Sécheresse du Nordeste. Variation des interprétations et des politiques publiques
p. 399-403
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
Résumé et extraits2
L’optique naturaliste
2Il fallut une hécatombe de la taille de la grande sécheresse de 1877-79 pour déclencher à la fin de l’Empire un mouvement d’études, de débats et de travaux sur les problèmes climatiques du Nordeste.
3L’élan initial fut lancé dès la fin de 1877 par des discussions entre scientifiques et ingénieurs à l’Institut Polytechnique de Rio de Janeiro, suivies par la création d’une « Commission Impériale d’Enquête » chargée d’étudier les moyens d’éviter la répétition de semblables désastres dans le futur. L’institutionalisation, au niveau fédéral, des politiques publiques en faveur de la région allait se traduire par la création, en 1909, de l’Inspection des Travaux Contre les Sécheresses (IOCS) qui allait devenir ensuite l’Inspection Fédérale des Travaux Contre les Sécheresses (IFCOS) et finalement en 1954, le Département National des Travaux Contre les Sécheresses (DNOCS).
4Dès sa création, l’Inspection eut parmi ses premières préoccupations de constituer un fonds documentaire régional. Elle fit des études techniques et scientifiques, établit des cartes et installa des postes météorologiques et hydrologiques. La liste de ses publications dans ses premières années d’existence donne une idée du rôle prédominant qu’y tinrent les naturalistes et les ingénieurs, souvent étrangers. Le souci de bien connaître les données naturelles de la région allait dès lors devenir une constante.
5Avec la création de la SUDENE, en 1960, cela se traduisit par la constitution en son sein d’un Département des Ressources Naturelles auquel on doit l’augmentation, l’approfondissement et la systématisation de ce qui avait fait jusqu’alors. En matière cartographique, il faut surtout mentionner la couverture aérophotogrammétrique et la carte très détaillée au 1/100 000• qui en a été tirée de presque toute la région semi-aride. Les recherches ont porté aussi sur les ressources minérales et pédologiques. En ce qui concerne les ressources en eau, sont particulièrement importantes les recherches hydroclimatiques réalisées à partir d’un réseau de plus de 2 000 postes contrôlés de façon systématique, les recherches hydrogéologiques (la Sudene peut compter pour cela sur une importante aide externe, technique et financière, de la part de l’USAID, de l’Allemagne fédérale, de la France et de l’OEA), les recherches météorologiques (on compte 75 stations intégrées dans le réseau mondial) et les études intégrées du potentiel naturel et des conditions socio-économiques des bassins hydrographiques du Jaguaribe, du São Francisco, des rios Apodi, Acarau, Paraguaçu, Parnaiba, Itapecuru et Mearim.
L’optique du génie civil
6En dehors des questions scientifiques posées par les naturalistes, la perception la plus intuitive et la plus immédiate de la sécheresse vient de ses manifestations physiques les plus évidentes : le manque d’eau pour les usages les plus divers, consommation humaine et animale, cultures. La solution est élémentaire : stockage de l’eau pendant les années normales pour faire face aux années de sécheresse. Comme la prédominance des formations géologiques cristallines écarte la possibilité de réserves souterraines, la lutte contre la sécheresse devait consister à accumuler les eaux superficielles dans les sites appropriés et à construire des barrages sur les fleuves et rivières. Ainsi se dessina la pratique dite « açudagem » où le mot « açude » désigne l’ensemble « barrage et réservoir ».
7Depuis la construction du premier et célèbre « Açude de Quixada », d’une capacité de 128 millions de m3, commencée en 1884, après la sécheresse de 1877-79, plus de mille barrages ont été construits par le DNOCS pour une capacité totale supérieure à 15 milliards de m3, 274 étant de propriété publique et 847, plus petits, de propriété privée pour un total de 1 121 au 31.12.1983. En ajoutant tous les autres, construits à l’initiative d’autres organismes publics, fédéraux et gouvernementaux, ou directement par des particuliers, on arriverait à des dizaines de milliers d’ouvrages disséminés dans le Sertão.
