Étude comparée des facteurs de l’érosion dans le Nordeste du Brésil et en Afrique de l’Ouest
p. 139-153
Texte intégral
1Bien des points de similitude rapprochent les régions semi-arides du sertão du Nordeste brésilien de celles du Sahel de l’Afrique occidentale. Ces régions ont en commun un climat tropical contrasté sec et chaud à fortes variations pluviométriques interannuelles et sécheresses périodiques catastrophiques ; le même socle cristallin granito-gneissique précambrien ; une végétation xérophyle épineuse ; un réseau hydrographique constitué, en presque totalité, de cours d’eau à écoulement temporaire ; une population rurale pauvre, pratiquant une agriculture de subsistance aléatoire de bas niveau technologique et un petit élevage extensif. Malgré ces nombreuses analogies, l’observateur de terrain amené à travailler dans ces deux régions peut relever des manifestations érosives dont les mécanismes et l’ampleur sont différents. Il paraît intéressant, dans un tel contexte, de comparer les facteurs de l’érosion et les effets de cette érosion, afin de dégager les moyens spécifiques, adéquats et efficaces de défense du sol et de gestion de l’eau dans chacune des deux régions. L’essentiel des éléments de ce travail est tiré de deux rapports (Leprun 1981 et 1983), et d’un article en cours de publication (Leprun 1985).
COMPARAISON DES DIFFÉRENTS FACTEURS DE L’ÉROSION
A — Facteurs physiques
. Facteur climatique
2Le climat du sertão, qui est qualifié de semi-aride, est caractérisé par une pluviométrie moyenne annuelle qui oscille entre 700 mm et moins de 400 mm dans le centre de l’État de la Paraiba et dans la boucle du rio São Francisco. Cette pluviométrie accuse un coefficient de variation qui atteint 50 % et est l’un des plus élevés connus (Nimer 1979). Cette très forte irrégularité des pluies conduit à des sécheresses calamiteuses dont la périodicité moyenne varie entre 9 et 12 ans, et dont certaines sont restées célèbres. Plus de 30 « secas » sévères peuvent être dénombrées depuis 1603. Selon Sternberg (1967), s’appuyant sur des chiffres de la Banque Nationale du Brésil, durant la sécheresse de 1958, 200 000 Nordestins quittèrent leur région natale. Et ce même auteur de penser avec raison que «... c’est l’irrégularité des pluies plus que son absence qui est le fléau du sertão ». Un exemple de ce qui précède peut être donné par la station de Quixeramobim située dans le Ceara (Viers in Bret, 1975), alors que entre 1896 et 1920 la moyenne annuelle des précipitations atteint 637 mm, en 1915 il n’a plu que 208 mm, mais deux ans plus tard on a enregistré 1456 mm, ce qui fournit un rapport maxima/minima de 6,99 alors que pour Thiés, au Sénégal, qui a une pluviométrie comparable, ce rapport n’est que de 3,23. Les coefficients de variation des stations du Sahel sont inférieurs à ceux du Nordeste et se situent entre 20 et 30. Ce n’est qu’en domaine saharo-sahélien qu’ils peuvent approcher 50 % (49 % à Tessalit au Mali, Barry et al, 1983). Comme pour le Nordeste, les zones du Sahel sont soumises à de sévères sécheresses épisodiques, dont la fréquence, assez fluctuante, est de 12 à 15 ans. D’autre part, il semble que le caractère contrasté du climat soit plus accentué en Afrique, la saison sèche y étant particulièrement concentrée et régulière, alors que dans le Nordeste brésilien, bien rares sont les stations qui présentent plus d’un mois sec (< 1 mm) par année sur 10 années consécutives. Les effets sur le sol et la végétation de périodes sèches absolues, régulières et répétées de 8 à 9 mois par an doivent être plus drastiques que si ce sol reçoit pratiquement toute l’année, et au moins une fois tous les trois ou quatre mois, une pluie ou deux.
