Chapitre 2. Acteurs en réseau versus politiques migratoires
p. 71-103
Texte intégral
1De nos jours, la politique migratoire des pays d’immigration et de transmigration consiste principalement à distinguer les migrants souhaités des migrants non souhaités, et contrôler la mobilité des hommes en sécurisant les frontières du territoire national et en luttant contre l’immigration clandestine. Mais les décideurs politiques qui élaborent ces mesures refusent de considérer la migration comme un processus social dynamique lié à des modèles plus vastes de transformation sociale, ils ont une vision asociologique des mouvements humains [Zenteno, 2002 ; Castles, 2004]. Comme le montrent les nouvelles économies de la migration, les acteurs doivent disposer de divers capitaux et les mobiliser pour réussir leurs projets malgré les politiques et les frontières des États [Massey, Espinoza, 1997], et la clandestinité devient alors une condition pour entrer, vivre et travailler dans un pays quand on ne peut pas prétendre le faire légalement [Alonso, 2004]. Dans ce travail, on envisage les effets de la politique migratoire non pas du point de vue des États mais de celui des migrants eux-mêmes : comment perçoivent-ils les effets des politiques migratoires et quels en sont les effets sur leurs pratiques et dans leurs modes d’organisation ? À partir de mes discussions avec les migrants j’ai formalisé les quatre principaux obstacles à la migration que produisent ces politiques, et on verra dans ce chapitre quelles sont les stratégies et les logiques pour les contourner un à un. Soulignons que tout obstacle est relatif à l’acteur et à ses ressources, et que c’est en fonction de ces deux facteurs que s’opèrent les stratégies en réseau.
Obstacles à la traversée du Mexique
et à l’entrée aux États-Unis : « dos veces mojado* »
2Les paysans de Peña Roja savent parfaitement que s’ils faisaient la démarche auprès des Ambassades pour obtenir un visa de transit à travers le Mexique et un visa d’entrée aux États-Unis ils se les verraient systématiquement refuser et ils auraient perdu la centaine de quetzales que coûte la procédure sans compter les peines et les tracas de jours d’attentes et d’entretiens inutiles à Ciudad Guatemala. Certes, du temps du programme d’immigration temporaire, beaucoup d’hommes sont partis légalement avec des visas de travail H2-B, mais les conditions de migration et les abus des employeurs ont vite fait de les pousser à s’affranchir des normes étatiques pour définir eux-mêmes leur système migratoire. Désormais ils doivent emprunter la route décrite par les célébrissimes Tigres del Norte en 1988 dans leur corrido « Tres veces mojado » qui chante le parcours d’un migrant salvadorien, trois fois clandestin, à travers le Guatemala, le Mexique et les États-Unis. Aujourd’hui ce voyage comporte tellement de risques et de dangers face aux autorités, aux délinquants ou au climat [Ruiz, 2001 ; Cornelius, 2001, Casillas, 2006], que les migrants isolés ne peuvent plus réaliser la traversée de manière plus ou moins autonome comme jadis. Désormais les passeurs sont incontournables ; ce sont les nouveaux experts a priori de la traversée [Alonso, 2006] et tous les acteurs mobiles et non mobiles de la migration préféreront recourir à leurs services au moins pour une partie du voyage, plutôt que de tenter seuls la traversée.
3Les Mendez ont dû réunir 4 300 dollars pour le voyage de leur premier migrant mojado et six mois plus tard 5 000 dollars pour le second. En principe la moitié de cette somme couvre la traversée du Mexique et l’autre moitié l’entrée aux États-Unis par le désert d’Arizona, on la paye en deux fois, une partie avant le départ et une partie à l’arrivée. Cependant beaucoup de migrants ne peuvent pas réunir l’argent pour payer les passeurs, ce sont les migrants les plus exposés aux abus et ceux dont les droits fondamentaux sont les plus visiblement violés chaque jour au Mexique et aux États-Unis [Casillas, 2006].
Risques et contrôles dans la traversée du Mexique
4La première partie du voyage du mojado est la traversée clandestine du Mexique de sa frontière sud à sa frontière nord sur plus de 3 500 kilomètres. À partir de 1994 les gouvernements mexicains à travers l’Instituto Nacional de Migración (INM) ont tour à tour mené des politiques destinées à lutter contre la migration clandestine en renforçant les contrôles aux frontières et sur les routes migratoires vers le nord, et ont également durci les conditions de délivrance de visas de tourisme, de travail et de transit pour les Centre-américains – comme pour tous les autres Latino-américains d’ailleurs [Castillo, 2003 ; Casillas, 2006]. Cette politique migratoire est le fruit de pressions directes du gouvernement états-unien qui, cherchant à externaliser une partie du contrôle frontalier, exige du Mexique de maîtriser sa frontière sud pour empêcher les migrants de parvenir à sa frontière nord, en contrepartie de « bons points » dans ses relations diplomatiques avec les États-Unis et de promesses de mieux accueillir la migration mexicaine [Verduzco, 2005 ; San doval, 2006]1. La politique migratoire mexicaine, malgré quelques programmes en faveur des migrants mexicains aux États- Unis [INM, 2006 ; Fernandez de Castro et al., 2007] est essentiellement une politique du contrôle migratoire pour arrêter des transmigrants dont le projet est d’arriver aux États-Unis :
« Pour l’INM le Mexique n’a pas une ligne frontière avec le Guatemala, il a une frontière large de quatre cents kilomètres entre la limite avec le Guatemala et l’isthme de Tehuantepec » [Entretien avec Rubén Luna, du Centro de Estudios Migratorios de l’INM].
5La politique migratoire mexicaine est à comprendre à deux niveaux : officiellement, les autorités fédérales luttent activement contre l’immigration et la transmigration clandestines mais par voie indirecte elles maintiennent les migrants clandestins dans des situations où les abus, la corruption, la délinquance et la violence sont omniprésents, créant et renforçant ainsi la vulnérabilité des migrants [Ruiz, 2001, Casillas, 2006]. En 2005 les agents de l’INM ont réalisé officiellement 240 269 déportations d’étrangers en situation irrégulière dont 100 948 se sont déclarés Guatémaltèques, soit 42 % du total des arrestations [INM, 2007]. Pour autant ces chiffres ne tiennent pas compte des arrestations non recensées que réalisent les autres polices – il est donc certain qu’il y en a eu beaucoup plus. Les Centres américains expulsés par l’INM sont envoyés dans la localité frontalière de Tecún Umán au Guatemala qui voit chaque jour augmenter une population flottante de déportés dans une ville régie par la prostitution et le trafic de toutes sortes [Palma, 2000, Pastoral de Movilidad Humana, 2003], rappelant déjà, sous certains traits, ses « grandes sœurs » du nord, Ciudad Juarez et Tijuana.
6Pourtant les mesures de lutte contre la migration des Centre-américains n’ont pas enrayé les flux, et ceux-ci augmentent de manière constante comme en témoignent quasi quotidiennement les gros titres des journaux : « Dans les quatre dernières années la transmigration a augmenté de 74 % [au Mexique] d’après l’INM » [Excélsior, 19.02.2006]. Dans un pays comme le Mexique, où règnent la délinquance, l’impunité et la corruption, la migration illégale attire naturellement un grand nombre d’acteurs officiels et de délinquants pour tirer profit des migrants sans-papiers et commettre des délits. La loi mexicaine stipule que seuls les agents de l’INM sont autorisés à réaliser les contrôles migratoires, mais quatre autres autorités fédérales peuvent les seconder par décret du président de la république : la Policía Federal Preventiva, la Policía Federal de Caminos, la Agencia Federal de Investigaciones et les militaires) [Victal Adame, 2004]. Pourtant lorsqu’on va vers la frontière nord en autobus on voit défiler à bord toutes sortes de polices existantes au Mexique, celle des États (Policías Estatales), celle du municipe (Policías Municipales), la police judiciaire (Policía Judicial), ou la Procuraduría General de la Republica, demander arbitrairement leurs papiers aux passagers, faire descendre les clandestins, réaliser des extorsions, et parfois des exactions criminelles. Les abus des autorités et l’impunité quasi-systématique qui règne sur tout le territoire mexicain ont permis la prolifération d’une délinquance sanguinaire et extrêmement violente qui s’attaque aux populations migrantes voyageant dans l’espace de non-droit qu’est la traversée dans l’illégalité. Les récits de ces hommes, femmes, enfants, abusés, extorqués ou violés par les autorités, les délinquants ou les passeurs, alimentent l’imaginaire des migrants et des non-migrants et si elles contribuent au climat de peur tout au long du voyage, elles n’entament pas pour autant l’espoir d’un avenir meilleur qui passe par les États-Unis. Les abus sont régulièrement dénoncés par les médias2, par les ONG qui défendent les droits de l’homme3 et par un grand nombre de chercheurs4 ; chaque acteur tente d’agir en fonction de ses moyens et de son pouvoir.
