Mexique : régime de change et intégration monétaire dans l’Alena
p. 98-109
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur*
2L’objectif de ce chapitre est de fournir quelques idées sur le rôle du taux de change et de la politique de change dans une économie comme l’économie mexicaine, ouverte sur l’extérieur et soumise à un long processus d’intégration économique avec les États-Unis. Le thème du régime de change a une importance particulière à cause du rôle joué, à travers l’histoire, par la surévaluation du peso dans les crises récurrentes de l’économie mexicaine. Depuis 1998, le débat s’est accru, suite aux effets de la crise financière asiatique et en raison de propositions telles que la création d’un Conseil monétaire similaire à celui de l’Argentine ou même la substitution de la monnaie nationale par le dollar. Ces propositions impliqueraient de renoncer à la souveraineté monétaire.
3Les réflexions qui sont présentées dans ce texte s’inscrivent dans l’objectif plus général d’encourager au Mexique une stratégie alternative de développement, afin de remplacer de manière efficace le modèle néolibéral appliqué depuis 1983. Cette stratégie viserait à atteindre une croissance économique durable avec équité sociale, dans un cadre de stabilité monétaire et financière. Un des objectifs principaux d’une telle stratégie serait de redéfinir l’insertion internationale de l’économie mexicaine dans le cadre de la mondialisation et de l’Alena, reprenant ainsi les espaces perdus de la souveraineté nationale (Guillén, 2000).
4Tout au long de son histoire, le Mexique a manqué d’un système productif articulé et cohérent, capable d’assurer de manière autonome la reproduction élargie du capital : on n’a jamais réussi à constituer une base endogène d’accumulation du capital. Bien que le développement capitaliste du Mexique existe depuis plus d’un siècle, et malgré les progrès obtenus dans les processus d’industrialisation, le système productif national reste complètement extraverti, c’est-à-dire hautement dépendant de l’extérieur, principalement des États-Unis. L’ensemble souffre d’une grande désarticulation entre les secteurs et les branches qui le composent. Le manque d’une base endogène d’accumulation se manifeste à travers la contrainte extérieure, c’est-à-dire l’incapacité structurelle du Mexique (et des pays latino-américains en général), à générer les devises nécessaires pour assurer la continuité du processus de reproduction du capital, ce qui conduit à des crises récurrentes dans la balance de paiements. Système productif extraverti et contrainte extérieur sont donc les deux faces de la même monnaie.
5L’existence d’un système productif extraverti et désarticulé a une influence certaine sur la faiblesse de la monnaie. Le peso mexicain est une monnaie faible qui opère dans la zone monétaire du dollar. Il s’agit d’une monnaie inconvertible, car sa conversion en d’autres monnaies fortes exige sa conversion préalable en dollar. La monnaie du Mexique accomplit d’une manière non satisfaisante les fonctions de l’argent. Ce n’est pas un moyen de réserve ou de thésaurisation adéquat, raison pour laquelle des entreprises et des individus ont recours de manière intermittente à la fuite de capitaux et maintiennent depuis longtemps des comptes bancaires à l’extérieur, principalement aux États-Unis. Dans des conditions difficiles d’accumulation du capital, le peso cesse de fonctionner comme moyen de paiement et, dans des situations extrêmes, comme moyen de circulation, puisque il est remplacé, dans ces fonctions, par le dollar.
6C’est le cas, par exemple, des ventes immobilières calculées en dollars, des opérations commerciales réalisées en dollars le long de la frontière avec les États-Unis, ou bien celui, plus général, de la dollarisation de presque toutes les opérations financières. L’usage du dollar dans les circuits monétaires et financiers du Mexique s’amplifie surtout dans les périodes d’instabilité financière. Dans ces cas-la, la défense de la parité ne dépend plus des actions de la banque centrale mexicaine, laquelle ne peut pas accomplir de façon adéquate son rôle de prêteur en dernier ressort. Ses fonctions sont remplacées de plus en plus par la Réserve fédérale ou le Département du Trésor des États-Unis. Bref, la dollarisation des circuits monétaires et financiers est le résultat de la faiblesse de la monnaie, laquelle, à son tour, se nourrit de la fragilité et de la dépendance du système productif.
RÉGIMES DE CHANGE AU MEXIQUE APRÈS LA RÉFORME NÉOLIBÉRALE
7La politique de change du gouvernement mexicain a subi diverses transformations, surtout à partir de la décennie des années 1970, quand est apparue la crise du modèle de substitution des importations (tableau n°9).