3On juge de l’agressivité d’une pluie en calculant son énergie cinétique qui est fonction de son intensité. Le facteur R de l’érosivité d’une pluie est le produit de cette énergie par l’intensité maxima en 30 minutes, R = E.I30 (Wischmeier 1959). Les données des intensités-durées (Leprun 1983 et 1985) et celles du facteur R moyen annuel rassemblées dans le tableau I permettent de se faire une idée et de comparer l’agressivité climatique de plusieurs stations des deux régions, dont les pluviométries moyennes annuelles sont voisines.
Tableau I. Valeurs du facteur R d’érosivité des pluies pour des stations de pluviométries moyennes annuelles comparables du Nordeste brésilien et de l’Afrique de l’Ouest.

N.E., Nordeste brésilien - B.F. : Burkina Faso
Sources : Burkina Faso : Roose, 1977. Nordeste : Banque de données DHM/SUDENE, Conventions SUDENE/ORSTOM et SUDENE/UFPB/CCA Areira.
4L’examen du tableau I permet de constater que les indices d’érosivité des pluies sahéliennes sont bien plus élevés que ceux du Nordeste. Le rapport R/pluviométrie moyenne annuelle qui se situe très près de 0,50 en Afrique sèche (Roose 1977), varie entre 0,20 et 0,50 avec une moyenne de seulement 0,33 pour trente postes du sertão. Les valeurs moyennes annuelles de quelques autres paramètres climatiques relevés durant la même période 1931-1960 pour les stations de Quixeramobim (Ceara), et Dori (Burkina Faso) sont consignées ci-dessous : Température en •C :
5Quixeramobim : moy. = 24,7 ; max. = 25,8 ; mini. = 23,4
6Dori : moy. = 36,4 ; max. = 41,4 ; mini. = 32,0
7Humidité air en % :
8Quixeramobim : moy. = 59,5 ; max. = 73,2 ; mini. = 50,8
9Dori : moy. = 45,0 ; max. = 77,0 ; mini. = 22,0
10Évaporation en mm :
11Quixeramobim : moy. = 1764,2 ; max. mensuelle = 198,8
12Dori : moy. = 3817,6 ; max. mensuelle = 460,6
13Comme pour l’érosivité des pluies, les autres composantes du climat, températuer, humidité relative et évaporation montrent que les régimes pluviométriques et thermiques de la zone semi-aride du Nordeste brésilien déterminent des conditions moins agressives que celles du Sahel et donc bien plus favorables à la bonne conservation du sol et de l’eau.
. Facteur sol
14L’érodibilité d’un sol est estimée grâce au facteur K de l’équation de Wischmeier et Smith (1960) et est obtenue par la mesure de la perte en terre maxima sous pluies naturelles d’une parcelle de référence maintenue sans végétation et travaillée dans le sens de la pente. C’est la méthode la plus sûre, mais il en existe deux autres : celle obtenue à partir de pluies simulées et celle, estimée, déterminée à l’aide de l’abaque ou normographe de Wischmeier et al. (1971). Le coefficient K varie de 0 à 1 c’est-à-dire du moins au plus susceptible à l’érosion. Différentes valeurs de K obtenues sur des sols comparables des deux régions sont présentées dans le tableau II.
Tableau II. Valeurs du coefficient d’érodibilité de sols comparables obtenues par différentes méthodes

Sources : données africaines : Roose (1977) ; Collinet et Lafforgue (1979)
données brésiliennes : les diverses conventions liées à la SUDENE
15L’examen de ce tableau met en évidence un meilleur comportement des sols du Nordeste brésilien vis-à-vis de l’érosion hydrique. On peut expliquer cette meilleure résistance en comparant la valeur moyenne des paramètres morphologiques, physiques et chimiques des sols, ayant un rôle important dans la stabilité structurale et l’hydrodynamique. Le tableau III regroupe ces. données calculées à partir des paramètres des horizons superficiels d’une cinquantaine des principaux sols de l’Afrique de l’Ouest sèche (sols ferrugineux tropicaux peu lessivés et lessivés, sols peu évolués, sols bruns eutrophes, vertisols et solonetz), et d’une centaine de sols du Nordeste (Sols « podzoliques » eutrophes et distrophes, sols « litholiques », sols « bruns non calciques », vertisols, « planossolos » et solonetz.