7L’illégalité de la transmigration a produit deux effets interdépendants : elle a permis la mise en place et le renforcement de réseaux de passeurs organisés, liant l’Amérique centrale, le Mexique et les États-Unis, elle a aussi favorisé l’essor de l’économie informelle du passage clandestin qui est désormais presque aussi importante que celle des remesas* [Zenteno, 2002]. Pour que l’analyse soit juste, il est nécessaire de comprendre les effets sociaux de l’illégalité des migrants et le laisser-faire des autorités mexicaines comme une composante implicite de la politique migratoire du Mexique5.
Stratégies de mojado du Chiapas au Sonora
8On a vu que les dangers et les risques pendant la traversée du Mexique font que tous les migrants qui le peuvent souscrivent aux services d’un passeur. Cela minimise considérablement la possibilité de se faire déporter par les autorités et de se faire agresser par les bandes organisées de délinquants. Bien entendu tous les migrants ne peuvent pas mobiliser le capital nécessaire pour payer les tarifs très élevés du passage, beaucoup partent sans passeur par la route ou agrippés aux trains de marchandises et ce sont ces migrants avec peu de capital social et économique qui sont les plus vulnérables, les plus démunis et les plus directement exposés aux bandes de maras*, ces groupes de jeunes délinquants particulièrement violents et sanguinaires, extrêmement mobiles et bien organisés6. Ce sont principalement ces « migrants d’en bas » qui arrivent dans les casas de migrantes, ces associations religieuses ou civiles qui apportent leur soutien matériel et humain aux hommes, femmes et enfants qui souffrent des effets du passage dans l’illégalité7.
9Pour tous les migrants, le premier capital nécessaire est l’argent, et plus on a d’argent plus on a de chances de réussir la traversée : « le Mexique, tu le passes avec de l’argent » me disait Alvaro. Cet argent sert à couvrir les frais du voyage (autobus, taxis, nourriture, hôtels), les dessous-de-table aux autorités (las mordidas*)8, et les services du passeur. Logiquement plus les risques pour le coyote* et pour les migrants sont élevés, plus les tarifs du passage le seront également : pour traverser le Mexique en décembre 2004 il fallait payer 2 150 dollars, en mai 2005 cela coûtait déjà 2 500 dollars, en mai 2008, 3 000 dollars et le prix augmente ainsi au rythme du durcissement des contrôles migratoires. Quoi qu’il en soit, il faut comprendre que plus les peines encourues par les passeurs seront élevées, plus leurs tarifs seront onéreux, et plus ils auront tendance à abandonner les migrants sur la route afin de « sauver leur peau »9.
10Les seules ressources du café à Peña Roja ne permettent pas de fournir de telles sommes aux acteurs, de même, le système bancaire dans ces régions ne leur permet pas d’emprunter les 5 000 dollars pour payer l’intégralité du voyage. La coopérative de Peña Roja pourra tout au plus accorder quelques maigres crédits sur la production de l’associé, mais les emprunts auprès de particuliers à taux d’intérêt très élevés demeurent l’ultime recours pour ceux qui ne peuvent réunir cette somme grâce à leurs relations. En revanche, ceux qui sont en mesure de mobiliser les ressources grâce à leurs réseaux, parviennent à trouver facilement cet argent en bénéficiant de prêts, la plupart du temps informels, et souvent sans intérêt ni date d’échéance : l’aîné et le cadet des trois fils Mendez ont ainsi pu payer les services d’un passeur, grâce à leur oncle paternel et à leur frère Walter qui ont mis à leur disposition les dollars épargnés depuis des années de travail aux États-Unis.
11Les relations d’interconnaissance dans la vallée ont permis aux fils du ménage d’entrer en contact avec des passeurs recommandés pour leur service et leur fiabilité, et de minimiser ainsi les risques d’avoir affaire à des passeurs abusifs ou criminels : Medardo et Alvaro sont partis avec des passeurs recommandés par des parents éloignés. Le lien entretenu avec le passeur est un rapport marchand, les migrants payent un service et le passeur s’engage à faire parvenir ses clients à la frontière nord grâce à son savoir-faire et à ses contacts. Il convient de relativiser, sans le déshabiliter pour autant, le discours systématique des médias et des hommes politiques qui criminalisent les passeurs en les assimilant à des trafiquants d’êtres humains, « dangereux délinquants qui obligent leurs victimes à migrer10 ». On oublie que dans la grande majorité des cas ce sont les migrants eux-mêmes qui sollicitent leurs services car ils sont leur unique possibilité d’augmenter leurs chances de réussir leur traversée. Dans la mobilité internationale du début du xxie siècle, certains migrants ont des passeports et des visas, d’autres paient un passeur, et d’autres encore partent seuls à l’aventure par leurs propres moyens. Le plus souvent les passeurs sont des anciens migrants qui connaissent bien les routes, ont des contacts dans les postes de contrôle, ce sont des personnes attirées par l’argent facile et qui ont pleinement intérêt à ce que les migrants arrivent à destination, d’une part pour que l’intégralité du prix du voyage leur soit reversée, et d’autre part pour être recommandés dans les villages : les passeurs détiennent le capital social et culturel qui permet la mobilité à travers les frontières.
12Certes, les abus sont trop fréquents et un grand nombre de passeurs sont en prison à raison, mais il faut comprendre que ce qui génère ces abus est justement la loi mexicaine qui criminalise elle-même les migrants, les maintient en condition d’extrême vulnérabilité, ce qui favorise les relations de domination du pollero*, des maras, et des autorités sur ces migrants prêts à subir beaucoup pour arriver à bon port. Les passeurs sont des « poissons d’eau trouble11 », chacun a ses combines, ses réseaux, et s’adapte avec ruse aux multiples contrôles selon ses moyens.
13Ainsi en convertissant en dollars les liens familiaux au sein du réseau, les acteurs se dotent des services du passeur qui ne sont rien d’autre que l’acquisition d’un certain capital de mobilité.
14La notion de capital de mobilité (ou capital mobilitaire), encore relativement peu utilisée dans les sciences sociales, combine les perspectives du capital social dans une dimension spatiale, c’est le capital qui permet aux acteurs de se déplacer dans des espaces non familiers et de s’y adapter, c’est la capacité à évoluer dans un système de mobilité propre, différent de celui de son lieu d’origine [Lévy, 2000]. Ce capital peut être soit acquis par les réseaux sociaux, soit par des prédispositions naturelles, culturelles ou psychologiques qui constituent un « savoir-migrer » qui donne aux acteurs les moyens de se déplacer avec plus ou moins de facilité. Pour traverser le Mexique, le migrant clandestin doit acquérir un capital de mobilité spécifique : le passage réussi d’un grand nombre de contrôles dépend de la capacité du migrant à se fondre dans le flux massif des migrants mexicains qui prennent les mêmes autobus, vont aussi « pal’Norte* » et émigrent pour les mêmes raisons.
