Les historiens
p. 211-212
Texte intégral
1Pierre Monbeig, de retour en France après 1945, constatait non sans surprise que la séparation entre histoire et géographie dans l'enseignement supérieur était devenue "une cassure très nette" : les géographes se référaient de moins en moins souvent aux travaux des historiens, les candidats à l'agrégation de géographie ignoraient l'existence des Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre. Une sorte d'hostilité s'était établie entre les étudiants des deux disciplines et Pierre Monbeig s'étonnait, à Strasbourg, de l'animosité de certains géographes à l'égard de leurs étudiants d'histoire.
2On s'explique aisément sa réaction : lui-même avait toujours eu, et n'a jamais cessé d'avoir, des relations étroites et cordiales avec les historiens et son goût de l'histoire, qu'il devait sans doute à l'influence de son père, avait été renforcé par les cours d'histoire économique d'Henri Hauser, vers qui l'avait orienté Demangeon.
3Cet intérêt pour la recherche historique n'est pas resté platonique, puisque la bibliographie de Pierre Monbeig comporte deux articles sur l'histoire des Baléares au xviiiè siècle, publiés en 1932 et 1959. Je n'ai lu que le premier, publié -- c'est significatif - dans les Annales d'Histoire économique et sociale, (IV, pp. 538-548) : il relève indubitablement du genre historique et l'auteur y annonçait explicitement de prochaines recherches, destinées à "préciser l'histoire économique des Baléares dans un travail plus important". On sait ce qu'il en fut : Pierre Monbeig s'éloigna de l'archipel pour se consacrer au continent sud-américain. Mais il reste bien vrai qu'il n'en abandonna pas pour cela la mise en perspective historique, comme en témoignent, non seulement bon nombre d'articles sur la géographie humaine de l'Amérique latine, mais plusieurs chapitres de sa grande thèse Pionniers et planteurs de São Paulo : ainsi, la deuxième partie du livre I, intitulée Conditions historiques, ainsi qu'une part substantielle du Livre II sur la Marche pionnière. Pour lui, la géographie humaine et l'histoire ne pouvaient être étudiées l'une sans l'autre.
4Le fait d'avoir aimé et pratiqué l'histoire a très certainement contribué aux bons rapports personnels de Pierre Monbeig avec les historiens : il a salué Henri Hauser comme l'un de ses maîtres ; Fernand Braudel devint son ami à São Paulo et le resta toute sa vie. En plus de ses activités d'enseignant et de chercheur, Pierre Monbeig a exercé, on le sait, des fonctions de haut niveau dans le secteur de "l'administration scientifique". Comme directeur scientifique au CNRS, directeur de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine et du Laboratoire associé III, il a été en rapports constants avec les chercheurs relevant de l'ensemble des sciences sociales. Les historiens ont toujours trouvé en lui un interlocuteur très ouvert, qui a su les comprendre et les aider. Etranger à tout "chauvinisme de discipline", Pierre Monbeig a développé à l'IHEAL les cours et séminaires d'histoire de l'Amérique latine, à une époque où une telle spécialisation était absente en tant que telle de l'enseignement supérieur français : il fit appel à Silvio Zavala et à Pierre Chaunu, ainsi qu'aux enseignants de la VIè section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (actuellement Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) et des Universités de Paris et de province. L'IHEAL ne disposa longtemps que d'un seul poste de titulaire, celui d'un maître-assistant, qui fut affecté à l'enseignement de l'histoire. C'est grâce à Pierre Monbeig, il convient de le rappeler, que pendant un temps au moins l'IHEAL a été le lieu où l'histoire de l'Amérique latine a été enseignée dans toute son ampleur et sa variété.
5L'aide que Pierre Monbeig a apporté à la recherche historique sur l'Amérique latine n'a pas été moins capitale. Semblable orientation a été longtemps mal reconnue dans la structure des institutions scientifiques ; Pierre Monbeig a soutenu avec constance les historiens qui avaient choisi ce champ de recherches. Beaucoup d'entre eux lui doivent d'avoir obtenu des bourses, des crédits de mission pour l'Amérique latine, des subventions exceptionnelles pour l'acquisition de livres et de micro-films. C'est grâce à lui que j'ai pu faire reproduire, à Mexico, un lot très important de micro-films de registres paroissiaux anciens, qui a permis le démarrage des travaux de démographie historique hispano-américaine en France.
6Sans l'appui de Pierre Monbeig, qui les a accueillies dans la collection des Travaux et Mémoires de l'IHEAL ou qui a fait coopérer l'IHEAL à leur publication, plusieurs thèses d'histoire de l'Amérique latine n'auraient pu paraître : ainsi, celles de Charles Minguet sur « Alexandre de Humbold, historien et géographe de l'Amérique espagnlole », d'Andrée Mansuy, « Antonil, Cultura e opulencia do Brasil », édition, traduction et commentaire ; de Luis Gonzales R. Joseph Neumann, « Révoltes des Indiens Tarahumaras, » etc. Rappelons aussi que Pierre Monbeig a encouragé et aidé M. Léon Bourdon et ses étudiants à publier en version intégrale l'ouvrage de Louis François de Tollenare, « Notes dominicales prises pendant un voyage en Portugal et au Brésil en 1817 et 1818 » qui avait fait l'objet d'un séminaire de M. Bourdon à l'IHEAL.
7Enfin, on doit à Pierre Monbeig la fondation des Cahiers des Amériques latines, qui ont permis à de nombreux historiens, confirmés et surtout débutants, de publier les premiers résultats de leurs enquêtes : c'est pour moi un sujet de fierté que d'avoir contribué auprès de lui à la publication des 25 premiers numéros, de 1968 à 1982.
8Pierre Monbeig a bien mérité la gratitude des historiens : c'est ce que l'un d'entre eux a voulu exprimer dans ces quelques lignes.
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