La Colombie à l’aube du troisième millénaire
p. 7-14
Texte intégral
1En 1970, il y a vingt cinq ans à peine, la Colombie avec 21 millions d’habitants était un pays relativement peu peuplé, encore largement rural (43 % de la population). Son PNB était inférieur à celui du Pérou, (près de trois fois inférieur à celui du Venezuela) et le café représentait alors plus de la moitié des exportations. Le pays se remettait lentement du traumatisme causé par la Violence, cette guerre civile (200 000 morts) qui avait levé l’un contre l’autre le parti libéral et le parti conservateur, les deux principales forces partisanes qui structuraient depuis le siècle dernier la vie politique de la nation. L’accord du Front national qui avait été la voie retenue pour pacifier le pays était alors en pleine vigueur et jouissait d’une certaine légitimité. Lieras Restepo, le président libéral de l’époque, passait pour un chef d’État modernisateur formé à l’école de la CEPAL, et décidé à réformer et renforcer un État qui de l’avis général en avait fort besoin. A cette époque le narcotrafic n’existait pas comme problème national et les mouvements de guérilla situés loin dans les montagnes ne paraissaient guère menaçants. Le taux d’homicide était loin d’être négligeable (34 pour 100 000), mais, comparé à celui qu’avait connu le pays au cours des décennies précédentes, il était somme toute tolérable et, surtout, on pouvait penser que progressivement il viendrait rejoindre celui des pays “civilisés”. Certes, la réforme agraire agitait les campagnes, et le pays avec, mais cette agitation traduisait l’impatience légitime d’une paysannerie à voir sa situation s’améliorer en accord avec des promesses gouvernementales formulées avec l’aval des États-Unis. Bogota, la capitale politique du pays, était talonné par Medellin, ville dynamique et capitale industrielle contrôlée par la bourgeoisie paisa. Le pays n’avait semble-t-il plus d’Indiens, sinon dans d’improbables marges, sa population noire était tout aussi “invisible” et le front pionnier alimenté par une migration stimulée par la violence était laissé à lui même. La hache du colon devait poursuivre un travail de civilisation commencé un siècle plus tôt dans les régions de café. La pollution urbaine restait tolérable, l’eau paraissait inépuisable, personne ne s’intéressait à la protection des forêts ou à la défense de la biodiversité. Un âge d’or en quelque sorte pour un pays provincial qui s’enorgueillissait d’être la démocratie la plus stable de l’Amérique latine, se pacifiait peu à peu et venait de découvrir les premiers romans de Garcia Marquez.
2Vingt-cinq ans plus tard, le pays a fortement augmenté sa population - avec 35 millions d’habitants il est désormais plus peuplé que l’Argentine - et a tenu assez largement ses promesses de développement économique. Le PIB a plus que doublé (il a été multiplié par 2,5) et sa croissance ne s’est jamais démentie même dans les années 1980, à l’époque noire pour l’Amérique latine de la décennie perdue. La Colombie a dépassé le Pérou et s’est sensiblement rapprochée de son frère ennemi, le Venezuela. Le café a cédé la place en valeur relative à de nouveaux produits et il ne représente plus que 2 % du PIB contre 5 % vingt-cinq ans plus tôt. Le pays est aussi plus urbanisé, et pour la première fois depuis le début du siècle sa population rurale a cessé de croître. Bogota a décidément pris le dessus sur ses rivales potentielles. Par ailleurs, on note dans tout le pays un développement rapide de l’éducation (le nombre d’étudiants passe de 19 000 en 1958 à 540 000 en 1992), du logement et des services comme l’eau courante, l’électricité, les égouts, etc. Bref, si les besoins restent encore immenses, le pays s’est modernisé, il a ouvert ses frontières, il est plus riche, mieux instruit, mieux logé et ceci après une époque de formidable croissance démographique. La performance mérite d’être soulignée. La baisse actuelle du taux de natalité et l’allongement sensible de la durée de vie, constituent des indications qui ne trompent pas : la Colombie sort progressivement du sous-développement, et elle le doit avant tout au dynamisme, au travail et à l’inventivité de sa population.
