L'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
p. 179-182
Texte intégral
1Nous sommes réunis ce soir ici pour rémémorer et rendre hommage à la personnalité de Monsieur Pierre Monbeig, notre ancien directeur et ami, qui malheureusement nous a quitté pour toujours en septembre 1987.
2Cet hommage a lieu ce soir dans cette salle de l'IHEAL où il a maintes fois tout au long de sa vie participé à d'innombrables colloques, conférences, tables rondes, cours et séminaires, dans lesquels il a manifesté constamment sa connaissance profonde de l'Amérique latine et son amour pour les pays de ce continent qui nous est à tous tellement cher.
3En tant que latino-américain moi-même, je suis très touché d'ouvrir cette séance de souvenir et d'affection. Je me rappelle encore avec beaucoup d'émotion de son accueil fraternel et amical quand, obligé de quitter mon pays, je suis arrivé en France en 1974 : il m'a ouvert les portes de cette maison ou j'ai pu travailler depuis lors.
4Beaucoup d'aspects de la riche personnalité de Monsieur Monbeig et de sa longue carrière de chercheur et de professeur, aussi bien en France qu'au Brésil, pays où il passe de longues années, méritent d'être rappelés. D'autres le feront bien mieux que moi...
5Pour ma part je voudrais ici rappeler l'origine de notre Institut auquel Monsieur Monbeig fut lié depuis très tôt, et je tiens ici à remercier Madame Sarrailh des informations qu'elle nous a apporté pour reconstituer l'origine de l'IHEAL.
6C'est à un hispaniste, Jean Sarrailh, qu'appartint l'initiative de créer un Institut de l'Amérique latine, au sein de l'Université de Paris. Premier Recteur hispanisant placé à la tête de cette Université, il lui revient d'avoir fait reconnaître l'Amérique latine comme un objet d'étude et de recherche autonome, d'avoir prononcé sa majorité et son indépendance universitaires.
7En créant cet Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine, l'Université de Paris -sur le terrain qui était le sien et dans la limite de sa vocation- se faisait l'interprète d'une nécessité historique et accomplissait un grand dessein "conforme aux aspirations du cœur et aux exigences de la réalité contemporaine et de l'histoire". L'émergence des pays d'Amérique latine avait été, on s'en souvient, sanctionnée par l'Unesco, lorsque cette institution décida de tenir en 1947 sa Conférence Générale à Mexico, Conférence à laquelle participèrent, dans la délégation française, les Professeurs Marcel Bataillon, Paul Rivet, et le Recteur Jean Sarrailh, parmi d'autres.
8La rapidité avec laquelle le projet de création de l'Institut d'Amérique Latine prit corps, témoigne de l'enthousiasme qu'il éveilla dans les sphères universitaires et gouvernementales françaises : approuvé à l'unanimité par le Conseil de l'Université de Paris le 11 Février 1952, il le fut, à quelques jours d'intervalle, par le Conseil des Ministres.
9L'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine fut créé par décret du 23 février 1954. Il prit possession des bâtiments construits tout exprès pour le recevoir, le 3 Janvier 1956.
10Le jeune Institut traduisait une volonté originale de regroupement des diverses disciplines et spécialités qui devaient concourir à l'étude de l'Amérique latine, qu'il s'agit de la géographie du continent latino-américain, de son histoire, des civilisations qui se développèrent sur son sol, ou du visage actuel de pays engagés dans un rapide devenir. Rien de ce qui est américain ne devait lui être étranger. Aussi bien avait-il reçu, lorsqu'il fut créé en 1954, le statut d'Institut de l'Université de Paris, relevant scientifiquement des Facultés de Lettres, Sciences, Droit, Pharmacie et Médecine.
11Autre originalité : de même que se côtoieraient les disciplines, on voulut qu'enseignants français et latino-américains puissent participer à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine. Celui-ci fut donc habilité à faire appel, tant à des universitaires et spécialistes français, qu'à des latino-américains.
12Quant aux étudiants latino-américains, il va de soi qu'ils devaient trouver à l'Institut, le lieu d'une connaissance réciproque et d'une réflexion sereine sur les problèmes de leur continent.
13En tout cela l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine innovait. Il innovait aussi en ce que, s'ouvrant aux problèmes du développement de l'Amérique latine, et compte tenu de la part qu'y avait la France, par quelques unes de ses entreprises publiques ou privées, il devait permettre à celles-ci de faire bénéficier l'Université des acquis scientifiques de leurs ingénieurs et représentants en Amérique latine.
14Pluridisciplinarité avant l'heure, collaboration entre savants et spécialistes latino-américains et français, osmose entre le monde de l'Université, de la recherche, et de l'entreprise, étaient autant de traits originaux de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine.
15La création de ce qui devait être dans l'Université de Paris, le lieu moral de l'Amérique latine, lieu d'échanges permanents et de synthèse, fut saluée par l'Amérique latine comme un événement inédit. « La France peut s'enorgueillir d'être jusqu'à présent la seule nation au monde à avoir créé un institut destiné à développer d'efficaces contacts entre les élites des peuples de notre continent, à rendre plus facile et plus féconde la compréhension réciproque des esprits ». Ainsi s'exprimait M. l'Ambassadeur de l'Uruguay, Abelardo Saenz, lors de l'inauguration officielle de l'Institut le 3 Mai 1956.
