Chapitre VIII. Le Mexique en guerre et la déstructuration de ses relations avec le gouvernement de Vichy
p. 249-269
Texte intégral
La déclaration de guerre du Mexique à l’Axe
Les circonstances
1Le mois de mai 1942 est décisif : il détermine l’entrée du Mexique dans la guerre. Pendant la première semaine d’avril, le voyage aux Etats-Unis du Secrétaire d’Etat aux Relations extérieures, Ezequiel Padilla, et, le 17, l’accord final entre les compagnies pétrolières et le gouvernement mexicain sont en un sens prémonitoires. Tandis qu’Ezequiel Padilla comdamne depuis New York les pays de l’Axe, les représentants mexicains et nord-américains mettent un point final à quatre années d’incertitudes en fixant l’indemnité à payer aux compagnies américaines expropriées et les modalités du paiment [274 130 p. 81, 129 p. 73]. Dès lors, le pétrole mexicain recommence à s’écouler librement vers les Etats-Unis en guerre... en utilisant souvent les navires saisis à l’Axe. Dès le mois de mars cependant, les sous-marins allemands opérant dans le golfe du Mexique ont averti les compagnies mexicaines des risques encourus par elles si elles persévéraient à ravitailler les Etats-Unis [251, p. 268 286, p. 486]. La presse mexicaine rendant quotidiennement compte des pertes considérables des convois alliés dans l’Atlantique, cette menace ne pouvait qu’être prise au sérieux.
2Dans la nuit du 13 mai, marqué des signes de sa neutralité et illuminé, le « Potrero del Llano », l’ancien « Lucifero » italien saisi par les autorités mexicaines, est torpillé et coulé au large de Miami, alors qu’il effectue le trajet Tampico-New York, chargé de 37 000 tonnes de gas-oil. Le 14, le consulat du Mexique à Miami informe son gouvernement du fait : 14 marins sont portés disparus. Certains Mexicains voient dans cette agression une provocation des Etats-Unis destinée à faire entrer le Mexique dans la guerre [129, p. 74] (l’idée est aussi soulevée dans d’autres pays latino-américains) ; ce n’est quoiqu’il en soit (en l’absence d’archives probantes) pas l’opinion retenue par le gouvernement, lequel fait aussitôt parvenir aux chancelleries allemande, japonaise et italienne la protestation suivante :
« Si d’ici au prochain 21 mai le Mexique n’a pas reçu du pays responsable de l’agression une satisfaction complète, et les garanties que lui seront versées les indemnités pour les dommages et dégâts subis, le gouvernement de la République adoptera immédiatement les mesures qu’exige l’honneur national1. »
3Italiens et Japonais ne répondent pas. Les Allemands, quant à eux, refusent de recevoir la note. Le 17 mai, le gouvernement mexicain, par décret, s’engage plus nettement dans le conflit : modifiant le texte du 10 juillet 1941, il permet l’exportation de produits stratégiques en dehors du continent, vers l’empire britannique, la Chine et l’urss.
4Le 20 mai 1942, le « Faja de Oro », autre navire saisi aux pays de l’Axe par le Mexique et rebaptisé, est torpillé à son tour en face des côtes américaines. Trois autres navires sombrent avant la déclaration de guerre du Mexique aux puissances de l’Axe. On enregistre alors quelques poussées germanophobes, plus ou moins spontanées, les syndicats notamment n’y semblant pas toujours étrangers : à México, les vitres du casino allemand sont brisées ; en province, des magasins allemands sont assaillis ou pillés ; les propagandes françaises et britanniques paraissent en ce cas totalement hors de cause.
5Le 22, le Conseil de Cabinet propose que l’état de guerre existe à partir de ce jour entre le Mexique et les trois puissances de l’Axe, l’Allemagne, Italie et Japon. Le 28, « toutes les démarches diplomatiques étant épuisées, devant le Congrès réuni en séance extraordinaire, le président Manuel Avila Camacho soumet à la Représentation nationale la nécessité de recourir à l’ultime ressource dont dispose un peuple libre pour défendre ses destinées » ; autrement dit, le président des Etats-Unis mexicains demande l’entrée en guerre du Mexique contre les pays de l’Axe, aux côtés et dans le camp des démocraties. L’objectif déclaré est de « maintenir contre tout l’intégrité du pays en collaborant énergiquement à la sauvegarde de l’Amérique, dans toute la mesure de nos moyens, de notre sécurité et de la coordination défensive du Continent ». Après les votes unanimes de la Chambre des députés et du Sénat, la session parlementaire extraordinaire est close le 2 juin 1942 : l’état de guerre est proclamé à partir du 22 mai2.
6Tous les témoignages convergent pourtant : « L’ensemble de l’opinion mexicaine ne souhaitait pas la participation du Mexique à la guerre actuelle ». « Il semble qu’au début l’opinion n’ait pas désiré l’entrée en guerre du Mexique »3. Le 21 mai, la revue Tiempo réalise, avant que soit officiellement envisagée l’entrée en guerre, un sondage et le publie le 29 : 59,3 % des Mexicains interrogés s’opposent à la déclaration de guerre. Selon un autre sondage, du Times de New York, 85 % des personnes interrogées répugneraient à combattre pour l’Angleterre ou les Etats-Unis [129, p. 27]. Ces témoignages divergent néanmoins sur l’évolution ultérieure de l’opinion publique, son ralliement majoritaire et son conditionnement par le gouvernement4. Le représentant de la France libre surestime, par exemple, le charisme du président et surtout l’intérêt de l’opinion pour des questions de politique étrangère, extra-continentale en particulier. Toutefois, le torpillage à une semaine d’intervalle de deux navires mexicains, les pertes en vies humaines qui en résultent ; l’intense exploitation de ces incidents par une presse plus étroitement contrôlée par le gouvernement et les services de propagande nord-américains [130, pp. 85-107] ; l’attitude méprisante des puissances de l’Axe à l’égard de la protestation mexicaine ; la pondération enfin de son président, tout cela, habilement présenté et conjugué, permet d’atteindre « un degré d’émotion collective » qui, temporairement au moins, peut tenir lieu de résolution guerrière. Mais, afin que les apparences de celle-ci survivent aux différentes manifestations organisées, il est alors absolument nécessaire qu’un travail d’information dirigée s’accomplisse avec persistance et continuité sur l’opinion.
7La « guerre » n’a pas été déclarée, mais l’« état de guerre » proclamé : cela, pour ménager une opinion publique attachée à la neutralité. C’est la guerre, avec toutes ses conséquences, mais envisagée fictivement du seul point de vue de la défensive. Toute réaction de l’opinion est intérieurement jugulée par :
la suspension de la liberté de presse et de pensée (2 juin) ;
le nationalisme du gouvernement, d’une majorité du prm et de la ctm (lettre ouverte du 23 mai de V. Lombardo Toledano en faveur de la guerre) ;
les moyens financiers de la propagande américaine ;
les possibilités de sanctions économiques drastiques de la part des Etats-Unis à l’encontre de l’économie et en particulier de la presse mexicaine (dépendance pour les machines d’imprimerie, les pièces détachées et le papier).
8La presse mexicaine, s’alignant étroitement sur les positions gouvernementales à partir du 28 mai, devient moins riche d’informations sur l’état réel de l’opinion publique. Dans le même temps évolution prévisible, la hiérarchie catholique demande le 30 mai d’obéir aux dispositions prises par l’autorité civile ; cette déclaration, faite en termes « mesurés et circonspects », n’en est pas moins utile au gouvernement en raison du poids de la religion dans le pays et des récents antécédents conflictuels de l’Etat et de la hiérarchie catholique, assortis de leur pesant de martyrs ; au demeurant, le président Manuel Avila Camacho avait rompu avec une certaine tradition présidentielle en se rendant ostensiblement à la messe dominicale, tout en poursuivant la voie de la réconciliation nationale ouverte par Cárdenas. Désormais, la pression sur l’opinion publique se maintient avec d’une part plus de crédit dans l’opinion, d’autre part plus de moyens.
9Le 1er juin, la presse publie un manifeste signé de tous les gouverneurs d’Etats exprimant leur adhésion à la politique du président : ce n’est pas cette adhésion qui est, en elle-même, importante, étant donnée l’étroitesse des liens personnels entre le président et les gouverneurs au sein de l’appareil partisan et étatique, mais bien la mobilisation de ces puissants affidiés du pouvoir qui est symptomatique. Participant du même mouvement, le 2 juin, le Sénat décide de former des commissions dont les membres iront dans les différents Etats pour « faire parvenir jusqu’aux groupes d’ouvriers et de paysans la signification et la portée des lois qui viennent d’être approuvées » ; l’Etat se mobilise hiérarchiquement, moins pour faire connaître que pour faire accepter sa décision : délibérément, l’Etat joue des structures de pouvoir solidement mises en place et de la menace extérieure pour susciter ou renforcer la cohésion et la conscience nationales. La Chambre des députés prend, le 3, une décision similaire [un, 03-02-42].
