Chapitre 17. Bourdieu made in USA. Contribution à la sociologie d’une révolution
p. 338-361
Note de l’éditeur
Iván Peña Miranda a participé à la retranscription de la conférence de Loïc Wacquant reproduite dans les pages suivantes. Qu’il soit remercié pour son aide.
Texte intégral
Introduction
1Je vais ici parler du cas des États-Unis, en m’excusant par avance du caractère épars, provisoire et personnel de mon texte. Bourdieu était, de son vivant, le plus international et le plus internationaliste des chercheurs français en sciences sociales, et même des chercheurs en sciences sociales tout court, ce qui n’est pas toujours perçu depuis Paris. Son internationalisme s’appuyait sur sa sociologie de la science, et plus exactement sur une vision historiciste et agonistique de la science. Il nourrissait une stratégie objectivement rationnelle des relations avec les pays étrangers et leurs chercheurs, guidé par un sens pratique du placement intellectuel qui s’appuyait lui-même sur les affinités intellectuelles et la recherche des homologies de position entre pays.
2On trouvera la preuve de cette proposition dans les trois textes que Bourdieu a publiés au fil des ans à ce sujet. Le premier est « La spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison » [Bourdieu, 1975a], paru au Canada puis dans les Actes de la recherche en sciences sociales sous le titre « Le champ scientifique » [1976], avant d’être repris dans une version plus avancée parue aux États-Unis en 1991 sous le titre « The Peculiar History of Scientific Reason » [Bourdieu, 1991a]. Le deuxième, intitulé « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », est une conférence donnée à Fribourg en 1989, d’abord publiée en Allemagne, puis en français dans les Actes [Bourdieu, 2002]. Le troisième texte est « On the Possibility of a Field of World Sociology » [Bourdieu, 1991b], publié aux États-Unis en 1991, puis en français en 1995 dans les Actes dans une version remaniée intitulée « La cause de la science. Comment l’histoire des sciences sociales peut servir le progrès de ces sciences » [Bourdieu, 1995]. Ces trois textes mis ensemble esquissent ce qu’on pourrait appeler une Realpolitk de la raison scientifique mondiale.
3Pour introduire les États-Unis dans le paysage intellectuel de Bourdieu, on peut lire sa sociologie comme une synthèse dialectique entre, d’un côté, la philosophie européenne — notamment la philosophie dite rationaliste et historique de Bachelard et Canguilhem, la philosophie néo-kantienne de Cassirer, la phénoménologie de Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty, etc. —, et de l’autre côté, la sociologie empiriste étatsunienne – avec l’anthropologie culturaliste et particulièrement le courant « culture et personnalité », et l’ethnométhodologie, qui sont représentés par ses trois amis étatsuniens, l’anthropologue Nancy Munn, le microsociologue Erving Goffman et l’ethnométhodologue Aaron Cicourel.
4De façon plus générale, l’œuvre de Bourdieu est animée par un dialogue silencieux avec des philosophes, comme il le dit lui-même dans les Méditations pascaliennes [Bourdieu, 1997]. Elle est marquée par les références explicites ou tacites, positives ou négatives, à la science sociale étatsunienne, tantôt présentée comme un repoussoir scientifique, notamment par son empirisme aveugle représenté par Lazarsfeld et la quantophrénie incontrôlée, tantôt comme modèle intellectuel avec les vertus de la microsociologie, courant original aux États-Unis qui remonte à William James, John Dewey et George Herbert Mead ; voire présentée parfois comme un modèle social de la Cité savante avec l’écologie polycentrique des échanges académiques organisée par la concurrence entre divers lieux de production (Chicago, Harvard, Columbia, Berkeley, etc.), qui contraste fortement avec le parisianisme forcené de la vie universitaire et intellectuelle française.
5Mais pour moi, le lien entre Bourdieu et l’Amérique s’établit à Paris en mai 1982 après une de ses leçons au Collège de France. J’avais fait sa connaissance l’année précédente lors d’une conférence à Polytechnique et je suivais ses cours au Collège de France, après lesquels nous avions pris l’habitude de bavarder en marchant jusque chez lui rue du Pas de la mule. J’avais obtenu une bourse pour passer une année à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, et avant de partir, j’avais présenté à Bourdieu une longue bibliographie de livres écrits par des sociologues étatsuniens, tirée l’ouvrage de Nicolas Herpin [1973], Les Sociologues américains et le siècle, en lui demandant son conseil de lecture. Il était réticent à choisir : « Je ne veux pas vous influencer, à vous de trouver. »
6Mais j’ai insisté et, finalement, parmi les cinq pages de titres qu’il avait parcourus attentivement, il en a sélectionné trois. Je défie quiconque de deviner lesquels. Il s’agit de John Dollard, Class and Caste in a Southern Town [1932], Barney Glaser et Anselm Strauss, Awareness of Dying [1965], et Gerhard Lenski, Power and Privilege : A Theory of Stratification [1966], soit une étude de terrain sur la domination raciale dans une société agrarienne par un anthropologue néo-freudien, une monographie sur une expérience sociale extrême par deux leaders du symbolisme interactionniste aux frontières de la sociologie et de la médecine (monographie pivot qui fonde le courant de la grounded theory), et une recherche macrohistorique sur les déterminants sociaux de la stratification sur deux mille ans, des sociétés antiques à nos jours. Cette sélection de trois études classiques chacune dans leur domaine pointe trois caractéristiques de la lecture que faisait Bourdieu de la science sociale étatsunienne : elle est éclectique, transdisciplinaire, vorace, mais sélective.
Trois rôles
7Sans vouloir me mettre en avant et prétendre faire une auto-analyse de mon rôle de missus dominicus entre Bourdieu et les États-Unis, je veux rapporter quelques éléments factuels et quelques réflexions qui peuvent éclairer leur rapport. J’ai organisé mes remarques en trois actes et autour des trois rôles que j’ai joués dans les échanges transatlantiques de Bourdieu. Ces trois actes, ce sont ses visites et séjours à Chicago, New York et Berkeley. Les trois rôles pourraient paraître surprenants lorsque l’on parle de sciences sociales : j’ai été en quelque sorte l’éclaireur, le rabatteur et l’imprésario de Bourdieu aux États-Unis.
