L’impossible objectivité
p. 79-82
Texte intégral
1L’école, le cinéma, la littérature sont pourvoyeurs d’images. Mais les médias ont une influence déterminante, car ils fournissent des informations de manière continue et jouent d’une multiplicité de registres. Il semble donc logique que, dans notre débat, la presse figure au banc des accusés. Les griefs sont nombreux : la presse s’attacherait trop aux aspects de crise ; elle soulignerait exagérément les problèmes de l’endettement, les difficultés sociales et politiques. Cette distorsion pourrait être lourde de conséquences, décourageant les investisseurs, inquiétant les exportateurs, effrayant les touristes, en bref hypothéquant les relations entre les deux pays. Nous touchons, ici, l’une des questions-clé : les médias donnent-ils une image faussée du Brésil ? Certains définissent la question en terme quantitatif : n’y-a-t-il simplement pas suffisamment d’information sur le Brésil dans nos médias ? Je donnerai une réponse nuancée. Nous sommes entre Brésiliens et brésilianistes, c’est-à-dire nous considérons a priori que les moyens de communication n’accordent pas au Brésil la place qui devrait être la sienne. De même, si nous nous trouvions entre Chinois et sinologues, nous jugerions qu’il n’y a pas assez de nouvelles sur la Chine. Reconnaissons donc qu’il nous faut un autre instrument de mesure que notre subjectivité. Les contraintes auxquelles la presse est sujette doivent être prises en compte. Irène Jarry vient de le préciser « il n’y a pas de place » ; les quotidiens français ont une pagination restreinte. Le problème ne se pose d’ailleurs pas outre-Atlantique. Les journaux brésiliens, en raison de la tendance à l’élitisation de la presse écrite ont un volume très important, pour certains parfois au-delà d’une centaine de pages, la limitation de l’espace rédactionnel y existe moins qu’en France.
2Nous disposons, à travers les monographies effectuées par des chercheurs comme Ana Maria Montenegro, d’un matériel qui devrait permettre de situer précisément la part attribuée au Brésil. Je ne crois pas que celui-ci soit nettement sous-représenté par rapport à d’autres pays latino-américains. Que dire alors du Mexique ? Bien sûr, il y a lieu de constater une certaine discrétion de la presse. Mais l’importance prise aujourd’hui par ce que certains appellent la sociologie des mentalités ne doit pas nous faire oublier l’infrastructure économique. La place que les médias accordent au Brésil est aussi le reflet des relations matérielles entre les deux pays. Or, les liens sont étroits du point de vue culturel, mais plus faibles du point de vue économique. Les échanges commerciaux entre la France et le Brésil n’ont connu qu’un développement limité. Le Brésil ne se situe qu’au trente-quatrième rang des exportations françaises, seuls 3 % des exportations brésiliennes se destinent au marché français. Nous savons que les investissements et la coopération technique restent assez ténus. Compte tenu de l’étroitesse de cette base économique, les médias doivent-ils réellement être critiqués, ne sommes-nous pas en train de stigmatiser l’effet plutôt que la cause ?
3Nous pouvons souligner la présence de certaines thématiques privilégiées. La presse est toujours fascinée par le pouvoir. L’essentiel des informations porte sur l’agitation politique, les mouvements sociaux, les élections, les luttes entre partis. Pour la période récente le public français a ainsi été bien informé de la campagne des « diretas-já », de l’élection de Tancredo Neves, de sa longue agonie. Aujourd’hui encore la presse relève les péripéties qui opposent le président Sarney à l’Assemblée Constituante. En ce domaine de l’actualité politique, il ne paraît pas que le public reçoive globalement un nombre insuffisant d’informations. Toutefois, pour beaucoup de Français, l’Amérique Latine forme une nébuleuse assez vague, aux composants imprécis. Le public discerne difficilement les spécificités de chaque pays latino-américain. Ainsi nous devons plutôt remettre en cause le morcellement de l’information ; les sujets d’actualité traités en une demi-page, en une émission, et suivis d’un vide complet pendant une, ou même parfois plusieurs semaines. Le lecteur ou l’auditeur sont inévitablement laissés à la dérive. Ce manque de continuité dans l’information n’est peut être pas inhérent au journalisme moderne. Ne provient-il pas surtout des politiques rédactionnelles en vigueur dans nos organes de presse ?
