Introduction
p. 17-20
Texte intégral
1La direction de deux éminents mexicanistes, MM. les professeurs François Chevalier et François-Xavier Guerra et l’écoute attentive d’un séminaire de Monsieur le Professeur Jean-Baptiste Duroselle ont préludé à ce travail : l’étude des relations d’un pays de ce secteur « animé » de la vie internationale qu’est l’Atlantique Nord, la France, et d’un pays d’un secteur « faible », le Mexique ; Mexique, où la colonie française est la plus nombreuse d’Amérique latine, la plus cohérente aussi, et où l’influence française fut au XIXe siècle prépondérante, génératrice de la francophilie durable d’une majorité des élites1.
2Nous avons d’abord dépouillé exhaustivement la correspondance politique et commerciale du ministère des Affaires étrangères français concernant le Mexique ; depuis la révolution mexicaine de 1910, jusqu’aux limites légales de consultation du moment. Etait alors prévu d’étudier dans le long terme l’évolution, la réalité et les modalités d’une « décadence » apparente des relations d’une grande puissance et d’un pays neuf du sous-continent latino-américain. Toute tentative de compréhension ou d’interprétation du phénomène semblait alors vaine, qui aurait examiné isolément les relations politiques, économiques ou culturelles : le courant de francophilie et la présence de l’importante colonie française tissaient au Mexique des liens indissolubles entre les trois facettes d’un ensemble dense2.
3Au terme de ce travail de documentation, est apparu qu’une crise structurelle violente affectait ces relations, entre 1939 et 1942 ; celle-ci constituait un observatoire privilégié tant des supports culturels et politiques que des mécanismes des relations France-Amérique latine depuis Porfirio Díaz ; et les relations franco-mexicaines restaient aujourd’hui nourries des braises de ces quatre années de crise : la Seconde Guerre mondiale constituait le paroxysme des relations franco-mexicaines ; France-Amérique latine, ou Europe-Amérique latine dans un certain sens aussi.
4Nous ouvrirons donc ce volume en 1939... lorsque la France tente de rénover, timidement, ses relations avec le Mexique, ses élites et l’opinion publique constituée, notamment par l’adjonction à sa légation à México d’un jeune américaniste chargé de l’information et de la propagande, Monsieur Jacques Soustelle ; lorsque le Mexique intervient directement en Europe, autrement qu’à la peu efficiente Société des Nations ou même qu’en envoyant quelque armement au gouvernement républicain espagnol ; lorsqu’il propose son aide à la France pour résorber l’afflux des réfugiés espagnols sur son territoire. A partir de 1939 donc, le déséquilibre des relations franco-mexicaines s’atténue au bénéfice du Mexique, sauf dans le domaine commercial. Mais cette dissymétrie s’affaiblit-elle par le déclin de la France, par l’émergence du Mexique ou par les deux mécanismes conjugués ?
5Quoiqu’il en soit, la crise ouverte dans ces relations par la guerre en Europe inverse, semble-t-il dès l’été 1940, les termes de cet échange, avec la défaite des armées françaises et la presque immédiate bicéphalie de la représentation française au Mexique : Vichy/France libre, sorte de « minorité » d’un autre siècle ? Cette crise bouscule les conceptions françaises des relations avec le Mexique ; elle met à nu les structures profondes des relations entre les deux pays. Simultanément, sont posés les jalons d’une transformation polysémique de la politique française au Mexique et, plus globalement, de la situation internationale du Mexique ; dans cette transformation, l’éclatement des cadres traditionnels de la diplomatie française joue un rôle qu’il faudra attentivement déterminer. Le fond de l’« Abîme » est alors atteint.
6En novembre 1942, le Mexique rompt avec le gouvernement de Vichy et reconnaît presque aussitôt le Comité national français. La crise s’achève-t-elle là ? Après le paroxysme, la lente normalisation ultérieure des relations franco-mexicaines marque le terme de la phase expérimentale de la mutation en cours et, avec lui, le terme de cette étude. La France, celle qui possède encore une politique étrangère, la France libre, poursuit ensuite la construction de ses relations extérieures, tandis que le Mexique pense, surtout, à accroître et à ménager les acquis de cette période de crise, à préparer l’après-guerre.
7Pour élaborer le présent ouvrage, nous avons assemblé comme matériaux de base :
- les archives abondantes mais lacunaires et non classées pour la plupart (au moment du dépouillement) du ministère français des Affaires étrangères, très heureusement dédoublées (« Vichy »/« France libre ») et donc se recoupant fréquemment de 1940 à 1942 ;
- puis leurs trop rares homologues mexicaines accessibles au public de l’Archivo General de la Nación, à México, et du Secretaria de Relaciones Exteriores à Tlatelolco ;
- les archives du State Department à Washington n’ont été, faute de temps, qu’exceptionnellement mises à contribution, de même que les archives publiées de la Wilhelmstrasse : mais ces dernières, moins encore que les cinq volumes de documents de la Délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice, ne contiennent que peu de documents sur le Mexique et, a fortiori, sur les relations franco-mexicaines ;
- dans certains cas précis, les Archives nationales et départementales ont été également sollicitées ainsi que les recueils d’archives britanniques.
