Préface
p. 9-14
Texte intégral
1Dans un avenir pas trop lointain, on peut s’attendre à ce que la population indienne vivant en ville soit plus nombreuse que celle qui se maintiendra dans ses territoires d’origine.
2Ce phénomène mérite que l’on s’y arrête et ce n’est pas un hasard si depuis quelques années on voit se multiplier les études au Mexique, au Guatemala, en Équateur en Bolivie ou ailleurs, concernant ces hommes et ces femmes qui, après avoir entrepris un périlleux voyage loin de leur communauté d’origine, vivent désormais dans des cités de plus en plus tentaculaires, « globales » et cosmopolites. Quelles sont les raisons de ces migrations ? Comment cette population indienne s’insère-t-elle en milieu urbain ? Qu’advient-il des liens communautaires et des solidarités traditionnelles ? Sont-ils des ressources mobilisables dans ce nouveau contexte ? Comment, à la ville, se construisent de nouvelles identités sociales et culturelles ? Autant de questions qui, avec bien d’autres, suscitent à juste titre un intérêt grandissant de la part des chercheurs.
3La Colombie n’échappe pas à la règle, même si dans ce pays, du fait du caractère fortement minoritaire de la population indienne, la présence de cette dernière en ville ne reste, pour celui qui n’y prendrait garde, que peu visible et significative. Ce qui explique peut-être pourquoi les travaux la concernant n’ont, à quelques exceptions près, que peu suscité l’engouement des chercheurs. Ne doutons pas cependant que ce retard soit rapidement comblé. Le dernier recensement effectué en 2005, et dont les premiers résultats viennent à peine d’être analysés, y contribuera peut-être. On y apprend que désormais vivent à Bogotá plus d’Indiens (15 000 personnes s’y sont identifiées comme appartenant à un peuple indigène) que dans deux départements des « basses terres » (le Vaupès et le Guanía) traditionnellement considérés comme parmi les plus « indiens du pays »…
4Le travail mené par Luisa Fernanda Sánchez sur la ville de Bogotá est donc fort bienvenu. D’autant qu’il s’intéresse au cas singulier d’une population indienne d’origine amazonienne. Une population bien particulière qui dans l’imaginaire national est certainement considérée de par son habitat d’origine, ses coutumes et ses mœurs (sa culture), comme étant la plus « indienne », la moins « civilisée », c’est-à-dire la plus éloignée de l’idée que se fait généralement l’habitant de grandes villes, de ce que doit être un citadin. Et il est vrai que l’on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé ces hommes et ces femmes à quitter un jour leur forêt d’origine (et la protection de leur communauté) pour aller vivre et travailler dans la « jungle des villes », si loin des leurs… Comment un tel déracinement a-t-il pu se produire et comment une fois à la ville, va-t-on y vivre, et s’y retrouver ? À ces questions et à bien d’autres ce texte, qui se présente comme un moment dans une recherche en cours, répond avec finesse. Luisa Fernanda Sánchez a choisi de suivre ces migrants volontaires (il ne s’agit pas ici de migration forcée) au plus près de leur vie quotidienne, dans leur travail comme dans leurs distractions. Ses conclusions en forme d’hypothèses sont claires. Si les changements dans les conditions de vie ne pouvaient être plus grands, les identités et les éléments culturels qui les accompagnent ne disparaissent pas. Certes ils subissent de profondes altérations. Mais surtout on peut voir comment ils font l’objet de réélaborations permanentes mettant en jeu des stratégies bien particulières qui ne sauraient exister hors de la ville et de la migration. Il y aurait bien désormais une nouvelle façon d’être indigène. Une façon faite de la tension nécessaire entre un désir légitime de s’intégrer dans ce monde nouveau, celui de la ville, sans y souffrir le poids du stigmate attaché à sa condition d’origine et le besoin de s’en différencier pour pouvoir maintenir les liens distendus, mais jamais totalement rompus, avec sa communauté d’origine. Liens rêvés peut-être, mais nécessaires pour assurer ceux qui, au quotidien, vous unissent aux autres paisanos venus comme vous du « centre du monde » (entre les fleuves Caqueta et Putumayo) et avec qui on fait communauté. Pour les populations indiennes, la ville serait donc un lieu plus propice qu’il n’y paraît à la construction d’une différence nouvelle bâtie sur le socle ancien d’une altérité bien plus radicale, une différence qui serait aussi le moyen de lutter contre un processus de déshumanisation dont elle a également le secret. On s’en doutait peut-être. Mais avec l’illustration qu’en donne ici Luisa Fernanda Sánchez, l’hypothèse prend une consistance nouvelle.
5« De la provincia a la urbe moderna hay trecho. No sólo se trata de la distancia geográfica que las separa y que en su entramado, como en el caso de los archipiélagos, a las vez las une, configurando una red de sistemas urbanos, con sus especificidades socioculturales y productivas, con sus ritmos y movimientos. El emigrar de una a otra es más que un simple desplazamiento físico (…) un proceso de salida, de alejarse, de desarraigo. Emigrar es a la vez un advenimiento, un encuentro con lo desconocido, con lo diferente, con los retos del cambio y la adaptación. Migrar es un viaje de ida con la casa a las espaldas ». (Plata, 2000 : 129)
Auteur
Professeur de sociologie, directeur de recherche août 2007
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