Les frontières de l’Argentine : changements de politique dans le contexte de la mondialisation et de l’intégration
p. 112-138
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur*
"... l’articulation de connaissances concernant l’espace, c’est à dire, la géographie, est un savoir stratégique, un pouvoir... "
(Lacoste, 1977 : 7)
2Concevoir les sociétés en cette fin de siècle, alors que les transformations culturelles, économiques, politiques, sociales et géographiques sont profondes et accélérées, nous mène à réfléchir aux fortes relations qu’elles entretiennent avec le territoire et avec l’action politique. En ce sens, il est obligatoire de penser l’espace géographique à partir des stratégies conçues au sein des centres du pouvoir. La crise de l’État-Nation dans le contexte de la mondialisation a reposé nombre de questions territoriales, l’une d’entre elles étant constituée par les multiples facteurs qui affaiblissent les frontières, qui les volatilisent notamment à travers les mécanismes de la transnationalisation et de l’intégration frontalière. Ces processus sont forgés fondamentalement de flux qui ne sont pas nouveaux, tels les mouvements migratoires, les flux de communications, ou les circuits économiques et financiers, etc. Ils prennent néanmoins une force renouvelée (Badié, 1994 : 554). Ceci exclut une autre variété de contrôles qui perdurent, ou qui sont devenus très restrictifs, comme par exemple, le cas de l’importation de produits alimentaires. Quant à l’intégration des frontières, elle constitue une stratégie de croissance conjointe pour promouvoir, parmi d’autres aspects, la liaison spacio-fonctionnelle des espaces limitrophes entre des pays contigus.
3Les temps qui passent exigent la mise en œuvre de procédures d’évaluation de l’impact des décisions politiques sur le territoire et la population. En ce sens, il est possible d’identifier les espaces géographiques prioritaires dans les processus de restructuration territoriale comme, par exemple, les zones où l’on exécute les ouvrages d’infrastructure nécessaires pour appuyer l’économie nationale ou l’économie monde; ou alors les villes moyennes comme centres de décentralisation et de redistribution fonctionnelle ; ou encore les espaces destinés à l’exploitation des ressources naturelles de haute productivité, moyennant la participation des investissements étrangers directs (IED). Plus particulièrement, les zones de frontière, engagées dans de nouvelles logiques territoriales (par effet de la transnationalisation et des intégrations), doivent se développer selon différents schémas pour le logement des induividus, la production, la mobilité, les investissements et les programmes sociaux.
4Une de ces questions territoriales, à laquelle nous ferons allusion, consiste à repenser et à redéfinir le rôle des frontières internationales comme territoires d’installation, comme aires de développement, comme espaces de mobilité et comme zones d’échange entre États voisins, mais aussi comme domaine juridictionnel, puisqu’elles sont à la fois des espaces de contrôle et de régulation, de fonctionnalités ou de dysfonctionnements. Au début du xxie siècle, on peut parler de deux dimensions de contrôle qui agissent par simultanéité1 dans les franges de la frontière : celle du pouvoir national et celle du pouvoir supranational, dans les stratégies géopolitiques en vigueur. Et l’Argentine n’est pas étrangère à cette nouvelle réalité.
5Pour analyser, expliquer et interpréter cette problématique, on a élaboré un recueil exhaustif des normes juridiques qui ont donné forme à la politique argentine de la frontière, depuis le début du xxe siècle jusqu’à celles, plus récentes, qui présentent un domaine de tensions sociales et de réorganisation renouvelée, indice des transformations territoriales situées au cœur de la réforme politique et économique de l’État argentin, dans le cadre du Mercosur. Dans une perspective théorique, on peut aborder les profonds rapports entre la population et le territoire, base de la géographie, et de celle-ci avec la politique, influencée par des normes juridiques conformes au Droit. Beltramino (1994 : 11) manifeste que la norme juridique se voit affectée par le territoire tandis que, à son tour, la norme affecte le territoire dans une interrelation verticale : le territoire apparaît dès lors comme antécesseur et successeur de la norme. En même temps, il existe une interrelation horizontale en ce qui concerne la distribution spatiale des faits et des processus naturels et humains sur lesquels la norme juridique a une certaine influence.
6Des trois niveaux de relations entre le droit et la géographie que je propose, nous retiendrons ici le deuxième, qui met en relief l’application concertée des connaissances que le droit et la géographie peuvent fournir à l’exercice de la politique – ceci à travers les actions du gouvernement en ce qui concerne la doctrine, la législation et l’administration, ainsi que les activités des entreprises, toutes gérées par la norme. En même temps, ces relations entre la géographie et la politique impliquent la participation des hommes politiques comme arbitres des différents types de contradiction. Mieux encore, on voit apparaître des conflits et des controverses entre les autres agents de l’organisation spatiale, puisque les actes législatifs ne sont jamais neutres (Sassone, 1998).
7L’objectif général est d’interpréter l’évolution de la législation sur la politique des frontières de la République argentine depuis 1899 jusqu’en 1997, en tenant compte du fait que les normes légales sont à la fois cause et effet des contextes géopolitiques nationaux et internationaux contemporains de leur promulgation. On a fixé, en même temps, deux objectifs particuliers. Le premier consiste à analyser les modalités du contrôle territorial dans les franges périphériques, à la fois au moyen de la délimitation des réserves de frontière qui, en Argentine, sont de trois types : Zone de Sécurité (Zona de Seguridad), Zone de Frontière (Zona de Frontera) et Aires de Frontière (Áreas de Frontera), mais aussi par l’intermédiaire des stratégies de développement envisagées. Le deuxième objectif est d’étudier le traitement juridique accordé à la population étrangère afin de contrôler son installation, la possession de la terre, les investissements économiques et les différents types de mobilité transfrontalière au long des cinquante dernières années, compte tenu d’une plus grande ouverture provoquée par le nouveau régionalisme en vigueur avec la mise en place du Mercosur.
8Remarquons que les deux objectifs cherchent à montrer le passage à un domaine d’action marqué par la simultanéité entre, d’un côté, la politique de sécurité intérieure dans sa dimension nationale (à laquelle s’ajoute la politique de défense nationale), et, de l’autre, la politique d’lintégration2 (dimension supranationale), dans le cadre de la restructuration des frontières internationales.
