Le Brésil des jeunes
Enquête réalisée dans le cadre de l’ADEPBA auprès des élèves de lycées et collèges sur l’image du Brésil en France
p. 321-353
Texte intégral
Avant-propos
1Lorsqu’au printemps de 1986, nous avons présenté ce projet d’enquête à Solange Parvaux, Inspecteur Général de Portugais, elle en a immédiatement accepté l’idée, suggérant même de nous mettre en rapport avec les professeurs de Français, au Brésil, pour qu’une enquête équivalente, réciproque, soit réalisée parallèlement au Brésil sur l’image de la France chez les jeunes Brésiliens. Nous tenons à la remercier pour la compréhension et le soutien qu’elle nous a témoignés tout au long de ce travail. La réalisation n’en a pas été simple, on s’en doute. Cependant nous avons trouvé, chemin faisant, beaucoup d’aide et de compétence. Un remerciement tout particulier est adressé à Pierre Gervaiseau qui, non seulement nous a soutenus, mais a rendu cette enquête possible en mettant en contact les deux partenaires institutionnels de cette enquête : l’ADEPBA et l’IRPEACS.
2Nos plus grands remerciements vont bien sûr à tous ceux qui nous ont prêté main forte dans la conception et l’application du questionnaire, en particulier les 35 professeurs de lycées et collèges qui ont accepté de le faire passer dans leur établissement, l’exploitant localement avec leurs élèves pour certains, et enfin à l’équipe de professeurs de portugais qui a bien voulu y consacrer beaucoup de temps et de réflexion, participant à toutes les phases de sa réalisation : O. Ballesta, G. Brugeille et L. Joue (on trouvera la liste de tous les participants en annexe).
3Cette enquête se proposait trois objectifs que nous avons tenté de rendre compatibles :
recueillir un panorama des représentations sur le Brésil auprès d’une population d’élèves des lycées et collèges en France ;
mobiliser les élèves et les professeurs – Histoire-Géographie, Économie, Portugais... – autour de ce thème et amorcer une réflexion sur les représentations recueillies en exploitant localement, dans chaque établissement, les résultats de l’enquête ;
contribuer à une réflexion théorique sur les représentations sociales en prenant appui sur l’expérience déjà acquise par l’équipe de P. Vergès et A. Silem au sein de l’IRPEACS : approche théorique et méthodologique.
Introduction
4L’enquête sur les images du Brésil auprès des lycéens et des collégiens que nous avons entreprise a permis de recueillir un panorama des représentations des jeunes touchant à ce pays. La méthode d’élaboration du questionnaire et les objectifs poursuivis s’inspirent de la théorie des représentations sociales élaborée par Pierre Vergès1 et développée dans de nombreux travaux de l’IRPEACS2. Un survol rapide de cette théorie s’avère indispensable pour comprendre la nature des questions posées et les résultats obtenus.
5L’invitation faite pour étudier les images que se font les adolescents – collégiens et lycéens – à propos d’un objet, n’est pas dénuée d’intentions implicitement normatives. Ayant comme population des élèves, les réponses vont révéler des erreurs, des déformations, des méconnaissances... : la tentation est grande de s’en servir pour formuler des prescriptions aux enseignants afin de rectifier cette image « fausse » et de lui substituer les bonnes connaissances, les connaissances justes. Ce travail de correction qui consiste à opposer « connaissances populaires » et « connaissances savantes », s’il est appliqué mécaniquement et sans autre réflexion, revient à ignorer d’une part l’importance et les mécanismes de l’information et des communications dans les sociétés modernes, et d’autre part, la nature profonde des représentations sociales. Celles-ci peuvent être définies comme des connaissances pratiques ou efficaces. Les adolescents sont exposés aux discours des spécialistes : journalistes, géographes, historiens, économistes... Le « discours circulant » émanant de ces différents acteurs est accueilli et pris en charge pour être intégré à un savoir existant, selon une procédure à la fois individuelle et socioculturelle qui fait de la représentation sociale une connaissance partagée.
6Cette hypothèse renvoie indirectement à la théorie de S. Moscovici et aux travaux de P. Vergès. Le postulat fondamental de S. Moscovici est qu’il n’y a pas de coupure entre l’univers extérieur et l’univers intérieur de l’individu (ou du groupe). Le sujet et l’objet ne sont pas foncièrement distincts3. En d’autres termes, la seule réalité pour l’individu ou le groupe est la réalité appropriée, c’est-à-dire intégrée dans un système cognitif4. La représentation, à la fois processus et contenu, « restructure la réalité pour permettre une intégration à la fois des caractéristiques de l’objet, des expériences antérieures du sujet et de son système d’attitudes et de normes »5.
7On peut s’accorder pour dire que la représentation sociale est un point de vue partagé sur un objet qui permet de donner un sens à celui-ci, d’une part, et à l’action de l’individu ou du groupe social, d’autre part. Appliqué à l’objet Brésil qui peut être investi par différentes disciplines (anthropologie, économie, géographie, histoire, sociologie, politique, etc.), il est évident que la représentation sociale ne peut nullement reproduire les représentations scientifiques que dégageraient ces différentes disciplines. De ce fait, il n’est pas question de les poser comme le reflet déformé des connaissances scientifiques. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’existe aucun lien entre représentations sociales et connaissances scientifiques. En effet, et pour reprendre la définition de W. Ackermann et R. Zygouris, les représentations sociales sont un savoir ayant avec le savoir scientifique un certain degré de fidélité « pouvant aller de l’adéquation la plus parfaite à la théorie jusqu’à la représentation la plus subjective et la plus éloignée de la vision scientifique courante, à peine reliée à celle-ci par quelques mots savants vidés de leur signification conventionnelle ». Il convient par conséquent de s’interroger sur le contenu de ces représentations en vue d’une intégration dans un projet pédagogique, en prenant soin de rejeter la problématique du « face-à-face conflictuel » entre connaissances populaires et connaissances savantes. L’école est le lieu où ces deux modalités de connaissance se rencontrent et où l’une ne peut s’établir sans tenir compte de l’autre.
8Cette problématique des représentations sociales a donné lieu à la mise au point d’un questionnaire écrit dont les aspects méthodologiques sont donnés en annexe. L’objet du travail présenté ici est d’analyser les réponses obtenues auprès des élèves (1248) en distinguant les tests d’évocation, les textes libres et les sélections d’items.
Les évocations spontanées
9La question d’évocation libellée : « Quels sont les premiers mots (ou groupes de mots) qui vous viennent à l’esprit en face du mot Brésil ? » a donné heu à un traitement sur deux sous-échantillons comprenant 107 élèves de lycées et 99 élèves de collèges correspondant à 9 établissements, dans chaque cas représentatifs des échantillons de base.
10L’objectif de cette forme de question ouverte est de saisir la dimension cognitive et le fonctionnement idéologique des sujets. L’évocation débouche sur un faisceau d’aspects qu’il est intéressant d’analyser pour dégager un noyau dur des représentations que suscite le Brésil et des élements de prototypicalité. On pourra ainsi comprendre le rôle que jouent les niveaux de détermination des représentations sociales (imaginaire, discours circulant, connaissance scolaire). L’évocation se manifeste par un vocabulaire, mais en matière de représentations, l’idée importe autant sinon davantage que le mot. Pour cette raison, nous présentons en premier lieu les aspects statistiques du lexique puis en second lieu l’analyse par champ sémantique.
La richesse du lexique
11Le vocabulaire des élèves de lycée et de collège est très riche. Il comporte respectivement 317 et 293 expressions et mots différents pour des occurences totales de 861 et 835. En d’autres termes, la fréquence moyenne d’un mot ou d’une expression est de 2,71 pour les lycées et de 3,85 pour les collèges.
12Le nombre moyen d’items par élève est de 8,046 pour les lycées et 8,43 pour les collèges. Les écarts-types sont respectivement de 2,6192 (lycée) et 2,3270 (collèges). Le test d’homogénéité des moyennes au seuil de 5 % indique que les moyennes ne sont pas significativement différentes.
13Le phénomène qu’il convient de relever est que le mot Brésil suscite un grand nombre de réponses. Les moyennes sont relativement élevées : pour cette même question nos travaux antérieurs sur d’autres thèmes donnaient des niveaux nettement plus faibles6.
14L’analyse qualitative des répertoires des deux sous-échantillons permet de percevoir quelques différences, mais dans l’ensemble il s’en dégage une grande homogénéité.
15La première différence pourrait résider dans le fait que seuls des élèves de lycée, c’est-à-dire plus âgés, ont évoqué les expressions et les mots « Bois de Boulogne », « travestis ». Mais ils ne sont que 3 dans ce cas. Ils sont 8 en revanche à évoquer « les belles filles, les filles, les jolies filles, les brésiliennes, les belles brésiliennes », mais 5 élèves de collèges ont donné les mêmes réponses.
