une mobilisation sociale qui représente la couverture associative légale du FIOB. Officiellement, il s’agit d’une association à but non lucratif7, très ouvertement transfrontalière puisqu’elle est destinée à "promouvoir le développement et le bien-être des peuples indigènes de Oaxaca des deux côtés de la frontière", comme le dit la page Internet que l’organisation a ouverte en avril 1998. Les efforts de cette association, qui se font en étroite collaboration avec l’organisation politique, sont actuellement axés dans trois directions qui sont des thèmes porteurs aux États-Unis et pour lesquels il est relativement facile de trouver un financement et des aides, alors qu’ils ne provoquent aucun intérêt au Mexique : il s’agit des droits de l’Homme, des droits des minorités et des droits de la femme.
16On voit comment les migrants mixtèques, et plus généralement les migrants indiens oaxaqueños, tirent parti des avantages économiques, politiques et sociaux que fournissent les États-Unis pour améliorer leurs conditions de vie dans ce pays mais aussi au Mexique où ils avaient jusque là beaucoup de mal à se faire entendre. Finalement ce tremplin transfrontalier leur donne, individuellement et en tant que groupe ethnique, une assise matérielle ainsi que des appuis et une reconnaissance dont ils ne jouissaient pas dans leur pays d’origine où leur situation demeure précaire. Elle est même dangereuse pour les dirigeants des organisations indiennes, comme le soulignait en 1998 un communiqué de presse du FIOB qui disait "craindre un attentat contre la vie de nos compagnons A.P.S. et E.T .de J. [deux dirigeants importants de l’organisation]" de la part "des élites pristes8" de la région (communiqué Internet, 21/09/1998).
LES CAUSES HISTORIQUES DE CES ASPECTS SPÉCIFIQUES DE LA MIGRATION INDIENNE
17Ces deux aspects spécifiques de la migration indienne ont à mon sens deux causes historiques : l’institution de la communauté villageoise et le statut des Indiens au Mexique. Les migrants originaires d’un village, qu’ils soient ou non indiens, sont insérés dans les mêmes réseaux, à la fois villageois et familiaux : ils s’entraident dans les lieux de migration et conservent un lien très étroit avec leur village d’origine en finançant certains travaux d’amélioration. Les migrants mixtèques d’une communauté villageoise (et un grand nombre de migrants indiens) ont par ailleurs en commun un système de gouvernement local à la fois politique et religieux dont ils continuent de dépendre une fois émigrés et qu’ils transposent parfois dans les lieux de migration.
18D’une part, les membres d’une même communauté villageoise participent à la gestion de leur communauté d’origine : ils sont consultés par lettre ou par téléphone quand il y a des décisions importantes à prendre et ils sont amenés un jour ou l’autre à assumer des charges dans leur village, quelle que soit leur situation de famille ou de travail dans le lieu de migration. D’autre part, les membres d’une communauté villageoise émigrés dans un même lieu, se donnent éventuellement des autorités selon les règles qui régissent celles du village d’origine, créant alors une réplique du système politico-religieux du lieu de départ au-delà des frontières nationales. L’institution de la communauté villageoise indienne forme ainsi une sorte de micro-État dans l’État avec ses règles propres qui procure aux migrants une structure sécurisante, indépendante des États-nations et facilite beaucoup leur insertion socio-économique locale9.
19Le deuxième facteur à l’origine de la différence entre migrants indiens et non-indiens est à mon sens le statut des Indiens au Mexique. Bien qu’étant les descendants des populations précolombiennes par ailleurs admirées, ils sont méprisés et laissés pour compte par les gouvernements et nombre de leurs concitoyens. Or, leur passage aux États-Unis ne modifie pas fondamentalement la nature de leurs relations aux autres. D’une part, parce que la discrimination et la marginalisation que les migrants indigènes peuvent rencontrer dans leur pays d’accueil font d’une certaine manière déjà partie de leur représentation de la société et de leur propre identité. D’autre part, parce que les migrants indigènes ont fait auparavant l’expérience de l’altérité dans une situation de domination ; en effet ils la subissent aussi dans leur pays d’origine et ils ont forgé des réponses communautaires pour y répondre. Cela explique la relative indifférence des Indiens face au franchissement de la frontière nationale, mais surtout leur rapidité à mettre à profit des éléments des deux pays. Cela explique également le comportement différent des migrants mexicains non-indiens : eux font pour la première fois cette expérience de l’altérité dans une situation de domination doublée de discrimination raciale et ils s’en trouvent plus démunis individuellement et collectivement.