8Pendant la longue phase d’essor de l’après-guerre, on a appliqué une politique de taux de change fixe dans le cadre du régime monétaire de Bretton Woods. À partir de 1976, on est entré dans un schéma de taux flottants qui a favorisé la surévaluation du peso, excepté pendant l’administration de Miguel de la Madrid (1983-1988), quand on a appliqué une politique destinée à maintenir un taux de change sous-évalué. Pendant l’administration de Carlos Salinas de Gortari (1989-1994), on a suivi une politique de glissement prédéterminé de la monnaie par rapport au dollar, dans le cadre d’un programme de stabilisation (Pacto). Ce programme incluait quelques mesures de type hétérodoxe : une politique concertée avec les syndicats et les patrons sur les prix et les salaires et le contrôle de certaines variables macroéconomiques-clés, comme le taux de change, considéré comme le pilier de la lutte anti-inflationniste.
9Le Pacto a permis une réduction importante de l’inflation pendant l’administration saliniste. Cependant, on a abusé de la fixation relative du taux de change comme instrument de stabilisation. Vers la fin de 1989, il était évident que le peso commençait à se surévaluer. Malgré cela, on a évité au maximum l’ajustement des taux de change. Les intérêts du capital financier extérieur, des grands banquiers et des entrepreneurs endettés en dollars, qui ne bénéficiaient pas de l’ajustement à la baisse du change, ont été plus forts. Au lieu d’endiguer la surévaluation croissante, le gouvernement procédait en sens inverse, à chaque phase du Pacto, réduisant le rythme de glissement de la monnaie et approfondissant de cette manière la surévaluation, avec l’espoir utopique d’atteindre une inflation à un chiffre.
10Le dénouement de cette histoire est bien connu. L’ouverture de l’économie, combinée avec la l’utilisation abusive du taux de change comme pilier de la lutte anti-inflationniste, ont provoqué un déficit croissant dans la balance en compte-courant, déficit financé par l’injection permanente de capitaux extérieurs. Les entrées de capital externe ont permis de maintenir cette stratégie durant quelque temps, jusqu’à ce que le déficit extérieur soit devenu insoutenable. La politique de change du gouvernement a alors perdu toute crédibilité. En décembre 1994, la mauvaise gestion de la dévaluation par la nouvelle administration d’Ernesto Zedillo (1994-2000) n’a fait qu’aggraver les choses, entraînant le pays dans la pire crise financière et économique de son histoire moderne. Le peso a été dévalué de 122 % entre novembre 1994 et décembre 1995. La stabilité relative des marchés de change et des marchés financiers n’a été atteinte que lorsque le gouvernement des Etats-Unis a approuvé le Programme Clinton de 51 milliards de dollars2. À partir de la dévaluation de 1994, le gouvernement a établi un régime de change de libre flottement de la monnaie, où le niveau du peso s’établit en fonction des conditions du marché, sous la surveillance et l’intervention de la banque centrale mexicaine. Cependant, malgré le flottement, une tendance générale a la surévaluation de la monnaie mexicaine a prévalu.
11Après la dévaluation, au cours du premier trimestre 1995, le taux de change a subi une tendance à la sous-évaluation par rapport avec le dollar, dans le pire moment de la crise. En mars de cette année-là, la marge de sous-évaluation a atteint un maximum de 25,2 %. À partir d’avril de la même année, comme résultat de la stabilisation relative atteinte dans les marchés avec l’approbation du Programme Clinton, le peso a commencé à s’apprécier à nouveau. En septembre, la marge de sous-évaluation était d’à peine 3,5 %. Les turbulences financières du dernier trimestrel 995 ont provoqué un nouvel ajustement à la baisse de la parité. En novembre, le taux de change enregistrait une sous-évaluation de 17,1 %. À partir de cette date, le peso a retrouvé une tendance à la réévaluation, poussé principalement par le retour des flux de capital de portefeuille. Ceux-ci se sont placés en majorité dans la Bourse mexicaine, qui a commencé à enregistrer des rendements réels élevés après sa stagnation depuis la crise de décembre 1994.
