Chapitre 3. Une Commission de la vérité de la démocratie contre les tendances autoritaires et les secteurs conservateurs de l’État démocratique
p. 101-134
Texte intégral
1Dans le chapitre précédent, notre regard se focalisait sur l’espace des mouvements sociaux. La mise en place de la Commission de la vérité de la démocratie Mères de mai au sein de l’Assemblée législative de l’État de Sao Paulo précipite au premier plan de notre attention l’univers institutionnel. Je souhaite démontrer que la création de cette commission est la traduction du cadre de la continuité de la violence d’État dans un instrument d’action publique, autrement dit qu’elle est l’aboutissement de la carrière de ce cadre.
2Nous nous inscrivons dans la sociologie de l’action publique qui s’intéresse à la construction collective de celle-ci. Nous mobiliserons l’approche sociologique des instruments d’action publique d’après laquelle « il s’agit de comprendre non seulement les raisons qui poussent à retenir tel instrument par rapport à tel autre, mais aussi à envisager les effets produits par ces choix » [Lascoumes & Le Galès, 2007, p. 104] ; et de percevoir la représentation du « problème public1 » induite par le choix de tel instrument spécifique.
3Les commissions de la vérité sont un instrument spécifique de la justice transitionnelle. Celle-ci « englobe l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation » [Secrétaire général de l’ONU, 2004, p. 7, §8]. Les commissions de la vérité ont pour objectif d’enquêter sur les graves violations de droits humains perpétrées lors de régimes autoritaires ou de conflits armés internes, de proposer un récit global sur ces violations et de faire des recommandations à l’entité institutionnelle concernée. Au Brésil, d’autres commissions existent, comme la Commission spéciale sur les morts et disparus politiques (Comissão especial sobre mortos e desaparecidos políticos, CEMDP) et la Commission de l’amnistie (Comissão da anistia, CA). Ces commissions ont des prérogatives en partie différentes des commissions de la vérité2. Afin de faciliter la lecture, nous parlerons de Commission de la vérité de manière générique pour nous référer à toutes ces commissions qui ont en commun d’être des instruments de la justice transitionnelle brésilienne.
Les commissions de la vérité : des espaces solidaires de la cause des victimes de la démocratie
Des espaces de légitimation institutionnelle du cadre de la continuité de la violence d’État
4Plusieurs commissions de la vérité brésiliennes et acteur·rices institutionel·les du secteur de la justice transitionnelle ont soutenu et légitimé le cadre de la continuité de la violence d’État. Une des premières commissions qui l’a défendu est la Commission de la vérité Rubens Paiva3 de l’Assemblée législative de l’État de Sao Paulo (CVRP), qui a présenté son rapport final le 12 mars 2015. Dans ses recommandations à l’État brésilien, tout un chapitre est dédié à la question de la militarisation de la sécurité publique au Brésil.
« Avant toute chose, il est important de souligner que, dans la réalité, la police militaire a été et continue d’être un appareil de guerre de l’État, utilisée par les gouvernements successifs pour contrôler son ennemi interne, c’est-à-dire son propre peuple, soit en le conduisant dans des prisons dignes du Moyen Âge, soit en produisant un massacre tragique parmi les enfants de la pauvreté et les noirs, résidents des périphéries des villes ou des favelas4. » [CVRP, 2015]
5À partir de ce constat, qui fait écho aux discours des mouvements sociaux sur les continuités entre dictature et démocratie, la Commission Rubens Paiva propose quatre recommandations dont :
« 1. La démilitarisation et l’unification des polices, sous la subordination du ministère de la Justice. [...]
4. La responsabilisation de tous les niveaux de la fédération (gouvernement fédéral, États fédérés et gouvernements municipaux) sur les questions de sécurité publique, en particulier ceux qui gouvernent les polices5. » [ibid.]
6La Commission de la vérité de Sao Paulo se positionne sur des questions qui concernent spécifiquement la cause des victimes des violences policières actuelles. L’écho aux revendications des Mères de mai est manifeste lorsqu’il est fait mention de la notion problématique d’« acte de résistance » (autos de resistência) ou de « résistance suivie de mort » (resistência seguida de morte). L’acte de résistance est un dispositif légal qui autorise les agents publics et leurs auxiliaires à utiliser toutes les méthodes jugées nécessaires pour agir contre des personnes qui leur résistent. Dans la pratique, la plupart des assassinats commis par des agents de l’État sont étiquetés comme des actes de résistance suivis de mort, ce qui bloque les enquêtes sur leurs circonstances. La suppression de ces deux notions est l’une des grandes batailles des Mères de mai et d’autres organisations brésiliennes de défense des droits humains. Pour la Commission de la vérité de Sao Paulo :
« [La police militaire] ne reconnaît pas la population pauvre comme disposant d’une citoyenneté qui la dote de droits fondamentaux, mais [la considère] seulement comme suspecte […]. Un exemple de cette pratique est l’acte de résistance. Il n’y a pas d’enquête sur les actes de résistance, ce qui garantit, du fait de leur impunité, la permissivité des crimes avec l’aval et la promotion institutionnelle6. » [ibid.]
7La Commission spéciale sur les morts et disparus politiques (CEMDP) s’est aussi positionnée sur la question des violences policières actuelles et sur la nécessité de démilitariser la police dans ses recommandations pour le rapport final de la Commission nationale de la vérité :
« 5) Sur les morts et disparus de la violence d’État dans la période démocratique […], il faut insister sur le fait que l’architecture de la sécurité publique actuelle est un héritage de la dictature civico-militaire brésilienne […]. Cependant, de nos jours, les victimes privilégiées de la violence d’État ne sont pas des militants des organisations politiques clandestines, mais principalement les jeunes noirs et habitants des aires périphériques. À l’abandon social auquel sont condamnés la majorité de ces jeunes, s’ajoute l’abandon institutionnel de leurs familles qui, dans l’absolue majorité des cas, ne réussissent pas à connaître la vérité sur ce qui s’est passé pour leurs proches – des enquêtes sont rarement ouvertes et les bourreaux d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, continuent de jouir d’une totale impunité7. »
8La Commission nationale de la vérité n’a pas présenté dans son rapport final une recherche historique approfondie sur la problématique des violences policières actuelles, comme l’a fait la commission de l’État de Sao Paulo. Toutefois, dans ses conclusions et ses recommandations à l’État brésilien, elle légitime le cadre de la continuité de la violence d’État et se prononce pour la démilitarisation des polices militaires des États fédérés et pour la modification de la législation de la procédure pénale. L’objectif est d’obtenir l’abrogation de l’acte de résistance :
« La CNV, en examinant le contexte de graves violations de droits humains, correspondant à la période qu’elle a étudiée, est en mesure de constater que ce contexte persiste à l’heure actuelle. Bien qu’elle ne s’inscrive plus dans un contexte de répression politique – comme c’était le cas sous la dictature militaire –, la pratique de détentions illégales et arbitraires, de torture, d’exécutions, de disparitions forcées et même de la dissimulation de cadavres n’est pas étrangère à la réalité brésilienne contemporaine […]. La CNV affirme que cette situation résulte en grande partie du fait que les graves violations des droits humains commises dans le passé n’ont pas été suffisamment dénoncées, et que leurs auteurs n’ont pas répondu de leurs actes, ce qui créé les conditions propices à leur perpétuation8. » [Tome I, partie V, article 9 du Rapport final de la CNV, p. 964]
9Les commissions de la vérité brésiliennes ont été des espaces institutionnels importants pour la diffusion du cadre de la continuité entre les violences perpétrées par des agents de l’État sous la dictature et sous le régime démocratique.
Les membres des commissions : des individus multipositionnés en faveur du cadre
10Je propose de nouveau une analyse au prisme de trajectoires individuelles pour montrer comment certain·es acteur·rices ont influencé le cadrage des commissions de la vérité autour du thème de la continuité de la violence institutionnelle.