16L’examen des réponses curieuses qui relèveraient de la méconnaissance, peu nombreuses dans l’ensemble, ne permet pas de discriminer les deux groupes. La référence à l’Amérique hispanique et à la langue espagnole d’une part, et la désignation de Rio comme capitale, d’autre part, sont communs aux deux groupes. Certaines approximations sont bien entendu liées à une vision assez confuse du sous-continent latino-américain. Nous avons ainsi : sombrero, Mexique, Buenos Aires, Porto Rico, Christophe Colomb, Santa Barbara (le feuilleton américain), la salsa, le Pacifique, et le pain d’épice (!)...
17L’analyse des expressions et mots les plus fréquents après regroupement de certaines expressions synonymes laisse entrevoir peu de différences entre les groupes (Tableau no 1). Au seuil de 10 occurences, on ne trouve que très peu de mots spécifiques à chaque sous-échantillon. La corrélation des rangs est très forte comme le montrent les 5 premiers éléments : Carnaval, Soleil, Football, Café, Pauvreté. Au-delà de ces cinq aspects, des différences de classement et de fréquence sont assez nettes. Les élèves les plus âgés placent la musique au 6e rang alors qu’elle est au 19e rang pour les plus jeunes. Parmi ces derniers, 10 citent les feuilletons de télévision tandis que les lycéens ne sont que 2 à les évoquer. Les lycéens sont en revanche plus nombreux à évoquer le problème de l’endettement : 24 d’entre eux pour 5 collègiens. Les aspects « couleur », « langue portugaise », avec l’endettement et la musique, appartiennent davantage aux représentations des lycéens que des collégiens. Pour ces derniers, les aspects spécifiques sont, avec les feuilletons, « la sécheresse », « Brasilia », « la forêt ».
18La recherche d’éléments de prototypicalité conduit à ne retenir que « carnaval » ou « carnaval de Rio » et « soleil ». En effet, ces deux éléments sont cités par plus de 50 % pour le premier et par près de 50 % pour le second dans les deux sous-échantillons. En outre, lorsqu’ils sont évoqués, ils apparaissent dans les deux premiers de la liste donnée par les élèves dans plus de 50 % des cas (carnaval pour les lycéens, soleil pour les collégiens). En élargissant le critère de prototypicalité jusqu’au troisième rang dans la liste, « carnaval » et « soleil » apparaissent sans ambiguïté comme la représentation spontanée du Brésil.
Les champs sémantiques
Définition des champs sémantiques
19Au-delà des mots, il est intéressant de chercher à mettre en évidence des champs de signification spécifiques au sein des représentations sociales que suscite le mot Brésil. Le vocabulaire disponible autorise à distinguer cinq champs sémantiques.
le champ ludisme, fête, art couvre tout ce qui a trait au sport, coutume, jeu, danse, musique, cinéma, feuilleton, carnaval, déguisement, folklore.
le champ géographie regroupe tous les éléments physiques et l’utilisation de l’espace : forêt, sécheresse, climat, ville, immensité du territoire, désert, sont quelques-uns des mots et expressions que l’on a rangés dans cette catégorie. En revanche, le soleil et la mer qui sont souvent suivis par plage ou vacances ou par d’autres mots à connotation de plaisir et de loisirs, pour le répondant, sont mis dans la catégorie « mythologie, imaginaire et valeurs ».
le champ mythologie, imaginaire et valeurs est constitué par tout ce qui se rapporte au mythe (or (métal), aventures...) ainsi qu’à l’attitude, aux comportements, aux désirs et au goût du répondant. C’est un champ qui pose des problèmes d’homogénéité et d’interprétation. Le cas du mot « soleil » présenté précédemment en est l’illustration. Le soleil suivi de sécheresse peut être un aspect du champ géographique. La mer en est également un. Mais associés le plus souvent à bronzage, vacances, baignades, maillots de bain, sable chaud ou fin, ils relèvent du champ mythologie, imaginaire et valeurs. En raison de la forte prédominance de cette dernière situation, les mots pour lesquels un doute existe ont été assimilés aux cas ne faisant pas discussion.
le champ économique est défini par tout ce qui touche à la production, la répartition, la distribution et la consommation de richesses dans une société donnée. Les mots, notions et expressions du type « café, producteur de café, pays sous-développé, pays endetté, pauvreté, inflation, richesse, tourisme, chômage, pays vendeur d’armes, nouveau pays industrialisé, dualisme, contraste, famine... » sont classés dans ce champ. En revanche lorsque le dualisme ou le contraste sont qualifiés ou traduits par « riche/pauvre », « richesse pour les bourgeois », « contraste pauvreté/richesse », il nous a semblé préférable, dans ces différents cas, de ranger les expressions dans le champ social.
le champ social recouvre l’ensemble des éléments ayant trait aux rapports sociaux et aux conditions de vie des groupes sociaux identifiés. On y trouve aussi la langue parlée, les questions de races et d’éthnies : « mélange de races », « brassage des races », « mélange de civilisations », « les Indiens, les indigènes », « l’esclavage » ; les données démographiques : « population importante », « beaucoup de jeunes » ; les problèmes sociaux : « inégalités sociales », « riches/pauvres », « quartiers riches-quartiers pauvres », « taudis, favelas, bidonvilles », « maladie », « pauvreté », « saleté », « problèmes de drogue, marijuana », etc.
le champ politique est constitué par tout ce qui se réfère à la sphère du pouvoir d’une manière générale aujourd’hui. Cette définition limitative dans le temps conduit à classer dans le champ social les aspects liés à la colonisation portugaise et à l’esclavage. En fait, la présence de ce champ est peu significative car les collégiens ne sont que 3 à l’aborder tandis que les lycéens sont 9 à parler de « démocratie, démocratisation, 20 juin 1986, Tancredo, pays séquestré, absence de démocratie, corruption, régionalisme et régime ».
Commentaires
20La présentation des définitions a déjà en partie éclairé les résultats. Pour les jeunes lycéens et collégiens, le mot Brésil n’évoque pas spontanément des idées du champ politique. Celui-ci n’apparaît en effet abordé que chez 8,4 % des lycéens et 3 % des collégiens. Il ne représente que 1 % et 0,35 % des occurrences dans chacun de ces groupes. C’est-à-dire que la perspective politique est négligeable. En conséquence, le premier résultat important est que, si les deux sous-échantillons sont bien représentatifs, les élèves de l’enseignement secondaire en France sont peu réceptifs ou peu sensibles à la dimension politique de la vie sociale brésilienne.
21En revanche, et c’est le deuxième résultat, le Brésil est le pays de la fête, du carnaval, du football, de la musique et de la danse, d’une part, et le pays des vacances, du soleil, de la plage, d’autre part. En effet les champs ludisme, fête et mythologie, imaginaire et valeurs sont les plus sollicités dans les deux sous-échantillons.
22La distribution des champs sémantiques pour les deux groupes ne sont pas significativement différents (x 2 = 0,003, pour 4 degrés de liberté et au seuil de 1 %, le champ politique a été regroupé avec le champ social).
23L’analyse plus fine du contenu des champs sémantiques laisse cependant apparaître des différences principalement pour l’économie, mais celles-ci relèvent davantage des compétences que de la représentation sociale. Par exemple l’utilisation de la notion de dualisme par un lycéen est un signe de compétence ou de connaissances académiques qui désigne la même réalité que les expressions : « contraste richesse/pauvreté » ou « diverses catégories : pauvreté, richesse » et « pauvres-riches », utilisées par plusieurs collégiens. Signalons simplement que « dualisme » est classé en économie, tandis que les autres expressions apparaissent dans le champ social.
24Il convient de relever que le vocabulaire des élèves de lycée est plus conceptuel, plus spécialisé et plus technique que celui des collégiens. Ainsi on note (entre parenthèses le nombre des citations) : pays en voie de développement (5), pays sous-développé (3), dépendance économique (1), Tiers-Monde (2), dette au FMI (1), nouveau pays industrialisé (2), pays exploité par les pays capitalistes (1), forte inflation (1). Tous ces éléments sont propres aux lycéens. Au-delà du degré différent d’astraction du vocabulaire, l’idée dominante du champ économique et commune aux deux groupes est la pauvreté et la misère du Brésil.
25Pour une minorité de lycéens (L), le Brésil a certes d’importantes richesses minières (1L) ou des richesses (1L), il connaît le modernisme (1L), tente de s’industrialiser (1), il est un vendeur d’armes qui a de l’avenir (1L) et sort du sous-développement (1L), mais pour la majorité, il connaît la faim, l’endettement, le sous-développement bien qu’il soit exportateur de café. Avec moins de vocabulaire, les collégiens (C) évoquent les mêmes idées.
26Le vocabulaire du champ social conduit à la même conclusion, une fois écartés les thèmes de la langue et des ethnies. On trouve en effet pour les lycéens les critères traditionnels du sous-développement : différence sociale (2L), pauvreté/richesse (6L), les ghettos, taudis, favelas, bidonvilles (19L), maladies fréquentes (1L), pays jeune, jeunesse, beaucoup de jeunes (4L), inégalité sociale (1L), richesse d’une minorité (1L), population importante (1L), analphabétisme (1L), supériorité d’une élite, d’un groupe (1L).
