Stratégies pastorales et logiques d’intervention face à la sécheresse (Mali) (extraits)
p. 289-293
Texte intégral
1Mon propos ici n’est pas d’élaborer un plan d’action précis, mais seulement d’esquisser un premier débroussaillage dans la problématique d’approche des zones les plus affectées par la sécheresse. Pour cela, je commencerai par un repérage des solutions qui me paraissent erronées, du moins très nettement insuffisantes, avant d’identifier quelques-unes des conditions dont la mise en œuvre devrait favoriser, mieux que par le passé, une conjonction des logiques d’intervention avec les stratégies paysannes en cours.
Trois « solutions mirages » en zone pastorale
2Le premier mirage consiste à croire qu’un retour pur et simple à l’ancien système d’élevage est la solution la plus appropriée. Pendant des années, beaucoup d’experts n’ont cessé de montrer le bien-fondé de la transhumance, de la distinction entre pâturages de saison sèche et pâturages de saison de pluies..., en un mot la rationalité du système pastoral, mais cela n’a pas empêché sa dégradation. Si effectivement pendant des siècles, il a permis à de nombreuses sociétés de subvenir à leurs propres besoins, aujourd’hui du fait de changements considérables dans l’environnement économique, politique et culturel, ce n’est plus le cas : non seulement il a atteint ses limites mais il ne parvient plus à assurer la simple reproduction physique et sociale de ses membres. Entre autres éléments, de nouveaux types de conduite des troupeaux, introduits de l’extérieur, à partir des villes notamment, viennent perturber les données qualitatives et quantitatives de la charge animale dans un contexte de réduction des espaces pâturables et des ressources naturelles.
3Il faut donc tirer les conclusions d’un tel constat. Prendre des leçons dans le fonctionnement de l’ancien système ? Oui, certes ! C’est même indispensable. Mais chercher à le restaurer comme tel, c’est non seulement inutile, mais impossible. Les premiers à le confirmer sont les éleveurs coutumiers eux-mêmes devenus parfaitement conscients de la nécessité de prendre de nouveaux virages. Nous sommes donc à un moment crucial où des choix d’orientation s’imposent. Ce qui est à construire n’est rien moins que de nouveaux systèmes de production viables alors que les anciens s’effondrent.
4Les logiques d’intervention qui animent la conception et la réalisation des projets ne devraient donc plus être vécues en termes de simple amélioration mais de recherche de nouveaux modèles adaptés et viables.
5Le deuxième mirage est celui de la sédentarisation considérée comme un but en soi. Beaucoup, y compris certains responsables locaux, ont cru énormément à un moment aux vertus de celle-ci et à ce qui a été appelé « le choc psychologique du banco ». Nombreux sont ceux qui y ont vu une manière de s’inscrire durablement dans l’occupation d’un espace donné et un moyen d’intégration supplémentaire devant en principe faciliter les circuits de ravitaillement et de communication avec les centres urbains. Plus rares étaient les cas où la sédentarisation se présentait comme un élément de la modification du système de production.
6En définitive, la sédentarisation peut signifier une adaptation par le bas à une situation d’appauvrissement et de dépendance vis-à-vis des circuits de l’aide alimentaire : on se fixe pour être approvisionné plus facilement. Elle peut représenter, à l’inverse, une adaptation par le haut si elle est associée à une ferme détermination dans la recherche d’une véritable assise économique, incluant nécessairement une composante productive.
7Autrement dit, si elle est un objectif en soi, la sédentarisation risque fort de constituer une nouvelle illusion et de rendre les intéressés encore plus dépendants. De plus, réalisée comme un simple point de chute ou de sauvetage, elle ne peut qu’entraîner un renforcement de l’attitude prédatoire vis-à-vis de la nature et une dégradation accélérée des écosystèmes avoisinants. Considérée, au contraire, comme un point de départ à l’intérieur d’une nouvelle dynamique incluant la dimension productive, elle peut déboucher sur des expérimentations techniques et sociales originales porteuses d’avenir prenant en compte la nécessité absolue de préserver les potentialités d’écosystème réputés fragiles.