Le rôle d’Adriano Diogo, député
11Adriano Diogo a milité contre la dictature. Il a été emprisonné et torturé par le régime militaire et se définit lui-même comme un survivant. Il est élu député du PT à l’Assemblée législative de l’État de Sao Paulo (Alesp) de 2002 à 2003, puis de 2006 à 2014. Entre temps, il a été conseiller municipal de Sao Paulo. Au sein de l’Alesp, il s’engage sur le thème des droits humains. Il préside la Commission des droits humains qui mène des recherches sur les violences policières actuelles, la Commission de la vérité Rubens Paiva, le groupe de combat contre le racisme et la CVDMM. En 2014, il est candidat au siège de député fédéral, mais n’est pas élu. Après son échec à ces élections, Adriano Diogo décide de quitter la politique parlementaire et perd ses fonctions de président dans les organisations mentionnées, dont la CVDMM.
« Donc il a toujours lié ces choses […], il liait toutes ces questions-là à l’Assemblée. Maintenant qu’il n’est plus là, il n’y a plus personne qui a cet engagement si fort, qui soit ex-prisonnier politique, parce qu’il a été détenu pendant la dictature, il a été torturé violemment, donc lui, il avait une implication directe avec ça. » [Rafael Schincariol, 9 mai 2015]
12Adriano Diogo était multipositionné
dans plusieurs causes ;
dans plusieurs espaces de mobilisations dont l’espace des mouvements MVJ et l’espace des mouvements populaires des périphéries ;
dans plusieurs univers sociaux dont l’univers des mouvements sociaux et celui de la politique institutionnelle et parlementaire.
13Il considère avoir fait sa part dans la lutte parlementaire sans jamais s’être éloigné des mouvements sociaux. Cette multipositionnalité explique qu’Adriano Diogo ait eu un rôle majeur dans la création de ponts (rôle de broker) entre ces causes et ces mobilisations au sein de l’Alesp. Cela explique le fait que la Commission de la vérité Rubens Paiva, dont il était le président, ait été un espace de légitimation majeur du cadre de la continuité de la violence d’État.
14Selon Rafael Schincariol, qui a travaillé avec lui dans la CVRP, Adriano Diogo a perdu les élections parce qu’il n’a pas eu l’appui de son propre parti :
« Il n’a pas eu l’appui du PT, parce que de fait, il travaille beaucoup sur les droits humains et sur certaines causes qui n’intéressent pas trop le PT, il a été isolé d’une certaine manière. » [Rafael Schincariol, 9 mai 2015]
15Dans une interview accordée au journal en ligne SpressoSP9, Adriano Diogo revient sur cet échec et sur sa sortie de la politique électorale et révèle la relation ambiguë qu’il entretient avec son parti. Il affirme à son tour ne pas avoir eu le soutien du PT, qui l’aurait délaissé au lieu de défendre son parcours. Il considère que les gouvernements pétistes prennent chaque fois plus de distance avec le PT et les mouvements sociaux, et isolent ceux qui, comme lui, sont plus à gauche. Malgré cela, il ne sortira pas du PT, car il continue de se sentir pétiste et luliste, mais un pétiste « à l’ancienne ».
« Le PT devrait être fier de moi. Pendant l’épisode du Pinheirinho, à Sao José dos Campos, M. A. de S. et moi avons été les seuls présents, c’est moi qui reçois ici dans mon cabinet les dénonciations de tueries dans la périphérie, mon mandat est à l’image de ce que le peuple imagine que le PT devrait être. » [Adriano Diogo, cité par Carvalho, 2015]
16Le rapport difficile qu’Adriano Diogo entretient avec son propre parti montre une fois de plus que se positionner dans la lutte contre les violences policières actuelles à partir de la réflexion sur les continuités de la dictature, c’est se positionner à la gauche de la politique institutionnelle du PT. La lutte contre les violences policières actuelles dans les périphéries est une lutte marginale pour la gauche institutionnelle, ce qui doit être pris en compte dans l’analyse de la création de la Commission de la vérité de la démocratie.
Rafael Schincariol et Dario de Negreiros, experts-militants
17Deux trajectoires individuelles sont rassemblées ici pour définir un même profil : celui de l’expert-militant. Rafael Schincariol était le coordinateur général de la CEMDP en 2015, tandis que Dario de Negreiros était à la tête de la coordination « Réparation psychique et recherche » de la Commission de l’amnistie du ministère de la Justice. Tous deux ont été des camarades d’université, avant d’être des compagnons de militantisme dans la cause MVJ, puis de travailler ensemble dans des institutions brésiliennes de la justice transitionnelle. Alors que Rafael Schincariol était docteur en droit et Dario de Negreiros, étudiant en psychologie à l’université de Sao Paulo (USP), ils ont intégré un groupe de travail sur la paranoïa et les sociétés autoritaires, qui les a amenés à s’interroger sur la dictature brésilienne10. À partir de cette réflexion politico-académique, ils participent à la fondation en 2011 du collectif politique « Qui11 ? » présenté dans les premiers chapitres. Par leur engagement sur les questions liées à la dictature, ils se sont intéressés à la continuité des violences policières. C’est en tant que membre du collectif « Qui ? » que Dario de Negreiros rencontre les Mères de mai lors du premier Cordon du mensonge. Il crée à leur demande, avec la psychologue Catarina Pedroso, également membre du collectif « Qui ? », et d’autres jeunes psychologues, le collectif Marges cliniques, qui a pour objectif d’apporter une aide psychosociale aux familles de victimes de violences policières d’aujourd’hui.
18Après des débuts académiques, puis militants dans la cause des victimes de la dictature, Rafael Schincariol et Dario de Negreiros sont tous deux amenés à occuper des postes institutionnels dans le sous-secteur de la justice transitionnelle. On dira qu’ils appartiennent à une nouvelle génération d’experts formés sur le thème de la dictature. Le terme « expert » est utilisé dans la littérature en opposition à celui de « militant ». Le premier est associé à plus d’objectivité et à des positions politiquement dominantes, tandis que le second fait référence à des individus moins objectifs et extérieurs à la sphère de l’exercice du pouvoir [Siméant, 2002, note 46, p. 37]. Le profil commun de ces deux hommes révèle des ambiguïtés dans cette manière duale de définir les positions.
« On peut, c’est légitime, objectiver les individus et les qualifier analytiquement d’[experts] ou de militants. Il reste que l’on a affaire à des individus concrets, qui […] s’expriment, dans les différents espaces où ils interviennent, en tant qu’individus concrets chargés de toutes leurs propriétés sociales. » [Siméant, 2002, p. 34]
19Leur profil peut être défini comme celui d’expert-militant. La conjonction de leurs propriétés sociales de militants et d’experts fait d’eux des protagonistes de l’affirmation du cadre de la continuité entre violence d’État du passé et du présent. Dario de Negreiros est doublement engagé dans la cause MVJ et aux côtés des Mères de mai et circule entre l’univers des mouvements sociaux et celui de la politique institutionnelle. Il est un broker, un acteur qui crée des ponts entre des causes et univers sociaux différents. Dans le cas de Rafael Schincariol, nous ne savons pas s’il est directement engagé aux côtés des Mères de mai, mais nous savons que sa double position dans l’espace des mouvements sociaux et dans l’univers de la politique institutionnelle lui a donné un rôle de médiateur et de vecteur de la diffusion des cadres et des revendications des mobilisations dans l’univers de la politique institutionnelle.
« Je te demandais pourquoi des espaces comme la Commission de l’amnistie et la CEMDP sont arrivés à penser la question de la continuité de la violence... — Je crois que ces espaces ont été ouverts et consolidés dans le gouvernement parce qu’ils ont été occupés par des personnes plus progressistes […]. Dans la CEMDP, ce sujet est entré avec Rafael Schincariol qui a clairement affirmé cette orientation. Ce n’est pas facile pour nous, même à l’intérieur de la gauche, de soutenir ce thème. On rencontre des oppositions et des oppositions chaque fois plus fortes même au sein de la gauche. » [Dario de Negreiros, 5 juin 2015]
20Cet extrait d’entretien illustre que ces experts-militants, bien qu’insérés dans les institutions du gouvernement fédéral à la tête duquel était alors le parti des travailleurs, se présentent comme étant à la gauche de cette gauche.