10Le même jour, le président Manuel Avila Camacho s’adresse à la nation mexicaine lors d’une allocution radiodiffusée, retransmise par hauts-parleurs dans les pueblos isolés : il explique posément d’une part pourquoi et comment le Mexique entre dans la guerre et d’autre part les conséquences prévisibles de la décision prise. L’union nationale est ainsi proclamée et tolérée, si ce n’est acceptée par l’opinion [Tiempo, 03-06-42]. Enfin tandis que le Secrétariat de Gobernación (ministère de l’Intérieur) établit un nouveau registre des étrangers et un service d’informations économiques et sociales, qu’est accentuée la politique de regroupement des citoyens de l’Axe dans l’intérieur du pays, les murs de toutes les villes mexicaines se couvrent de consignes et d’exhortations gouvernementales : l’année 1942 devient celle de « l’effort », de la « bataille de la production ».
Réactions à l’entrée en guerre du Mexique
Pour la légation de Vichy, ce sont les éléments extrêmistes tels Lombardo Toledano qui ont emporté la décision : l’entrée en guerre du Mexique serait leur fait5 ; mais, au regard de la politique de l’ensemble du continent, cette analyse ne tient guère : d’autres pays, tels Cuba ou le Guatemala, sont entrés en guerre avant le Mexique, sans qu’aucune pression dite « de gauche » puisse être relevée.
L’entrée du Mexique dans le conflit mondial ne suscite aucun commentaire connu de la part du gouvernement de Vichy.
La presse française passe l’événement sous silence.
Pour la communauté française du Mexique par contre, la déclaration de l’état de guerre est l’occasion de réaffirmer son adhésion à la politique internationale du général Manuel Avila Camacho. Le lundi 8 juin, les représentants des diverses sociétés de la colonie sont reçus en audience par le président : A. Génin, pour la Chambre de Commerce, A. Signoret, pour la Société de Bienfaisance, G. Pinson, pour l’Alliance française et le Comité Central France libre, C. Jean, pour le Cercle français, R. Dubernard, pour les Anciens Combattants, H. Tron, pour le Club hippique, P. Fouque, pour le Lycée français et A. Proal pour la Mutuelle. Cette délégation déclare que « le gouvernement mexicain peut absolument compter sur la pleine et loyale coopération de la colonie française dans tous les domaines, et même au prix de tous les sacrifices ». Le président répond qu’il sait que « la colonie française est pleinement unie au sentiment national mexicain » et que « les Français peuvent se sentir chez eux au Mexique comme dans leur pays natal » ; il ajoute qu’il « connaît l’étendue des malheurs de la France, mais que les Français doivent conserver l’espoir que la dure épreuve par laquelle passe actuellement leur patrie prendra fin bientôt peut-être, et que s’ouvrira une ère meilleure pour la grande République française »... Message de sympathie, mais qui n’indique en rien que la rupture du Mexique avec le gouvernement de Vichy soit envisagée.
11Sur le télex de l’agence Reuter du 21 mai annonçant la déclaration de guerre du Mexique pour le lendemain, une annotation pour Grandin de l’Eprevier demande de « faire préparer dès maintenant un télégramme du général du Gaulle au général Avila Camacho ». Le 26 mai, ce télégramme est adressé au président mexicain :
« Au moment où le Mexique entre dans la lutte pour la défense des libertés humaines, je désire exprimer à Votre Excellence la profonde sympathie et les vœux ardents de la France combattante. La participation du Mexique au conflit et demain à la victoire commune vient resserrer les liens qui unissent la France aux nations latines d’Amérique.
La patrie d’Hidalgo et de Morelos se montre fidèle à sa glorieuse tradition en se dressant contre l’ennemi commun et elle contribue ainsi à hâter l’heure de la libération de la France. Les patriotes français saluent avec respect et admiration le peuple mexicain et son président. »
12Il est publié dans la presse le 3 juin avec la réponse du président mexicain :
« Je vous remercie profondément du message que vous avez bien voulu m’adresser... dans lequel vous me faites part de la sympathie et des vœux cordiaux des Français qui ont décidé de continuer la lutte aux côtés des pays combattant contre les forces du mal et du despotisme. En attendant que le triomphe des nations démocratiques assure le rétablissement de la France immortelle dans tous les droits que lui confèrent sa souveraineté, son histoire et le glorieux passé d’un peuple dont les traditions constituent un patrimoine d’honneur pour tous les pays, je vous assure de ma sincère reconnaissance... »
13Le Commissaire national aux Affaires étrangères télégraphie quant à lui son homologue Ezequiel Padilla, secrétaire d’Etat aux Relations extérieures6. Jacques Soustelle ne manque pas non plus de saluer de Londres le geste du gouvernement mexicain, désormais allié objectif des démocraties et de la France libre. Il adresse au moins deux télégrammes. L’un au frère du président, ministre des Communications et soutien déclaré de la France libre, Maximino Avila Camacho :
« Au moment où le Mexique entre dans le conflit mondial du côté du Droit, j’ai l’honneur de vous présenter mes vœux sincères et vous prie de vien vouloir les transmettre à votre illustre frère.
Confiants en la victoire commune qui donnera à la France sa liberté, nous, patriotes français, saluons le vaillant peuple mexicain, héraut, comme toujours, de la justice et de l’humanité. »
14L’autre au francophile Jaime Torres Bodet, sous-secrétaire d’Etat aux Relations extérieures. Enfin, tandis que les porte-paroles de la France libre commentent avec enthousiasme la « naissance » de ce nouvel allié des démocraties (ainsi sur Radio Etat Kuibischev qui fait un panégyrique du nouvel allié !), l’ancien « représentant personnel du général de Gaulle au Mexique », Jacques Soustelle, diffuse vers la France :
« Le Mexique vient d’entrer en guerre contre l’Axe. Pour ceux qui seraient tentés de méconnaître l’importance de cette nouvelle, voici en quelques mots ce qu’elle signifie. Elle signifie d’abord la ruine de la cinquième colonne en Amérique. Le plan d’espionnage et de sabotage du Reich contre les Etats-Unis est frappé à mort, parce que la base de toute cette besogne devait être le Mexique. Déjà pendant l’autre guerre, l’Allemagne avait voulu transformer le territoire mexicain en une place d’armes contre les Américains. Dans la Seconde Guerre mondiale, et dès le début, la Gestapo, les services d’espionnage et de propagande du Reich hitlérien ont dépêché au Mexique leurs agents les plus zélés et les plus habiles. A l’abri de la neutralité, ils ont dépensé des millions et travaillé à faire du Mexique une base d’action clandestine pour les nazis de l’Amérique du Nord. Leur propagande, dirigée par Arthur Dietrich, rongeait les consciences ; l’espionnage où se distinguait le neveu de von Papen,... Et voici le fait étonnant et réconfortant : toute cette machine de corruption et de guerre secrète s’est effondrée. Le Mexique a réagi à temps et avec l’énergie nécessaire, et dès maintenant, dans un camp de concentration de l’Etat de Veracruz, les espions du Reich sont en train de réfléchir sur l’instabilité des choses de ce monde. Le Mexique ne sera pas le repaire des saboteurs ; la porte de derrière des Etats-Unis est solidement verrouillée.
Mais ce n’est pas tout. Le Mexique — qui, soit dit en passant, est grand quatre fois comme la France, c’est une source inépuisable de matières premières, de pétrole surtout. L’étain, le tungstène, le mercure, tous les minerais nécessaires à la guerre abondent dans le sol mexicain. Et c’est aussi du coton, des céréales, du caoutchouc, que la République mexicaine apportera à l’effort des Alliés, sans parler de sa flotte de navires pétroliers, des bases aériennes et navales de son territoire, et d’une armée petite mais bien instruite qui saurait le cas échéant défendre son pays.
Nous, Français, ne devons pas oublier que les Mexicains aiment profondément la France et que leurs sympathies et leur enthousiasme vont à la France libre. Chaque espion nazi mis hors d’état de nuire, chaque goutte de pétrole mexicain dans les moteurs des avions et des tanks alliés, c’est un coup de pioche dans les murailles de la Bastille où Hitler et ses complices ont enfermé le peuple français. Merci et bonne chance au Mexique, pays d’hommes libres et nobles, toujours ami, aujourd’hui allié7. »
La collaboration Mexique Etats-Unis
Novembre 1941-Juillet 1942
19-11-1941 Accords de principe eu/Mex. pour le règlement de la question pétrolière.
01-12-1941 Accords de Washington / réparations (40 milliards).
08-12-1941 Rupture des relations Mex./Japon.
