La population du Brésil à la fin du xxe siècle
p. 49-56
Texte intégral
1Le dernier recensement de la population brésilienne, en 1980, donnait 119 millions d’habitants, chiffre que l’IBGE lui-même considère comme légèrement sous-estimé par sous-enregistrement. Le chiffre réel de la population de l’année 1980 serait en fait de 121,2 millions d’habitants, et l’estimation faite en 1985 par l’IBGE se monte à 135,5 millions.
2Fort de ces chiffres et des tendances, l’IBGE a fait les projections suivantes (Anuário 1987) :
1990 = 150,4 millions d’habitants
1995= 165,1
2000 = 179,5
2005 = 193,6
2010 = 207,5
2015 = 221,0
2020 = 233,8
2025 = 245,8
3La prudence s’impose. Cette estimation que d’autres chercheurs tiennent pour excessive (cf. infra) est une révision à la baisse de la projection faite en 1974 par le même IBGE et qui prévoyait 201 millions d’habitants en l’an 2000, alors que le maintien du taux de croissance des années 1960 donnerait environ 213 millions de Brésiliens.
4Indispensables pour penser l’avenir du pays, ces projections comportent donc une marge d’incertitude : le problème consiste à intégrer dans le calcul l’exacte mesure des changements de comportement. De toute évidence, l’IBGE avait surestimé l’effectif, et peut-être continue-t-il de le faire si l’on en croit d’autres travaux, parce qu’il n’avait pas pensé que les changements de la fécondité amorcés dans les années 1960 s’accentueraient aussi vite et aussi fortement.
5Mais, plus que d’autres sciences sociales, la démographie peut s’autoriser les projections par son objet même grâce aux inerties inscrites dans la succession des générations. Les projections seraient donc faciles sur une population stable, c’est-à-dire non pas nécessairement stationnaire quant à son nombre, mais constante quant à ses taux de variation. Tel n’est pas le cas. Les erreurs observées et les révisions des projections déjà faites ont ainsi elles-mêmes une utilité scientifique : elles montrent que “les choses bougent” dans la population observée.
6Les travaux faits dans ce sens par les démographes brésiliens permettent de déceler les tendances lourdes, dans des “fourchettes” statistiques qui imposent la modestie des conclusions, mais qui n’invalident pas les raisonnements. Ceux-ci porteront ici sur les trois questions suivantes :
Où en est la transition démographique au Brésil ?
Quels sont les problèmes socio-économiques posés par les changements de la composition par âges de la population ?
Le processus provoque-t-il une homogénéisation du pays ou une accentuation de ses différences régionales ?
1. Où en est la transition démographique du Brésil ?
7Les années 1940-80 ont été marquées par les taux suivants de croissance annuelle :
1940-50 = 23,9 pour mille
1950-60 = 29,9
1960-70 = 28,9
1970-80 = 24,8
8L’important est donc le renversement de tendance qui s’est produit au cours de la décennie 1960 et qui s’explique par la baisse de la fécondité. L’indicateur conjoncturel de fécondité qui était de 6,15 dans lés années 1950-55 était resté au même niveau dans les années 1955-60 et 1960-65, mais n’était plus que 5,31 pour 1965-70, 4,70 pour 1970- 75, 4,29 pour 1975-80. Cette baisse n’a pas été appréciée dès le début à sa juste ampleur, d’où les erreurs des projections faites avant que le recul du temps ait permis de mettre le processus dans une exacte perspective.
9Ce processus, amorcé dans le courant des années 1960, est donc la seconde phase de la transition démographique. Alors que la baisse rapide de la mortalité combinée avec le maintien d’une forte natalité avait produit jusque vers 1965 une accélération de la croissance naturelle (c’est la première phase de la transition), un ajustement de la natalité aux nouvelles données de la mortalité est en cours, provoquant une réduction très sensible du rythme de croissance. Cette évolution ne singularise pas le Brésil : elle se vérifie dans tous les pays du Tiers- Monde.
10Les projections de population mentionnées dans l’introduction de la présente note résultent des hypothèses que voici :
11Ces hypothèses se traduisent par un ralentissement marqué du taux de croissance : celui-ci tomberait de 22,9 0/00 en 1981 à 20,1 0/00 en 1990, à 16,2 0/00 en 2000, à 13,4 0/00 en 2010 pour n’être plus que de 9,5 0/00 en 2025.
