Chapitre 11. Plantation et développement capitaliste dans le Nordeste (Brésil). Ethnographies associées aux enquêtes statistiques
p. 218-240
Texte intégral
Introduction
1On fait fréquemment référence au contexte très particulier de la guerre d’indépendance dans lequel ont eu lieu les premières recherches empiriques de Pierre Bourdieu en Algérie. On fait plus rarement état de la diversité, inédite pour l’époque, des compétences engagées qui leur a donné un caractère très original. Ces enquêtes empiriques ont débuté en 1960 suite à une demande du Commissariat au plan et de la Caisse d’équipement pour le développement de l’Algérie. L’association étroite, rendue possible par une mise entre parenthèses des relations structurelles entre les différentes disciplines de sciences sociales, entre le travail statistique dirigé par les administrateurs de l’INSEE et les enquêtes ethnographiques et sociologiques coordonnées par Pierre Bourdieu a permis de faire apparaître la spécificité des rapports sociaux en Kabylie et a contribué à une richesse d’analyses portant sur des populations soumises à des déplacements forcés.
2La reconstitution des modes d’existence de l’économie paysanne traditionnelle en Kabylie s’est avérée essentielle pour rendre compte de la différence du taux d’activité déclaré dans le monde urbain algérien, vis-à-vis de la très faible déclaration de chômage obtenue dans les hauts plateaux. Claude Seibel, aux côtés d’Alain Darbel et de Jean-Paul Rivet, responsables du travail statistique, énonce de la façon suivante l’apport de l’enquête sociologique : « La transposition d’outils d’investigation statistiques mise au point dans le cadre d’économies développées posa très vite problème, car les concepts sous-jacents qu’on voulait mesurer (par exemple, le travail ou le chômage) ne se posaient pas dans les mêmes termes dans l’économie traditionnelle algérienne » [Seibel, 2021, p. 342-343]. Le rapprochement de chercheurs issus d’études mathématiques tient sans doute aux énormes défis provoqués par la situation de guerre. La composition diversifiée de l’équipe de chercheurs a suscité une collaboration féconde qui s’est prolongée sur le sol métropolitain dans les années 1960, une fois que les scientifiques avaient regagné le continent1.
3Cet usage croisé des méthodes ethnographique et statistique a eu un écho particulier auprès de jeunes anthropologues du Museu Nacional de Rio Janeiro, qui ont entrepris d’étudier les transformations sociales des plantations implantées par la colonisation et dont les travaux ont été menacés par la disparition de l’institution dans laquelle ces recherches avaient lieu. Pour trouver les financements nécessaires à la continuité du programme de formation, il leur a fallu démontrer que l’enquête ethnographique éclairait des zones d’ombre de travaux en sciences sociales qui se limitaient à l’interprétation de données statistiques. Les premières recherches de Pierre Bourdieu en Algérie ont constitué une source d’inspiration pour les enquêtes sur une paysannerie soumise aux transformations provoquées par le développement capitaliste. Ces mêmes enquêtes ont également permis de légitimer le recours à l’ethnographie comme méthode complémentaire des statistiques qui, à cette époque, avaient le primat absolu et constituaient un gage de scientificité. C’est l’appropriation et les usages sociologiques des travaux de Bourdieu que ce texte s’attache à analyser.
Historicité des modes de domination dans les « plantations » du Nordeste : transition du travail forcé au travail libre
4Une équipe de chercheurs rattachée à un programme de formation doctorale en anthropologie sociale s’est constituée au Brésil autour d’une enquête dans une région du Nordeste où la colonisation portugaise s’est matérialisée par des « plantations ». Basées sur le travail esclave de populations transférées d’Afrique, ces plantations produisent des cultures destinées aux marchés internationaux, notamment européens, à l’exemple des dérivés de la canne à sucre et du tabac. L’abolition de l’esclavage a été proclamée en 1888, mais les conditions d’existence des individus et des familles vivant dans ces plantations ne furent pas radicalement modifiées. On a assisté à la généralisation de la domination personnalisée sous la forme de « morada » (famille abritée dans un domaine) qui comprend une certaine diversité de rapports de dépendance entre les anciens « maîtres » et les anciennes familles d’esclaves [Palmeira, 1976]. À vrai dire, si les propriétaires ne pouvaient plus acheter ni vendre d’esclaves, une fraction de leur patrimoine étant démonétisée, les autres pouvoirs exercés dans le passé par les « senhores de engenho », y compris les châtiments corporels, étaient toujours de mise. L’abolition de l’esclavage n’a pas été accompagnée de l’attribution de maisons d’habitation, à la campagne ou en ville, voire d’une parcelle de terre à cultiver, ce qui aurait permis aux anciens assujettis la maîtrise minimale de leur destin. Sans accès à l’école pour leurs enfants, toute reconversion vers des métiers artisanaux, d’industrie ou de petits commerces était bloquée. Les familles issues de l’esclavage ont ainsi été contraintes de demander à être abritées dans les plantations, ce qui a permis de recréer les anciens pouvoirs des maîtres par des stratégies d’octroi d’usage du sol en échange de fidélité et d’obéissance sans borne.