8Je dois dire d’emblée que je n’ai pas grand mérite à avoir assumé les rôles qui me sont revenus. J’ai simplement eu l’incroyable chance de me trouver à la croisée de la France et des États-Unis au bon moment, au bon endroit, avec les bonnes propriétés académiques. Au début, j’étais doctorant à l’université de Chicago, alors bastion de la sociologie mainstream étatsunienne, animée par le positivisme instrumentaliste et dominé par la démographie, la stratification et l’étude des organisations. Ensuite, j’étais junior fellow à la Society of Fellows de Harvard, avant d’être visiting scholar à la fondation Russell Sage à New York, puis jeune professeur à Berkeley, département numéro un du pays en sociologie. Je bénéficiais donc d’un effet de position très puissant : nul doute que si j’avais fait une thèse à l’université d’Indiana à Bloomington par exemple, et que si j’avais pris un poste dans une université mineure, je n’aurais pas pu jouer le rôle qui m’a incombé.
9Dans la période 1986-2002, j’ai donc joué un triple rôle dans le rapport de Bourdieu à l’Amérique, et d’abord celui d’éclaireur. Je lui signalais les articles, les livres et les débats susceptibles de l’intéresser, compatibles ou connexes avec les travaux menés au Centre de sociologie européenne, et les auteurs qui pouvaient être publiés dans Actes de la recherche en sciences sociales. C’était ma boussole pour savoir si un travail pouvait intéresser Bourdieu ou pouvait créer des liens intellectuels entre les deux rives de l’Atlantique : est-ce que c’était publiable dans Actes ? Je surveillais le paysage intellectuel pour y repérer tôt les débats et les idées en ascension. Je lui envoyais régulièrement des références et des articles, et à l’occasion des livres qu’il n’arrivait pas à se procurer en France. C’était, vous l’imaginez, une excellente propédeutique sociologue que d’avoir ses réactions à ces stimuli intellectuels.
10Deuxième rôle, celui de rabatteur : je dirigeais vers lui des chercheurs dont le travail présentait déjà des affinités comme Rogers Brubaker, John et Jean Comaroff, Viviana Zelizer, Rick Fantasia, Philippe Bourgois, etc. On pourrait faire une liste plus longue à partir des articles parus dans Actes de la recherche et des livres publiés dans la collection « Liber » que Bourdieu dirigeait au Seuil. Repérer des articles pour Actes était une opération délicate puisqu’il fallait signaler un intérêt sans rien promettre. De plus, faire travailler un chercheur américain pour une revue publiée en français était assez difficile. Occupant ce rôle, j’ai aussi rédigé des dizaines de notes pour la rubrique des Actes, « Livres lus, livres à lire », qui est devenue, à la demande de Bourdieu, une sorte de fenêtre ouverte sur la production intellectuelle aux États-Unis.
11Enfin, troisième rôle, celui d’imprésario. Vers la fin des années 1980, j’ai organisé et coordonné ses séjours aux États-Unis, à Chicago, à New York et à Berkeley. En résumé, il allait là où j’étais pour la raison qu’il avait un « sherpa » qui pouvait préparer le terrain et apaiser son anxiété, très grande sur la scène étatsunienne. J’étais aussi le point de contact avec ses éditeurs et je plaçais ses textes dans des revues américaines, qui en sont devenues très friandes autour de 1990, notamment après la publication de « Social Space and Symbolic Power » dans Sociological Theory [Bourdieu, 1989(1987a)], accompagné d’un long texte dialogué qui deviendra le cœur de l’Invitation à la sociologie réflexive [Bourdieu & Wacquant, 2014(1992)]. Je traduisais ses conférences et textes ou, pire, je révisais les traductions en anglais, tâche particulièrement ingrate parce que vous avez, par définition, le mauvais rôle, celui de dire au traducteur d’origine que son travail ne peut pas être repris comme tel.
12J’ai organisé, pour Bourdieu, quatre voyages dans trois lieux : deux séjours à Chicago en 1987 et 1989, une visite d’une semaine à New York à la Russell Sage Foundation en 1994 ainsi qu’un séjour de douze jours à Berkeley en avril 1996. À ma connaissance, ces voyages, qui avaient été précédés d’un séjour au Institute for Advanced Studies de Princeton en 1972-1973, durant lequel il ne passa qu’une partie de l’année côté étatsunien, et d’un périple à San Diego et New York en 1986, sont les seuls qu’il réalisa au cours de cette période.
13Il y a, pour ceux qui s’y intéressent, un très beau travail à réaliser sur cette année-là à partir des archives du fonds Bourdieu et des archives de l’Institute for Advanced Studies à Princeton. C’est une année pivot, à plus d’un titre. C’est à Princeton que Bourdieu se frotte avec l’anthropologue Clifford Geertz, qui était alors fellow permanent de l’Institute et avec lequel il a eu une relation plutôt rugueuse. Le fait d’avoir tous les deux travaillé au Maghreb — Geertz a fait un terrain au Maroc, en plus de l’Indonésie — aurait dû les rapprocher, mais Geertz est un des prophètes de la « théorie de la modernisation » qui, pour aller vite, présente l’Amérique comme l’avenir bienheureux de l’humanité et le porte-drapeau de l’empiricisme herméneutique (résumé par sa célèbre notion de « thick description »). De retour en France, Bourdieu publiera une courte note dévastatrice sur cette théorie dans les Actes de la recherche en 1975, intitulée « Structures sociales et structures de perception du monde social » [Bourdieu, 1975b]. Ce texte, adressé à Geertz, ne figure pas dans la bibliographie officielle de Bourdieu, mais je vous le recommande : vous comprendrez pourquoi à sa lecture.