9Dans ces régions périphériques de l’État, on constate une restructuration du système socioéconomique, dont l’expression géographique est la restructuration territoriale. Ce phénomène fait apparaître de nouvelles situations et de nouveaux problèmes dans certaines zones sensibles, particulièrement en ce qui concerne l’évolution du peuplement. Or, l’ensemble de la problématique doit être considérée à différentes échelles (qui vont du local au général, en passant par toutes les échelles intermédiaires). Bassols Batalla (1997 : 64) a affirmé que "la restructuration des régions de frontière est le résultat de phénomènes inhérents aussi bien à la mondialisation qu’au sous développement dans toutes ses expressions, y compris les plus extrêmes. On doit noter que le terme" restructuration "ne fait pas allusion uniquement aux changements territoriaux des limites établies, mais aussi à toutes sortes de transformations internes dictées par le nouvel ordre économique international. C’est-à-dire qu’il comprend des changements démographiques produits de migrations contrôlées ou bien à caractère "informel"; possibles créations de certaines branches économiques nouvelles ; changements techniques dans l’agriculture ou dans l’exploitation minière locale, etc. ". La nouvelle articulation territoriale doit donc viser la liaison avec les marchés internes et externes à travers la transnationalisation, la concertation productive du secteur privé et le soutien institutionnel aux mécanismes de coopération et d’intégration.
POLITIQUE DES FRONTIÈRES : DE “RECARDER VERS L’INTÉRIEUR” À “RECARDER VERS L’EXTÉRIEUR”
10Toute frontière est l’épiderme de l’État, si l’on emploie une expression organiciste de longue date dans la rationalité géographique. Il s’agit de la frange du territoire qui fonctionne comme superficie de contact avec les États voisins et, par-là, devient source de tensions et de conflits. Les frontières sont une création de l’esprit, ce sont des constructions humaines. En ce sens, Foucher (1991) nous parle de l’"invention des frontières". Chaque époque, chaque gouvernement, recrée en permanence l’identité de ses domaines, et c’est pourquoi ceux-ci changent – ce qui conduit à des situations de tension. Toute frontière a donc une genèse, et son tracé actuel répond à des choix fondés sur une combinaison de décisions géopolitiques propres à des contextes historiques différents.
11Les systèmes de défense et de sécurité des États ont privilégié ces questions. En ce qui concerne la défense et la sécurité des frontières, les hypothèses de conflit fondées sur la militarisation des contrôles ont longtemps prévalu. Ces espaces de contact sont identifiés, dans ce contexte, par une grande instabilité. À l’heure de la mondialisation, la problématique des frontières peut être envisagée, soit selon aspect, qui est encore retenu par beaucoup de pays, soit au sein d’un schéma de complémentarité. De ce point de vue, les frontières sont des aires de rencontre, d’échanges, de projets et de stratégies partagées, et de développement solidaire en correspondance avec la vision propre de l’intégration et d’une sécurité internationale non militarisée (Symonides et Volodin, 1995). Le nouvel ordre mondial nous mène à repenser les objectifs, la structure et le fonctionnement des espaces de contact. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’y étudier les tendances possibles des redéfinitions territoriales qui, dans nombre de pays, prennent actuellement ce nouveau caractère. Ce sont des questions (celles des territoires en redéfinition liés aux frontières internationales), qui présentent un intérêt croissant pour la géographie. Dans le cas de l’Argentine, il s’agit d’une nouvelle question qu’il faut mettre en rapport avec l’évolution du processus d’intégration au sein du Mercosur, mais aussi avec l’importance que prennent les investissements étrangers directs (IED) dans ces territoires.
12Dans les années 1940, les situations de tension frontalière pour l’Argentine se sont manifestées sous plusieurs formes : pénétration illégale de clandestins provenant de tous les pays voisins ; trop grande perméabilité de la limite internationale dans plusieurs secteurs ; existence d’espaces considérés comme "faibles", par manque d’habitants. Pour sauvegarder la sécurité et la défense de la périphérie du territoire argentin on a établi des régions ou des zones dans lesquelles on a commencé à appliquer une organisation juridique spéciale, qui a d’abord eu comme objectif la sécurité, mais qui s’est élargi, avec le temps, au développement intégral. Ce corpus législatif de la période 1899-1997 n’entretient aucun rapport avec un corpus hiérarchique de lois. Une partie substantielle de la Politique des frontières est constituée par des lois, décrets et résolutions diverses, et ceci s’avère un peu confus prima facie. Une analyse en détail montre que, pendant les gouvernements autoritaires, on a dicté des décrets-lois qui, même sans avoir été ratifiés par le Congrès national, ont été jugés par la Cour suprême de la République argentine comme ayant la même vigueur qu’une loi, tant qu’ils n’auront pas été abrogés par une autre. Cette jurisprudence est celle qui a été appliquée depuis 1976, avec la mise en place du gouvernement militaire connu sous le nom de "Processus de reconstruction nationale". Elle est restée valable depuis le début de la période démocratique, en 1983 (Llambías, 1999 : 51).
13On doit noter qu’en Argentine, le système fédéral de gouvernement fait que deux organisations juridiques cohabitent : la nationale, provenant du gouvernement fédéral, et la provinciale, issue du pouvoir législatif de chaque province. Ces deux systèmes sont clairement établis dans la Constitution nationale, loi fondamentale de l’État. C’est au sein de ces organisations juridiques que se situe la Politique des frontières, qui est un édifice de lois, décrets réglementaires3, résolutions administratives4 et décrets-lois5, avec des déterminations qui dépassent souvent leur propre portée légale. D’ailleurs, comme on verra plus loin, le changement profond dans la Politique des frontières de l’Argentine, dans le sens de l’ouverture, a été effectué à travers un décret présidentiel du gouvernement de C. S. Menem, en 1994. Afin d’expliquer et d’interpréter les fondements et les changements dans la Politique des frontières de l’Argentine on a défini trois étapes :
La première étape : 1899 – 1970
14Le premier antécédent se situe en 1899 (Rey Balmaceda, 1979 : 302), lorsqu’une réserve fiscale de terres a été établie dans toute la frange comprise entre l’océan Atlantique et une ligne située à vingt kilomètres de la côte, allant de la Province du Rio Negro jusqu’aux côtes argentines de la Terre de Feu. Évidemment, ceci a eu lieu lorsque, sur le plan diplomatique, on était en train de résoudre les questions limitrophes avec les pays voisins, ce qui empêchait de prendre n’importe quelle mesure sur les frontières terrestres argentines. Entre 1938 et 1944, la Gendarmerie nationale et la Préfecture navale ont été créées, afin de veiller à la sécurité nationale dans les zones périphériques, donnant origine à la Politique des frontières de l’Argentine (Décret 9.221 du 13 avril 1944). Ce n’est qu’en 1944 que cette "réserve fiscale" a perdu toute signification. La Zone de frontière maritime a alors été établie, constituée par la frange côtière de cinquante kilomètres de large qui s’étend de Punta Atalaya, située près de la ville de Magdalena et au sud de la ville de La Plata (province de Buenos Aires), jusqu’à Punta Dungeness. On a interdit d’effectuer des actes de constitution et de transfert de droits réels6 sur des biens immeubles, y compris le sol, le sous-sol et l’espace aérien, et de concéder des licences pour l’installation d’industries ou de commerces, entre autres questions, sans l’autorisation préalable du ministère de la Marine.