12Vers la fin de l’année 1996, le peso avait perdu sa marge de sous-évaluation, il se plaçait à un niveau proche de celui de "l’équilibre" et commençait déjà à se surévaluer. La surévaluation s’est accrue au cours des premiers trois trimestres de 1997 et il a fallu l’irruption de la crise du sud-est asiatique pour que le peso subisse un nouvel ajustement qui a permis d’éliminer pour un certain temps la surévaluation. Cependant, ce phénomène a été temporaire. Dès 1999, le retour modéré des capitaux de portefeuille et l’accélération de l’inflation interne ont alimenté à nouveau la surévaluation qui était de 28,6 % en mars 2000.
13Bien que la banque centrale ait à sa disposition des mécanismes divers pour éviter une appréciation trop brusque de la monnaie, le gouvernement applique une politique qui favorise la surévaluation. Chaque fois que le marché manifeste une tendance à la dépréciation, la banque centrale élève ses taux d’intérêt pour stabiliser le taux de change. À l’inverse, quand la monnaie se surévalue, les autorités monétaires ne se pressent pas de corriger la tendance. De nouveau, comme pendant l’administration saliniste, l’intérêt de maintenir le Mexique comme un marché émergent ouvert aux investisseurs extérieurs l’emportait. La protection des intérêts des grandes entreprises et des financiers endettés en dollars a été plus forte que celle des entreprises tournées vers l’exportation (dont l’action est entravée par la surévaluation de la monnaie nationale), ou celle des débiteurs internes de la banque, qui bénéficieraient pourtant d’une politique monétaire moins restrictive. Or, laisser le peso continuer à se surévaluer sous prétexte qu’on ne peut rien faire face aux forces invisibles du marché, c’est préparer le terrain pour une nouvelle crise financière, ce qui suffirait à faire échouer n’importe quelle idée de croissance soutenue et de stabilité monétaire.
PROPOSITIONS DE MODIFICATION DU RÉGIME DE CHANGE
14Au cours de l’année 2001, deux fortes propositions (liées à la consolidation des mécanismes internes de l’Alena) ont été faites pour modifier le régime de change au Mexique : La substitution du peso par le dollar ou bien la mise en place d’un Conseil monétaire (currency board), semblable à celui appliqué en Argentine, à Hong Kong et dans d’autres pays (la Bulgarie, l’Estonie et la Lithuanie, par exemple).
La dollarisation
15Au Mexique, les propositions de "complète dollarisation" sont une sorte de mode (la mode de la monomoneymania après Maastricht, selon Krugman, 1999) plus que des propositions sérieuses. Quelle est la raison de ce brusque changement dans le régime de change ? Pour les promoteurs de la dollarisation complète, le changement est rendu nécessaire à cause de l’irresponsabilité montrée par les gouvernements dans la gestion de la politique économique. Selon eux, les groupes au pouvoir manipulent les taux d’intérêt et le taux de change en surévaluant les monnaies avec des objectifs politiques, ce qui entraîne des crises récurrentes dans le secteur extérieur. Au fond, cette attitude est l’expression d’une idéologie néocolonialiste qui considère que les gouvernements des pays sous-développés ne sont pas capables d’exercer une politique monétaire responsable. À cause des problèmes de corruption ou bien d’intérêts politiques, ces gouvernements ont tendance à imprimer des billets de manière irréfléchie, provoquant inflation et surévaluation de la monnaie nationale. Dans cette perspective, étant donné que de telles nations ne peuvent pas agir de manière responsable, il apparaît nécessaire d’imposer une véritable discipline depuis l’extérieur, par l’intermédiaire d’un Conseil monétaire, ou bien, tout simplement, de substituer la monnaie locale par le dollar. À mon avis, les deux propositions (celle de créer un Conseil monétaire ou celle de substituer le peso par le dollar) seraient extrêmement nuisibles si elles s’appliquaient au Mexique. En effet, l’utilisation des monnaies des puissances économiques dominantes à l’intérieur des économies des pays dominés existe uniquement dans des États qui maintiennent un statut colonial ou semicolonial. Sur le continent américain, cette situation se présente à Puerto Rico et au Panamá. En Europe, le procédé a été utilisé pour réaliser l’intégration allemande, ce qui a eu pour effet de mettre les habitants de l’ancienne République démocratique allemande, au sein de l’Allemagne unie, dans des conditions d’infériorité.