20L’institution de la communauté villageoise indienne et la stigmatisation de l’Indien au Mexique ont donc favorisé l’élaboration de stratégies de résistance que les groupes ethniques utilisent depuis plusieurs siècles dans leur région d’origine (Nagengast et Kearney, 1990). Ce sont ces mêmes stratégies, réaménagées, qui servent de nouveau aux migrants confrontés à des environnements étrangers peu bienveillants envers eux, comme le sont la société états-unienne ou la société frontalière mexicaine, et qui expliquent la rapidité de leur adaptation à l’espace frontalier. Ces stratégies ont pour base la cohésion des membres de la communauté villageoise qui représente la clé de la différence entre les comportements des Indiens mexicains et de leurs compatriotes non-indiens comme le souligne Y. Le Bot (1995), pour qui "la principale spécificité du paysan indien consiste à être plus communautaire que les autres paysans".
21Mais il faut souligner que cette cohésion est maintenue en partie par la coercition : celui qui ne participe pas aux affaires locales, soit financièrement, soit en donnant de sa personne, se voit menacé de perdre sa maison et la terre qu’il cultive. Cependant les stratégies d’adaptation à l’espace transfrontalier ont intégré les différents thèmes porteurs évoqués plus haut et reprennent à leur profit les diverses facettes de l’image de l’Indien : par exemple, la vente d’artisanat à des touristes États-uniens sur la frontière mexicaine exploite celle de "l’Indien folklorique" alors que pour faire réagir les gouvernants et les ONG états-uniennes, les organisations politiques et sociales mettent en avant celle de "l’Indien exploité".
FRONTIÈRES ETHNIQUES ET NATIONALES
22Il est fréquent que les groupes indiens ne reconnaissent pas les frontières des États-nations : c’est le cas des Kikapoos divisés par la nouvelle frontière établie entre Mexique et États-Unis au milieu du xixe siècle (Noria Sánchez, 1995), mais aussi celui des Mapuche, pour lesquels la nationalité chilienne ou argentine est sensée ne pas avoir d’importance10. Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, les groupes indiens des Amériques ont inventé de nouveaux espaces géopolitiques indiens, tel celui de l’Amazonie indienne avec la Coica (Confédération d’organisation indiennes du bassin amazonien), ou celui des "Inuits" qui occupent un territoire continu (les côtes arctiques) dépendant de quatre nations distinctes et dont les populations se connaissaient sous des noms divers jusqu’aux années 1960. Les uns et les autres tentent de renforcer leur unité par-delà les nations, en particulier pour s’opposer aux projets de multinationales (Morin et Saladin d’Anglure, 1997) et pour lutter contre les politiques d’assimilation des États (comme l’a été l’indigénisme au Mexique).
23La migration des Mixtèques vers le nord du Mexique et les États-Unis les a conduits à une situation similaire à celle de ces groupes dont le territoire a été divisé par des frontières nationales, à savoir l’existence de réseaux familiaux, villageois et ethniques qui relient plusieurs États de deux nations et la volonté politique d’exister en tant que groupe ethnique (Kearney, 1986 et 1991) afin de constituer un interlocuteur de poids au niveau national et international. Le contact avec un autre système économique, politique et juridique fondé sur des valeurs différentes de celles de leur pays d’origine ainsi que la pratique de ce système et les facilités matérielles qu’il leur procure leur permet d’améliorer leurs conditions de vie dans leur pays d’accueil et dans celui d’origine. À leurs yeux, la frontière ethnique représente une rupture plus profonde que la frontière nationale, autant parce que les populations non-indiennes les renvoient souvent à leur particularité ethnique (individuellement et collectivement, dans les médias et dans les quartiers de résidence) que parce qu’eux-mêmes la revendiquent et s’en servent comme d’un outil politique, et ce quelle que soit la nation où ils résident et se mobilisent.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Programme instituant des contrats de main-d’œuvre saisonnière entre les deux pays.
2 Voir Rus et Guzman (1996), Anderson (1997), Klaver (1997), Rivera (1997).
3 Voir Lopez Castro (1986), Rouse (1989, Massey et al. (1987), Durand (1994), goldring (1996), etc.
4 Voir L. Velasco, 1993, 1995.
5 De 1991 à 1994, Front mixtèque zapotèque binational, du nom de deux groupes ethniques de l’État de Oaxaca.
6 Le Bot (1994), Recondo (1996).
7 Le Centre binational pour le développement indigène oaxaqueño.
8 Appartenant au parti au pouvoir pendant plus de soixante-dix ans, le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel).
9 Dans le cas particulier de la région frontalière californienne, le lien communautaire se maintient plus facilement entre membres de la communauté établis dans les villes proches de la frontière : ils se consultent d’un côté à l’autre quand il s’agit de participer à un financement dans le village d’origine. Ils se rendent visite et se convient aux fêtes familiales et rituelles. Ils constituent aussi une sorte de contre-pouvoir face aux autorités villageoises de la communauté d’origine.
10 E. Laurelli, communication au colloque "De la frontière aux espaces transfrontaliers", mai 1998.
Notes de fin
* Clersé-TMC (Lille).
Auteur
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