Chanter le retour du collectif : les spectacles de théâtre communautaire
p. 63-100
Texte intégral
1Le xxe siècle argentin a été parsemé de bouleversements politiques et sociaux majeurs. À partir de 1930, les gouvernements démocratiquement élus ont été régulièrement renversés par les militaires et remplacés par des régimes autoritaires et des dictatures. La dernière a atteint un tel degré d’horreur et de violence qu’elle a laissé un traumatisme et des blessures profondes dans la société argentine. La démocratie s’est installée et consolidée dans le pays à partir des années 1980, mais ses fondements se sont rapidement érodés avec la succession des crises économiques et la dégradation des conditions de vie d’une grande partie des Argentins. Bien que politiquement instable, l’Argentine avait été un pays prospère durant une grande partie du xxe siècle. Le rêve d’un avenir meilleur des immigrants fuyant la misère et les guerres européennes au tournant du xxe siècle s’était matérialisé dans la formation d’une ample classe moyenne. À partir des années 1970, ce projet de nation se disloque progressivement. En l’espace de quelques décennies, l’Argentine change de visage. Le réveil de 2001 s’avère amer pour de nombreux Argentins. Ce pays, qui « avait tout pour réussir », a fait littéralement naufrage [Adamovsky, 2009, p. 10].
2Par l’intermédiaire du langage théâtral, les voisins-acteurs essaient de mettre en mots leur histoire douloureuse, de comprendre cet « échec » de leur pays et d’imaginer un dépassement de ce processus de délitement social. Les théâtres de voisins entendent ainsi retrouver et préserver (rescatar) l’identité et la mémoire. Les enjeux mémoriels sont forts dans un pays où un certain nombre de faits et de crimes ont été occultés par l’histoire officielle (tels l’extermination des peuples autochtones ou divers épisodes de répression) et où la réalité des centres de détention et de torture ainsi que l’existence des 30 000 « disparus » ont longtemps été niées par les responsables militaires. L’appel à l’identité et à la mémoire des théâtres communautaires fait ainsi écho aux revendications des organisations des droits de l’homme, telles celles des « Mères de la place de Mai1 ». Cette revendication identitaire répond aussi, nous l’avons vu, au besoin des classes moyennes argentines de retrouver une forme de dignité face à la remise en cause de leur statut et de leur place dans la société.
3En puisant dans la « mémoire collective » (les mémoires locales, familiales, oubliées ou réduites au silence), les voisins-acteurs tentent donc de recoudre les événements du passé au sein d’un récit collectif ouvert vers le futur et ayant le « peuple » comme protagoniste. Les spectacles remplissent ainsi une double fonction. Le travail identitaire et mémoriel réalisé à l’occasion de la préparation des spectacles permet aux voisins-acteurs de réinscrire leurs trajectoires individuelles au sein d’un récit collectif qui leur ouvre un nouvel horizon de sens et d’espoir. La scène théâtrale permet ensuite de dénoncer des situations d’injustice et d’interpeller l’espace public. Les spectacles servent ainsi de répertoire d’action pour les voisins-acteurs ou encore de « dispositifs de sensibilisation », au sens où ils contribuent d’une part, à rendre « perceptible, visible, digne de préoccupations morales ou politiques un problème qui ne l’était préalablement pas » et d’autre part, à « rendre sensibles les individus interpellés afin qu’ils deviennent attentifs, réceptifs, portés à s’émouvoir et prompts à réagir » [Traïni, 2009, p. 20].
À la recherche de l’identité et de la mémoire
Des créations collectives mémorielles
4Les œuvres sont des créations collectives. Elles reposent sur la mise en commun des mémoires et des préoccupations des voisins-acteurs et de leurs proches2. Les troupes s’accordent d’abord sur les thématiques qu’elles souhaitent traiter dans leurs spectacles. Des nœuds de cristallisation en rapport avec l’histoire et la situation sociale de la localité et du pays émergent de ces premières rondes collectives. Sur cette base, les troupes procèdent à un travail d’investigation : les voisins-acteurs partagent des souvenirs et des anecdotes, ils interrogent leurs proches et les habitants et rassemblent divers matériaux (journaux, photos, vêtements, ouvrages d’histoire, etc.). Maurice Halbwachs souligne que le souvenir individuel est toujours pris dans un tissu social et rappelé grâce à des « cadres sociaux » qui lui donnent une place et un sens, notamment grâce au langage qui permet de conceptualiser et de communiquer l’expérience [Halbwachs, 1925]. Les matériaux réunis servent ensuite de support à des exercices d’improvisation. Les directeurs et l’équipe dramaturgique se chargent du suivi du processus et de l’élaboration de la mise en scène. Un soin particulier est accordé à la préparation des chansons collectives et à l’entraînement vocal.
5Les premiers spectacles sont souvent produits dans les mois suivant la création des groupes, répondant à un vif besoin d’expression des voisins-acteurs. Leur caractère amateur est visible à la simplicité de leur mise en scène. Avec les années, les troupes améliorent la qualité artistique de leurs spectacles. La création des spectacles suivants prend souvent plus de temps. Après avoir raconté dans leur premier spectacle l’histoire de leur localité, les troupes doivent en effet renouveler leurs sources d’inspiration.
Une esthétique populaire
6Le théâtre communautaire puise ses influences dans différentes manifestations de théâtre populaire. Il revendique l’héritage du théâtre antique, du carnaval médiéval, du Siècle d’or espagnol et du théâtre élisabéthain, dans la mesure où il vise à réhabiliter un théâtre de la place publique et de la célébration, qui se logerait au cœur de la vie de la cité, en opposition au théâtre bourgeois qui s’est affirmé par la suite. Il s’inscrit aussi dans la filiation des expressions artistiques populaires nées du brassage culturel de la fin du xixe siècle en Argentine. Il peut notamment être perçu comme une réactualisation du genre du sainete3, qui avait rencontré un grand succès auprès des couches populaires de l’époque [Bidegain, 2007].
7Les pièces sont conçues de manière à être accessibles au plus grand nombre. Leur langage est simple. Il n’y a pas de quatrième mur, les voisins-acteurs s’adressent directement au public. Le déroulement de l’intrigue et le message délivré sont rendus explicites grâce à divers procédés inspirés du théâtre épique de Brecht : l’usage de panneaux et de banderoles, la présence de chœurs comme dans le théâtre grec antique, et surtout l’irruption fréquente de chants collectifs qui recèlent un contenu didactique. Ces procédés permettent d’exercer un effet de distanciation. Le recours au grotesque et à l’exagération est fréquent, ce qui est lié au fait que les pièces sont souvent jouées en extérieur. Les acteurs sont très maquillés et portent des costumes permettant d’identifier facilement leur rôle. Les éléments de la scénographie sont de grande taille. Des marionnettes géantes viennent parfois figurer des personnages que les voisins-acteurs souhaitent tourner en dérision (militaires, politiciens).
