Universités de province, Mexique (Morelia) et Venezuela (Mérida) comparés au Maghreb*
p. 231-234
Texte intégral
1On peut considérer qu'une étude sur des universités envisagées comme des équipements urbains présente quelque originalité : c'est leur insertion dans la société urbaine qui les accueille qui est ainsi privilégiée, et non leur fonction in abstracto de producteurs de diplômés et de connaissances1. Un tel point de vue eut été mal aisé -ou en tout cas plus difficile à circonscrire- dans des universités sises dans des capitales nationales : elles sont dans ce type de villes consubstantielles à une politique globale de l'État, enjeux de tout le corps de la société nationale pour la formation de ses élites. En revanche le choix systématique de capitales provinciales de dimension moyenne facilitait l'approche du thème : si dans deux de nos quatre villes (Fes et Morelia) l'implantation d'un noyau intellectuel relève d'une longue tradition religieuse, dans aucune des quatre la rapide croissance contemporaine d'établissements universitaires n'était inscrite dans la nécessité ou l'évidence. Cette croissance des années récentes s'inscrit à la fois dans des projets politiques particuliers des États nationaux qui ont choisi d'implanter de nouveaux équipements dans ces villes plutôt que dans d'autres et dans des sociétés urbaines qui par leur propre dynamique attirent, soutiennent ou fomentent ces équipements.
2En conséquence les universités s'inscrivent de façon particulière dans le tissu urbain de ces quatre villes. Vue leur taille moyenne et vu le développement important du système éducatif supérieur qu'elles connaissent, celui-ci pèse d'un poids important dans chacune d'entre elles, selon des configurations plus faciles à repérer que dans les métropoles nationales où l'université s'articule avec toute une série d'autres équipements supérieurs de niveau national ou international. C'est dans ces conditions que nous avons pu appréhender la relation entre quatre projets nationaux et leur application dans quatre unités urbaines particulières.
3Le choix de l'Amérique Latine et du Maghreb pour nos études comparatives n'est évidemment pas fortuit. Dans l'une et l'autre de ces aires culturelles l'écrit est enraciné dans une longue tradition (ce qui ne serait pas le cas en Afrique Noire) et cet écrit implique des ajustages entre plusieurs langues et plusieurs cultures : on retrouverait l'équivalent du rapport Espagnol/Anglais ou Arabe/Français dans la plupart des pays d'Asie -Inde en particulier-, à l'exclusion sans doute de la Chine ; on a donc pu comparer une série de problèmes concernant la langue de la culture savante, l'origine du livre qui la contient, la nature et la nationalité des partenaires qui assurent aux universitaires locaux leur légitimité ou leur prestige : la dépendance n'est ni simple et univoque, ni constante et stable.
4La relative petitesse des tissus sociaux où est immergée chacune de nos quatre universités permet, nous l'avons dit, de mieux juger des effets de développement générés par celles-ci. En effet il n'y a pas dilution dans un milieu sans limites. Au contraire c'est sur des temps relativement courts que l'on peut constater l'entraînement ou le blocage issu de chaque initiative, de chaque investissement : création de cadres pour les besoins locaux ou régionaux contre fuite de cerveaux vers des horizons nationaux ou internationaux, rejet ou ignorance des universitaires par les élites de la ville contre symbiose pouvant aller jusqu'à la paralysie de l'innovation sont deux exemples de ces relations très localisables, dans l'espace et dans le temps, entre universités et société locale.
5On peut remarquer que dans les études urbaines concernant les pays sous-développés, les grands équipements, sauf peut-être les transports publics- sont relativement peu étudiés, en comparaison des faits de croissance démographique, de logement, de secteurs d'emploi et de sous-emploi. C'est sans doute que beaucoup considèrent que ces équipements relèvent essentiellement d'une technologie et de son financement, et que les besoins à satisfaire sont globalement identiques à ceux des grandes villes des pays industriels. Les questionnements de l'urbanisation du Tiers Monde passent rarement par l'analyse des services publics, sauf pour signaler leur insuffisance par rapport aux "besoins" exprimés selon des normes internationales.
6Aborder des universités comme de grands équipements destinés à la fois à générer des classes moyennes modernes et à satisfaire un besoin de celles-ci est sans doute un angle de vue nouveau. Et un des moyens de lire cette relation entre l'équipement et les classes moyennes est de repérer sur le plan urbanistique l'insertion des universités dans la possession foncière des sols urbains et dans la construction des immeubles : ancrage au coeur ancien de la ville ou redéploiement à la périphérie de celle-ci, pour les cours, pour l'administration, pour les manifestations culturelles, mais aussi pour la vie quotidienne des enseignants et des étudiants.
7Remarquons pour terminer que nous croyons fructueuse la collaboration ainsi établie entre chercheurs de disciplines différentes (économie, géographie, sociologie...), sur un thème où la culture est le principal enjeu, mais où l'étude portait sur des populations (étudiantes, enseignantes...), sur des budgets d'entreprises publiques, sur des espaces bâtis, thèmes étroitement enlacés et inséparables vu l'objet étudié. Mais cet objet est en même temps le générateur de la technique, de la science et de la culture.