8Et c’est ici qu’apparaît le troisième mirage avec une agriculture conque soudainement comme le seul remède à la crise des sociétés pastorales. Il ne s’agit aucunement de condamner tout passage à l’agriculture, mais de rappeler que celui-ci, quand il a lieu, doit s’efforcer de limiter au maximum les dégâts écologiques tels une mise en culture inconsidérée des zones encore boisées avec les risques bien connus d’ensablement et de non renouvellement des nappes. C’est ici le rôle des intervenants extérieurs d’aider à une prise de conscience globale des dangers, notamment dans le domaine du respect des lois de préservation de l’équilibre naturel. Il est fallacieux, entre autres, de laisser croire que n’importe quoi est possible dans ces zones : l’avenir ne peut y être raisonnablement assuré qu’à l’intérieur d’une conscience vive des limites et des marges d’action elles-mêmes fluctuantes.
9En outre, il convient de préciser qu’à l’exception peut-être de quelques rares sites particulièrement propices, il est fort peu probable que l’agriculture à elle seule parvienne à nourrir des familles entières sur un cycle annuel. Dans la grande majorité des cas, c’est seulement à travers une diversification, et donc une complémentarité des activités et des sources de revenus que l’avenir peut être assuré. C’est dans ce sens d’ailleurs, ces dernières années, que s’orientent de plus en plus les stratégies familiales de la zone pastorale. Il reste cependant à renforcer très nettement la conscience écologique à l’intérieur de ces nouvelles entreprises plurifonctionnelles.
10La mise en évidence de quelques impasses qui guettent à la fois les pratiques spontanées et les politiques des appareils d’appui devrait nous aider à repérer les conditions minimales à réunir pour que les interventions valorisent au mieux les initiatives paysannes dans le sens d’une « sécurisation reproductible » de systèmes de production dorénavent plus complexes que par le passé. Tirant en effet les leçons des diverses périodes d’une expérience comme celle des coopératives du Nord-Est malien, on peut affirmer que les opérations de développement réussissent d’autant mieux qu’elles sont capables de « coller » aux stratégies mises en œuvre par le monde rural sans qu’il y ait d’ailleurs nécessairement confusion entre elles.
Les conditions de nouveaux progrès
11Face à un tel enjeu, voici donc quelques-unes des conditions, à mon sens, pour que les interventions aient désormais quelque chance d’appuyer les pratiques spontanées à évoluer dans la direction d’une véritable « sécurisation-développement ».
12D’abord mieux comprendre les stratégies paysannes en devenir. Pour cela, il est indispensable d’identifier les innovations en cours et les points de vue des diverses catégories sociales (celles-ci étant déterminées par des critères de contrôle ou non des rares surplus, de participation ou non aux prises de décision, d’âge et de sexe). Il importe en effet que les intervenants extérieurs (chercheurs, praticiens divers...) aient pleinement conscience de la manière dont les divers types de ruraux se situent par rapport à l’évolution actuelle. Un tel travail d’analyse ne signifie pas nécessairement que le projet aura à recopier purement et simplement, en l’amplifiant, ce qui se fait déjà, mais que son exécution ira de pair avec une connaissance vive des pratiques réelles et de leurs justifications.
13Il est possible ici, je crois, de rapprocher les notions voisines mais non identiques de stratégies paysannes et de besoins paysans. La prise en compte de l’une et de l’autre, mais aussi l’analyse critique de leur caractère « naturel » ou « spontané » sont des étapes incontournables dans la définition et la poursuite des objectifs des projets, tant il est vrai que ces derniers pour réussir ne peuvent se passer d’associer les ruraux à l’étude-action de leurs propres problèmes et insuffisances. C’est ce qu’on peut appeler l’introduction de la conscience critique dans le processus du développement lui-même, laquelle porte sur les défaillances théoriques et pratiques des différents acteurs en présence : les gens dits à développer mais aussi les développeurs eux-mêmes.
14Mais pour faire la critique et le dépassement, encore faut-il connaître avec finesse ce qui est à critiquer et à dépasser !