8L’esthétique théâtrale communautaire est entièrement tendue vers la recherche d’effets collectifs puisque l’objectif est de mettre en scène la communauté, le peuple. Les pièces s’inscrivent dans les registres comique et épique, parfois tragique. Les chansons et les mouvements collectifs occupent une place prédominante par rapport aux dialogues. Il n’existe pas de personnage principal. Les rôles sont presque tous collectifs, ce sont les « personnages-bloc » (le groupe des immigrés italiens, des ouvriers, des militaires) : ils sont plastiques, on peut leur ajouter ou leur retirer un personnage individuel en fonction des disponibilités des voisins-acteurs. Les rôles sont donc conçus de manière à laisser une marge d’adaptation aux voisins-acteurs qui ont le loisir d’inventer leur propre personnage au sein du cadre donné par le rôle collectif. En conséquence, le texte des pièces est secondaire, les groupes ne couchant souvent par écrit que leurs chansons qui recèlent la trame des œuvres.
9Prenons l’exemple du spectacle El casamiento de Anita y Mirko qui met en scène les familles italienne d’Anita et russe de Mirko. Les voisins-acteurs arrivés depuis peu dans la troupe peuvent s’intégrer rapidement à une des deux familles. Au sein du style de jeu italien, le voisin-acteur peut s’inventer un personnage d’oncle grognon, de grand-mère étourdie ou de nièce hystérique. Le canevas de la pièce ordonne le déroulement du spectacle. Il laisse une grande place à l’improvisation des voisins-acteurs, dont le jeu est guidé par les mouvements collectifs. Ces modifications permanentes des acteurs et des personnages font qu’aucune représentation n’est semblable à une autre.
Typologie des spectacles
10Il est possible de distinguer quatre grandes catégories dans la production théâtrale communautaire selon la manière dont les œuvres mobilisent la référence à l’histoire, au territoire, et à la communauté. Nous les avons appelées les œuvres métonymiques, les œuvres territorialisantes, les œuvres thématiques et les œuvres festives. Loin de s’exclure, ces catégories peuvent se recouper.
11Les œuvres métonymiques fonctionnent sur le principe de la métonymie ou de la synecdoque : la narration de l’histoire se cristallise autour d’événements précis (l’immigration, les luttes ouvrières, l’avènement du péronisme) et de lieux concrets (le conventillo4, le club de quartier5, l’usine) devenus des symboles de l’imaginaire national. Les œuvres phares de cette catégorie sont Venimos de muy lejos et El fulgor argentino de Catalinas Sur. Créée à la fin des années 1980, Venimos est un hommage aux immigrants européens arrivés en Argentine au tournant du xxe siècle avec le rêve d’un avenir meilleur. L’histoire nationale est narrée depuis la situation d’un groupe d’immigrants vivant dans un de ces conventillos si typiques du quartier de la Boca. El fulgor retrace cent années d’histoire argentine à partir de leurs répercussions sur la vie d’un club de quartier de la Boca. Les événements nationaux entrent dans le club par le biais d’une radio posée sur le comptoir du café. S’ouvrant avec le coup d’État qui déloge en 1930 le président Hipólito Yrigoyen qui avait été démocratiquement élu, El fulgor met en scène les divisions et la forte conflictualité qui ont marqué la société argentine au cours du xxe siècle. Ces divisions se reflètent dans des luttes de pouvoir à l’intérieur du club. Depuis les loges, les notabilités du quartier regardent avec mépris le peuple s’agiter en bas de la salle. Elles lui refusent l’accès aux postes de direction du club. À l’arrivée du péronisme, elles sont contraintes de céder leur place. Ces tensions sociales se traduisent dans une histoire d’amour entre la jeune fille d’une famille aristocrate antipéroniste et un jeune péroniste qui devient résistant à la suite de la Révolution libératrice de 19556.
12Venimos et El fulgor ont inspiré de nombreux spectacles de théâtre communautaire. Les œuvres métonymiques suivent un parcours chronologique scandé par les grands événements de la nation ou bien elles se concentrent sur des épisodes significatifs de l’histoire argentine. Ces œuvres mettent en question l’identité nationale (el ser nacional, la argentinidad) en interrogeant le projet de nation sur lequel le pays s’est construit à partir de la fin du xixe siècle. Elles mettent en relief ce qui, dans l’histoire, a permis au peuple de nouer des liens de sociabilité et de solidarité (le club de quartier, le carnaval, les luttes sociales) et de s’intégrer au projet de nation (le travail, l’usine) et ce qui les a, au contraire, affaiblis ou brisés (les dictatures, les politiques néolibérales). Rappelons que la thématique de l’identité nationale est particulièrement sensible dans les pays issus de la colonisation. La production d’une identité nationale a constitué un enjeu majeur pour la construction des États-nations latino-américains et leur émancipation vis-à-vis de l’étranger.
13Les œuvres territorialisantes traitent des répercussions des transformations locales, nationales ou globales sur les territoires de vie d’une communauté précise. Elles cherchent à revaloriser des territoires et leurs habitants par la médiation de la narration et de la poétisation. Les thématiques mises en scène sont associées aux causes et aux conséquences de l’apparition d’une territorialité négative : l’exclusion, le chômage, le sentiment d’insécurité chez les groupes urbains ; les problèmes liés à l’exode rural, à l’isolement, au manque d’infrastructures chez les groupes ruraux. La médiation théâtrale engendre ainsi une reterritorialisation positive. Elle recrée un « lieu anthropologique » au sens de « construction concrète et symbolique de l’espace […] simultanément principe de sens pour ceux qui l’habitent et principe d’intelligibilité pour celui qui l’observe » [Augé, 1992, p. 68 ; Bogado, 2011]. Ce lieu anthropologique s’incarne dans des dispositifs spatiaux et une pratique de l’espace signifiante pour les individus le parcourant. Nuestros recuerdos (Nos souvenirs) de Patricios Unidos de Pie, est le spectacle le plus emblématique de cette catégorie.
14Nuestros recuerdos raconte l’histoire de Patricios. Les voisins-acteurs jouent dans ce spectacle en tant que témoins et protagonistes des faits mis en scène. L’œuvre permet de mettre en mots cette expérience collective traumatique sur le mode du témoignage poétique. Elle constitue un acte de résistance de la communauté villageoise contre l’invisibilité et l’oubli. Cette initiative a conduit le groupe à récupérer la gare abandonnée et à la rénover. Par l’intervention théâtrale, ce lieu a ainsi retrouvé une place au sein du dispositif spatial et symbolique du village. Nuestros recuerdos a été représentée pour la première fois, puis à de multiples reprises, sur le quai de la gare. Inédite, cette œuvre a rencontré un grand succès dans les villages des alentours et attiré l’attention des médias : en relatant l’histoire de Patricios, elle contait aussi l’histoire silencieuse de milliers de villages frappés par la tragédie du train. En évoquant la problématique des transports, l’œuvre met en cause la légitimité d’un modèle de nation qui oublie une de ses parties en la privant de voie de communication. Grâce à cette prise de parole collective, le village de Patricios est parvenu à refaire surface sur la carte de la nation.
El tren se va,
chanson extraite du spectacle
Nuestros recuerdos de Patricios Unidos de Pie
Il s’en va, s’en va le train,
Nous ne voulons pas le perdre,
Il quitte le quai,
Nous ne le verrons plus revenir.
Il emporte avec lui,
Un morceau de notre vie,
Sans crier gare,
Ils nous ont fermé la porte.
Patricios et ses gens,
Nous ne restons pas immobiles,
De manière irrévérencieuse,
Nous avons un secret.
Le train est de retour,
Dans nos cœurs,
Préparons dès maintenant la fête,
Avec rideaux et lumières7.