16Non qu'on ignorât, outre-Atlantique, le travail éminemment utile qu'avait accompli, avec des moyens limités, le Groupement des Universités et Grandes Ecoles de France pour les relations avec l'Amérique latine, d'abord sous l'impulsion d'un l'hispaniste, le Professeur Ernest Martinenche, puis animé par le Professeur Raymond Ronze, ni l'œuvre des grands missionnaires de la pensée scientifique française en Amérique latine, tout spécialement celle du Professeur Georges Dumas, du Professeur Focillon, et de Paul Rivet, créateur de l'américanisme en France.
17Certains savant de l'Amérique latine -comme l'historien mexicain Silvio Zavala, qui devait devenir un des meilleurs amis de cet Institut-souhaitaient même qu'il fût le lieu géométrique, le relais des quelques institutions qui, alors, en Europe s'occupaient d'Amérique latine (Hambourg, pour l'Allemagne, Göteborg, en Suède), dans un esprit, il est vrai, moins ambitieux, et qu'il jouât un rôle centralisateur, à l'échelle de l'Europe, pour la collectte d'information et de documentation.
18L'IHEAL fût inauguré officiellement le 3 mai 1956 par le Président de la République Monsieur René Coty. En 1957, une année plus tard, Monsieur Pierre Monbeig en devint le directeur par accord du Conseil de l'Université de Paris. Il assura cette responsabilité pendant 20 ans jusqu'à sa retraite en 1977.
19En relisant les rapports de ces premières années, qu'il présenta aux différents Conseils d'Administration de l'Institut, on est frappé par la grande variété d'enseignements sur le continent latino-américain que L'IHEAL réalisait sous sa direction.
20En plus du certificat de littérature et civilisation latino-américaine pour la licence ou l'on enseignait la géographie, l'ethnologie, l'histoire de l'art, la littérature et la sociologie, Monsieur Monbeig créa un Centre d'Etudes Politiques, Economiques et Sociales de l'Amérique latine et un Centre d'Etudes Techniques du Milieu Naturel.
21Aux enseignements de l'Institut participèrent à cette époque de la fin des années 50, début des années 60, un grand nombre de spécialistes qui se firent remarquer par leur profonde connaissance des sciences humaines et du milieu naturel de la région, ainsi que de sa littérature. Pour ne citer que quelques uns, je tiens à signaler les cours et séminaires de Pierre Monbeig lui même, de Francis Ruellan, de Pierre Chaunu, de François Chevalier, de Paul Verdevoye, de Roger Bastide, de François Bourricaud, d'Alain Touraine, de Michel Rochefort, de Charles Minguet, de Maria Isaura Pereira de Queiroz, de Celso Furtado, de Gaston Leduc, d'Yves Gibert, d'Olivier Dollfus, de Pablo Trumper et la liste pourrait continuer longuement avec des spécialistes de même qualité
22De plus l'IHEAL, sous la direction de Monsieur Monbeig, accueillait un grand nombre de personnalités de la culture latino-américaine qui dans cette maison firent des conférences, des séminaires ou réalisèrent des activités culturelles diverses. Je cite à titre d'exemple : German Arciniegas, Miguel Angel Asturias, Josué de Castro, Silvio Zavala, Jorge Luis Borges, Alejo Carpentier, Nicolás Guillén et Pablo Neruda.
23Cette maison, sous son impulsion, devient rapidement le grand centre français et européen d'études de recherche et de diffusion de la culture latino-américaine dans ses aspects les plus significatifs. Aux enseignements s'ajoutaient les publications d'une très riche collection des Travaux et Mémoires sur l'Amérique latine. Une revue de sciences sociales et la formation d'une bibliothèque et d'un centre de documentation.
24Mais je ne voudrais pas terminer ces paroles sans témoigner encore une fois de son ouverture et de sa générosité envers ceux qui voulaient faire quelque chose pour améliorer les conditions de vie de nos peuples. J'avais connu Monsieur Monbeig en 1954 au Brésil, à l'occasion d'un colloque organisé à Saõ Paulo pour le Père Lebret sur l'application des idées d'Economie et Humanisme à la réalité de notre région. Je n'avais pas eu l'occasion de le revoir depuis ce moment. Mais fin 1973, quand le militarisme brutal s'acharnait sur mon pays, je fus obligé de me réfugier pendant de nombreux mois dans une Ambassade latino-américaine à Santiago et il me fit savoir que les portes de l'IHEAL étaient ouvertes pour moi quand je pourrais quitter mon pays. Je me rappelerai toujours de son geste car c'est quand ont vit des situations de malheur qu'on découvre ce que peut être la véritable fraternité.
25Je voudrais aussi ajouter qu'en hommage et en souvenir de Monsieur Monbeig notre Institut a décidé d'appeler Bibliothèque Pierre Monbeig notre bibliothèque qui est l'une des plus riches sur l'Amérique latine existant en Europe.
26Ce texte est celuide l'allocution prononcée en janvier 1988 lors d'une cérémonie d'hommage à Pierre Monbeig à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine.
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