Tableau III. Quelques caractéristiques moyennes des horizons supérieurs des sols du Nordeste et d’Afrique de l’Ouest

Sources : Leprun (inédit)
Note**
16Les sols du Nordeste, plus argileux, chimiquement mieux pourvus car situés plus près de la roche-mère et donc plus riches en minéraux altérables, mieux structurés et plus perméables, qui ne présentent que très rarement d’états de surface pelliculaires encroûtés, opposent une meilleure résistance à l’érosion hydrique que ceux de la zone du Sahel africain. Certaines caractéristiques hydrologiques déterminées plus loin confirment ces faits.
. Facteur topographique
17Les modelés des deux régions étudiées s’opposent sur de nombreux points. Alors que les versants des pays du Sahel sont longs et très peu pentus (plusieurs kilomètres et 1 % ou moins), ceux du sertão développés sur le socle cristallin sont courts et pentus (de l’ordre de la centaine de mètres, plus de 5 % et pouvant dépasser 45 %). Les zones de « serras » montagneuses sont étendues, très cultivées et leurs pentes varient entre 20 et 100 %. De nombreuses chaînes se situent au dessus de 800 m d’altitude. L’Afrique de l’Ouest sèche en revanche ne possède pratiquement aucun relief au dessus de 500 m. Les pentes moyennes des deux grands fleuves, le fleuve Sénégal et le rio São Francisco permettent de comparer le facteur déclivité des deux régions. En aval de Bakel, situé à quelque 800 km de la mer, la pente moyenne du lit du Sénégal est seulement de 0.003 %, alors qu’à Remanso, à 760 km de son embouchure, la pente moyenne du rio São Francisco est de près de 0.05 %, soit plus de 16 fois supérieure. Comme il est vérifié que le facteur topographique qui associe la pente et sa longueur (facteur SL de l’équation de Wischmeier et Smith, 1960) est un des facteurs importants de l’érosion et que celle-ci croît lorsque le facteur SL croît, on peut avancer que le facteur topographique, plus élevé dans le Nordeste qu’en Afrique de l’Ouest, influera davantage sur les pertes en terre du sertao, comme on le verra plus loin.
. Facteur végétation
18Selon des données de Duque (1980) tirées du Service de la statistique de la production, la « caatinga », formation végétale spécifique de la zone semi-aride du Nordeste, représentait plus de 90 % de la superficie de trois états, Pernambuco, Paraiba et Alagoas, en 1960. Pour l’ensemble du Nordeste, l’IBDF a établi que la couverture arborée et arbustive atteignait 47 % de la superficie en 1975. Des données de la FAO (1975) estiment à 5,3 % seulement la même couverture pour les trois pays suivants du Sahel ; Sénégal, Mali et Haute Volta. On voit donc que pour des conditions climatiques et des densités de population rurale équivalentes (16 hab. au km2), la protection du sol par la végétation naturelle du Nordeste est incomparablement plus importante, puisque la surface couverte par cette végétation est près de 9 fois supérieure à celle du Sahel.
19D’autre part, cette végétation de « caatinga » qui est une véritable forêt basse sèche de 2 à 5 m de hauteur, à strate graminéenne rare, est souvent très dense et touffue. On peut citer pour une « caatinga » hyperxérophyle du sertão sec, les chiffres de 17 200 arbres et arbustes et une biomasse de 23 t par ha (Hayashi 1981). Pour une savane arborée du Sénégal située sous une pluviométrie comparable, ces chiffres sont de 133 arbres et arbustes pour une biomasse de 1,8 t par ha (Lamotte et Bourlière 1978), et 360 et 160 arbres par hectare dont respectivement 22,1 et 48,4 % sont morts sur pied (Cornet et Poupon 1978). La comparaison de ces chiffres est éloquente : la couverture végétale naturelle du Nordeste possède une superficie, une densité et un pouvoir de regénération exceptionnel par rapport à ceux de la brousse sahélienne pauvre, contractée et très dégradée. Une preuve quantitative de la meilleure efficacité de l’écran protecteur du sol par la végétation peut être donnée par les taux de ruissellement de petits bassins hydrologiques sous végétation naturelle. Sur les différents types de sols les plus représentatifs du Nordeste, ce taux de ruissellement varie de 5 à 12 % pour une pluviométrie moyenne annuelle inférieure ou égale à 500 mm (Leprun 1983) et de 21 à plus de 60,2 % au Niger sur différents sols et sous 450 mm (Vuillaume 1969). Sur des sols bruns, des superficies et des pentes assez semblables, une même pluviométrie annuelle et sous végétation naturelle, le pourcentage de la pluie annuelle ruisselée varie de 0,9 à 17,6 % au Niger (Delwaulle 1973), alors qu’il atteint à peine 0,2 % dans le sertão de la Paraiba (Cadier et al. 1983, Leprun 1983).