27Avec les collégiens, les aspects socio-économiques dans le champ social sont nettement moins fréquents. On relève tout de même : richesse et pauvreté, contraste misère et richesse, les bourgeois et les riches/les pauvres du Brésil (9C), pays surpeuplé, population nombreuse, abondante, importante, forte population (7C), bidonville (14C). Les collégiens semblent accorder plus d’importance que les lycéens aux problèmes sociaux.
28Le phénomène de société multiraciale est évoqué dans les mêmes termes par les deux groupes, par un nombre faiblement significatif de répondants (moins de 10 % dans chaque groupe). Il en va de même pour la langue portugaise.
29Les contenus convergents des champs économique et social contrastent avec la valorisation positive du champ imaginaire, mythologie et valeurs. Le Brésil est en effet un « pays de rêve » pour reprendre l’expression utilisée par un répondant, qui résume bien le contenu des réponses classées dans ce champ. Cette appréciation positive ne peut être séparée des aspects géographiques du pays : climat, soleil, mer, forêt propice à l’aventure.
30Le Brésil est le pays de la gaité (3C), où l’on peut s’amuser (1C), avoir des loisirs (3C), se baigner (11C) dans la mer bleue comme le ciel (1C) ou verte comme les palmiers et les cocotiers (2C), se bronzer sur la plage (17C). Il y a certes des bidonvilles, mais ce sont des « bidonvilles où les enfants ont toujours le sourire » (1C) avec « des gens heureux » (1C) ou « qui ont l’air heureux » (1C), une ambiance joyeuse (1C), la joie de vivre (4C). C’est un pays accueillant (1C) et chaleureux (2C). Tous ces aspects en font un pays à visiter pour ses « étoiles brillantes » (1C), ses « couchers de soleil » (4C), son « clair de lune » (1C), ses « oiseaux rares » (3C).
31Avec beaucoup moins de lyrisme, le sous-échantillon des lycéens souscrit à cette vision exprimée par l’un des leurs : « un des pays les plus intéressants à visiter dans le monde : forêt, faune, aventure ». Ils sont cependant plus nombreux à tempérer cette représentation en signalant : l’insécurité (1L), la violence (3L), le danger dans les rues le soir (1L), la peur (1L), le crime (1L), la saleté (1L), la mort en abondance (1L), les maladies fréquentes (1L).
32Ces différents aspects classés dans le champ social (délinquance, violence, saleté, une occurrence chacun) restent tout de même négligeables pour les collégiens et n’estompent pas la représentation du Brésil de la fête, de la musique, de la danse, du folklore et du football. Le champ ludisme représente le quart des occurrences pour les deux sous-échantillons. Plus de 80 % des répondants ont cité au moins un élément qui relève de ce champ. Bien évidemment, comme le montre le Tableau no 2, c’est le thème du carnaval qui domine, cité par 60 % des collégiens et 80 % des lycéens.
33La danse, la musique (samba), le carnaval et le football laissent peu de place aux autres formes ou manifestations du folklore, de l’art et du ludisme brésiliens. Les auteurs, architectes, metteurs en scène ne sont cités que par un seul lycéen (Jorge Amado, Niemeyer, Gilberto Gil, Pixote). Quelques collégiens sont certes attentifs aux feuilletons brésiliens, mais le cinéma brésilien est inconnu, tandis que l’on associe « Tarzan » et « L’homme de Rio » au Brésil.
34L’importance du football écrase la Formule 1, et les personnalités les plus citées sont les footballeurs : Pelé (3L et 4C), Zico (3C). Un lycéen propose même, face au mot Brésil, la liste des dix joueurs brésiliens les plus réputés. Les autres sports qui ne bénéficient pas de la même couverture médiatique et dont le niveau international ne justifie pas un tel relai, sont peu occurrents : le Polo (1L), le surf (1L), le tennis (2C).
35Nous noterons pour terminer que la géographie du Brésil est généralement conforme à celle que les livres scolaires décrivent, même si la représentation sociale en est partielle. On y retrouve les principaux éléments : la forêt, à la fois la sècheresse et l’humidité, le climat à la fois tropical et équatorial, les principales villes, même si c’est Rio de Janeiro avec « la statue de Jésus Christ » et « le Pain de Sucre », qui est le plus souvent évoquée, l’importance du fleuve Amazone, la dimension du pays, sa proximité du Venezuela, de la Colombie, du Pérou et de l’Argentine. Les catastrophes naturelles sont évoquées : sécheresse et pluies diluviennes, certaines n’étant pas précisément brésiliennes : séismes, tremblements de terre, volcans.
Conclusion
36L’analyse de la question d’évocation que nous venons d’entreprendre fait apparaître que les trois niveaux de détermination sont actifs : l’imaginaire qui décrit un Brésil de rêve, les discours circulants qui présentent le Brésil comme le pays du football et du carnaval, et les connaissances scolaires qui situent convenablement les aspects géographiques et humains du Brésil.
37Sur le plan social, la représentation des collégiens et lycéens est largement dominée par la « misère », la « pauvreté », image la plus répandue par les média, avec celle du football, du carnaval et de la dette extérieure.
38L’analyse en termes de développement économique, social, géographique relève en revanche des connaissances scolaires. Elle est d’autant plus précise que le groupe est plus avancé dans ses études. Les problèmes politiques qui pourraient ressortir aussi bien de la connaissance scolaire que du discours circulant semblent cependant étrangers aux élèves de l’enseignement secondaire. Le fait d’une banalisation étendue au Tiers Monde d’un phénomène dont le Brésil a été l’archétype, l’incertitude et les changements politiques survenus dans la plupart des pays latino-américains et/ou le peu d’intérêt que les jeunes accordent à la politique pourraient expliquer la rareté de son évocation.
Le brésil des jeunes : du rêve a la réalité
39L’analyse des tests d’évocation mettent en évidence ce que nous pourrions appeler un « système Brésil » dont nous avons pu dégager : a) certaines dimensions et caractéristiques en fonction de notre population ; b) un noyau dur des représentations ; c) des éléments de prototypicalité.
40Il nous faut maintenant pénétrer un peu plus avant dans ce « système » et tenter d’en déceler certaines articulations. C’est ce que va nous permettre l’analyse des textes libres qui faisaient suite, dans le questionnaire, au test d’évocation.
41Nous nous trouvons en fait avec entre les mains un fabuleux trésor de mots, d’idées, de structures mentales et affectives. Il nous faudrait plusieurs mois pour prétendre les décortiquer systématiquement et en rendre une idée qui ne soit pas elle-même partielle ou tronquée. Il s’agit par conséquent d’une analyse de contenu empirique, certes, mais qui nous permet de présenter, à défaut de conclusions définitives, quelques hypothèses.
Attitudes et discours
Bricolage
42A la lecture de ces textes (environ 500) nous avons pu constater empiriquement le bien-fondé des résultats qui précèdent. C’est-à-dire que nous y retrouvons l’ensemble des thèmes énoncés dans le test d’évocation, et de nombreux autres beaucoup plus rares, dans un contexte qui justifie à lui seul une réflexion. Si nous retrouvons les champs sémantiques dans lesquels nous avons classé chaque mot ou expression, avec une fréquence et une proportion qui nous sont déjà connues, ils se trouvent en revanche complètement enchevêtrés dans du « discours vivant », élaborés, articulés. De même, les niveaux de détermination que nous avons retenus sont eux-mêmes actifs simultanément, se superposent, parfois même se « piratent » les uns les autres. Il est donc très difficile d’ordonner ces textes multiples, protéiformes, où se mêlent connaissances, impressions, sentiments, opinions, jugements de valeur, créations, désirs... Ils sont le plus souvent faits d’éléments juxtaposés, plus ou moins construits, parfois seulement de bribes ramassées à la hâte. Quelques-uns poussent un peu plus loin le besoin de cohérence : on a alors un raisonnement, une démonstration, une relation de causalité, et, à l’extrémité de cette tendance, un « bon devoir scolaire ». Le sentiment qui domine, face à ces textes, est celui du bricolage dont parlent les anthropologues, et après eux les spécialistes de l’analyse des représentations, en ce sens qu’en matière de représentations l’intelligence fait feu de tout bois : mémoire, imagination, jugement sont ici requis pour penser l’objet, comme on peut, et en donner une image. Fût-elle caricaturale, excessive, réductrice, sensationnaliste, sommaire, critique, humoristique, poétique..., c’est une image forte : on a envie d’emprunter la célèbre formule de l’hebdomadaire : « le poids des mots, le choc des photos ». Si on parle, et on a raison de le faire, car ils sont tous là, de clichés, de stéréotypes, de paysages de « carte postale », on est étonné, lorsqu’on met bout à bout tous ces textes, de voir la somme des connaissances et des observations pertinentes, sensibles et qui n’ont, elles, rien de la fonction obnubilante, obstruante, du stéréotype : sans nier l’évidente proportion des textes « pauvres », l’image qui ressort de la somme des autres est une image complexe. Ce n’est pas la « vérité » qui est recherchée par l’élève (on ne la lui demandait pas du reste), celle-ci est même l’objet de questionnement : ce qu’on dit à la télévision, en classe, et a fortiori au cinéma ou dans la publicité n’est pas forcément la vérité sur le Brésil. Pas même la vraisemblance, car à défaut de connaissance l’imagination est fertile et il lui faut peu pour se déployer, avec des digressions parfois surprenantes.