Pièce en trois actes
14Voilà pour les trois rôles, maintenant je passe à la pièce en trois actes, l’Amérique terre de conquête, Chicago, New York, Berkeley. Comment s’attaquer au bastion mondial de la « sociologie normale » au sens de Kuhn ? Faisons un rapide état des lieux de cette sociologie au milieu des années 1980, moment où Bourdieu est vu comme un « théoricien ». Il faut savoir qu’aux États-Unis, il existe un genre spécial de la sociologie qui s’appelle « la théorie », soigneusement cloisonnée de la recherche empirique, et il y a donc des sociologues qui sont des « théoriciens patentés », qui écrivent de l’histoire de la théorie et de la théorie « pure ». Durant cette décennie, ce genre connaît un renouveau, avec notamment la montée de ce qu’on appelle aux États-Unis la « practice theory. » La « practice theory », c’est bien sûr Bourdieu, puisque l’Esquisse d’une théorie de la pratique [Bourdieu, 1972] a paru en anglais en 1977 [Bourdieu, 1977] et est devenue très vite un livre canonique ; mais c’est aussi Anthony Giddens, Marshall Sahlins et Michel de Certeau. Au firmament de la « théorie théorique », on trouve des auteurs qui viennent tous d’Europe : sont perçus comme des prétendants au titre de théoriciens majeurs, outre Bourdieu, le Britannique Giddens et les Allemands Jürgen Habermas et Niklas Luhman. Au passage, je note que ce qu’on appellera la French Theory n’avait et n’a aucune présence en sciences sociales aux États-Unis. C’est seulement dans les humanités qu’elle a sévi, (Bour)Dieu merci !
15Lors des années 1980, on voit également la résurgence de la théorie benthamienne de l’« action rationnelle » — avec Gary Becker, James Coleman et Jon Elster, qui animent un séminaire commun à Chicago —, la montée du féminisme et les prémisses du postmodernisme. C’est aussi la période du renouveau des microsociologies et de la sociologie historique comparative inspirée notamment par Max Weber. Bourdieu m’avait encouragé à rédiger un article, qui sera publié dans Actes de la recherche en sciences sociales en 1989, cosigné avec Craig Calhoun, qui s’intitule « Intérêt, culture et rationalité » et qui effectue un balayage du champ de la sociologie étatsunienne à travers le clash entre James Coleman, apôtre de la théorie de l’action rationnelle, et William Sewell Junior, tenant de l’approche culturaliste et historiciste [Wacquant & Calhoun, 1989].
16À ce moment-là, il y a, pour aller vite, trois Bourdieu aux États-Unis. Le premier Bourdieu est celui de La Reproduction, son premier livre traduit aux États-Unis après The Algerians [1962], préfacé par Aron et publié alors par un éditeur marqué à gauche, Beacon Press. La traduction qui paraît en 1977 a un gros impact sur la sociologie de l’éducation et sur les sciences pédagogiques [Bourdieu & Passeron, 1977]. C’est l’origine du mythe académique de « Bourdieu the reproduction theorist ». Ensuite, un second Bourdieu, celui de Outline of a Theory of Practice [Bourdieu, 1977], vite canonisé par les anthropologues. Outline est un livre différent de la version française, puisqu’entre 1972 et 1980, Bourdieu a révisé l’Esquisse d’une théorie de la pratique [Bourdieu, 1972] — la version publiée par Droz devait être retirée du marché une fois qu’il aurait la version achevée du livre, qui est Le Sens pratique [Bourdieu, 1980]. La traduction anglaise se base sur un texte de travail intermédiaire. Il en résulte que Outline of a Theory of Practice est un livre différent des deux livres français et qui est, à ce titre-là, intéressant à lire. Le troisième Bourdieu est celui de La Distinction, qui paraît en anglais en 1984 [Bourdieu, 1984] et qui domine sa lecture par les sociologues.
17Trois Bourdieu cloisonnés donc, et c’est à cette absence de dialogue entre les trois sous-espaces de réception que Bourdieu se confronte quand il vient aux États-Unis. Cette situation ne permet pas bien de situer Bourdieu théoriquement : est-il marxiste, puisqu’il parle des classes ? Est-il weberien, puisqu’il s’intéresse aux groupes de statut ? Est-il durkheimien, vu son intérêt pour les classifications ? Difficile de lui trouver une généalogie. Le plus gros obstacle à sa compréhension est le fait que l’épistémologie historique de Bachelard, Canguilhem et Koyré est inconnue aux États-Unis, alors qu’elle est au fondement de sa démarche.
18Acte un, premier séjour à Chicago au printemps 1987. Bourdieu arrive à l’aéroport de O’Hare, où j’ai été dépêché par l’université de Chicago pour l’accueillir. Dans la limousine qui roule vers Hyde Park, il me dit tout de suite qu’il est très fatigué, car il rentre d’Allemagne où il a fait une rencontre-débat à Stuttgart sur Die feinen Unterschiede [Bourdieu, 1987b], traduction allemande de La Distinction [Bourdieu, 1979]. Et (c’est dans mes notes manuscrites de l’époque), il me confie : « Je ne devrais pas le dire, mais je crois qu’on peut faire une révolution scientifique. » De but en blanc, il poursuit en me proposant d’écrire une introduction à la traduction anglaise de Choses dites, qui vient de sortir [Bourdieu, 1987c] et qui, je note, n’en a guère besoin. Il me propose même de traduire le livre, ce qui évidemment m’effraie parce que je ne suis pas anglophone en première langue. Dans mes notes manuscrites, cette phrase lapidaire : « La Distinction, c’était un gros boulot, mais c’est dépassé. »
19Bourdieu est aussi anxieux du fait qu’il publie avec des années de retard sur le travail de recherche, retards qui, dans le cas des États-Unis, sont aggravés par le décalage des traductions. Quand je lui dis, avec mon enthousiasme naïf de doctorant, que son étoile est en train de monter du fait du retour en force de la théorie pure dans le champ sociologique étatsunien, dont témoigne la popularité de Giddens et Habermas, il a cette très belle formule que j’appelle « la déclaration de O’Hare » : « Ce qui me différencie [d’eux], c’est que moi, je ne fais pas de théorie. »
20Planifier les visites de Bourdieu aux États-Unis exigeait tact, patience et flexibilité. C’était une constante négociation par fax, par téléphone et par courrier, puisqu’à l’époque, Internet n’existait pas, négociation durant laquelle on ne cessait de changer le programme. Il fallait tour à tour rajouter puis enlever des conférences ; une fois, c’était trop, il fallait supprimer ; une autre, ce n’était pas assez, ça ne valait pas la peine de faire le voyage, donc il fallait rajouter des conférences. Ensuite planait toujours sur le périple la menace de l’annulation, au motif de problèmes de santé ou autres. Au début, cela m’alarmait puisque je négociais avec, par exemple, le doyen de la Faculté des sciences sociales et les directeurs des départements de sociologie et d’anthropologie de l’université de Chicago sur le programme de la visite de Bourdieu, et je me voyais leur annoncer, après des semaines de tractations, que finalement il ne pouvait pas venir ! Pour ensuite, la semaine suivante, demander qu’on rajoute des conférences à son programme. Puis j’ai compris que c’était parfaitement normal, que c’était lié à son anxiété de rater le coche étatsunien. Quand il disait qu’il y avait trop de conférences, je lui répondais, « pas de problème, on annule » tel ou tel engagement ; et quand il trouvait qu’il n’y en avait pas assez, j’abondais dans son sens, « pas de problème, on peut rajouter deux conférences, comme ça, le voyage en vaut la peine ».