8Ce bref survol des sources utilisées ne saurait toutefois être conclu sans mentionner d’une part, les presses française, espagnole, nord-américaine et, au premier rang, mexicaine, fertiles en documents indispensables à la compréhension — globale comme de détail — des relations politiques et culturelles franco-mexicaines ; d’autre part, les nombreux entretiens que des acteurs majeurs ou témoins, notamment français, mais aussi espagnols ou mexicains, ont bien voulu nous accorder ; certains nous ont en outre communiqué des documents essentiels. Ce passé revécu, restructuré, a largement contribué à la critique des autres sources, à leur mise en cohérence, quand ce n’est à la reconstitution d’événements complexes ou à la restitution de documents aujourd’hui disparus.
9Nous dresserons d’abord un bilan thématique des relations franco-mexicaines au moment où la France entre dans le conflit, se préoccupe efficacement de remédier à leur dégradation et analyse les conditions et les moyens d’une nouvelle impulsion de son rayonnement culturel — bilan avant la bourrasque de juin 1940.
10Puis nous examinerons, dans le champ des propagandes des puissances étrangères, de leurs objectifs et de leurs méthodes, l’évolution et les moyens des politiques étrangères françaises et mexicaines, leurs interactions et la germination d’éléments tiers ; cela, de l’armistice à l’autoritaire mise à la retraite anticipée du représentant français à México, en janvier 1941.
11Nous analyserons ensuite la politique suivie par le nouveau gouvernement mexicain de Manuel Avila Camacho à l’égard d’une diplomatie française de plus en plus explicitement bicéphale (Vichy/Londres), de février à décembre 1941.
12Enfin, seront étudiés, de décembre 1941 à novembre 1942, d’une part les prodromes de la rupture entre le gouvernement français de Vichy et le gouvernement mexicain, d’autre part la rupture elle-même ; intrinsèquement liée à celle-ci, sera parallèlement envisagée la reconnaissance officielle du Comité national français de Londres par le gouvernement Avila Camacho.
13Nous sortirons alors nettement de ce préalable indispensable que constitue, faute d’étude préexistante pour le domaine étudié, une histoire jusque-là souvent dominée par les acteurs et le récit événementiel. Nous dresserons un bilan global, à travers l’étude d’un thème culturel vivace et de ses récurrences : la latinité, thème fondateur de la propagande française. Nous évaluerons ainsi la profondeur d’une mutation : engagée dès 1940 à la faveur des événements, cette mutation se développe à partir d’un constat du déclin et de la perte croissante d’autonomie du rayonnement culturel français.
14Ainsi, pourrons-nous préciser quelle(s) perception(s) de la France a-t-on au Mexique, porte d’entrée et relai idéal (idéalisé ?) de la France en Amérique latine. Dans quelle mesure conçoit-on une continuité entre la France du XIXe siècle et celle de la fin des années 1930, cette France de la IIIe République, issue de la Révolution, modèle absolu des positivistes mexicains, qui est déjà en échec, à la veille du conflit mondial, avant même la défaite de juin 1940 et le reniement de son passé par l’Etat français ?... Comment donc comprend-on et apprécie-t-on le parlementarisme enchevêtré qui échoue à Bordeaux, ou, depuis la non-intervention en Espagne, la politique des concessions aux gouvernements autoritaires d’Europe ? Quel est enfin le rôle de la crainte du puissant voisin du Nord, les Etats-Unis, dans le maintien de « liens étroits, affectifs (...) avec l’Europe latine » ?
15A toutes ces questions, un dénominateur commun, au centre de notre étude : l’image de la France au Mexique et du Mexique en France et chez les Français du Mexique. Quel est alors le rôle, sur cette image,
- de l’infléchissement « révolutionnaire » de la politique mexicaine à l’épreuve de la guerre,
- des continuités et discontinuités politiques et représentatives de la France au Mexique,
- de l’apparent transfert progressif, à México, de la légitimité française, du gouvernement de 1939 à celui de Vichy et de celui-ci à la représentation de la France Libre,
- des propagandes étrangères,
- du soubassement initial de francophilie, notamment dans un pays appartenant à la zone d’application de la doctrine continentale de Monroe ?
16Autant de questions auxquelles, à travers l’histoire d’échanges politiques inégaux un moment révolus et celle de l’émergence de l’idée, pionnière en 1940 à ce niveau du pouvoir, du « dialogue entre les cultures », il nous faudra donner des éléments de réponse. Toutefois, l’absence d’étude voisine jointe aux contradictions intrinsèques de certaines sources et des quelques commentaires écrits postérieurs ont rendu incontournable l’aspect parfois pointilliste d’une partie de ce qui suit. L’ouvrage se voudrait un premier pas surtout chronologique pour d’ultérieures recherches thématiques, notamment culturelles, dans l’aire des relations Europe-Amérique latine depuis 1918. Conscient cependant de certaines insuffisances de son travail et du caractère partiel de sa problématique d’histoire politique et culturelle, l’auteur centre depuis ses travaux sur les propagandes, à l’échelle cette fois du sous-continent latino-américain, élargissant l’éventail international de ses sources et considérant avec plus d’attention le protagoniste local : les Etats-Unis. Il souhaiterait néanmoins que la présente étude constitue un modeste complément à l’histoire des relations extérieures de la France de Vichy et de la France libre : aux origines d’un nouveau dialogue France-Amérique latine, les relations d’une puissance en péril et d’un ex-pays révolutionnaire, le Mexique et la France en crise.
Notes de bas de page
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