15Plus tard, au cours de la même année, le décret 15.385 a créé la Zone de sécurité, c’est-à-dire des franges de territoire, de largeur variable, proches de la limite internationale, soumises à des révisions périodiques pour leur meilleure identification, en faisant coïncider leur limite interne avec des éléments géographiques et topographiques déterminants tels que fleuves, chemins, etc. En même temps a été instituée la Commission nationale des zones de sécurité, dans le cadre du ministère de la Justice, avec pour mission de traiter les problèmes qui pourraient apparaître au sein de ces régions. Sejas (1991 : 64) affirme : "L’objectif qui a motivé la création des Zones de sécurité des frontières a été notamment celui d’"argentiniser" ces fractions périphériques du territoire national, en accord avec une politique nationale de "regarder vers l’intérieur" [...], objectif assuré par un exercice très soigné du pouvoir de police pour tout ce qui concernait l’installation des étrangers dans les zones de frontière, en particulier en provenance des pays voisins".
16En 1946, le décret 14.587 a défini provisoirement la limite intérieure de la Zone de sécurité, qui atteignait cent kilomètres dans les zones voisines du Chili et de la Bolivie, cinquante kilomètres dans les zones limitrophes avec le Paraguay, le Brésil et l’Uruguay et vingt-cinq kilomètres sur la rive du Rio de la Plata et sur toute la façade maritime Atlantique. Parmi les fondements de cette délimitation, on indique les conditions spéciales qui découlent de la situation, du peuplement, des ressources et des intérêts de la défense nationale. On met aussi en relief l’urgence du sujet, en ce qui concerne la distribution des terres fiscales et autres concessions et services. Jusqu’en 1970, l’objet considéré par la loi a été la sécurité et la défense nationale, puisque le régime légal applicable ne faisait allusion qu’à la propriété7, possession8 et garde (jouissance)9 des terres.
La période 1970 - 1987
17C’est la période durant laquelle la Politique des frontières s’est construite, notamment par l’action et décision de gouvernements militaires en ce qui concerne les budgets de la sécurité, de la défense nationale et du développement. Plus de 22 normes juridiques (deux lois, des décrets-lois, des décrets réglementaires et des résolutions) composent le corpus législatif de cette politique. Dans cette étape, les objets juridiques sous tutelle étaient aussi bien la sécurité et la défense nationale que le développement intégral, aspect clé introduit par la loi que nous abordons dans le paragraphe suivant.
18La Loi 18.57510, promulguée le 30 janvier 1970, est la loi fondamentale de la Politique des frontières consacrée à établir des Zone et Aires de Frontière, et elle n’a pas été substituée par aucune autre jusqu’à présent. Dans ses considérants, on met en relief le besoin de faire attention aux franges de frontière puisqu’elles se caractérisent par une "faiblesse économique et démographique qui entraîne la vulnérabilité de leurs conditions générales" ; parce qu’on doit "assurer l’intégration de ces territoires au reste de la Nation" ; parce qu’il est nécessaire que "le développement soit adapté et subordonné aux besoins d’intégration". On propose donc d’" accroître les valeurs potentielles dans la frontière pour les ajouter à l’économie nationale ". Une mesure à retenir de cette loi est celle qui cherche à encourager l’installation d’Argentins de naissance ou d’Argentins naturalisés et d’étrangers bien implantés dans le pays et de qualités morales reconnues. Il est important de noter qu’on emploie le mot "intégration", qui avait à l’époque une connotation relative à la sécurité intérieure et au développement "vers l’intérieur" ; il est clair que, lorsqu’on parlera de la troisième étape, le terme "intégration" aura un autre sens, propre à ces temps de mondialisation.
19À travers cette loi, on a défini la Zone de frontière comme l’espace adjacent à la limite internationale de la République argentine, moyennant des prévisions visant à promouvoir le développement durable. Elle comprenait une frange, de largeur variable, qui longeait toute la périphérie du pays, y compris les îles Malouines et les terres antarctiques sous la garde de la République argentine. Il n’y avait pas de secteurs affectés au régime des régions de frontière dans les provinces de Mendoza, Entre Ríos et Buenos Aires, parce que ceci n’a pas été jugé nécessaire. Trois objectifs principaux caractérisaient cette politique : installer de nouveaux habitants moyennant la création d’infrastructure et l’exploitation des ressources naturelles ; intégrer ces territoires au reste de la Nation ; développer les liens culturels et économiques entre la population de la Zone et celle des pays limitrophes, conformément à la politique étrangère de la République (art.2)11. D’ailleurs, la loi définit la création des Aires de frontière, à l’intérieur des Zones de frontière, en les identifiant comme des espaces particulièrement critiques au sein de cette "région", en raison de leur situation et de leurs caractéristiques spécifiques, ce qui impose une priorité en matière de promotion de leur développement12 (carte n° 1 , p. 112).
20Aussi bien pour les Zones de frontière que pour les Aires de frontière, le législateur a établi des mesures promotionnelles en ce qui concerne : l’installation et l’enracinement des populations ; les infrastructures de transport et de communications ; l’exploitation, l’élaboration et la transformation des ressources naturelles ; l’installation d’industrie bénéficiant de régimes spéciaux de crédits et d’impôts ; la facilité d’accès à la terre et au logement individuel ; l’assistance technique à l’économie régionale ; l’amélioration du niveau éducatif, socioculturel et sanitaire. Par ailleurs, on a établi comme autorité un chargé (comisionado) des Aires de frontière, en décidant qu’il devait s’agir d’un Argentin de naissance.
21Tout au long de cette période, une succession de décrets établissent :
- le régime d’écoles des régions et Aires de frontière (loi 19.524/72), signalant que les étrangers ne peuvent pas exercer des postes dans l’enseignement, ceux-ci étant réservés aux Argentins de naissance ou naturalisés ;
- des régimes de promotion régionale pour les provinces de la Patagonie, y compris le secteur Antarctique et les îles de l’Atlantique Sud (décrets-lois 1.237/76 et 1.238/76) et un régime spécial pour les entreprises de capital national à Chubut, Santa Cruz, Territoire National de Tierra del Fuego, secteur Antarctique et îles de l’Atlantique Sud (décret 1.239/76).