11-12-1941 Rupture des relations Mex./Allemagne et Italie.
27-12-1941 Le Mexique ne reconnaît pas comme « belligérant » les nations américaines en guerre. Escales de navires et d’avions possibles.
12-1941 Nouveau règlement mexicain sur l’immigration.
14-01-1942 Création d’une commission de défense commune Mex./
eu.
16-01-1942 Les Diplomates Allemands Quittent le Mex. Pour Les eu.
15/28-01-42 Conférence de Rio de Janeiro ; appui Mex. aux thèses eu.
01-1942 Prêt de 20 millions de $ des EU au Mexique.
14-02-1942 Arrivée G. Messersmith au Mex. (déclarations en espagnol).
18-02-1942 Les diplomates italiens et Japonais quittent le Mex. pour les eu.
03-1942 Projet règlement / Chamizal entre eu et Mex.
12-03-1942 Déclarations de Padilla très favorables aux eu.
03-1942 Rationnement / automobiles et pneumatiques au Mex. / effort d’équipement de l’armée mex. et effort guerre continental.
03-1942 Projets d’accord / division des eaux du Colorado eu
/Mex.
27-03-1942 Communiqué mex. / accord prêt-bail Mex./
eu.
27-03-1942 Accord eu/Mex. Lease-Lend pour modernisation armée mex.
03-1942 Visite du min. d’Hacienda Suarez à New York.
04-04-1942 Le gouvernement américain exprime officiellement son intention d’entrer en négociations avec le Mex. /traité de commerce.
07-04-1942 Déclaration Padilla/Sumner Welles conjointe sur la contribution du Mex. à l’effort de guerre américain.
14-04-1942 Frictions Mex./Argentine et Chili ; soutien Mex./
eu.
17-04-1942 Décision experts/problème pétrolier Eu/Mex. Accord eu/Mex. sur les pétroles (montant indemnité + délais).
13-05-1942 Torpillage du « Potrero de Llano » (23 h 55) par sous-marin (allemand ?).
14-05-1942 Protestation du gouvernement mex. / gouvernements de l’Axe.
22-05-1942 Cabinet mex. propose état de guerre entre Mex./Axe.
02-06-1942 Après approbation du Congrès, l’état de guerre est proclamé entre le Mex. et les pays de l’Axe à partir du 22 mai. Suspension de certaines garanties constitutionnelles.
13-06-1942 Mise sous séquestre des biens des sujets de l’Axe.
14-06-1942 Baisse de la cotation du $ billet à México à la demande des eu. 30-06-1942 Ouverture de la Conférence interaméricaine de contrôle économique et financier à Washington.
01-07-1942 Castillo Najera remet à Sumner Welles le premier versement du gouvernement mexicain aux compagnies pétrolières expropriées.
07-1942 Conférence (2e) interaméricaine de l'agriculture.
29-07-1942 Déclaration du « Coordinateur des affaires américaines » (N. Rockefeller) sur l’apport du Mex. à l’effort de guerre des eu.
03-08-1942 Loi du 19-08-1940 sur le service militaire obligatoire au Mex. mise en vigueur.
11-08-1942 Publication d’un décret sur la détention de $ us au Mex.
12-08-1942 Accord consulaire Mex./ eu sur les conditions du travail des Mexicains aux eu.
15Au-delà dithyrambes et de certaines exagérations, c’est, par la voix de la BBC, un fervent hommage que rend Jacques Soustelle à ce pays où il a vécu et lutté pendant les premières années du conflit, à ce pays en guerre dont, ce soir-là, les auditeurs français ont pu découvrir l’engagement. Jamais, depuis le Porfiriat — voire l’expédition française de 1862 — l’on n’avait parlé « en France » avec autant de chaleur du Mexique. Même s’il s’agit d’un éphémère discours de propagande de la France libre destiné à soutenir le moral des Français à l’écoute, même s’il s’agit de vivifier l’esprit de résistance, ce discours — et d’autres encore — d’une personnalité importante du cnf (puis du gprf et enfin du gouvernement de la IVe République française) révèle le tournant fondamental, qui s’accomplit pendant les premières années de la guerre, dans les relations franco-mexicaines : entre une France déchue et un Mexique allié fort utile des démocraties, les termes du dialogue ont évolué parce que les besoins ont évolué ; parce que les ambitions ont changé ; parce que le personnel diplomatique a changé : la France libre, qui a une vision plus « sensible » du Mexique, a besoin de la reconnaissance internationale que le Mexique peut lui apporter. Le gouvernement de La Havane (Cuba appartient à la zone de l’ancien représentant du général de Gaulle à México) vient de tracer la voie à suivre : le 29 avril 1942, le gouvernement du général Batista a reconnu l’autorité du cnf sur les îles françaises du Pacifique et les territoires africains contrôlés par la France libre ; un ministre cubain a, en outre, été accrédité à Londres auprès du cnf.
16Un incident grave relance alors à Vichy le processus de dégradation des relations entre la France de Vichy et le Mexique.
Prémisses d’une rupture
Le rappel du ministre mexicain
17Le 1er juin, le général Riquelme est arrêté à Vichy. Général républicain espagnol réfugié en France, il était devenu un « collaborateur de la légation du Mexique » et dirigeait un service de renseignements pour les militaires espagnols désireux de s’expatrier au Mexique ; commandeur de la Légion d’honneur, il dirigeait avant juin 1940 pour l’armée française, le recrutement d’officiers de carrière espagnols ; en décembre 1940, après avoir refusé de s’embarquer pour Londres et être entré en clandestinité à Montauban, il fut invité par le général F.-J. Aguilar, ministre de la légation mexicaine, à se réfugier à Vichy, à la légation [225, p. 427]. Mais pendant une absence du ministre mexicain, il est arrêté en 1942 à l’intérieur même de la légation.
18Le 2 juin, le sous-secrétaire d’Etat aux Relations extérieures Jaime Torres Bodet, informe le chargé d’affaires français à México, Ghislain Clauzel, de « l’incident » ; il souligne que « cet incident est grave pour deux raisons : parce qu’il contrevient à l’accord franco-mexicain du 23 août 1940 et parce que le général Riquelme est un collaborateur de la légation du Mexique »8.
19Le ministre mexicain à Vichy ayant demandé aux autorités françaises la libération du général espagnol, le sous-secrétaire d’Etat exprime au chargé d’affaires français « l’espoir que le gouvernement français réservera une suite favorable à cette démarche ». Il ajoute que, « dans le cas contraire, il est à craindre que cet incident n’ait des répercussions désagréables ». Même exprimée « à titre personnel », cette mise en demeure sibylline montre la profonde dégradation des relations franco-mexicaines ; par cet avertissement personnel, le gouvernement mexicain signale que la protection des réfugiés espagnols ne l’empêchera pas de rompre, si besoin est. Tout en préférant attendre le signal américain9, le Mexique ne tient toutefois plus à maintenir à n’importe quel prix ses relations avec Vichy. L’accord du 23 août 1940 étant de plus en plus difficilement applicable, parfois violé comme dans ce cas précis, « l’alibi espagnol » devient une chimère pour l’opinion.
20Il est réciproquement clair que le gouvernement de Vichy n’hésite nullement à s’en prendre directement au gouvernement mexicain et à ses intérêts : maintenir des relations avec le gouvernement mexicain n’est ni prioritaire, ni indispensable. Les réfugiés espagnols, « rouges », sont une entrave au bon fonctionnement entre Vichy et Berlin de la « collaboration » que Pierre Laval souhaite intensifier : « le gouvernement mexicain, écrit Rochat, doit comprendre la nécessité où se trouve le gouvernement français d’exercer un contrôle vigilant sur l’ensemble de ces éléments » : la mesure prise à l’égard du général Riquelme est simplement une « mesure d’éloignement », affirme-t-on à Vichy10. Considérant en outre que la colonie française est dans sa quasi-totalité hostile à sa politique, la diplomatie vichyssoise semble considérer que le gouvernement mexicain, « assez connu de par le monde pour ses révolutions et ses coups d’Etat », représente une pièce de dernier rang sur l’échiquier diplomatique ; facilement sacrifiable donc aux nécessités de la politique intérieure et surtout aux besoins d’une politique de bon voisinage, « good neighbour policy » européenne en quelque sorte. Réciproquement, le Mexique ne cherche nullement à se singulariser de son grand voisin ; seule la politique de Washington avec Vichy est donc déterminante, les relations franco-mexicaines n’étant qu’une annexe des relations franco-américaines ; à la mi-avril 1942 un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères mexicain ne déclarait-il pas que « le Mexique conformerait son attitude à celle des Etats-Unis, si ceux-ci suspendaient leurs relations avec le gouvernement français11 » ?