21Bourdieu vivait ces visites dans une grande anxiété et une grande tension avant et pendant, et il n’avait de plaisir, de vrai relâchement qu’après sa mission accomplie. Quelques jours après être revenu de Chicago, il me dira : « La prochaine fois, ça ira mieux, je serai plus détendu. Mais là je ne venais pas pour rigoler, c’était foutu pour foutu. » Lors de son voyage d’avril 1987 pour le colloque du doyen des sciences sociales, où il était invité comme conférencier d’honneur, il voulait repartir à peine arrivé. Dans l’aéroport même, il me souffla : « Est-ce qu’on ne pourrait pas annuler et je pourrais repartir demain ? » Il a donc fallu que je le rassure. Autre colloque au printemps 1989, qu’il codirigeait avec James Coleman, chantre de la version dure de la théorie de l’action rationnelle, qui dirige mon mémoire de maîtrise : il est ulcéré par la sortie politique bizarre de Seymour Martin Lipset sur Israël le premier soir et, rebelote, il veut repartir le lendemain. Lors de ce deuxième séjour à Chicago, Bourdieu voyageait avec une valise trop lourde, parce qu’il transportait avec lui tous ses livres, de peur qu’on lui pose une question sur son travail et qu’il ne se souvienne pas de son propre argumentaire.
22Ce qui était frappant, déjà à l’époque et plus encore avec le recul, c’est que Bourdieu était plus intéressé de rencontrer les jeunes chercheurs, doctorants et assistant professors, le rang professoral du bas, que les « gros bonnets » du campus, et aussi de dénicher et recruter des papiers de travaux frais et nouveaux. Un jeune doctorant en anthropologie lui donna un jour à lire un papier qui développait une relecture iconoclaste de La Civilisation des mœurs de Norbert Elias. Bourdieu fut emballé et lui proposa de publier le papier dans les Actes. Mais l’étudiant, rongé de timidité, n’osa pas lui envoyer la version révisée : cet étudiant s’appelait David Graeber.
23Bourdieu faisait montre d’un grand manque de respect pour la préséance universitaire. Il détestait les réunions académiques et les remises de médaille : il a refusé tous les honneurs que les universités étatsuniennes voulaient lui décerner, et il n’a jamais consenti à recevoir de doctorats honoris causa. La seule distinction qu’il ait acceptée aux États-Unis, c’est le prix Erving Goffman, qui a été inventé à Berkeley par le département de sociologie dans le seul but de l’attirer à Berkeley, et dont je savais, vu ses rapports personnels avec Goffman, que c’était un prix qui lui ferait plaisir. Et c’est le seul prix étatsunien qu’il liste dans son curriculum vitae. Un quart de siècle plus tard, il en reste le seul et unique récipiendaire !
24Son manque de respect de la préséance universitaire faisait qu’il mélangeait régulièrement les universités, alors alerte aux biographes : il se trompe fréquemment sur le nom des universités dans lesquelles il intervient. Par exemple, dans un de ses textes-clefs, le chapitre sur « Espace social et pouvoir symbolique » de Choses dites [Bourdieu, 1987a], il l’associe à une conférence donnée à l’université de San Diego ; or il s’agissait de l’université de Californie à San Diego, quatre crans au-dessus de la première. Il mentionne l’université de Berkeley ou encore l’université de New York, tandis qu’il y a une douzaine d’universités à New York.
25Autre élément qui renforçait la grande tension de ses voyages : la variable linguistique. Si j’ai un mérite, — je ne sais pas si je dois le dire, car ça peut paraître comme une fanfaronnade —, c’est de lui avoir décoincé son anglais, en lui listant les mots qu’il prononçait mal, en l’aidant à mettre à jour son vocabulaire et en le convaincant de laisser tomber le dispositif dans lequel il s’enfermait, qui consistait à se faire enregistrer ses conférences en anglais puis à écouter la cassette pour répéter à l’avance le texte phrase par phrase. Lors de son premier séjour à Chicago, il s’asseyait dans un fauteuil et il mettait sa cassette ; il écoutait quelques phrases et il les répétait. Il s’enfermait alors dans un texte écrit, pensé en français, ce qui ne faisait que renforcer son manque d’assurance linguistique. Pendant ses séjours de Chicago, je l’ai fait mettre au placard le magnétophone et l’ai encouragé à travailler à partir de notes manuscrites en anglais : il me montrait ses notes à l’avance et je lui faisais quelques corrections ; je lui marquais les mots dont je savais qu’ils allaient lui causer des difficultés. Ensuite, durant ses interventions, j’établissais la liste des mots qu’il prononçait mal et je la lui donnais pour la fois suivante.
26Acte deux. Bourdieu a réussi en deux séjours à surmonter son insécurité linguistique, de sorte que lors des visites ultérieures, il écrivait et donnait ses conférences directement en anglais. Cela explique qu’un certain nombre de ses textes ont été publiés aux États-Unis en anglais, sans être repris ensuite en français. Je relève dans ma bibliographie au moins neuf textes de Bourdieu que j’ai traduits et qui ont paru dans des revues anglophones, dont il n’existe pas de version disponible pour un public francophone, notamment l’article pivot « What Makes a Social Class ? On the Theoretical and Practical Existence of Groups », paru dans le Berkeley Journal of Sociology [Bourdieu, 1987d].
27J’ai occupé ce rôle d’organisateur-traducteur de textes avec une très grande liberté. Bourdieu me laissait la bride sur le cou : je démarchais ses interlocuteurs, je donnais les titres de ses conférences, je sélectionnais les points de chute de ses textes, j’écrivais les notes, je fournissais la bibliographie. À l’occasion, je rajoutais une phrase ou deux, un paragraphe ou deux — qu’il avalisait toujours avec générosité. Ma présence le rassurait, je délimitais le terrain, je lui donnais des repères, je balisais la scène, ce qui minimisait son anxiété et lui permettait de se projeter vers son public.