L’insertion des Mères de mai dans des espaces institutionnels solidaires de leur cause
21Les Mères de mai se sont insérées aussi bien dans l’espace des mouvements sociaux pour la mémoire, la vérité et la justice que dans des espaces institutionnels de la MVJ. Nous défendons l’idée selon laquelle les Mères de mai ont intégré des espaces auxquels elles ont eu accès grâce à la solidarité et/ou à l’initiative d’acteur·rices déjà sensibilisé·es à leur cause.
22Plusieurs personnes mentionnent la présence et la participation des Mères de mai dans des audiences publiques de la Commission de la vérité Rubens Paiva et leurs prises de parole pour demander que celle-ci traite des crimes de la démocratie. La retranscription des audiences publiques de la Commission révèle que Débora Maria da Silva, coordinatrice et fondatrice des Mères de mai, a été invitée le 15 octobre 2014 à témoigner lors de la 145e audience qui traitait des « Escadrons de la mort – Un chapitre de la violence policière12 ». Dans sa prise de parole, Débora Maria da Silva revient sur son histoire personnelle et sur son entrée dans la lutte contre les violences policières, avant de dénoncer la responsabilité du ministère public brésilien :
« Quand vous touchez un thème pour lequel il n’y a pas de punition, la partie qui est coupable, selon moi, d’après ma lecture de mère et de victime des crimes de mai, c’est le ministère public. Il faut parler du ministère public, parce qu’il sait que la police tue. C’est comme ça que ça se passe. Mais le ministère public tue encore plus, avec un trait de stylo. Il tue dix fois plus que ceux qui appuient sur la gâchette et qui donnent les ordres […]. Donc nous exigeons une réforme du judiciaire, qui est nécessaire pour faire avancer la démocratie13. » [Retranscription de la 145e audience publique de la CVRP, p. 22-23]
23Ce discours d’octobre 2014 est à mettre en perspective avec une annonce publiée sur le blog des Mères de mai en décembre 2014 :
« Comme résultat de la pression autonome du Réseau national des familles de victimes de violences policières, le Conseil national du ministère public (CNMP) vient d’adresser une circulaire à tout le territoire national avec les orientations immédiates devant être prises par tous les ministères publics des États pour “lutter contre les morts dues aux violences policières14”. »
24Les Mères de mai sont membres de ce Réseau national et dans ce cadre ont participé activement à faire pression sur le Conseil national du ministère public pour qu’il se positionne sur la question des violences policières. La concordance des dates montre que l’audience de la Commission de la vérité Rubens Paiva a été une arène dans laquelle Débora Maria da Silva a défendu, en tant que coordinatrice des Mères de mai, les revendications que son mouvement portait dans d’autres espaces. Pour justifier l’utilisation de cette arène, Débora Maria da Silva rappelle la similitude de sa lutte avec celle des familles des victimes de la dictature :
« Je crie comme mère du passé et du présent, et je veux que personne n’ait à crier comme mère du futur. C’est pour cela qu’existent les Mères de mai15. » [Retranscription de la 145e audience publique de la CVRP, p. 24]
25Déjà en décembre 2012, les Mères de mai avaient profité d’un événement de la Commission de l’amnistie pour faire la promotion d’un de leurs livres dont le lancement officiel avait eu lieu quelques jours avant. Lors de la 66e caravane de l’amnistie16, Paulo Abrão17, président de la Commission de l’amnistie avait souligné la continuité des abus contre les droits humains entre la période dictatoriale et la période actuelle et présenté le livre des Mères de mai La périphérie crie : Mères de mai, mères de prisonniers18. Il avait ensuite abordé les thèmes principaux de la journée : l’amnistie politique post-mortem du père José Eduardo Augusti et l’amnistie de militants de l’opposition syndicale métallurgique de Sao Paulo.
26Les commissions de la vérité peuvent dès lors être considérées comme des « espaces solidaires » du mouvement des Mères de mai. Le terme solidaire s’applique à des individus, mais les critères définissant les « militant·es solidaires » correspondent aussi aux commissions de la vérité en tant qu’entités collectives, puisqu’elles utilisent leurs ressources – pouvoir de recommandation, arène de publicisation, etc. – pour se positionner sur des thèmes qui ne bénéficient pas directement à leur public cible, composé des victimes de la dictature et de leurs familles. Cette solidarité s’explique par les trajectoires individuelles des membres des commissions, tout en étant activée lors des interactions qu’elles et ils ont avec les Mères de mai.
27On ne trouve pas d’autres références à Débora Maria da Silva ou aux Mères de mai dans les retranscriptions des audiences publiques de la CVRP. Cela amène à supposer que l’insertion des Mères de mai dans l’espace de la CVRP – et dans les autres commissions – s’est faite en grande partie sous le mode de rencontres informelles ou privées entre les Mères de mai et les membres des commissions19.
Création et légitimation de la Commission de la vérité de la démocratie
Une construction collective
28Le 12 février 2015 a eu lieu l’audience d’ouverture de la Commission de la vérité de la démocratie Mères de mai (CVDMM), présentée comme une continuité du travail de la Commission Rubens Paiva :
« La Commission de la vérité de la démocratie a explosé comme un phénomène naturel à la fin des commissions de la vérité du passé. » [Adriano Diogo, 8 juin 2015]
« Donc quand on a présenté le rapport de la commission de la vérité de Sao Paulo […], juste après a été lancée la CVDMM, on a voulu faire cela justement pour montrer qu’on ne finissait pas le travail à ce moment-là, que le travail devait continuer, qu’il fallait enquêter sur les massacres du présent, sur la violence de la police dans le présent. » [Rafael Schincariol, 9 mai 2015]
29À la table officielle de la cérémonie d’ouverture de la Commission de la vérité de la démocratie, on retrouve des acteur·rices déjà mentionné·es : Rafael Schincariol de la Commission spéciale des morts et disparus politiques, Débora Maria da Silva des Mères de mai, Adriano Diogo, député de l’État de Sao Paulo, ex-président de la Commission de la vérité Rubens Paiva, Dario de Negreiros, représentant de la Commission de l’amnistie, Francilene Gomes Fernandes, membre des Mères de mai20, et deux chercheur·euses mis·es à disposition par la Commission de l’amnistie pour aider le travail de la CVDMM, Maria Pia Guerra et José de Jesus Filho.