. Facteur eau
20Ce qui précède et les données de ruissellement obtenues sous pluies naturelles et sous pluies simulées aussi bien sur parcelles expérimentales que sur bassins hydrographiques tant au Brésil par la Sudene et les conventions qu’elle maintient, qu’en Afrique de l’Ouest par l’ORSTOM, permet d’avancer que les sols du sertão ont des taux d’infiltration supérieurs à leurs correspondants du Sahel (Leprun 1985). Les sols du Nordeste développés sur les matériaux du socle granito-gneissique, peu épais, perméables et riches en minéraux altérables vont donner naissance à des eaux à taux de minéralisation élevé, taux que l’évaporation va amplifier. Les quelques données suivantes issues d’analyses d’eau de nappes peu profondes sur socle précambrien en Haute Volta (Leprun 1979) et dans le Nordeste (Leprun 1983) et d’eau de fleuves dont le cours se situe également sur le socle cristallin au Sénégal (Blot 1980) et dans le sertão (Leprun 1983) permettent de comparer la minéralisation des eaux des deux régions étudiées.

21Les eaux d’infiltration et de ruissellement superficiel du Nordeste sont donc beaucoup plus chargées que celles du Sahel. Il s’ensuit un risque de salinisation réel élevé dû et aux sels et au taux de sodium et de nombreux projets d’irrigation ont dû être abandonnés par suite de la salinisation rapide des terres. La moyenne de quelque 500 eaux superficielles du Nordeste présente une valeur du résidu sec supérieure à 500 mg/l et une conductivité égale à 623 micromhos/cm, ce qui les situe dans la classe des eaux d’irrigation C2S2 ; ceci étant donné l’état du complexe absorbant et l’épaisseur des sols du socle, limite leur usage aux seules cultures résistantes aux sels mais n’empêche nullement les processus de salinisation des sols à l’échelle de la dizaine d’années ou moins.
Β — Facteurs humains
. Facteur des pratiques culturales
22Les valeurs du facteur C de Wischmeier et Smith (1960), appelé aussi facteur de couverture végétale, qui est le rapport entre la perte en terre maxima d’une parcelle maintenue sans végétation et travaillée dans le sens de la pente et la perte en terre d’une même parcelle sous une culture et une pratique déterminées pour les mêmes plantes cultivées dans le Nordeste, dans le sud du Brésil et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest indiquent des pratiques culturales plus efficaces et de meilleures propriétés des sols nordestins (Leprun, 1985).
. Facteur des pratiques anti-érosives
23Il s’agit du facteur P de Wischmeier et Smith (1960) qui mesure l’effet d’une pratique anti-érosive déterminée. Il s’obtient en faisant le rapport des pertes en terre de la parcelle où est testée la pratique avec les pertes de la parcelle précédente maintenue sans végétation et travaillée dans le sens de la pente. Les données compilées du tableau IV fournissent des valeurs proches du facteur P pour les mêmes pratiques anti-érosives utilisées dans les deux régions, avec cependant, et ce fait est, comme nous le verrons plus loin, important, une plus grande efficacité du labour suivant les courbes de niveau dans le sertão.
Tableau IV.