3Mais il existe d’autres indicateurs qui donnent du pays une image bien différente, et ce sont eux, plus que les autres, qui défrayent la chronique et font connaître la Colombie à l’extérieur. Ainsi, en vingt-cinq ans, le taux d’homicides a été multiplié par trois et ceci fait de ce pays un des plus violents du monde. Or, 97 % d’entre eux restent impunis... La guérilla, le narcotrafic, la violence paramilitaire n’ont cessé d’étendre leur emprise sur les régions, les institutions et les hommes et leur capacité de nuisance semble infinie. Le problème semble sans solution. Le pays se débat dans une crise politique et morale sans précédent. Les partis, sans doctrines ni programmes, rongés par le clientélisme et la corruption, ont perdu toute légitimité. Dans ce pays fier de ses institutions démocratiques, les électeurs se détournent des urnes et aucune force nouvelle n’annonce une recomposition du paysage politique. L’État est touché à la tête dans la personne de son chef et, si la nouvelle constitution a été saluée en son temps par l’importance des réformes introduites dans l’ordre institutionnel, elle ne saurait à elle seule offrir la garantie d’un rétablissement prochain de l’autorité de l’État. Après tant de violence et de désordre on ne sait par ailleurs comment pourra un jour se recomposer le tissu social, se restaurer la confiance.
4Dans un autre domaine, la précarité du travail se développe, le secteur informel touche désormais des pans entiers de la société, le pays découvre chaque jour les dommages commis à son écosystème. Il est régulièrement confronté à des catastrophes naturelles qui sont d’abord le produit prévisible des hommes, à une pollution qui fait de Bogota une des villes les plus contaminées du monde...
5Il y aurait donc deux Colombie et sûrement davantage encore : une Colombie qui améliore ses performances et semble en mesure de s’adapter à un monde ouvert, fortement concurrentiel, et une autre qui s’enfonce dans la dérégulation, l’anarchie, le conflit et la violence. De la juxtaposition de ces deux pays on pourrait alors avancer une conclusion paradoxale... mais hasardeuse selon laquelle plus un pays s’instruit et se modernise, plus il développe sa production, son infrastructure et ses services, plus il perd le contrôle de lui-même, le sens du droit et de la règle...
6C’est pour tenter de démonter ce paradoxe et y voir plus clair dans l’imbroglio colombien que ce livre à été rédigé.
7Il intervient après d’autres ouvrages écrits sur d’autres pays d’Amérique latine édités par l’IHEAL1 ? Comme le titre de la collection le suggère, il s’agit dans une perspective pluridisciplinaire, de discerner les évolutions futures à partir d’une analyse du présent.
8Cette démarche nous a semblé particulièrement pertinente dans le cas de la Colombie. Tout d’abord, peu de pays se prêtent aussi peu à un exercice prospectif. Dans une période d’instabilité particulièrement prononcée, il y a un défi à relever (et un risque à prendre) à tenter de réfléchir sur l’avenir de la Colombie. Ensuite, la curiosité grandissante manifestée en France à l’égard de la Colombie, et dont témoigne la multiplication des reportages sur les différents maux du pays, appelait, de notre point de vue, un ouvrage pluridisciplinaire prétendant à une certaine exhaustivité. Enfin, nous souhaitions montrer la vitalité de la recherche française sur ce pays en invitant, aussi largement que possible, le chercheurs français à participer à ce travail à côté d’auteurs colombiens avec lesquels ils ont déjà l’habitude d’échanges approfondis. Ce livre espère donc, malgré ses imperfections, répondre à cette triple motivation.
9Bien sur, certains aspects de la réalité colombienne sont peu ou pas traités. Ainsi, les questions culturelles ne sont abordées qu’indirectement. De même, si la dimension historique apparaît dans plusieurs articles, elle ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique. Néanmoins, c’est l’essentiel des sciences sociales, telles qu’elles sont pratiquées par les institutions françaises ici représentées (Université, EHESS, CNRS, ORSTOM) qui se trouvent mobilisées pour répondre aux différentes questions que l’on peut se poser aujourd’hui sur la Colombie. Un problème tel que celui de la drogue, par exemple, fait l’objet d’un traitement croisé : aspects socio-politiques, aspects culturels, aspects économiques sont tour à tour considérés pour essayer d’offrir une vision aussi complète que possible de ce phénomène multidimensionnel.