30Je n’ai pas pu remonter à l’origine de l’idée de la création de la Commission de la vérité de la démocratie. Chez qui et à quel moment a-t-elle surgi ? Certaines personnes évoquent l’« intuition géniale » des Mères de mai qui n’ont eu de cesse de revendiquer la mise en place d’une Commission de la vérité qui traiterait la situation de leurs proches. Elles avaient fait parvenir en juillet 2012 une lettre, restée sans réponse, à la présidente de la République Dilma Rousseff, dans laquelle
« [elles] exige[aient] la création d’une Commission de l’amnistie pour les prisonniers, persécutés, morts et disparus politiques dus à l’action des agents de l’État durant la période démocratique. À l’exemple de la commission qui a été instituée au sein du ministère de la Justice en ce qui concerne les familles et victimes de la dictature civico-militaire, il faut avancer dans le même sens pour les prisonniers, persécutés, morts et disparus politiques de la démocratie21. » [Lettre des Mères de mai à la présidente Dilma Roussef, 23 juillet 2012]
31Si pour certain·es l’idée viendrait des Mères de mai, d’autres sources insistent sur le rôle joué par des militants-experts et des acteur·rices institutionnel·les MVJ :
« [Les Mères de mai] ont commencé à demander, et les autres mouvements aussi, quand elles ont entendu parler de commission de la vérité, elles n’arrêtaient pas de parler de commission de la vérité, mais ça n’avançait pas. Alors un groupe, le groupe Marges cliniques […], avec Dario de Negreiros qui travaille aujourd’hui dans la Commission de l’amnistie, ils sont venus me trouver, parce que je les connaissais, je travaillais alors avec Adriano Diogo, et ils m’ont dit qu’ils voulaient discuter avec lui à ce sujet. Adriano Diogo avait déjà l’idée de faire une commission au sein de la Commission des droits humains [de l’Alesp], avec une ligne de recherche seulement sur les violences policières. Alors j’ai organisé une réunion, j’y étais, je les ai appelés ainsi qu’Adriano Diogo, et eux ils ont fait une recherche sur plus de 20 massacres perpétrés par la police durant le régime démocratique, et ils ont présenté ce projet et Adriano Diogo a été très enthousiasmé et à partir de là, Adriano Diogo a fait la proposition dans l’Alesp pour la créer. Et comme Débora Maria da Silva demandait depuis longtemps que la CVRP traite du présent, alors tout ça s’est combiné, n’est-ce pas, de rassembler toutes les personnes qui voulaient cela, en faisant une chose unitaire. C’est de là que vient cette initiative. Mais cette initiative vient surtout d’Adriano Diogo et du secrétariat des droits humains qui a permis l’embauche de chercheurs. » [Rafael Schincariol, 9 mai 2015]
« Nous, encore comme militants, moi et Rafael Schincariol, c’est-à-dire le collectif Marges cliniques et le collectif politique “Qui ?”, on a écrit un projet de Commission de la vérité de la démocratie et on l’a apporté à Adriano Diogo, et Adriano Diogo a accepté et a dit : “On le fait”, “On va le faire.” Et la Commission de l’amnistie, représentée par Paulo, a cédé deux consultant·es pour mener les recherches de la CVDMM. » [Dario de Negreiros, 5 juin 2015]
32Les acteurs interrogés qui ont participé à la construction de la CVDMM mobilisent différentes casquettes en fonction des interactions. C’est en tant que militants que Dario de Negreiros et Rafael Schincariol ont présenté le projet de la Commission de la vérité de la démocratie, mais c’est comme représentants officiels d’institutions de l’État brésilien qu’ils se présentent à la cérémonie d’ouverture de la commission ; et c’est grâce à leurs ressources et appuis institutionnels que le projet de la CVDMM a pu devenir réalité. J’ai jusqu’à présent défini ces acteurs comme des brokers. Il semble pertinent d’employer à partir de maintenant celui de bridging leader proposé par Ann Mische [2008]. Cette notion définit des acteur·rices multipositionné·es dans au moins deux secteurs différents des mouvements sociaux, très créatifs dans l’élaboration d’idées et de répertoires et investis dans la compétition et les disputes institutionnelles. Si dans notre cas les acteurs ne circulent pas uniquement entre différents secteurs des mouvements sociaux, mais aussi dans les sphères de politique gouvernementale et parlementaire, la notion de bridging leader souligne la capacité de recourir à certaines de leurs identités selon les contextes et de répondre à la demande des mouvements sociaux [Mische, 2008, p. 51-52].
33La notion de « force relais à des positions stratégiques » [Neveu, 2011, p. 86] met en lumière un autre élément. Cette notion provient d’une simplification du modèle des structures des opportunités politiques de Tarrow [1989]. Elle définit certain·es acteur·rices positionné·es dans la sphère institutionnelle qui servent de relais entre les mouvements sociaux et les institutions gouvernementales. Dans la mesure où cette notion se réfère au modèle des structures d’opportunité politique, il faut la lire sous l’angle de la mobilisation des ressources. En l’appliquant à notre cas, on pourrait dire que les Mères de mai ont su se servir de forces relais de leurs revendications à des positions stratégiques dans la sphère des institutions publiques.
34Il est difficile de déterminer le poids de chaque variable dans les interactions entre les acteur·rices des commissions de la vérité et les Mères de mai. Nous soutenons que la Commission de la vérité résulte d’une construction collective dans laquelle les Mères de mai et les acteur·rices institutionnel·les MVJ ont joué un rôle important. D’un côté, les Mères de mai ont su saisir l’opportunité politique que la position de ces personnes représentait. De l’autre, ces dernières ont su valoriser leurs ressources de bridging leaders.
35La situation dans laquelle se trouvait la Commission de la vérité de la démocratie en juin 2015 incite à mettre en évidence l’importance des acteur·rices institutionnel·les tout en s’interrogeant sur les limites des initiatives institutionnelles personnalisées, car une fois Adriano Diogo sorti de la politique institutionnelle, la CVDMM s’est retrouvée sans cadre de fonctionnement.
« Mais on va résoudre ça, peut-être que ça ne va pas rester au niveau institutionnel, mais le peuple va s’organiser en dehors de la sphère institutionnelle et va le faire dans l’espace du mouvement populaire, du mouvement social. » [Adriano Diogo, 8 juin 2015]
Mise en équivalence des problèmes publics et des solutions
36Il reste à comprendre comment la CVDMM a été légitimée sur le plan cognitif au prisme d’une mise en équivalence entre la cause MVJ et celle des victimes de violences policières dans les périphéries.
37Plusieurs travaux traitent des équivalences produites – stratégiquement ou non – par des mouvements sociaux. Par exemple, dans Agir pour ne pas mourir ! Act Up, les homosexuels et le sida, Christophe Broqua explique :
« Progressivement, la rhétorique de l’association va donc s’appuyer sur une “mise en équivalence” des positions occupées par les différents groupes touchés par la maladie, qui ont en commun un statut social minoritaire (ou minorisé), une expérience de stigmatisation et un passé de luttes séparées : homosexuels, toxicomanes, prisonniers, prostitués, étrangers, sourds-muets, etc. » [Broqua, 2005, p. 126]
38Il cite un texte d’Act Up Paris de 1994 dans lequel le collectif rejette l’idée d’une « communauté sida » et privilégie une « idée de coalition » entre différentes communautés touchées par le sida : « La lutte contre le sida peut en effet aider à constituer des réseaux de solidarité entre ces diverses communautés » [Broqua, 2005, p. 126]. Dans sa thèse sur l’expérience du racisme et les mobilisations de « racisé·es », Soline Laplanche-Servigne revient sur deux types de mise en équivalence produites par les deux organisations françaises qu’elle étudie : le Mouvement des indigènes de la République (MIR) et le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). Elle montre que tout l’argumentaire du MIR « s’appuie sur une mise en équivalence des immigrés et descendants d’immigrés discriminés d’aujourd’hui avec les sujets coloniaux d’hier ». « [L]es fondateurs du mouvement cherchent ainsi à mettre en exergue la généalogie coloniale des pratiques discriminatoires contemporaines, ramenant les dysfonctionnements de l’État social républicain à sa nature coloniale » [Laplanche-Servigne, 2011, p. 151, p. 153]. Dans le cas du CRAN, la mise en équivalence tire son importance du contexte politique :
« Concernant l’assertion d’être “républicains” et d’inscrire son action dans les idéaux de la République, le discours de lutte du CRAN repose sur une mise en équivalence des Noirs comme groupe discriminé avec d’autres groupes minorisés-discriminés, en particulier les femmes. Cette stratégie de légitimation de la cause des Noirs par sa mise en équivalence avec la cause des femmes se comprend aisément dans le contexte français, la France ayant adopté quelques années auparavant la réforme dite de la “parité politique” [...]. La consécration politique en France de la parité à la fin des années 2000 [...] donne un point d’appui particulièrement fort pour légitimer la cause des Noirs, dont le CRAN peut alors revendiquer le même aboutissement institutionnel que celle des femmes. Dès lors, le discours du CRAN est un discours de lutte contre les discriminations, qui tente de s’inscrire dans les pas des succès d’autres groupes minorisés [...]. Le premier objectif de cette mise en équivalence entre la cause des Noirs et celle d’autres groupes minorisés – les “femmes” et les “homosexuels” – est de s’appuyer sur les aboutissements politiques de ces autres causes, ayant déjà gagné une certaine légitimité en France, après que les revendications qu’elles portaient aient été dans un premier temps elles aussi critiquées comme allant à l’encontre de l’universalisme républicain. » [Laplanche-Servigne, 2011, p. 149-150]
39Les analyses de Broqua et Laplanche-Servigne font la lumière sur notre propre cas. À la différence d’Act Up et du CRAN, il n’est pas question dans notre étude d’une mise en équivalence de deux groupes minorisés-discriminés. Nous avons insisté dans le premier chapitre sur la différence de base sociale des deux mouvements qui nous intéressent. La mise en équivalence produite par nos enquêté·es se fait plutôt sur le même mode que celle produite par le MIR : leurs mouvements cherchent à mettre en exergue la généalogie dictatoriale des pratiques actuelles des agents de l’État. Nous observons ainsi une mise en équivalence des problèmes publics et non pas une mise en équivalence des groupes sociaux. Cependant, notre cas se rapproche de celui du CRAN dans la mesure où ce dernier propose une mise en équivalence de sa cause avec celle de la cause des femmes afin de s’appuyer sur ses aboutissements politiques. De même, les Mères de mai prennent appui sur les aboutissements politiques de la cause MVJ – les commissions de la vérité – à partir de la mise en équivalence de leur propre cause avec celle de la MVJ. La mise en équivalence des problèmes publics – par le cadre de la continuité de la violence d’État – justifie la mise en équivalence des solutions : notre cas se situe donc au croisement de l’argumentaire du MIR et de la stratégie du CRAN.