15Le capital de mobilité acquis par les migrants dépend d’abord des informations d’orientation dans l’espace au cours de leur voyage : où aller, quel autobus prendre, à quel endroit descendre, etc. Les lourdes peines qu’encourt le passeur expliquent que celui-ci choisit souvent de voyager séparé de ses clients, devant eux à certain moment, souvent derrière eux, les perdant de vue parfois. On peut clairement distinguer deux phases dans le voyage : la première depuis la frontière sud jusqu’au centre du pays est la plus difficile, faite d’une multitude de petits trajets où le coyote se sera assuré « que la route est libre » grâce à ses complices et aux téléphones portables, puis, la seconde, du centre du pays jusqu’à la frontière nord, fait l’objet de moins de contrôles et se fait sur des trajets plus longs sitôt que les barrages sont moins fréquents et moins aléatoires. Il existe aujourd’hui un grand nombre de routes pour ces migrants dans tout le Mexique [cf. Casillas, 2006], et cette complexification/diversification des routes clandestines est un effet direct du renforcement des contrôles [Santibañez, 2007].
16Lors des contrôles, le migrant doit se faire passer pour un Mexicain : il aura dû au préalable acquérir des éléments qui lui permettront d’afficher et de défendre « sa mexicanité » devant des agents qui ont élaboré de multiples stratégies pour reconnaître les Centre-américains par des questions pièges et des fouilles au corps. Le prix payé au coyote inclut souvent des documents qu’il faut mémoriser dans les moindres détails : un papier d’identité mexicain faisant foi de la – fausse – identité mexicaine du migrant (acte de naissance, certificat de résidence, carte d’électeur, carte de réfugié politique, etc.), une liste de mots du langage courant en espagnol mexicain à mémoriser et de mots en espagnol guatémaltèque « à oublier », des éléments de culture et d’histoire générale du pays, l’hymne national du Mexique, ainsi que l’hymne de l’État du Chiapas, etc.12 [document 2].
17Le migrant aura dû laisser tout objet qui pourrait trahir sa nationalité (lieu de fabrication ou de vente du dentifrice, des vêtements, etc.), car les contrôles se font systématiquement « à la tête du client » et il est clair que l’apparence physique, le comportement, le type de rapport engagé avec les autorités, la capacité à théâtraliser un Mexicain ou quelqu’un de légal, la répartie verbale ou encore l’intelligence sont autant de déterminants dans la réussite ou l’échec du voyage13. Pourtant, ces stratégies de passage et de duperie ne fonctionnent que pour certains barrages et la plupart des agents savent immédiatement repérer les clandestins, mais s’ils ne se laissent pas facilement duper, ils se laissent très facilement corrompre et la mordida devient alors une sorte de « droit de passage » que tout migrant clandestin est tenu d’acquitter pour continuer sa route. De même, pour certains barrages de l’INM particulièrement inspectés par les autorités fédérales de lutte contre la corruption, ce droit de passage se paye avant la montée dans le bus : le coyote aura acheté au préalable les sièges des clandestins que l’agent ne contrôlera pas14.
18Une fois tous les barrages traversés au prix d’extorsions, d’abus et d’une certaine chance aussi, les migrants arrivent au village d’Altar situé à l’extrême nord de l’État du Sonora, aux portes du désert où ils resteront plusieurs jours, le temps de trouver un nouveau passeur. À Altar se rejoignent les routes de différents migrants du monde, Mexicains, Centre-Américains, Asiatiques, Africains, autant de réseaux de migrants et de stratégies qui ont permis à leurs membres d’arriver dans cette localité désolée d’un Far-West sonorense. Commence alors la deuxième partie du voyage au cours de laquelle les acteurs doivent s’adapter à de nouvelles conditions de mobilité pour parvenir à leur lieu de destination aux États-Unis.
Risques et contrôles à la frontière sud des États-Unis
19L’entrée aux États-Unis se fait en deux temps : d’abord la traversée de la frontière dans le désert d’Arizona, puis le voyage jusqu’au lieu souhaité. Dans ces segments, les contrôles et les dangers sont tels que tous les migrants – expérimentés et ceux jamais sortis de leur village – doivent désormais recourir à des passeurs s’ils veulent augmenter leurs chances de réussir leur traversée : hier c’étaient les migrants expérimentés qui faisaient traverser la frontière à leurs proches, et désormais ce sont les polleros qui deviennent les dépositaires de l’expertise de la traversée [Alonso, 2005].
20La migration clandestine s’inscrit dans un espace-temps incertain et suspendu, fait d’accélérés et de ralentissements, d’immobilités et d’extrêmes mobilités, de certitudes et d’improvisations. Une fois le passeur trouvé et les termes de l’accord établis, pendant deux jours et deux nuits – parfois cinq ou six, ou davantage – la dizaine de migrants qui suit les passeurs va parcourir plus de cent kilomètres à pied en tentant d’éviter les contrôles de la Border Patrol (BP) et de survivre aux dangers du désert. En 2005, les agents de la BP ont réalisé 1,17 million d’arrestations d’immigrants de diverses nationalités qui tentaient d’entrer illégalement aux États-Unis, dont 965 538 ont abouti à des retours volontaires au Mexique pour ne pas faire l’objet d’une longue procédure judiciaire de déportation [DHS, 2007]15.
21La frontière mexicano-états-unienne connaît un renforcement des contrôles du côté états-unien depuis plus d’un siècle, ponctué chaque décennie par de coûteux programmes fédéraux qui ne font que rediriger les migrants en dehors des lieux habituels de passage dans les villes pour les canaliser dans les déserts de la zone frontière [Bustamante, 1997 ; Cornelius, 2001 ; Santibañez, 2007]. Après les attaques du 11 septembre 2001, le gouvernement du Président George W. Bush a fait de la lutte contre l’immigration clandestine une de ses priorités, ce qui a eu pour effet d’augmenter la prise de risques dans la traversée mais n’a, en aucun cas, diminué le flux migratoire [Cornelius, Lewis, 2007]. Les deux agences du récent Département de la sécurité du territoire national (Departement of Homeland Security : DHS, ex-Immigration and Naturalization Service : INS16) ont la difficile mission de lutter contre ces immigrations : la Border Patrol traque les migrants clandestins dans la zone frontière et l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) s’occupe de l’intérieur des États-Unis. Les probabilités de se faire prendre dans la zone frontière sont très grandes et s’ils sont interceptés, les Guatémaltèques, comme la plupart des migrants latino-américains non-mexicains, essaieront de se faire passer pour des Mexicains afin de ne pas être renvoyés jusqu’à Ciudad Guatemala, El Salvador ou Bogotá, et préféreront être rapatriés dans l’une des grosses villes frontalières mexicaines, d’où ils retenteront leur traversée un peu plus tard.
22Organisations de la société civile, organisations internationales, médias et chercheurs dénoncent régulièrement les risques et les abus auxquels sont exposés ces migrants pour alerter les sociétés sur les conditions de contrôles qui tuent chaque année quelque quatre cents personnes dans la traversée [Cornelius, 2007 : 264]17.
Stratégies de mojado du désert à la Floride
23Tout comme pour la traversée du Mexique, la première ressource dont doivent disposer les migrants pour traverser le désert est l’argent pour payer le passeur et là encore, pour réunir de telles sommes ces paysans d’un pays du Sud doivent mobiliser leurs réseaux et convertir leur capital social en argent comptant. On verra plus en détails dans le chapitre suivant le fonctionnement de ces réseaux qui permettent la mobilité. Sans capital social on réunit très peu d’argent ; avec peu d’argent les services des passeurs sont certainement de moindre qualité ; sans passeur la traversée du désert est quasiment vouée à l’échec18. Pour le seul passage de la frontière (sans le transport jusqu’au lieu souhaité aux États-Unis) Jorge Bustamante [1997] nous dit que dans les années 1960 le tarif était généralement accessible à 50 dollars, dans les années 1990 Wayne Cornelius [1991] parle de 143 dollars en 1993 et 490 dollars en 1995 après l’opération Gatekeeper, mais dix ans plus tard la traversée a coûté 2 500 dollars au fils cadet d’Aniceto et en mai 2007, celui-ci nous disait que les tarifs étaient passés à 3 000, voire 3 500 dollars. Les programmes politiques de lutte contre les migrations clandestines expliquent la hausse régulière des tarifs, et si jadis un seul passeur empochait les 50 dollars, aujourd’hui ce sont des réseaux de passeurs mexicains, centre-américains et nord-américains extrêmement bien organisés qui se répartissent les milliards de dollars générés par ces flux migratoires transfrontaliers. D’après le DHS les gains des passeurs ont augmenté de 50 % ces dernières années, atteignant 7,5 milliards de dollars par an pour la migration vers les États- Unis [Zenteno, 2002 : 229].
