Approches statistiques de l’étude des séries pluviométriques de longue durée de l’Afrique de l’Ouest
p. 101-106
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur*
2Note portant sur l’auteur†
3De nombreux travaux ont été entrepris pour bâtir des modèles à partir des fréquences et de la durée des périodes de sécheresse. On a ainsi tenté de mettre en évidence des périodicités (H. FAURE et al., 1981a) à partir desquelles on puisse faire des prévisions (H. FAURE et al., 1981b). Mais il n’a pas pu être démontré que ces fluctuations cycliques expliquaient l’évolution des précipitations (J.M. GIRAUD et al., 1976). Par ailleurs, les modèles ne faisant pas intervenir de périodicités, soit purement aléatoires, soit faisant appel à une mémoire à court terme (J.C. OLIVRY, 1983 ; J. ALBERGEL et al., 1984), ne peuvent pas rendre compte de la persistance de la période sèche actuelle (P.J. LAMB, 1982) qui diffère des périodes sèches antérieures (J. SIR-COULON, 1976) aussi bien par sa durée que par son extension géographique.
4On est ainsi amené à considérer les séries pluviométriques disponibles en Afrique de l’Ouest comme des objets scientifiques complexes nécessitant un traitement statistique spécifique.
I. RUPTURE CLIMATIQUE
5Les difficultés de traitement statistique des séries pluviométriques, et l’exceptionnelle durée des années récentes de sécheresse permettent de s’interroger sur l’éventualité d’une modification climatique importante. Pour tester cette hypothèse d’une rupture climatique, nous avons appliqué deux méthodes permettant de détecter un changement de moyenne dans les séries chronologiques.
I.1. Méthode bayesienne de Lee et Heghinian (1977)
6Le test suppose l’existence a priori d’une cassure dans la série étudiée et calcule les probabilités a posteriori de cassure pour chaque année. Nous avons retenu dans le tableau I pour 22 stations réparties du 10 au 16ème parallèle du Sénégal, Mali, Burkina et Niger, la date de cassure de probabilité maximum.
I.2. Test non-paramétrique de Pettitt (1979)
7Ce test non-paramétrique est fondé sur une statistique de rang. Pour les mêmes stations, nous fournissons (tabl. I) la date de cassure suggérée.
Tableau I. Mise en évidence de cassures dans les séries pluviométriques annuelles.

I.3. Conclusions
8On constate un excellent accord entre ces deux approches pour la majorité des stations.
9La première conséquence des résultats de ces tests est :
- La mise en évidence de la non-stationarité des séries pluviométriques d’Afrique de l’Ouest depuis 1922 (J.P. CARBONNEL et P. HUBERT, 1975 ; T.A.B. SNIJDERS, 1985).
- La différence fondamentale de la période sèche actuelle par rapport à celle des années 1940.
10Il semble enfin que cette date de cassure dans les séries évolue du Nord vers le Sud, le Nord ayant été plus rapidement affecté (Tombouctou 1964) que le Sud (Gaoua 1978).
II. LES FRACTIONS PLUVIOMÉTRIQUES
11Au niveau des pluviométries journalières, la pluviométrie annuelle peut être décomposée en trois fractions correspondant à la somme des pluies comprises entre 0-20 mm, 20 et 40 mm et > 40 mm. Ces trois fractions, respectivement P1, P2 et P3, ont des évolutions différentes au sein des séries pluviométriques (J.P. CARBONNEL, 1985).
- La fraction P1 peut être considérée comme une constante du profil pluviométrique, c’est ce que nous avons appelé le « bruit de fond » de la mousson qui n’évolue pas avec l’apparition de la phase sèche.
- La fraction P2 est une variable aléatoire dont la moyenne a tendance à décroître au cours de la dernière période.
- La fraction P3 explique à elle seule l’essentiel de la variabilité pluviométrique annuelle ; elle tend vers zéro avec l’établissement de la sécheresse des quinze dernières années.