15Analyse des stratégies paysannes mais aussi des logiques d’intervention. La crise exerce elle-même une puissance véritablement iconoclaste vis-à-vis des modèles, de leurs soubassements conceptuels et de leurs méthodes d’élaboration. Elle nous convie, chercheurs et praticiens, à revoir sans cesse notre propre apprentissage de la réalité et les discordances fréquentes entre les discours et les faits, les théories et leurs applications.
16Le défi à relever est spécialement redoutable dans les anciennes zones pastorales où la recherche en sciences sociales et disciplines techniques (zootechnie, hydrogéologie, agronomie, etc..) reste des plus ténues, Reconnaisons que ces zones aujourd’hui les plus touchées par la sécheresse sont parmi celles qui restent le plus en marge des processus de recherche. Aussi comprend-on mieux la pauvreté des alternatives offertes. L’histoire du développement de ces régions se réduit souvent à des programmes d’hydraulique et de vaccination des bovins. Cette espèce animale aujourd’hui la plus sensible aux aléas pluviométriques est hélas la seule à avoir fait l’objet d’une attention particulière des services vétérinaires.
17Désormais la mise en place de dispositifs de recherche et d’expérimentation prenant en charge les composantes à la fois sociales et techniques en vue du montage de systèmes de production mieux sécurisés est devenue une nécessité. Leur déploiement, en milieu réel, au contact étroit avec les initiatives paysannes, apparaît comme le chemin le plus court et au moindre coût, en vue de déterminer les techniques et les formes d’organisation les plus porteuses d’avnir.
18Précisons bien que ce qui est à tester, ce ne sont pas seulement des techniques plus ou moins connues déjà des ruraux, mais aussi les modes d’organisation et de diffusion sociales de ces mêmes techniques. Ici encore l’expérience de la relance coopérative dans le Nord-Est malien, si limitée soit-elle, nous montre l’obligation d’une expérimentation, soutenue dans la durée, de formes d’organisation économiquement et techniquement viables capables d’intégrer la dimension écologique, aptes à acquérir une certaine autonomie de gestion, au profit du nombre le plus élargi possible des membres. Ainsi, loin des schémas classiques des coopératives occidentales, c’est à la consolidation de nouvelles formes de solidarité capables d’encadrer au mieux le changement technique et les tentatives de sécurisation économique que nous sommes tous conviés.
19Enfin, l’expérience démontre que les zones pastorales et agro-pastorales souffrent d’un manque flagrant de responsabilisation foncière des usagers. Pendant toute une phase historique, la propriété décrétée publique par l’Etat a fonctionné principalement comme un outil de sape des anciens droits des collectivités locales au profit non pas d’une véritable planification de l’usage des terres à pâture et des terres à culture, mais plutôt de mécanismes d’appropriation privative, laquelle demeure par ailleurs bien souvent des plus aléatoires. L’ensemble finit par créer un réel effet de confusion propice à la déresponsabilisation, à la déforestation abusive, au surpâturage, à la surexploitation de l’écosystème. Lorsque l’agriculture est présente, une telle incertitude en matière de foncier favorise nécessairement les stratégies consommatrices d’espace et résolvant leurs problèmes de fertilité des sols essentiellement par l’extension des surfaces.
20La question foncière, sous des formes assez différentes d’autres régions d’Afrique ou d’Amérique Latine, est donc au cœur des solutions à venir pour ces zones du Sahel particulièrement affectées par la sécheresse. La crise y est avant tout foncière. On est en droit de parier qu’il n’y aura pas de progrès, ni donc de sécurisation, à plus forte raison d’intensification tant qu’une clarification et une responsabilisation véritables à la fois des États, des collectivités et des individus n’y sera pas opérée dans les terres juridiques, mais surtout dans les faits.
21Telles sont quelques-unes des pistes sur lesquelles la recherche en développement devrait se pencher de façon que, tant qu’il est encore temps, d’immenses étendues jusqu’ici valorisée grâce à une capacité extraordinaire des hommes à s’adapter à un environnement des plus hostiles puissent résister à l’avancée du désert.
Auteur
IRAM
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