24Le bon passeur connaît bien les routes de la Border Patrol dans le désert, les points d’eau, les endroits où se cacher, les endroits où courir, il sait reconnaître au loin les bruits des hélicoptères et des voitures, il a l’autorité nécessaire pour guider un groupe de vingt personnes non préparées physiquement à une telle traversée dans un milieu aride. Bien entendu, tous les passeurs n’ont pas ce savoir-faire qui s’acquiert avec l’expérience et les informations qui circulent entre passeurs, mais les conditions du voyage sont telles qu’il ne suffit pas de payer le passeur et de le suivre, là encore les migrants eux-mêmes doivent trouver certaines ressources mobilitaires pour traverser le désert.
25Dans un milieu géographique où l’aridité et le climat font le « sale boulot » du gouvernement nord-américain [Alonso, 2006], l’entrée par le désert s’apparente à une véritable « sélection naturelle », et pour la réussir, les migrants doivent disposer de l’élément le plus élémentaire du capital de mobilité, la résistance physique et mentale. Pendant deux jours et deux nuits – souvent davantage – les migrants marchent, courent sans s’arrêter pendant plusieurs heures sous le soleil du désert, dans le froid et l’obscurité de la nuit, avec des ampoules sous les pieds ou d’autres blessures, ils se cachent dans les buissons épineux, traversent des canyons et des rivières, dévalent des montagnes, obéissent aveuglément au passeur, supportent la faim et la soif. Dans ces conditions d’adversité, voyager avec un ami ou un proche est un soutien considérable pour ne pas abandonner, pour continuer la route dans le désert. Alvaro me racontait :
« Et comme Miguel [un voisin de Peña Roja] commençait à traîner à l’arrière du groupe, je lui ai dit : “dépêchez-vous Miguel, sinon vous êtes foutu !” Mon Dieu, il avait une de ces têtes, qu’il n’en pouvait plus, il allait craquer. “Hay Dios hermano, il me disait, je n’en peux plus, je reste ici.” “Hay Dios, vous n’en pouvez plus, mon cul ! Courez !” je lui ai répondu. On s’est pris par le bras et on a couru, couru, couru » [Entretien avec Alvaro, Tampa, décembre 2005].
26Une fois arrivés « de l’autre côté* » dans une petite maison non loin de Tucson dans l’Arizona, où viendront les chercher des passeurs chicanos*, le voyage n’est pas fini. Pendant trois jours, les migrants entassés à une dizaine à l’arrière d’une voiture, sont déposés un à un sur leur lieu de destination traversant ainsi une dizaine d’États, en tentant de déjouer les contrôles et d’emprunter les routes aux heures où les agents fédéraux de l’ICE auront le moins de probabilités de s’y trouver. Trois jours durant lesquels les migrants sont littéralement les uns sur les autres, sans pouvoir se laver, les membres ankylosés, mangeant et buvant peu, faisant parfois quelques arrêts uniquement pour les nécessités. Ces conditions de voyage sont périlleuses et régulièrement une de ces camionnettes aux amortisseurs sommairement réparés, remplies de clandestins, s’accidente quelque part aux États-Unis, souvent après une course-poursuite avec les patrouilles locales ou fédérales, ou après des nuits de conduite sans repos [The New York Times, 17.04.2007]. Si les autorités de l’ICE les interceptent pendant cette partie du voyage, une fois encore, les migrants déjà privés de leur dignité et de leur identité, se diront « Mexicains » pour être expulsés le moins loin possible, car les migrants savent que plus ils tentent la traversée, plus ils ont de chances de la réussir [Cornelius, Lewis, 2007].
27Le renforcement du contrôle de la transmigration au Mexique et de l’immigration aux États-Unis a eu pour effet direct et spectaculaire de consolider les réseaux des passeurs et d’augmenter les coûts multiples de la migration. Le fonctionnement en réseau permet aux acteurs de réunir les ressources économiques nécessaires pour traverser un milieu hostile, et immigrer aux États-Unis. Cependant le tout n’est pas seulement d’arriver aux États-Unis, encore faut-il pouvoir y rester…
Obstacles à la mobilité en territoire états-unien
Les coûts de la mobilité du clandestin
28Les emplois les plus accessibles aux travailleurs clandestins demandent une grande mobilité car ils impliquent des déplacements réguliers sur de longues distances. Au bout d’un an aux États-Unis, le jeune Medardo avait déjà fait plus de dix mille kilomètres et travaillé avec son patron dans trois États différents car les nouveaux migrants n’ont pu trouver du travail dans les usines du Tennessee qui leur auraient garanti une certaine stabilité sans les obliger à changer régulièrement de lieu de vie et de travail. Les migrants savent qu’une fois en territoire nord-américain, la plupart des contrôles des agents de l’ICE ont lieu davantage dans les espaces de circulation (autoroutes, gares routières et ferroviaires, aéroports, etc.) ou dans les transports collectifs (autobus de ligne, trains, etc.) que dans les voitures de passagers. Jusqu’en mai 2005, il n’y avait pas encore de rafles massives dans l’Est des États-Unis sur les lieux de vie des migrants clandestins (camps de mobile homes, quartiers latinos, etc.), ni sur leurs lieux de travail ou de recherche de travail.
29Vivant au fil de cette tolérance, les migrants tentent de passer inaperçus et de ne pas provoquer de problèmes. Cependant les projets de réformes contre l’immigration clandestine en débat à Washington annoncent le renforcement extrême des contrôles migratoires et l’augmentation des déportations [Jacoby, 2006], et nombre d’États autorisent désormais les polices locales à arrêter les clandestins19, contribuant ainsi à générer un climat de peur et de tension chez ces migrants et leur famille au Guatemala et aux États-Unis20. En 2005 les autorités du DHS ont réalisé 208 521 déportations, contre 150 788 en 2002, soit 90 % d’augmentation. Le nombre de déportation de Guatémaltèques a augmenté drastiquement de 154,7 %, passant de 4 919 déportations en 2002 à 12 529 en 2005, alors que les déportations des Mexicains, certes beaucoup plus nombreuses, ont augmenté de 32 % en passant de 109 703 en 2002 à 144 840 en 2005 [DHS, 2007]. Selon ces chiffres 1,7 % des 12 millions de clandestins vivant aux États-Unis auraient été expulsés, tout comme 2,3 % des 6,2 millions de clandestins mexicains [Pew Hispanic Center, 2006], et 3,9 % des 320 000 clandestins guatémaltèques [Migration Information Source, 2006]. Peut-être la différence chiffrée entre les déportations mexicaines et guatémaltèques tient-elle à un traitement de faveur pour récompenser le gouvernement mexicain dans sa lutte contre la migration des Centre-Américains vers les États-Unis ? On n’a pas les éléments pour répondre ici à cela, mais on est en droit de penser que l’effort diplomatique que le Mexique réalise en acceptant de jouer l’État-barrage pour les migrations d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud doivent lui procurer quelques avantages dans ses relations bilatérales avec son voisin du nord. Quoi qu’il en soit, les récentes politiques migratoires des États-Unis ont renforcé considérablement la traque et la déportation des clandestins.