5La préservation de la hiérarchie entre descendants de maîtres et descendants d’esclaves a été une constante tout au long de la première moitié du xxe siècle ; elle n’a été ébranlée qu’à partir des années 1950. Les fluctuations des prix internationaux des dérivés de la canne à sucre, la possibilité de migrer vers le marché du travail industriel du centre-sud (Sao Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte) à partir des années 1940, l’implantation des ligues paysannes suivie par la mise en place des droits sociaux en milieu rural constituent autant de facteurs qui ont amené les grands propriétaires à changer de stratégies de recrutement de leur clientèle de travailleurs. Dès cette époque, tout a été fait pour obliger les familles de moradores à quitter les domaines. Abandonnant les « plantations » sans avoir accumulé les fonds nécessaires pour assurer la subsistance familiale en milieu urbain, et peu familiers des échanges monétaires, ces familles ont été soumises à un brutal processus de paupérisation [Sigaud, 1979b ; Garcia Jr., 1989b]. Leur départ massif vers les villes a élargi l’écart entre leur niveau de consommation et les styles de vie pratiqués en milieu urbain par les couches modestes comme les artisans, les petits commerçants, les rares ouvriers industriels et les petits fonctionnaires municipaux [Leite Lopes, 1976]. Les abords des villes des régions agro-industrielles ont alors concentré les nouveaux arrivants contraints d’occuper des habitats précaires et insalubres [Sigaud, 1979a]. Ce sont ces transformations sociales qui ont suscité l’intérêt de jeunes apprentis du métier de chercheur au Brésil.
6Comme dans les enquêtes sur l’univers traditionnel en Kabylie, la reconstitution des comportements et des modes de pensée qui les sous-tend était indispensable pour comprendre les défis auxquels ces populations furent confrontées. Pierre Bourdieu affirmait ainsi dans l’introduction de Travail et travailleurs en Algérie [Bourdieu et al., 2021(1963), p. 25] :
« Si la collaboration entre le sociologue et le statisticien paraît nécessaire en tout cas, elle l’est assurément lorsqu’il s’agit d’étudier des sociétés en pleine mutation. En effet, la méthode ethnographique est mise en échec par une réalité complexe et mouvante qui présente toutes les apparences de l’incohérence. D’un autre côté, seule la connaissance des modèles culturels anciens peut permettre de saisir le sens de comportements qui se réfèrent toujours à ces modèles lors même qu’ils les trahissent, les transforment ou les recréent, en fonction de situations nouvelles. »
7Comme en Algérie dans les années 1960, les populations provenant du monde rural sont sommées d’affronter des défis culturels auxquels rien ne les préparait.
8Le concept de « paysannerie » a surtout pour référence des groupes d’agriculteurs, soumis à des puissances politiques, religieuses et culturelles externes à leur organisation sociale, et inscrits dans des marchés qu’ils ne maîtrisent pas, mais jouissant d’une relative autonomie sociale au sein des villages administrés localement. Néanmoins, cette notion ne rend pas compte de la morphologie sociale d’une autre forme d’organisation de populations rurales inscrites dans des grandes propriétés situées dans les pays coloniaux, tournées vers les cultures d’exportation2. La main-d’œuvre y est composée d’esclaves venus de l’Afrique subsaharienne, et soumise à différentes modalités de travail forcé. Les plantations mises en place depuis le xve et xvie siècles méritent une attention à part, dans la mesure où les modalités de soumission de cette « paysannerie », y compris l’impossibilité de gérer sa vie personnelle et familiale, contrastent avec les modes d’existence des groupes plus autonomes qu’on appelle paysannerie dans d’autres contextes. La condition de population rurale est ainsi traversée par des modes de domination diversifiés. Les plantations sont exemplaires du contrôle direct et externe de la vie des travailleurs ruraux et constituent le symbole même des établissements supposant la condition d’esclave moderne. Dans le cas des plantations, le développement du capitalisme avec l’apparition du travail salarié suppose des transformations spécifiques. Le passage des établissements organisés par l’emploi du travail forcé au recrutement de salariés participant au marché de travail moderne du xxe siècle n’est pas le fruit d’une évolution simple et linéaire. Eric Wolf et Sidney Mintz [Wolf & Mintz, 1957] ont attiré l’attention sur le changement impliqué par l’abandon du système de relations sociales de ce qu’ils ont nommé « plantations anciennes » pour des « plantations de nouveau type » basées sur le travail salarié. Si elles produisaient toutes des biens destinés au marché international (Europe, États-Unis), les premières étaient basées sur des formes de travail forcé (« slavery », « encomienda », etc.), tandis que les secondes étaient des établissements agro-industriels qui recrutent la main-d’œuvre d’après les règles du marché du travail du monde urbain.
9Moacir Palmeira, sociologue qui a assisté comme doctorant aux séminaires de Pierre Bourdieu de 1967 à 1969 à la VIe section de l’École pratique des hautes études, s’est servi du concept de champ intellectuel pour étudier le vigoureux débat sur la question agraire au Brésil concernant la nature des rapports sociaux dans les plantations à partir des années 1940 et pour organiser un projet de recherche empirique permettant d’aller au-delà des contradictions et des inconsistances de la littérature examinée.