10Y a-t-il justement, à partir de ces points de vue entremêlés, une vision générale qui se dégage du livre ? Le plan adopté propose déjà une démarche d’analyse. En commençant par “les crises et mutations politiques” (première partie), on se propose d’aborder d’emblée ce qui semble le plus en crise aujourd’hui dans la société colombienne : le système politique, révélateur lui-même des contradictions qui minent la société. L’article de Daniel Pécaut, - “Passé, présent, et futur de la violence” - dresse une vaste fresque des symptômes et des causes profondes de la violence et permet d’aborder sans détour le problème le plus patent de la Colombie, qui touche aussi bien sa vie quotidienne que sa vie institutionnelle. Daniel Pécaut constate la dérive confirmée d’une société qui perd ses ancrages et où l’élimination physique a eu raison des velléités de réaction sociale. La complexité des enjeux et la diversité des acteurs ne lui permettent pas de dresser un tableau optimiste. Précisément, l’article d’Eduardo Pizarro – “Les forces armées dans un contexte d’insurrection chronique” - permet de mieux identifier un de ces acteurs, l’armée, dans ses interactions avec d’autres (notamment la guérilla et les narcotrafiquants). Dans un pays traditionnellement peu porté à donner le pouvoir aux généraux, l’existence de poches de pouvoir militaire incontrôlées conduit néanmoins au développement d’une certaine autonomie de l’institution militaire.
11La nouvelle constitution de 1991 avait pour ambition de résoudre ces problèmes par une meilleure définition de la séparation des pouvoirs et par un meilleur encadrement d’institutions telles que l’armée. Le chapitre 3 – “Les nouvelles institutions à l’épreuve de la pratique” de Jean-Michel Blanquer - propose un premier bilan de cette tentative en observant l’évolution des conceptions et des composantes de la légitimité politique.
12L’idée défendue, pour expliquer la crise politique qui touche en premier lieu le chef de l’État, est que la Colombie se trouve actuellement dans une phase de transition entre deux paradigmes politiques, l’un traditionnel, reposant sur la définition d’un ennemi politique, l’autre nouveau s’appuyant sur la notion de partenaire et faisant confiance à la régulation juridique.
13La régulation juridique, telle qu’elle résulte de la nouvelle Constitution, est précisément analysée par Manuel Cepeda -“L’action de tutelle, arme du citoyen contre l’arbitraire”-. Pour lui, on assiste en Colombie aujourd’hui à une véritable révolution juridique permettant au citoyen de faire valoir concrètement les droits consacrés par la Constitution. Et le pouvoir judiciaire amené à interpréter au jour le jour les grands principes constitutionnels se fait législateur secondaire, ses jugements étant destinés à faire jurisprudence dans de multiples domaines
14Pierre Gilhodes pour sa part -“La politique extérieure de la Colombie”- discerne les grandes continuités de l’insertion de la Colombie dans les relations internationales. Celle-ci est totalement conditionnée par des facteurs internes et notamment par la question de la drogue. La Colombie souhaite sortir de cette impasse mais les affrontements politiques actuels avec Washington montrent que l’indépendance reste une conquête de chaque jour.
15La deuxième partie -“Adaptations de l’espace et de la société”- tente de cerner les grandes évolutions sociales de la Colombie. Cela commence par l’évolution démographique du pays, étudiée par Françoise Dureau et Carmen Elisa Florez -“Dynamiques démographiques colombiennes : du national au local”-. Tout en soulignant la difficulté de l’analyse due aux aléas du recensement de 1993, les auteurs montrent les spécificités du développement de la population et de son occupation du territoire. La Colombie est à un stade relativement avancé de la transition démographique mais cela ne doit pas masquer certains problèmes locaux, comme ceux de certains quartiers périphériques de Bogota où les difficultés d’aménagement appellent une vaste réforme territoriale.
16Dans la même ligne, Vincent Gouëset -“Un siècle de concentration urbaine en Colombie”- décrit le processus d’urbanisation que la Colombie a connu au cours du siècle et qui l’a conduit à conserver assez longtemps un configuration unique de “quadricéphalie”, c’est-à-dire de coexistence de quatre cités relativement équilibrées. Cette spécificité tend à s’estomper aujourd’hui au bénéfice de Bogota.
17Loin de ces zones urbaines, on observe aussi un développement continu de la population sur les “marches” du pays, dans les territoires de colonisation où l’homme doit affronter une nature hostile mais surtout une violence humaine endémique. Gérard Martin -“Sociabilité, institutions et violences dans les zones de colonisation récente”- restitue à la fois la dimension historique du phénomène et l’actuelle diversité de ses manifestations. Coexistent ainsi une frontière “traumatisée” où la société est anomique en raison d’intérêts convergents (des narcotrafiquants, des guérillas...) pour lutter contre toute intégration et une “frontière moderne” où, malgré tout, les services publics s’installent progressivement et où l’autorité publique accompagne la naissance d’une société nouvelle.