La Commission de la vérité de la démocratie : de l’utilisation de la justice transitionnelle en démocratie
Commissions de la vérité versus secrétariats de Sécurité publique
40Le traitement de la violence d’État pendant la dictature et le traitement des violences policières actuelles sont tous deux des prérogatives du secteur des droits humains inclus dans le programme national de droits humains de l’État fédéral (PNDH-3). Le sous-secteur qui inclut les différentes commissions de la vérité – celui de la justice transitionnelle – a pour objet spécifique le traitement des problématiques liées à la dictature (politiques mémorielles, politiques d’éclaircissement de la vérité, archives etc.). Traiter la problématique des violences policières actuelles ne fait pas partie des attributions de ces commissions. Ces entités ont toutefois intégré à leurs obligations celle de traiter les héritages de la dictature, ce qui justifie qu’elles produisent une réflexion sur la question des violences policières actuelles. Que ce sous-secteur produise des rapports et appelle à des réformes sur une thématique définie comme un héritage de la dictature n’implique pas nécessairement qu’il mette en place des politiques publiques. On aboutit ici au « paradoxe » de l’action publique présenté par Pierre Müller :
« C’est alors que l’action publique se trouve confrontée à un paradoxe redoutable, dans la mesure où les problèmes qu’elle doit traiter sont en général multiformes, multi-causaux et renvoient toujours à une logique de causalité systémique qui transgresse les spécialisations : tout se passe comme si, d’un côté, l’action publique ne pouvait pas échapper à la sectorisation pour mettre en œuvre des savoirs et des savoir-faire efficaces, mais que, d’un autre côté, elle s’interdisait par là même de prendre en compte le caractère global des problèmes. » [Müller, 2014, p. 597]
41Selon Müller, pour faire face à ce paradoxe, les responsables gouvernementaux peuvent tenter de dépasser la sectorialité en mettant en place des politiques intersectorielles – faire collaborer différents secteurs, comme dans le cas des politiques de prévention de la délinquance – ou des politiques transsectorielles – politiques devant s’intégrer dans l’ensemble des secteurs existants, comme les politiques d’égalité homme-femme en France [Müller, 2014, p. 598].
42Notre cas d’étude correspond à une autre stratégie. Considérant que les institutions de la sécurité publique ne traitent pas de manière adéquate les causes des violences policières, des institutions extérieures à ce domaine s’approprient leurs obligations. En plus de faire pression pour une transformation des politiques de sécurité publique dans leurs rapports officiels, elles décident d’intervenir directement pour initier le travail nécessaire à une révision de ces politiques.
43C’est normalement au sein du secteur de la sécurité publique que les Mères de mai et autres mouvements de victimes de violences policières devraient trouver une réponse à leurs revendications. Face à la fermeture politique des secrétariats de Sécurité publique et du gouvernement fédéral sur cette thématique, les acteur·rices institutionnel·les MVJ ouvrent leur propre espace, dont ils et elles revendiquent la relative autonomie et l’engagement militant :
« Le gouvernement fédéral est loin d’être un partenaire dans la lutte contre la violence d’État actuelle. Au contraire, le gouvernement fédéral a déjà manifesté de manière très claire son appui à la manière dont est organisée la sécurité publique dans les États de Sao Paulo (SP) et de Rio de Janeiro (RJ), il a déjà largement manifesté son soutien au secrétaire de Sécurité publique de SP, au secrétaire de Sécurité publique de RJ, donc nous n’avons pas un allié. Mais on a un gouvernement qui comporte en son sein certaines contradictions, et certains types d’espaces institutionnels se constituent souvent comme des espaces institutionnels d’opposition à d’autres espaces au sein même du gouvernement […]. Je dirais qu’on a trouvé un espace institutionnel favorable pour notre militantisme qui est l’espace de discussion sur la justice transitionnelle. Je ne crois pas que notre militantisme devait nécessairement prendre ce chemin. Il a pris ce chemin parce c’est un des rares espaces encore un minimum ouvert dans un gouvernement fédéral et un contexte politique national chaque fois plus conservateur et de droite […]. Donc on a trouvé dans la justice transitionnelle un environnement politique favorable à ce qu’on mette ces sujets sur la table. Maintenant, c’est sûr que pour moi c’est très clair que le meilleur endroit pour que ce débat se fasse serait dans les secrétariats de Sécurité publique, dans les endroits qui s’occupent plus directement de la Sécurité publique au Brésil. Mais malheureusement, ces espaces ont des configurations politiques plus fermées pour ce type de débat […]. On se meut dans les brèches, la brèche qui s’est ouverte à nous a été celle-ci, la brèche qu’on a trouvée comme espace possible pour agir est celle-ci, mais en effet, je considère que le vrai débat est dans la Sécurité publique. » [Dario de Negreiros, 5 juin 2015]
Nouvelle trajectoire de la justice transitionnelle et de la lutte contre les violences policières
44Selon Sandrine Lefranc, l’Argentine et le Chili ont « inventé » dans les années 1980 un modèle de gestion de sortie des régimes autoritaires répressifs fondé sur des politiques de vérité prenant la forme de commissions de la vérité et des politiques de reconnaissance et de réparations des victimes [Lefranc, 2008, p. 62]. Par la suite, ces politiques se sont multipliées dans le monde et se sont routinisées sous le nom de « justice transitionnelle ». Créer une Commission de la vérité de la démocratie étend le domaine d’application des « préceptes22 » de la justice transitionnelle à des situations démocratiques et ne la limite plus seulement aux bonnes pratiques de sortie de régimes autoritaires ou de conflits armés. C’est justement ce que les acteurs MVJ tentent d’impulser :
« Quel est le sens de faire une Commission de la vérité dans une démocratie, même si cette démocratie n’est pas totale ? — Je pense que... Parce que la justice transitionnelle a des règles... Quels sont les trois piliers de la justice transitionnelle ? Mémoire, vérité et justice. Mémoire des victimes, vérité sur les bourreaux, sur ceux qui ont perpétré des violations de droits humains, et la justice par laquelle ces crimes doivent passer. Donc il y a une méthodologie, quelle est cette méthodologie ? Tu détermines qui sont les victimes, tu sais qui a généré le processus d’assassinats de masse, de torture, qui a financé – ce sont les entreprises, les propriétaires de journaux – et de là, tu peux passer au processus judiciaire. C’est la base, c’est la même méthodologie, la même méthodologie. » [Adriano Diogo, 8 juin 2015]
« On défend l’idée que les droits se consolident dans ce concept de justice transitionnelle, en d’autres termes, le droit à la mémoire, le droit à la vérité, le droit à la justice ne sont pas des droits, comme le dit Paulo [Paulo Abrão, président de la Commission de l’amnistie] dans un article qu’il a écrit avec Tarso [Tarso Genro, gouverneur du Rio Grande do Sul et avocat]23. Ce ne sont pas des droits de transition, ce sont des droits de la transition. Qu’est-ce qu’il veut dire par là ? Il veut dire que la société se rend compte de l’existence de ces droits au moment de la transition, c’est-à-dire qu’ils ont pour origine historique la période de transition, mais ils ne se limitent pas à la période de transition, ce sont des droits pérennes qui s’incorporent à l’ordre démocratique24. » [Dario de Negreiros, 5 juin 2015]
45Cette amplification du cadre (frame amplification) de la justice transitionnelle permet de justifier la création de la commission de la vérité de la démocratie. Les personnes enquêtées reconnaissent que cette justification théorique manque d’approfondissement. Cela renforce l’idée d’une création avant tout stratégique dans un contexte politique perçu comme fermé.