La genèse des ethnographies sur la recomposition des plantations sucrières du Nordeste
10Né en 1942 d’une famille de planteurs du Nordeste, Moacir Palmeira a pris pour objet de thèse le débat des historiens et des sociologues brésiliens sur la catégorisation du milieu rural comme féodal ou capitaliste, travail soutenu à Paris en 1971. Il est devenu professeur du master du Museu Nacional, créé par l’anthropologue Roberto Cardoso de Oliveira, organisme qui a innové en associant un programme de recherche à la formation des étudiants. L’intérêt du jeune chercheur était de comprendre comment les marchés locaux (feiras), qui ont connu une forte croissance dans les années 1950, ont permis d’éroder le monopole des maîtres comme médiateurs obligés des échanges concernant les familles abritées dans les domaines [Palmeira, 1971a]. Ces marchés favorisaient l’essor de rapports horizontaux entre les moradores des grandes plantations et la petite paysannerie des alentours. Ces transformations ont ouvert la voie à la mise en place et à la croissance de différentes modalités de mouvements sociaux à la campagne contestant le monopole du pouvoir des planteurs. Cette croissance des marchés locaux diminuait l’emprise des réseaux de magasins installés dans chaque plantation individualisée (barracões), qui y avaient le monopole de la vente. L’administration de la plantation y procédait chaque semaine à la paie des moradores. Celle-ci n’était qu’un rituel, car de fait les dettes contractées par les familles étaient en règle générale supérieures à leurs gains. Le crédit accordé par le barracão redoublait la dette morale associée au fait d’être abrité dans le domaine et de jouir de certains avantages pour assurer la vie familiale. Aller au marché de la ville avoisinante chaque semaine était une démonstration de l’équilibre du budget domestique. L’image des marchés locaux comme espaces de rencontres associées à la liberté des conduites et source d’information indépendante se renforçait d’autant.
11Il n’est pas surprenant que le début des organisations de défense des intérêts paysans ait partie liée avec les circuits de marché [Julião, 1962]. Les pionnières furent les ligues paysannes, organisées dès 1954 avec la collaboration d’un avocat et député socialiste, Francisco Julião, pour défendre des tenanciers d’une plantation non cultivée pour la canne à sucre de la région périphérique et menacés d’expulsion. Ce mouvement fut suivi de peu par l’organisation des syndicats de travailleurs ruraux d’origine catholique ou communiste, regroupant plutôt les salariés agricoles résidant au cœur de la région sucrière. Ce processus a accéléré le vote au parlement national de nouveaux droits sociaux et agraires et leur mise en application immédiate dans la région sucrière [Furtado, 1964 ; Camargo, 1973]. L’ethnographie minutieuse de la concurrence entre le « système des barracões » et les marchés locaux a permis à Moacir Palmeira d’utiliser la sociologie de l’action économique comme clé pour comprendre l’érosion des pouvoirs des maîtres et les modes d’accumulation des ressources matérielles et cognitives des nouveaux acteurs issus des couches démunies. Son enquête pionnière s’est vite élargie à bien d’autres, à commencer par celle de Lygia Sigaud, étudiante en master au Museu, portant sur les catégories de pensée des moradores grâce à des entretiens enregistrés au siège des syndicats.
12Cette première monographie de Lygia Sigaud [1979b] a mis l’accent sur le fait que, pour les moradores, le temps social était scindé entre l’époque d’« avant les droits » et l’époque d’« après les droits » : les patrons abritaient de longue date les familles dans les domaines, leur accordant un espace pour construire une habitation, permettant l’élèvage d’animaux de basse-cour, allouant un lopin de terre pour cultiver des denrées de base (roçado), voire un verger (sitio), leur donnant accès à l’eau et au bois, et assurant même leur protection dans les moments critiques de la vie domestique (naissance d’un enfant, maladies, décès, etc.). Ce temps-là était associé à une certaine abondance contrastant avec le présent marqué par la pénurie. L’expression « après les droits » désignait l’instauration du droit du travail (salaire minimum, repos hebdomadaire, vacances annuelles, indemnités de licenciement). Elle correspondait au moment où les « patrons sont devenus méchants » et profitaient de tout prétexte pour supprimer les avantages concédés à leurs « protégés », voire pour les chasser des domaines. Les « droits » implantés au début des années 1960 marquaient la rupture entre le monde d’avant, de l’ancienne plantation, et le monde actuel, où tous les équilibres sont devenus instables et où la menace du départ vers la périphérie des villes symbolise le déclassement des familles.
13De nouvelles enquêtes ont débuté par la suite à propos d’autres agents situés en bas de l’espace social : la paysannerie marginale à la plantation disposant de peu de terres, responsable de la production des denrées alimentaires achetées par les salariés agricoles [Heredia, 1979 ; Garcia Jr, 1983], la paysannerie des régions avoisinantes (Agreste) fixée sur des sols de moindre fertilité qui migre d’une façon saisonnière au moment de la coupe des cannaies [Ringuelet, 1977], les ouvriers de la partie industrielle des usines à sucre habitant également les grandes plantations et dont le travail est soumis à d’importantes variations saisonnières [Leite Lopes, 1976]. Ont aussi été étudiées des institutions qui marquent les ruptures des relations personnalisées, telles les places de marché implantées au cœur de l’usine [Garcia Parpet, 1977, 1993], le syndicat de travailleurs ruraux [L.M. Gatti], la justice du travail [V. Echenique]. Cette liste s’est allongée au cours des années 1970 et a inclus de nouveaux mémoires de master et de thèses de doctorat analysant l’adhésion des paysans au pentecôtisme [Novaes, 1985], les coopératives paysannes [Assumpção, 1978], l’installation collective de familles paysannes dans des terres consacrées à des patrimoines religieux [Rinaldi, 1980] et bien d’autres. La diversification des situations sociales et des styles de vie montrait la complexité des changements en cours et mettait en garde contre tout réductionnisme à une opposition simplificatrice entre maîtres-planteurs et paysans, bien qu’une forte hiérarchie sociale soit présente dans la structuration de l’espace des propriétés, dans l’apparence des maisons, dans l’aspect physique des individus (notamment la couleur de peau), dans les modalités d’usage de la parole en public. Nation des hommes, représentation collective qui a servi de titre au mémoire de Lygia Sigaud, désigne bien le primat des propriétaires terriens dans la vie quotidienne et la force des patriarches pour imposer leur bon vouloir.