18Philippe Burin des Roziers -“Cultures mafieuses en Colombie : entre archaïsme et modernité”- propose pour sa part de définir le narcotrafiquant comme un nouvel acteur social. Pour lui, le “mafieux” n’est pas une excroissance incongrue d’un système malade mais un acteur central, significatif des contradictions que doit affronter le pays entre ses racines et la mondialisation capitaliste.
19Une alliance plus heureuse entre tradition et modernité semble se réaliser en la personne de “l’Indien”. Le chapitre 10 -“Un ajustement à visage indien” de Christian Gros - décrit l’extraordinaire développement de cette revendication identitaire, masquée jusqu’à présent par le métissage généralisé de la population, et qui trouve aujourd’hui dans la nouvelle Constitution un cadre institutionnel dans lequel se déployer. L’avenir reste très ouvert sur cette question mais la forte mobilisation de la plupart des communautés indigènes, avec à la clef des intérêts économiques considérables, laisse supposer que cet acteur est installé durablement sur la scène politique et sociale du pays.
20La faiblesse des représentations intermédiaires reste néanmoins très marquée en Colombie. Rocío Londoño Botero -“Les syndicats en Colombie”- montre comment ces vingts dernières années, en partie du fait d’une précarisation croissante de l’emploi, le syndicalisme colombien n’a cessé de perdre du terrain pour arriver aujourd’hui à un taux de syndicalisation parmi les plus faibles de la région : 6,7 %. La nouvelle Constitution de 1991 et le “pacte social” du président Samper semblent favorables à un redéploiement syndical, mais ce dernier reste aujourd’hui limité dans sa portée pratique.
21La troisième partie sur -“les fondements de la croissance”- propose, en partant d’une analyse économique, de mesurer les nouvelles caractéristiques de l’économie colombienne et d’en évaluer les conséquences sociales. Luis Hernando Rodriguez (“Ouverture économique, croissance des exportations et processus d’intégration régionale”) montre les conséquences de la politique d’ouverture des frontières poursuivie depuis le début des années 1990. L’objectif de lutte contre l’inflation est partiellement atteint mais la restructuration du commerce extérieur laisse voir que dans le système économique international la Colombie reste marginale (ses exportations concernent des produits en baisse sur le marché international) et périphérique (ses importations proviennent de plus en plus des pays industrialisés). L’ouverture économique maintient des déséquilibres qui ne peuvent être résolus que progressivement par la diversification de la production, le perfectionnement technologique, et le développement des exportations.
22Il est souvent avancé que la croissance continue de l’économie colombienne, à rebours des autres pays d’Amérique latine, serait due aux revenus de la drogue. Malgré la difficulté de toute étude en la matière, Salomon Kalmanovitz -“L’impact macro-économique du narcotrafic en Colombie”- montre l’ambivalence des conséquences de la drogue sur l’économie colombienne. D’un côté elle apporte des devises et des moyens de financement sur le marché intérieur qui sauront être mis à profit par l’économie et le gouvernement, comme en témoignent durant les années 1980 un taux de croissance et un contrôle de l’inflation exceptionnels pour la région ; de l’autre, elle crée des déséquilibres structurels graves avec notamment la déstabilisation de certains secteurs où l’argent de la drogue s’investit sans contrainte. S’ajoute à cela le coût énorme que cette production représente pour les finances publiques, ne serait-ce que pour l’organisation de sa répression.
23L’argent de la drogue facilite le développement du secteur informel, lui-même caractéristique de l’organisation “à deux vitesses” de l’économie colombienne. Jean-Baptiste Gros et Thierry Lulle -“Secteur informel et précarité”- cernent l’évolution de ce phénomène dans la ville de Bogota, d’abord d’un point de vue socio-économique en montrant la “répartition” de la précarité selon les catégories de population et de travail - il apparaît que la précarité n’est pas l’apanage du secteur informel et qu’elle touche en priorité les populations fragilisées, jeunes, femmes et populations âgées -, ensuite en étudiant le cas des travailleurs du bâtiment ce qui leur permet de tracer, d’un point de vue humain, les itinéraires d’une catégorie de population qui croît au rythme de l’urbanisation.