22Vers 1978 le gouvernement de facto connu sous le nom de "Processus de reconstruction nationale", a dicté le décret 2.336 destiné à établir les directives pour l’exécution de la Politique des frontières. Dans ses considérants, il mentionnait que, sur la frontière argentine régnaient des conditions de faiblesse socioéconomique, raison pour laquelle on encourageait le renforcement de la Politique des frontières visant à "la pleine réalisation des habitants de frontière, détenant le contrôle sur des aires vitales qui font à la Sécurité nationale". La directive contenait les objectifs suivants :
- promouvoir le développement des régions du territoire national adjacentes aux pays limitrophes, dans le littoral maritime, dans le secteur Antarctique et les îles de l’Atlantique Sud ;
- développer l’infrastructure productive fondée sur l’exploitation rationnelle et rentable des ressources naturelles de la région et en particulier des Aires de frontière dont l’importance assure la satisfaction de la demande des marchés locaux et régionaux ;
- promouvoir des programmes de cession de terres fiscales pour l’installation d’habitants et la mise en place de noyaux socioéconomiques liés à l’exploitation rationnelle des ressources naturelles ;
- neutraliser les effets de l’influence des pays voisins grâce à couverture de la zone par des médias de masse intégrés au système national ;
- promouvoir la coopération et le développement des relations culturelles et commerciales avec les régions situées de l’autre côté de la frontière, afin de servir au mieux l’intérêt national.
23Il est à retenir que ces mesures se situent dans un contexte historique dans lequel les rapports avec le Chili se caractérisaient par une forte tension. Au cours de cette période, l’autorité d’application de la Politique des frontières a subi un changement important. Jusqu’en 1979, la Commission nationale des zones de sécurité, dépendante du Conseil national de défense, en était chargée de manière exclusive. Par le décret 2.563/79 a commencé à fonctionner la Superintendencia Nacional de Frontera, qui a assuré une partie des fonctions de la Commission nationale des zones de sécurité. La Superintendencia était un organisme ayant rang de sous-secrétariat d’État, dans le cadre du ministère de la défense. C’était l’organe d’application de la Politique nationale des frontières sous son triple aspect : la surveillance, à travers sa Direction générale des zones de sécurité ; le développement, à travers sa Direction générale des zones et aires de frontière ; la coordination générale intersectorielle des passages internationaux.
24En 1980 ont été créés, par la Loi 22.352, les centres de frontières. Ceux-ci ont été définis comme des complexes réunissant, dans une aire délimitée et proche d’un passage international habilité, les organismes nationaux qui ont pour mission de contrôler les flux des biens et des personnes, depuis et vers le pays, ainsi que tous les services auxiliaires (comme les terrains de stationnement et les entrepôts). Le premier d’entre eux, répondant à cette norme, a été localisé à Paso de los Libres. En 1997 (dix-sept ans plus tard !), le deuxième centre de frontières, Santo Tomé-Sao Borja, a été créé selon les mêmes critères, à la hauteur de l’un des ponts qui relient l’Argentine au Brésil (par la Province de Corrientes).
25En 1982, par le décret 193, on a unifié les limites des Zone de sécurité et de la Zone de Frontière, dans ce qu’on a appelé une "Zone de frontière" unifiée. Dans un premier temps, cette mesure a été de courte durée, car on a conclu que les objectifs des deux systèmes étaient concurrents. Tout est donc resté sous l’autorité de la Superintendencia Nacional de Frontera. Le but de l’opération était de renforcer l’intégration et le développement des villes de frontière entre elles, mais aussi avec l’espace régional intérieur et avec les pays frontaliers. Au fil du temps, la volonté politique d’éliminer les obstacles qui entravaient le développement des marchés et du commerce international s’est progressivement accentuée.
26Les souffles du changement apparaissent avec l’instauration de la démocratie. Sejas (1991 : 64) signale que "la frontière comme élément d’intégration surgit à partir de 1983 avec l’arrivée des gouvernements démocratiques au pouvoir, qui privilégient l’intégration latino-américaine non seulement comme un objectif désirable, mais en plus nécessaire. On passe donc de la conception d’une frontière rigide et isolante à celle d’une frontière qui signifie rapprochement, union et ouverture. C’est le concept d’‘espace intégrateur’, qui favorise la projection des stratégies de développement à travers des actions conjointes entre pays voisins. Dans ce changement structural commencent à se définir aussi l’intégration et la coopération transfrontalières exprimées en projets binationaux et trinationaux, notamment en rapport avec les infrastructures de communication et de production hydroélectrique". Dans les années qui suivent, la Politique des frontières n’a pas connu de changements profonds, même si différents décrets et résolutions visant à créer, agrandir ou re-délimiter les frontières argentines se sont succédés.
De 1987 jusqu’à nos jours
27C’est à partir de 1987 que l’on peut constater un véritable tournant dans la Politique des frontières. La globalisation de l’économie a favorisé une ouverture qui correspondait aux principes de la sécurité intérieure et de la défense nationale. Il convient de rappeler que, dans le cadre de leurs relations internationales, l’Argentine et le Brésil posaient à l’époque les bases de ce qui serait plus tard le Mercosur (Lavopa et al.,1997). Avec le décret 1.182 de 1985, la Zone de sécurité des frontières et la Zone de frontière pour le développement ont été différenciées, sur la base de nouvelles politiques de réorganisation territoriale. On a par ailleurs défini les nouvelles juridictions territoriales pour le régime des Aires de frontière sur la base des territoires des départements adjacents à la ligne internationale, ainsi que d’autres départements voisins, lorsque le développement des agglomérations en aurait besoin. On prétendait de cette manière (et ceci est très important à retenir) renforcer l’intégration et le développement des localités frontalières entre elles, avec l’espace régional intérieur, mais aussi avec les pays voisins. En ce sens, on établissait que la nouvelle "région de frontière pour le développement" devait comprendre tous les territoires des provinces disposant d’une frontière internationale, ainsi que le Territoire national de la terre de Feu, l’Antarctique et les îles de l’Atlantique Sud (carte n° 2).
28Le "regarder vers l’extérieur" a commencé à devenir une réalité en 1988 avec la Loi 23.554 de Défense nationale, qui différenciait pour la première fois défense nationale et sécurité intérieure, en affirmant que : "La défense nationale comprend les espaces continentaux, les îles Malouines, celles de la Géorgie du Sud et des Sandwich du Sud, le reste des espaces insulaires, maritimes et aériens de la République argentine, ainsi que le secteur antarctique argentin, dans les limites décrites par les normes internationales et selon les traités souscrits ou à souscrire par la Nation ; ceci sans porter atteinte à ce que dispose l’article 28 de la loi citée en ce qui concerne les attributions dont dispose le Président de la Nation afin d’établir des terrains d’opérations en cas de guerre ou de conflit armé".