14Cette entreprise collective d’ethnographies individualisées, alimentée avec une certaine souplesse par des discussions entre Moacir Palmeira et les apprentis chercheurs, contribuait à recomposer les principales hypothèses de la recherche initiale. Chaque enquête forgeait sa propre voie, mais toutes contribuaient à des résultats cumulatifs et complémentaires. Comme l’a exprimé Moacir Palmeira dans la préface de la monographie de José Sergio Leite Lopes, les avancées de la recherche se manifestaient par « la théorie investie dans les faits » [Palmeira, 1976b]. On sent ici l’empreinte de la conception du rapport entre le travail théorique et l’analyse empirique chère à Bourdieu. Le développement du capitalisme était associé à la dépossession matérielle des familles et de leurs références culturelles. L’étude de la reconstitution du monde traditionnel et de son effondrement en Algérie dans les travaux de Bourdieu et Sayad [Bourdieu et al., 2021 [1963] ; Bourdieu & Sayad, 1964] a servi de paradigme pour mieux comprendre les avancées du capitalisme dans la périphérie au xxe siècle.
15La menace d’interruption de la formation doctorale en 1972, provoquée par la perte de certains financements internationaux et du programme de recherche auquel elle avait donné lieu, a provoqué un grand désarroi, aussi bien parmi les enseignants que parmi les étudiants. Des débats réalisés à cette époque ont abouti à un effort collectif pour essayer de trouver le salut de cette institution de formation à la recherche en concevant un ambitieux projet pouvant éventuellement susciter l’intérêt d’autres agences de financement que la fondation Ford. En effet, la survie de la formation doctorale créée au Museu Nacional a été liée à son caractère de forte nouveauté et de rareté dans le monde universitaire brésilien dépourvu de formations de troisième cycle en sciences sociales, à l’exception de la sociologie de l’université de Sao Paulo (USP). Cette situation difficile aide sans doute à expliquer des investissements personnels profonds pour assurer la continuité du programme d’enseignement et de recherche qui ont provoqué le resserrement des liens affectifs et professionnels de ceux qui ont participé à la rédaction d’un nouveau projet [Garcia Jr., 1993].
La lutte pour l’institutionnalisation de la formation à la recherche en anthropologie sociale : d’un réseau international à l’invention d’une formation doctorale à la périphérie
16L’implantation de la formation de 3e cycle en anthropologie sociale au Brésil constitue un moment clef de l’évolution du métier d’anthropologue et de sa signification dans ce pays [Garcia Jr., 2009]. Celle-ci a supposé la collaboration de l’anthropologue britannique David Maybury-Lewis, à l’occasion de son intégration à l’université de Harvard, et de Roberto Cardoso de Oliveira, un des pionniers des ethnographies sur les groupes tribaux d’Amazonie. La controverse scientifique entre Maybury-Lewis et Claude Lévi-Strauss, concernant le caractère exogamique des « moitiés » observables au sein des organisations sociales des sociétés « primitives », était à l’origine du projet de coopération avec le Museu Nacional pour l’éclaircissement des enjeux fondamentaux de l’organisation sociale des groupes Gê du Brésil Central.
17La fin de ce premier projet de collaboration entre Harvard et le Museu Nacional en 1966 coïncide avec le bouleversement de l’espace politique brésilien après le coup d’État militaire de 1964 qui déclenche une répression contre les intellectuels et les scientifiques. Roberto Cardoso de Oliveira a vu partir à l’étranger certains de ses alliés les plus précieux, notamment ceux qui occupaient de hauts postes dans le système d’enseignement et dans les agences de financement scientifique (CNPq et CAPES) : Darcy Ribeiro qui l’avait invité à diriger les recherches du Museu do Indio, Florestan Fernandes qui l’avait initié en anthropologie à l’USP, Fernando Henrique Cardoso, son beau-frère et sociologue de cette université. Pour Cardoso de Oliveira, le renforcement de la collaboration avec David Maybury-Lewis et avec l’université de Harvard fut un moyen de donner continuité à ses efforts pour mettre sur pied un cours de troisième cycle au Museu Nacional. Les deux partenaires ont fait appel à la fondation Ford qui leur a accordé des financements pour créer un master en Anthropologie sociale, doté d’une bibliothèque donnant accès aux principales revues internationales spécialisées et à des monographies classiques et de pointe. Ils ont pu, en outre, recruter de jeunes chercheurs, à l’image de Moacir Palmeira, pour travailler à plein temps dans l’enseignement et la recherche et offrir des bourses aux étudiants qui se consacraient uniquement à leurs études. Ces conditions de travail, fréquentes aux États-Unis et dans certains pays européens, constituaient une nouveauté absolue au Brésil par référence au recrutement des enseignants et des chercheurs des générations précédentes. La fondation Ford, qui initiait ses financements dans le domaine des sciences sociales au Brésil [Miceli, 1993, 1995], a également imposé l’élargissement des thèmes d’enquêtes qui ne pouvaient plus se limiter à la parenté, aux rituels et à la cosmologie des groupes indigènes. Un nouveau projet d’enquêtes, nommé « Projet de développement régional comparé », encore une fois dirigé par le duo Cardoso-Maybury-Lewis, portait sur les transformations en ville et à la campagne dans le Nordeste et en Amazonie. Ainsi l’« anthropologie sociale » n’était plus cantonnée aux sociétés indigènes et s’inscrivait dans la tendance observable à la même époque aux États-Unis et au Royaume-Uni.