Valeurs P de différentes pratiques anti-érosives dans différents pays

Sources : Nordeste du Brésil : valeurs calculées à partir des données de l’IPA Sud du Brésil : Bertoni et al. (1975)
. Facteur socio-économique
24Les pratiques culturales traditionnelles les plus employées en Afrique de l’Ouest sèche sont, après brûlis, une façon culturale minima à la houe ou à la daba, le seul endroit affouillé du sol étant celui où est déposée la graine (mil, sorgho, arachide...). Certaines cultures comme celles du manioc, de l’igname et de la patate douce utilisent le billonnage et le buttage. Les pentes sont tellement faibles qu’elles n’imposent pas la pratique du labour isohypse ou en courbe de niveau. Le travail du sol est fait à la main et, plus rarement, à l’aide de la traction attelée. L’agriculture, pratiquée de façon primaire, surtout dans les zones septentrionales où les récoltes annuelles deviennent aléatoires, est largement extensive. C’est le système de la culture itinérante qui, facilitée par le fait que la terre appartient à toute la communauté, utilise le feu annuel sur une grande échelle, exploite le sol quelques années puis le laisse en jachère durant un temps qui, sous la pression démographique, ne cesse de diminuer. L’emploi des engrais et des produits phyto-sanitaires est inexistant. L’élevage est également itinérant et les pasteurs, qui sont généralement peul, ne sont pas agriculteurs.
25Dans toute la région du Nordeste, la pratique culturale dominante est celle de la préparation de la terre et du semis dans le sens de la plus grande pente. Toutes les pentes, mêmes les plus accentuées dépassant 20 % et atteignant 100 % dans les « serras », sont cultivées ainsi. Seulement 12 % de l’ensemble de la région sont cultivées, dont à peine 7 % de cette fraction est constituée de culture utilisant le labour. Ce labour est effectué manuellement ou à l’aide de la traction animale légère, et la mécanisation est peu utilisée (Cheze et Gros 1978). L’agriculture, assez primaire, n’est pas itinérante comme en Afrique, car plus de 51 % du Nordeste sont constitués de propriétés rurales délimitées et fermées. La terre a toujours un propriétaire, ce qui provoque de fréquents conflits. Pour tenter de compenser la briéveté de la saison des pluies, les semis sont réalisés précocement et la pratique des cultures associées et non rotatives comme celle du maïs-haricot est très utilisée. Employé au moment du défrichement, le feu n’est pas une pratique courante et annuelle. L’élevage n’est pas non plus itinérant et l’agriculteur est en même temps éleveur.
COMPARAISON DE TOUS LES FACTEURS DE L’ÉROSION RÉUNIS
26Pour pouvoir juger de l’influence de chaque facteur de l’érosion examiné ci-dessus, leurs valeurs respectives ont été regroupées dans le tableau V. On peut constater que dans l’ensemble les facteurs de l’érosion hydrique du Nordeste sec sont plus faibles que celles de toutes les autres régions et en particulier de l’Afrique de l’Ouest sèche. Un seul facteur est défavorable, c’est celui de la topographie, les pentes, on l’a vu, étant bien plus accentuées dans le Nordeste.
Tableau V. On peut, de manière plus illustrative évaluer et comparer les variations de ces facteurs pour les deux régions étudiées (Sources pour l’Afrique de l’Ouest, Roose 1977).

27On peut vérifier que ces variations sont du même ordre de grandeur pour les deux régions, que la fourchette de variation des facteurs topographique et pratiques anti-érosives est plus ouverte dans le cas du Nordeste que dans celui du Sahel. Dans les deux cas, l’efficacité de la couverture végétale est égale et considérable, puisqu’elle permet de réduire jusqu’à mille fois les pertes en terre.
COMPARAISONS DES MESURES DE L’ÉROSION
28A l’aide de plusieurs exemples pris dans des situations climatiques semblables et lorsque cela a été possible, dans des conditions stationnelles de sols et de pentes proches, les effets de l’érosion dans les deux régions seront comparés.
29Le premier exemple concerne deux stations expérimentales dont la pluviométrie est assez élevée, car elles sont situées, l’une, Linoghin (Haute Volta), à la limite sud du Sahel, l’autre, Caruaru (Pernambuco) à la limite entre le Sertao et l’Agreste. Ces études sont dues à Margolis et à Vieira (1975) d’une part et à Piot et Milogo (1980) d’autre part. Le tableau VI regroupe les données de ces deux stations. On peut constater, qu’à l’exception de la pente, les valeurs de ces facteurs ne sont pas très différentes. L’examen de ce tableau met en évidence :
30— l’influence importante de la pente sur l’érosion dans le Nordeste. En effet, à partir de sols moins susceptibles à l’érosion et d’une agressivité climatique moindre, les pertes en terre, aussi bien sous maïs que sur sol nu, sont près de deux fois plus élevées à Caruaru qu’à Linoghin.