8En réalité, le barrage-réservoir ne se justifie pas seulement en prévision d’une sécheresse périodique, c’est-à-dire pour faire face aux irrégularités interannuelles, mais aussi pour faire face à la saison sèche des années normales. La consommation humaine et animale ne représente que des quantités insignifiantes, comparées aux quantités nécessaires pour l’irrigation. Celle-ci est d’autant plus aléatoire que le réservoir est petit, car l’irrigation durant une saison sèche normale peut entraîner un manque d’eau l’année suivante si c’est une année déficitaire.
9L’habitude généralisée de ne pas utiliser l’eau accumulée afin de la garder comme réserve pour une éventuelle année de sécheresse implique en fait un coût plus élevée que le manque à gagner dû à l’absence d’irrigation. Il s’y ajoute la perte par évaporation, proportionnelle à la surface du plan d’eau. Mais, cela n’explique pas totalement le fait que l’irrigation soit si peu pratiquée. Les risques d’un assèchement total des réservoirs n’existent pas partout car beaucoup ont une capacité suffisante pour supporter une année de sécheresse. De plus, les grandes sécheresses se produisent avec une certaine périodicité (intervalle moyen de 10 ans environ dans la seconde moitié de ce siècle : 1951-53, 1958, 1970, 1979-84). En outre, la sécheresse se définit surtout comme la chute du taux d’humidité minimum du sol nécessaire à la survie des cultures. Cette diminution est généralement davantage fonction de la distribution des pluies que de leur volume. De toutes les façons, même pendant les années de sécheresse, des précipitations concentrées peuvent suffire à remplir à nouveau les réservoirs. Une autre solution, fréquente, consiste à combiner les réservoirs et les puits : les premiers pour l’irrigation, les seconds pour la consommation humaine et animale.
10La faible diffusion de l’irrigation est due en fait largement à la structure agraire en vigueur dans le Nordeste semi-aride où plus des trois quarts de la terre sont accaparés par moins du cinquième des propriétés rurales. Les grands propriétaires qui concentrent la terre sont aussi ceux qui ont le plus de facilités pour construire des réservoirs sur leurs domaines. Comme il s’agit souvent de propriétaires absentéistes surtout intéressés par l’élevage extensif, ils se préoccupent beaucoup plus des réserves d’eau pour la consommation animale que pour l’irrigation.
La sécheresse comme dérèglement écologique
11A partir de la sécheresse de 1958 s’esquisse une autre façon d’appréhender le phénomène, privilégiant la perspective écologique d’ajustement des productions à leur inégale résistance à la pénurie d’eau.
12Des principales activités pratiquées, l’élevage bovin, la culture permanente de coton de type « moco » et les cultures vivrières, ces dernières et particulièrement la culture du maïs sont les plus vulnérables. Il s’agit de cultures annuelles de cycle court qui demandent un minimum de continuité des précipitations sous peine de dépérir et de devoir être replantées aux pluies suivantes, ou survivent dans des conditions précaires et accusent une sérieuse baisse de rendement.
13Le coton de type « moco » est différent. C’est une culture xérophile permanente. En année de sécheresse, la plante adulte peut enfoncer ses racines assez profondément pour compenser partiellement le manque de pluies. Sa production peut être légèrement inférieure à celle d’une année normale, mais la plante survit et les résultats se compensent d’une année sur l’autre.
14L’élevage, enfin, est l’activité la moins vulnérable. Il est plus facile de transporter de l’eau pour faire boire le troupeau que pour irriguer les cultures. Il est également possible de transporter les aliments pour le bétail, ou de faire transhumer le bétail lui-même vers des lieux plus cléments.
15Ces observations ont poussé le GTDN3 à proposer l’implantation de systèmes de la production garantissant le meilleur équilibre face aux irrégularités : « La réorganisation de l’économie de la zone semi-aride du Nordeste implique de la spécialiser dans la culture des plantes xérophiles et dans l’élevage et de réduire le secteur de subsistance ». Ce nouvel équilibre écologique a été effectivement recherché dans la région. Il s’est traduit par l’expansion de l’élevage, surtout bovin, associé à des méthodes plus intensives d’utilisation du sol : clôtures, amélioration génétique des troupeaux, lutte contre les maladies, amélioration des pâturages. Mais ce nouvel équilibre écologique a été recherché aux dépens de l’équilibre social dans la mesure où il provoque des changements significatifs dans les relations de production, entraînant le chômage et la prolétarisation, la limitation des cultures et la hausse des prix des produits végétaux.