18C’est dans ce contexte que les enquêtes menées par Moacir Palmeira dans le Nordeste ont débuté. Le dernier chapitre de sa thèse de doctorat [Palmeira, 1971b] présente des propositions de recherche concernant les plantations sucrières du Nordeste à la lumière des problématiques soulevées par Eric Wolf et Sidney Mintz sur les anciennes et les nouvelles plantations pour étudier les transformations des « plantations » dans les Amériques. Si la production de la colonie brésilienne était destinée aux marchés européens et supposait les flux constants d’esclaves africains, la simple référence au concept de « système de marchés interdépendants » [Polanyi, 1944 ; Polanyi et al., 1957] ne permettait pas de comprendre le changement social. Le système de marchés de produits coloniaux assorti de marchés d’esclaves était bien différent de celui qui fait intervenir une force de travail libre de ses mouvements.
Les nouvelles enquêtes sur la diversité des agents dominés : menace de disparition du PPGAS et quête de salut par la recherche
19De cette première promotion d’étudiants ont fait partie Lygia Sigaud, dont les travaux ont déjà été évoqués, et Otavio Velho qui a commencé ses enquêtes sur les fronts pionniers d’Amazonie, composés surtout de migrants du Nordeste, flux qui allaient s’accentuer dès 1970 en raison des politiques des gouvernements militaires [Velho, 1976]. Ceux-ci cherchaient une issue pour faire face à la grande sécheresse du Nordeste à travers le peuplement des territoires relativement inoccupés et convoités par des grandes puissances internationales. De nouvelles générations d’étudiants ont alors donné naissance à des enquêtes sur la trace de ces trois pionniers, tous issus de la licence en sociologie de l’université catholique de Rio, et invités par Roberto Cardoso de Oliveira à devenir enseignants des cours de master nouvellement implantés. Ont également été recrutés dans le corps enseignant Luiz de Castro Faria, qui avait intégré le Museu Nacional en 1935, Roberto da Matta qui finissait sa thèse de doctorat à Harvard sous la direction de David Maybury-Lewis, Francisca Keller qui avait obtenu son doctorat à l’USP, Neuma Walker, ancienne doctorante aux États-Unis, et des professeurs rattachés au Centre latino-américain de recherches en sciences sociales (CLAPCS).
20Cette ambiance d’initiatives novatrices et de débats ouverts contrastait avec les impositions de la dictature militaire qui faisait disparaître les droits civiques les plus élémentaires, faisant de la torture systématique l’instrument quotidien du contrôle des adversaires. En 1972, cette situation ambivalente s’est encore assombrie avec la menace de la suppression des financements internationaux des activités d’enseignement et de recherche.
21Des désaccords sur les modes de progression dans la carrière d’enseignant-chercheur entre Roberto Cardoso de Oliveira et la direction du Museu Nacional, qui minimisait le poids des titres académiques et des publications, ont provoqué son départ. Après une année sabatique à l’université d’Harvard, Cardoso a accepté d’organiser une nouvelle formation doctorale à Brasilia. Son absence a menacé l’intégrité des activités d’enseignement et de recherche dans le cadre du Département d’anthropologie du Museu Nacional, car seuls Luiz de Castro Faria et Roberto da Matta étaient détenteurs de postes de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Comme à cette époque les licenciements des professeurs étaient fréquents à cause de leurs opinions politiques, la fermeture de ce programme aurait pu restreindre les chances d’avenir professionnel. Des discussions approfondies entre enseignants-chercheurs et étudiants se sont engagées pour concevoir des projets de recherche susceptibles d’obtenir des financements internationaux.