21Cette interprétation, la mieux fondée au regard des sources, n’est cependant ni la version officielle, ni la seule admise à Londres par le Commissariat aux Affaires étrangères de la France libre. Philippe Grousset, délégué du cnf pour les Antilles après le départ de Jacques Soustelle écrit ainsi que, selon une personnalité importante de l’ambassade mexicaine à La Havane, « le Mexique se considère comme le protecteur des Républicains espagnols (...) Dans ces conditions, ce pays se doit dans l’intérêt de ses futurs ressortissants de maintenir avec Vichy des relations... ». Et le délégué du cnf adhère à cette interprétation du « comportement en apparence paradoxal d’une nation en guerre avec l’Axe »12. Un entretien du sous-secrétaire d’Etat mexicain aux Relations extérieures avec le nouveau délégué du cnf à México confirme en apparence cette thèse : « La crainte de compromettre la défense républicaine espagnole en France empêche la reconnaissance de la France libre ». D’après le ministre du Mexique à Londres enfin, Rosenzweig-Diaz, « on ne voudrait pas rompre avec Vichy avant que le plus grand nombre possible de ces réfugiés soit passé de l’autre côté de l’océan »13. Cette justification officielle, proprement nationale, ne dissimule que mal en 1942 les impératifs importés de la politique internationale du Mexique.
22L’honneur et le prestige du Mexique restent alors, pour l’opinion nationale et internationale, engagés dans cette mission de protection des réfugiés espagnols en territoire français. Le gouvernement mexicain ne peut abandonner explicitement ce lourd héritage cardéniste sans perdre le bénéfice d’un engagement humanitaire tenu ; car cet engagement est le symbole manifeste d’un retour définitif du Mexique à la crédibilité internationale et, mieux encore, le symbole d’une politique de prestige et d’attachement aux Droits de l’homme, défi modeste latino-américain lancé aux violateurs des « Principes sacrés de 1789 », nombreux parmi les puissances en conflit. Dans le même ordre d’idée, BIT et SDN continuent à recevoir les cotisations mexicaines, au moins jusqu’en 1942. La sincérité humanitaire du gouvernement mexicain dans une tâche que la France déchue n’a plus voulu assumer n’est d’ailleurs pas à mettre en doute. Nonobstant ces considérations, l’importance des relations américano-mexicaines est telle qu’une rupture unilatérale du Mexique avec la France de Vichy serait inconvenante et maladroite : cette décision, même ou surtout si l’on y ajoute la reconnaissance de la France libre, serait en dehors du champ admis de l’autonomie de la politique étrangère mexicaine.
23La décision de rappeler le ministre mexicain à Vichy, le 27 ou 28 juin est intimement liée à l’arrestation du général espagnol Riquelme. Aucun motif officiel n’est invoqué immédiatement et de nombreuses rumeurs circulent à México comme à Londres sur les raisons de ce rappel déjà évoqué dans le chapitre sur les réfugiés espagnols. La police française ne donne pas satisfaction à la demande mexicaine de mettre fin à la « mesure d’éloignement » concernant le général Riquelme. Le gouvernement mexicain rappelle alors son ministre en consultation à México, coup de semonce sérieux montrant qu’il n’est pas officiellement décidé à sacrifier les réfugiés espagnols pour maintenir ses relations avec la France de Vichy, mais aussi critique vraisemblable de la politique suivie par le général Aguilar à Vichy14. Le président mexicain confirme en privé que « le rappel du ministre du Mexique est dû aux difficultés survenues au sujet du général Riquelme et au désir d’éviter que ne s’enveniment les relations entre la Légation du Mexique et le gouvernement français ».
24Un nouveau ministre est rapidement proposé à l’agrément du gouvernement de Vichy ; l’annonce en est faite publiquement dès le 29 juin, pour couper court aux rumeurs de rupture entre les deux gouvernements, signe de bonne volonté du gouvernement mexicain. Mais Vichy refuse le 2 juillet de donner l’agrément au nouveau ministre, invoquant l’impossibilité d’accepter un diplomate ayant été en poste dans un pays de l’Axe lors d’une rupture : Manuel Arce, proposé par le Mexique, était à Rome lors de la rupture italo-mexicaine. La dégradation des relations franco-mexicaines s’accentue ; et México, n’admettant pas les motifs invoqués par Vichy, ne propose plus de ministre à l’agrément français. Le chargé d’affaires Gilberto Bosques géra donc la légation et les intérêts du Mexique en France, jusqu’à la rupture. Il est vrai que Vichy n’avait pas cru bon en janvier 1942 de nommer à México un ministre. Ainsi, la situation n’est pas aggravée par le Mexique puisqu’en retirant son ministre, ce pays établit la parité diplomatique. Vichy d’ailleurs pense à la rupture, en envoyant en mai 1942 au Mexique un archiviste, Pierre Beauchesne.
25La situation s’aggrave d’une manière presque continue. Le discours de Pierre Laval du 22 juin annonçant la Relève et souhaitant la victoire de l’Allemagne, provoque au Mexique un plus grand isolement de la légation : l’ambassadeur des Etats-Unis retire l’invitation donnée au chargé d’affaires français pour la fête nationale américaine du 4 juillet15. De semblables nouvelles, s’ajoutant par exemple à des déclarations de Laval reproduites par la presse mexicaine telles que « chaque Gaulliste de moins sera un pain de plus pour nos prisonniers » [EP, 12-05-42], ne contribuent pas peu à isoler la légation française et à vivifier les courants d’opinion demandant la rupture du Mexique avec « le gouvernement de Vichy-Berlin » [EP, 22-05-42].
26A son arrivée à New York, les déclarations de l’ancien ministre du Mexique à Vichy, principal témoin mexicain de la situation française, sont annoncées comme une bombe et produisent bien l’effet attendu : « Continuer à parler avec M. Pierre Laval, c’est traiter avec l’Axe qui veut nous détruire » ; le chef du gouvernement français est « non seulement pro-allemand, mais plus encore pro-japonais »16. Ces déclarations d’Aguilar le 23 juillet « manquent sincèrement de réserve diplomatique » ! Pour le général Aguilar, le principal effort de la légation fut de « tenter en vain de dissimuler le gouvernement français de livrer au gouvernement du général Franco les Espagnols réfugiés » en France. Même si la violence de ces propos n’est pas avalisée par le gouvernement mexicain qui semble même lui demander sa démission, le général Aguilar demeure un homme écouté de son gouvernement pour les questions françaises17. Une entrevue entre le général Aguilar et Pierre Laval, datant de fin avril ou du début mai 1942, confirme les déclarations du ministre mexicain [Hoy, 28-11-42] : les réfugiés espagnols sont au cœur des relations franco-mexicaines. Pierre Laval les aurait qualifiés devant le ministre mexicain de « rouges indésirables dont le gouvernement français désire se débarrasser ». Réciproquement, l’analyse prétendue de Laval sur l’évolution des événements internationaux (victoire de l’Allemagne et du Japon), aurait été qualifiée par le ministre mexicain, devant le chef du gouvernement de Vichy, de « puérile et naïve ». Si ces déclarations sont bien réelles, elles suffisent amplement à justifier une éventuelle demande de rappel du ministre... Franchise étonnante ou manque de tact élémentaire voire provocation délibérée, le ministre demanda, dans la suite de l’entretien, l’autorisation d’émigrer pour deux scientifiques français de renom (Richard et Percheron), autorisation que le président Laval aurait refusé en argumentant de la sorte : « Si ces Messieurs ne veulent pas travailler pour les Allemands, il faudra qu’ils le fassent même s’ils ne le veulent pas ». Le ministre Aguilar prit donc congé sans avoir rien obtenu de ce pour quoi il avait sollicité l’entrevue d’avril ou de mai 1942, à l’exception d’une déclaration d’intention de Pierre Laval, visiblement mal disposé à laisser la légation du Mexique accomplir sa tâche conformément à l’accord du 23 août 1940.
La saisie du Mérope
27Une autre affaire accroît la tension entre les deux gouvernements. Romanesque, elle est très symbolique du point de dégradation atteint par les relations « franco-mexicaines ». Pour la comprendre, les archives de « Londres » et de « Vichy » sont avares en renseignements vérifiables ; seuls les textes officiels clôturant l’affaire sont indiscutables. La presse mexicaine, quant à elle, est trop directement le porte-parole d’un gouvernement partie-prenante pour être fiable en tous points. Des archives privées clarifient bien les nombreuses obscurités d’une affaire assez mineure au demeurant ; mais elle est exemplaire, montrant que désormais les relations « franco-mexicaines » ne survivent qu’en l’attente d’un signal, d’un prétexte. Une note du chargé d’affaires français fait le point sur l’affaire, aussitôt après sa conclusion tandis qu’un rapport de l’expert nommé par la légation, le capitaine du navire !, bien que suspect de partialité est fertile en précisions18.