15De manière similaire, de nombreux spectacles de théâtre communautaire s’attachent à recréer la mémoire d’une usine qui innervait l’économie locale et était au centre de la production d’une identité ouvrière. Dans d’autres cas, les œuvres territorialisantes visent à réanimer des lieux tombés en désuétude, des « non-lieux », au sens où ils ont perdu leur caractère identitaire, relationnel et historique [Augé, 1992, p. 69]. Des théâtres de voisins s’installent dans ces lieux en filigrane et en font une source d’inspiration poétique. Construits autour de l’expérience sensorielle, ces spectacles sont souvent ambulants, de manière à inviter les spectateurs à regarder différemment l’espace qui les entoure.
16Les œuvres thématiques mettent en scène une communauté sans frontières, définie par sa situation de subordination. C’est la communauté des opprimés, qui acquiert consistance dans la résistance et la lutte. La caravana de Matemurga s’attache ainsi à recréer une mémoire de la résistance des peuples à partir de chansons collectives puisées dans différents moments clés de l’histoire de l’Argentine, de l’Amérique latine et de l’Europe. Matemurga la décrit comme un chant collectif qui mêle les voix sans âge de tous les résistants luttant pour un avenir meilleur, d’où son titre « La Caravane ». Lors de la préparation de ce spectacle, Matemurga présentait la spécificité de ne pas encore avoir de lieu d’ancrage, répétant dans plusieurs quartiers de la ville de Buenos Aires. L’œuvre reflète aussi cette forme de nomadisme qui caractérisait le groupe à cette étape de sa formation. Après le thème de la résistance, le deuxième spectacle du groupe, Zumba la risa, traite de la thématique du rire, en tentant d’en restituer ses potentialités subversives. Là aussi, les voisins-acteurs plongent dans la mémoire collective pour ressusciter le rire populaire transgressif de l’époque médiévale que présente Mikhaïl Bakhtine dans son ouvrage L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et à la Renaissance [Bakhtine, 1970]8. Le groupe s’est entre-temps implanté dans le quartier de Villa Crespo. Dans cette œuvre, apparaissent des éléments esthétiques propres au quartier, mais le spectacle propose avant tout un discours métaphorique touchant directement à la question du pouvoir et à la force de contestation des cultures populaires :
« Le Rire. Nous disposons d’un seul mot pour désigner deux attitudes opposées : une qui célèbre l’ordre existant et défend la quiétude, celle qui festoie et confirme que le monde est bien ainsi tel qu’il est et l’approuve. L’autre, le rire furieux, furibond, déchaîné, effronté, celui qui sait que tout, absolument tout, un jour mourra, que le monde est en mouvement, et qu’enfin, aucun pouvoir ne sera éternel, aucun pouvoir ne sera immortel9. »
17Prenant le prétexte de la commémoration d’un événement réel ou imaginaire (anniversaire d’une institution, kermesse, fête de carnaval, etc.), les œuvres festives font participer le public et le rendent coproducteur du spectacle. Brouillant la frontière entre le théâtral et le parathéâtral, ils sont conçus comme des traits d’union devant permettre la réalisation en actes de l’idée de communauté, dans le hic et nunc de l’élan festif qui suspend momentanément les identités et les divisions sociales. El casamiento de Anita y Mirko du Circuito serait l’œuvre emblématique de cette catégorie. À l’affiche depuis 2001, la fête de mariage d’Anita et Mirko convie les spectateurs à boire, manger, danser, chanter, se marier et rire à profusion avec les voisins-acteurs de Barracas. La troupe a créé ce spectacle en 2001, comme un acte de résistance joyeuse face au contexte morose de l’époque.
Dénaturaliser l’ordre social et proposer une nouvelle utopie collective
18Les théâtres communautaires se servent également de la scène théâtrale comme d’une scène sociale d’où ils proposent une lecture critique des transformations de la société argentine. Les cadres de compréhension partagée du monde que produisent les voisins-acteurs fonctionnent ainsi comme des « cadres d’injustice ». Mobilisée par William Gamson, la notion de « cadre d’injustice » renvoie à « une forme d’indignation morale et émotionnelle, constituant une situation donnée comme inacceptable » [Neveu, 1999, p. 35]. Ces cadres contribuent à dénaturaliser des situations d’injustice intériorisées par les individus en leur donnant une traduction collective. Comme le rappelle Luc Boltanski, la dénonciation des situations d’injustice nécessite en effet la mise en œuvre de procédures de justification à même de faire monter en généralité la cause défendue, en l’arrimant à l’idée d’un bien commun ou d’un intérêt général [Boltanski, Darre et Schiltz, 1984].
D’une classe moyenne individualiste à une classe moyenne solidaire
19Dans le cas du théâtre communautaire, cette montée en généralité passe par une réflexion critique sur l’identité de classe moyenne. Rappelons que les classes sociales et les identités qui s’y rapportent renvoient à des luttes de classement, qui sont des luttes de pouvoir au sens où elles ont la capacité de faire et de défaire les groupes sociaux, en contrôlant leurs frontières [Bourdieu, 1994]. Selon Adamovsky, un enjeu majeur pour les élites argentines depuis la fin du xixe siècle a ainsi résidé dans l’édification d’une identité de classe moyenne en mesure de diviser les couches travailleuses devenues trop revendicatives et de faire tampon politiquement. La classe moyenne argentine a ainsi été constituée en idéal citoyen, social et moral de la nation devant réaliser le rêve d’ascension sociale argentin grâce à ses études, son travail, sa moralité et son respect des institutions [Adamovsky, 2009]. L’effondrement de ce mythe du progrès qui s’est manifesté par la chute des classes moyennes est dénoncé par les voisins-acteurs. Dans leurs spectacles, ils invitent donc les spectateurs (plutôt de classe moyenne) à s’interroger sur cet échec et sur leur place dans l’histoire. Ce faisant, ils tentent de les sensibiliser aux problématiques sociales actuelles et de les mobiliser vers la construction d’un nouveau projet de nation intégrateur.
20Les spectacles mettent ainsi en scène les luttes du peuple pour une vie meilleure contre les détenteurs de l’autorité et du pouvoir (politique, militaire, économique, religieux). Les voisins-acteurs réinscrivent leur parcours dans l’histoire en faisant référence à leur passif immigrant et ouvrier. Leur regard critique se porte ensuite sur l’évolution récente de l’Argentine- pour poser la question de la responsabilité et du devenir des classes moyennes dans le contexte actuel de fragmentation sociale. Les voisins-acteurs semblent alors se positionner du côté de ce qui serait une classe moyenne critique. Celle-ci condamne, outre les classes dominantes, la classe moyenne bien-pensante et conformiste de la période postérieure à l’arrivée de Perón, avec ses accents antipopulaires et antipéronistes et son goût de l’ordre et de l’autorité. Elle vise également la classe moyenne consommatrice et individualiste des années 1990. Elle s’adresse enfin à la classe moyenne actuelle qui se replie dans des quartiers fermés et qui réclame toujours plus de sécurité. Toutefois, les spectacles ne la condamnent pas entièrement : ils la mettent en scène se laissant égarer par le rêve de modernisation et lui donnent une possibilité de rédemption.