Implication
43On ne peut analyser les représentations sans prendre en compte leurs conditions de production ou d’apparition. Nous nous contenterons d’aborder cette question au strict plan de l’enquête, c’est-à-dire de l’élève qui répond au questionnaire. Et ceci nous conduit à distinguer deux plans : le degré d’implication de l’élève, et la conscience qu’il a (exprimée ou implicite) des déterminants sociaux qui contribuent à façonner ses propres images.
44Une première constatation : les élèves ont, dans l’ensemble, compris ce que l’on attendait d’eux et se sont prêtés au jeu de bonne grâce. Rares sont les « copies blanches » ou les « bonnes copies » au sens scolaire du terme. Même si l’on sent qu’ils ont fait très souvent un effort pour exprimer « tout » ce qui leur venait à l’esprit, ils n’ont pas, semble-t-il, exercé trop de censure : des thèmes aussi peu scolaires que les « belles filles », les « travestis », « s’éclater au carnaval » et autres délices touristiques ne manquent pas. De même, s’ils savent individuellement peu de choses du Brésil, et c’est le cas pour au moins 80 % d’entre eux, ils sont nombreux à le reconnaître. En dépit de la prégnance du lieu de passation du questionnaire – l’école – ils font montre d’une assez grande liberté par rapport aux normes admises en ce lieu, la première étant de « savoir ».
45« Le Brésil, c’est loin », cette affirmation est donnée souvent comme explication, parmi d’autres, de leur relative ignorance. Et il est vrai que beaucoup situent bien le Brésil en Amérique du Sud, quelque part là-bas, entre l’Argentine et le Mexique, dans un flou lointain, au point que, à cette distance, les frontières culturelles des pays latino-américains se diluent quelque peu. Mais ce « loin » exprime aussi un éloignement culturel et symbolique (explicité d’ailleurs) qui donne la mesure de leur investissement. Le Brésil ce n’est pas la France : trop moderne (Brasilia) ou trop archaïque (le Nordeste), il s’y passe des choses « inimaginables, impensables » pour un Français (en particulier la misère, l’inégalité sociale et économique, la violence, le travail des jeunes...). En bref, il n’est pas étonnant que des thèmes comme le carnaval, le football, la misère, soient le plus souvent abordés, pas seulement à cause du martellement médiatique, mais parce qu’ils peuvent s’y projeter : le foot, ça les concerne, ils connaissent, ils en parlent ou en entendent parler, c’est une réalité en France ; le carnaval, ils en rêvent, c’est pour eux le lieu par excellence du plaisir et de la joie ; la misère, ça les touche, surtout celle des enfants ; et quand on ne sait rien du tout et qu’on est en classe, c’est tellement bon de penser aux vacances ! Ce qui émane de ces textes c’est qu’en dépit de cet « éloignement » du Brésil, ce pays suscite chez eux une forte implication personnelle. Il nous faudrait pouvoir le comparer à d’autres objets, mais la nature de celui-ci fait que les élèves n’en ont qu’une approche indirecte (par média ou école interposés) et en quelque sorte « passive », à de très rares exceptions près. A défaut d’expérience personnelle du Brésil, ils en bâtissent un de bric et de broc, et rarement objet étranger, lointain, a suscité autant de curiosité et de passion.
Conscience des déterminants média et école
46D’une manière générale, lorsqu’ils en parlent les jeunes ont une vision critique des média – presque toujours la télévision – parfois avec véhémence, parfois se contentant de ne pas être dupes. Lorsqu’il s’agit de l’école, beaucoup moins citée, quelques réserves sont exprimées également sur la manière dont le Brésil leur est présenté.
47« Je connais le Brésil par les images de la télévision et les journalistes. C’est-à-dire je ne connais pas ce pays... » (T.)
48« Le Brésil est un pays pauvre contrairement à ce que l’on peut voir dans les publicités avec des gens bien habillés, le sourire jusqu’aux oreilles ». (2e)
49« On nous bombarde à la télévision de belles filles, sur les plages, dans les reportages ou des feuilletons (à l’américaine) ». (T.)
50« Seules, les images publicitaires me viennent à l’esprit, quand j’évoque le mot « Brésil ». (3e)
51« En cinquième, lors d’une étude sur la faim dans le monde, nous avons étudié le cas du Brésil ». (3e)
52« Pour moi le Brésil est un pays où surtout l’agriculture domine. Je ne me souviens pas avoir vu des « images » du Brésil avec des usines ». (3e)
53« J’imagine le Brésil tel qu’un pays pauvre qui n’arrive pas à surmonter ses problèmes économiques. Peut-être est-ce en raison de nos cours qui nous montrent ce pays uniquement à travers ces problèmes. Les reportages télévisés sont eux aussi essentiellement centrés sur les problèmes du Brésil... ». (T.)
54« En France la grande image que nous projettent les média se fait par les « novelas » qui sont de petites séries télévisées. Je pense qu’elles représentent avec clarté les problèmes que se posent les riches Brésiliens, ceux qui peuvent se permettre de vivre leurs désirs ». (T.)
55« Il paraît que nous Français, on se fait une fausse idée du Brésil (j’en suis d’ailleurs presque certaine car nous ne pouvons décrire un pays qu’à travers les images que l’on nous donne mais aussi que le pays veut bien donner de lui) ». (2e)
56« Le Brésil, trop éloigné culturellement, géographiquement, historiquement de la France – et de l’Europe en général – est un pays méconnu de nous : il est donc soumis à un certain nombre de clichés – comme par exemple le carnaval de Rio – largement couverts médiatiquement, ou bien encore la légendaire équipe de football avec Pelé. Mais la structure profonde de la société est méconnue (au niveau des mentalités, des mœurs...). Seules les inégalités sociales flagrantes – comme dans tous les P.V.D. –, la crise économique, l’endettement considérable sont portés à notre connaissance... » (2e)
57Nous ne saurions mieux dire que ces élèves. Gardons-nous cependant de généraliser ce niveau d’analyse : une majorité certainement de jeunes, surtout en 5e, reproduisent les clichés, sans sourciller ; mais ils sont nombreux à les transformer, à les dépasser, à créer « leur » Brésil à partir de ces stéréotypes. Une importante minorité (environ 20 %) l’exprime : ce qu’on leur montre à la télévision n’est pas le « vrai » Brésil.
Structure des textes
58Il nous semble indispensable d’aborder maintenant, fût-ce très sommairement, et en indiquant ce qui pourrait être fait plus systématiquement par la suite, le rapport entre le contenu (les thèmes abordés) et la forme (déjà effleurée avec l’implication), soit celui de la structure. Pour être bref, l’une des premières structures qui émergent du corpus de façon évidente, massive, dominante, est l’expression de l’opposition, de la contradiction, de la restriction, du paradoxe... bref de la dualité, du « pays de contrastes » : la forme élémentaire de cette relation pourrait être schématisée par « pauvre – mais – gai ». Il est rare qu’une image positive ne soit pas immédiatement contrebalancée par une image négative (ou l’inverse). La conjonction « mais » est omniprésente, ou remplacée par « malgré, bien que, cependant, malheureusement, hélas... », ou encore par des juxtapositions qui ont valeur d’opposition sans que le « mais » soit explicité, pour exprimer sous des formes infiniment variées les deux faces du Brésil : le riche/le pauvre, le développé/le sous-développé, le pays le plus endetté/le pays d’avenir, celui des campagnes/celui des villes, le moderne/l'archaïque etc.
59Nous allons prendre successivement quelques uns des thèmes abordés et tenter de les situer les uns par rapport aux autres à travers les associations et les articulations qui constituent la trame de ce « système » Brésil.
« Pauvre mais gai »
60Nous nous limiterons dans ce paragraphe à quelques exemples :
61« Le Brésil est à mon avis un pays certes pauvre, mais où les habitants font preuve de gaité et de bonne humeur... » (3e).
62« Le Brésil est un pays pauvre mais on a l’impression que les gens y sont heureux... » (2e)
63« Le Brésil pour moi c’est un pays malheureux et heureux en même temps. Malheureux pour la famine qu’il y a dans les bidonvilles (sic) ; la pauvreté, etc... heureux pour leur joie de vivre... heureux aussi pour ses grands carnavals, ses grandes fiestas etc... » (5e)
64« ...Imaginons quelques instants que la pauvreté du Brésil arrive en France. Rendez-vous compte ! Les chers Français qui perdent leur voiture, leur belle maison, leur loto et leur tiercé... Quelle réaction cela engendrerait ! Eh bien, par ce besoin de bien-être non-matériel (l’élève parle du foot et du carnaval comme moyen d’oublier la misère) et par cette joie de vivre, les Brésiliens eux vont suppléer aux carences économiques par leur savoir et leur goût de la fête. Notre société de consommation ne nous permet pas cela. Mais entre nos deux nations, malgré nos puissances militaires industrielles, commerciales qui dépassent celle du Brésil, lequel de nos deux pays est le plus proche de la vraie vie ? ».