28J’aimerais partager quelques notes que j’ai prises lors de son passage à Chicago. Le 4 mars 1986, il arrive en provenance de San Diego où il a prononcé une leçon sur La Distinction qui devient l’article « Espace social et pouvoir symbolique » [Bourdieu, 1987a]. Il donne un séminaire fermé au Center for Psychosocial Studies, auquel, seul étudiant parmi les grosses pointures des sciences sociales de la métropole, j’assiste à sa demande expresse — il m’avait fait signe à l’avance, car nous étions déjà en contact depuis 1981 —, où il eut une rencontre rugueuse avec Marshall Sahlins qui venait d’écrire Islands of History [1985], un ouvrage proposant une synthèse entre structure et histoire. Bourdieu incarnait une synthèse concurrente, et à cette occasion, il a écrit un papier qui a été traduit par Yves Winkin et publié en anglais, qui s’intitule « A Reply to Some Objections », qui a été inséré dans l’édition anglaise de Choses dites, mais qui ne figure pas dans la version française [Bourdieu, 1990].
29Après Chicago, il s’est arrêté à Princeton pour trois conférences aux Christian Gauss Seminars in Criticism, qui seront publiés là encore en anglais dans le recueil de 1993, Fields of Cultural Production [Bourdieu, 1993a], mais qui esquissent déjà ce qui deviendra bientôt Les Règles de l’art [1992]. Là aussi, pour les futurs biographes, il faut faire attention aux erreurs dans les Résumés du Collège de France. Par exemple, ces résumés mentionnent une conférence à Berkeley en mars 1986 qui n’existe pas et, quand il vient à Berkeley en 1996, Bourdieu donne dix conférences en douze jours, mais dans son résumé du Collège de France, il n’en liste qu’une, et sous un autre titre.
30Je reviens à Chicago en mars 1986. Les professeurs de mon département de sociologie, apprenant que Bourdieu était en ville, me missionnent pour l’inviter à dîner dans un restaurant de Greektown, ce qui, entre nous, était plutôt cheap. Anecdote révélatrice du mur d’incompréhension et d’opposition qui l’attendait à Chicago, James Coleman, le pape de la théorie de l’action rationnelle, nous conduit au restaurant dans sa voiture. Alors que Bourdieu et moi prenons place à l’arrière, il me tend un papier que je venais juste d’écrire pour le cours de tronc commun de première année de doctorat qu’il dispensait, dans lequel j’explicitais la théorie de la violence symbolique [Wacquant, 1987] en mettant en dialogue la Leçon sur la leçon de Bourdieu [Bourdieu, 1982] et le livre de Sylvain Maresca, Les Dirigeants paysans [Maresca, 1983]. Ce papier était pour Coleman sa première introduction à Bourdieu, dont il ne connaissait pas le travail, hormis ses écrits sur l’éducation. Griffonné dans la marge en rouge : « This is the devil’s sociology » (« C’est la sociologie du diable »). C’est peu de dire que Bourdieu était dubitatif devant cette appréciation !
31Premier séjour à Chicago en 1987. Bourdieu fait huit interventions en neuf jours. C’est un séjour très intense, dans une très grande tension — c’est là où il dira par avance « foutu pour foutu » —, passionnant et épuisant pour moi tant Bourdieu a d’énergie à revendre : nous bavardons jusqu’à deux trois heures du matin, et le matin même, il m’appelle sur les coups de sept heures : « Ça vous dirait de déjeuner ensemble ? » Bourdieu avait le sentiment de jouer à quitte ou double, et ce sera double puisque Coleman, pape de la théorie de l’action rationnelle, le courant en tout point antagonique et antagoniste à la sociologie de Bourdieu, va me demander d’être le médiateur pour coorganiser, l’année suivante, une conférence qui sera sa confrontation directe avec Bourdieu. C’est ainsi que ce dernier va accepter de revenir à Chicago en avril 1989 pour coprésider cette conférence.
32Revenons au séjour de 1987. Bourdieu est la tête d’affiche du colloque annuel du doyen des sciences sociales, Edward Laumann, spécialiste de la théorie des réseaux que Bourdieu avait rencontré lors de son année à Princeton. Le thème du colloque est « Gender, Age, Ethnicity and Class : Analytic Constructs or Folk Categories ? » (« Genre, âge, ethnicité et classes : construits analytiques ou catégories indigènes ? »). Les conférenciers sont la psychologue Eleanor Maccoby sur le genre, le démographe Sam Preston sur l’âge, le sociologue historique Orlando Patterson sur la « race », et Bourdieu en dernier sur la classe sociale. Après chaque intervention, des discutants réagissaient avant de passer à la discussion générale.
33Dans la salle bondée, Bourdieu est attaqué bille en tête par le politologue Stephen Holmes, mandaté par son collège Jon Elster pour s’opposer à Bourdieu. Indignation du public tant les critiques sont viles et sans rapport avec la présentation de Bourdieu : l’accusation de « néo-marxisme » larvée lancée contre lui s’autodétruit. C’est que, durant la décennie depuis la parution de La Distinction en 1979, son auteur a évolué vers une ontologie résolument historiciste des groupes, qui désarme par avance la critique de Holmes, comme en atteste le texte de la conférence, « What Makes a Social Class ? On the Theoretical and Practical Existence of Groups » [Bourdieu, 1987d]. Bourdieu répond avec calme. Drôle d’ambiance lors de la réception qui suit, où nous ne faisons pas long feu : Bourdieu s’ennuie ferme et j’organise sa fuite pour aller dîner avec deux de mes amis doctorants dans un petit restaurant familial du barrio mexicain de Pilsen, dans lequel il s’entretient longuement en espagnol avec notre serveuse.
34Bourdieu donne ensuite une conférence au département de sociologie dans la Albion Small Room, écrite la nuit précédente sous forme de notes télégraphiques en anglais et en français, que je traduis au vol sous le titre « Beyond the False Antinomies of Social Science », qui deviendra l’article « Vive la crise ! For Heterodoxy in Social Science » dans Theory & Society [Bourdieu, 1988]. Sa conférence au département d’anthropologie, fruit de longues et délicates négociations avec Marshall Sahlins, le directeur du département, fait salle comble. Comble d’irrévérence, Bourdieu met un point d’honneur à s’asseoir du côté des assistant professors et des femmes au lieu de prendre la place d’honneur au milieu des caciques.