29Pour mieux consolider cette nouvelle politique, la loi 24.058 de Sécurité intérieure a été promulguée en 1992. L’article 2 de cette loi stipule qu’elle se fonde sur : "la situation de fait fondée sur le droit, dans laquelle se voient sauvegardés la liberté, la vie et le patrimoine des habitants, leurs droits et garanties et l’entière vigueur des institutions du système représentatif, républicain et fédéral que la Constitution nationale établit [...] ; elle implique l’emploi des éléments humains et matériaux, de toutes les forces de police et de sécurité de la Nation afin d’atteindre les objectifs prévus [...] ; son domaine s’étend sur tout le territoire de la République argentine, ses eaux juridictionnelles et son espace aérien". On peut constater que, auparavant, la sécurité était légiférée dans son ensemble. Or, l’insertion dans l’économie globale a entraîné des stratégies de restructuration territoriale dans le cadre de la réforme de l’État. Dans une approche chronologique, il faut rappeler qu’en 1991 était signé le Traité d’Asunción, acte de naissance du Mercosur, intégrant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
30La volonté politique d’éliminer les obstacles qui empêchaient le développement des marchés et du commerce international s’est accentuée au fil des ans. En 1992, le décret 815 mettait en évidence les obstacles (suscités par la législation en vigueur) qui freinaient le développement de la production minière et limitait l’entrée de nouveaux investissements dans le pays. De fait, une grande partie des ressources minérales et de l’activité minière de l’Argentine étaient localisée dans les franges frontalières. Or, jusqu’à cette époque, ces activités étaient régies par un système d’une excessive rigueur, conçu dans un contexte politique différent. On a donc exclu les activités minières de la Zone de sécurité des frontières afin de favoriser l’entrée des investissements étrangers et d’accroître les échanges commerciaux. Il s’agit-là d’un pas décisif, qui a été complété, quelques années plus tard, par un accord minier avec le Chili pour permettre la mise en place de projets miniers de grande importance dans la Cordillère des Andes, de part et d’autre de la limite internationale.
31Avec le décret 887 de 1994 ont été unifiées les limites de la Zone de frontière pour le développement, établies par la loi 18.575, et celles de la Zone de sécurité des frontières créée par le décret-loi 15.385/44 – Loi 12.913. Il faut remarquer qu’entre 1994 et 1995 l’action était menée par la Superintendencia Nacional de Frontera, dépendance du ministère de la Défense, qui appliquait les mesures législatives concernant l’achat et la vente d’immeubles, ou bien l’octroi d’autorisations et de concessions dans les zones de sécurité, en respectant la nationalité des acquéreurs ou des bénéficiaires, selon le cas. D’ailleurs, autre signe d’ouverture, des résolutions ont été prises pour autoriser des personnes physiques ou juridiques à opérer dans les lignes de service public interurbain, dans les activités de transport ou dans le tourisme international.
32En matière de Politique des frontières et en matière administrative, le changement le plus profond, et aux connotations stratégiques les plus marquées, a eu lieu en 1996, lorsque la Superintendencia Nacional de Frontera a été supprimée et que ses fonctions sont passées du ministère de la Défense à celui de l’Intérieur, dans le cadre du secrétariat de la Sécurité intérieure. Les raisons invoquées (Décret 486/96) citaient le besoin d’une réorganisation rendue nécessaire par la superposition de ses fonctions avec d’autres organismes. L’octroi des fonctions de la Superintendencia au Secrétariat de la sécurité intérieure, ajouté à la délégation de certaines de ses fonctions à d’autres organismes, comme la Gendarmerie nationale ou la Préfecture navale (qui dépendent aussi du ministère de l’Intérieur) conduisent à diluer la Politique des frontières, même si les zones du territoire affectées par ces régimes sont encore celles qui ont été établies dans le décret 887 de 1994.
LES AIRES DE FRONTIÈRE : CHANGEMENTS DANS LES DONNÉES DU CONTRÔLE TERRITORIAL
33Dans les pratiques spatiales, Harvey distingue quatre aspects: 1) accessibilité et distanciation ; 2) appropriation et utilisation de l’espace ; 3) domination et contrôle de l’espace ; et 4) production, qui sont à leur tour analysés selon trois dimensions, à savoir : pratiques matérielles, représentations de l’espace et espaces de représentation. Il est important ici de faire référence à la domination de l’espace, que" reflète la façon dont les individus ou groupes puissants dominent l’organisation et la production de l’espace, par des moyens légaux ou illégaux, afin d’exercer un plus fort degré de contrôle sur la friction par distance ou sur la manière dont l’espace est approprié par eux-mêmes ou par d’autres" (Harvey, 1998: 246).
34Au cours du xxe siècle, la périphérie argentine a été soumise à des pratiques spatiales de domination et d’appropriation, particulièrement après avoir atteint l’intégration territoriale et la solution de questions limitrophes. Ces nouvelles circonstances ont affecté différents secteurs, et ont été guidées selon les buts stratégiques correspondant à leurs contextes historiques respectifs. Depuis 1899, et jusqu’en 1994, les critères politiques ont changé selon les modèles géopolitiques en vigueur. Pendant toute cette période, comme nous l’avons déjà vu, on a différencié Zones de sécurité et Zones de frontière et, à l’intérieur de celles-ci, Aires de frontière. Cette différenciation a été acceptée et appliquée par différents gouvernements au moment de concevoir des instruments pour un domaine ou pour l’autre, afin de mettre en œuvre des programmes frontaliers de coopération ou d’intégration. On a privilégié dans cette étude les Aires de frontière puisque c’est là que les mesures d’encouragement au développement ont été privilégiées, du fait de leur plus grande vulnérabilité. L’Institut pour l’Intégration de l’Amérique latine (Intal), qui dépend de la Banque interaméricaine pour le développement (BID), souligne à cet égard que la définition d’aire ou de région frontalière, ou, selon le cas, de région transfrontalière frontière, constitue un exercice nécessaire qui permet de sélectionner et d’appliquer les instruments adéquats à chacun des cas. Alors qu’en 1970 on a établi et réparti neuf Aires de frontière entre les provinces de Patagonie et les provinces du Nord-Est, il y en avait déjà vingt-deux en 1994.