30Dans le droit états-unien les expulsions depuis l’intérieur du pays ont lieu après une procédure légale relativement longue, et au regard de la loi, les clandestins qui pourront être déportés le plus facilement sont ceux qui ont un casier judiciaire (avec des délits majeurs – meurtre, vol, etc. – mais aussi des délits mineurs – conduite sans permis, accident de la route, etc.), ceux qui ont déjà reçu un avis d’expulsion, ou encore ceux qui sont arrivés avec un visa qu’ils n’ont pas respecté. Bien entendu ces lois font que ce sont les migrants qui travaillent dans les emplois les plus stables, ceux qui vivent dans un mode de vie sédentaire, et ceux qui sont souvent installés depuis longtemps aux États-Unis où ils ont fait leur vie, qui sont les plus « déportables ». Les trois migrants du ménage Mendez, jeunes migrants arrivés entre 2004 et 2005, sont légalement dans trois situations de déportabilité différentes : Walter étant arrivé avec un visa de travail et ayant donc enfreint un contrat avec les États-Unis est légalement celui qui peut être déporté le plus facilement, mais paradoxalement, le fait qu’il possède un numéro de sécurité sociale valide fait qu’il est certes plus repérable, mais qu’il aura moins de chances d’être inquiété lors d’éventuels contrôles sur son lieu de travail car les agents de l’ICE arrêteront en priorité ceux qui ont fourni un numéro frauduleux. Medardo et Alvaro, n’ayant enfreint aucun contrat signé avec l’État, ne feront pas a priori l’objet d’investigations par l’ICE, mais comme ils ne possèdent aucun document, ils sont plus exposés à la déportation en cas de contrôle sur leur lieu de travail. Par leur situation migratoire, les trois frères ont une pratique différente de l’espace : Walter et Medardo disposent d’un permis de conduire en règle pour encore quelques mois et peuvent circuler normalement sur la route, alors qu’Alvaro étant arrivé après les réformes qui ont interdit la délivrance du permis de conduire aux clandestins, risque de graves sanctions car il conduit sans permis valide.
Stratégies et fonctionnements en réseau
31Les migrants doivent se déplacer dans l’espace pour travailler et vivre aux États-Unis et, à cette fin, ils mettent en œuvre des stratégies spécifiques pour minimiser les risques inhérents à la mobilité. La mobilité est « le facteur le plus stratifiant et le plus convoité de l’ère globale » [Bauman, in Castles, 2005 : 31], c’est une des clés de la réussite de toute migration et cela, les acteurs le savent : plus ils seront mobiles, plus facilement ils trouveront du travail et meilleurs seront leurs salaires21. L’appartenance à un réseau de migrants favorise l’adaptation à un nouvel environnement [Choldin, 1975] et dans le cas de migrants clandestins, celle-ci consiste à apprendre à circuler dans un espace nouveau où les acteurs sont illégaux. Par exemple, les enfants d’Aniceto racontent avec amusement comment à leur arrivée aux États- Unis, venant d’une région où la seule route goudronnée est la route panaméricaine et ses deux voies, ils ne savaient pas traverser les grandes avenues, ne connaissaient pas les panneaux de signalisation et ne se repéraient pas dans l’espace urbain. Il leur a fallu les conseils et le soutien des autres migrants pour apprendre à marcher dans les villes américaines, traverser des avenues de plus de huit voies, traverser en dehors des passages cloutés, mesurer la vitesse des voitures, etc. Mais pour les grandes distances, lorsque Alvaro et Medardo ont dû se rendre à Tampa, à Nashville et à Philadelphie, ne pouvant utiliser les transports en commun, et n’ayant pas de voiture, ils ont demandé à un collègue de travail équatorien de les y emmener. Cependant, si les liens entre les trois fils d’Aniceto fonctionnent sur une certaine réciprocité, les rapports avec les autres acteurs dans les économies souterraines peuvent facilement devenir des rapports de pouvoir et d’abus, comme en attestent les combines de ce migrant équatorien, clandestin comme eux, qui leur a fait payer 500 dollars chacun pour ces déplacements, empochant ainsi plus de 4 000 dollars pour le seul ménage Mendez.
32Pour ne plus avoir à payer de telles sommes, pour être plus mobiles et autonomes et pour minimiser les coûts de la mobilité, trois membres du réseau à Tampa (les deux frères et leur voisin et ami Fernando) ont décidé de s’acheter une voiture, ils ont rapidement appris à conduire avec d’autres migrants, à se diriger dans la ville et sur les autoroutes, à reconnaître quelques panneaux et acquérir quelques principes de conduite pour les déplacements à faible risque dans la vie quotidienne et ceux à risque plus élevé lors de voyages exceptionnels. Pourtant malgré la maîtrise formelle de l’espace, l’illégalité fait que toute mobilité se fait dans la peur, en essayant de minimiser les risques, de faire le moins de longs déplacements possibles, de ne se déplacer que si nécessaire, et à chaque fois que passe une voiture du Sheriff, les migrants sont pris d’un frisson de peur et baissent d’un ton la musique norteña qu’ils écoutent habituellement à tue-tête.
33Face aux coûts et aux risques qu’implique la mobilité dans une situation d’illégalité, les acteurs s’adaptent à de nouveaux espaces et à de nouvelles sociétés. Mais les acteurs en réseau doivent faire face à une deuxième difficulté : l’obstacle au travail légal. La légalité du travail assure une stabilité au travailleur, certaines conditions de travail et de salaire. En cela, la politique migratoire qui refuse le travail légal aux sans-papiers les pousse à se replier dans les réseaux des économies souterraines où les abus, les excès et l’illégalité sont constants. Certes les migrants ne considèrent pas en premier lieu leur exclusion des réseaux formels de travail comme un obstacle à leur migration, car de facto ils travaillent, gagnent de l’argent et c’est d’abord bien cela – qui leur importe en arrivant aux États-Unis, mais cette exclusion relève plutôt d’une privation de la dignité des travailleurs et du droit national et international du travail que la première puissance mondiale se doit de respecter.
Obstacle au travail légal
Contrôles au travail
34Le gouvernement fédéral a toujours cherché à lutter contre les travailleurs clandestins et très peu contre les employeurs de clandestins. Un agent de l’ancien INS expliquait à Wayne Cornelius pourquoi l’agence fédérale avait réalisé en 1999 l’Opération Vanguard, une investigation dans l’industrie de l’emballage de viande du Nebraska et de l’Iowa, sans faire un seul contrôle sur les sites industriels car « ils ne voulaient pas avoir un impact négatif dans la productivité et dans les capacités productives des compagnies » [2001 : 678]. Les contrôles des autorités fédérales sur les lieux de travail sont dérisoires par rapport aux vingt millions de travailleurs clandestins aux États-Unis, mais elles ont connu une augmentation exponentielle en cinq ans : si en 2002 il y a eu 510 arrestations sur les lieux de travail, cinq ans plus tard, en 2005 il y en a eu 4 383, soit une hausse radicale de 759 % [DHS, 2007].
Exclusion du secteur formel et inclusion dans le secteur informel
35En ne permettant pas la légalité du travail, alors que l’offre et la demande de main-d’œuvre se sont rencontrées et que l’offre a surmonté des frontières internationales pour y parvenir, l’État produit de la main-d’oeuvre clandestine. Comme le montrent nombre de chercheurs dans leurs travaux, la logique économique des politiques migratoires des pays d’immigration exclut les acteurs du secteur formel pour les inscrire dans une condition d’exploitation sans limite :
« Une force de travail se convoque, s’use, se rejette comme une marchandise. Sa légitimité ne tient qu’à son utilité conjoncturelle […]. Les sans-papiers et les clandestins reproduisent aujourd’hui le vivier des “surexploités” avec encore moins de protection que dans les années 1960 » [Réa, Tripier, 2003 : 42, 79].
36Par ailleurs, en maintenant les clandestins dans des emplois qui ne respectent pas le droit du travail des États- Unis, l’État pousse les clandestins dans l’arbitraire des employeurs tout en renforçant considérablement les réseaux de l’économie informelle qu’Alain Tarrius [2001] appelle les économies souterraines.
37Les clandestins sont maintenus en dehors du cadre du travail légal tout en étant parfaitement insérés dans les systèmes de production capitalistes. Les fonctionnements du capitalisme moderne et l’une de ses formes privilégiées, la sous-traitance, trouve chez les clandestins une force de travail optimale, dérégulée, extrêmement mobile dans l’espace, disposée à en faire le plus possible et qui s’auto-reproduit par le dynamisme des réseaux de migrants. À Tampa, avec leur patron roumain, les membres du réseau participent à un système de triple sous-traitance ; la compagnie Verizon Internet Broadband engage une compagnie en Floride spécialisée dans l’installation d’infrastructures pour les télécommunications, TCS, pour qu’elle installe Internet haut-débit dans la région, puis TCS paie des contratistas* qui se chargent de réaliser cette installation, le contratista ayant lui-même sous ses ordres une équipe de clandestins qui creusent, installent et enterrent la bande-passante. Ces nouveaux immigrants sont l’exemple même des « salariés néolibéraux » [Marie, in Réa, Tripier, 2003 : 43], utilisés dans des stratégies entrepreneuriales fondées sur l’externalisation des coûts salariaux, et inscrits dans un marché du travail caractérisé par la flexibilité et la précarité, s’apparentant en définitive à une « délocalisation sur place » [Terray, 1999].
