La position du front intertropical en Afrique occidentale sahélienne et les causes probables de sa mobilité
p. 53-61
Texte intégral
1En Afrique occidentale, le FIT représente le contact de la masse d’air sec (alizé continental appelé « harmattan ») et de la « mousson », masse d’air humide, de structure complexe, alimentée partiellement par l’alizé océanique. Dans tout l’espace latitudinal parcouru par le FIT, les précipitations ne peuvent évidemment se manifester qu’au sein de cet air humide. Mais la présence de celui-ci n’implique pas fatalement la pluie. Elle n’en est que la condition nécessaire (et non suffisante). De multiples facteurs interviennent encore dans le déclenchement des précipitations ; ils seront rapidement évoqués. Il est néanmoins primordial de repérer la position du FIT et de comprendre les mécanismes qui dictent ses déplacements.
I - MOBILITÉ ET STRUCTURE DU FIT
2La position du FIT au sol est déduite de l’indification des deux masses d’air qu’il sépare en fonction de critères hygrométriques (température du point de rosée) et dynamiques (direction du vent). Au sein d’un réseau très lâche d’observations, la cartographie du FIT résulte inévitablement d’interpolations plus ou moins importantes ; elle apparaît néanmoins dans certaines publications météorologiques quotidiennes : bulletin français (BQE) suspendu depuis 1976 ou marocain (BQRM). La physionomie du champ de pression sur l’Atlantique Nord et l’Europe occidentale a été étudiée sur le BQE, celle de l’Atlantique Sud sur le bulletin argentin. Les variations de ce champ de pression et les fluctuations du FIT sont analysées de mars à octobre inclus sur une série courte (1962-64) mais faste quant à la documentation puisque les lacunes y sont rares.
1) La mobilité du FIT
3Ainsi, le tracé du FIT au sol a été suivi sur plus de 1 500 situations sur les cartes de 6 H et de 18 H TU du BQE. Il apparaît clairement que le FIT est animé d’un mouvement oscillatoire incessant, analogue à celui des marées et qui peut se décomposer en trois types distincts :
4a) une translation saisonnière entraînant le Fit des latitudes subéquatoriales en hiver, au voisinage du tropique Nord au cœur de l’été (Fig. Ia) et qui s’inscrit dans le phénomène planétaire d’oscillation latitudinale des centres d’action et des grandes zones de circulation atmosphérique (ROSSBY, 1939 ; PEDELABORDE, 1970). La responsabilité de l’hémisphère en situation « d’hiver » apparaît clairement dans la dynamique de la « mousson » (DORIZE, 1974 et 1975) :
- ainsi, entre avril et août, l’Antarctique échappe progressivement au rayonnement solaire et son refroidissement s’accuse, ce qui accentue les gradients thermique et de pression entre l’Antarctique et les basses latitudes.
- cette situation accroît le déséquilibre du champ thermique et du champ de pression de l’hémisphère austral et induit une accélération du courant d’ouest (« westerlies ») à ses latitudes moyennes.
- cette accélération déporte vers le N l’anneau des westerlies qui refoule à son tour toutes les zones planétaires de la circulation : ceinture anticyclonique subtropicale australe→ dépression équatoriale→FIT.
- les cellules subtropicales de hautes pressions de l’hémisphère N, impuissantes à contenir cet assaut, amorcent un repli vers le N ; l’hémisphère boréal joue donc un rôle passif.
- tout ce scénario s’inverse évidemment quand l’hémisphère N subit à son tour le refroidissement hivernal : centres d’action et zones de circulation sont désormais refoulés vers le S et le FIT, repoussé dans une position extrême, se situe alors au voisinage de l’Équateur.
5En somme, l’épanouissement de l’hémisphère « refroidi », moteur de cette dynamique, entraîne la contraction de l’autre hémisphère.
