Systèmes pastoraux et sécheresses
Burkina-Faso-Tchad 1965-1985 (extraits)
p. 309-314
Texte intégral
1Les faits climatiques et l’extension des terroirs paysans réduisent l’espace pastoral alors que celui-ci est sollicité par des éleveurs plus nombreux et des cultivateurs-éleveurs investissant dans le cheptel bovin.
LA REDISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES AIRES PASTORALES
2De 1969 jusqu’à la saison des pluies de 1984, tous les pasteurs eurent à reculer trois fois en latitude leurs systèmes pastoraux.
3Avant 1970, ils demeuraient dans la zone sahélienne la majeure partie de l’année pour n’en sortir qu’avant les pluies ou durant celles-ci. Le premier mouvement, de direction sud, les conduisait à la rencontre des averses estivales. Une fois que les tornades les avaient dépassés suivant la remontée N-E du flux de mousson vers l’intérieur du continent, ils retournaient rapidement vers les marges sahariennes. Ce balancement méridien, par rapport à leurs lieux habituels de stationnement, leur donnait accès aux premiers pâtis méridionaux des savanes soudaniennes et aux « acheb » présahariens qui apparaissent en hivernage. De cette façon, leurs troupeaux profitaient, sur le plan alimentaire, de trois types de pâturages, tout en échappant aux myriades d’insectes nuisibles que les pluies amènent invariablement. Les Myssirés d’Oum-Hadjer, les Arabes Mahamid d’Araba au Tchad ou les Peul Djelgobé ou Gaobé de l’Oudalan, du Séno et du Soum burkinabé illustraient, jusqu’en 1970, ce système pastoral empiétant sur trois zones complémentaires (ici le Sahara — le Sahel et le Soudan). Ce schéma se compliquait régionalement en fonction des disponibilités en eau et en ressources fourragères.
4A partir de l’hivernage 1973, ce modèle se modifia et ne put plus fonctionner. Les confins subarides s’asséchèrent et ne reçurent plus suffisamment d’eau pour que des mares subsistent. Sans ces eaux de surface, les régions dépourvues de puits ne pouvaient plus être exploitées par les campements nomades. Conjointement, les bons pâturages de plantes vivaces disparaissaient en particulier ceux de « had ». Cornulaca monacantha et d’Aristida pungens. Cela fit chuter considérablement aux yeux des éleveurs la valeur de ce domaine : afin de compenser cette perte, tous les pasteurs s’arrangèrent pour passer plus de temps en zone soudanienne parvenant, dès 1977, à y rester plus que dans le Sahel où ils continuaient à être « administrés ». Le cas des Arabes tchadiens de l’Ouest Rimé à Djedda est significatif à cet égard. Ils arrivent dans leur circonscription en juillet lors de la montée vers les oueds septentrionaux, pour la traverser en octobre lors de leur nomadisation de saison sèche. En 1979, la descente des aires pastorales, sur près de 100 km en latitude, se fit par une imbrication plus étroite des parcours pastoraux et des terroirs paysans qui développa d’autres formes de cohabitation et d’élevage qu’imposèrent les nécessités du moment.
5La saison des pluies de 1984 provoqua le même décalage méridional sur plus de 200 à 300 km. Si lors de la sécheresse précédente les propriétaires de bétail abandonnèrent momentanément le Sahel, en 1984-1985 ils l’évacuèrent totalement. Que ce soit au Gourma ou au Yatenga burkinabè ou au Tchad central, les rares personnes restées sur place ne savaient plus ce qu’étaient devenus ceux des leurs qui menaient les troupeaux.
6Les ruptures des liens familiaux prouvent à quel point les circuits et les habitudes sociales furent bouleversées. Dans la recherche des solutions de sauvegarde du capital cheptel, très peu de tentatives de groupe furent élaborées. L’individualisme fut de règle et des pasteurs d’un même campement expérimentèrent des parcours différents. Malgré tout, au total, il n’y avait guère que deux choix possibles : soit atteindre un domaine plus humide comme les bords d’un lac, les vallées des fleuves allogènes ou les versants montagneux, soit s’enfoncer dans les pays sédentaires en évitant les terroirs massifs pour se glisser dans le maillage plus lâche des régions moins densément cultivées. La proximité de l’eau permanente, surtout en période de sécheresse, procure des pâtis verts de décrue, inespérés mais fatals à cause des diarrhées qu’ils provoquent chez des animaux affaiblis. En revanche, les brousses des pays agricoles fournissent du fourrage aérien et des tiges de céréales séchées convenant mieux aux troupeaux sous-alimentés. Cette option a l’inconvénient de ne pouvoir être prise que par les petits groupes ayant quarante têtes de bétail au maximum car, au-delà, l’élagage, très éreintant, n’est plus concevable. Les éleveurs du Baguirmi et du sud Batha au Tchad ou ceux du Goulbi et de la Sirba au Burkina-Faso prirent de pareilles options. Les nomades plus mobiles et possédant plus de cheptel choisirent d’une manière générale l’autre solution. Tel fut le cas des Peul de la vallée du Niger, vers Asongo ; des Krédas et des Kécherdas du Bahr-El-Ghazal au N.E. du lac Tchad.