12Le passage du régime pluviométrique qui prédominait avant 1965 à celui mis en place avec la sécheresse récente peut s’écrire :

13Dans ce contexte, la pluie journalière moyenne baisse fortement (TAB. SNIJDERS, 1985).
III. STRUCTURE TEMPORELLE DE LA MOUSSON
14Autant sinon plus que la quantité d’eau tombée au cours de l’hivernage, la répartition temporelle des pluies est une donnée fondamentale pour définir ce qu’est une sécheresse. Cette distribution est le facteur principal conditionnant l’évolution du cycle végétatif annuel.
15Pour tenter d’approcher cette notion de distribution des séquences de jours secs successifs, de nombreux modèles sont susceptibles d’être utilisés (J.M. MASSON, 1977). Nous avons choisi une démarche plus globale, en analysant la pluviométrie décadaire et sa contribution à l’ensemble de la pluviométrie de la saison pluvieuse.
16Pour ce faire, nous avons représenté chaque saison des pluies (conventionnellement limitée à la période 1er mai au 20 octobre) par un histogramme décadaire normalisé et avons calculé pour chacune de ces distributions sa moyenne (centre de gravité), son écart-type, son coefficient d’asymétrie et son coefficient d’aplatissement. Nous avons également calculé les corrélations de ces différents paramètres avec la précipitation totale de la mousson (tabl. II) pour une station (Dedougou au Burkina Faso).
17On constate une corrélation significative et positive entre la hauteur de pluie de la mousson et son centre de gravité. Celui-ci serait d’autant plus tardif que les précipitations sont abondantes. On note d’autre part une corrélation significative et négative entre cette même hauteur de pluie et l’asymétrie de la mousson. Négative pendant les années humides, l’asymétrie tend à s’annuler lors des années sèches.
Tableau II. Corrélations de la hauteur des précipitations de la mousson et des paramètres de l’histogramme décadaire normalisé pour la station de Dedougou (Burkina Faso) de 1922 à 1984.

IV. CONCLUSIONS
18La sécheresse que traverse actuellement la zone sahélienne d’Afrique de l’Ouest doit être considérée comme une phase climatique particulière n’ayant pas d’équivalent dans les données climatiques à notre disposition depuis le début du siècle.
19Sur un plan méthodologique, la rupture enregistrée autour de 1970 dans les séries pluviométriques nous oblige à ne plus considérer ces séries comme stationnaires, susceptibles d’un traitement statistique unique. On devra maintenant tenir compte de l’existence de périodes sèches prolongées comme celle qui sévit depuis quinze ans et pour laquelle la chute globale de la pluviométrie atteint 30 % en moyenne (- 41 % à Dakar) sur la zone sahélo-soudanienne. Par ailleurs, si les variations climatiques se font lors de ruptures espacées dans le temps, les outils statistiques utilisés jusqu’ici pour les analyses doivent être révisés.
20Sur un plan climatique, c’est à grande échelle qu’il faut rechercher les mécanismes responsables de ce changement climatique ; ce sont ceux de la mousson africaine qui sont ici en cause. Ceci peut être rapproché d’autres phénomènes aberrants observés depuis une décennie à l’échelle du globe : anomalies de la circulation océanique (El Nino), sécheresses répétées en Australie, en Chine du Nord, hivers exceptionnellement froids dans l’hémisphère nord, etc... (J. MERLE et al., 1984).
21Sur un plan écologique, les conséquences de cette phase climatique nouvelle intéressent les équilibres biologiques et la vie des hommes. En effet, cette nouvelle zonalité climatique (l’isohyète 500 mm s’est déplacé vers le Sud de 2° de latitude entre les décennies 1950 et 1970) contrôle les potentialités biologiques et les aires de répartition végétales et animales ; ceci affecte les ressources alimentaires. De plus, les phénomènes de désertification doivent être l’objet d’un nouveau regard : si le rôle de l’homme est indéniable, il se superpose à un phénomène « naturel » sur lequel l’homme n’a aucune prise. Enfin, la politique des aménagements (barrages, ponts, irrigation...) devrait être fondée sur de nouvelles normes. En effet, nous nous trouvons, non pas devant des années de sécheresse exceptionnelles, mais, à la suite d’une rupture, dans une nouvelle phase climatique éventuellement durable, et caractérisée par une plus grande aridité.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
BIBLIOGRAPHIE
ALBERGEL Α., CARBONNEL J.P. et GROUZIS M., 1984 - Pluies-Eaux de surface - Productions végétales. Haute-Volta (1920-1983). ORSTOM-DGRST, Ouagadougou, 1 rapp. ronéot., 58 p.