35On a retenu pour cette recherche les normes juridiques qui montraient des changements substantiels dans le temps et l’espace par rapport aux critères de délimitation. On doit remarquer qu’un nombre considérable de normes fait référence à ces franges que nous appelons "de réserve frontalière". Dans leurs contenus, on relève plusieurs situations. Pour commencer, c’est toujours à partir d’un décret qu’elles sont créées. Ensuite, avec d’autres, elles ont été agrandies ou réajustées en fonction des points d’appui des lignes imaginaires utilisées pour les délimiter. Bien sûr, cet aspect touche au contenu, mais il s’agit de comprendre que ces secteurs sont soumis à des régimes socioéconomiques et de sécurité différents du reste du territoire, situation qui a changé avec le modèle néo-libéral adopté en l’Argentine. On présente ci-dessous trois moments-clés correspondant à des décrets qui ont régi, chacun à son époque, cette question.
La loi 18.575 du 30 janvier 1970 et la Zone de frontière
36Avec la Loi 18.575 du 30 janvier 1970, on a fixé la définition de la zone de frontière13. Ces normes légales visaient au développement et à l’intégration de ces territoires au reste de la Nation, en privilégiant les Aires de frontière dans cette frange, puisque leur situation et leurs caractéristiques spéciales" exigent la promotion prioritaire de leur développement". À cause de leur faiblesse économique et démographique, elles étaient considérées comme des secteurs vulnérables, pour lesquels il a fallu établir des mesures de développement "promotionnelles" afin d’obtenir l’installation et l’enracinement des populations, l’amélioration des conditions de transport, des communications et de l’infrastructure en général (éducation, santé, etc.), grâce, par exemple, à la mise en place de régimes de crédits spéciaux. Elles ont été délimitées pour la première fois par le décret 469/70. Toutes les actions ou les politiques spécifiques qu’on y a développées étaient proposées au Pouvoir exécutif, le seul qui avait toute latitude pour les déterminer, les délimiter et les affecter à ce régime spécial ou à les en retirer, selon qu’il le jugeait pertinent. En 1970, comme on peut voir sur en la carte n° 1, il y en avait dix.
37C’est ainsi que, au gré des suggestions et des demandes formulées par les gouverneurs des provinces argentines, conseillés par les organismes nationaux compétents, le nombre de ces aires s’est considérablement accru depuis 1970. Comme le révèle la chronologie des décrets concernant les aires de frontière, au fur et à mesure que des tensions, des conflits ou des états de vulnérabilités étaient identifiés, on modifiait leurs limites, afin de créer de meilleures conditions pour atteindre les objectifs proposés. L’augmentation des superficies soumises à cette dénomination et, donc, bénéficiant d’une législation spéciale, a obligé dans plusieurs cas à modifier les limites de la Zone de frontière afin que les Aires (de dimensions plus réduites) restent comprises à l’intérieur de cette frange - condition explicite dans la loi d’origine.
Le décret 1.182 de 1987 et la Zone de frontière pour le développement
38En 1987, comme l’exprimait le décret 1.182, inspiré de la loi 18.575/70: "... en fonction des nouvelles politiques de réorganisation territoriale et extérieure envisagées... ", on a cherché à intégrer et à développer les territoires frontaliers "en relation avec l’espace régional intérieur et les pays limitrophes". On a donc délimité la Zone de frontière pour le développement, qui comprenait les territoires des provinces dotées d’une frontière internationale et l’actuelle province de Tierra del Fuego, et on a considéré pour le régime de Aires de Frontière "... les territoires des départements adjacents à la limite internationale et d’autres voisins à ceux-ci, lorsque ce statut serait convenable pour le développement de la contrée". C’est à ce moment précis qu’on a enregistré l’extension la plus vaste du concept d’espace frontalier. D’ailleurs, le décret manifeste que, "étant données les particularités des réalités géopolitiques des provinces de Santa Cruz, Formosa, Misiones et du Territoire National de la Tierra del Fuego, territoire Antarctique et îles de l’Atlantique Sud, il était nécessaire d’accélérer leur intégration et leur développement interne". Tout les territoires concernés ont donc été placés sous la juridiction de cette loi. En outre, on a établi la Zone de frontière pour le développement en fixant des limites territoriales distinctes (cf. carte n° 2, p. 101).
Le décret 887/94 de 1994
39Selon le décret 887/94, l’existence des deux types de région rendait impossible application des mesures de développement prévues par la loi 18.575/70. C’est pourquoi on a restreint la Zone de frontière pour le développement et, en conséquence, de nouvelles Aires de frontière ont été définies et délimitées : vingt-deux au total, tel qu’on peut voir sur la carte n° 3. On a de même unifié encore une fois les limites de la Zone de sécurité et de la Zone de frontière, puisqu’il s’agissait de deux juridictions où l’on développait des actions visant à un but commun (à l’exception du littoral maritime de Santa Cruz, Chubut et Río Negro, qui est resté soumis de manière exclusive au régime de Zone de sécurité de frontière), comme on peut voir sur la carte n° 4.
40L’analyse des différents décrets qui se sont succédés de 1970 à 1994, dernière année pour laquelle on identifie une norme légale redéfinissant les limites des aires de frontière, révèle qu’on pas utilisé de critère géographique évident pour mener à bien leur délimitation. En revanche, on peut constater, à travers l’analyse des décrets respectifs, une simplification progressive conduisant à faire coïncider les limites des aires avec les limites départementales. Les aires ont été déterminées sur la base des superficies départementales dans leur totalité, ou en considérant une portion de cette superficie14.
41Au cours des cinquante dernières années, le concept de "frontière" semble changer pour les décideurs politiques argentins : la frontière n’est plus considéré comme une région périphérique caractérisé de manière exclusive par ses fonctions défensives, mais elle est Identifiée comme faisant partie du territoire national, avec des caractéristiques particulières. Probablement plus vulnérable que d’autres régions, elle n’en est pas pour autant moins importante. On a donc commencé à légiférer et à élaborer des stratégies particulières pour son développement. Cette conception du territoire frontalier semble s’accentuer au fil du temps, notamment entre 1987 et 1994.
42Enfin, il faut remarquer que, une fois disparue la Superintendencia Nacional de Frontera, les Aires de frontière, ainsi définies pour mener à bien des actions de développement, sont restées dans le champ de compétence des gouvernements provinciaux. Cette évolution s’inscrit dans une perspective plus large de décentralisation, dans une période où le pouvoir exécutif national déléguait au niveau provincial une partie de ses prérogatives.