28Le Mérope bat pavillon français et son équipage est entièrement d’origine française ; c’est un navire pétrolier de moyen tonnage. Son capitaine, Flourié, signa en septembre 1941 un contrat avec la société nationale « Petroleos Mexicanos » aux termes duquel le navire devait acheminer du combustible des ports mexicains vers New York Le navire se serait alors dévié de sa route normale, n’étant de nouveau signalé que lorsqu’un garde-côte mexicain l’arrêta : mais le Mérope avait entre-temps perdu sa cargaison... La presse mexicaine écrit en mai 1942 qu’est acquise « la certitude qu’il a remis le combustible aux sous-marins de l’Axe qui parcourent en ce moment les eaux du golfe du Mexique, ceux-là même qui ont torpillé les bateaux pétroliers mexicains » [ep, 24-05-42]. S’agit-il d’un acte classique de baraterie ? L’histoire n’est-elle pas déformée voire inventée par la propagande anti-vichyste, par la gauche mexicaine ou par les autorités mexicaines ? Le navire a-t-il remis sa cargaison réellement ? Si oui, volontairement ou contraint et forcé ? A qui ? Si non, comment la compagnie affrétant le navire a-t-elle permis l’élaboration de cette fausse nouvelle ? Ces questions restent posées, même si la dernière hypothèse semble un peu étonnante et si les dissensions au sein de l’équipage rendent peu probable le ravitaillement d’un sous-marin de l’Axe, même avec l’assentiment du capitaine. Cette affaire est d’autant plus complexe, qu’elle se déroule à un moment où l’entreprise nationalisée mexicaine « Petroleos Mexicanos », manquant déjà de moyens d’exportation, vient de perdre, coup sur coup, deux navires torpillés dans le golfe... Moment où se prend au Mexique la décision d’entrer en guerre contre l’Axe.
29Un député connu pour ses affinités avec les Français libres, César Garizurieta, demande alors que le gouvernement mexicain rompe immédiatement ses relations avec le gouvernement de Vichy, estimant que le Mérope a « rempli une mission du gouvernement de Pétain » et que « le gouvernement français, manœuvré par Hitler, continuera à cultiver l’amitié du Mexique pour servir d’instrument à l’Axe dans l’offensive que le nazifascisme a lancé contre le Mexique » [ep, 24-05-42]. Pourtant, le gouvernement mexicain ne donne pas suite aux accusations de barraterie, ce qui infirmerait les informations rapportées par la presse.
30Ainsi se termine la première phase des aventures du pétrolier français Mérope, conduit sous bonne garde « dans un port du Rio Panuco », et « interné » à Tampico. Pareille aventure, imaginaire ou réelle, avait été signalée par la presse mexicaine quelques jours après la saisie des navires de l’Axe — avant la rupture avec l’Axe.
31La deuxième phase des événements liés à ce pétrolier commence le 10 juin — et les faits en sont établis avec plus de certitude. Le 10 juin donc, le Français Tron, responsable de l’une des principales entreprises commerciales françaises du Mexique, prévient le chargé d’affaires français que le gouvernement mexicain veut acheter le Mérope. Le directeur général de Petroleos Mexicanos, Buenrostro, confirme la demande d’achat. Le chargé d’affaires demande alors au capitaine du Mérope, l’expertise du navire. Le 19 juin, Tron insiste auprès de la légation pour que la vente ait lieu à México et non à Washington (avec l’attaché naval français en poste), comme G. Clauzel l’avait suggéré. Le 26 juin, le chargé d’affaires français reçoit un télégramme du ministère disant que « le gouvernement français n’est pas en mesure de vendre le Mérope » : les négociations sont donc immédiatement suspendues. Pourtant, le lendemain, le sous-secrétaire d’Etat J. Torres Bodet renouvelle la demande du gouvernement mexicain, avec une offre variant entre 903 000 et 895 000 $ des Etats-Unis. Les négociations reprennent ensuite entre le chargé d’affaires et un ami intime du président Manuel Avila Camacho, Balbuena.
32Le gouvernement de Vichy communique tardivement son accord pour la vente au prix de 850 000 $ E.U. Le négociateur Balbuena fait comprendre au chargé d’affaires G. Clauzel que le président, qui a des intérêts dans l’affaire, voudrait que l’affaire se fasse, même au tarif fort (903 000 $ E.U.) : à condition toutefois que 75 000 $ lui soient facturés directement et que la facture réelle ne corresponde pas à la réalité. Le chargé d’affaires français, peu rompu à ces procédés, en réfère à l’ambassadeur Henry Haye à Washington ; ce dernier répond que cette manière de faire est « habituelle » et que l’on peut accéder à la demande ainsi formulée : il communique donc son accord pour la vente.
33Mais les atermoiements de Vichy se poursuivent. De son côté, le Comité national français se tient informé des négociations. Il demande à son représentant à México de s’opposer à la vente « pour des raisons évidentes » et de proposer plutôt une « réquisition », sur le modèle anglais, avec restitution au gouvernement propriétaire à la fin des hostilités.
34Le 21 août 1942, le gouvernement mexicain notifie au chargé d’affaires français étonné que le navire vient d’être saisi par décret présidentiel (la réquisition a été repoussée pour des raisons financières ; car cette solution s’avère rapidement prohibitive). Le 22, le décret est publié : l’argumentation s’appuie sur le vieux et traditionnel droit « d’angarie ». Selon ce décret, le pétrolier sera indemnisé à sa valeur forte (903 000 $ E.U.). Le chargé d’affaires manifeste, à la suite de cette brutale interruption des négociations, son étonnement auprès du secrétariat aux Relations extérieures mexicain. On lui fait alors comprendre que Balbuena n’agissait pas, dans la question de la « commission », pour le compte du président mais pour le sien propre : le ministère mexicain n’aurait jamais été informé des différentes démarches de Clauzel notamment auprès de l’ambassade française aux Etats-Unis (...) ; la lenteur de ces tractations a donc pu dans ce cas être interprétée comme la manifestation d’un certain dilettantisme intentionnel du gouvernement de Vichy.
35Avec l’aide d’un haut fonctionnaire du ministère des Relations extérieures mexicain, M. Tello, une « embuscade » est dressée dans les locaux mêmes de la légation. Les paroles échangées entre le chargé d’affaires et Balbuena servent d’aveu pour la police mexicaine qui arrête ce dernier à sa sortie de la légation... et le relâche dès le surlendemain. Balbuena est-il bien protégé ou ces dernières péripéties ne sont-elles qu’une mise en scène ?
36Cet épilogue vaudevilesque des aventures édifiantes du pétrolier « Mérope » ne doit pas cependant occulter le fait que, dès le 12 décembre 1941, tous les navires français stationnant dans les ports des Etats-Unis ont été saisis par le gouvernement de Washington ; certains ont été débaptisés dès le 1er janvier 1942 (« Normandie ») et leur transformation fut entreprise alors même que les deux pays, France et Etats-Unis, n’ont pas rompu, ni amoindri, leurs relations. Dans ces conditions, la saisie du navire « Mérope » par les autorités mexicaines doit être considérée comme un geste non-exceptionnel, consenti par Washington et significatif d’une détérioration des relations franco-mexicaines et des nécessités d’étoffement de la flotte pétrolière mexicaine. Il faut aussi souligner qu’une telle affaire n’est pas exceptionnelle non plus par ses obscurités ; que l’on en juge par la réaction de l’ambassadeur français à Washington qui accepte de se plier aux divers versements, ou par les nombreuses affaires de ce type, révélées par la presse mexicaine de l’époque et par des recueils d’articles comme ceux d’Alfonso Taracena [129].
37La légation du gouvernement de Vichy pourrait bientôt, semble-t-il en août 1942, cesser de fonctionner : le temps des ménagements entrevu avec l’affaire « Aguilar » et dans tous les événements précédents est révolu. Répondant à d’évidents impératifs économiques, la saisie des navires des pays de l’Axe par le Mexique, puis leur utilisation, étaient intervenues l’année de la rupture entre le Mexique et les pays de l’Axe — et sur le signal des Etats-Unis. La justification « espagnole » consistant à arguer de la protection des réfugiés espagnols en territoire français pour maintenir des relations avec le gouvernement français, cette justification mexicaine des relations avec Vichy ne tient plus, en août 1942, qu’en tant qu’argumentation nationaliste officielle dans l’attente du signal de rupture donné par Washington.
Un bilan très défavorable au gouvernement de Vichy
38Le 21 juillet, le secrétaire d’Etat Padilla fait remarquer qu’il « n’accepte pas le point de vue de Vichy » : il serait inexact d’appliquer cette remarque à un contexte général ; il est au reste aisé de constater que les déclarations de Pierre Laval provoquent assez régulièrement des « réactions acerbes » de la presse mexicaine proche du gouvernement. Le délégué du cnf écrit-il le 24 juillet que « la politique du gouvernement mexicain semble demeurer très prudente »19 ? Pourtant le président explicite pour la presse dès la fin juin le sens de la guerre dans un raccourci manichéen : « lutte (,„) du bien contre le mal » [jfm, 30-06-42].