22La menace a fonctionné comme un aiguillon pour renforcer la coopération entre des projets menés individuellement par les différents enseignants-chercheurs et étudiants. Deux étudiants de master, José Sergio Leite Lopes et Afrânio Garcia Jr, travaillaient alors comme économistes de la Financiadora de estudos e projetos (FINEP), une agence publique de financement destinée jusqu’alors à gérer des fonds pour des projets de développement industriel. Le président de cette institution y avait organisé un groupe de recherche destiné à explorer les principaux obstacles à une répartition plus équitable de la croissance économique. Ces deux jeunes économistes faisaient partie d’un groupe qui étudiait l’évolution des inégalités du revenu national et les difficultés rencontrées sur le marché du travail. Ils furent invités à une réunion à Brasilia où des jeunes économistes de l’IPEA (Institut de planification et économie appliquée), Claudio Salm et Luiz Carlos Silva, avaient élaboré un rapport démontrant l’effet catastrophique des déplacements ruraux urbains avec des arrivées massives de migrants originaires des grandes plantations. L’envie de comprendre les évolutions probables du marché du travail faisait écho au souci d’analyser les effets des migrations massives de contingents complètement dépossédés des moyens matériels et intellectuels permettant de réussir une insertion en milieu urbain. Dès les premières discussions avec les économistes de l’IPEA, ceux-ci ont mentionné l’intérêt des experts de la Banque mondiale pour une connaissance plus large des modes de croissance de la pauvreté, notamment dans les grandes métropoles. Les enseignants-chercheurs et étudiants du PPGAS se sont alors mobilisés pour concevoir un projet susceptible d’apporter les financements nécessaires. C’est ainsi qu’a été conçu le projet « Emploi et changement socioéconomique dans le Nordeste » entre septembre 1972 et janvier 1973, soumis à l’agrément de l’IPEA, organisme rattaché au ministère au Plan, en vue d’une convention avec la Banque mondiale [Palmeira et al., 1978]. Ce projet a supposé la collaboration de douze chercheurs, seniors et étudiants en master, pendant plusieurs mois à côté de leurs obligations professionnelles, mus par le sentiment de sauver une institution menacée de disparition à peine implantée [Carvalho, 2016].
23Pour accéder à des financements conséquents, la recherche fondée sur les acquis de l’anthropologie sociale devait faire preuve de sa capacité à être plus performante dans l’analyse des sujets traditionnellement examinés par des disciplines bien établies et plus prestigeuses comme l’économie, la sociologie et la science politique. Toute monographie isolée, même d’un grand intérêt scientifique, serait considérée trop ponctuelle face à des bailleurs de fonds intéressés par les questions macro-économiques. À la différence des enquêtes ethnographiques tournées uniquement vers les univers amérindiens, il s’agissait de démontrer la pertinence et la complémentarité de l’appel simultané aux méthodes statistiques et ethnographiques pour comprendre les modes de développement économique et les implications sociales de ces évolutions. Le texte du projet, en particulier son introduction, explicitait les lacunes des débats entre économistes que les anthropologues se proposaient de combler : la forte reprise de la croissance économique du début des années 1970 s’accompagnait d’une intensification des migrations rurales-urbaines et interrégionales. En même temps, une augmentation significative du chômage et des petits boulots, impliquant une chute de la consommation des populations à faibles revenus, contribuait à accroître les inégalités entre les diverses régions du Brésil et les contrastes entre le sommet et la base de la pyramide sociale. Dans les cas étudiés du Nordeste, pour mieux comprendre la diversité des conditions de vie des salariés, il fallait exploiter le contraste entre les défis présents d’une économie pleinement monétaire et les modes de vie et de pensée de familles autrefois abritées et « protégées » par les « maîtres ». La mise en concurrence des différents outils forgés par les sciences sociales entraînait l’approfondissement des connaissances des situations analysées et à privilégier l’analyse des catégories de pensée des agents et les défis représentés par leur inscription dans une économie complètement monétisée.
24Le projet a été transmis aux potentiels bailleurs de fonds, à savoir les organismes du ministère au Plan et les experts de la Banque mondiale dès 1973, mais les financements ne furent accordés qu’à la mi-1975. Le programme d’enquête a été bien accueilli par les experts de la Banque mondiale contents de trouver une analyse fouillée de la « pauvreté au Brésil » et son extension récente, mais a suscité une méfiance accrue des autorités du Ministère au Plan, notamment celle du ministre João Paulo do Reis Velloso et celle de Nilson de Hollanda, président de l’IPEA. La longue discussion sur les modalités de financements a abouti à écarter la Banque mondiale, la FINEP a alors joué un rôle fédérateur pour générer une coopération de bailleurs de fonds composée uniquement d’organismes brésiliens (IPEA, IBGE, FINEP). Au milieu des années 1970, la FINEP a commencé à soutenir des doctorats dans plusieurs formations en sciences sociales, se substituant à la fondation Ford dans le financement des institutions de 3e cycle et de recherche de pointe [Miceli, 1993, 2009]. Entre temps, le président de la FINEP, José Pelucio Ferreira a profité du renouvellement des autorités en poste au ministère de l’Éducation nationale pour obtenir des contrats pour six enseignants-chercheurs du Museu Nacional, ce qui a permis de régulariser la situation des professeurs financés au départ par des subventions accordées par la fondation Ford.
25De cette façon, le projet collectif pour assurer les enseignements liés à des enquêtes individuelles a permis d’assurer les moyens de l’institutionnalisation définitive du PPGAS. Cette modalité d’action collective, esquissant des enquêtes novatrices pour justifier une nouvelle formation de troisième cycle, rééditait celle qui avait permis dans les années 1960 à Roberto Cardoso de Oliveira et David Maybury-Lewis de donner suite à leur partenariat. Il apparaît donc aussi important de comprendre la construction des objets des enquêtes de terrain novateurs que d’objectiver les rapports entre les chercheurs, leurs institutions d’appartenance et leurs liens aux agences de financement à la recherche. Comme l’a montré Pierre Bourdieu, l’objectivation de la relation des scientifiques avec leur objet de recherche en sciences sociales est une des conditions fondamentales pour apprécier la validité de l’objet examiné [Bourdieu, 2003]. Si les anthropologues de différentes générations du PPGAS/MN ont pu convaincre leurs pairs de la pertinence du travail ethnographique à réaliser dans les années 1970, que penser aujourd’hui de cette expérience historique et quels sont les résultats scientifiques obtenus par ces recherches ?