Le Carnaval
65Le Carnaval est le thème par excellence qui pour les jeunes symbolise le Brésil : par son faste, sa richesse, sa gaité, sa vitalité, sa démesure, sa violence, mélange de races et mélange de classes, misère et splendeur... Il exerce une fascination qu’on pourrait là encore schématiser par ce couple de mots qui revient souvent : plaisir et mort. Mais en dehors de cette image à la Walt Disney des costumes qu’on fabrique tout au long de l’année, en économisant, et de la fête pour tout oublier, il est peu décrit, peu connu : la représentation est ici au comble de sa fonction de connaissance/méconnaissance, tous en parlent, mais personne ne le connaît sinon à travers les images télévisées (ou les médias en général).
66Le carnaval est associé tout d’abord à la joie (la fête, le plaisir, la danse, la musique, le défoulement...), puis, immédiatement après, à la misère (pauvreté, bidonvilles, inégalités...), notre schéma « gai/mais/pauvre ». Viennent ensuite toutes les images liées au tourisme (beauté naturelle, plages, soleil et grands hôtels), au caractère accueillant et chaleureux des Brésiliens, à l’insécurité (danger, mort), et plus rarement à la délinquance (drogue, prostitution) : si la majorité des élèves (surtout les plus jeunes) tombent avec bonheur dans le panneau de la fabuleuse machine à rêver que leur propose la télévision, ils sont un certain nombre à la « dénoncer » : façade trompeuse, masque de carnaval, qui tente sans succès de cacher la misère. Le rapport carnaval/misère s’exprime aussi par l’idée de gâcher : la misère gâche le plaisir, celui du Brésilien accessoirement, du touriste plus souvent, mais surtout, semble-t-il, celui de l’élève : elle gâche son rêve, elle gâche le paysage idyllique ou paradisiaque, celui auquel il tient (on aura plus loin un aperçu de ce paysage).
67Le carnaval machine à rêve mais aussi machine à sous, la surprise vient ici d’une association suffisamment présente pour qu’on la prenne comme faisant partie de l’imaginaire collectif sur le Brésil : l’un des aspects les plus souvent évoqués est en effet la dépense que représente, pour les Brésiliens, la confection du costume de carnaval ou, pour le pays, le carnaval lui-même, et conduit à associer curieusement le carnaval et la dette.
68« Les Brésiliens dépensent beaucoup d’argent pour leur carnaval, ils auraient bien pu utiliser leur argent à de meilleurs buts sans compter leur endettement qui est l’un des plus important du monde ». (2e)
69« Le Brésil connaît en effet une véritable crise économique qui entraîne la misère, et qui a été jusqu’à, en cette année 1987, modifier l’enthousiasme général du carnaval (...) De plus, et en définitive, les capitaux étrangers apportés par les touristes pour assister à ce carnaval ne réussissent pas à recouvrir le déficit économique du pays ». (T.)
70« Le carnaval de Rio attire de nombreux touristes. C’est un moyen de faire rentrer de l’argent mais cela représente aussi un gros endettement car les préparatifs coûtent cher ». (2e)
71« Le pays s’endette pour pouvoir faire ce carnaval ». (2e)
72On peut considérer ce genre de raccourci comme spécifique de la représentation : amalgame, court-circuit, glissement, raisonnement bouche-trou qui permet de relier deux éléments que l’on connaît d’une réalité pour essayer de la comprendre, de se l’approprier. La fonction pratique de la représentation admet ainsi un assez grand nombre d’« erreurs » ou d’approximations qui ont été relevées sur lesquelles il nous faudrait revenir : en effet, on trouve aussi certaines régularités parmi les « erreurs » qui nous permettent de les classer, voire de les dater.
L’économie brésilienne
73Graduellement nous sommes passés du rêve à la réalité et faisant partie de celle-ci nous trouvons la dette du Brésil. Situé parmi les thèmes les plus souvent évoqués le problème de la dette nous permet d’aborder les aspects économiques du pays et de tenter d’en dégager quelques articulations.
74En premier lieu, si l’on a pu rapidement cerner « le carnaval » des jeunes, il en va tout autrement de l’économie brésilienne : le carnaval faisait pratiquement l’unanimité, tous en parlaient, des plus jeunes aux plus âgés, une vision relativement simple, intemporelle et forte s’en dégageait, faite de 80 % de rêve et de 20 % de réalité. Avec l’économie on peut dire que la proportion s’inverse : il est vrai que l’économie d’un pays est un phénomène autrement plus complexe, et d’un autre ordre qu’un événement tel que le carnaval. D’une manière générale, ce sont des fragments de l’économie brésilienne parsemés d’un texte à l’autre, quelques fois un mot seulement, une allusion, les textes les plus complets et les plus techniques sont en général, on ne s’en étonnera pas, ceux d’élèves de Terminale et de Seconde.
75C’est bien sûr aussi un autre ton, le lyrisme, l’enthousiasme ou l’indignation ont fait place à une énumération, une description raisonnée, un début de réflexion : on constate que certains thèmes tels que le problème agraire sont relativement élaborés : il y a un enchaînement de la pensée qui rend compte d’une réalité où bien sûr les plans économique, social et politique sont organiquement intriqués : structure agraire (latifundia)/mode de production agricole (monoculture, culture d’exportation...)/sècheresse (Nordeste)/misère/exode rural/bidonville/chômage..., ou encore la relation avec les pays développés : échanges/exploitation/dette/dépendance..., ou encore le potentiel de l’économie brésilienne, les richesses de son sous-sol/de son industrie/son potentiel hydroélectrique/ses exportations/Nouveau Pays Industrialisé...
76Toutefois on a le sentiment que les jeunes hésitent à classer le Brésil dans l’une des trois catégories : pays sous-développé, en voie de développement ou nouveau pays industrialisé ? Les économistes ont beau jeu, ils inventent les « étiquettes », mais à ce jeu-là le Brésil semble inclassable. Tout au plus peut-on dire qu’au fur et à mesure que les jeunes grandissent (l’école aidant, peut-être), le Brésil sort du sous-développement ! Autre facteur qui, on s’en doute, semble favoriser cette accession du Brésil au rang de grande puissance économique dans la représentation des élèves : leur capital culturel. Nous ne pouvons guère ici qu’effleurer la question : l’analyse comparée des textes de différents établissements, à niveau égal, montre qu’en effet l’acquisition d’un vocabulaire technique, conceptuel, et l’aisance dans l’élaboration d’une pensée économique est fonction de l’origine sociale des élèves (qu’on suppose à travers la localisation et le recrutement de l’établissement, mais qui exigerait une analyse systématique des données sur ce plan). Elle révèle aussi certaines similitudes dans plusieurs textes d’un même établissement dues au contenu de l’enseignement qui conditionne la représentation des élèves : le discours « naturel » des élèves de terminale d’un grand lycée parisien n’est pas le même que le discours « naturel » d’un lycée d’une petite ville de province. Dans le premier, se dégage un consensus pour ranger le Brésil dans les « N.P.I. », dans le second le même pays semble pour la plupart des élèves à peine sorti du sous-développement, tandis que dans un troisième lycée le Brésil est sans conteste un « pays en voie de développement ».
77D’une manière générale, cette réflexion est le fait d’une minorité d’adolescents de terminale et de seconde : mais elle n’est pas absente de la vision des plus jeunes qui, au-delà du Brésil de rêve, folklorique ou exotique, dressent un tableau social généralement très sombre : pauvreté, inégalités, insalubrité, etc., ou s’intéressent plus volontiers aux aspects géographiques et culturels, notamment le Brésil « moderne » symbolisé par ses villes « à l’américaine », ses buildings..., par ses ressources naturelles exploitées ou potentielles, par ses disparités régionales et ses migrations internes... qu’ils articulent à des constats de « sous-développement », de « difficultés économiques » ou de « contrastes économiques ».
78La frontière entre l’économique et le social est évidemment très perméable ; nous n’avons retenu jusque là que des thèmes économiques au sens strict. Cependant, même s’ils n’ont pas toujours le bagage conceptuel adéquat, toute la vision exprimée par les jeunes sous-tend une inscription économique et sociale fréquemment teintée de moralisme : la pauvreté des plus nombreux, la richesse d’une minorité, la misère des paysans et l’exode rural, les conditions de vie urbaine : la surpopulation, l’insalubrité, la délinquance, le travail des enfants, etc., provoquent des sentiments de pitié, de révolte, ou des jugements moralisateurs. « Marqués, choqués, scandalisés », quelques-uns en appellent à notre sens de la solidarité. Rares sont ceux qui ne s’y montrent pas sensibles.