39La mention par le président, lors de son discours d’ouverture de la session parlementaire le 1er septembre, de la « France combattante » au même titre que l’Angleterre, la Belgique ou la Chine, concession symbolique pour le cnf, manifeste l’effritement profond du crédit du gouvernement de Vichy20. Des personnalités gouvernementales de premier plan (J. Torres Bodet...) n’hésitent plus à afficher leur sympathie pour l’organisation du général de Gaulle, tout en se gardant de propos blessants à l’égard de Vichy.
40« Aucune mesure de confiscation n’est à prévoir dans un avenir immédiat », écrivait le ministre de France d’alors, Gilbert Arvengas, en août 1941. Un mois auparavant, il faisait remarquer « combien les cérémonies organisées par le représentant du gouvernement de l’armistice souffraient, quant à l’affluence et à l’éclat, de la concurrence de celles organisées par les “Français libres” ou leurs admirateurs »21. Cette observation, écrit un an plus tard le chargé d’affaires G. Clauzel, est « encore plus vraie » en 1942 ; « le Mexique est entré en guerre à la suite des Etats-Unis et tient à manifester sa sympathie pour ceux qu’il considère comme des belligérants au même titre que lui contre l’ennemi commun »22. Plus nettement que Washington, México tient désormais à montrer qui sont ses alliés dans le camp français : le Mexique joue là dans les limites de la marge « nationale » de la politique étrangère. Le 22 juillet, le gouvernement mexicain remet encore à la légation de France l’annuité de l’indemnité pour dommages révolutionnaires23 ; l’opinion publique mexicaine est néanmoins copieusement informée par la presse des déclarations violemment hostiles à Vichy de son ex-représentant le général Aguilar, à son retour de la « ville d’eaux, capitale d’occasion de la France ». Enfin, l’entrée en guerre du Brésil aux côtés du Mexique et des Etats-Unis, le 21 août, est saluée par la presse et le gouvernement mexicain comme la justification éclatante de la position internationale du Mexique, de sa position de leader de l’Amérique au sud de Rio Bravo.
41A partir de la mi-juillet 1942, les archives de la série « Vichy » ne font plus jamais état des relations politiques franco-mexicaines ; diverses questions, économiques en particulier, sont abordées, mais toujours sans rapport direct avec les relations franco-mexicaines ou même, le plus souvent, avec les relations franco-françaises (France libre/France de Vichy) : y a-t-il eu destruction des archives ? Le chargé d’affaires s’est-il abstenu intentionnellement de toute correspondance dans ce domaine parce que la transmission des documents n’était plus sûre, ou parce que sa loyauté à l’égard du gouvernement de Vichy était ébranlée ou entamée ? Le récapitulatif de l’affaire Mérope conservé par le chargé d’affaires n’existe pas dans les archives. La disparition même du message de transmission de la rupture des relations diplomatiques influe en faveur de la première hypothèse, la numérotation des documents aussi, même s’il y a eu par ailleurs détérioration partielle et accidentelle après-guerre ; après la rupture, la transmission au département Amérique par Ghislain Clauzel via la légation de Suède de documents aujourd’hui disparus (ne subiste aujourd’hui que l’enveloppe) confirmerait aussi cette hypothèse. En outre, l’envoi, à México, au printemps, d’un secrétaire faisant fonction d’archiviste laisse supposer que la fermeture de la légation, prévisible, a été préparée avec soin et que certains documents ont, logiquement, été détruits dès ce moment et peut-être dans l’immédiat après-guerre. Quoi qu’il en soit, les sources françaises de l’historien perdent, avec leur dualité, une part importante de leur richesse.
La France combattante sous pression
Un nouveau délégué du CNF
42En avril 1941, Jacques Soustelle quittait México et la direction de la délégation française du Comité national français de Londres. Nommé à la direction de l’Information, il fut rapidement promu commissaire à l’Information. A México, Gilbert Médioni, délégué adjoint, restait seul en charge de la délégation du cnf, sans modification de titre.
43Le 24 juillet 1942, Maurice Garreau-Dombasle, nouveau délégué du cnf au Mexique et en Amérique centrale, prend possession de son poste ; il arrive tardivement dans la capitale parce que les autorités américaines ont fait preuve de mauvaise volonté pour lui « délivrer l’autorisation de sortie des Etats-Unis » — ce cas n’est pas isolé et le FBI n’y est pas étranger24.
44Dans ses Mémoires de guerre, Charles de Gaulle écrit :
« Sous l’impulsion de Garreau-Dombasle pour les Etats-Unis, de Ledoux pour l’Amérique du Sud, de Soustelle pour l’Amérique centrale (...), nos délégations s’implantaient partout dans le Nouveau monde [5, I, p. 178]. »
45L’ex-conseiller de Vichy, premier et longtemps seul démissionnaire de l’ambassade de Washington, Maurice Garreau-Dombasle, arrive à soixante ans, au Mexique apportant avec lui le poids d’amertume lié à son expérience américaine : nommé aux côtés de Sieyès à la représentation française libre des Etats-Unis, leurs relations se sont rapidement tendues à l’extrême ; pendant l’été 1941, « Garreau-Dombasle fut relevé de ses fonctions » et se « retira à Pasadena » [133, p. 21]. Il ne sort de l’isolement que pour être nommé à la tête de la délégation du Comité national français à México [139, p. 320], « parachuté », disent à mi-voix nombre de Français libres du Mexique ; Mexique, compensation d’une éviction nord-américaine, pensent, non sans fondement, certains Mexicains, la dignité nationale froissée par cette « importation », surtout venue du Nord ! Néanmoins, la nomination au Mexique d’un diplomate connaissant bien la politique de Washington est d’une utilité évidente dans un pays qui aligne sur elle l’essentiel de sa politique extérieure.
46Maurice Garreau-Dombasle, diplomate de carrière, aîné de Gilbert Médioni (et de Jacques Soustelle a fortiori), ne suscite pas d’enthousiasme démesuré à son arrivée à México. Pour la France libre mexicaine, habituée à plus de jeunesse d’esprit, plus d’affection aussi pour cette terre américaine, la France libre nord-américaine, divisée, agitée, ne constitue pas un bon exemple. Mouvement formé d’une manière autonome et sur le point d’obtenir sa consécration, la France libre du Mexique n’admet pas sans réticences l’introduction d’un élément étranger, surtout d’origine nord-américaine, et à sa direction de surcroît : elle envisageait la promotion de l’un de ses membres plutôt que l’envoi d’un diplomate sexagénaire, aigri et nimbé d’un demi-échec lié à des conflits de personnes. La France libre mexicaine, qui s’attendait à la nomination du docteur Gilbert Médioni comme représentant local dûment investi, aurait certes mieux accepté un délégué envoyé de Londres ou d’une autre région du monde qu’un membre de la France libre nord-américaine. Soulignons ici le cas relativement atypique sur le continent américain de la France libre mexicaine (et cubaine semble-t-il), rapidement importante et peu atteinte par des divisions internes : comme aux Etats-Unis, la France libre brésilienne est, par exemple, en situation sensiblement plus précaire et affectée par de notables conflits de personnes.
47Toutefois, au lendemain du succès des manifestations organisées par le délégué adjoint et les autres membres de la délégation mexicaine à l’occasion du 14 juillet, l’arrivée à México de Garreau-Dombasle, très normalement préparée, se déroule sans incident aucun et connaît même un succès certain auprès de la presse. Le nouveau délégué prend aussitôt contact avec le Comité central de la France libre mexicaine, présidé par son ancien camarade de guerre, Georges Pinson ; et, par ce Comité, avec les 33 comités du Mexique. Il s’entretient aussi avec d’autres personnalités de la colonie française dont les trois anciens ministres : Goiran, un ami de longue date, lui fait part de son intention « d’abandonner sa précédente réserve » à l’égard de la France libre — connue quelques temps après. Par contre, l’ancien ministre Albert Bodard, avec qui Garreau-Dombasle souhaite entretenir « des rapports courtois », ne lui semble pas d’une « confiance absolue », en raison de sa « situation très spéciale (...) auprès de la colonie française et de son attitude lorsque Soustelle dirigeait la délégation ». Enfin, Gilbert Arvengas est reçu à sa demande par le nouveau délégué : l’ancien ministre ne désire par se rallier, mais souhaiterait œuvrer, en marge de la France combattante, en faveur des prisonniers, (l’œuvre des Colis aux prisonniers est administrée par le Comité central France libre de México). Le nouveau délégué s’entretient également avec de nombreuses autres personnalités, dont l’ancien attaché commercial de la légation, André Gabaudan : ce dernier part en août comme volontaire des Forces françaises libres25.