12D’autres recherches, au vu des tendances récentes, estiment que la baisse de la fécondité peut être encore plus forte. Ricardo F. NEUPERT (IPLAN/IPEA) fait ainsi 3 scénarios dont le plus bas voit le Brésil arriver dès le début du siècle prochain au nombre moyen d’enfants par femme permettant le simple renouvellement des générations.
13Les 3 hypothèses démographiques de R. F. NEUPERT : évolutions possibles de l’indicateur conjoncturel de fécondité (nombre d’enfants par femme) :
14A noter que dans les trois hypothèses, la population atteinte dans les années futures serait inférieure à la projection de l’IBGE, de 210,4 à 242,8 millions d’habitants en 2025.
15Comment expliquer cette transition ?
16L’évolution brésilienne s’inscrit dans le schéma général puisque dans beaucoup d’autres pays du Tiers-Monde la décennie 1960 a été le moment de la rupture de la stabilité de la haute fécondité. Dans la longue durée, on peut retenir qu’après la période 1850-1930 où la population brésilienne a augmenté surtout par immigration et la période 1930-65 où le relais a été pris par la croissance naturelle permise par la baisse de la mortalité, la période commencée en 1965 se caractérise par une croissance ralentie déterminée par la chute de la fécondité.
17Toutefois, dès avant 1960 des différences sociales existaient en matière de fécondité. La décennie 1960 est donc celle de la tendance à l’homogénéisation des comportements démographiques, par diffusion d’un modèle peu nataliste depuis les catégories sociales privilégiées vers les catégories sociales défavorisées. L’extension des moyens de communication de masse y est pour quelque chose, comme l’urbanisation et sans doute aussi l’alourdissement des coûts d’éducation des enfants lorsque le salariat remplace, à la campagne, l’usage traditionnel du sol, et, à la ville, les “stratégies de survie” familiales qui intègrent tôt la progéniture dans les activités rémunératrices.
2. Quels problèmes socio-économiques pose cette transition ?
18La transition démographique provoque le vieillissement de la population. Un indicateur éclairant des problèmes qu’il pose est la part de la population d’âge actif, de 15 à 64 ans, des moins de 15 ans et des plus de 65 ans dans la population totale. Même si “âge actif” ne signifie pas nécessairement “actif”, et encore moins “actif au travail” et malgré la présence de nombreux enfants dans la production, cela donne une approximation intéressante des charges pesant aux différentes dates sur les adultes.
19Rappelons, à titre de comparaison, qu’au recensement de 1982, la population française comptait pour 1 000 habitants, 207 moins de 15 ans, 654 de 15 à 64 ans et 138 personnes de 65 ans et plus.
20L’évolution prévisible au Brésil va faire distinguer deux périodes :
dans un premier temps, il va se produire un allègement de la charge représentée par la population d’âge non-actif. La tendance est certainement bénéfique à long terme. Toutefois, dans cette première période, il se produira une pression accrue sur le marché du travail. Cela pose le problème de la compatibilité du modèle de croissance avec cette demande d’emplois plus forte compte tenu du chômage structurel déjà existant. Il n’est pas impossible que les difficultés à en attendre pour s’insérer dans la vie active d’une façon stable renforcent les “stratégies de survie” familiales comportant des conséquences démographiques plutôt inverses de la tendance étudiée.
dans un deuxième temps, soit à partir environ de 2015, la part des personnes d’âge actif va se stabiliser, mais se posera la problème de la solidarité avec les personnes âgées, problème tout-à-fait inédit au Brésil.
21Il n’est jamais facile de gérer économiquement et socialement les déformations des pyramides des âges. Du moins, peut-on observer qu’au Brésil, cette déformation se fait progressivement sans succession brutale de classes creuses et de classes nombreuses, et dans la perspective à terme d’une stabilisation.
3. Va-t-on vers une homogénéisation du territoire ou vers l’accentuation des différences régionales ?
22La diversité du territoire brésilien au regard de la population peut être examinée du point de vue des comportements démographiques et de la distribution des hommes.
23Il a été dit qu’avant 1960, des différences démographiques existaient entre les classes sociales et que les années 1960 ont vu précisément la diffusion d’un modèle peu nataliste des milieux favorisés vers les milieux défavorisés.
24Ce phénomène comporte une réalité spatiale, comme le montre le tableau de l’indicateur conjoncturel de fécondité par régions de 1940 à 1980.
25Le Sudeste et le Sud avaient entamé les premiers la seconde phase de leur transition démographique. Le Nordeste, le Nord et plus encore le Centre-Ouest participent maintenant à la tendance : le comportement démographique des différentes régions est en train de se rapprocher. Le phénomène de diffusion mentionné plus haut est non seulement social, mais aussi spatial. Cela pourra comporter des conséquences sur les migrations dans la mesure où la réserve démographique du Nordeste tendra à se réduire.