21De cette manière, les voisins-acteurs réaffirment leur identité de classe moyenne tout en cherchant à la rectifier. Ils rejettent les formes de catégorisation externe imposées par les médias et les classes dirigeantes (la classe tampon antipopulaire et individualiste) pour proposer l’image sociale d’une classe moyenne solidaire des classes populaires10. L’enjeu consiste ainsi à faire comprendre aux spectateurs que l’intérêt des classes moyennes et l’avenir du pays se situent du côté de l’union avec les classes populaires. La scène théâtrale sert de cette façon à la prise de parole, par l’affirmation du pouvoir de s’autodéfinir socialement et politiquement. Elle sert aussi à la prise de participation à l’histoire, par l’affirmation d’un pouvoir de raconter une autre histoire donnant au peuple un rôle protagoniste, contre l’histoire des grands hommes et les récits hégémoniques produits par les couches dominantes. Le titre du spectacle des différents groupes de théâtre communautaire de Rivadavia est à cet égard révélateur : « L’histoire se tisse à partir d’en bas et se change à partir de la communauté » (La historia se entreteje desde abajo y se cambia desde la comunidad). Le théâtre communautaire a ainsi souvent été analysé comme un mouvement contre-hégémonique dans une perspective gramscienne, les voisins-acteurs livrant une lutte dans le champ culturel et symbolique contre ceux qui auraient l’intention de totaliser le réel depuis le haut [Bidegain, 2007 ; Scher, 2011 ; Sánchez, 2011 ; Falzari, 2011].
Le Carrousel en pièces ou la mise en scène de la citoyenneté
22Prenons l’exemple du spectacle Le Carrousel en pièces (Fragmento de calesita) du groupe Alma Mate. Cette pièce se sert de l’espace théâtral pour rendre sensible la problématique sociopolitique de l’intégration ou de l’exclusion du collectif national. Elle traite des transformations survenues dans les années 1990 en Argentine à partir de leurs répercussions sur le quartier de Flores dans la ville de Buenos Aires. Elle critique le projet de modernisation et les politiques néolibérales du président Carlos Menem (1989-1999). La pièce est construite autour de l’image d’un carrousel, qui prend place dans le décor naturel de la Plaza de los Periodistas où le groupe répète habituellement. L’intrigue se joue autour du droit d’occupation du carrousel.
23Les personnages incarnent diverses facettes de l’Argentine. L’Italien Don Atilio, le propriétaire du manège, semble renvoyer au projet de nation, étant le vendeur des tickets permettant de venir profiter des réjouissances du carrousel (du pays, de la société). La nona (grand-mère) incarne la partie sacrifiée et oubliée de l’Argentine : appauvrie et malade, elle vit dans le passé. Elle refuse de se séparer de sa cage à oiseau vide, car elle croit que son oiseau (Piquito) va revenir ; elle veut payer son ticket avec des australes11. Carmen, l’Espagnole, tient le dernier petit commerce du quartier. Elle symbolise l’Argentine des classes moyennes travailleuses détruite par l’ouverture à l’extérieur : elle est prise d’une crise d’hystérie lorsqu’on lui parle des supermarchés chinois où tout le quartier va faire ses courses (« Sainte Vierge ! Ne… me… parlez pas… des Chinois, l’Empire chinois, la mafia chinoise, la muraille de Chine, le quartier chinois, [devenue folle] les baguettes chinoises ! »). L’arrogante Viviana Lamas Usbinze de Madariaga représente l’aristocratie locale aux yeux tournés vers le « premier monde12 ». Elle réclame toujours plus de changement et s’enivre de modernité :
« Moi, je vis dans la rue Pedro Goyana, Peter […] du quartier de flowers, fleurs, là-bas c’est différent, on dit des choses comme hello, how are you, what your name, come on, New York, Bush, baby, drink, dancing, Fotolog, Photoshop, living free, Hollywood. »
24Le spectacle s’ouvre avec une première scène intitulée « Vers où ? ». Les personnages entrent et se dispersent sur scène (sur la place) au rythme d’un tambour. Ils courent dans diverses directions jusqu’à être désorientés. Chacun à leur tour, les personnages proposent une direction : « C’est par ici », « C’est par là », puis tombent au sol. Suit la chanson d’ouverture intitulée A contramano (« À contre-courant », « En sens interdit »)13. Cette première scène évoque le désarroi et la division d’une société à la recherche d’elle-même. Elle fait écho à la chanson finale qui propose de continuer à chercher jusqu’à « trouver une sortie ». L’intrigue commence : elle est rythmée par les tours du carrousel qui, rapidement, dégénèrent. Les tours sont de plus en plus courts, les personnages devant racheter un ticket à chaque nouveau tour, probablement en référence à la dynamique croissante d’endettement et de privatisation de l’Argentine dans les années 1990. Le premier tour permet de présenter les personnages et de faire référence à une image passée de l’Argentine, tandis que le second représente « la danse des années 1990 ». Usbinze congédie les enfants flûtiste et accordéoniste et la danseuse qu’elle juge « démodés » et exige qu’on change de musique. La musique devient saccadée, les personnages tournent de plus en plus vite, deviennent fous et sortent de la scène en titubant. Entre alors une famille d’ocupas (squatteurs) qui vient s’installer dans le carrousel et commence à étendre son linge. La mère Graciela semble excédée. Elle s’emporte contre ses enfants. Puis toute la famille se bat pour un morceau de pain. La chusma (la mauvaise langue du quartier) survient, s’indigne et s’empresse d’alerter la police (« Toutes ces choses qui se passent dans mon quartier ! Dans mon quartier ! Mais cela ne se passera pas comme ça ! […] Police, police ! »).
25S’ensuit une scène grotesque, aussi dramatique qu’hilarante : deux commissaires (Comisario Ibáñez et Principal Ordoñez) viennent violemment déloger la famille. Leur fanatisme de l’autorité et leur trivialité sont tournés en dérision14 :
« En vertu du décret 1560… devenu loi 77869324 centimètres cubes, et sous les ordonnances des encycliques papales et royales du roi Carlos Ier… Et IVe d’Écosse, nous allons procéder à l’expulsion du bien meuble, qui tourne autour de son axe uniformément invariable, qui se dénomme manège, carrousel, aide au développement social et psychosomatique de nos bien-aimés enfants et qui nourrit leurs espoirs et leur imagination. »
« Vous avez cinq minutes pour vous retirer. Vous pouvez le faire de bon gré ou… de l’autre manière ! »
26Les commissaires sont alors pris d’une attaque nerveuse qui ravive le souvenir de la dictature :
Ibáñez, le premier policier
Sang bleu de la couleur de la Patrie !
Ordoñez, le second policier
Vive la Patrie ! Mon généralissime !
27Ils fondent soudainement en larmes en se remémorant une prise d’otages « perdue 2 contre 315 ». Suit un travestissement ironique de la démocratie argentine :
Ibáñez
Dis-leur qu’ils s’en aillent, Ordoñez, qu’ils s’en aillent !
(Ils tournent sur eux-mêmes en pleurant.)
Ordoñez
Partez… Partez !
Ibáñez et Ordoñez
Qu’ils s’en aillent, qu’ils s’en aillent16 !
28Soudain tenaillés par la faim, ils hâtent l’expulsion, tentant au passage de confisquer la cage de la grand-mère « pour privation illégitime de la liberté du canari ».
29Une fois le manège « libéré » de ses occupants illégitimes, vient la chanson des « gardiens » :
Nous sommes les gardiens du destin citoyen,
Enfin, le futur restera entre nos mains,
Que se passe-t-il ?