16Ces effets, dans la stratégie du GTDN, devaient être compensés par deux lignes d’action complémentaires : la diversification de la zone humide orientale et l’ouverture d’une frontière agricole dans la zone humide occidentale. Ces deux mesures étaient destinées à augmenter l’offre alimentaire et à absorber les excédents de population résultant de la restructuration de l’économie de la zone semi-aride.
17Ces mesures, en même temps qu’elles résolveraient le problème de la sécheresse, devaient contribuer à l’industrialisation, élément structurant du processus de développement préconisé pour le Nordeste. C’est à cette fin qu’a été créée la Surintendance pour le Développement du Nordeste (SUDENE).
18En réalité, à côté du processus d’industrialisation effectivement démarré, aucun mécanisme compensatoire des effets de la spécialisation de la zone semi-aride dans l’élevage n’a vraiment fonctionné : la diversification de la monoculture de la canne à été neutralisée par la résistance des grands propriétaires et par la création ultérieure du Programme National de l’Alcool, l’ouverture de la frontière agricole a été, elle, neutralisée par le processus d’usurpation des terres par les latifondistes et l’occupation extensive du sol par l’élevage pour la viande.
La sécheresse et la fragilité sociale
19Le rapport du GTDN attirait l’attention dès 1959 sur la correspondance existant entre, d’une part les activités pratiquées, et, d’autre part, les relations de production entre propriétaires et travailleurs : « Le propriétaire s’approprie presque totalement le revenu de l’élevage. Ceux qui proviennent du coton de type moco sont presque toujours divisés en parts égales entre le propriétaire et le cultivateur. Pour le travailleur rural, le partage du coton importe moins que l’agriculture de subsistance ». C’est pourquoi : « L’activité la plus importante, du point de vue des tenanciers, est l’agriculture de subsistance, et, du point de vue des propriétaires, l’élevage. »
20Après la sécheresse de 1970, se dessine un nouveau point de vue : on s’intéresse moins aux manifestations sporadiques de la sécheresse et plus à la dimension chronique de la pauvreté que la sécheresse ne fait que dévoiler. Il ne s’agit plus seulement de l’extension territoriale du manque d’eau, ni même de la vulnérabilité des activités pratiquées. Il s’agit de la vulnérabilité de certains acteurs, différenciés justement dans les relations sociales qui président à ces activités... Le plus résistant est évidemment le grand propriétaire qui, avant même d’être confronté à la sécheresse, s’en est prévenu en en transférant le préjudice sur autrui : il supprime simplement les avances aux métayers et n’embauche pas d’ouvriers agricoles, réduisant les travailleurs à l’indigence qui fait d’eux des « sinistrés » de la sécheresse. Entre ces deux extrêmes, la résistance des propriétaires et l’indigence des métayers et des salariés agricoles, les petits producteurs cherchent à survivre sur leurs petites réserves, s’endettent, vendent une partie de leur modeste patrimoine et s’inscrivent aussi comme sinistrés dans les actions de secours improvisées par le gouvernement.
D. Pessoa conclut en observant que la structure foncière très inégalitaire implique que la sécheresse a des effets contrastés en fonction des types d’exploitation. Toute politique de lutte contre la sécheresse ne peut ignorer ces faits, ce qui fait de la réforme agraire le premier pas nécessaire dans une telle politique.
Notes de bas de page
1 Dirceu Pessoa, chercheur dont les travaux ont beaucoup apporté à la connaissance du Nordeste, devait périr tragiquement en 1987 dans un accident d'avion en Amazonie : il accompagnait le ministre de la Réforme Agraire, montrant que chez lui les recherches scientifiques débouchaient sur l'action en faveur des opprimés.
2 Traduction et adaptation en français par Bernard Bret.
3 Groupe de Travail sur le Développement du Nordeste. Commission dirigée par Celso Furtado et qui a constitué la base de la SUDENE (NdT).
Auteur
Fondation J. Nabuco de Recherches Sociales. Recife
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