35C’est aussi lors de ce voyage qu’a lieu une rencontre un peu spéciale. En prévision de sa venue, j’avais organisé avec un groupe de douze étudiants de trois départements (sociologie, anthropologie, sciences politiques) un « atelier Bourdieu » où, pendant un trimestre entier, nous avions lu ses travaux disponibles en anglais. Nous avions préparé et envoyé à Bourdieu une liste de questions de six pages. Nous l’avons tout d’abord rencontré pendant trois heures, de quatre à sept heures, puis nous avons continué la discussion lors d’un dîner chinois en take-out. C’est ce fameux « séminaire de Chicago » qui fera office de rampe de lancement du livre Invitation to a Reflexive sociology [Bourdieu & Wacquant, 1992]. À ma connaissance, c’est le premier séminaire sur son travail aux États-Unis auquel Bourdieu a participé. Et la discussion a continué jusqu’à trois heures du matin (mes notes de l’époque disent dix, mais le lecteur croira que j’exagère). Lors de ce même séjour, Bourdieu a fait une présentation à l’équipe de William Julius Wilson, le grand sociologue afro-américain, qui démarrait un important projet de recherche sur la transformation du ghetto noir. Lors de cette rencontre, Bourdieu établit un parallèle entre les bidonvilles algériens et le ghetto noir américain, et il vante les vertus du travail d’équipe en « multiméthode ».
36Pour toutes ces conférences et interventions, Bourdieu était bien sûr rémunéré. Comme c’est moi qui gérais l’intendance, je vais vous donner les sommes : pour le symposium du doyen, il a touché 1500 dollars ; pour sa conférence au département de sociologie, 1500 dollars, au département d’anthropologie 500 dollars, et la même somme pour sa « consultation » avec l’équipe de Wilson, soit un total de 4000 dollars, environ 9 000 dollars aujourd’hui. Cela constituait un petit budget pour lui acheter des pommes, de l’eau en bouteille, et des fleurs pour la femme du doyen des sciences sociales, avec une petite note disant : « Avec tous les remerciements pour votre accueil chaleureux et fort sympathique », alors qu’il avait refusé de rester au dîner d’apparat après son intervention. Il m’a dit de garder ses honoraires pour lui ouvrir un compte bancaire aux États-Unis, amorcer des travaux, financer des recherches ou, le cas échant, accélérer les traductions de ses écrits en anglais. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à recevoir des offres de poste aux États-Unis, à Madison, à Yale, à New York, etc., ce qui lui a fait dire : « Après Chicago, je suis devenu un enjeu. » Et il m’a demandé de « tuer la rumeur » selon laquelle il serait venu aux États-Unis pour y placer ses étudiants.
37J’ai redécouvert avec surprise dans mes notes que c’est le projet de fabrication de notre livre Invitation à la sociologie réflexive, pensé et pointé vers le marché étatsunien à partir du « séminaire de Chicago », qui a déclenché la rédaction du « séminaire de Paris » qui compose la troisième partie du livre. À l’origine, je devais préparer une sélection d’articles de Bourdieu sur les classes, la culture et le pouvoir, mais en 1989, j’ai publié avec son accord un article qui s’intitulait « A Workshop with Pierre Bourdieu » dans la revue Sociological Theory [Wacquant, 1989], qui venait d’être lancée par l’Association américaine de sociologie pour marquer le renouveau de la théorie. Le succès de ce long article, écrit sous la forme d’un dialogue, nous a donné l’idée de dresser un panorama complet de son travail à destination des chercheurs en sciences sociales aux États-Unis.
38L’idée était de couper l’herbe sous le pied aux livres en préparation sur Bourdieu, notamment celui de Michèle Lamont, une jeune sociologue canadienne qui démarrait sa carrière aux États-Unis, et un autre par le sociologue allemand Hans-Peter Müller, dont Bourdieu avait eu vent. Mais l’Invitation était surtout l’occasion de lancer une attaque frontale contre la forteresse étatsunienne : l’objectif était de faire sauter les verrous épistémologiques, de faire tomber les obstacles à la compréhension de son travail, d’enrayer les mauvaises lectures, d’expliciter la démarche scientifique de Bourdieu en la situant par rapport aux principaux courants de la sociologie étatsunienne. Ce livre a été écrit à quatre mains par fax, par courrier, lors de séances de travail à Paris, et il est devenu la porte d’entrée principale à l’œuvre de Bourdieu aux États-Unis, avant d’être traduit dans une vingtaine de langues. Au moment où il a été conçu cependant, il était uniquement destiné aux États-Unis et rédigé en anglais. Il n’était pas du tout prévu d’en publier une version française. Mais une fois revenu d’un de ses voyages, Bourdieu a changé d’avis : « C’est finalement à Paris qu’on me comprend le moins bien. »
39Quelques mots sur le séjour de 1989. Bourdieu coorganise avec James Coleman un colloque qui s’intitule « Social Theory for a Changing Society » (un livre en sera issu, voir Bourdieu & Coleman [1991]), qui est une confrontation brutale, bien que masquée sous les atours d’une rencontre amicale, entre la théorie de la pratique et la théorie de l’action rationnelle en pleine ascension. À Chicago, on trouvait aussi Gary Becker, l’économiste prix Nobel, et Jon Elster, qui venait de publier sa relecture « analytique » de Marx, Making Sense of Marx [Elster, 1985]. Coleman mettait la dernière touche à son livre-manifeste Foundations of Social Theory [Coleman, 1990] ; il venait de lancer la revue Rationality and Society, publiée par Sage. Même les marxistes contribuaient alors au développement du courant rationaliste avec ce qu’on appelle le « marxisme analytique » [Roemer, 1986], représenté par le philosophe Gerald Alan Cohen, l’économiste John Roemer, le politologue Adam Przeworski et le sociologue Erik Olin Wright.