7Il est nécessaire de préciser, et c’est une des caractéristiques de ce raménagement spatial au niveau du Sahel, qu’aucune considération de proximité géographique ou d’accessibilité immédiate ne joua. En mars 1985 au Tchad, en recensant les éleveurs sahéliens qui s’approvisionnaient dans les centres de secours échelonnés le long du 13ème parallèle, nous en trouvions venant de toutes les régions. A AbGourda se présentaient des gens du sud Kanem et inversement. Ces chasses-croisés sans raison apparente déroutent assez. Nous l’attribuons à l’ambiance de semi-panique générale qui régna. Ceci est important. Organismes d’aide internationale et pouvoirs étatiques n’interviennent qu’après coup, lorsque l’afflux de réfugiés et les pertes animales deviennent trop visibles. Mais, au moment où les problèmes se posent, alors qu’il faut que les gens choisissent de rester dans le dénuement le plus total, ou de partir pour des régions supposées plus viables, à ce moment critique, il n’existe aucune structure de prévention contre les calamités naturelles. Il y a là une mauvaise répartition des efforts quand on assiste à la quasi-concurrence des formes d’aide entre elles a posteriori.
LES BOULEVERSEMENTS PROFONDS ENTRAINES PAR LES CRISES SECHES
8D’une part, nous n’aborderons pas volontairement les conséquences directes des sécheresses successives telles que les pertes en bétail, le nombre de réfugiés, l’importance des groupes sédentarisés que nous considérons comme des faits graves certes, mais accidentels. D’autre part, ce paragraphe insistera surtout sur les perspectives qui s’offrent aux pasteurs sahéliens, propulsés hors de leur domaine.
9En premier lieu, le problème qui se pose avec le plus d’acuité est l’avenir du cheptel sahélien. Il est en effet inconcevable, eu égard aux investissements mobilisés, de voir fondre régulièrement les effectifs nationaux. Il y a des choix délicats à opérer, mais lesquels ? Faut-il aménager l’ex-Sahel en fonction des manques pluviométriques qu’il a enregistrés ? Ou bien faut-il rationaliser et coordonner l’intrusion systématique des nomades en zone soudanienne à laquelle nous assistons. Est-il envisageable de fixer des seuils au-delà desquels fonctionneraient les mécanismes d’aide ou mieux de prévention ? En regardant l’ampleur des phénomènes, la tâche n’est pas aisée. Les Arabes Myssiriés du Tchad central passèrent en République Centrafricaine avec leurs troupeaux. Au Burkina Faso des éleveurs peul de la région de Markoye allèrent jusqu’à Atakpamé dans le centre Togo. Il s’agit là de cas extrèmes, mais la moyenne des migrations dépasse pour les deux pays considérés, 180 km. Au total, le simple schéma d’une zone sahélienne ou nord sahélienne rassemblant les activités pastorales et d’une zone sud sahélienne concentrant l’élevage du zébu et la culture du mil, ne convient plus. Depuis 1970, l’élevage et l’agriculture ont été amenés à cohabiter de plus en plus étroitement et donc à se concurrencer.
