Mobilité des populations sahéliennes durant la sécheresse aggravée de 1984
Autour du plateau de Koutous, département de Zinder, Niger
p. 277-285
Texte intégral
LE DEPARTEMENT DE ZINDER AU NIGER

SUD DU DÉPARTEMENT DE ZINDER. RELIEF. PLUVIOMÉTRIE 1985

MOBILITÉ CONJONCTURELLE
1Les mouvements massifs enregistrés pendant l’année 1984 sont très immédiatement des mouvements de secours. Les pasteurs et éleveurs ont entamé une transhumance exceptionnelle dès le mois d’août après avoir déstocké en mai-juin, à une période inhabituelle de l’année. Les départs des paysans ont été plus tardifs, septembre, après la Pâque musulmane. Pour eux, l’exode est le résultat du constat de sécheresse, la conséquence d’une récolte nulle, une fuite devant le spectre de la faim. Chez les pasteurs, c’est l’aboutissement d’une série d’années mauvaises ; leur migration commence avant que le constat de sécheresse ait pu être véritablement dressé, c’est une anticipation, la recherche, au sud, des pâturages d’hivernage qui y sont plus précoces, en l’absence de réserves sèches dans la zone pastorale habituellement parcourue.
2Conjoncturels, ces déplacements apparaissent clairement tels par les retours des paysans et des pasteurs vers leur lieu d’origine. Après enquête à Kellé et Kazoé, les deux chefs-lieux de canton de la région du Koutous, principaux refuges ayant reçu respectivement 300 et 1 500 personnes, il n’en reste après l’hivernage 1985, que 36 et 105. A Kellé, aucune des familles encore présentes un an après n’a l’intention de s’installer. A Kazoé 16 sur 291. Chez les nomades, les retours sont plus difficiles à évaluer. Hommes et troupeaux rejoignent indéniablement leur base —observation de mouvements en novembre-décembre 1985, retour du chef Touareg au forage majeur de Tejira qui avait été presque totalement abandonné— mais progressent lentement à travers la zone sédentaire en utilisant toutes les ressources disponibles —chaumes consommés en pâturage— pour ménager celles de la zone pastorale.
3Globalement, les mouvements observés suivent un balancement zonal nord-sud pendant l’année de sécheresse et sud-nord après le bon hivernage 1985. Il ne faut pourtant pas les interpréter comme des déplacements frontaux car cela ne rendrait pas compte du fonctionnement de l’espace régional.
LES FILIERES DE LA MOBILITÉ
4Outre la distinction entre la mobilité paysanne et la mobilité pastorale, il nous faut reconnaître les filières établies sur la base de la solidarité parentale, « traditionnelle », et les filières de solidarité géographique liées au « fonctionnement » de l’espace.
5En septembre 1984, 300 réfugiés arrivent groupés à Kellé, ce sont les habitants de Giom et Guiskill, deux villages situés au nord du Koutous, à une cinquantaine de kilomètres par la piste centrale qui traverse le plateau. Kellé, Giom, Guiskill sont fortement liés par l’histoire, ce sont les villages actuels qui sont dépositaires des deux sites de fondation de groupe ethnique Draga autour du Koutous. Alors que les liens lignagers n’existent plus pour cause d’islamisation précoce ( ?), la solidarité de filiation est suffisamment vivace pour fonctionner encore. Maisons et champs ont été prêtés, on s’est serré. Ce déplacement de secours, très focalisé est le type même de la filière traditionnelle que l’on retrouve aussi, d’après J.P. Henry1, entre le Damergou et le canton de Kantché. Là non plus les liens lignagers ne sont pas clairs, mais aux questions concernant l’accueil des réfugiés dans une région pourtant très densément peuplée, une seule réponse est obtenue : « ce sont des parents ».