40Pour cette conférence, je suis chargé par Bourdieu de recruter en quelque sorte « l’équipe » qui va le représenter et s’opposer à celle de Coleman. Et donc, côté Bourdieu, nous invitons Aristide Zolberg, spécialiste de l’immigration, Ivan Szelényi, qui travaille à l’époque sur les intellectuels, David Stark, dont les recherches portent sur les organisations, Craig Calhoun pour parler de la vie quotidienne, Paul DiMaggio sur les biens culturels, et Alessandro Pizzorno sur le contrôle social, avec Rogers Brubaker en discutant. Vous aurez noté que, parmi les noms cités, beaucoup de noms sont étrangers : ce sont principalement des transfuges européens qui se sont établis aux États-Unis. (Je suis frappé, en établissant cette liste, par l’absence de femmes.) Le colloque se conclut par la présentation de Bourdieu sur la possibilité d’un champ mondial de la sociologie qui appelle, je le cite, « à une transformation de l’organisation sociale de la production et de la communication scientifiques ».
41Mais, au final, le dialogue s’avère impossible. L’affrontement est évité, car l’esquive est mutuelle : il n’y a pas d’atomes crochus entre Coleman et Bourdieu, et leurs positions théoriques sont trop distantes. Mieux, elles se situent dans deux espaces épistémologiques disjoints : l’individualisme rationnel et le rationalisme historique. C’est pourquoi Bourdieu se désintéresse du livre collectif tiré de la conférence [Bourdieu & Coleman, 1991] ; il ne liste même pas sa contribution à Social Theory for a Change in Society dans sa bibliographie. Ce texte fondamental sur la possibilité d’un champ mondial de la sociologie sera publié par la suite dans Actes de la recherche en sciences sociales sous un titre légèrement différent, « La cause de la science » [Bourdieu, 1995].
42Je reviens brièvement sur la conférence fermée organisée par le Center for Psychosocial Studies de Chicago (du 31 mars au 2 avril 1989), qui est la première conférence consacrée à la totalité de son travail, qui donnera le livre coordonné par Calhoun, Lipuma et Postone, Bourdieu : Critical Perspectives [Calhoun et al., 1993]. Bourdieu est embarrassé, empêtré dans un projet qui, étant centré sur lui, le rendait très mal à l’aise. Il insiste donc pour qu’on le considère comme un participant comme les autres, comme un « informateur privilégié ». Dans les résumés des cours du Collège de France, il ne liste pas cette conférence, il indique simplement : « Séminaire sur habitus, capital et pouvoir symbolique », qui n’est même pas le titre de la conférence.
43Dans la foulée, je conduis Bourdieu à Madison, à deux cents kilomètres de Chicago, pour y donner une conférence au département de sociologie de l’université du Wisconsin, considéré à ce moment-là comme numéro un du pays. Dans l’antre des tenants de la « status attainment research », pour qui la stratification résulte du cheminement des individus le long de gradients continus, il présente un papier sur le champ du pouvoir devant un public médusé qui déborde de la salle William Sewell Room pour remplir les couloirs et même les ascenseurs [Bourdieu, 1994b].
44Acte deux, New York, mai 1994. Je suis visiting scholar pour l’année à la Russell Sage Foundation et, à la demande personnelle de Eric Wanner, un psychologue et président de la fondation qui admire l’œuvre de Bourdieu, nous lui concoctons une invitation à passer une semaine à New York, sans autre obligation que de faire une présentation au séminaire interne de la Russell Sage Foundation. C’est à cette occasion que Bourdieu rencontre Robert Merton, qui est resident fellow à la fondation. Ils sont tous les deux intimidés par l’autre et, du coup, ils se mettent à parler de moi et de mon travail sur la boxe. Vous imaginez ma stupéfaction et mon embarras — et je n’ai rien d’un timide ! Après l’avoir rencontré, il revoit son opinion sur la sociologie de Merton : lors de cette rencontre, Bourdieu réalise qu’il s’était trompé sur la personne de Merton. Ce dernier n’est pas un « Brahmin » bostonien, mais un juif russe issu d’un milieu pauvre, — son père était tailleur puis charpentier. Cela l’amènera à relire la sociologie de la science de Merton avec plus de générosité, comme en atteste Science de la science et réflexivité [Bourdieu, 2001a].
45Bourdieu rencontre aussi grâce à mon entremise Harrison White, qui dirige alors le département de sociologie de Columbia. White est un personnage étonnant, physicien saugrenu venu sur le tard à la sociologie pour la révolutionner par la théorie mathématique. Il est un des pionniers de la nouvelle sociologie économique, notamment avec ses travaux sur les réseaux composant ce qu’on appelle une « industrie », que Bourdieu utilisera dans Les Structures sociales de l’économie [Bourdieu, 2000]. Bourdieu est baba de le rencontrer lors d’un déjeuner à la Russell Sage Foundation, car il admirait encore plus le livre que White avait rédigé avec son épouse Cynthia White, Canvasses and Careers, sur le monde de la peinture en France au tournant du vingtième siècle, publié en 1965 [White & White, 1965]. Autres rencontres qui marquent ce séjour, celles avec Janet Abu-Lughod et Viviana Zelizer, qui vient de boucler son livre sur The Meaning of Money [Zelizer, 1994], que Bourdieu publiera en traduction française quelques années plus tard [Zelizer, 2005(1994)].
46À part ces rencontres, rien n’avait été organisé pour Bourdieu. L’idée était de passer une semaine décontractée. C’est le plus grand regret que j’ai eu quand Bourdieu est arrivé : une semaine décontractée, ça n’existait pas pour lui. Et ce fut une semaine épouvantable : il était irascible et impatient parce qu’il n’avait rien à se mettre sous la dent sociologique. Ce séjour s’est terminé par un séminaire sur le texte qui est devenu dans Raisons pratiques, « Quelques propriétés de l’économie des biens symboliques » [Bourdieu, 1994a]. La présentation qu’en fait Bourdieu passe totalement au-dessus du public de chercheurs empiristes purs et durs qui n’avaient même pas une notion de que pouvait recouvrir la notion de « bien symbolique ».
47Enfin, le troisième acte, à Berkeley, en avril 1996, où Bourdieu donne dix conférences en douze jours, ce qui relève de la prouesse olympique. Bourdieu prépare et donne un talk nouveau presque tous les jours, et il dialogue surtout avec l’éventail complet des disciplines, des départements de français, d’anthropologie et de sociologie à l’école de droit, en passant par le centre interdisciplinaire pour les humanités et un colloque transdisciplinaire sur le rôle des intellectuels à la fin de siècle, sans oublier la Goffman Prize Lecture intitulée « Masculine Domination Revisited » [Bourdieu, 1996-1997], qui servira de tremplin au livre du même titre [Bourdieu, 1998].