Fermez votre maison !
Montrez les mains !
Qui êtes-vous ?
Nous contrôlerons tout ce que se passe à l’intérieur,
Que n’entre pas dans le quartier celui qui n’a pas de papiers,
Et si vous ne remplissez pas toutes les conditions,
Allez en province où vivent les pauvres, les immigrés [los negritos].
Il faut réfléchir aux limites de Flores,
Avec de nouvelles frontières s’en iront toutes les craintes.
Faites bien attention par où vous passez,
Parce que maintenant Flores n’arrive plus jusqu’à votre maison,
Nouvelles frontières dans notre quartier,
Si ça ne vous plaît pas, DÉMÉNAGEZ !
Faites attention en marchant à ne pas être dans les nuages,
Parce que maintenant Flores arrive seulement jusqu’à Rivadavia17.
30Les voisins décents se concertent. Flores arrivera jusqu’à la maison d’Usbinze. En revanche, Floreal, qui vit dans le quartier Bajo Flores, restera en dehors, les autres voisins proposant que « le Bajo Flores devienne le Alto Soldati » : « Alto Palermo/Alto Soldati, quelle différence peut-il y avoir ? » La scène se termine par « C’est la troisième fondation de Buenos Aires ! » et « Maintenant, le manège est de nouveau à nous ». Cette scène renvoie à l’hétérogénéité sociale du quartier de Flores, entre une partie nord résidentielle, où vivent des classes moyennes, et une partie sud qui est un quartier non officiel connu pour son bidonville, où réside une population pauvre d’origine bolivienne, péruvienne et paraguayenne. L’avenue Rivadavia sépare ces deux parties du quartier. Le Bajo Flores est un de ces lieux de relégation sociale qui nourrissent les discours sur l’insécurité de la ville de Buenos Aires. Le quartier de Soldati, situé au sud de Flores, ressemble au Bajo Flores. La rebaptisation du Bajo Flores en Alto Soldati est une manière d’homogénéiser les quartiers en regroupant et en excluant ceux qui sont les plus dérangeants loin des autres quartiers convenables, où pourront continuer à vivre paisiblement les gens décents. Le Alto Palermo désigne quant à lui un quartier branché de Palermo situé au nord de la ville. Le semblant de titre de gloire conféré par l’adjectif « haut » (alto), censé rehausser symboliquement le Bajo Flores (« le Bas-Flores »), cache bien difficilement l’expulsion de la zone hors des nouvelles frontières tracées par les habitants.
31Un nouveau groupe de personnages fait irruption sur la place : ce sont les « fantômes », ceux que les habitants ont cessé de voir, ceux qui n’ont pas de place dans la société et sont donc condamnés à errer dans l’obscurité des regards et des rues. Ils sont accompagnés des ocupas (squatteurs). Les fantômes prennent la parole pour évoquer leur quartier : « Mon quartier est un quartier de fantômes qui […] tuent pour une pièce et aiment pour la même somme » ; « Dans Flores, qui est mon quartier, il y a des fantômes qui s’entre-tuent et d’autres qui veulent voler et ils tombent, ils veulent voler et ils tombent, ils tombent. » Une enfant-fantôme tente alors de grimper sur le cheval blanc du manège, ce qui déclenche une bagarre entre les squatteurs et les fantômes d’un côté et les gardiens de l’autre. Les personnages tombent à terre. Puis les voisins-acteurs se relèvent et se rassemblent pour chanter la chanson finale :
Retraite
Tout a une fin,
Mais ceci ne se termine pas,
Il faudra chercher encore et encore,
Jusqu’à trouver la sortie.
Nous irons,
Vers un endroit,
Dans lequel nous pourrons tous rêver.
Et que de ce naufrage nous nous sauvions tous,
En cherchant à contre-courant les rues perdues,
Rideaux d’un quartier qui aujourd’hui est la scène,
Et où dansent des fantômes qui vont et qui viennent.
Oh, oh oh oh, oh oh,
Alma Mate en partant,
En laissant un chant, veut revenir,
Mille arômes d’adieux,
De Flores il t’a apporté sa voix18.
32Le carrousel représente les transformations de Flores, mais aussi ce qui se passe à l’échelle de la nation argentine. Il peut être vu comme le lieu d’où émane l’exercice d’un pouvoir, dont on voit bien en même temps qu’il est un lieu vide. Comme le rappelle ainsi Claude Lefort, en démocratie :
« Le lieu du pouvoir devient un lieu vide, […] inoccupable – tel qu’aucun individu ni aucun groupe ne peut lui être consubstantiel –, le lieu du pouvoir s’avère infigurable. Seuls sont visibles les mécanismes de son exercice, ou bien les hommes, simples mortels, qui détiennent l’autorité politique » [Lefort, 2001, p. 28].
33Ainsi, dans le spectacle Le Carrousel en pièces, seuls sont visibles les groupes sociaux qui luttent entre eux pour décider de ceux qui ont le droit d’occuper le carrousel et d’en bénéficier. C’est le lieu où se confondent le social et le politique, où se joue la mise en forme d’un ordre, d’où s’opèrent des partitions qui sont à la fois sociales, spatiales et politiques. Ces partitions, qui définissent un ordre en même temps qu’elles assignent à chacun une place en son sein, sont aussi des procédures d’identification des individus et des groupes [Rancière, 2007]. Ces jeux de partition/classification apparaissent de manière frappante lorsque les voisins redessinent les frontières de leur quartier. Cette scène fait allusion à la ségrégation sociospatiale qui reconfigure depuis plusieurs années les villes argentines et qui s’observe à la prolifération des quartiers fermés. Ces derniers incarnent le rêve mené à son paroxysme de l’homogénéité sociale et de la sécurité parfaites de l’entre-soi. Ce rêve de l’entre-soi recherche l’expulsion du social et du politique en entérinant l’illusion d’un dehors qui demeure pourtant irrémédiablement intérieur :
« C’est illusion de croire que la folie – ou la délinquance, le crime – nous parle à partir d’une extériorité absolue. Rien n’est plus intérieur à notre société, rien n’est plus intérieur aux effets de son pouvoir que le malheur d’un fou ou la violence d’un criminel. Autrement dit, on est toujours à l’intérieur. La marge est un mythe » [Foucault, 2005, p. 77].
34Le « Qu’ils s’en aillent ! » placé dans la bouche des policiers incarne ce fantasme d’expulsion de la marge. C’est pourtant cette marge (les squatteurs et les fantômes) qui s’impose sur scène et réclame le droit de monter dans le carrousel. Cette irruption de l’excès qui met l’ordre à nu en le questionnant sur son fondement, marque pour Jacques Rancière l’irruption du politique [Rancière, 2007]. Celle-ci est associée à une politique du regard : les squatteurs et les fantômes demandent à être vus, et par là, à exister. En leur octroyant une visibilité sur scène, en les (re)présentant dans l’espace public, les voisins-acteurs tentent de dénaturaliser l’ordre à partir duquel est légitimée leur expulsion vers une marge imaginaire.