ALBERGEL Α., CARBONNEL J.P. et GROUZIS M., 1985 -Sécheresse au Sahel. Incidences sur les ressources en eau et les productions végétales. Cas du Burkina Faso. Veille Climatique Satellitaire, Lannion, n°7, p. 18-30, 16 fig., 4 tabl.
10.1111/j.1477-8947.1985.tb01040.x :CARBONNEL J.P., 1985 - Analysis of the recent climatic evolution in Burkina Faso (Upper Volta). Nat. Res. Forum, New York, vol 9, n°·1, p. 53-64.
CARBONNEL J.P. et HUBERT P., 1985 - Éléments pour une modélisation de la dernière phase sèche en milieu sahélo-soudanien. Comm. Colloque sur les recherches françaises en météorologie et télédétection sur le continent africain, Palaiseau (France), 18-19 juin 1985.
CARBONNEL J.P. et HUBERT P., 1985 - Sur la sécheresse au Sahel d’Afrique de l’Ouest. Une rupture climatique dans les séries pluviométriques du Burkina Faso (ex. Haute-Volta). Comptes Rendus, sér. II, vol. 301, n°13, p. 941-944.
FAURE H. et GAC J.Y., 1981 - Solar cycle and drought in Sahel. 10 th Internat. interdisciplinary Cycle Research Symposium, Osnabrück and Stuttgart, Sept. 23 - Oct. 1, 1981.
FAURE H. et GAC J.Y., 1981 - Will the sahelian drought in 1985 ? Nature, vol. 291, n°5815, p. 475-478.
GIRAUD J.M. et GREGOIRE P., 1976 - Le climat soudano sahélien. Année sèche-année pluvieuse. La Météorologie, VI° sér., n·6,.p. 69-81.
LAMB P.J., 1982 - Persistence of subsahara drought. Nature, vol. 299, p. 46-47.
LEE A.F.S. et HEGHINIAN S.M., 1977 - A shift of the mean level in a sequence of independant normal random variables. A Bayesian approach. Technometrics, vol. 19, n°4, p. 503-506.
MASSON J.M., 1977 - Persistance des états pluvieux en fonction de leur durée. Analyse de 52 années d’enregistrements pluviométriques à Montpellier-Bel Air. Cah. ORSTOM, sér. Hydrol., vol. XIV, (2), p. 173-189.
MERLE J. et TOURET Y., 1984 - El Nino 1982-1983, et ses conséquences climatologiques M.E.T. - MAR, vol. 120, p. 1-9.
OLIVRY J.C., 1983 - Le point en 1982 sur l’évolution de la sécheresse en Sénégambie et aux îles du Cap Vert. Examen de quelques séries de longue durée (débits et précipitations). Cah. ORSTOM, sér. Hydrol., vol. XX, n°1, p. 47-69.
PETTITT A.N., 1979 - A non-parametric approach to the change-point problem Appl. Statist., vol. 28, n°2, p. 126-135.
SIRCOULON J., 1976 - Les données hydropluviométriques de la sécheresse récente en Afrique intertropicale. Comparaison avec les sécheresses « 1913 » et « 1940 ». Cah. ORSTOM, sér. Hydrol., vol. XIII, n°2.
SNIJDERS T.A.B., 1985 - Le régime des pluies au Burkina Faso : variabilités interannuelles et cohérence spatiale. Bull. Liaison CIEH, vol. 59, p. 2-16.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992