48Bourdieu draine des foules curieuses et enthousiastes qui ne cessent de grossir au fil des jours à la manière d’une boule de neige humaine. Il prend le temps de donner des rendez-vous individuels aux thésards de sociologie sur leur recherche, à raison de quinze minutes en face à face par groupe de deux pendant une longue après-midi après avoir lu leurs projets le soir précédent. Il intervient même dans mon cours de théorie de premier cycle sur « Structure, action, pouvoir » ; mes étudiants sont médusés d’avoir la chance de discuter de The Logic of Practice avec l’auteur. J’oubliais presque de mentionner que Bourdieu est pendu tous les jours au fax du département de sociologie pour boucler un numéro des Actes de la recherche en sciences sociales avec Marie-Christine Rivière et préparer un numéro de Liber avec Rosine Christin.
Conclusion
49Quelles leçons peut-on tirer de ces notes hâtives et éparses sur les périples transatlantiques de Bourdieu pour la compréhension de sa sociologie et de son personnage intellectuel ? Ce qui ressort, c’est d’abord, l’énergie intellectuelle extraordinaire qui l’habitait et sa voracité scientifique hors-norme ; ensuite, sa grande capacité de séduction personnelle liée à sa timidité, mais aussi l’immense tension, à la fois scientifique et existentielle, qui l’animait. Enfin ce qui émerge fortement, c’est son rapport ambivalent aux États-Unis, mélange d’admiration et d’horreur. C’est vrai de la société américaine, qui sécrète un individualisme mercantile très dur pour les dominés — voir ce qu’il en dit dans Contrefeux II [Bourdieu, 2001b] ou dans les trois chapitres de La Misère du monde [Bourdieu, 1993b] consacrés aux États-Unis comme « dystopie sociale ». C’est vrai du milieu académique, qui est isolé et isolant. Il m’a dit de l’Institute for Advanced Study de Princeton : « Si jamais j’étais resté prof à Princeton, je serais devenu historien de l’art », parce qu’il est impossible d’être sociologue dans un tel petit paradis social artificiel coupé de tout.
50L’univers académique étatsunien lui apparaissait comme d’une grande naïveté épistémologique. Le postmodernisme en vogue dans les humanités sur les campus étatsuniens, alors qu’il est inconnu en France, d’où il est censé provenir, l’irritait au plus point, comme le révèle un petit texte délicieux, intitulé « Passport to Duke » publié en 1996 [Bourdieu, 1996] à l’adresse d’un public de littéraires qui le mettaient dans le même sac que Baudrillard, Lyotard et Kristeva. Erreur de catégorie. Cet univers académique l’étonnait justement par son esprit de clocher, enclin au faux universalisme par la projection de ses particularités historiques sur le reste du monde, et tout en étant, en même temps, furieusement attirant. Attirant pourquoi ? Pour les ressources fournies aux chercheurs, par sa structure décentralisée et son pouvoir d’attraction matérielle et symbolique sur les chercheurs du reste du monde. Bourdieu a refusé plusieurs propositions d’universités étatsuniennes, notamment une proposition en or d’une chaire à Yale University faite par Iván Szélenyi, où, avec une obligation de présence annuelle de deux semaines, il aurait gagné en un mois ce qu’il touchait en un an au Collège de France.
51Bourdieu se représentait les États-Unis comme une forteresse académique à conquérir pour réussir sa révolution scientifique. De son vivant, il souhaitait créer des liens et des points de passage transatlantiques, trouver des alliés à même de promouvoir une sociologie réflexive, relationnelle et historiciste, ancrée dans la grande tradition européenne, et ainsi retourner la force de l’Amérique contre elle-même, dans un exercice de judo intellectuel planétaire. L’alliance qu’il a souhaité nouer ne s’est pas faite pour trois raisons. La première est le fossé épistémologique qui sépare la France de l’Amérique, avec le rationalisme historique, d’un côté, et le positivisme instrumentaliste, de l’autre. Ces deux philosophies de la science sont disjointes, et cette disjonction est le premier obstacle concret aux échanges intellectuels transatlantiques. La seconde tient à la conception différente de la mission du chercheur : le sociologue français est un intellectuel dans la cité, alors que son collègue étatsunien est un « academic » dans sa profession. Enfin, la vision résolument internationaliste qui animait Bourdieu était incompatible à la vision américanocentrique de l’univers scientifique de ses collègues d’outre-Atlantique. Il a écrit d’ailleurs à ce propos un petit texte éclairant lors d’un colloque sur « L’Amérique des Français » tenu à Paris en 1991, intitulé « Deux impérialismes de l’universel » [Bourdieu, 1992].
52Depuis sa disparition, Bourdieu a été canonisé et élevé au rang de sociologue classique. Son travail irrigue désormais l’ensemble des sciences sociales dans tous les pays du monde, et en particulier aux États-Unis, ce qui montre post festum que son entreprise n’était pas si folle que ça. Mais les usages sociologiques de Pierre Bourdieu aux États-Unis restent bifides, comme en atteste le récent Oxford Handbook of Pierre Bourdieu, dirigé par Tom Medvetz et Jeff Sallaz [Medvetz & Sallaz, 2018] : sur un versant, il se voit neutralisé et absorbé à petites doses dans les différentes disciplines repliées sur elles-mêmes ; sur un autre, il nourrit les courants rebelles de la science sociale aux États-Unis. Il disait de son premier séjour à Chicago, « Foutu pour foutu ». On pourrait, avec le recul, lui répondre : « Pas si mal foutu que ça. »
Bibliographie
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Auteur
Loïc Wacquant est professeur à l’université de Californie, Berkeley, et chercheur associé au Centre de sociologie européenne à Paris. Ses recherches portent sur la marginalité urbaine, l’État pénal, la domination raciale, le corps et l’épistémologie sociologique. Ses livres sont traduits en vingt langues et comprennent Invitation à la sociologie réflexive [avec Pierre Bourdieu, 2014], Voyage au pays des boxeurs [2022], The Invention of the « Underclass » [2022], Bourdieu in the City [2023], et Misère de l’ethnographie de la misère [2023]. Ses travaux actuels portent sur le fonctionnement « par en bas » de la justice pénale sur la base d’une ethnographie de 29 mois en immersion dans la cour criminelle du comté de San Pedrito en Californie.
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