26L’intégration des chercheurs du PPGAS dans les réseaux internationaux tissés par Pierre Bourdieu et les chercheurs du CSE se comprend mieux si on remarque que le projet « Emploi » a débuté la même année que Monique de Saint Martin faisait son premier séjour au Brésil (1976) et animait une coopération scientifique entre le CSE et des réseaux de recherche brésiliens3. Cette même année, Moacir Palmeira, Lygia Sigaud et José Sergio Leite Lopes présentèrent leurs premiers résultats d’enquête au Congrès international des américanistes à Paris. Les enquêtes sur les transformations des modes de domination au Nordeste s’inscrivaient ainsi dans un dialogue constant avec Pierre Bourdieu et son équipe, ce qui a contribué à un élargissement des thèmes de recherche du PPGAS. Plusieurs séjours postdoctoraux des chercheurs brésiliens ont marqué cette nouvelle période, de même que la venue au Brésil de nombreux chercheurs du CSE, tels que Jean-Claude Combessie, Francine Muel-Dreyfus, Jean-Pierre Faguer, Victor Karady, Michel Pialoux, Louis Pinto, Michael Pollack, Abdelmalek Sayad et bien d’autres.
27Pour illustrer la participation des chercheurs brésiliens au renouveau des thèmes traités par les sciences sociales et le travail en commun des chercheurs français et brésiliens, on peut citer la parution dans Actes de l’article « La disparition de la joie du peuple » qui porte sur Garrincha, joueur de football célèbre [Leite Lopes & Maresca, 1989]. L’histoire sociale de cet ancien ouvrier du textile devenu sportif de haut niveau y est mise en rapport avec son style de jeu très singulier. José Sergio Leite Lopes a pu participer à la construction de la sociologie du sport comme objet reconnu en sciences sociales en mobilisant ses ethnographies précédentes sur les modes de domination des usines textiles du Nordeste.
Métamorphoses de la hiérarchie sociale
28L’anthropologie sociale est apparue au Brésil comme une discipline novatrice permettant d’affronter les questions suscitées par la croissance économique et la mobilité sociale. Elle a aussi été associée au privilège accordé à l’observation directe des faits sociaux et au regard que les agents portent sur l’univers dans lequel ils sont immergés. Elle a matérialisé une prise de distance par rapport aux traditions objectivistes communes aux recherches des économistes et des politologues qui privilégient les statistiques et la régularité des comportements observés. Cette méthode impliquait d’admettre que les ethnographes bardés de diplômes n’arrivaient pas à comprendre d’emblée le sens des énoncés formulés par les populations étudiées et exigeait une modestie peu habituelle parmi des contingents très scolarisés. Reconstituer l’univers social et sa hiérarchie à partir des catégories de perception des couches démunies, notamment de toute formation scolaire, a constitué un protocole novateur permettant le renouveau des modes de compréhension du travail de domination et de son efficacité.
29La réalisation simultanée d’ethnographies coordonnées a permis de montrer ce qui était récurrent et ce qui variait de manière contingente. Par exemple, l’opposition centrale dans les discours des groupes dominés tournait autour de la dualité entre « assujettis » et « libres », dans une référence claire à l’esclavage aboli au xixe siècle [Garcia Jr., 1989a]. La résidence de la famille abritée dans la grande plantation sucrière était systématiquement associée à la condition d’« assujetti », tandis que la résidence dans des petites propriétés en milieu rural, voire dans la périphérie des villes, était associée à la condition de « libre ». Le contenu de ces classements présentait de fortes variations de sens, mais leur caractère récurrent était décisif pour comprendre les modes d’exercice du pouvoir des « patrons » ou des « maîtres » et pour mieux saisir l’ensemble des obligations à respecter par les réseaux de dépendants. Sans rendre raison de ces catégories de pensée, toutes les logiques du petit commerce, de l’artisanat, des migrations vers les villes industrielles, des pratiques courantes du travail en famille, voire de l’affiliation religieuse et la conduite politique n’étaient pas intelligibles. Mais ces procédures d’enquête choquaient certains usagers des méthodes statistiques qui critiquaient les anthropologues pour ouvrir la voie au « subjectivisme » dans les méthodes d’investigation.