« C’est une longue discussion, mais de fait, parfois je pense que c’est beaucoup plus une stratégie que quelque chose qu’on pourrait soutenir jusqu’au bout sur le plan théorique. Paulo Arantes25, par exemple, m’a dit exactement ces mots : “Dario de Negreiros, je suis d’accord avec toi, je suis de ton côté, si tu m’amènes une pétition pour la création d’une commission de la vérité de la démocratie, je signe […], mais si tu veux qu’on discute théoriquement, je dirais que tu fais complètement erreur, c’est une absurdité de penser à ça, d’utiliser la justice transitionnelle pour penser le présent, ça n’a aucun sens sur le plan théorique, mais ça fait totalement sens sur le plan stratégique, donc je suis de ton côté.” » [Dario de Negreiros, 5 juin 2015]
46Ces propos font échos à l’histoire du slogan de la parité en France, relatée par Laure Bereni [2007]. Bereni revient sur les débats qui ont animé les cercles de discussion féministe autour de la parité. Ce concept apparaît pour beaucoup d’intellectuelles dominantes du champ des études féministes comme contredisant les normes de l’anti-essentialisme et du radicalisme. Malgré cela, d’autres revendiquent que la parité puisse être une solution « vraie en pratique et fausse en théorie26 ». Bereni montre que « la genèse de la parité […] est le produit de l’hybridation de problématiques militantes et savantes hétérogènes » [Bereni, 2007, p. 46]. Dans notre cas, la création de la CVDMM est plutôt le produit d’une rencontre entre des revendications militantes et un modèle d’instrument déjà existant et théorisé qui pourrait, en étant adapté, répondre aux revendications des militant·es.
47La sociologie de l’action publique insiste sur l’intérêt qu’il y a à évaluer les changements et innovations de politiques publiques à partir de l’analyse des instruments. Les différents courants de cette littérature s’intéressent au mimétisme institutionnel ou à l’isomorphisme. La notion de mimétisme institutionnel est utilisée par les sociologues de l’action publique pour définir les processus de transferts de politiques publiques pouvant exister entre des systèmes politiques et/ou sociaux différents, internationaux ou infranationaux. Elle ne devrait donc pas s’appliquer à notre cas d’étude puisqu’il ne correspond pas à une circulation entre deux systèmes politiques, mais au contraire à la mise en place d’un nouvel instrument de politique publique sur le modèle d’un instrument déjà existant au sein d’une même institution.
48Reprenons les différentes formes de mimétisme possibles. Le mimétisme peut signifier a) une copie directe ; b) une émulation, c’est-à-dire l’adoption, avec les ajustements nécessaires en fonction des circonstances, d’un programme déjà en vigueur dans une autre juridiction ; c) une combinaison de différentes politiques ; d) une inspiration extérieure, mais une réalisation très différente du modèle [Dolowitz, 2000 ; Porto de Oliveira, 2010 ; Rose, 1991 ; Russeil, 2014].
49La Commission de la vérité de la démocratie peut correspondre au résultat d’une émulation qui a eu lieu au sein d’un unique espace institutionnel. Cela permet de souligner la spécificité et le double caractère de la Commission de la vérité de la démocratie. Celle-ci est à la fois un instrument innovant, dans la mesure où c’est le premier instrument de ce type établi avec l’objectif de traiter les problématiques de la démocratie, et un instrument qui s’inscrit dans l’histoire d’une lutte – celle pour la mémoire, la vérité et la justice – et à la suite de conquêtes institutionnelles antérieures : les commissions de la vérité « de la dictature ». Avec cette nouvelle politique publique, la justice transitionnelle prend une nouvelle orientation.
50À la suite de Dobry, il est possible de dire que
« c’est pour des “raisons”, des “motifs” ou des “intérêts” hétérogènes ou, mieux, sous l’effet de séries causales ou de “déterminismes” largement indépendants les uns des autres que, en des sites sociaux distincts, des groupes ou des individus sont incités à se saisir de mobilisations lancées par d’autres, à les investir d’autres significations et à leur donner ainsi, par leur “entrée dans le jeu”, d’autres trajectoires historiques. » [Dobry, 1986, p. 31]
51Dans notre cas d’étude, les acteur·rices de la mémoire, la vérité et la justice sont « entré·es dans le jeu » de la lutte contre les violences policières actuelles, de même que les Mères de mai sont « entrées dans le jeu » de la MVJ. Cela a abouti à donner à la justice transitionnelle et à la lutte contre les violences policières actuelles une nouvelle trajectoire.
La Commission de la vérité de la démocratie : une critique du régime démocratique
52La Commission de la vérité de la démocratie a émergé comme une stratégie pour faire évoluer les politiques de sécurité publique. Elle a également contourné la fermeture des institutions directement concernées à partir d’une émulation justifiée par l’extension du cadre de la justice transitionnelle. Or,
« les instruments d’action sont porteurs de valeurs, nourris d’une interprétation du social et de conceptions précises du mode de régulation envisagé. L’instrument est aussi producteur d’une représentation spécifique de l’enjeu qu’il traite. Enfin, l’instrument induit une problématisation particulière de ces objets d’application dans la mesure où il hiérarchise des variables et peut aller jusqu’à induire un système explicatif. » [Lascoumes et al., 2007, p. 104-105]
53Ce livre a présenté des discours proposant une analogie entre dictature et démocratie actuelle, et l’idée d’une consolidation, voire une transition à la démocratie non achevée. La production de cette analogie est destinée à provoquer et à générer davantage de médiatisation, en même temps qu’elle favorise la création d’espaces de solidarité et de mobilisations communes pour deux mouvements qui ont intérêt à se rapprocher. Elle pose des questions plus profondes qui ressortent dans un échange avec Nicolau Bruno de Almeida :
« C’est Nicolau qui a lancé le sujet en me demandant si c’était lui qui parlait toujours de dictature pour critiquer le régime brésilien actuel ou s’il y avait d’autres personnes qui le faisaient. Après nos discussions sur le sujet et les réactions qu’on a reçues au Théâtre de l’Opprimé, il commençait à se questionner sur la pertinence de l’usage du mot “dictature”. Nous en sommes donc venus à une discussion sur les correspondances et analogies […]. Nicolau a cité Walter Benjamin qui parle de la correspondance faite par Rosa Luxembourg avec Spartakus – correspondance avec la révolte des gladiateurs. Mais il se demande quand même si ce ne serait pas une limite de parler de dictature. Mais que dire à la place ? Il présente l’analogie (productive) comme l’opposé de la tautologie (qui enferme)27. » [Extrait de journal de terrain, 9 juin 2014]
54L’expression « mais que dire à la place ? » est révélatrice puisqu’elle suggère que Nicolau Bruno de Almeida ne conçoit pas de parler de démocratie pour définir le régime actuel, mais qu’il se rend compte qu’il ne devrait peut-être pas non plus parler de dictature. Cette ambivalence ressort à plusieurs reprises au cours de mon enquête. Voici un exemple paradigmatique :
« Mais quand vous faites des actions, vous vous sentez comme en dictature ou en démocratie ?