4Nous parvenons ainsi à une autre dimension de notre débat : l’image du Brésil donnée par les médias est-elle déformée ? Il n’est pas possible d’expliciter la subtile alchimie par laquelle des informations d’origines variées s’ajoutent, s’enchevêtrent pour finalement se fondre et donner naissance à une image. Mais une série d’observations peut être faite. Ce colloque va permettre de préciser l’image du Brésil. Pour cette première discussion, je voudrais cependant signaler le résultat d’une enquête que j’ai effectuée auprès d’un échantillon de jeunes. Pour plus de la moitié d’entre eux le Brésil évoque d’abord le Carnaval, ensuite la pauvreté, puis le football, le café, le soleil, Rio de Janeiro, le sous-développement. D’autres notions ont souvent été indiquées : endettement, drogue, Amazonie, Amérique du Sud, danse, samba, plage, prostitution, démocratie, Copacabana, métissage... Relevons également une tendance à la sous-estimation du rang économique du Brésil et une méconnaissance du régime politique.
5Ainsi, la représentation que les jeunes, au moins, se font du pays, emprunte finalement beaucoup aux reportages, aux documentaires. Elle en reflète probablement certaines tendances. Le style de nos médias les amène à privilégier les sujets forts, à rechercher les phénomènes de marginalité, de contraste, à focaliser carnaval et bidonvilles. La régularité des émissions sportives a provoqué une large divulgation des succès du football brésilien. Nous serions tenté de dire que l’opinion retient mieux la production traditionnelle de café plutôt que le succès du programme pro-alcool, qu’elle retient mieux l’échec de la Trans-Amazonienne plutôt que le gigantisme d’Itaipu et de Tucuruí, qu’elle retient mieux la misère du Nordeste que l’essor de la sidérurgie ou de l’aéronautique. L’accent est facilement donné dans la presse aux aspects de sous-développement. Récemment encore pas un organe n’a ignoré le cas des enfants irradiés de Goânia... En contrepartie il est rare de trouver dans la presse française des nouvelles relatives au poids des entreprises multinationales dans l’économie brésilienne, ou de voir évoquer la dégradation des termes de l’échange...
6L’image n’est ni neutre ni objective. Elle est inévitablement imprégnée d’idéologie. Il y a dans cette image un « relent » de rapport Nord/Sud, d’une relation entre Centre qui serait dominant et un Brésil qui serait périphérique. Mais n’allons pas trop loin en ce domaine. La presse française, bien sûr, rappelle à satiété l’endettement et l’hyper-inflation. Cependant, elle donne simultanément d’autres informations. Comme Françoise Barthélemy l’a indiqué, la presse parle de la bataille de l’informatique avec un abordage assez favorable au Brésil. Lorsque, en février de cette année, le moratoire a été décrété, la presse française l’a relaté sans hostilité particulière, contrairement à la presse de beaucoup d’autres pays qui s’est déchaînée. Ainsi, en synthèse, la vision du Brésil dans nos médias est assez équilibrée. Elle est aussi diverse, multiple, variable d’un organe à l’autre.
7Déformée en partie par l’idéologie, l’image l’est peut-être encore plus par le mythe, un mythe à la mesure de notre journalisme de consommation de masse. C’est le mythe de la terre de l’aventure, de la nature paradisiaque, des transgressions. Mythe dont se nourrissent les imaginaires européens...
8N’attribuons pas ainsi à la presse plus de pouvoir qu’elle n’en a réellement. Elle est par essence un miroir déformant, qui accentue les traits, s’intéresse plus aux éléments du changement qu’à ceux de la permanence. Mais elle n’est que le rouage d’une vaste machinerie et n’a, comme l’ont rappelé tous les journalistes présents, qu’un faible degré d’autonomie.
Auteur
Chercheur au CREDAL.
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