Préface
p. 11-14
Texte intégral
1La question du rôle politique de la presse hante depuis des décennies tous ceux – intellectuels, acteurs, citoyens – qui réfléchissent sur l’évolution de nos démocraties. La liste serait longue des cinéastes et écrivains – parmi les plus grands – qui ont traité de la question. Depuis longtemps, la presse a été qualifiée de « quatrième pouvoir » à côté de l’exécutif, du législatif et du judiciaire, dont la séparation fonde nos régimes depuis Montesquieu. Son indépendance par rapport au pouvoir politique a été un combat constant des journalistes depuis que la presse existe. En même temps, nombre d’entre eux se sont interrogés sur le pouvoir peut-être démesuré qui était le leur, puisqu’ils pouvaient non seulement influer de manière significative sur les résultats d’élections mais encore contribuer à remettre en cause des décisions prises par des élus du peuple, voire contraindre des exécutifs à démissionner. Au début des années 1970, un grand patron de presse, paraphrasant Mao Zedong, intitulait la seconde partie d’une étude remarquable sur la presse : « Le pouvoir est au bout du stylo1 »... Plus près de nous, le développement exponentiel de l’information audio-visuelle et des techniques de communication depuis un demi-siècle n’a cessé – de Marshall Mac Luhan à Jurgën Habermas – de nous interpeller et de nourrir la réflexion et les travaux de philosophes, de sociologues, de politistes2. La question essentielle, pour ce dernier, est de mesurer si les médias, presse écrite mais surtout télévision sont susceptibles d’influer de manière décisive sur les opinions publiques, de les manipuler, de les modifier, d’influencer les comportements électoraux. Depuis la sinistre période hitlérienne, on se méfie de tout ce qui touche à la propagande politique érigée en technique de manipulation des masses. Mais il n’est pas une compétition électorale aujourd’hui, dans les vieilles démocraties comme dans les plus récentes, qui n’ait ses gourous en communication, qui chercheront d’abord à agir sur les médias.
2Deux phénomènes plus récents sont venus nourrir un flot d’interrogations nouvelles sur le rapport entre le politique et les médias dans la formation de l’opinion.
3Le premier est d’ordre économique. On assiste depuis quelques décennies à la constitution de grands groupes de presse multimédias. Les journaux « indépendants » sont de plus en plus rares. Dans tous les pays, des empires de presse se constituent à l’échelle nationale, plurinationale, voire mondiale. Ils contrôlent des dizaines, centaines, milliers de titres. La tutelle de ces pouvoirs financiers est d’autant plus forte qu’elle est infiniment plus subtile que celle du pouvoir politique : elle peut donc beaucoup moins facilement être dénoncée. Le journaliste qui déplaît sera remercié ou devra démissionner. De plus, tous les médias aujourd’hui équilibrent leurs comptes grâce aux recettes publicitaires. Les exemples abondent de journaux, radios, chaînes de télévision, qui ont vu une manne publicitaire se tarir après un papier qui a déplu au financeur. Le journaliste, dès lors, doit être « prudent », s’autocensurer, négocier certains papiers avec sa rédaction.
4Le second phénomène, d’ordre technologique, est le développement très rapide de l’information numérique. À côté des éditions informatiques des journaux écrits, qui se sont généralisées, à côté de la mise sur la toile des émissions de télévision, on voit se multiplier les supports informatifs exclusivement numériques – journaux, blogs, podcasts, pétitions, manifestes, mobilisations des opinions, etc. Et comme l’ont montré nombre d’études, nous ne sommes qu’à l’orée d’une révolution radicale de l’information3. Nul ne sait encore quelles transformations sur la formation des opinions publiques cette mutation va engendrer. La manipulation de l’information est ici d’autant plus aisée que rien ni personne ne contrôle la véracité de ce qui est diffusé. Là encore, on se trouve en présence de phénomènes dont on sait qu’ils interagissent directement sur le fonctionnement de nos démocraties, sans pouvoir dire en quoi et comment.
5Le Brésil est un cas emblématique de ces questions. La presse écrite y est ancienne et plurielle, répartie dans l’ensemble d’un territoire immense, mais un grand groupe de presse, O Globo, s’y est constitué depuis longtemps, couvrant tous les supports écrits et audiovisuels. Si O Globo occupe dans ce champ une position dominante, elle n’est pas hégémonique : dans l’écrit comme dans l’audiovisuel, des médias existent qui ne dépendent pas de ce groupe. Cela étant, il intervient depuis toujours dans le politique : il n’est pas d’élection nationale, étatique, locale, où il ne marque ouvertement ses préférences. Il est ainsi de notoriété publique que Fernando Collor de Melo, qui était quasiment inconnu au plan national, fut « inventé » par O Globo, qui ne voulait pas de Lula. Il fut ensuite destitué par le Congrès après que ce groupe de presse ait non seulement cessé de le soutenir mais ait souhaité sa démission.
6Malgré cette donnée constante, curieusement, il y a peu d’études approfondies sur le rôle politique des médias au Brésil, en dépit de l’existence d’un Observatoire brésilien des Médias qui procède à de nombreuses enquêtes très sérieuses. L’ouvrage de Giancarlo Summa vient donc combler un vide. L’auteur a eu le privilège et la possibilité d’accompagner le candidat Lula tout au long de sa campagne électorale pour exercer un second mandat. Il a observé les techniques de communication utilisées dans la campagne, la manière dont les médias en ont rendu compte, le rôle qu’elles ont voulu ou pu jouer, les relations que le candidat et son équipe ont entretenues avec les journalistes, la porosité ou l’étanchéité des interrelations entre les opinions exprimées par les médias et celles des électeurs de Lula. Cette enquête de terrain exceptionnelle est restituée avec un souci constant d’analyse, de compréhension des rapports complexes entre média et politique, d’interprétation des faits à l’aune des recherches les plus récentes ayant trait à ces questions. Un ouvrage très utile donc, à la fois savant et – ce qui ne gâche rien – d’une plume agréable et d’un style vif. Le lecteur – qu’il s’intéresse au Brésil ou au rapport média-politique – apprendra donc beaucoup, et de manière agréable.
Notes de bas de page
1 Jean-Louis Servan-Schreiber, Le pouvoir d’informer, Paris, Robert Laffont, 1972, p. 167-250.
2 Pour la France, citons en particulier les travaux de Jacques Gerstlé (notamment La communication politique, Paris, Armand Colin, coll. Compact Civis, 2004), Armand Mattelart, (notamment L’invention de la communication, Paris, La découverte, 1994, et Erik Neveu, Une société de communication ?, Paris, Montchrestien, coll. Clefs, 1997), et de Dominique Wolton (notamment « La communication politique : construction d’un modèle », Hermès, 4, 1989).
3 Voir par exemple l’ouvrage de Jean-François Fogel et Bruno Patino, Une presse sans Gutenberg, Paris, Grasset, 2005.
Auteur
Professeur de Science politique (7000) novembre 2008
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