6Il en va autrement des réfugiés à Kazoé. Leur origine géographique et ethnique est beaucoup plus variée : Dagra du Koutous, Haoussa du Damergou et même du Damagaram, Buzzu et Toubbou de la zone pastorale nord s’y rejoignent. Il est évident que la place de Kazoé dans la région —c’est le grand marché de contact nomades-sédentaires— joue : les réfugiés suivent les pistes de la renommée qui sont empruntées depuis plusieurs décennies pour l’accession au marché. Dans ce cas de migration de secours, le rôle des éclaireurs est important : un membre de la famille ou une connaissance a dit que « l’endroit était bon ».
7Kellé et Kazoé sont des villages d’importance identique, 1 000 et 1 200 habitants. Le premier, dans une filière traditionnelle, a reçu quatre fois moins de réfugiés que le second qui se situe au centre d’un réseau fonctionnel, d’un espace de production en crise. Il est remarquable aussi que dans la filière traditionnelle, l’activité de départ ait été préservée ; dans la filière fonctionnelle, les changements ont été beaucoup plus nombreux, des pasteurs se muant en agriculteurs, des paysans en porteurs d’eau.
8De manière générale, les pasteurs ont plutôt cherché à conserver leur activité, c’est-à-dire leur troupeau, en suivant aussi des filières traditionnelles, les leurs. Une transhumance exceptionnelle a conduit les Touareg du nord du Koutous et les Peul du sud vers le Nigeria. Pour les Peul au moins, il s’agit d’un retour à leur station de la fin du xixème siècle, aire pastorale reconnue, présente dans les mémoires. Ils ont occupé les vides intercalaires de la région frontalière que l’on peut qualifier de réserve pastorale. L’occupation paysanne y est discontinue, les troupeaux Peul du Nigeria viennent y passer l’hivernage parfois, les troupeaux Peul du Niger plus souvent la saison sèche autour des multiples mares et de la zone d’inondation du système de la Komadogou. Ce déplacement pastoral de grande amplitude a aussi été suivi par des paysans Dagra du Koutous qui ont fait le choix de l’élevage. C’est le cas de villages entiers de la partie Est de la région. Ainsi s’observent des rapprochements d’attitudes qui traversent les groupes ethniques.
9Entre les solidarités traditionnelles et les filières fonctionnelles qui guident les migrations de secours, s’inscrivent des canaux « géographiques » qui sont à la fois traditionnels et fonctionnels et permettent la préservation des activités.
ORGANISATION TERRITORIALE ET CANALISATION DE LA MOBILITÉ
10Par l’existence de filières, nous montrons comment les structures géographiques guident les mouvements de population, y compris les replis précipités, les mouvements de masse. Il me semble aujourd’hui que la dispersion des populations sahéliennes, leur diffusion, s’effectuent en phase d’expansion —bonne pluviométrie, sécurité, environnement économique favorable— dans des cadres territoriaux qui prennent les vides en compte, les gèrent même. La question est de savoir si les différents groupes disposent, en propre, d’une organisation isolée, indépendante, voire concurrente des autres ou si les systèmes territoriaux se rejoignent dans un ensemble spatial plus vaste qui assure la cohésion (1). En tout état de cause, il existe des lieux, points forts de l’espace, autour desquels nomades et sédentaires se rejoignent.
11Maja, la ruine d’un site privilégié : La canalisation de la mobilité par les structures territoriales a tellement bien fonctionné dans ce cas que la capacité d’accueil a été dépassée. Mare, village cosmopolite et marché, le lieu est né et a pris de l’importance entre 1974 et 1982, participe au mouvement de comblement des vides intercalaires en phase d’expansion (en l’occurence période de reconstitution des troupeaux).
12Avec la sécheresse aggravée de 1984, un afflux brutal d’animaux venus du nord (10 à 15 000 têtes en refuge contre 3 000 en station noramel) a fait céder l’organisation pastorale d’accès au pâturage qui a été totalement détruit sur 60 km2, les arbres sont morts, le couvert végétal ne s’est pas reconstitué pendant l’hivernage 1985 : cette année, le site n’a pas joué son rôle de point d’appui des mouvements pastoraux. Par contre, les forages abandonnés en 1984 ont retrouvé leur attractivité, le pâturage a été épargné grâce à l’absence des animaux : les pasteurs y retournent. La fixation des lieux par l’intervention externe (creusement des forages) contribue à rigidifier l’organisation territoriale mais aussi à valoriser certains points. C’est évident avec la mise en place de jardins de contre saison.
13Une nouveauté, les jardins de contre saison : Dans notre région, c’en est une véritablement. Ils se sont mis en place de manière spontanée ; une cinquantaine de sites ont été reconnus dans le département de Zinder, mais il en a existé probablement deux ou trois fois plus et il semble bien que seuls ceux qui ont bénéficié de mesures d’accompagnement et d’encouragement de la part des services techniques de l’État se pérennisent. Les sites choisis dessinent sur la carte le maillage de l’emprise territoriale de l’État qui renforce là encore des lieux situés sur les axes de jonction plus que sur des suggestions naturelles.
CULTURES DE CONTRE SAISON ET DISTRIBUTION DE L’AIDE ALIMENTAIRE