31Mais si, grâce aux équations établies par Wischmeier pour chaque facteur, on calculait la perte en terre à Linoghin à partir des facteurs de Caruaru, et en particulier avec une pente de 12 %, l’érosion estimée approcherait de 30 t/ha, soit 8 fois plus celle obtenue avec la pente de 1,5 % ;
32— des différences importantes de taux de ruissellement. Malgré la pente forte, le ruissellement à Caruaru est, sous culture de maïs, 4 fois inférieur, et sur sol nu plus de 30 fois inférieur à celui de Linoghin. Ces différences peuvent s’expliquer, comme cela a été dit précédemment, par les meilleures propriétés physiques du sol de Nordeste, et en particulier par son état de surface qui n’est pratiquement jamais encroûté.
Tableau VI
Comparaison des valeurs de pertes en terre et en eau pour deux stations du Nordeste sec et de l’Afrique de l’Ouest sèche

Sources : Caruaru (Pernambuco) : Margolis et Vieira (1975)
Linoghin (Haute-Volta) :Piot et Milogo (1980)
33Le deuxième exemple est pris en conditions d’aridité plus sévères. Il s’agit de comparer la station expérimentale d’Allokoto, au Niger (Delwaulle 1973), à celle de Sumé, dans la Paraiba (Cadier et al. 1983, Leprun 1983). Les données recueillies sont les suivantes :

34A conditions presque égales, pertes en terre et ruissellement sont plus élevées dans l’exemple du Niger que dans celui du Nordeste.
35Le dernier exemple choisi est celui du bassin de Kounkouzout au Niger (Vuillaume 1969) qui sera comparé à l’un des bassins de Sumé (Cadier et al. 1983). Pour une pluviométrie moyenne annuelle semblable (450 mm), des sols dont une grande proportion est constituée de sols bruns sub-arides et de sols bruns non calciques voisins, de pentes et superficies comparables et établis sous végétation naturelle, les résultats des mesures fournissent pour des pertes en terre peu différentes (0,76 t/ha au Niger contre 0,40 t/ha à Sumé), des taux de ruissellement très différents (de 21 à 60 % dans le Sahel contre environ 5 % dans le Sertão).
CONCLUSIONS
36L’ensemble de données comparées qui précède prouve à l’évidence ce que l’impression impose à l’observation d’un naturaliste à qui il est donné de parcourir les deux régions semi-arides du Brésil et de l’Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire que les milieux naturels ou agricoles du Nordeste du Brésil sont bien mieux conservés et résistants que ceux, fragiles et fortement dégradés, du Sahel. En particulier, il semble bien que le Sahel souffre d’une érosion « normale », celle qui agit sur le milieu naturel non cutivé, bien supérieure à celle qui se manifeste de manière très discrète dans le Sertão.
37Favorisée par la moindre érosivité des pluies, par les bonnes propriétés de ses sols en particulier en surface, par son couvert végétal dense et « couvrant » à bon pouvoir régénateur, par la faible mécanisation des cultures et l’absence d’agriculture itinérante, le milieu physique du Nordeste semi-aride possède des qualités qui lui permettent de faire face, jusqu’à présent, aux processus d’érosion et de ruissellement accélérés, ce qui n’est malheureusement pas le cas du Sahel. Une brutale augmentation des surfaces cultivées et de la mécanisation lourde dans le Nordeste pourrait remettre en question cet équilibre fragile, équilibre déjà détruit dans la zone des « serras » plus humides, à relief accidenté et forte densité de population, où se manifeste une forte érosion en ravines. Les facteurs défavorables du Nordeste sont les cultures orientées dans le sens de la pente, la mise en valeur de pentes extrêmement fortes et la minéralisation élevée de l’eau.
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Notes de fin
* Le chiffre entre parenthèse indique la valeur la plus communément rencontrée.
Auteur
ORSTOM, EMBRAPA/SNLCS
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