38Nicholas de Genova [2005] a montré comment l’État nord-américain a légalement construit l’illégalité et la déportabilité de la main-d’oeuvre clandestine pour mieux pouvoir l’utiliser et s’en défaire librement. Le système de travail aux États-Unis permet de « blanchir » l’employeur et de criminaliser le travailleur clandestin : l’État demande à la compagnie TCS de n’avoir qu’une photocopie du titre de séjour de chaque travailleur, que chacun ait un badge avec sa photographie et son nom et que tous portent un casque et un gilet fluorescent. Naturellement, les travailleurs clandestins n’ont pas de titre de séjour, ils achètent donc une fausse greencard pour 80 dollars dans les rues de Miami aux faussaires mexicains ou cubains, visiblement fausse à l’œil nu mais qui passe pour une authentique à la photocopie. Par cette procédure, les trois employeurs sont en règle au regard de la loi alors que les travailleurs clandestins sont criminalisés pour possession de faux documents et pour les avoir utilisés à des fins lucratives.
39Le statut juridique de l’illegal alien maintient les immigrants dans une condition de déportabilité, obéissant à une logique économique (grande rentabilité du migrant clandestin) et identitaire (exclusion des immigrants de la légalité et de la citoyenneté) les excluant radicalement du cadre de l’État-nation [De Genova, 2005]. On retrouve cette « illégalité légale » dans le Tennessee où nombre d’immigrés clandestins ont un numéro de sécurité sociale valide, mais n’ayant pas respecté leur engagement contractuel avec l’État nord-américain signé dans le visa H2-B, ils sont d’autant plus facilement déportables au regard de la loi en cas de contrôle. Cependant la réforme migratoire en cours à Washington cherche à rendre plus cohérent le système de contrôle en durcissant la répression du travail clandestin, et l’on verra ses effets sous la prochaine présidence aux États-Unis [Jacoby, 2006].
Travailler dans l’illégalité : vulnérabilité sociale des migrants et renforcement des réseaux
40Les travailleurs immigrés illégaux endurent un rapport de domination extrême vis-à-vis de leurs employeurs, ils ne sont pas protégés par les principales institutions de l’État, ils vivent à la marge de celui-ci et sont en situation de devoir tout accepter – leur seule possibilité de contestation serait de quitter leur employeur22. À Tampa, les travailleurs que j’ai rencontrés réalisent des journées de plus de dix heures avec seulement une petite heure de pause pour le repas, ne sont pas assurés contre les accidents du travail et vivent dans des mobile homes insalubres. Dans le Tennessee, Walter et ses collègues travaillent au moins dans un espace couvert et sont – en principe – assurés en cas d’accident du travail, mais ils peuvent être dénoncés aux autorités en cas de contestation ou de décision arbitraire de l’employeur. En règle générale, un migrant clandestin court peu de risques d’être arrêté à l’intérieur des États-Unis à moins d’être dénoncé par son patron, ce qui arrive le plus souvent pour briser un syndicat, empêcher une grève, éviter de payer un travailleur ou tout simplement pour profiter d’un rapport de domination [Cornelius, 2001].
41L’exclusion du marché formel crée la vulnérabilité sociale des migrants à cause de la structure même du marché du travail aux États-Unis, où les secteurs à forte demande en main-d’oeuvre dérégulée sont construits sur une très forte segmentation du travail qui se superpose à une différenciation ethno-culturelle [Canales, 2006]. La condition de grande vulnérabilité générée par une illégalité construite permet l’utilité maximale des travailleurs clandestins et oblige ces derniers à se maintenir exclusivement dans les réseaux des économies souterraines. Le refus de laisser les travailleurs étrangers vivre et travailler légalement crée des catégories de salariés qui ne sont pas libres de leurs mouvements sur le marché du travail, qui sont confinés au règne du clientélisme, du clanisme et de la corruption, poussés constamment aux frontières de l’illégalité [Réa, Tripier, 2003].
42Pour surmonter les obstacles qui les empêchent de travailler dans la légalité, les migrants s’inscrivent alors dans les économies souterraines, ils parviennent à y travailler, et à y gagner de l’argent. Un autre obstacle majeur à la migration perçu par les migrants est la difficulté à maintenir des liens communautaires entre des acteurs dispersés dans le temps et dans l’espace, et séparés par des frontières politiques, à la fois réelles et irréalistes, mais toujours présentes.
Obstacles à la permanence de la communauté
L’impossible idéal de la migration circulaire
43Les migrants de Peña Roja partent comme tant de migrants de par le monde avec l’objectif de revenir ; les acteurs se sentent faire partie de leur groupe d’origine tout au long de la mobilité internationale, leur communauté et leur identité demeure dans le lieu d’origine. Les enfants d’Aniceto disent très clairement qu’ils souhaiteraient pouvoir rester « le temps nécessaire » aux États-Unis, retourner quelque temps à Peña Roja puis repartir à nouveau quand ils le voudront. Certes le programme de visa temporaire avec Eller & Sons permettait ces allers-retours, mais sans considérer les logiques socio-économiques des travailleurs, et sans respecter leurs droits et leur dignité comme on l’a vu au chapitre précédent. Or, ces paysans sont sociologiquement et économiquement dans un autre rythme, dans une autre temporalité, et c’est celle-ci qui commande les allers-retours entre le pays d’émigration et le pays d’immigration. Jorge Bustamante [1997] a décrit les dynamiques en œuvre dans la circularité migratoire comme des allers-retours cycliques qui seraient le produit de forces d’attraction et de répulsion, agissant comme de véritables « forces de gravité » en attirant les migrants vers « leur centre d’origine », les repoussant vers leurs lieux de destination et vice-versa, accélérant ainsi l’intensité migratoire et sa circularité.
44Tel est l’idéal des migrants des premières générations qui permet aux acteurs de maintenir les liens communautaires entre migrants et non migrants dispersés dans l’espace migratoire, mais lorsque les États s’appliquent à renforcer leurs frontières politiques, ces allers-retours deviennent beaucoup plus difficiles, car pour les acteurs il n’est pas rentable d’assumer chaque année pour chaque migrant les 5 000 dollars d’une traversée aux risques élevés. Ces « va et vient » ne sont plus possibles et envisageables : la politique migratoire semble entraver la force d’attraction du lieu d’origine, mais sans la détruire, bien au contraire, elle la porte dans une autre dimension, dans un autre espace social où les frontières territoriales n’ont plus véritablement efficacité : la communauté transnationale.
Distensions du temps et prolongements de la durée de migration
45La difficulté de réaliser des allers-retours réguliers a pour effet principal de rallonger le séjour des immigrés aux États-Unis, car face aux difficultés de la migration, les acteurs choisissent de rester plus longtemps aux États-Unis par peur de ne pas avoir l’opportunité d’y revenir un jour23. C’est cette absence prolongée observée par Alberto del Rey et André Quesnel [2004] qui transforme profondément les familles dans les localités rurales et qui donne lieu à des gestions différenciées de l’absence. En toute logique, la durée d’absence est fonction des difficultés et des coûts (économiques, humains, psychologiques, sociaux) du voyage entre le lieu d’origine et de destination. Dans les années 1970 les Mexicains avaient tendance à partir aux États-Unis quelques mois seulement et c’est encore le cas dans les régions migratoires les plus anciennes, où les migrants ayant un titre de séjour en règle partent en moyenne pour six mois [Bustamante, 1997]. Mais dans d’autres régions où l’on migre illégalement, la durée de migration se prolonge de manière drastique : en 2002 les migrants du Veracruz partaient initialement pour deux ans [Del Rey, Quesnel, 2004] et nous avons vu qu’à Peña Roja les migrants partent d’entrée pour quelques trois, quatre ou cinq années, mais restent souvent davantage. Ces temporalités ne sont jamais définies ou figées, ce sont des temporalités ouvertes vers l’avenir où l’on reporte souvent le retour indéfiniment.