6b) une pulsation diurne s’exerçant au sol sur 1 à 3 degrés d’amplitude latitudinale (Fig. Ib) qui se caractérise généralement par un retrait du FIT vers le S au cours de la nuit et par son avancée vers le N l’après- midi en liaison avec le creusement de la dépression thermique consécutive à l’échauffement de la surface du sol.
7c)des oscillations « accidentelles » (Fig Ic) brèves mais de forte amplitude susceptibles de se manifester en toutes saisons : incursions puissantes du FIT vers le N (poussées de mousson ou « surges ») ou replis spectaculaires vers le S (« breaks ») ; ces évènements sporadiques semblent associés à des variations brusques de vitesse du flux atmosphérique dans les latitudes moyennes de l’un ou de l’autre hémisphère.

Fig. 1 - Position du FIT au sol (trait gras) en Afrique occidentale :
a : situation moyenne en janvier et juillet
b : évolution diurne moyenne à 6 H et 18 H (TU) en été
c : situations accidentalles (celle du 29-1-69 est extraite de SUCHEL).
2) La structure du FIT
8La progression estivale du FIT vers le N relève de deux mécanismes distincts :
- une dynamique d’origine australe puise la mousson sur plusieurs milliers de mètres d’épaisseur vers l’Afrique occidentale jusqu’aux alentours de 15 - 18 N ; cette progression épaisse de l’air humide commence alors à affronter, dans la troposphère moyenne, le rempart anticyclonique subtropical de la cellule saharienne ;
- mais cet obstacle disparaît dans la basse troposphère occupée par une dépression attirant la mousson ; cette aspiration se manifeste sur une faible épaisseur (quelques centaines de mètres au plus) au contact du sol surchauffé.
9La structure verticale du FIT (Fig 2) telle que les radiosondages la révèlent rend bien compte de ce jeu complexe d’influences où interviennent des processus dynamiques et thermiques. L’épaisseur de l’air humide ne devient importante que plusieurs centaines de kilomètres au S de la marque du FIT au sol. C’est évidemment dans ce domaine privilégié que les pluies peuvent survenir si par ailleurs, certaines autres conditions se trouvent réalisées.

Fig. 2 - Coupe schématique de la structure du FIT et des masses d’air sur l’Afrique occidentale.
II - ANALYSE DE QUELQUES SITUATIONS CONCRETES
1) Les mécanismes de transmission des impulsions australes sur le FIT
10Les images fournies par les satellites géostationnaires METEOSAT 1 et 2 depuis 1978 permettent, en associant les données de leurs canaux VIS, IR et VE, de concrétiser la dynamique de l’atmosphère : les perturbations cycloniques, les expulsions et décharges d’air froid y sont matérialisées par des structures nuageuses caractéristiques, les secteurs de subsidence (anticyclones dynamiques) par l’absence relative de nuages, la zone de convergence intertropicale par des formations nuageuses linéaires ponctuées de cumulonimbus massifs et froids (sommets fortement réflexifs et radiatifs), les flux de vapeur d’eau enfin par des voiles blanchâtres cernant des plages sombres de subsidence (anticyclones) ; mais la position du FIT au sol n’est pas visible.
11Ces images présentent néanmoins des séquences dont l’examen est instructif. L’ampleur du champ de vision instantanée (fuseau africain et atlantique entre 60• N et 60• S), la fréquence élevée d’acquisition des images, permettent de suivre le déroulement des pulsions australes de leur origine à leur extinction. Le scénario classique (Fig 3) peut se schématiser ainsi :
- les perturbations qui prennent naissance au large de l’Antarctique (particulièrement en Mer de Weddell) déclenchent de fortes expulsions post-cycloniques jusqu’à des latitudes très basses parfois (25 - 20 S) où leurs structures nuageuses typiques restent discernables.
- l’anticyclone de Sainte-Hélène, rechargé en air polaire sur son flanc S se renforce et se déporte vers l’Équateur.
- la masse d’air équatorial, nourrie par l’alizé océanique frais est refoulée vers le Tropique N ; elle pénètre en Afrique par le SW.