24Dans la perspective d’une véritable construction de l’État national, plusieurs programmes politiques ont cherché à intégrer les populations marginalisées par des mécanismes de protection sociale. La Constitution de 1991 et le projet de “pacte social” du président Samper ont tenté de systématiser à l’intérieur d’un nouveau paradigme néo-libéral le droit à une sécurité sociale. Maïté Fadul Landaburu fait le point sur ces tentatives. La décentralisation a déjà permis des transferts financiers et des systèmes de cofinancement. La réforme actuelle de la sécurité sociale devrait toucher aussi bien la santé que les pensions en permettant la coexistence du secteur public et du secteur privé. Ce système généralisé qui s’inspire du modèle chilien devrait être complété par un réseau de solidarité venant en aide aux indigents, en dehors du système normal de cotisation. Ce “bond social” voulu par Samper est d’autant plus difficile à réaliser qu’il manque à la Colombie une classe de hauts fonctionnaires, professionnels et permanents, pour assurer un suivi de la réforme.
25Les mutations de l’organisation économique touchent aussi le monde paysan. Celui-ci a su maintenir une structure relativement favorable aux petites exploitations libres. Jaime Forero (“Paysannerie, économie agraire et système alimentaire”) montre que c’est cette particularité colombienne, décisive pour l’approvisionnement des villes, qui permet au pays d’être autosuffisant sur le plan alimentaire tout en étant un important exportateur de produits agricoles. Une répartition moins inégalitaire des terres serait toutefois nécessaire pour répondre aux besoins d’une population rurale qui n’a cessé de croître jusqu’au début des années 1980. En attendant une hypothétique réforme agraire, de nouvelles formes de métayage “modernes” sont mises en œuvre avec un certain succès, dans différentes régions du pays : elles permettent à des producteurs fortement articulés au marché de faire face au manque de terre et de capitaux. Ce n’est pas là une des moindres originalités du cas Colombien.
26Ce relatif équilibre dans l’évolution agricole ne se retrouve pas pour l’exploitation des ressources naturelles. Richard Pasquis -“L’environnement sacrifié”- décrit l’ensemble des problèmes écologiques que doit affronter un pays qui se signale par une diversité remarquable de sa faune et de sa flore et par un pourcentage élevé de zones de forêt. Pour lui, les graves atteintes à l’environnement, la déforestation massive, la pollution, les problèmes d’eau sont la conséquence d’un mode de développement économique qui a longtemps ignoré toute préoccupation environnementale et se trouve aggravé par des problèmes spécifiques au pays comme le développement des cultures illicites et la lutte armée. La création d’un ministère de l’environnement, l’établissement de vastes régions protégées et de parc nationaux sur une surface du pays égale à la France, sont des signes encourageants d’une prise de conscience des enjeux que constituent pour l’avenir du pays une protection et une mise en valeur de son potentiel écologique.
27L’État a su toutefois prendre en charge certains domaines qui nécessitaient un pilotage public. C’est le cas notamment en matière scientifique. Jorge Charum, José Granes et Jean Baptiste Meyer -“La science en Colombie”- mesurent les premiers effets de la politique entamée en la matière sous la présidence de César Gaviria. En se concentrant sur les problèmes du pays et en cherchant à endiguer la “fuite des cerveaux”, l’État a obtenu de premiers résultats encourageants.
28Cette ultime note d’optimisme, qui rejoint tout de même les perspectives ouvertes par certains articles, s’agissant d’un domaine aussi sensible et aussi crucial pour le futur, permet de montrer qu’il existe des voies de renouveau et de ressaisissement pour l’État colombien.
29Il est difficile aujourd’hui de déterminer laquelle des “deux Colombie” se détachera lors du prochain siècle. Il est tout aussi difficile d’imaginer une “normalisation” de la Colombie. On peut cependant constater une prise de conscience de la gravité des problèmes par la société civile qui dispose aujourd’hui de plusieurs canaux de mobilisation institutionnels et extra-institutionnels. La crise politique actuelle n’est peut-être, de ce point de vue, que l’une des grandes douleurs, par laquelle doit passer le pays avant d’accoucher d’une société plus juste et plus pacifique.
Notes de bas de page
1 Le Brésil à l'aube du troisième millénaire, 1990 ; Le Mexique à l'aube du troisième millénaire, 1993 ; L'Argentine à l'aube du troisième millénaire, 1994.
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