46À Tampa, j’ai rencontré un jeune homme d’un autre village du Guatemala, arrivé à l’âge de 18 ans pour y rester quatre années, il avait déjà 24 ans, il avait dépassé de deux ans son projet initial, et disait qu’il repartirait « un jour », dès qu’il aurait l’argent nécessaire. Ainsi, le passage d’un rallongement de la durée de la migration à une installation durable se fait d’autant plus naturellement que la politique de fermeture des frontières, en bloquant les migrants sur place, va à l’encontre de son objectif affiché d’incitation aux retours. Les acteurs mobiles qui auraient préféré pratiquer des allers-retours choisissent par stratégie et réalisme de demeurer enfermés dans le pays d’immigration [Wihtol de Wenden, 1999].
Permanence des réseaux par-delà les frontières : les liens communautaires transnationaux
47La distance physique, renforcée par la politique migratoire n’abolit en aucune façon le lien entre les migrants et leur lieu d’origine, et comme l’ont montré les travaux sur le transnationalisme, elle génère de nouveaux liens transnationaux à travers les frontières politiques nationales. Le transnationalisme est le processus par lequel « les migrants forgent et soutiennent des relations sociales diversifiées qui relient leur société d’origine et leur société de résidence » [Basch, et al., 1994 : 7]. La permanence de la relation entre les acteurs mobiles et non mobiles de la migration se fait dans une sorte de contrat migratoire auquel prennent part les migrants et leurs proches, et qui définit des règles, des normes et des pratiques à respecter pour perpétuer la mobilité. Ces réseaux communautaires tirent partie des transformations technologiques, politiques, économiques et culturelles qui ont lieu dans l’ensemble de l’espace migratoire pour actualiser les liens entre les acteurs, tout en les transformant. Dans le réseau migratoire du ménage d’Aniceto et de Rosaluz, la vitalité et la permanence de la communauté se réalisent de deux manières : d’une part entre quelques membres du réseau présents aux États-Unis, et d’autre part entre les migrants et les non-migrants.
48Aux États-Unis, les trois frères ont essayé de se réunir entre eux pour vivre ensemble à plusieurs reprises sans y être encore parvenus : Walter est allé deux fois à Tampa mais il n’y est jamais resté plus de deux semaines car cela a coïncidé avec des phases où il n’y avait plus de travail, et il a préféré retourner rapidement dans le Tennessee. De même, lors d’une période de chômage à Tampa, Alvaro a décidé de rejoindre son frère dans le Tennessee, mais n’y trouvant pas de travail à son tour, il est retourné à Tampa au bout d’une semaine. Les fils d’Aniceto accordent une grande importance à l’entretien des liens avec d’autres migrants de la vallée de Peña Roja vivant aux États-Unis, mais du fait de la distance et des risques liés à la mobilité dans l’illégalité, les acteurs ne peuvent pas « faire communauté » de manière concrète en se visitant les uns les autres par exemple. Le téléphone est alors un moyen pour rester en contact, et tous les jours grâce à leurs forfaits téléphoniques illimités, les enfants d’Aniceto actualisent leurs liens avec d’autres migrants de la vallée dont ils sont particulièrement proches, contribuant à faire circuler diverses informations (nouvelles du lieu d’origine et des autres migrants États-Unis, possibilités de travail, etc.).
49C’est la permanence du lien avec les membres du réseau à Peña Roja qui est la plus importante car, comme l’ont montré Jorge Durand et Douglas S. Massey [1992], si les migrants acceptent les conditions difficiles de la migration, c’est parce que « leur identité demeure dans le lieu d’origine » et c’est à partir de ce lieu que les liens communautaires prennent leur source. Les progrès dans les télécommunications, la réduction des coûts des appels internationaux aux États-Unis et au Guatemala, ainsi que la généralisation des téléphones portables dans les zones rurales des pays du Tiers-monde et dans les pays développés ont permis de maintenir les liens entre les membres du ménage, les amis et amies, les voisins ou les apparentés malgré la distance spatiale et temporelle, générant ainsi une communauté transnationale. Les conversations téléphoniques entre les États-Unis et le Guatemala ne se font pas avec les liens faibles des membres du ménage, mais exclusivement avec les liens forts définis comme tels avant la migration. On dégagera les conséquences de ceci dans le chapitre suivant. Les personnes liées par des liens forts à Tampa, à Nashville et dans deux ou trois autres villages de la vallée de Peña Roja s’appellent constamment les uns les autres ; quand les téléphones de la vallée captent le réseau, « on s’appelle » dans les deux sens. La permanence et la persistance de ce « lien migratoire » dans l’espace transnational permet le maintien, l’actualisation et le renforcement des liens forts au sein du réseau migratoire. Les politiques migratoires, en renforçant les frontières, peuvent certes empêcher les acteurs de retourner régulièrement dans leur ménage d’origine, mais ne parviennent pas à couper les liens qui soudent les migrants et leurs proches dans un monde transnational.
50On a voulu montrer dans ce chapitre comment les migrants trouvent dans le fonctionnement en réseau d’acteurs migrants et non-migrants les ressources pour contourner un à un les obstacles produits par les politiques migratoires des pays d’immigration et de transmigration. On a pu voir que seuls certains liens sociaux forts permettent d’assumer intégralement les coûts et les risques de l’ensemble de la course migratoire. Si les gouvernements mexicain et états-unien cherchent à contrôler leurs frontières et à rendre plus difficile l’immigration, les migrants sont prêts à assumer ces conséquences et ces difficultés en comptant sur leurs liens forts. Ils mobilisent les liens qui procurent le plus de ressources, réunissent les moyens financiers pour réaliser leur mobilité dans les multiples réseaux des économies souterraines. Si le gouvernement nord-américain veut lutter contre la mobilité spatiale des migrants, ces derniers, grâce à leur réseau, acquièrent le capital de mobilité qui leur permet d’apprendre à bouger dans l’illégalité en essayant de ne pas attirer l’attention, en évitant les lieux de contrôle et en se déplaçant uniquement en cas de nécessité. Ils minimisent les coûts et les risques de la mobilité par un fonctionnement en réseau qui leur permet d’acheter une voiture à plusieurs pour être plus autonomes et s’extraire le plus possible des relations de pouvoir et d’abus qui régissent le plus souvent les économies souterraines. Si l’État nord-américain leur refuse les emplois légaux et formels, ces acteurs s’insèrent dans les réseaux du marché informel consolidés par ces afflux de clandestins et ils travaillent, gagnent de l’argent, paient des impôts, en dehors du cadre étatique.
51La réussite de leur projet migratoire a un coût, mais elle paye. Si l’État nord-américain dissuade les migrants de Peña Roja de « faire communauté » en empêchant les allers-retours, les acteurs choisissent de rester plus longtemps aux États-Unis, de vivre dans un temps indéfini qui s’allonge vers l’avenir, mais ils ne renoncent pas au lien social qui fonde leur identité, leur être et leur groupe. En situation de clandestinité, ce sont les réseaux de migrants qui deviennent plus que jamais le cadre de la pratique sociale et spatiale des acteurs. La migration est une dynamique humaine, un processus historique antérieur à toutes les tentatives pour les contenir : depuis cent-vingt ans la migration mexicaine approvisionne le marché du travail aux États-Unis avec ou sans politiques migratoires [Verduzco, 2006]. Après avoir montré que les politiques migratoires inscrivent directement les acteurs mobiles et non mobiles dans leurs réseaux de migrants et les économies souterraines, il convient de réfléchir en détail sur le type de lien que ces dynamiques définissent entre les membres des dits réseaux.
Notes de bas de page
1 La disproportion entre les contrôles des flux migratoires sud➪nord et nord➪sud révèle de facto la cible des politiques migratoires du Mexique : lors d’un voyage de Tapachula (frontière sud) à la ville de Chihuahua (frontière nord), l’autobus a fait l’objet de trente-huit contrôles d’identité sur les passagers, alors que quelques mois plus tard dans le sens inverse de Ciudad Juarez à Tapachula (Chiapas) l’autobus n’a pas eu un seul contrôle migratoire.