10Des heurts et des conflits naissent de cette situation. Dans l’état actuel des législations, aucune amélioration n’est envisageable. En effet, rien dans les droits coutumiers des communautés villageoises ne prévoit les formes de cohabitation que suppose le stationnement prolongé des campements d’éleveurs, très différents par nature des contrats de fumure ou de transport qui se nouaient annuellement entre un agriculteur et un pasteur bien déterminés. L’inverse est tout aussi réel. Cette lacune des règles coutumières laisse le champ libre aux initiatives locales, chaque groupe cherchant à assurer l’intégrité de l’espace qu’il pense pouvoir accaparer. Dans le sud du Gourma burkinabé, au voisinage du massif du Gobnangou, plusieurs villages relient leurs champs par de minces bandes cultivées qui rendent les terroirs plus massifs et interdisent le passage du bétail. Plus au nord dans la vallée de la Fagba, les cultures de bas-fonds sont disposées de telle sorte qu’elles constituent des barrages infranchissables aux mouvements pastoraux méridiens. De la même façon, les agriculteurs excellent à compliquer l’accès des points d’eau fixes en formant de véritables labyrinthes de parcelles irriguées.
11Ces attitudes cherchent à lutter contre une tendance nouvelle qui apparaît chez les possesseurs de bétail. C’est la volonté de trouver au sud, des pâturages libres, ce que les Peul du Burkina appellent chercher « la tête de l’herbe ». Certains pensent l’avoir trouvée dans les régions libérées des glossines par la lutte contre les trypanosomiases animales et l’onchocercose humaine. En pratique, depuis une dizaine d’années, la zone soudanienne comprise entre les 11ème et 8ème parallèles s’est ouverte aux fronts de colonisation agricoles et aux parcours pastoraux. Ces derniers s’y sont progressivement enfoncés depuis les années 69-73 et l’ont parfaitement reconnue ; les éleveurs savent maintenant par expérience qu’en allant y pâturer, ils ne risquent plus d’avoir des taux de mortalité élevés. Cette bande de terres méridionales apparut, pour de nombreux pasteurs dès 1982, comme un pays à conquérir. La sécheresse de 1984 fut presque une occasion. Au Burkina, ils cherchèrent à l’atteindre selon deux voies. A l’Ouest en s’appuyant sur l’axe de la falaise de Banfora et à l’Est en suivant dans un premier temps un axe Dori-Kaya, puis la vallée de la Volta Blanche afin de gagner les grandes rivières de l’Oti et de la Pendjari du nord Ghana et du Togo. Dans le bassin tchadien, un pôle et deux grands axes attirèrent tous les déplacements. Le Lac Tchad transformé en une immense bourgoutière de 25 000 km2 fut le point d’attraction par excellence où en fin de compte beaucoup d’animaux à bout de force s’embourbèrent. En revanche, la voie occidentale piquant vers le bassin de la Benoué paraît avoir sauvé l’essentiel du bétail qui l’utilisa. Moins suivi, parce que deux fois plus long, le trajet vers le versant centrafricain était encore plus sûr. Il ne fut emprunté que par les éleveurs les plus avertis et les plus mobiles. La sécheresse de 1984 marque donc le début d’un vaste glissement au sud de l’ancienne mobilité sahélienne.
12En se déplaçant sur de tels espaces, les systèmes pastoraux sahéliens risquent d’être confrontés à un contexte épidémiologique plus virulent, ravivé par les récents brassages des foyers endémiques originaires de plusieurs pays. Ainsi entre Tindangou et le poste d’Arly en janvier 1985 passaient des troupeaux en provenance du Niger, du Centre du Burkina et même du Mali oriental. Quand on sait que la réapparition de la peste bovine avait nécessité en 1981 une campagne d’urgence pour toute l’Afrique de l’Ouest, il est inquiétant de constater l’ampleur atteinte par ces migrations et les risques sanitaires qui existent.
CONCLUSION
13Comme il serait imprudent dans l’état actuel des connaissances de donner une date probable d’extinction de la phase d’aridification, il faut convenir que les deux dernières périodes de sécheresse ont montré qu’entre le 17e et le 11e de latitude nord existe une zone soudano-sahélienne à hauts risques climatiques. Les systèmes pastoraux de l’ex-zone sahélienne l’ont parfaitement reconnue même s’ils ne l’ont pas encore entièrement occupée.
14Il nous paraît urgent et indispensable de chercher à cerner les seuils optima d’exploitation des ressources pastorales et agricoles de ces régions. Et ce, d’autant plus que l’environnement évolue. Méconnaître cette recherche revient à laisser les crises climatiques écrémer les surplus de cheptel — voire d’hommes —, à accepter que le hasard joue un rôle important dans les mécanismes naturels compensateurs comme aux temps où les sécheresses et les endémies s’exerçant sans entrave technologique moderne, maintenaient ces contrées sous humaines.
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BIBLIOGRAPHIE
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Auteur
Université de Ouagadoudou
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