79Cet aspect de la représentation demanderait à lui seul un traitement spécifique : leur sensibilité individuelle n’enlève rien au fait que la représentation est un phénomène collectif déjà affecté de valeur morale, avant même qu’ils la fassent leur. Outre l’aspect cognitif et conceptuel que l’on peut cerner et ordonner selon des critères logico-discursifs, d’autres contenus ressortissant au domaine axiologique des représentations sociales renvoient aux systèmes de valeurs de la société où elles sont produites. L’un des critères de sélection de notre échantillon était une distinction public/privé : nous avons 154 élèves de 2 établissements privés confessionnels (catholiques). Ce n’est certes pas suffisant pour en tirer des conclusions. Mais nous avons pu remarquer une tendance marquée de ces élèves à une vision plus moralisatrice du Brésil que dans l’ensemble de notre échantillon : les aspects religieux sont abordés (la foi), une certaine sensibilité « tiers-mondiste » est évidente, et le retour de la démocratie au Brésil plus souligné que dans aucun autre établissement.
80D’une manière générale, si, dans le discours des jeunes, la politique est à peine abordée, le passage à la démocratie, exposé aux feux de la rampe ces dernières années, a laissé des traces certaines. On parle très rarement de dictature. Occulté au contraire dans le discours circulant, le thème du racisme n’apparaît en métropole que sous la forme positive du mélange des races et de l’harmonie supposée d’une société pluriraciale. Il est en revanche traité avec plus de réalisme par les élèves de Cayenne très sensibles au problème (traité en classe avec le professeur).
La dette
81Prenons maintenant l’exemple de la dette que l’on peut considérer comme le premier thème économique évoqué par les élèves, et qui, de ce fait, symbolise le Brésil au même titre que le Carnaval (de là sans doute l’amalgame cité plus haut) : la dette est associée le plus souvent à « pays développés » et « pays sous-développés », à Tiers Monde rarement, à FMI, à inflation... Dans la représentation des jeunes, la dette est ce qui situe le Brésil dans l’économie internationale, et dans ses rapports avec les autres pays (exception faite des relations France-Brésil presque entièrement dominées par le foot). Mais, rien ou presque sur le mécanisme de la dette, sa nature, son histoire, le système monétaire international et notamment la fixation des taux d’intérêt, l’industrialisation et la substitution d’importations, les transferts de capitaux etc. Ce qui n’est pas pour surprendre s’agissant d’adolescents ayant au mieux une petite et tardive initiation à l’économie. Nous retrouvons là encore la fonction de connaissance/méconnaissance de la représentation : la plupart parle de la dette, comme la partie émergée de l’iceberg, sans bien comprendre ce qu’elle dit, et/ou se l’explique de manière hasardeuse). N’en concluons pas trop vite à l’analphabétisme des jeunes ou à leur indifférence vis-à-vis de l’économie. Interrogeons-nous plutôt sur leur formation et leur information.
82La dette est le type même de concept tiré de son contexte scientifique qu’on dirait « tombé dans le domaine public ». Diffusée, la connaissance scientifique subit un traitement social : tout d’abord objet du discours des spécialistes – économistes, journalistes économiques... – il est intégré au discours circulant – média, école – et semble leur échapper, s’autonomiser, pour réapparaître dans un tout autre registre : celui du discours « spontané » ou « naturel » qui emprunte indifféremment au discours scientifique, ou au discours circulant, mais n’est pas de même nature que ceux-ci. Une étude plus approfondie de ces textes nous donrait assurément des indications sur les mécanismes de constitution du « discours naturel » en matière d’économie, notamment sur la relative inertie des images, leur « retard » par rapport à l’époque d’émission, l’influence comparée des producteurs d’images, les systèmes d’écran ou de résistance, les canaux idéologiques préférentiels, etc.
83On voit à travers ces textes la fonction quasiment hypnotisante de l’image de la dette brésilienne : fonction qu’on peut élargir à la dette du Tiers Monde par rapport aux pays développés. On parle d’autant plus de la dette brésilienne qu’on l’explique moins : ce qui a très longtemps permis par exemple de ne pas parler de la dette américaine.
Le café
84Le café (qui vient peut-être avant la dette statistiquement) est le plus souvent associé au message publicitaire, dans une moindre mesure on le cite comme produit agricole, produit d’exportation (« Brésil : premier exportateur de café »), ou bien il tient lieu, faute de mieux, de rudiment économique : dans ce dernier cas il est l’arbre qui cache la forêt, c’est-à-dire l’économie brésilienne, ou si l’on veut la méconnaissance que l’élève en a. Le café a représenté une ressource importante pour le Brésil dans les années 60 et surtout 50, son cours a subi des chutes spectaculaires, répercutées par les média et expliquées dans les manuels scolaires. Plus récemment la publicité est venue prendre le relais et greffer sur ces images déjà connues d’autres images, cette fois dans un tout autre contexte et avec des connotations qui doivent plus à la stratégie publicitaire, au marketing, qu’à la réalité sociale et économique du pays qui le produit : le café jouit de ce fait d’une extraordinaire longévité dans l’imaginaire français, cumulant sa valeur réelle dans la balance commerciale brésilienne (même si cette valeur a tendance à diminuer relativement) à sa valeur supposée dans la publicité.
85La dette et le café ayant été à la fois les plus fréquents des thèmes abordés et les plus révélateurs de la nature des représentations, nous leur avons accordé une attention particulière. Mais nous ne pouvons malheureusement pas nous étendre ici sur l’ensemble des attributs économiques que les jeunes prêtent au Brésil. Il faut cependant encore une fois en souligner la quantité et la pertinence dans le discours des lycéens. Peut-être convient-il d’ajouter tout de même que le légendaire « pays du futur » n’est pas absent de leur vision. L’endettement et le sous-développement ne sont pas tels qu’ils obèrent complètement le pays : les succès de son décollage économique ainsi que ses potentialités très importantes justifient pour le Brésil un certain optimisme. Quelques lycéens reprennent à leur compte les conclusions de nombreux observateurs, tout en restant assez prudents : « Peut-être ce pays d’avenir jouera un rôle important demain sur le plan international » (2e) ; certains mêmes s’autorisent un brin de prophétisme : « Le Brésil est aussi d’un point de vue économique un pays en pleine expansion, un pays prometteur ; les super-puissances comme les États-Unis et l’URSS ne seront-elles pas un jour renversées par de tels pays ? » (2e).
86En conclusion, si l’on devait définir un noyau dur de la représentation des jeunes touchant à l’économie brésilienne, représentatif sur le plan statistique, il comporterait probablement ces trois thèmes : « Café, Dette, Pays en voie de développement ». Toutefois la vision misérabiliste qui domine l’ensemble, et que ne sauraient remettre en cause des thèmes comme « carnaval, football ou joie de vivre », (au contraire ils la ravivent par contraste : « pauvre mais gai »), la faible fréquence, voire l’absence totale dans certaines classes, de références au développement industriel, à l’accession du Brésil au rang de 8e puissance économique etc., attestent d’une certaine lenteur de propagation des nouvelles images, sans doute aussi d’un mécanisme de défense (inconscient ?), ou de résistance du vieux continent face à l’émergence de nouveaux prétendants.
Mythologie
87Nous ne saurions clore ce chapitre sans transmettre également cette idée que le mythe fait partie de la réalité. Nous terminerons donc sur ce thème, laissant aux jeunes le mot de la fin.
88Nous rencontrons tout au long de ces textes le paradis, l’enfer et même le purgatoire, équivalents métaphoriques utilisés pour exprimer la dualité, le contraste, mais aussi le rêve : langage/image, matière première de la représentation. Cette image du paradis qu’on peut faire remonter aux premiers regards et aux premiers écrits de Français sur le Brésil se porte bien encore aujourd’hui, en 1987, chez les jeunes. Sa permanence en tant que disposition « naturelle » de l’homme à rêver et supposer « ailleurs » l’objet de ses vœux – le bonheur – n’est pas surprenante : ce qui en revanche l’est beaucoup plus c’est que les éléments qu’ils connaissent d’une réalité sociale et économique problématique, n’empêchent pas les jeunes de projeter sur ce pays leurs désirs, leurs rêves de bonheur et d’aventure : tout se passe comme si le Brésil était pour eux le lieu possible, parfois même le dernier refuge, du bonheur, de l’aventure, de la convivialité, etc. Il est évident que, comme leurs ancêtres du temps de la découverte, ils se révèlent plus eux-mêmes qu’ils ne nous renseignent sur le Brésil. On touche ici au domaine de la croyance telle que la résume l’expression d’O. Manoni : « je sais bien, mais quand même... ». La conscience du mythe ne l’empêche pas de fonctionner :
89« Je crois en effet que j’ai comme beaucoup de monde une image toute faite du Brésil. Cependant c’est cet aspect des choses qui me plait... et je crois que je serais déçu si j’allais au Brésil et que je rencontrais des aspects moins affriolants pour moi ». (T.)