Fig. 3 - Représentation schématique de la transmission d’une pulsion australe sur le FIT en Afrique occidentale.

12Entre sa genèse et son terme, cette dynamique se déroule en 4 ou 5 jours. Ce temps de « réponse » a été retenu pour apprécier les effets de ces pulsions sur la position du FIT en Afrique occidentale au cours de la « mousson » de 1964 (cette année a pu être analysée minutieusement en raison de la richesse de la documentation disponible). Le dynamisme de l’hémisphère S est caractérisé par le gradient d’altitude du niveau de pression 500 mb sur le 40-W entre 60 et 35° S qui fournit un indice valable de circulation zonale en incorporant les réactions de la troposphère moyenne dans le mécanisme de pulsion. Les hausses brutales de gradient (« pics » du tracé ∆, fig 4) matérialisent les expulsions et leur vigueur. Par ailleurs, la position latitudinale du FIT au sol (courbeφ) a été suivie chaque jour, à 18 H, à 12° W. L’analyse comparée des courbes φ et ∆ met en évidence le pseudo-parallélisme des tracés : répond à ∆ avec un décalage d’environ 5 jours. La position du FIT paraît donc contrôlée par le niveau de l’indice zonal dans les Westerlies de l’hémisphère S. Mais cette influence australe est tempérée toutefois par la résistance qu’oppose l’hémisphère N à sa progression. Les cas les plus favorables de pénétration du FIT semblent liés à la présence sur l’Atlantique d’un système anticyclonique à disposition subméridienne sur l’axe Açores-Écosse (DORIZE, 1974) entraînant une situation de blocage sur l’Europe occidentale (Fig 4, tracé β).
2) Approche statistique de la relation entre la latitude du FIT et la valeur de l’indice zonal sur l’Atlantique S
13L’analyse qualitative précédente nécessite une vérification objective. C’est à cette fin qu’a été entrepris le calcul d’un coefficient de corrélation entre la latitude du FIT (en degrés) à 12 • W et la valeur de l’indice de circulation sur l’Atlantique S selon les critères définis précédemment.
14De juin à septembre inclus en 1964, la série des valeurs quotidiennes de ∆ a été décomposée en séquences homogènes (de 3 à 10 jours consécutifs selon les cas) discriminant trois types d’indice (élevé, moyen, faible). Compte tenu du temps de « réponse » de 5 jours correspondant à l’inertie dans la transmission de l’impulsion, la série chronologique des latitudes du FIT φ est cloisonnée de la même manière. Pour chacune de ces séquences, on a calculé une valeur moyenne de ∆ et φ ce qui aboutit à un nuage étiré de 26 points justifiant une régression linéaire. Le coefficient trouvé r = 0.79 est significatif d’une corrélation entre φ et ∆ au seuil de probabilité P = 0.05.
15Malgré les incertitudes liées aux imprécisions (tracés cartographiques du FIT parfois douteux) et à la méthode (détermination des séquences, adoption d’un temps uniforme de réponse...), la corrélation trouvée est encourageante.

Fig. 4 - Variations quotidiennes de l’indice zonal (Δ) dans l’hémisphère Sud et de la latitude (φ) du FIT sur le 12e degré en Afrique occidentale pour Juin, Juillet et Août 1964.
Les segments ----------- localisent des situations de blocage à l’W de l’Europe, c’est-à-dire quand (Pres. atm. à Madère) — (Pres. à Faer Oer) ≤0.
Décalage temporel de 5 jours entre φ et Δ = « temps de réponse » : φ = Δ + 5 j.