26S’agissant de la distribution spatiale, quelques chiffres en diront plus long qu’un discours : l’IBGE a établi la projection suivante sur la répartition de la population, à partir des chiffres de son hypothèse d’évolution démographique.
27Les tendances actuelles se poursuivent dans le sens où, malgré une fécondité encore plus soutenue que celle du Sudeste pendant quelques années, le Nordeste continue à perdre de son poids dans la population, mais il est à remarquer qu’une stabilisation est attendue au début du siècle prochain. Le peuplement de l’Ouest demeure le fait dominant.
28Ces évolutions sont mentionnées ici. Elles ne sont pas développées parce qu’elles relèvent davantage des tendances de l’organisation spatiale étudiée par ailleurs. Pourtant, on ajoutera un tableau sur les évolutions prévues en matière d’urbanisation.
29La tendance à la concentration relative de la population dans les villes se poursuivra comme l’indique le tableau ci-après :
Conclusion
30Toutes les remarques précédentes tournent finalement autour de la baisse de la fécondité et des conséquences de ce changement.
31On l’a dit, le Brésil suit en la matière une évolution classique dans les pays du Tiers-Monde dans ses modalités comme dans sa chronologie. Pourtant, il n’est pas inutile de souligner en conclusion que le processus a lieu ici en l’absence totale de politique de limitation des naissances. Le thème démographique a pourtant été débattu à l’Assemblée Constituante, au sein de la “Commission de la Famille, de l’Education, de la Culture et des Sports, de la Science, Technologie et Communication”, par la “Sous-commission de la Famille, du Mineur et des Personnes âgées”. Il est remarquable que rares y furent les interventions des parlementaires en faveur d’une politique de limitation des naissances pour des raisons explicitement démographiques. Les arguments avancés se sont placés exceptionnellement sur le terrain du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes (le mouvement féministe “Nós e a Constituição” a ainsi plaidé pour le droit à l’interruption de grossesse, sans succès) et le plus souvent sur le terrain de la vie familiale. C’est bien pourquoi le terme “planification familiale” a été systématiquement préféré à “contrôle des naissances”, le droit des parents à déterminer le nombre de leurs enfants étant toujours affirmé face à un Etat dont le devoir consiste seulement à informer pour mettre les personnes en mesure d’exercer ce droit.
32Et pourtant, il n’est que de voir la société pour constater que les moyens de contrôle des naissances sont devenus d’utilisation courante, y compris la stérilisation féminine, jusque dans les couches sociales très modestes. En l’absence de politique officielle dans ce sens, il est remarquable que la mutation ait été si rapide : un changement culturel profond a bien eu lieu.
33Le risque d’explosion démographique incontrôlable a donc disparu au Brésil. Ce constat rassurant ne doit pas illusionner sur la gravité des problèmes à résoudre sous la pression du nombre : l’inertie démographique est considérable à cause des forts taux de natalité enregistrés avant 1965. Les chiffres de l’IBGE le montrent sans ambiguïté. L’année 1981, avec un taux de croissance de 22,9 pour mille a vu une population supplémentaire de 2.802.000 Brésiliens. En 2001, le taux de croissance ne sera plus que 15,9 pour mille, mais le gain de population sera de 2.846.000. En 2025 encore, pour un taux de 9,5 pour mille, le Brésil s’accroitra de 2.315.000 habitants ! Ainsi, I malgré un mouvement de population moins dynamique, le Brésil va-t-il confirmer sa place de grande puissance démographique.
Bibliographie
Bibliographie
APEB - Associacão Brasileira De Estudos Polulacionais : IV Encontro Nacional dos Estudos Populacionais 1988, Anais, 4 t., 694 p + 654 p + 451 p + 767 p.
IBGE Anuario Estatístico do Brasil, annuel.
IPEA-IPLAN : Para a decada de 90, Prioridades e Perspectivas de Politicas Publicas, vol. 3 : População, Emprego, Desenvolvimento Urbano e Régional. Brasilia 1990. 290 p.
RODRIGUEZ WONG Laura, HAKKERT Ralph et ARAUJO LIMA Ricardo (dir.), Futuro da população brasileira : projeções, previsões e tecnicas, ABEP, Embu, São Pualo, 1987, 237 p.
Auteur
Université Paris XII Val de Marne
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