2 Les articles des journaux témoignent quotidiennement de cette situation tragique : « Mueren al año 200 centroamericanos [en México] de camino a EU » [La Jornada, 14.01.2007], « Migrantes centroamericanos entre el abuso y la explotación » [El Universal, 17.12.2006], « Centroamericanos temen pasar por Migración en México » [Crónica, 22.01.2006], « Plagian delincuentes y autoridades a migrantes de CA en el todo México » [El Universal, 20.01.2007] ; « 8 de cada 10 migrantes son violadas : Foro de Migraciones » [Prensa Libre, 14.07.2008].
3 Sur les travaux des ONG : cf. les activités de Sin Fronteras, Las Casas de Migrantes des Misionarios de Scalabrini, la Comisión Nacional de Derechos Humanos (México), la Comisión de Derechos Humanos de Guatemala (CDHG), le Comité de Derechos Humanos de Tabasco, parmi bien d’autres. Ces organisations travaillent très souvent avec les chercheurs.
4 Cf. par exemple le groupe de travail du Colegio de México : « Las migraciones y el desarrollo entre Mexico y Guatemala : una propuesta de elementos y acciones » constitué d’une vingtaine de chercheurs.
5 Certes, l’INM a créé les Grupos Beta, des agents chargés de la protection de tous les migrants indépendamment de leur nationalité et de leur statut migratoire pour leur venir en aide dans les zones de passage (déserts de la frontière nord, frontière sud, voies de chemin de fer, ville de Mexico) et de les prévenir des dangers de la traversée. Mais l’incompatibilité de leur mission avec la politique de contrôle de l’INM explique que leur action n’a qu’une portée limitée et isolée pour les migrants d’Amérique centrale, contrairement à leur action effectivement protectrice et préventive auprès des migrants mexicains.
6 Sur les maras cf. Ángeles Cruz, Martinez Junco [2006], Narváez [2007], Valenzuela Arce, et al. [2007].
7 Cf. les témoignages de ces migrants les plus démunis : Pastoral de Movilidad Humana [2003] et le remarquable film de Tin Dirdamar, De Nadie sorti en 2005.
8 Alvaro, le fils cadet du ménage étudié raconte : « La police de la migration [INM], celle qui nous a fait descendre cette fois-là nous a enlevé huit cents pesos [environ 80 dollars] pour nous trois avec le passeur […]. Le Mexique, tu le traverses avec de l’argent » [Entretien avec Alvaro, décembre 2005].
9 Actuellement, l’article 138 de la Ley General de Población du Mexique condamne à six à douze années de prison ferme et de lourdes amendes les passeurs de clandestins sur son territoire, peine qui s’aggrave en fonction des abus dont ont été victimes les migrants [CDDHCU, 2008]. Aux États-Unis la peine maximale pour le délit de trafic d’êtres humains est de dix ans, mais elle peut se durcir jusqu’à la peine à perpétuité dans le cas où le passeur serait tenu pour responsable de la mort des personnes transportées [NBC, 2006].
10 Les titres des journaux et des politiques reproduisent en permanence la logique de criminalisation des passeurs : « Cerca de 250 indocumentados centroamericanos rescatados por la Policía Federal Preventiva (PFP). Los extranjeros viajaban hacinados en un doble fondo » [Notiver, 14.04.2007].
11 Note de terrain, Village de Camojá : réunion avec le passeur qui a emmené Alvaro en avril 2005.
12 Le Chiapas est l’État par lequel entre la majorité des migrants clandestins.
13 Un migrant de Peña Roja me racontait avoir réussi à duper un militaire en lui parlant avec une grande familiarité irrespectueuse qui ont dû laisser transparaître une certaine confiance en lui qui lui a permis de résister au rapport de domination.
14 L’oncle d’Alvaro, alors qu’il voyageait avec ce dernier dans un autobus de grande ligne, a été pris par les agents de l’INM et déporté au Guatemala parce qu’un autre passager s’était assis à sa place, et n’osant pas la lui réclamer, il s’est assis à un autre siège, a été contrôlé puis arrêté.
15 Le nombre de rapatriements volontaires se maintient dans des proportions élevées depuis trente ans : en 1976 il y en a eu 955 374, elles ont atteint un minima en 1980 avec 719 211, et le maximum en l’an 2000 avec 1 675 827 migrants [DHS, 2007].
16 Le changement de nom de cette agence après le 11 septembre 2001 traduit clairement les priorités sécuritaires et nationalistes du gouvernement nord-américain après les attentats [Alba, Leite, 2004].
17 Cf. « Border Patrol hiere a inmigrantes » [Excélsior, 28.01.07], « Pide SRE investigar el asesinato de migrantes en Arizona » [La Jornada, 09.02.07], « Control fronterizo aumenta muertes y no reduce migración según investigadores » [La Jornada, 13.01.07].
18 Souvent ceux qui ne disposent pas du capital social suffisant et qui sont parvenus dans les localités de la frontière nord du Mexique y travaillent dans des emplois plus ou moins stables ou légaux en espérant un jour réunir les milliers de dollars nécessaires pour traverser la frontière.
19 Cf. « Policías en Arizona con un ojo en migración para poder detener indocumentados » [La Opinión, 28.01.2007], « Firma el gobernador de Oklahoma ley que obliga a policía detener a indocumentados » [La Jornada, 09.05.2007], « Anti-illegal-immigrant law OK’d in Texas », [USA Today, 13.05.2007].
20 Cf. « Bush Turns to Big Military Contractors for Border Control » [The New York Times, 18.05.2006], « EEUU endurece deportación de guatemaltecos, han aumentado más de 100 % en 4 meses » [Prensa Libre 17.06.2006], « Gobierno buscará reunión con Washington. tras redadas masivas » [El Periódico, 16.12.2006], « Habrá más redadas de inmigración » [La Opinión, 26.01.2007], « Temor entre inmigrantes por redadas navideñas » [Excélsior, 19.12.2006], « Presas en sus casas, miles de familias de indocumentados por terror a redadas de Bush » [La Jornada, 04.03.2007].
21 La mobilité des clandestins contraste fortement avec celle de l’underclass américaine. Les habitants nord-américains du trailer park à Tampa restent souvent chez eux toute la journée, rares sont ceux qui travaillent et ont une voiture. Les clandestins, quant à eux, sont beaucoup plus mobiles et peuvent trouver des emplois bien rémunérés. Cette situation explique l’évolution démographique de la Nouvelle Orléans après l’ouragan Katrina : les noirs n’ayant pas de voiture et peu de réseaux sociaux en dehors de la ville sont allés dans les camps de réfugiés à Houston ou Atlanta et ils ont eu des difficultés à revenir à la Nouvelle-Orléans, alors que les latinos, forts de leurs réseaux personnels et professionnels et du goût des contractors* pour la main-d’oeuvre clandestine, sont arrivés en masse : « Hispanics help rebuild New-Orleans » [The Washington Times, 22.02.2006].
22 Les migrants peuvent cependant, par le biais d’avocats et moyennant finances, faire un procès à leur employeur dans les cas avérés et particulièrement graves d’abus (accident du travail, viol, etc.). Le nombre incroyable de publicités qui invitent les clandestins abusés à intenter un procès est un signe que malgré tout la loi peut défendre les droits des immigrés dans les cas extrêmes. Mais ce n’est qu’une minorité qui peut prétendre assumer légalement et psychologiquement les coûts et les risques d’un procès, car en ayant ainsi recours à l’État, le migrant illégal risque de se faire déporter. Le plus grand nombre choisit de supporter ces conditions de travail et de vivre dans l’illégalité.
23 Cf. « Los muros sólo retienen a los indocumentados dentro de EU : “La frontera con México no está, ni nunca ha estado, fuera de control”, afirma Douglas S. Massey » [La Jornada, 05.04.2006], « Los migrantes han duplicado su tiempo de estancia en EU : Conapo » [La Jornada, 06.05.2007].
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