La cohabitation de l’homme avec la sécheresse dans le Nordeste brésilien (extraits)
p. 303-307
Texte intégral
1Il s’agit d’utiliser de façon cohérente et rationnelle toutes les potentialités du milieu, au niveau de la petite exploitation du semi-aride. Une connaissance de l’environnement physique et socio-économique est donc le préalable indispensable à toute interventiuon, sans omettre le cadre historique, politique, structurel qui caractérise l’actuel état de dénuement dans lequel on trouve la région.
2Faut-il déplacer une partie de cette population vers des régions plus propices, parce que les potentialités ne sont pas suffisantes sur place ? La question a été posée il y a une quinzaine d’années ; l’émigration qui a suivi n’a pas été une réussite.
3Faut-il irriguer à tout prix ? Les nouveaux objectifs affichés font largement appel à l’irrigation, comme moteur du développement régional. Ou doit-on considérer une intervention aussi massive comme une tentative d’artificialisation vouée à l’échec ?
4Les questions sont plus nombreuses que les réponses. La réflexion proposée porte sur les solutions technologiques et les outils méthodologiques voire institutionnels pouvant doter les populations nordes-tines de moyens et de structures durables pour lutter contre les aléas climatiques ou mieux, cohabiter avec le plus déstabilisateur d’entre eux, la sécheresse.
L’utilisation des ressources en eau
5L’eau est évidemment le facteur physique le plus influent sur les conditions de vie des nordestins, notamment sur la régularité de la production agricole. L’eau est un produit qui, sans être rare dans le Nordeste semi-aride, se trouve en quantité limitée. Son utilisation doit être optimisée.
- l’approvisionnement des populations et des animaux est la première priorité. L’aménagement de citernes rurales adaptées aux conditions d’habitat, utilisant les toitures ou des aires de captation, est une intervention bien connue maintenant et certains programmes ambitieux ont déjà démarré (État du Sergipe, par exemple). L’amélioration des points d’eau pour le bétail est par contre beaucoup moins développée ; elle permettrait pourtant une meilleure utilisation de ces ressources.
- l’utilisation de l’eau pour l’agriculture irriguée est la deuxième priorité. Même si la région n’a ni passé ni expérience dans ce domaine, ce n’est pas artificialiser le milieu que de profiter des ressources disponibles ; encore faut-il le faire de manière compatible avec les limitations en volume et en qualité. Il est évident que l’emploi, en dehors des zones plus favorables comme la vallée du Sao Francisco, de méthodes d’irrigation gravitaire à faible efficience (inondation ou à la raie) qui ont été les premières préconisées dans la région et sont encore très nettement majoritaires, n’est pas la meilleure solution pour économiser l’eau.
6Compte tenu des limitations, il y a plusieurs degrés dans les formules utilisées.
- Dans les cas les plus démunis, toutes les techniques de captation de l’eau « in situ » et de couverture du sol pour limiter les effets de l’évaporation sont les seules possibles. Le Centre de Recherches Agronomiques du Tropique Semi-Aride, de Petrolina (Pernambuco), a mis au point un certain nombre de procédés. Le paillage à l’aide de résidus de culture, de désherbage manuel ou de matériaux prélevés sur les végétaux natifs (feuilles de palmiers Carnauba), est employé avec succès.
- L’irrigation de sauvetage est une solution déjà largement diffusée par les services de vulgarisation. Il s’agit, à partir de très petites retenues collinaires drainant quelques hectares, de disposer d’un volume d’eau qui en une, deux ou trois applications permettra de boucler le cycle végétatif de cultures annuelles normalement conduites en régime pluvial.
- L’irrigation de cultures à cycle plus long, semi-pérennes ou pérennes nécessite la présence d’une source d’eau pérennisée : puits, cours d’eau permanent ou grande retenue. Bien entendu, le débit ou volume disponible va déterminer le mode d’irrigation.
7Une situation commune dans le Nordeste cristallin est l’éparpillement de puits dans les alluvions des cours d’eau à sec. Les débits sont faibles, de l’ordre de 2 à 10 m3/h. Seules les technologies d’irrigation localisée permettent d’optimiser l’utilisation de ces ressources limitées. Dans certains cas même, elles sont les seules possibles ; avec un débit de 2 000 1/h on pratique l’irrigation localisée ou on n’irrigue pas du tout. Plusieurs techniques sont proposées dans la région avec de bons résultats ; il s’agit du goutte à goutte, rampes perforées ou micro-cuvettes. D’autres systèmes d’irrigation localisée employant des procédés artisanaux ont été mis au point pour de petites surfaces à partir de pots d’argile et de capsules poreuses, mais ils ne connaissent aucune diffusion.
8Par contre, lorsque le volume disponible augmente (cours d’eau pérenne, nappes aquifères importantes, grands barrages) d’autres méthodes plus conventionnelles peuvent être utilisées mais l’efficience à la parcelle ne doit pas être négligée aux dépens d’une simplification exagérée.
9Le stockage de l’eau reste un problème majeur. Étant données les caractéristiques climatiques, la petite retenue collinaire ne permet pas d’assurer la marge de sécurité nécessaire aux cultures permanentes. L’optimisation de l’utilisation de petits açudes pour l’irrigation rend pratiquement obligatoire le choix de cultures annuelles et le rejet de cultures pluriannuelles trop exposées à un risque d’assèchement de la retenue.
10C’est pourquoi la conduite rationnelle des nappes phréatiques superficielles au moyen de puits peu profonds pourrait permettre d’intensifier la mise en valeur agricole de ces zones d’alluvions récentes qui représentent approximativement 35 000 km2 dans le semi-aride nordes-tin. Ce réflexe de petite irrigation diffuse est déjà largement adopté dans la région et contribue de façon très significative au développement de l’agriculture irriguée.