90« Lorsqu’on est jeune, on ne parle du Brésil qu’à l’occasion du football... Lorsqu’on grandit on apprend à connaître ce pays qui a hanté beaucoup de nos rêves. On découvre la pauvreté de la population, les conditions de vie, les malédictions naturelles qui s’abattent... comme la terrible sécheresse du Nordeste. A la fin on ne sait plus que penser de ce pays. On ne veut garder que le côté que l’on juge bon ». (T.)
91L’Amazonie est bien sûr le support le plus fécond du mythe : lieu d’aventure, refuge ou poumon de la terre, matrice de nouveaux savoirs..., les jeunes expriment la menace qui pèse sur elle, au fur et à mesure que la civilisation avance. La réalité nourrit le mythe même si celui-ci obéit à une autre logique.
92« A mon avis c’est très bien que l’on ait pas défriché cette forêt car ce doit être la plus belle du monde et au moins il y a de l’espace où la nature subsiste, ce qui est de plus en plus rare. Si je devais habiter au Brésil ce serait en plein cœur de la forêt ». (3e)
93« Rivage paradisiaque qui contraste avec la beauté sauvage comme une amazone, Amazonie, peuples amazones de l’intérieur du pays. Plumes bariolées, pas furtifs ; silence pesant assourdissant après le silence des armes. Le sang indien coule, il fertilise la terre qu’on défriche et met en valeur pour les grandes multinationales. Jeune République, peuple heureux mais pauvre... » (T.)
94« De Brasilia à Sao Paulo, de Bahia à Recife malgré la sécheresse, l’humidité et le recul de la forêt devant les villes, on prie que – demain soit propice au peuple brésilien Oh ! Brésil... « El Dorado » de nos rêves... » (T.)
95Quelques textes nous ont ravis par leur naïveté, leur humour, ou leur poésie.
96« Le Brésil c’est un pays immense où les gens sont heureux d’y vivre où il fait beau tous les jours. C’est le pays où il n’y a pas tous les malheurs du monde, les gens sont sociables, ils se sourient, ils s’amusent, s’aident s’ils sont malades ou s’ils ont un problème quelconque. Je définis le Brésil comme une aide sociale, tout le monde se donne la main ; c’est tous les jours les vacances, on s’amuse, tous les jours c’est le carnaval, les gens chantent, dansent et en plus il y a le soleil pour les ravir et les mettre encore de meilleure humeur ». (2e)
97« Voilà ce qu’est le Brésil : un lieu de calme, un lieu où l’argent est sans pouvoir et où l’homme vie à son rythme, à celui de la nature, et pas à celui des machines ». (2e)
98« ...Mais le Brésil est un pays pauvre. Les gens sont obligés de travailler ». (2e)
99« ...Le Brésil est aussi un immense pays couvert par la forêt amazonienne qu’il essaye de repousser... » (2e)
100« ...les belles femmes bronzées comme des biscuits » (T.)
101« Zico, en finale de la Coupe du Monde de football, loupe le penalty, à la dernière minute, qui permettait à son équipe d’égaliser. Il sort du stade et hué par la foule se réfugie dans la forêt amazonienne. Il devient le chef d’indigènes et sa tribu vient danser au carnaval de Rio. Il se met à jouer au foot et un club italien le transfère ». (3e)
102« Ailleurs... là-bas... dans un pays béni des Dieux, un enfant court à travers son bidonville. Tous, autour de lui, raconte l’histoire de son pays. Chacun partageant la mémoire de l’autre, chacun regardant dans les yeux de l’autre l’avenir du Brésil.
103Il court et personne ne l’arrête. Il est enfant parmi les hommes, espoir parmi les chants.
104Quelque part, derrière l’immense force de l’Amazonie une voix monte... s’impose lentement... Dieu est de nouveau proche du peuple brésilien. Des récoltes de café, aux exploitations de canne à sucre, tous sentent ce nouveau souffle... celui de la liberté... l’espoir retrouvé !
105Matins, soirs, tout est mélange où le Brésil revit, se réveille d’un long sommeil non souhaité.
106Quelqu’un a dit : « Le pays est, et personne ne peut rien y changer... »
107Le Brésil est Brésil et l’enfant qui court continue de courir vers demain ». (T.)
Sélection d’items et évaluation des connaissances
108A la suite du test d’évocation et des textes libres, les élèves ont eu à choisir de 2 à 12 items figurant dans une liste de 26 mots (ou groupes de mots) pour les uns et de 24 mots (ou groupes de mots) pour les autres. (Voir le chapitre « méthodologie » pour plus de précisions sur cette distinction). Les différences entre les deux listes tiennent d’une part à la proportion des items provenant des résultats de la pré-enquête et, d’autre part, à la nature des champs sémantiques. La première liste (26 mots) est directement issue de la pré-enquête. La deuxième liste (24 mots) présente une unité sémantique définie autour des champs politique, social et économique, toute référence aux champs « ludique » et « imaginaire, valeurs, mythe » ayant été supprimée. On trouvera dans les pages suivantes deux tableaux (no 3 et no 4) donnant de ces résultats une représentation en « arbre maximum ».
109La sélection des notions le plus souvent évoquées concernant le Brésil était suivie d’un ensemble de questions fermées (ou Q.C.M.) destinées à évaluer quelques points de connaissances et à déterminer les sources d’information des élèves. Les résultats obtenus corroborent les conclusions dégagées dans l’analyse de l’évocation et des textes libres.
110La sélection à partir du vocabulaire de l’évocation (1re liste) donne une moyenne de 11,92 items par élève, alors qu’à partir du vocabulaire plus complexe (2e liste) la moyenne est de 9,48. Le phénomène de compétence linguistique joue de manière très nette. Ainsi dans la liste conçue à partir de l’évocation, l’item « bidonville » arrive au troisième rang, alors que « favelas » dans la 2e liste n’apparaît qu’au 15e rang (7e en Terminale).
111Dans la 1re liste, les champs « ludisme » et « imaginaire, valeurs, mythe » sont très largement dominants avec les items : « carnaval », « football », « samba », « vacances de rêve », « accueillant, chaleureux ». Les autres champs ont ensuite la même importance à l’exception du champ politique dont les items occupent les trois derniers rangs par leur fréquence.
112L’analyse par sous-groupe fait apparaître que les élèves de lycée sont plus sensibles à l’économique et au social (« bidonvilles », « inégalités sociales », « pays très endetté », se situent aux 7 premiers rangs) ; les élèves de collège donnent plus d’importance aux « vacances de rêve », aux « feuilletons télévisés » et à « l’or et les pierres précieuses ».
113Dans la liste plus spécialisée, le champ politique n’est plus marginalisé. Les trois derniers items sont ceux qui ne font pas les manchettes des journaux ou les grandes campagnes publicitaires : « grand producteur de soja », « le plus grand barrage du monde », « grande puissance industrielle ». Les items les plus fréquents appartiennent au vocabulaire obtenu par l’évocation : « inégalités sociales », « producteur de café », « immensité du territoire », « pays très endetté », « mélange de races », etc.
114Les différents champs sémantiques ont le même poids. Les variables structurelles ne sont pas discriminantes. On notera cependant que l’item « inégalités sociales » est cité par moins de 50 % des élèves de 5°, alors qu’il arrive au premier rang, avec plus de 60 % de citation, pour les autres classes. Les élèves de terminale semblent mieux informés sur la situation politique du Brésil, et présentent une plus grande compétence linguistique que les autres élèves. Pour les questions d’évaluation des connaissances, les scores dépendent du thème.
115La très grande majorité des élèves sait que le portugais est la langue parlée au Brésil, sauf en 5e.
116Brasilia n’est majoritairement la capitale du Brésil que pour les lycéens, Rio de Janeiro recueille 51 % des réponses à cette question en 3e.
117La taille du Brésil obéit quasiment à la même distribution, bien qu’en terminale la proportion de bonnes réponses ne soit que de 50 %.
118La population du Brésil n’est évaluée correctement par plus de 50 % qu’en terminale. Toutefois la majorité des élèves reconnaissent qu’il y a au Brésil plusieurs villes de plus de 5 millions d’habitants, contrairement à la France.
119Pour tous les sous-groupes, la température qu’il peut faire à Rio de Janeiro, au mois de janvier, est correctement évaluée, situant ainsi cette ville dans l’hémisphère sud.
120S’agissant de l’économie du Brésil, on remarque une nette supériorité des réponses erronées. Les élèves ignorent que le Brésil exporte des automobiles et des armes. En revanche, et paradoxalement à l’exception des élèves de 5e qui se révèlent amateurs de feuilletons télévisés brésiliens, les élèves savent que le Brésil est exportateur de programmes de télévision. Dans ce dernier cas c’est l’activité exportatrice de la France qui est ignorée.
121Les sources d’information sur le Brésil sont, dans l’ordre d’importance, la télévision (90 %), les journaux (65 %), l’enseignement (42 %) et la publicité (42 %). Notons que celle-ci implique un vecteur qui peut être la radio, la télévision, les journaux ou des éléments non proposés tels que prospectus, affichage, etc.