Étrangers frontaliers : l’exclusion en vigueur
43Pendant plusieurs décennies, les zones frontières de l’Argentine ont connu une présence d’étrangers supérieure à celle qu’on enregistre aujourd’hui alors que, selon la législation qui leur était appliquée, la présence d’individus et les investissements économiques d’origine étrangère y étaient limités (Sassone, 2001). Pourtant, on peut considérer comme particulièrement sévère tout le corpus réglementaire restreignant la présence d’étrangers en ce qui concerne la propriété de la terre et/ou l’octroi d’autorisations et de concessions concernant les activités économiques.
44Dès 1944, par la loi 15.385, on a fixé des mesures pour l’achat et la vente d’immeubles, l’octroi d’autorisations et de concessions dans les régions de sécurité, sans fixer à l’avance de limitations liées à la nationalité des acquéreurs ou des bénéficiaires, à exception des étrangers venant de pays limitrophes voisins. Le décret 32.530 de 1948 a modifié certaines des dispositions en vigueur pour le transfert et la location des biens situés à l’intérieur de la Zone de sécurité. Comme condition sine qua non pour n’importe quelle modalité de constitution de droits réels ou de droits personnels concernant la possession ou la jouissance d’immeubles dans la Zone de sécurité, il fallait être Argentin de naissance, sans antécédents négatifs, ou Argentin naturalisé15 ayant une résidence attestée dans le pays. À défaut, les étrangers devaient faire preuve d’une bonne moralité et démontrer leur volonté d’installation définitive, si possible avec une famille argentine (épouse argentine et/ou enfants argentins). Ils étaient aussi bienvenus s’ils disposaient de moyens financiers pour s’établir, en étant par exemple propriétaire d’une entreprise considérée comme importante pour l’économie du pays. Étaient cependant exclus automatiquement les étrangers provenant du pays limitrophe avec la région où était situé le terrain dont on demandait la possession ou la jouissance.
45À son tour, la loi 21.900 de 1978 relative aux Zones de frontière (délimitation, registre, adjudication et cession), déclarait que ne pouvaient être adjudicataires de terres fiscales en régions de frontière que des Argentins de naissance ou naturalisés, ou bien des étrangers originaires de pays "non limitrophes". Cette mesure d’exclusion, visant la défense et la sécurité nationale, a perduré jusqu’en 1994. En 1995, la résolution 205 de la Superintendencia Nacional de Frontera imposait aux étrangers, notamment des pays limitrophes, de fortes limitations pour l’acquisition d’immeubles et/ou l’exploitation d’autorisations et de concessions en Zone de sécurité. Il y a cependant eu un léger adoucissement des règles, puisque étaient exemptés de ces restrictions ceux qui avaient quatre, six, huit ou quinze ans de résidence dans le pays, selon la zone frontalière considérée (mais on ignore la raison exacte de ces différences de statut).
46Pour les départements de la frontière terrestre16 où les relations sont plus fortes avec les localités du pays voisin, les étrangers limitrophes avaient le droit d’acquérir des immeubles et/ou obtenir des autorisations d’activités et des concessions lorsqu’ils pouvaient démontrer quinze ans ou plus de résidence en Argentine, toujours en zones rurales (carte n° 5). Pour les centres urbains, des exceptions étaient faites et les ressortissants du pays limitrophe pouvaient acquérir des propriétés, obtenir des permissions et des concessions de différente nature. Comme exemple d’ouverture, on cite souvent le cas de la Province des Misiones (carte n° 6 : zones en grisé) : sur un total de dix-sept départements, dix bénéficient d’exceptions (tout étranger peut être propriétaire) et dans les localités des sept qui restent on enregistre différentes formes de restriction. Incontestablement, c’est une mesure qui libère les frontières et les transforme en zones d’échange et de rencontre (voir dans cet ouvrage l’étude d’Alejandro Schweitzer), même si certains responsables argentins ont critiqué le caractère trop permissif d’une telle évolution.
CONCLUSION : VERS L’INTÉGRATION FRONTALIÈRE ?
47Venons-en à poser la question de la dimension supranationale. En 1996, le changement dans la Politique des frontières, avec l’abrogation des lois correspondantes et la disparition de l’organisme responsable de les appliquer (la Superintendencia Nacional de Frontera), constitue un premier indicateur des transformations en cours. Par ailleurs, l’élimination progressive des blocages concernant la circulation des biens et des personnes représente un changement fondamental pour les territoires frontaliers qui, dans le cadre du Mercosur, perdent leur rôle offensif ou défensif et deviennent des espaces de rencontre, de concertation et d’intégration. De manière générale, ce fait est susceptible d’entraîner de nouveaux problèmes et de nouvelles stratégies pour les politiques de développement régional, plus particulièrement en ce qui concerne les politiques migratoires. De fait, des différences ou des asymétries de tout ordre existent d’un côté ou de l’autre d’une limite internationale, d’où le besoin de négocier et d’accorder les stratégies de gestion territoriale.
48Selon le "Chronogramme de Las Leñas", qui rythme le développement du Mercosur, le sous-groupe n° 2 ("Affaires douanières") a établi, entre autres questions, le contrôle intégré des frontières. Parmi les décisions du Conseil du marché commun, un accord a été signé dans la ville de Recife (Brésil), en 1993, pour appliquer des contrôles frontaliers intégrés entre pays membres du Mercosur. Ce type de contrôle est mis en œuvre dans ce qu’on appelle les "frontières intérieures des blocs économiques", si on emploie la dénomination appliquée au sein de l’actuelle Union européenne après l’Accord de Schengen (1985). Par la suite, en 1997, la résolution n° 43 du Croupe "Marché commun" a établi la liste des postes frontaliers de contrôle intégré des États Membres du Mercosur. Comme l’illustre la carte n° 7, on répartit au total douze postes entre l’Argentine et le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Dans chacun d’entre eux, trois fonctions sont accomplies : contrôle intégré de la circulation frontalière et tourisme, contrôle des marchandises et contrôle des charges par chemin de fer.
49À la fin des années 1970, comme on l’a vu, les mesures visant à favoriser l’installation de nouveaux habitants sur les frontières se sont multipliées. Pourtant, à l’orée du xxie siècle, nous savons que beaucoup d’entre elles n’ont pas été suivies d’effet. En effectuant une analyse de la distribution de la population et la dynamique démographique dans les départements frontaliers de l’Argentine, j’ai en fait constaté un net recul de la population native et de la population étrangère (Sassone (1997 : 2001). Globalisation, internationalisation, "transnationalisation" ou même "universalisation" semblent s’ajouter à l’idée de mondialisation pour annoncer simultanément la fin de l’Etat-Nation, la porosité croissante des frontières et l’interdépendance plus ou moins accentuée des processus socio-économiques et culturels. Pourtant, un bref bilan final permet de signaler que, dans le cas argentin :
- en ce qui concerne l’évolution de la législation, il existe un grand manque de clarté, puisque depuis 1970 on n’a pas encore unifié les critères de base. En revanche, on enregistre des révisions permanentes, des ajustements et des corrections, qui font de l’interprétation du processus une tâche extrêmement complexe ;
- en ce qui concerne le rôle des étrangers, on remarque la rigueur des restrictions concernant les ressortissants des pays limitrophes, tandis que pour d’autres étrangers (personnes physiques ou personnes juridiques), les possibilités de mener à bien des projets économiques sont largement ouvertes.