35Fragmento contient une réflexion critique sur les redéfinitions de la citoyenneté qui rappelle les analyses de Maristella Svampa sur les transformations des frontières de l’appartenance au collectif social en Argentine. En reprenant les termes de Svampa, on peut dire que la pièce condamne la diffusion du modèle du citoyen-consommateur et du citoyen-propriétaire (ceux qui ont le droit de monter sur le carrousel, c’est-à-dire d’appartenir à la nation, parce qu’ils disposent d’un pouvoir d’achat ou d’un patrimoine). Elle s’interroge également sur la place de ceux qui sont devenus des non-citoyens (ceux qui n’ont pas de place et qui « dé-rangent » parce qu’ils viennent occuper le lieu des autres) [Svampa, 2005, p. 73-91]. Cette œuvre constitue une tentative de prise en compte des classes populaires, ici assimilées aux exclus du système, par les classes moyennes du théâtre communautaire. Cette tentative de prise en compte reste ambiguë, en ce que ce sont ces mêmes classes moyennes qui décident de représenter sur scène cet autre, qui reste difficilement accessible hors scène.
36L’émergence du moment du politique implique aussi de rompre la métaphore circulaire du carrousel. Cette répétition improductive du cercle qui tourne en rond sur lui-même incarne l’impossibilité de réforme d’un système ou d’un pays qui fuit en avant et la folie d’une société qui cherche à oublier et à s’aveugler en s’enivrant de vitesse. Elle est le contraire de l’événement, qui marque une rupture. Cette répétition circulaire s’oppose à la répétition mémorielle du fait théâtral communautaire, qui, en « re-présentant » des événements historiques connus, cherche à restituer le possible qu’ils contiennent [Falzari, 2011] :
« La force et la grâce de la répétition, la nouveauté qu’elle apporte, c’est le retour en possibilité de ce qui a été […]. C’est là que réside la proximité entre la répétition et la mémoire. Car la mémoire ne peut pas non plus nous rendre tel quel ce qui a été. Ce serait l’enfer. La mémoire restitue au passé sa possibilité » [Agamben, 1998, p. 70-71].
Convivialité et célébration de la communauté
37La sensibilisation des spectateurs passe enfin par la production d’un sentiment de communion autour de la célébration théâtrale. Le théâtre de voisins rejoint ainsi les tentatives de rénovation théâtrale visant à en restaurer la « nature d’assemblée ou de cérémonie de la communauté » entendue « comme manière d’occuper un lieu et un temps, comme le corps en acte opposé au simple appareil des lois, un ensemble de perceptions, de gestes et d’attitudes qui précède et préforme les lois et les institutions publiques » [Rancière, 2008, p. 12]. Les spectacles s’apparentent à des rites de refondation lorsqu’ils sont joués dans des lieux à forte résonance symbolique, tels ceux représentés sur les quais de gare ou devant les usines. En rejouant des événements historiques sur leur lieu de surgissement, le spectacle permet alors de relocaliser les voisins-spectateurs dans l’épaisseur d’un vécu collectif. La réception du public s’en trouve fortement affectée, puisque les spectateurs ont des souvenirs attachés à ces lieux, eux-mêmes ou leurs proches ayant souvent travaillé dans telle usine ou telle gare.
38Le fait que les voisins-acteurs soient nombreux sur scène renforce l’image d’une communauté soudée. Cette image est particulièrement puissante lors des chants communautaires. Au terme des spectacles, pour signifier la fin des divisions et des luttes, les voisins-acteurs abandonnent leur personnage pour se rassembler au centre de la scène et délivrer leur chant d’espoir au public. Les œuvres se terminent toujours sur un appel au changement, insistant sur la nécessité que la communauté s’unisse. Les groupes proposent ainsi aux spectateurs d’ouvrir l’espace du présent et de se projeter avec optimisme vers le futur :
À battre et à répartir de nouveau,
chanson finale de El fulgor argentino de Catalinas Sur
Ce sont nos voix qui entonnent la retraite,
Mais nos voix jamais ne se tairont,
Chantant toujours, pour notre histoire,
Pour la mémoire, la dignité.
Tant que la vie continuera à battre,
Il y aura une raison de célébrer,
La Catalina alors sera là.
À battre et à répartir de nouveau,
Et qu’ils se gardent l’as du chagrin,
Les cartes marquées par la défaite n’ont plus de place dans ce jeu,
Nous avons des rêves et des espoirs à parier.
Parce qu’aujourd’hui ils veulent nous convaincre de l’échec,
Parce qu’aujourd’hui ils veulent nous inculquer la solitude,
Notre utopie est présente,
Attirant des gens d’ici et là19.
39Les chansons finales mettent le spectacle en abyme et interpellent les voisins-spectateurs en leur posant la question de leur rôle dans la suite de l’histoire. Les voisins-acteurs tentent ainsi d’insuffler aux spectateurs la croyance en la possibilité d’un changement. Leur propre action (le fait de monter sur scène et de prendre collectivement la parole) est donnée en exemple, comme une preuve de la réalisation de l’utopie collective.
40Le chant final est souvent relayé par des pas de danse et des battements de tambour qui marquent le retour à la vie ordinaire. C’est le moment des embrassades. La représentation laisse place à la fête. Les spectacles sont souvent accompagnés d’un buffet invitant les spectateurs à demeurer sur place et à faire connaissance en se restaurant. Les spectacles sont ainsi conçus comme des moments de convivialité, rendant l’expérience esthétique individuelle indissociable d’une expérience collective. Jorge Dubatti rappelle que le terme de « convivialité », qu’il définit comme une « pratique de socialisation des corps présents », provient du latin convivium qui signifie « festin, fête, banquet » [Dubatti, 2003, p. 24]. Il reprend le terme de « convivialité » à Florence Dupont, qui a étudié les pratiques littéraires orales du monde gréco-latin. Dans le cadre de cette culture vivante, la transmission orale exigeait la convivialité, la réunion, la collectivisation. Le moment de la transmission constituait un rite de sociabilité. Ce rite impliquait une dimension de compagnonnage, il était situé dans un temps et un lieu précis, éphémère et non reproductible, il établissait une connexion sensorielle en affectant tous les sens, par le biais des boissons et des aliments partagés [Dupont, 1991]. Dubatti note que le théâtre préserve l’institution ancestrale de la convivialité propre à la culture de l’oralité, qui s’est perdue avec le temps [Dubatti, 2003].
Les spectacles au service de la reconnaissance du théâtre communautaire
41Les spectacles objectivent le travail de création des théâtres communautaires. Ils constituent une ressource valorisable dans leur lutte pour la reconnaissance. Les théâtres de voisins ambitionnent en effet de remettre en cause les hiérarchies artistiques et culturelles en montrant que la communauté (les profanes) est capable de produire de manière autonome des spectacles de qualité, répondant en outre à ses préoccupations en tant que communauté. Les modalités de promotion des spectacles, la définition des publics visés, le choix des lieux de représentation et la fixation du prix des entrées permettent donc de construire différentes stratégies de légitimation du théâtre communautaire auprès des spectateurs et des institutions. Ce faisant, les théâtres communautaires sont amenés à se positionner dans le champ théâtral aux côtés des circuits établis, tout en cherchant à infléchir ses règles de fonctionnement et ses enjeux.