16L’utilisation d’une monnaie unique régionale est posé uniquement dans le cadre de l’Union européenne. La comparaison entre les pays européens et le Mexique est intéressante parce que les processus d’intégration ont été mis en place dans des contexte économiques et politiques très différents. En effet, en Europe, le processus s’opère entre des pays dont les niveaux de développement économique sont relativement proches. En outre, ce processus a démarré depuis déjà plusieurs décennies. Pour cette raison, la monnaie unique est le corollaire logique d’une éventuelle unification politique. Dans le cas du Mexique, l’adoption du dollar ou d’une monnaie unique dans le cadre de l’Alena ou du projet d’intégration continentale (ALCA) serait uniquement concevable sur le long terme, et une fois qu’on aurait diminué les asymétries économiques et sociales abyssales qui existent entre d’une part le Mexique, et de l’autre les États-Unis et le Canada. Avant de penser à une intégration monétaire avec le Nord, il faudrait renégocier les aspects de l’Alena qui affectent négativement l’économie mexicaine et qui restreignent la souveraineté nationale en ce qui concerne la politique économique. Il faudrait aussi établir un accord formel sur les flux migratoires en Amérique du Nord. Pour établir une monnaie commune dans une région, la condition préleable serait de réaliser une "zone monétaire optimale", c’est-à-dire une région ou il y aurait libre mobilité des facteurs de production : capital et force de travail (Mundell, 1968). Si on progresse réellement vers l’intégration commerciale et économique de l’Amérique latine, on ne devrait pas rejeter l’utilisation, dans le long terme, d’une unité de compte commune latino-américaine utilisée exclusivement dans des opérations internationales et qui serait émise par une banque centrale latino-américaine. Cependant, l’adoption du dollar comme monnaie nationale au Mexique impliquerait une cession presque complète de la souveraineté nationale, car elle convertirait l’État mexicain en un simple administrateur du territoire et de la force de travail. L’utilisation du dollar aurait aussi de sérieuses implications économiques. Les entreprises et les banques endettées en dollars seraient les principales bénéficiaires de l’opération, car le risque de change serait éliminé. Les avantages en matière de stabilisation de prix et de taux d’intérêt plus bas ne seraient pas comparables avec les effets négatifs en matière de croissance économique qui devrait être l’objectif principal de toute politique économique au Mexique. L’emploi du dollar empêcherait d’utiliser le taux de change comme instrument d’ajustement des déséquilibres. Face à la crise du secteur extérieur, la dévaluation ne pourrait pas être utilisée comme mécanisme correctif. Le rôle de la politique monétaire serait presque réduit à zéro. Tous les ajustements devraient se faire par la voie budgétaire, par le crédit bancaire ou par la contraction des salaires, ce qui aurait des effets récessifs sévères sur l’économie.
17Pour les États-Unis, la dollarisation des économies latino-américaines n’est pas un objectif à court terme. Certes, la dollarisation accélèrerait l’intégration du continent sous l’hégémonie nord-américaine et pourrait avoir des effets stabilisateurs dans les économies de la région. Cependant, elle obligerait la Réserve fédérale à se responsabiliser du soutien des systèmes financiers de la région et à agir comme prêteur en dernier ressort dans des situations de crise (Summers, 1999). D’ailleurs, l’affaire a des implications politiques et culturelles, car l’Amérique latine est composée de nations historiquement habituées à identifier les États-Unis comme l’ennemi commun. La dollarisation devient donc un problème stratégique pour la Maison Blanche. Selon les propos du ministre du Trésor, L. Summers, "en période difficile, la perte de souveraineté favoriserait les rancœurs et encouragerait les politiciens à faire porter la responsabilité sur les États-Unis" (Summers, 1999 : 3).
18Malgré les résistances de Washington par rapport à la dollarisation complète, l’Equateur a décidé d’adopter cette mesure extrême pour affronter les turbulences provoquées par la crise asiatique. Le programme monétaire de dollarisation de l’économie équatorienne a reçu l’appui financier du FMI, ce qui implique l’approbation tacite des États-Unis pour que les petits pays aient recours à la dollarisation afin de faire face à une instabilité financière très forte.
Création d’un Conseil monétaire
19L’instauration d’un Conseil monétaire aurait des effets semblables à ceux de la dollarisation. On sait que, sous un régime de conseil monétaire, la circulation monétaire interne s’établit en fonction du niveau des réserves de devises. Pour cette raison, sa mise en place n’est pas viable si l’on a des réserves internationales élevées, ce qui n’est certes pas le cas du Mexique. Restreindre la création d’argent au niveau des réserves internationales pourrait permettre, éventuellement, la stabilisation des prix internes. Cependant, une telle mesure deviendrait une camisole de force limitant le développement d’une politique de croissance économique. Les banques perdraient leur capacité de création d’argent, car le volume de crédit resterait assujetti aux vicissitudes du stock des réserves de devises. La marge de manœuvre de la politique budgétaire serait quasiment inexistante. Et le coût en termes de chômage, comme nous le rappelle le cas argentin, serait très élevé.