8Après cette présentation générale de l'insertion des universités étudiées dans leur cadre local et régional, il convient d'insister sur les particularités évidentes des deux cas latino-américains par rapport à leurs homologues maghrébins.
9Tout d'abord apparaît, aux yeux d'un observateur français particulièrement, le paradoxe de l'autonomie d'universités publiques dont le financement est assuré pour l'essentiel par le budget national, mais sans que les gouvernements aient une prise notable et directe sur le fonctionnement de l'institution universitaire. L'État central paie mais ne gouverne pas. Si une tutelle de fait plus que de droit se manifeste, elle provient plutôt des autorités politiques locales, celles de la province ou de la municipalité. Certes l'État central dispose d'un pouvoir de négociation, par l'accroissement ou la réduction de ses dotations financières, mais les effets de telles mesures ne se font sentir qu'avec des délais notables, alors que les autorités locales disposent d'une part des obligations et des moyens du maintien de l'ordre en cas de crise ou de conflit, d'autre part d'influences au sein de la société locale lors de l'élection du recteur ou d'autres autorités universitaires, ou postérieurement pour le soutien ou le désaveu de ceux-ci. Si les responsables universitaires peuvent difficilement subsister contre les autorités politiques locales, il apparaît cependant qu'une cohabitation peut fonctionner pendant plusieurs années, sans que les conflits cessent d'être latents ou tout simplement grâce à une relative ignorance mutuelle.
10Aussi bien le poids local et régional de l'université de province latino-américaine passe essentiellement par son insertion dans les classes moyennes de la ville : les étudiants en sont issus, les enseignants en font partie, car même venus d'ailleurs, leurs conditions de vie, leur logement, leurs ressources, dépendent durablement de l'entreprise publique qui les emploie, en général sans grande mobilité. Celle-ci en tout cas est moindre que pour d'autres cadres du secteur public ou d'entreprises privées de la ville.
11Divers éléments font des universités provinciales latino-américaines des puissances locales beaucoup plus fortes que leurs équivalents du Maghreb. Outre l'autonomie évoquée ci-dessus et ses conséquences financières, il faut noter l'ancienneté relative de leur développement et donc, en nombre d'étudiants ou d'enseignants, leur importance par rapport aux universités de la capitale nationale. En somme l'intégration à l'économie locale est déjà un fait établi, de même que l'osmose avec les classes moyennes urbaines : on n'en est là encore ni au Maroc ni en Tunisie.
12C'est dans l'implantation foncière et immobilière de nos deux universités latino-américaines que se révèlent des différences fondamentales avec le Maghreb. Par donation ou par héritage de biens eclésiastiques, elles disposent, généralement en propriété, d'importants édifices au centre ville, ce qui leur donne du prestige. Leur administration est ainsi physiquement proche des autres services publics traditionnels. De même elles peuvent assurer des fonctions culturelles importantes (spectacles, expositions). Enfin certains enseignements peuvent rester localisés au coeur de la ville : les plus traditionnels souvent (droit, médecine), ou années propédeutiques d'accueil des jeunes étudiants. Mais les universités ont aussi acquis (dons, achats, etc.), d'importants terrains à la périphérie urbaine. Ceux-ci sont parfois encore à l'état de réserves foncières, mais ils ont aussi permis l'implantation d'enseignements nouveaux (parfois les secteurs techniques nécessitant lieux d'expérience ou laboratoires) ou d'enseignements de masse ; ils ont aussi servi à des installations sportives, ou parfois à des logements (ventes de lots à bâtir aux personnels à des conditions avantageuses ou immeubles collectifs mis en location).
13Cette insertion dans l'espace urbain est sans doute le témoignage le plus clair de la participation des universités à la société urbaine provinciale.
Notes de bas de page
1 Cette note reprend pour l'essentiel l'introduction d'un ouvrage issu d'un contrat établi avec le Ministère de la Recherche en 1985. Il portait sur deux années et les travaux ont abouti à un colloque scientifique en Juin 1987. La collecte de l'information et les enquêtes ont été menées en collaboration entre membres des quatre universités concernées et chercheurs des deux organismes toulousains signataires du contrat (CEPED, Université des Sciences sociales de Toulouse et IPEALT, Université de Toulouse le Mirail). Ce dernier organisme a assuré la gestion administrative de ce contrat. Les paragraphes finaux du texte ci-dessous insistent particulièrement sur les spécificités des deux exemples latino-américains (Merida, Venezuela et Morelia, Mexique), par rapport aux deux cas maghrebins (Fes, Maroc et Sfax, Tunisie).
Notes de fin
* Cette communication a fait référence aux Travaux de J.C. Tulet, L. Aguilar, Sylvie Didou et Didier Ramousse concernant respectivement les Universités de Mérida (Vénézuela) du Zalia (Vénézuela) de Morelia (Mexique) qui ont été présentés par les auteurs à une Table Ronde Tenue en juin 87 à TOulouse. Le Mirail; en cours de publication aux Ed. du CNRS, centre régional du Midi Pyrénées.
Auteur
Directeur du GRAL. Directeur de Recherche au CNRS. Toulouse.
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