Un champ théâtral historiquement structuré en trois grands circuits
42Le champ théâtral argentin est structuré en trois grands circuits depuis les années 1930. Le teatro comercial ou teatro de revistas, qu’on appellerait en France le théâtre privé, le théâtre de variétés ou le théâtre de boulevard, est un théâtre de divertissement plus soucieux du succès commercial que de la qualité artistique. Il se produit dans de grandes salles situées en centre-ville. Les entrées sont chères, mais les spectacles bénéficient d’une bonne couverture médiatique et attirent un public important. À côté du théâtre commercial, le théâtre public ou subventionné, appelé en Argentine le teatro oficial, est, comme son nom l’indique, un théâtre soutenu par les pouvoirs publics proposant des pièces du répertoire universel pour des entrées à prix modique. Ces spectacles s’adressent plutôt à un public cultivé ou étudiant. Le théâtre indépendant s’est historiquement affirmé en se distinguant de ces deux premiers circuits. Il constitue la scène la plus prolifique à l’heure actuelle. Il a toutefois considérablement évolué et s’est extrêmement diversifié depuis les années 1930. Il a perdu sa vocation populaire des origines et se concentre plutôt aujourd’hui sur l’expérimentation artistique. Il repose toujours sur le principe de l’autogestion, quoiqu’il bénéficie aussi de quelques financements publics. Il regroupe des troupes amateurs et professionnelles qui proposent des créations collectives ou des adaptations de pièces locales ou étrangères. Ces troupes se produisent souvent sur des scènes improvisées (de nombreuses salles de théâtre indépendant ont été aménagées dans des appartements ou des maisons). Certains théâtres indépendants sont devenus des institutions connues d’un public assez large. D’autres salles sont au contraire si excentrées et confidentielles qu’elles s’apparentent plutôt au théâtre underground. Le théâtre indépendant attire plutôt un public d’initiés. Il est souvent produit et fréquenté par les mêmes personnes, dont de nombreux jeunes et étudiants en art.
Un théâtre dominé ?
43Le théâtre communautaire tend à évoluer en marge de ces trois circuits. Il est très peu connu du grand public et également assez méconnu des étudiants et des praticiens du théâtre. Il est parfois simplement ignoré ou déconsidéré par les acteurs « légitimes » ou « intégrés » du champ. En effet, il peut être perçu comme marginal ou illégitime du fait de la condition profane des participants et du caractère supposément hétérodoxe, ou transgressif, de pratiques poursuivant des finalités extra-artistiques. Cette problématique de la légitimité se rapporte en sociologie de l’art et de la culture aux grandes dichotomies entre art légitime et art populaire, culture dominante et culture dominée [Péquignot, 2009]. Elle renvoie à des luttes sociales et symboliques autour de l’établissement des définitions socialement acceptées de l’objet artistique, elles-mêmes dépendantes des luttes qui s’établissent autour de la distribution des places et des rôles qui peuvent être légitimement occupés par les acteurs sociaux dans le champ artistique. La définition de l’art aura ainsi tendance à être celle des dominants, laissant à la marge ou dans l’ombre des pratiques qui pourraient prétendre au statut artistique ou à la redéfinition de l’objet artistique lui-même [Bourdieu, 1996, 1998]. S’ils veulent affirmer leur légitimité, les acteurs moins bien placés dans l’espace social ou dans le champ artistique doivent se confronter aux pratiques consacrées comme légitimes, avec des ressources souvent inégales, telle l’absence de relais dans les mondes médiatique et institutionnel.
Diffusion des groupes et publics visés
44Les voisins-acteurs assurent eux-mêmes la diffusion de leurs spectacles. Ils jouent sur le bouche-à-oreille, distribuent des brochures, collent des affiches dans leur quartier et utilisent les réseaux sociaux20. Les publics sont composés en majorité par les réseaux de connaissance des voisins-acteurs et par les habitants. Pour attirer l’attention des passants, les groupes déploient divers stratagèmes : jeux d’énigme dans la rue, déambulation dans le quartier des voisins-acteurs déguisés et accompagnés de musique. Conformément à l’idéal d’un théâtre de la communauté, le public visé par les spectacles est donc plutôt un public de proximité. Les groupes rencontrent toutefois des difficultés pour attirer les couches populaires de leur quartier. Même s’ils proposent des spectacles accessibles, ils peuvent difficilement influer sur des pratiques culturelles qui se construisent en amont. Au-delà de leur localité, les théâtres de voisins disposent de peu de couverture médiatique. Seuls Catalinas et le Circuito parviennent à s’insérer dans des circuits de diffusion plus vastes, car ils offrent une programmation hebdomadaire de leurs spectacles dans un lieu fixe. Étant moins structurés et moins stables, les autres groupes proposent des dates et des lieux de spectacle beaucoup plus aléatoires.
Entre préservation de l’accessibilité et quête de reconnaissance
45Les théâtres communautaires donnent en général leurs spectacles dans l’espace public (rues, parcs, places) et dans les locaux où ils répètent (école, centre culturel, club de foot, quai de gare, etc.). Ceux qui disposent de leur propre salle y donnent leurs spectacles. Afin d’accroître la visibilité de leurs productions artistiques et d’élargir leur public, les théâtres communautaires envisagent de partir à la conquête de nouveaux lieux de représentation. Le choix de ces endroits suscite des débats, car il met en jeu l’orientation du projet : entre se concentrer sur le territoire d’appartenance afin d’être reconnu comme un théâtre de quartier et le désir d’aller investir de nouveaux espaces. Ces derniers peuvent être des lieux légitimés ou, au contraire, plus populaires ou marginalisés (bidonvilles, prisons, centres communautaires). Les groupes sont parfois invités à donner leurs spectacles lors d’événements en rapport avec le thème de la mémoire, lors de manifestations culturelles ou de festivals. Ces représentations accroissent le prestige des groupes et contribuent à la reconnaissance du théâtre communautaire à une échelle plus large. Le choix de lieux populaires est, lui, motivé par la volonté d’apporter les spectacles à des populations dont les troupes savent qu’elles n’ont pas l’opportunité, ou ne feront pas la démarche, de venir les voir. Les groupes privilégient alors le critère de l’accessibilité ou de la démocratisation à celui de la reconnaissance.
46De même, la question de faire payer ou non l’entrée des spectacles suscite des débats. Catalinas et le Circuito font payer une entrée pour leurs spectacles hebdomadaires, tandis que la plupart des autres groupes donnent leurs représentations gratuitement en faisant passer un chapeau à la fin (a la gorra). Pour Catalinas et le Circuito qui doivent assumer les frais liés à l’utilisation de leur propre espace et rémunérer leurs coordinateurs, les ressources gagnées grâce aux spectacles sont cruciales, car elles permettent d’assurer leur autogestion. Ce choix s’inscrit également dans une perspective stratégique. En effet, ces groupes ont décidé de cibler un public de niveau socioéconomique plus élevé, en lien avec la définition du théâtre communautaire comme projet de transformation des classes moyennes :
« Que des gens qui vivent au Nord et traversent la “frontière du Nord” pour venir à Barracas, c’est beaucoup plus transformateur, parce que réellement les gens en sortent différents. Tu vois comment ils arrivent, des gens qui, de leur vie, ne mettraient pas un pied ici. Si tu voyais quand ils appellent et qu’ils demandent : “Et l’endroit est sûr ?” Et il y a ceux qui viennent. Il y a des gens qui, carrément, n’osent pas venir : “Moi, je ne vais pas à Barracas.” […] Donc, celui qui vient, qui traverse cette frontière pour venir voir le Casamiento, dont beaucoup de camarades disent : “Non, ce n’est pas du théâtre communautaire parce qu’il faut payer une entrée”, ça me paraît très bien qu’ils paient une entrée, parce qu’ils ne sont pas en train de mettre de l’argent dans un spectacle commercial, ils sont en train de mettre de l’argent dans un projet de voisins qui sert pour soutenir ce projet de voisins et ils traversent cette frontière symbolique si forte de venir dans cette zone21. »
47Les spectacles servent alors à revaloriser des quartiers marginalisés et à redessiner la carte culturelle de la ville de Buenos Aires. Pour d’autres groupes, l’entrée payante représente une barrière économique qui va à l’encontre de l’idée de spectacles accessibles à tous, idée qu’ils placent au centre de la définition d’un théâtre communautaire. Précisons que Catalinas et le Circuito ont prévu des dispositifs destinés à préserver l’accessibilité de leurs spectacles. Leur niveau de structuration leur permet de diversifier leurs stratégies et de jouer sur plusieurs registres de légitimation.