20En outre, tel qu’on l’a vu en Argentine et même dans la puissante Hong Kong, les conseils monétaires ne sont pas préservés des attaques spéculatives des capitaux internationaux. Autrement dit, les conseils monétaires fonctionnent convenablement quand l’économie se porte bien, mais cessent de fonctionner dans les périodes de crise. Comme résultat des effets de la crise asiatique, ni l’Argentine ni Hong Kong n’ont pu éviter la hausse des taux d’intérêt réels. Pour cette raison, et à cause de la rigidité qu’ils imposent dans le système de crédit, les conseils monétaires sont une très mauvaise option pour les pays qui, comme le Mexique, ont des systèmes bancaires faibles (Roubini, 1999). Heureusement, les vents favorables aux régimes de change attachés au dollar sont en train de tourner, même dans les hautes sphères du grand capital financier. De manière symptomatique, Robert Rubin a conseillé récemment au FMI de cesser d’appuyer les pays qui "défendent des régimes de change insoutenables" liés au dollar (Rubin, 1999).
UNE PROPOSITION ALTERNATIVE
21Le retour unilatéral au régime de change fixe n’est pas non plus réalisable, malgré les avantages que celui-ci a représenté pendant la longue période de croissance de l’après-guerre. Cette alternative ne serait viable qu’accompagné d’une profonde réforme du système monétaire international, qui pourrait substituer l’actuel "ordre", sans normes ni règles claires, qui est appliqué depuis la rupture de l’accord de Bretton Woods. Evidemment, la réforme monétaire internationale ne dépend pas du Mexique – bien que la politique extérieure mexicaine doive tenir en compte –, car elle implique un changement de rapport de forces politique dans les pays du centre.
22En 2001, alors que s’effectue une transition démocratique délicate, après soixante-dix ans de pouvoir quasi absolu du Parti révolutionnaire institutionnel, le Mexique a besoin d’une politique de change qui stimule le développement économique du pays, et non qui l’entrave. La stratégie économique du Mexique devrait avoir comme principal objectif d’atteindre une croissance durable et d’augmenter les niveaux d’emploi. Par conséquent, il faut une politique de change qui, outre sa contribution à la stabilisation des prix, soit un instrument actif de croissance économique. Or, pour que celle-ci se fasse sur le long terme, elle doit contribuer à maintenir les déséquilibres externe et budgétaire dans des limites tolérables.
23Aucun régime de change n’est ni parfait, ni éternel. Le dilemme est alors de choisir un régime qui fonctionne dans de bonnes et de mauvaises conditions et qui s’adapte aux objectifs de la politique économique. Puisque le Mexique appartient désormais à une zone de libre commerce puissante, mais où les disparités socio-économiques internes sont fortes, il convient de maintenir un régime de flottement de la monnaie dont le but central doit être d’établir le taux de change à un niveau réel, c’est-à-dire, une politique qui empêche aussi bien la sous-évaluation que la surévaluation de la monnaie. Évidemment, la banque centrale continuerait à intervenir de manière sélective, en cas de mouvements spéculatifs qui menaçant de placer le peso dans une situation difficile par rapport aux objectifs du gouvernement.
24Dans une économie ouverte comme l’est à présent l’économie mexicaine, la surévaluation est provoquée par l’entrée de flux de capitaux à la recherche de rendements extraordinaires, situation que les autorités monétaires favorisent en établissant des taux réels d’intérêt très élevés et en utilisant la hausse de ces taux comme un mécanisme de stabilisation du taux de change. L’utilisation des taux d’intérêt comme mécanisme correcteur des déséquilibres de change n’est pas un phénomène exclusif du Mexique : c’est un trait dominant de l’économie internationale depuis la rupture de Bretton Woods. En effet, l’existence de taux flottants pousse les gouvernements à utiliser les taux d’intérêt comme mécanisme stabilisateur du taux de change. Le taux d’intérêt cesse d’être une variable interne pour devenir un instrument d’ajustement des mouvements internationaux de capitaux.