48Maurice Garreau-Dombasle demande, dans la semaine suivant son arrivée, une audience au secrétaire d’Etat E. Padilla, l’obtient quelques semaines plus tard. Invité par le ministre d’Angleterre en présence du sous-secrétaire Torres-Bodet, il est aussi reçu par le pivot diplomatique qu’est l’ambassadeur des Etats-Unis, George Messersmith. Il en retire l’impression que la reconnaissance du CNF n’est « pas aussi avancée » que certains le disent [Daily Sketch, 03-07-42], et que pour le gouvernement mexicain le souci de « ménager Vichy à cause des réfugiés républicains espagnols en France » se mêle à la volonté « d’une certaine harmonisation sur le terrain diplomatique » avec les Etats-Unis.
Campagnes pour la reconnaissance
« ... La presse d’Amérique latine, par amitié pour la France, estime pour le “gaullisme” et, peut-être, désir de faire compensation à l’attitude des Etats-Unis, ne manquait pas de mettre en bonne place mes déclarations. »
Charles de Gaulle, [5, 1, p. 265]
49Le 2 juin 1942, le général de Gaulle envoie au président mexicain un télégramme de sympathie et de solidarité à l’occasion de l’entrée en guerre du Mexique aux côtés des démocraties. Le jour même, le président Manuel Avila Camacho répond au leader de la France combattante en ces termes :
« Je vous remercie profondément du message que vous avez bien voulu me faire parvenir ce jour et dans lequel vous me faites part de la sympathie et des vœux chaleureux des Français qui ont décidé de continuer la lutte au côté des pays combattants contre les forces du mal et du despotisme. En attendant que le triomphe des nations démocratiques assure le rétablissement de la France immortelle dans l’usage de tous ses droits que lui confèrent sa souveraineté, son histoire et le glorieux passé d’un peuple dont les traditions constituent un patrimoine d’honneur pour toute l’humanité, je vous exprime ma reconnaissance sincère pour vos paroles d’espoir et vous salue personnellement... »26
50Le 3 juin au matin, tous les journaux de México publient le télégramme du général de Gaulle, la réponse du président Avila Camacho et les commentaires ou télégrammes des comités mexicains de Français libres. Le double objectif du télégramme de sympathie du Comité national français (où il est difficile de ne pas percevoir l’influence du Commissaire Jacques Soustelle) est atteint. Le président mexicain répond au général comme à un homologue, même s’il le fait à titre personnel et si rien n’est explicitement dit de la représentativité du général de Gaulle. L’opinion publique mexicaine est prise à témoin... Ce qu’il convient donc d’appeler une « opération de propagande » réussit parfaitement, à en juger par l’écho important et sur plusieurs jours fait par la presse à cet échange de télégrammes.
51Le 20 mai 1942 déjà, le gouvernement mexicain avait accepté que la signature et le sceau du chef de la délégation française libre ait une valeur sensiblement identique à ceux de la légation de France27. Tandis que le 23 septembre, le Nicaragua (pays inclus dans l’aire d’administration de la délégation française du Mexique) reconnaît la validité des passeports, cartes de voyages et d’identification émis par des représentants autorisés du cnf en faveur de citoyens français, syriens ou libanais, le 23 octobre 1941 le Mexique avait autorisé la délégation de la France libre à renouveler les passeports28 ; mais ceux-ci devront être visés par le ministère mexicain, et n’auront qu’une valeur limitée. Le développement de ses prérogatives « consulaires » permet à la délégation d’affirmer plus nettement sa représentativité, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
52Dès le 21 juillet 1942, le secrétaire d’Etat Ezequiel Padilla remarque en public qu’il « n’accepte pas le point de vue de Vichy ». Le 21 août, le sous-secrétaire d’Etat fait part au nouveau délégué de la France libre du désir de son gouvernement d’aider le cnf « de toutes les façons »29.
53Le discours présidentiel du 1er septembre 1942 est le premier où est officiellement fait mention de la France combattante ; ce n’était pas le cas lors de la réponse aux vœux exprimés par la France libre en juin. « De tous les pays d’Amérique, aussi bien que de Belgique, de Chine, de Tchécoslovaquie, de Hollande, de Grèce, de Norvège, d’Angleterre et de la France combattante, le gouvernement a reçu des messages significatifs de solidarité » après son entrée en guerre30 : ce ne sont plus un président et leader national qui échangent des messages de sympathie, mais une entité gouvernementale qui est évoquée par le gouvernement mexicain.
54La propagande française libre élargit parallèlement ses objectifs directs en fonction d’une reconnaissance proche. Le commissaire national à l’Information, Jacques Soustelle, communique les axes de la propagande à mener en octobre :
diffuser l’information sur Madagascar, les événements, l’engagement de la Grande-Bretagne vis-à-vis de la France libre et les nombreux ralliements opérés ; — souligner l’œuvre de la France combattante et le rôle des territoires ralliés (unité de l’Empire) ; — détruire le mythe Pétain ; — faire savoir que « l’unité française dans la résistance s’est faite autour du général de Gaulle et du Comité national »31.
55Dans tout le Mexique, s’organise le soutien à la nouvelle « France combattante » : à Jalapa, par exemple, est fondé un comité libanais « pro-allié et pro-France libre » [P. 24-05-42]. En octobre, une radio gouvernementale consacre une heure hebdomadaire à des émissions faites par la délégation du cnf32 : de nombreuses personnalités mexicaines y participent : J. Nuñez y Dominguez, président de l’association pro-francia ; Félix F. Palavicini, ancien ambassadeur ; Isidro Fabela, diplomate et gouverneur d’Etat ; le professeur Raul Cordero, et le député C. Garizurieta... Ces personnalités politiques font l’apologie du mouvement fondé le 18 juin 1940 ; certaines d’entre elles demandent en termes très vifs la rupture du Mexique avec le « gouvernement fantoche de Vichy » : « ces relations sont désormais inutiles pour sauver la vie des malheureux vivant dans l’enfer d’un pays occupé », déclare ainsi Isidro Fabela. « Vichy n’est pas la France, poursuit-il, c’est un groupement formé dans les premiers jours par des dupes et des traîtres et qui, aujourd’hui, comprend uniquement des traîtres dirigés par un vieillard rendu impuissant (...). Le Mexique est avec la France libre, mais jamais avec le régime honteux de Vichy aux ordres de Hitler. Eh bien ! (...) pourquoi gardons-nous des relations diplomatiques avec le gouvernement de Vichy qui ne représente pas le peuple français ni la force constitutionnelle ? » Le Mexique, explique-t-il, a conservé des relations avec Vichy pour deux raisons : d’une part « parce que les parlementaires français, croyant sauver leur patrie, légalisèrent le gouvernement du maréchal Pétain » ; et d’autre part « parce que les relations avec Vichy permirent au gouvernement mexicain de sauver des milliers de Français, d’Espagnols ». Si ces relations « sont désormais inutiles pour sauver la vie de malheureux vivant dans l’enfer d’un pays occupé, si notre gouvernement arrive à se convaincre que les relations que nous maintenons peuvent être qualifiées d’illégitimes, puisque le gouvernement de Vichy manque d’une base légale, si le gouvernement mexicain arrive à la conviction que nous donnons ainsi une force accrue à nos propres ennemis, puisse alors en réaction notre ministère des Affaires étrangères renier pour toujours Laval qui représente uniquement l’opprobe de la victime opprimée et accorder la reconnaissance diplomatique au Comité national de la France combattante qui représente effectivement le peuple français et la France immortelle »33 !
56Ce discours est fondamental
parce qu’il est prononcé par les ondes d’un poste de radio gouvernemental (Radio-Gobernación-xefo) ;
parce que c’est le premier haut-fonctionnaire mexicain à faire officiellement une telle proposition...
57Le secrétariat de Gobernación du futur président Miguel Alemán a inévitablement donné son aval tacite à la diffusion de telles déclarations. Ceci autorise à penser que la reconnaissance de la France libre est à l’étude en octobre 1942. De fait, le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères déclare quelques jours après que « le problème de la reconnaissance du Comité national français reste à l’étude et que cette question sera soumise “à un nouvel examen” » 34. L’importance des propos tenus par le Lic. Isidro Fabela est comprise par le cnf, qui diffuse le texte vers ses principales délégations dans le monde et félicite chaleureusement l’orateur35.