48Les spectacles de théâtre communautaire prennent la forme de récits mémoriels donnant une traduction collective aux vécus et aux préoccupations des voisins-acteurs. Ces derniers se servent de la scène théâtrale comme d’une scène sociale afin de revendiquer leur droit de participer à l’histoire et d’interpeller les spectateurs. En s’interrogeant sur leur place dans la société, les classes moyennes du théâtre communautaire sont conduites à réexaminer leurs rapports avec les classes populaires qui, d’une certaine manière, incarnent leur angoisse du déclassement. Celle-ci est conjurée sur scène par une action de dénonciation des situations de marginalité et d’exclusion. Enfin, les théâtres communautaires essaient de suspendre les divisions sociales quotidiennes et de refonder la communauté en faisant de l’événement théâtral un moment de célébration et de convivialité. Les spectacles activent ainsi trois régimes de perception et d’action : un régime identitaire et mémoriel du rapport à l’histoire et au territoire, un régime de dénaturalisation de l’ordre social et un régime utopique du rapport au futur. Les spectacles servent enfin de ressource de légitimation du théâtre communautaire, bien que sur ce point une tension apparaisse entre recherche de la reconnaissance et préservation de l’accessibilité.
49Des tensions similaires resurgissent dans le champ de l’organisation où les théâtres communautaires cherchent également à expérimenter des alternatives vis-à-vis des formes organisationnelles dominantes. Le défi de l’organisation confronte ainsi les théâtres communautaires à des interrogations et à des dilemmes portant sur l’orientation de leur projet théâtral militant.
Notes de bas de page
1 L’association Les Mères de la place de Mai (Las Madres de la Plaza de Mayo) a été créée par les mères des « disparus », c’est-à-dire des jeunes, militants ou non, torturés et assassinés durant la dernière dictature (1976-1983) et dont l’existence a longtemps été niée par les autorités militaires. L’association avait initialement pour objet de retrouver les disparus et de réclamer leur retour en vie. Chaque jeudi depuis le 30 avril 1977, les mères, coiffées d’un foulard blanc, effectuent ainsi des rondes autour de la place de Mai, située devant le palais présidentiel, brandissant les photos de leurs enfants disparus et scandant leurs noms. Elles demandent aujourd’hui que la lumière soit faite sur ces disparitions et que justice soit rendue. L’association s’est scindée en deux au cours des années 1980.
2 Nous retraçons de manière schématique les différentes étapes de création des spectacles. Les méthodes de création et le degré d’intervention du directeur varient en réalité en fonction des groupes et des spectacles.
3 Le sainete était une pièce dramatique à acte unique accompagnée de danses et de musique. Il traitait des thématiques sociales et urbaines de l’époque de l’immigration, des vicissitudes des immigrants arrivés dans la ville de Buenos Aires et de la vie dans les pensions collectives [Pellettieri, 2008].
4 Les conventillos désignent les logements urbains collectifs qui ont souvent servi de premier foyer aux immigrés récemment arrivés d’Europe. Mêlant des personnes aux origines et aux conditions sociales diverses, ces conventillos ont été des bouillons de culture qui ont contribué à la formation de manifestations artistiques populaires [Adamovsky, 2009, p. 77].
5 Les clubs de quartier étaient des lieux de sociabilité particulièrement actifs durant les années 1920 et 1930 en Argentine. Les habitants s’y retrouvaient pour mener diverses activités et organiser des fêtes de quartier.
6 La « Révolution libératrice » (Revolución libertadora) désigne le régime dictatorial instauré en Argentine à la suite du coup d’État du 16 septembre 1955 qui renversa le gouvernement démocratiquement élu de Juan Domingo Perón. La dictature proscrit le péronisme et Perón dut s’exiler. Les militants péronistes furent réprimés. Cette tentative d’éradication du mouvement conduisit au contraire à radicaliser la résistance péroniste. La proscription fut levée en 1973. Perón revint en Argentine, mais décéda un an plus tard. Les affrontements entre militants de la droite et de la gauche péronistes s’intensifièrent, plongeant le pays dans une situation de chaos qui facilita le retour au pouvoir des militaires en 1976.
7 Chanson traduite par l’auteure.
8 Matemurga s’est appuyé sur ce livre lors de l’élaboration de son spectacle.
9 Extrait de la brochure de présentation du spectacle (traduction de l’auteure).
10 Avec Martina Avanza et Gilles Laferté, nous pouvons ainsi distinguer trois acceptions de la notion d’identité : l’identité comme sentiment subjectif d’appartenance à un groupe donné (l’identité ressentie), l’identité comme identification résultant d’un travail de catégorisation externe au groupe (l’identité comme imposition ou assignation) et l’identité comme image sociale, celle qu’un groupe social produit sur lui-même et tente de faire reconnaître à l’extérieur du groupe (l’identité comme revendication) [Avanza et Laferté, 2005].
11 L’australe est une monnaie qui avait été mise en place par le président Raúl Alfonsín (1983-1989) en 1985 pour contenir l’inflation.
12 Le « premier monde » (primer mundo) renvoie à l’idée d’une hiérarchie entre le monde occidental développé et le tiers-monde, catégorie créée dans les années 1950 par les chercheurs occidentaux pour désigner les pays considérés comme sous-développés. Cette scène critique la fascination que les classes sociales aisées et occidentalisées nourrissent vis-à-vis du « premier monde » et le mépris qu’elles peuvent manifester à l’égard de leurs propres concitoyens.
13 Cf. la retranscription de la chanson en langue originale en annexe 2.
14 La scène critique l’institution policière qui pâtit d’une mauvaise réputation auprès de la société argentine, la répression policière menée dans les quartiers populaires rappelant les pratiques de la dernière dictature militaire argentine [Pereyra, 2008].
15 On relève la formulation footballistique, rendant irréelle la gravité de la situation évoquée.
16 En référence au fameux mot d’ordre « Qu’ils s’en aillent tous ! », scandé par la foule dans les rues de Buenos Aires au moment des manifestations des 19 et 20 décembre 2001.
17 Chanson traduite par l’auteure. Cf. en annexe 2 plusieurs retranscriptions, en langue originale, de chansons de théâtre communautaire.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Cf. en annexe 3 plusieurs reproductions de brochures.
21 Propos extraits d’un entretien réalisé le 16 mai 2011 avec Corina Busquiazo (coordinatrice du Circuito).
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