11— La pisciculture, source de protéines nobles, est une alternative facilement associée à la présence d’açudes et connaît un succès considérable. La constitution d’une activité piscicole à l’échelle de la petite exploitation, par la création de petits étangs et la constitution d’un petit élevage (porcs, canards), a été également envisagée dans certains cas.
L’agriculture pluviale
12En n’oubliant pas que le système de production traditionnel dans la zone repose sur le maïs, le haricot et le coton, il est également possible de développer une agriculture pluviale plus productive. L’association des cultures, déjà largement connue (maïs, coton-cactus inerme...) permet une meilleure utilisation dans le temps et dans l’espace des facteurs de développement des plantes (eau, lumière, minéraux), une meilleure répartition de l’emploi de la main d’oeuvre et une résistance plus grande en face du risque climatique. La recherche de cultures à cycle court, en particulier pour le haricot, peut être une excellente manière de profiter de pluies mal réparties.
Les cultures résistantes à la sécheresse
13Certaines ont eu leur heure de gloire, comme le sisal et le ricin. Actuellement, outre le cactus inerme déjà cité, qui a été la providence du bétail lors de la dernière sécheresse, d’autres végétaux à fourrage (Prosopis, Leucena) ou à grains (sorgho) commencent à connaître un certain succès. La liste des plantes xérophiles natives ou d’espèces introduites est longue et certaines d’entre elles sont expérimentées (Jojoba, guayule, mil...)
Les petits élevages
14L’élevage bovin tel qu’il est pratiqué est très peu productif car il utilise la caatinga comme parcours naturel (une vache pour 20 ou 30 ha). Son amélioration ne peut passer que par une meilleure alimentation à partir de fourrages irrigués. Au contraire, caprins et ovins sont beaucoup mieux adaptés. Là aussi, l’introduction de fourrages natifs ou exotiques, arbustifs ou herbacés peut devenir un atout considérable.
15L’amélioration génétique par croisement avec des races plus productives est une intervention actuellement développée, surtout chez les caprins.
L’apiculture
16Cette activité mérite une mention spéciale. Traditionnellement pratiquée de façon prédatrice, l’apiculture a un grand potentiel dans la région. Pouvant être considérée comme un revenu complémentaire dans l’exploitation, demandant peu de main d’oeuvre, l’introduction de ruches modernes connaît en ce moment un développement intéressant et se traduit par une excellente rentabilité.
Les alternatives énergétiques
17L’électrification rurale est peu développée dans le Nordeste et de toutes façons sera toujours limitée par les dimensions de la région. Les filières énergétiques non conventionnelles sont donc expérimentées.
18Les biodigesteurs (gaz de fumier) sont déjà utilisés dans la zone pour un usage domestique (éclairage et gaz de cuisine). Lorsque se pose un problème d’exhaure de l’eau pour l’irrigation, les premiers essais avec les biodigesteurs et les gazogènes (charbon végétal) laissent apparaître de nombreux problèmes pour les faibles puissances. En revanche, l’utilisation de cellules photovoltaïques alimentant un moteur à courant continu est très prometteuse et tout à fait adaptée à la petite irrigation diffuse. Une dizaine d’unités démonstratives existent dans le Nordeste et présentent des résultats techniques spectaculaires. Le coût de l’énergie produite par les panneaux photovoltaïques est prohibitif, mais l’on peut espérer une baisse substantielle du prix de ces équipements, si un marché s’ouvre dans cette région parmi les plus ensoleillées du globe.
19L’énergie éolienne est fréquemment utilisée pour l’approvisionnement des populations et du bétail. Des recherches sont entreprises pour l’implantation d’éoliennes, alimentant un système d’irrigation.
L’intégration des activités productives dans un système de production compatible avec la sécheresse
20Les quelques exemples donnés ne sont qu’un échantillon des solutions envisageables. Bien connaître l’exploitation, en analyser toutes les composantes et considérer l’ensemble comme un tout où les interactions sont nombreuses, tirer le meilleur parti de toutes les potentialités et construire un système de production cohérent : tout cela doit contribuer à raisonner en termes de cohabitation avec la sécheresse.
21Il y a dans le Nordeste des structures de recherche (EMBRAPA, Universités...), des structures d’assistances technique et de vulgarisation (EMBRATER), une structure de planification et de coordination (SUDENE). Un certain nombre d’outils méthodologiques doivent permettre d’aborder les problèmes sous l’angle de l’intégration de toutes les activités dans le système de production que représente la petite exploitation.
22Le concept de diffusion contrôlée peut être une manière originale et efficace de relier les résultats de la recherche à leur utilisation par les producteurs. Il s’agit d’une démarche de recherche-développement basée sur l’expérimentation en milieu contrôlé de technologies, de comportements, de systèmes de production issus de la recherche, introduits dans un milieu réel. Le milieu contrôlé, ou unité d’observation, est constitué d’une exploitation réceptive et représentative, soigneusement sélectionnée et disposant d’un environnement technique relativement lourd. Il s’agit d’observer le comportement de l’innovation, de l’adapter grâce à un va-et-vient entre cette exploitation et la recherche et enfin de remettre aux structures de vulgarisation un produit réellement approprié parce qu’il a fait ses preuves à la fois techniques et économiques, dans les conditions mêmes de son utilisation souhaitée, par les utilisateurs potentiels.
23Ensuite c’est l’affaire de la diffusion ample, à grande échelle...
Auteur
Sudene
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992