58Mais, conformément aux instructions du cnf, la propagande de la France libre devenue France combattante observe certaines réserves politiques. Ainsi, lorsque Gilbert Médioni propose au cnp d’envoyer un télégramme de sympathie aux organisateurs d’un meeting de soutien à l’urss rassemblant les présidents du prm, de la ctm et de la Chambre des députés, le général de Gaulle, J. Soustelle et Maurice Dejean décident conjointement de répondre que la demande est arrivée trop tard pour pouvoir la satisfaire : « tout réponse, négative ou positive, pourrait être dangereuse », écrit Dejean en marge du télégramme de Gilbert Médioni36 En effet, si le Comité national antifasciste, organisateur du rassemblement, est nettement marqué à gauche, le gouvernement mexicain tend, dans le même temps, à se dissocier sensiblement des orientations radicales de la politique cardéniste — ce qui n’exclue pas certaines démonstrations publiques assurant une apparente continuité politique. Le seul verrou bloquant la rupture avec Vichy (et la reconnaissance du cnf) qui persiste officiellement reste alors l’affaire des réfugiés espagnols :
« Nous sommes le seul pays latino-américain qui ait signé avec la France de Vichy des accords concernant des réfugiés. Nous n’avons pas de plaintes contre Vichy en ce qui concerne l’exécution de ces accords. La presse a donné de nombreuses nouvelles au sujet de l’extradition de réfugiés ; nos recherches ont montré que ce n’était pas vrai et qu’il s’agissait seulement de criminels. » Torres-Bodet tente ensuite de démentir des rumeurs persistantes : « Vichy nous a témoigné une attention spéciale en refusant de livrer Largo Caballero. Il n’est pas vrai que Vichy soit en négociations avec l’Allemagne pour livrer cinq réfugiés espagnols contre un prisonnier de guerre français. Nos relations avec Vichy sont correctes malgré le fait que nous avons seulement un chargé d’affaires, et nous n’avons pas l’intention d’y envoyer un ministre. Ce n'est pas la rupture que nous redoutons, mais si nous accordons des avantages au Comité national français ce qui serait inévitable, ce serait un état de tension dont souffriraient 80 000 à 100 000 réfugiés »37.
59Ce discours, si répété soit-il, est contredit par les archives : en octobre, le chargé d’affaires français Ghislain Clauzel, transmet les « inquiétudes du gouvernement mexicain sur le statut des travailleurs espagnols en France » et sur les difficultés faites par les autorités françaises à l’envoi de fonds mexicains aux réfugiés espagnols en Afrique du nord38. Le 20 août 1942, le Commissaire national aux Affaires étrangères rapporte les conversations suivantes : le ministre mexicain à Londres, de Rosenzweig-Diaz, a justifié le départ de son collègue de Vichy, le général Aguilar, par la remise à la Gestapo d’un républicain espagnol pourtant autorisé par Laval à émigrer au Mexique39. La presse mexicaine, aussi, pourrait être citée d’innombrables fois pour contredire les propos officiels modérateurs du sous-secrétaire d’Etat Torres-Bodet... La transition vers la rupture diplomatique est ainsi préparée ; le verrou « réfugiés espagnols », obstacle à la rupture des relations entre le Mexique et la France de Vichy, est plus que jamais prêt à céder — au premier signe du grand serrurier de la politique extra-continentale américaine.
60De son côté, le nouveau délégué, Maurice Garreau-Dombasle étant absent de México, le Comité national français décide fin octobre « d’attendre le retour de Garreau-Dombasle pour intervenir à nouveau en faveur de la reconnaissance ». Maurice Dejean, commissaire aux Affaires étrangères signale à Jacques Soustelle « qu’il a été convenu (...) avec Pleven », commissaire à l’Economie, aux Finances et aux Colonies, d’attendre ce retour40.
61A México comme à Londres, l’on sent donc que la rupture Vichy-Mexique et la reconnaissance du cnf sont imminentes ; le délégué adjoint du cnf ne semble pas avoir été averti directement des velléités dilatoires (qu’il jugerait inopportunes) de ses supérieurs londoniens : ceux-ci sont attentifs à la hiérarchie établie et à ne pas décevoir les efforts américains de Garreau-Dombasle. Les événements ne permettront pas à cette manœuvre d’aboutir.
Notes de bas de page
1 V/ 16-05-1942, no 116, Clauzel.
2 V/ 29-05-1942, no 128, Clauzel (annexe).
03-06-1942, no 135, Clauzel
El Diario de los Debates, Camara de Diputados, 28-05-1942, pp. 3-11, 8-1.
Diana de los Debates, Senadores, 27-05-1942, pp. 1-4.
Diana de los Debates, Senadores, 27-05-1942, pp. 2-5 et 18-20.
Diana oficial de la Federación, 02-06-1942, pp. 1-3.
3 V/ 29-05-1942, no 128, Clauzel.
L/ d. 264 (203), 22-06-1942, no 71, Médioni.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 L/ d. 264 (181) 03-06-1942, Soustelle à Maximino Avila Camacho.
7 L/ d. 264 (178) 10-05-1942, cnf (Londres) à Médioni (México).
8 V/ 02-06-1942, no 62, Clauzel.
L/ d. 264 194) (06-06-1942, Médioni à cnae.
9 L/ d. 264 (108) 19-02-1942, note pour le général de Gaulle.
10 V/ 04-06-1942, no 69, Rochat (Vichy) à Clauzel (México).
11 V/ 20-04-1942, no 41, Clauzel.
12 L/ d. 1304 (5) 15-06-1942 no 102, Grousset à Médioni.
(7) 23-07-1942, cnae (Londres) à Médioni.
(8) 20-08-1942, cnae (Londres) à Médioni.
13 L/ d. 1304 (8) 20-08-1942, cnae, (Londres) à Médioni.
14 L/ d. 1304 (6) 03-07-1942.
d. 266 (215) 21-07-1942.
(222) 29-07-1942.
d. 1304 (8) 20-08-1942, cnai ; à Garreau-Dombasle (México).
(9) 20-08-1942, Garreau-Dombasle (México) à cnae.
V/ 29-06-1942, no 90.
07-07-1942, no 100, Clauzel à mae.
24-07-1942, no 2830, Henry-Haye (Washington) à Vichy.
15 V/ 25-06-1942, no 80, Clauzel.
16 V/ 20-07-1942, no 1228, Gentil (Lisbonne) à Vichy.
27-07-1942, no 2851, Henry-Haye (Washington) à Vichy.
17 L/ d. 264 (222) 29-07-1942, Garreau-Dombasle à Vichy.
(280) 11-01-1943, Soustelle (Londres) à Offroy (Londres).
18 Presse mexicaine du 23-05-1942 ; El Popular du 24-05-1942.
L/ d. 264 (209) 06-07-1942, Médioni à cnae.
(223) 19-08-1942, Garreau-Dombasle.
(224) 21-08-1942, Garreau-Dombasle.
(225) 29-08-1942, Garreau-Dombasle.
d. 266 (197) 15-07-1942, Garreau-Dombasle.
19 V/ 24-08-1942, no 183, Clauzel.
L/ d. 264 (226) 17-08-1942, Garreau-Dombasle à cnae.
20 L/ d. 264 (232) 14-09-1942, Garreau-Dombasle à cnae.
21 V/ 16-07-1941, Arvengas no 97.
22 V/ 15-08-1942, Clauzel no 170.
23 V/ 22-07-1942, Clauzel no 110, mais la part des Syro-Libanais n’est pas versée.
24 L/ d. 266 (208/209) 01-08-1942, Garreau-Dombasle à cnae.
25 L/ d. 266 (208/210) 01-08-1942, Garreau-Dombasle, à cnae.
26 L/ d. 264 (187) 02-06-1942, Médioni à cnae.
27 L/ d. 264 (169) 20-05-1942, Médioni à cnae.
28 L/ d. 264 (234) 23-09-1942, P. Teysseyre.
29 L/ d. 1304 (9) 21-08-1942, Garreau-Dombasle à cnae.
30 L/ d. 264 (230) 14-09-1942, Garreau-Dombasle à cnae.
31 L/ d. 264 (220) 16-10-1942, Commissariat national à l’Information à México.
32 L/ d. 264 238) (19-10-1942, Médioni à cnae.
(242) 21-10-1942, cni à France libre Washington.
33 L/ d. 264 (242) 21-10-1942, cni à France libre Washington.
34 L/ d. 1304 (10/11) 26-10-1942, Médioni à cnae.
35 L/ d. 264 (245) 22-10-1942, cni, à Isidro Fabela (México).
36 L/ d. 264 (246) 25-10-1942, Médioni à cnf.
37 L/ d. 1304 (10) 26-10-1942, Médioni à cnf.
38 L/ d. 264 (248) 16-10-1942, Médioni à cnf.
39 L/ d. 1304 (8) 20-08-1942, cnae (Londres) à Garreau-Dombasle (México).
40 Annotation manuscrite de Maurice Dejean sur la copie d’un télégramme ; L/ d. 264 (242) 21-10-1942, cnae (Londres) à France libre Washington.
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