– En démocratie. On se sent en démocratie, sans le moindre doute. Comment puis-je expliquer ? On a pleinement conscience du fait qu’on vit aujourd’hui une pleine démocratie, mais une démocratie limitée, qui vient des propres limites du système politique actuel, donc la démocratie qui en vérité n’est pas une démocratie […]. Cette démocratie est plus limitée qu’une démocratie bourgeoise formelle parce qu’elle n’a pas rendu de comptes sur la période historique antérieure et elle porte beaucoup de ce passé dans ses entrailles et cela signifie beaucoup, c’est comme si on n’en avait pas fini avec la dictature militaire, comme si elle s’était camouflée sous le signe de la démocratie. Et plus encore, c’est comme si elle s’était perfectionnée avec le temps, s’était développée, s’était perfectionnée, s’était métamorphosée et dans la période actuelle elle existe encore, mais sous une autre forme, une forme voilée. » [Entretien avec un membre du LPJ, 3 décembre 2013]
55On lit ici un discours tout en contradictions, où la démocratie peut être à la fois « pleine » et « limitée », être et ne pas être (« une démocratie qui en vérité n’est pas une démocratie ») ou être une dictature « voilée ». Ces contradictions font écho aux réflexions développées par les savant·es et les expert·es qui cherchent à définir la démocratie brésilienne actuelle et développent des concepts variés pour expliquer ses contours. Parmi ces concepts, la « démocratie imparfaite » de Safatle [2010], intermédiaire entre la dictature et la démocratie ; des visions en termes d’enclaves autoritaires localisables et éliminables pour arriver à la démocratie ; et des analyses plus pessimistes sur la caractéristique intrinsèquement autoritaire de la démocratie brésilienne. Pour Edson Teles, l’autoritarisme appartiendrait à la structure même de la démocratie et la démocratie brésilienne produirait elle-même de l’autoritarisme. Dario de Negreiros parle quant à lui d’un « État oligarchique de droit28 » signifiant qu’une certaine partie de la population – blanche, riche, qui fréquente les meilleures universités – vit effectivement en démocratie, tandis que l’autre grande partie de la population – pauvre, noire, des périphéries – subit un État loin d’être démocratique.
56Ces savants ont participé par leurs travaux à légitimer le cadre de la continuité de la violence d’État. Leur profil fait écho à celui des experts-militants, car ils sont souvent multipositionnés à la fois dans l’espace académique et l’espace militant. C’est le cas d’Edson Teles. Victime de la violence de la répression politique quand il était enfant et appartenant à l’une des familles protagonistes de la lutte pour la MVJ au Brésil, il a milité très jeune pour la mise en place de la Commission spéciale sur les mort·es et disparu·es politiques. À l’université, il s’est spécialisé sur le thème de la dictature. Aujourd’hui philosophe et professeur d’université, il continue à travailler sur la question de la dictature et à s’engager dans les espaces MVJ. Il est l’un des premiers à avoir insisté sur la continuité de la violence d’État à partir de ses réflexions sur le concept d’État d’exception. Il écrit tous les mois sur le blog de l’édition Boitempo. Dans un article intitulé « Démocratie à effet moral » publié le 26 mars 2014, il propose une analyse de la démocratie brésilienne et conclut : « Pour étrange que ce soit d’entendre l’affirmation selon laquelle nous vivons une continuité entre dictature et démocratie, les discours des mouvements sociaux qui pointent dans cette direction font en réalité tout à fait sens29. »
57Sa légitimité de savant est une ressource qui lui permet de soutenir le cadre de la continuité de la violence d’État défendu par les mouvements sociaux brésiliens. Ce cadre a été porté, soutenu et légitimé par des acteur·rices appartenant à des espaces sociaux divers (mondes militant, académique, institutionnel, parlementaire) et multipositionné·es. Ces espaces sociaux diversifiés et cette multipositionnalité ont été les facteurs clés de sa diffusion. Ce cadre, au-delà de satisfaire leurs revendications militantes et leurs stratégies, révèle surtout la profonde préoccupation qu’elles et ils partagent à propos du régime démocratique brésilien.
*
58La Commission de la vérité de la démocratie est une conséquence du double processus d’alignement sur le cadre de la continuité de la violence d’État et de rapprochement de mouvements MVJ et de mouvements engagés contre les violences policières dans les périphéries. Elle montre l’influence que les mouvements sociaux peuvent avoir sur la politique institutionnelle sous le prisme de la définition et de l’interprétation des problèmes publics. Dans le cas étudié, cette influence n’aurait pas pu se réaliser sans l’intervention d’acteur·rices institutionnel·les, positionné·es à gauche de la politique officielle du gouvernement brésilien et également dans l’espace des mouvements sociaux. Elles et ils ont su faire de leur position une ressource permettant de répondre aux demandes des collectifs et organisations mobilisés. L’intérêt de proposer une analyse à partir des trajectoires individuelles réside dans la possibilité de comprendre en détails les mécanismes de l’influence et de souligner la capacité créatrice de certains individus au profil spécifique, capables de contourner les contraintes de la structure politique.
59La Commission Mères de mai aurait très bien pu être créée à l’Assemblée législative de l’État de Sao Paulo avec le même mandat sans porter le nom de Commission de la vérité. Ce nom n’est pas anodin. Créer une Commission de la vérité de la démocratie revient à faire du problème public dont elle traite un objet de la justice transitionnelle et partant, à poser la question de la réussite de la transition à la démocratie. La Commission de la vérité de la démocratie est un instrument institutionnel éminemment politisé au sens où il assume une posture politique critique contre le gouvernement brésilien et le régime démocratique. Ce travail n’avait pas pour objectif d’évaluer la démocratie brésilienne ni de se positionner dans les débats scientifiques sur sa nature. Cependant, l’étude de la CVDMM ouvre la réflexion sur ces sujets. Par son nom même et par l’histoire de sa création, elle est porteuse « d’une représentation spécifique de l’enjeu qu’[elle] traite ». Elle n’est pas un simple instrument d’enquête et de formulation de recommandations sur la question des violences policières : elle problématise cette violence en tant que symptôme d’une consolidation démocratique manquée. Pour les acteur·rices auprès de qui j’ai réalisé cette enquête, le problème vient des institutions démocratiques dans leur globalité, et pas uniquement de l’institution policière :
« Donc qu’est-ce qu’on est en train de dire ? On est en train de dire qu’on a un policier qui agit arbitrairement, qu’il y a un ministère public qui n’enquête pas, qui ne dénonce pas, qu’on a un pouvoir judiciaire qui archive le procès, ou plutôt qui accepte la demande d’archivage qui vient du ministère public, on est en train de dire que les institutions démocratiques du Brésil ne fonctionnent pas. » [Dario de Negreiros, 5 juin 2015]
Notes de bas de page
1 J’ai parlé jusque-là de « cause » plutôt que de « problème public », car je posais le regard sur les mouvements sociaux. J’emploie maintenant le terme de « problème public » propre au vocabulaire de l’approche relationnelle de la sociologie de l’action publique qui s’attache à comprendre comment une situation est interprétée comme un problème par des individus qui attendent une intervention de la part des autorités publiques.
2 La CEMDP est chargée de retrouver les corps des disparu·es et d’indemniser les familles des victimes. La Commission de l’amnistie est chargée de reconnaître la responsabilité de l’État brésilien dans la pratique de la torture, de l’emprisonnement arbitraire, du bannissement et de la contrainte à l’exil, des licenciements et de la destitution des fonctions politiques ; soit tous les actes autres que la disparition et la mort. La Commission de l’amnistie est aussi chargée d’indemniser les victimes et leurs familles.