LES CULTURES DE CONTRE SAISON AU NIGER (surface totale en ha)

Source : Ministère de l’agriculture
SURFACES EN MIL DANS LE DÉPARTEMENT DE ZINDER (en ha par arrondissement)

Source : Direction départementale du plan
14L’aide alimentaire : C’est à la même trame qu’obéit la distribution de l’aide d’urgence ; c’est évidemment un facteur essentiel des déplacements de secours. L’aide alimentaire pouvait difficilement atteindre les villages les plus isolés bien que cela ait été tenté dans le Koutous. Avec le temps, elle a été concentrée sur quelques centres de distribution qui ont été servis de mieux en mieux en fonction de leur proximité de la ville : Boultoum 2 fois, Kellé 7 fois, Kazoé 15 fois, jusqu’à une distribution hebdomadaire dans les quatre centres encore ouverts à l’automne 1985 près de Zinder. Ces derniers n’ont pas été choisis au hasard : pour éviter l’afflux en ville, on a cherché à fixer les réfugiés sur des lieux solides offrant des possibilités d’activité, de travail et en particulier le jardinage justement.
RÉSULTATS
15Ils sont difficiles à évaluer. Par un sondage à Kellé, il ne me semble pas que l’année difficile ait vu une croissance de la mortalité, 33 pour mille, alors que la natalité se maintenait à 50 pour mille. Un accroissement naturel de 17 pour mille est ici la norme.
16Pour ce qui concerne les cultures de contre saison qui sont la principale nouveauté dans la région, il faut remarquer que leur progrès s’inscrit dans une évolution plus ancienne à l’échelle du Niger tout entier. Les surfaces cultivées en saison sèche vont croissant depuis plusieurs années mais un bond remarquable distingue l’année 1984-85. On y observe une nette contraction des surfaces en manioc, plante alimentaire de secours très anciennement utilisée, au profit du maïs, du blé, des légumes et du niébé, ce dernier plante vivrière de base que l’on s’est obstiné à recueillir après l’échec de la culture normale. Il s’agit donc plutôt de diversification de l’activité agricole de contre saison. Remarquons au passage la chute des surfaces en canne de bouche, plante alimentaire commerciale : il y a repli sur les plantes vivrières.
17Après le retour généralisé des exodants, nous pouvons repérer, à travers les surfaces mises en cultures vivrières pendant l’année 1985, les traces des migrations de 1984 sur les effectifs d’actifs. Les régions de départ, arrondissements du nord, ne semblent pas avoir récupéré toute leur main d’œuvre, particulièrement le Damergou (Tanout) qui est le noyau sédentaire le plus anciennement et profondément touché : les grandes migrations de secours y ont commencé dès 1983. Les régions de refuge, au contraire, voient les surfaces en cultures vivrières augmenter au détriment de l’arachide.
18La perte des animaux ne pourra être évaluée qu’après la campagne de vaccination qui doit s’achever en avril-mai 1986. Les trois dernières campagnes2 contre la peste bovine donnent les résultats suivants : 1983, 181 300 ; 1984, 203 000 ; 1985, 126 975. L’augmentation du nombre des animaux vaccinés dans l’arrondissement de Gouré tient au rôle de refuge. Entre 1984 et 1985, les effectifs ont fondu de 40 % : décès ou déguerpissement.
19Sous réserve d’un suivi prolongé de la situation régionale, nous pouvons parler d’une véritable élasticité de la géographie sahélienne. Les organisations territoriales en offrent la possibilité : réserves d’espace, lieux-refuges. Les mouvements exceptionnels de 1984 ont conduit à délaisser les zones les plus exposées et soulignent l’incapacité des institutions externes à soutenir, en période de crise, les lieux aventurés en position marginale. Mais les retours enregistrés montrent néanmoins la vigueur du balisage territorial renforcé par l’État.
Notes de bas de page
Auteur
LEDRA - Université de Haute-Normandie.
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