III - LE PROBLEME COMPLEXE DES PRECIPITATIONS AU SAHEL
16Cette recherche sur la dynamique du FIT présenterait peu d’intérêt pratique si elle n’engageait la relation FIT - pluviométrie. Or, les incursions fréquentes du FIT dans le Sahara y entraînent rarement la pluie ; le Sahel, pourtant plus au S, a même connu une indigence pluviométrique accusée de 1968 à 1984. La pluie exige donc d’autres conditions que la présence d’air humide :
- la mousson doit être épaisse d’au moins 1 200 m (fig 2) ;
- son stock de vapeur d’eau doit se régénérer au cours de son transit mais la déforestation abusive nuit à ce recyclage et la contribution du flux d’E s’avère insuffisante (FONTAINE, 1986) ; ce stock de vapeur d’eau peut être lui-même indigent à l’origine (réduction de l’évaporation sur l’océan ?).
- ce potentiel hygrométrique a besoin d’être déstabilisé par des « lignes de grains » alors que le jet stratosphérique induit une subsidence aérologique dès le 14• N (FLOHN, 1971).
17Toute déficience pluviométrique détériore la couverture végétale, renforce donc l’albedo de surface (CHARNEY, 1975 et COUREL, 1985). Ce scénario classique de la désertification (DORIZE, 1985) est encore aggravé par l’intervention anthropique. Le bilan hydrique est déjà normalement déficitaire dès le 15° N (TABEAUD, 1980). Ces divers facteurs compliquent les stratégies de prévision !

Fig. 5 - Liaison entre la latitude du FIT vers 12 degrés W en Afrique occidentale et l’indice zonal sur l’Atlantique austral entre Juin et Septembre 1964.
◦ juin • juillet ▲août Δ septembre
Δ différence d ’altitude (en décamètres géodynamiques) de la surface 500 mb entre 35 degrés S et 60 degrés S sur le méridien 40 degrés W.
φ latitude moyenne (en degrés) du FIT sur l’Afrique occidentale à 12 degrés W.
-------- droite de régression de Y en X
Y = f (X) φ = f (Δ) φ = 0.11Δ + 13 54
Coefficient de corrélation r =0.79 significatif au seuil P =0.05
(test de STUDENT-FISHER)
18Le sort du FIT semble dépendre d’un jeu complexe d’influences lointaines (où la part australe est déterminante dans la mousson estivale) et qui parviennent, par un système de relais, à manifester leurs effets jusqu’aux confins du Sahel. La dépression saharienne assure une relève à cette transmission en fournissant un appoint uniquement efficace dans la basse troposphère.
19Sans doute, plus que pour toute autre région de la ceinture intertropicale, le Sahel apparaît comme le lieu d’affrontement privilégié de forces antagonistes de dimension planétaire. C’est en somme dans cette zone tampon que se vident les querelles aérologiques des deux hémisphères.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
CHARNEY, H.G. 1975 - Qua. J Roy. Met. Soc. 101, p. 193-202.
COUREL, M-F. 1985 - Étude de l’évolution récente des milieux sahéliens à partir des mesures fournies par les satellites, Thèse, Paris, 407 p.
DORIZE, L. 1974 - Rev. Geog. Phys. Géol. Dyn. 2, XVI, 4, p. 393-420.
DORIZE, L. 1975 - Reports Proc. XVI Gen. Ass. IUGG, IAMAP n° 16, Toronto, p. 87.
DORIZE, L. 1985 - Factors responibles..., Hydrol. n° 39, UNESCO-WMO, p. 27-64.
FLOHN, H. 1971 Bon. Met. Abhand. 15, 55 p.
FONTAINE, B. 1986 - voir article dans ce numéro de Revue.
PEDELABORDE, P. 1970 - Les Moussons, A. Colin, U2, 224 p.
ROSSBY, C.G. 1939 - Journ. Mar. Res., 2, p. 38-55.
SUCHEL, H.B. 1972 - Tr. Doc. Géog. Trop. n° 5 CEGET-CNRS, 287 p.
TABEAUD, M. 1980 - Ann. Géog. n° 481, p. 37 - 56.
Auteur
Université Paris-Sorbonne U.A. 0141 - CNRS
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