122La chanson, la littérature et le cinéma brésiliens, malgré cette information multimédia, ne sont pas familiers aux adolescents des lycées et collèges de France. Cet aspect démontre la faible diffusion de la culture brésilienne en France.
Annexe
ANNEXES
Aspects méthodologiques
a) Le questionnaire a été conçu en trois parties :
la première (fiches no 1 et 2) est destinée à renseigner l’élève sur les objectifs de l’enquête, le cadre dans lequel elle s’intègre, « Les années France-Brésil », et les règles du jeu. Sur la fiche suivante, il est invité à son tour à nous informer sur lui-même : fiche d’identification.
la deuxième propose deux exercices non-directifs ou questions ouvertes (test d’évocation et texte libre) dans lesquels l’élève est invité à écrire ce que le Brésil représente pour lui.
la troisième propose deux types d’exercice (test d’association et questions fermées) lui permettant de choisir parmi des termes donnés ceux qui, pour lui, représentent le mieux le Brésil, et de répondre à plusieurs questions de connaissances générales.
L’équilibre entre la deuxième et la troisième partie nous semblait nécessaire pour ne nous priver d’aucun registre d’expression, du plus subjectif au plus objectif, de la démarche créatrice au champ des connaissances.
La fiche no 4 demande une explication supplémentaire : elle a été élaborée à la suite d’une enquête non-directive réalisée auprès d’une centaine d’élèves de 4 niveaux et de 5 établissements différents. La question posée était : « qu’est-ce que le Brésil évoque pour toi ? Quels sont les mots qui te viennent à l’esprit quand on te dit : Brésil ? »
Nous avons pu ainsi recueillir les mots ou expressions les plus souvent utilisés par les élèves, les analyser et les répartir en 6 champs sémantiques : a) culturel, ludique ; b) géographique, physique ; c) imaginaire, mythique ; d) économique ; e) social ; f) politique.
La fiche no 4 est donc le résultat de cette première interrogation : chaque champ est plusieurs fois représenté, l’ordre dans lequel ont été mis les mots ou expressions étant sans signification. Ayant établi cette première liste nous avons considéré qu’elle pouvait aider les élèves « sans inspiration » à retrouver quelques idées, tout en n’induisant aucune idée qui ne vînt d’eux-mêmes. Elle nous permettait également de tester la première hypothèse de représentation tirée de l’enquête préliminaire, voire de la corriger, et de la comparer avec les résultats du test d’évocation. Toutefois, nous ne faisions là que reprendre un certain nombre de clichés, de stéréotypes, risquant involontairement d’induire dans la tête des élèves une représentation « officielle », « autorisée », puisque imprimée et proposée par un document officiel. Ce risque nous l’avons pris pour un premier lot (la moitié de l’échantillon, un peu plus de 600 élèves) et nous avons conçu une autre version de la fiche no 4, cette fois-ci intégrant des mots et expressions que nous avons considérés comme de nature à compléter la vision qu’exprimait l’enquête préliminaire. Ce faisant nous leur donnions le choix, nous leur permettions de choisir d’autres images que les stéréotypes recueillis, n’étant plus forcés de les répéter. C’était aussi tester la pénétration de ces autres images auprès des jeunes.
Nous avons mis l’accent aussi bien dans la première fiche (règle du jeu) que dans la formulation de nos questions, sur la nature des exercices proposés et des réponses que nous attendions d’eux. Il ne s’agissait pas d’un « contrôle de leurs connaissances » mais de « découvrir le Brésil tel qu’ils se l’imaginent ».
Enfin, pour réaliser notre deuxième objectif, nous proposions, dans un document qui lui était personnellement destiné, au professeur d’exploiter avec ses élèves et avec ses collègues les résultats locaux de l’enquête. Il s’agissait de repérer les « stéréotypes », de prendre conscience du phénomène de symbolisation, de réduction, de diffusion... que l’étude de ces images du Brésil révélait. Le résultat de ce travail pouvait donner lieu à des exposés, des expositions dans les établissements, à des extensions de l’enquête au-delà du milieu scolaire, dans les manuels, les media etc...
Quelques règles très simples étaient imposées, qui garantissaient la fiabilité des résultats obtenus : pour des raisons évidentes, tous les élèves de 5e, 3e, 2e et Terminale pouvaient répondre au questionnaire, à l’exclusion des seuls élèves de portugais. L’application du questionnaire ne devait être précédé d’aucune préparation, ni permettre aucune documentation d’appui pour les réponses. Les élèves de portugais, ainsi « discriminés » se voyaient chargés de l’exploitation des résultats et de leur présentation à leurs camarades. Les professeurs de portugais étaient invités à se grouper avec leurs collègues d’histoire-géographie, de français, d’économie, etc. de manière à traiter le thème « Brésil » d’une manière pluridisciplinaire.
b) L’échantillon : quelques 2 000 élèves ont répondu au questionnaire, mais nous avons sélectionné et traité 1 248 réponses en fonction, notamment, des critères de représentativité choisis. Distribution de la population :
– par région : région parisienne : 358 élèves, soit 28,68 %.
province : 772 (61,85 %), outre-mer : 113 (9,05 %)
en tout 20 départements.
– par classe : 5e : 206, 3e : 258, total collèges : 464 soit 37 %, 2e : 557, T. : 224, total lycées : 781 soit 63 %
– par sexe : 511 garçons (41 %) et 730 filles (59 %).
– établissement : public : 1 090 élèves ; privé : 154 élèves.
Liste des participants
Application du questionnaire et codage : 47
Marcelle Accaries, Nîmes (30)
Danielle Aubin, Villiers-le-Bel (95)
Colette Arnaud, ADEPBA Paris (75)
Élie Bajard, Châlon-sur-Marne
Olga Ballesta, Paris (75)
Ana Maria Bauduin, Achères (78)
Maria Luisa Bazenga, Paris (75)
Teresa Beaucaire, Ormesson (94)
Monick Bouvier, Pau (64)
Gérard Brignol, Paris (75)
Gabriel Brugeille, Houilles (78)
Anne Marie Chauvet, Champigny (94)
Jean-Pierre Chavagne, Saint Priest (69)
Martine Ciabrini, La Gavotte (13)
Marie Noëlle Ciccia, Reims (51)
Jean-Marc Civardi, Fourmies (59)
Patrick Combes, Villiers-le-Bel (95)
Annie Claude Dornely, Fort-de-France (97)
Alain Degenne, Villiers-le-Bel (95)
Marie-Claude de la Vaissière, Montgeron (95)
Nadège Durand, Villiers-le-Bel (95)
Marie Dominique Frontini, Champigny (94)
Catherine Ival, Dreux (28)
Lisa Joue, Champigny (95)
Françoise Kechichian, Paris (75)
Pierre Leglise Costa, Boulogne (92)
Anne Marie Lilienthal, Asnières (92)
Nathalie Ludec, Brest (29)
Marie-Lou Madeira, Paris (75)
Christine Margerand, Charleville (08)
Graziela Neves Forte, Clermont Ferrand (63)
Joëlle Paris, Saint Denis (93)
Michel Perez, Bordeaux (33)
Lucette Petit, Drancy (93)
Cécile Plaut, Montgeron (91)
Gérard Police, Cayenne (97)
Jean-Paul Rebaud, Bezons (95)
Michel Riaudel, Savigny-Le-Temple (77)
Rémi Rousseau, Brive (19)
Martine Rouyre, Saint Priest (69)
Florinda Sabino, Vitry (94)
Anita Saboia, Paris (75)
Thierry Saint-Gérand
Claude Sevestre, Villiers-Le-Bel (95)
Claude Trautmann, Villiers-Le-Bel (95)
Annie Vernet, Montgeron (91)
Martine Vinet, Périgueux (24)
Marie Madeleine Vitry, Rueil Malmaison (92)
Notes de bas de page
1 Pierre Vergès, « Les formes de la connaissance économique, éléments pour une analyse des raisonnements et connaissances pratiques » Thèse d’État, Lyon II publiée par le SRT, Grenoble 1977.
2 Voir notamment : J.B. Grize, P. Vergès, A. Silem « Salariés face aux nouvelles technologies. Vers une approche socio-logique des représentations sociales » CNRS 1987.
3 Serge Moscovici : Préface à Claudine Herzlich « Santé et maladie : analyse d’une représentation sociale », Paris, Mouton, 1969, p. 9.
4 J.C. Abric : « Représentations sociales et comportements – Approche théorique et recherche expérimentale », Table Ronde Internationale – Ecully, 1982, IRPEACS.
5 J.C. Abric : « Jeux, conflits et représentations sociales », Thèse de Doctorat d’État, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1976, p. 109.
6 Par exemple, l’enquête sur les représentations du travail et des nouvelles technologies auprès de salariés, donnait des moyennes comprises entre 3,61 et 4,9 pour le travail et 3,38 et 4,65 pour les nouvelles technologies.
Auteurs
CNRS/IRPEACS
ADEPBA
CNRS/CRES
Professeure de portugais
Professeur de portugais
Professeure de portugais
Géographe
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992