25La manipulation des taux d’intérêt pour maintenir le taux de change et attirer et/ou retenir le capital extérieur, comme l’a fait l’administration de Zedillo en répétant les erreurs du gouvernement de Salinas, a été nuisible pour le sain développement de l’économie réelle. La manipulation a un effet pervers car elle augmente l’incertitude et provoque la diminution des investissements productifs. Cette manipulation des taux empêche la résolution du problème des créances douteuses et la réactivation du crédit bancaire. Elle entraîne le capital vers la spéculation. En outre, dans des situations d’instabilité et de méfiance, elle s’avère inefficace comme instrument de stabilisation du taux de change, parce que la spéculation, au lieu de s’arrêter, s’accroît en suivant l’augmentation des taux d’intérêt. La fixation d’un taux de change réaliste devrait donc être accompagnée d’une véritable politique monétaire, dont l’objectif ne soit pas non plus exclusivement la stabilité des prix, mais qui favoriserait la croissance économique. Le rétablissement durable de l’économie mexicaine ne sera pas atteint tant qu’il existera un niveau élevé des taux d’intérêt réels (autour de 10 % pour les taux passifs et de 30 % pour les actifs).
26Pour rompre le cercle vicieux des taux réels élevés/sur-évaluation-/crise externe, on doit chercher à détacher le niveau des taux d’intérêt des aléas du taux de change, dans la mesure où les conditions internes et externes le permettent. L’établissement d’un taux de change réaliste et compétitif, au moyen de l’application d’une politique monétaire moins restrictive, encouragerait la croissance des exportations et rendrait rentables des projets de substitution des importations. En outre, il découragerait l’augmentation sans borne des importations ainsi que les dépenses à l’extérieur évitant une croissance insoutenable du déficit en compte courant. Avec cela, on contribuerait au désamorçage des conditions favorisant d’éventuelles attaques spéculatives contre la monnaie.
27À moyen et à long terme, la correction du déséquilibre externe dépendra des mesures structurelles qui seront prises, telle que l’application d’une politique industrielle et économique permettant la construction d’un système productif cohérent et mieux articulé. Avec une politique de taux de change réaliste, la logique du modèle économique passerait de la prédominance des intérêts financiers à la prééminence des intérêts de l’économie réelle. Dans un cadre de croissance durable, la défense du taux de change et la crédibilité de la politique de change s’appuierait sur la puissance de l’économie et sur la confiance des agents économiques, ainsi que sur les progrès que le Mexique pourrait obtenir en matière de démocratie politique et sociale, et non pas, comme cela s’est passé au cours des dernières années, sur des mesures d’encouragement destinées à attirer le capital financier international, avec des taux d’intérêt qui asphyxient l’activité économique interne. C’est sans aucun doute sur ce point particulier que le président Vicente Fox devra affirmer sa volonté politique, s’il veut faire du Mexique un vrai partenaire des États-Unis et du Canada, au sein de l’accord de libre échange nord-américain.
Bibliographie
Bibliographie
Guillén R., Arturo, 2000, México hacia el siglo xxi : crisis y modelo económico alternativo. México, Plaza y Valdés ed. - UAMI.
Krugman, Paul, 1999, Monomoney Mania. Why fewer currencies aren’t necessarily better. http://www.slate.com/Dismal/99-04-15/Dismal.asp.
Mundell, Robert A. ,1968, International Economics. New York, MacMillan.
Roubini, Nouriel, 1999, The Case Against Currency Boards. New-York, Stern School of Business, New York University, 16 p.
Rubin, Robert, 1999, IMF Should Pull the Plug on Nations with Unrealistic Currency Pegs. Business Week Online. E.U., 20 mai 1999.
Summers, Lawrence, 1999, Discours prononcé devant le Comité de Banque du Sénat des États-Unis. Washington, 22 avril 1999.
Notes de bas de page
2 Le programme Clinton est le plan de sauvetage de l’économie mexicaine mis en place pendant la crise de 1994-1995. Face à l’opposition du Congrès américain, Clinton a décidé d’utiliser des fonds publics consacrés à la stabilisation du dollar et des ressources provenant d’organismes multilatéraux pour soutenir le peso mexicain et, de cette façon éviter une crise systémique du système financier international. Avec les ressources du Programme Clinton, le gouvernement mexicain a pu liquider les Tesobonos – instruments financiers attachés au dollar – que possédaient des investisseurs étrangers.
Notes de fin
* Universidad Autónoma Metropolitana, unité Iztapalapa. Traduction : Reyna Malváez.
Auteur
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