3 Du nom d’un des disparus de la dictature militaire brésilienne.
4 [En ligne] http://comissaodaverdade.al.sp.gov.br/relatorio/tomo-i/downloads/Tomo_I_Completo.pdf Citation originale : « Antes de mais nada, é importante ressaltar que, na realidade, a Polícia Militar foi e continua sendo um aparelho bélico do Estado, empregada pelos sucessivos governantes no controle de seu inimigo interno, ou seja, seu próprio povo, ora conduzindo-o a prisões medievais, com a quarta maior população carcerária do mundo, ora produzindo uma matança trágica entre os filhos da pobreza e de negros, residentes nas periferias das cidades ou nas favelas. »
5 Citation originale : « 1. Desmilitarização e unificação das polícias, sob a subordinação do Ministério da Justiça. [...] 4. Responsabilização de todos os níveis da federação (federal, estadual e municipal) nas questões de Segurança Pública, em especial o que rege as polícias. »
6 Citation originale : « [A Polícia Militar] não reconhece na população pobre uma cidadania titular de direitos fundamentais, apenas suspeitos [...]. Exemplo dessa prática é o auto de resistência. Não há investigação sobre os autos de resistência, o que garante, através da impunidade, a permissividade dos crimes, com aval e promoção institucional. »
7 Document envoyé par un enquêté, non public. Citation originale : « 5) Sobre os mortos e desaparecidos da violência de Estado no período democrático [...] é preciso insistir que a arquitetura da segurança pública existente atualmente é legado da ditadura civil-militar brasileira. [...] Porém, hoje em dia, as vítimas privilegiadas da violência de Estado não são militantes de organizações políticas clandestinas, mas principalmente jovens negros e moradores de áreas periféricas. Ao abandono social a que está condenada a maioria desses jovens, soma-se também o desamparo institucional das suas famílias, que, na maioria absoluta dos casos, não conseguem conhecer a verdade sobre o que ocorreu com seu ente querido – inquéritos são raramente abertos, investigações quase nunca ocorrem e os algozes de hoje, tais quais os de ontem, permanecem gozando da impunidade. »
8 Citation originale : « A CNV, ao examinar o cenário de graves violações de direitos humanos correspondente ao período por ela investigado, pôde constatar que ele persiste nos dias atuais. Embora não ocorra mais em um contexto de repressão política – como ocorreu na ditadura militar –, a prática de detenções ilegais e arbitrárias, tortura, execuções, desaparecimentos forçados e mesmo ocultação de cadáveres não é estranha à realidade brasileira contemporânea. [...] É entendimento da CNV que esse quadro resulta em grande parte do fato de que o cometimento de graves violações de direitos humanos verificado no passado não foi adequadamente denunciado, nem seus autores responsabilizados, criando-se as condições para sua perpetuação. » Les notions d’« acte de résistance » ou de « résistance suivie de mort » n’ont plus le droit d’être utilisées dans les rapports de police depuis le 4 janvier 2016.
9 Igor Carvalho, « A. Diogo deixa política institucional e critica PT e Dilma », GGN/SPressoSP, 22 janvier 2015. [En ligne] https://jornalggn.com.br/noticia/adriano-diogo-anuncia-saida-da-politica-institucional-e-crit/amp/
10 L’hypothèse de l’existence d’une homologie structurelle entre la psychose paranoïaque et les sociétés autoritaires se trouve dans Adorno & Horkheimer [1974(1944)].
11 [En ligne] https://quemtorturou.wordpress.com/a-proposta/
12 Esquadrão da Morte - Um Capítulo da Violência Policial.
13 Citation originale : « Quando vocês tocam num assunto que não há punição, que a parcela de culpa, no meu entender, na minha leitura, como mãe, como vítima dos crimes de maio, é o Ministério Público. A gente tem de falar do Ministério Público, porque eles sabem que a polícia mata. É a cultura. Mas quem muito mais mata é o Ministério Público, com uma canetada. Ele mata mais de 10 vezes do que quem aperta o gatilho e quem ordena [...]. Então, a gente exige a reforma do Judiciário, é necessário, para a gente poder avançar com a democracia. »
14 Citation originale : « Como fruto da pressão autônoma da Rede Nacional de Familiares de Vítimas da Violência Policial, o Conselho Nacional do Ministério Público (CNMP) acaba de publicar uma cartilha de alcance nacional com orientações imediatas a todos MPs estaduais sobre o “enfrentamento às mortes por decorrência de violência policial”. » dans « Cartilha : O Ministério Público no enfrentamento à Violência Policial », blog des Mères de mai, 18 décembre 2014. [En ligne] http://maesdemaio.blogspot.fr/2014/12/cartilha-o-ministerio-publico-no.html
15 Citation originale : « Eu grito como mãe do passado e do presente, e eu não quero que ninguém grite como mãe do futuro. Por isso que existem as Mães de Maio. »
16 Instrument de la Commission de l’amnistie, les caravanes de l’amnistie sont des sessions publiques itinérantes d’appréciation des demandes d’amnistie politique.
17 Paulo Abrão a été président de la Commission de l’amnistie, secrétaire national de la Justice, avant d’être secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains (OEA) (2016-2020). Selon Dario de Negreiros « le rôle du président de la Commission de l’amnistie de l’époque, Paulo Abrão, était d’une importance si fondamentale pour l’ensemble du contexte de ton enquête que l’absence de ce nom est perceptible » [Dario de Negreiros, 14 décembre 2019]. Là encore, les aléas, limites et perspectives choisies dans une enquête amènent parfois à invisibiliser des personnes qui ont pourtant eu un rôle fondamental.
18 Mães de Maio, Mães do Cárcere - A Periferia Grita.
19 Lors de la 145e audience, Adriano Diogo appelle d’ailleurs Débora Maria da Silva « minha amiga pimentinha », ce qui révèle leur familiarité.
20 Francilene Gomes Fernandes est la sœur d’un des disparus des « crimes de mai 2006 ».
21 Citation originale : « exigimos também a Criação de uma Comissão da Anistia para os Presos, Perseguidos, Mortos e Desaparecidos Políticos por agentes do Estado durante o período democrático. A exemplo do que foi instituído, no âmbito do Ministério da Justiça, em relação aos familiares e vítimas da Ditadura Civil-Militar, é preciso se avançar no mesmo sentido quanto aos Presos, Perseguidos, Mortos e Desaparecidos Políticos da Democracia. » dans « Carta das Mães de Maio da democracia brasileira à presidenta Dilma Vana Rousseff », blog des Mères de Mai, 24 juillet 2012. [En ligne] http://maesdemaio.blogspot.fr/2012/07/carta-das-maes-de-maio-da-democracia.html
22 Pour Lefranc, la justice transitionnelle n’est pas un concept, mais plutôt un ensemble de préceptes.
23 Dario de Negreiros fait référence au livre Os direitos da transição e a democracia no Brasil: estudos sobre Justiça de Transição e teoria da democracia, Abrão, Paulo; Genro, Tarso. Belo Horizonte, Fórum, 2012.
24 Voir aussi un article officiel qui reprend et justifie cette conception de la justice transitionnelle : Dario de Negreiros, « Memória, verdade, justiça e reparação para os crimes do Brasil pós-ditatorial », 26 juin 2014. [En ligne] http://ponte.org/memoria-verdade-justica-e-reparacao-para-os-crimes-do-brasil-pos-ditatorial/)
25 Paulo Arantes est un philosophe marxiste brésilien.
26 « Partant de l’effet pratique de la parité joint au problème théorique de sa justification philosophique, j’ai proposé d’inverser une formule célèbre de Kant : la parité est vraie en pratique et fausse en théorie. En effet, autant l’idée de parité est un formidable révélateur de l’inégalité politique et de l’inégalité en général des sexes, autant cette idée ne me paraît pas pouvoir être fondée philosophiquement. » [Fraisse, 1997, p. 15-16]
27 Cette discussion est particulière dans le cadre d’une enquête et s’explique par le fait que Nicolau Bruno de Almeida était mon « allié » principal. Je reprends ici la notion de Beaud et Weber qui parlent d’« alliés » et non pas d’« informateurs » comme dans la littérature ethnologique traditionnelle pour définir des personnes qui ont été « associées » à une enquête [Beaud & Weber, 2010]. Nicolau a lu certaines de mes réflexions intermédiaires et nous avons proposé ensemble une communication au Théâtre de l’Opprimé au cours de ma recherche.
28 Citation originale : « Estado Oligárquico de Direito ».
29 Citation originale : « Por mais estranho que pareça ouvir a afirmação de que vivemos uma continuidade entre ditadura e democracia, fazem todo sentido os discursos dos movimentos sociais que apontam nesta direção. » dans « Democracia de efeito moral », blog Boi Tempo, 26 mars 2014. [En ligne] http://blogdaboitempo.com.br/2014/03/26/democracia-de-efeito-moral/
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