50Pour conclure, on peut considérer que l’espoir réside dans un retour à une politique des frontières unie et cohérente, qui a disparu avec le passage du relais entre le ministère de la Défense et le ministère de l’Intérieur, et suite à la suppression des programmes d’aménagement du territoire concernant les zones frontalières. Or, même dans le cadre du Mercosur, la mondialisation et l’intégration ne peuvent pas signifier l’effacement des frontières. Bien au contraire, cette évolution doit impliquer le contrôle des dysfonctionnements et le développement des relations entre les régions situées de part et d’autre de la limite internationale, sans pour autant annuler leur identité. C’est donc un nouveau défi pour les décideurs, une vraie alternative : homogénéisation culturelle (reflet direct de la mondialisation) ou renforcement des identités régionales. Il est temps de favoriser le maintien, la structuration et la fonctionnalité de ces "cultures transfrontalières" qui existent de fait, mais qui ne sont jamais prises en compte par les politiques mises en place dans le cadre des États-Nations.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Le concept de simultanéité est propre de la condition de la post-modernité. Dans les premières pages du livre de David Harvey, La condition de la post-modernité (1998) on indique que la simultanéité suppose qu’" il existe quelque relation nécessaire entre l’apparition des formes culturelles post-modernes, l’apparition de modalités plus flexibles d’accumulation du capital et un nouveau tournant dans la compréhension spacio-temporelle de l’organisation du capitalisme".
2 Sierra signale que l’intégration est une stratégie de croissance possible, face à la crise; elle suppose la programmation et la concertation de politiques visant à recréer de nouvelles formes de production et commerce, compatibles avec le genre de concurrence qui caractérise actuellement les marchés internationaux (1991 :18).
3 Ce sont des normes dictées par le Président de la Nation dans le cadre national, et par les gouverneurs dans le cadre provincial, pour faciliter le respect des lois ; elles ne doivent pas altérer l’esprit de la loi, avec des exceptions réglementaires.
4 Elles régulent tous les aspects relatifs à l’organisation et au fontionnement administratif mais ne s’intéressent qu’à certains sujets ou situations considérés comme circonstantiels. Leurs normes ne peuvent altérer les limites du pouvoir réglementaire, ce qui implique qu’elles ne peuvent pas affecter les sujets relatifs à la réserve de la loi, par exemple la réglementation des droits personnels de propriété et de liberté.
5 Ce sont des lois imposées par des gouvernements autoritaires (issus d’un coup de force), ce qui a obligé la doctrine juridique à reconsidérer leur éventuelle validité, selon ce que la jurisprudence établit.
6 Droit réel : C’est celui qui crée entre les personnes et les choses une relation directe et immédiate, si bien qu’elle ne comporte que deux éléments, la personne, qui est sujet actif du droit, et la chose, qui est l’objet. Ce droit confère aux personnes la faculté de tirer d’une chose un bénéfice donné, et à son tour, personne n’est individuellement sujet passif du droit. De son côté, la constitution de droits réels implique la création de droits réels.
7 Domaine ou propriété : C’est le plus vaste droit de possession que l’on peut exercer sur une chose. C’est le droit réel qui confère le plus grand nombre de facultés que l’on peut avoir sur un objet. Il faut noter que "transmission" de domaine veut dire la même chose que "transfert" de domaine.
8 Possession : Le Code civil de la République argentine défit la possession en disant : "Il y a possession de choses lorsqu’une personne, par elle même ou par quelqu’un d’autre, aura une chose sous son pouvoir, avec l’intention de la soumettre à l’exercice d’un droit de propriété.
9 Carde (jouissance ou usufruit) : objet détenu effectivement par une personne, mais en admettant la propriété d’autrui.
10 Le Bulletin officiel de la République argentine la présente comme Loi, bien que ce soit un décret-loi signé par le président "de fait" J.C. Onganía. Dans cette étude, on y fera allusion comme Loi puisque c’est ainsi qu’elle apparaît dans la source officielle.
11 À travers le décret réglementaire 468 du 30 janvier 1970, les limites de la Zone de frontière sont établies.
12 À travers le décret réglementaire 469 du 30 janvier 1970, les neuf premières Aires de Frontière sont établies.
13 Zone de frontière : espace adjacent à la limite internationale, délimité par le décret 468/70.
14 La division politico-administrative de la République argentine comporte deux niveaux : le primaire, par lequel le territoire national est partagé en vingt-trois provinces ; et le secondaire, par lequel chacune de ces provinces est sous-divisée en unités spatiales plus petites qu’on appelle départements pour toutes les provinces, à exception de la Province de Buenos Aires, où elles reçoivent le nom de partidos.
15 D’après la législation argentine il y a trois types de nationalité :
- La nationalité par naissance, native, naturelle ou d’origine, selon laquelle sont argentines toutes les personnes nées en territoire argentin.
- La nationalité par option concerne les enfants des Argentins de naissance qui naissent à l’étranger et qui choisissent la nationalité du père ou de la mère argentine.
- La nationalité par naturalisation est celle qui est attribuée à l’étranger qui la demande selon certaines conditions fixées par la Constitution.
16 En Argentine il est fréquent de différencer la frontière terrestre de la frontière fluviale. Au long des presque 10 000 kilomètres de limite internationale avec les pays voisins, on trouve trois types de support pour la ligne de frontière : accidents naturels, lignes geodésiques (paralèlles et méridiens) et fleuves. Dans les deux premiers cas, on parle de frontière terrestre (surveillée par la Gendarmerie nationale). Pour les fleuves, le contrôle est exercé par la Préfecture navale, les deux institutions appartenant aux forces de la Sécurité intérieure de l’État argentin.
Notes de fin
* Conseil National des Recherches Scientifiques et Techniques (CONICET), Buenos Aires, Argentine. L’auteur remercie pour leur collaboration, technique et professionnelle, Mme Danila Durando, géographe, et l’avocate Cladys Mares, assistantes de recherche du PRICEO-CONICET.
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