30L’attention privilégiée accordée aux catégories de pensée « indigènes » au sein des sociétés complexes a également conduit au scepticisme face à l’application de questionnaires d’entrée de jeu dans l’enquête de terrain. Si les mots pouvaient avoir des significations diverses pour les enquêteurs et pour les enquêtés, comment assurer la valeur des interprétations à propos des statistiques obtenues par les techniques de sondage ? Dans le cas du projet « Emploi et changement socioéconomique au Nordeste », la pertinence des méthodes utilisées a supposé la confrontation permanente de l’observation des interactions sociales (sur les marchés, les travaux dans les champs, etc.) aux informations obtenues par des questionnaires, ou par le traitement de données secondaires de sources statistiques officielles (IBGE) et à l’examen des archives disponibles. Les représentations collectives sur la vie sociale n’ont pas joui du privilège absolu. Certains chercheurs ont eu recours aux techniques quantitatives. Par exemple, Moacir Palmeira a organisé des recensements de vendeurs sur les marchés hebdomadaires plusieurs années de suite pour démontrer l’expansion des réseaux de commerce. Marie-France Garcia Parpet a réalisé des recensements des marchés et a comptabilisé les vendeurs grâce aux registres des impôts d’exposition des marchandises pour montrer les variations saisonnières. L’usage des statistiques secondaires élaborées par l’IBGE a été le lot commun des monographies de ces anthropologues, ce qui a permis de mesurer la validité des explications avancées, notamment dans le cas des migrations. Néanmoins, ces travaux n’ont pas associé le questionnaire ethnographique et celui sur les variables démographiques comme on peut le lire dans Travail et travailleurs en Algérie.
31Comment cerner l’objet étudié par chaque chercheur et s’assurer que chaque monographie pouvait contribuer à la connaissance du changement social dans les régions de « plantation » ? Ce projet a adopté la notion de « situation type », un faisceau de relations sociales observables de forme récurrente et nommées de forme constante par les acteurs, permettant au chercheur d’élaborer une cartographie sociale. Il en est ainsi des moradores de engenho pour désigner les modalités de recrutement et de gestion de la main-d’œuvre résidant au sein des « plantations », ou bien les travailleurs des abords des villes (pontas de rua) pour désigner la concentration dans les villes d’anciennes familles de moradores expulsés des engenhos, etc. Cette notion de situation type, utilisée dans le projet original, peut être rapprochée du concept proposé par Norbert Elias [1985] de configuration sociale, pour désigner des réseaux d’individus liés les uns aux autres par des relations d’interdépendance, où le comportement des uns n’a de sens que rapporté à celui des autres. Chaque monographie a essayé de cerner une catégorie sociale particulière, comme les moradores de engenho [Sigaud, 1979a], les ouvriers du sucre [Leite Lopes, 1976], les petits producteurs [Heredia, 1979 ; Garcia Jr., 1983 ; Ringuelet, 1977], les negociantes sur les marchés [Palmeira, 1971a ; Garcia Parpet, 1993]. Le travail ethnographique est devenu interdépendant : les analyses proposées par chaque monographie singulière avaient des répercussions sur les hypothèses et les démonstrations des autres monographies. L’analyse des particularités de chaque groupe permettait de corriger les biais des autres travaux. Aucun collectif donné d’avance, comme « commerçants sur les marchés », « petits paysans » ou « ouvriers du sucre », n’est resté indemne au traitement approfondi de la morphologie de chaque catégorie.
32Dans le « Projet Emploi », les différents auteurs ne se sont pas limités à approfondir les acquis des monographies initiales sur les plantations, mais ils ont tenté de saisir empiriquement comment les transformations de cette région ont eu des effets sociaux sur les migrations vers les grandes métropoles comme Sao Paulo et Rio de Janeiro. Celles-ci connaissaient une industrialisation accélérée associée à l’expansion du travail salarié accompagné d’un énorme chômage déguisé associé à des résidences précaires dans les bidonvilles [Machado da Silva, 1971]. Les migrants se dirigeaient également vers les fronts pionniers d’Amazonie, en quête de terres libres leur permettant de jouir de la condition paysanne [Velho, 1976]. La multiplicité des stratégies de reconversion et la recomposition des processus sociaux est au cœur de cette ethnographie collective [Sigaud, 2008] et explicite les interdépendances à l’échelle de ce vaste pays. La fin du monde clos des plantations basées sur le travail forcé se présente comme un éventail de possibles historiques méritant des études plus minutieuses sur les stratégies de reconversion des différents agents sociaux et leurs conditions d’efficacité.
33Un des moments les plus féconds de cette entreprise collective a concerné les nouveaux usages du mot « travail » et du verbe « travailler », en relation avec les analyses de la « découverte du travail » parmi les paysans kabyles déracinés [Bourdieu & Sayad, 1964]. L’historicité de la catégorie travail était manifeste, comme l’avait souligné Karl Marx dans la Contribution à la critique de l’économie politique. Les chercheurs étaient confrontés à des représentations hétérogènes sur le travail. Les usages de ce mot ne devenaient intelligibles qu’en mettant en relation son emploi avec la position de chaque agent dans l’espace social et avec les défis qu’il devait affronter. Pour les coupeurs de canne à sucre ou pour les petits producteurs, les ouvriers du sucre « ne travaillaient pas », même s’ils étaient admiratifs de leurs efforts produits au long de journées de 12 heures. Porteurs d’une conception de travail en lien direct avec celle des physiocrates — seule la culture de la terre mérite la qualification de travail —, ils stigmatisaient l’activité des ouvriers industriels. Leur faible rémuné-ration était perçue comme une injustice contre les « vrais » travailleurs. Les ouvriers du sucre connaissaient bien ces propos fréquents chez les coupeurs de canne, mais ils affirmaient leur supériorité dans la division du travail grâce à la médiation de machines qui multipliaient leur énergie [Leite Lopes, 1976]. Les ouvriers du sucre reproduisaient des modes de raisonnement similaires à ceux d’Adam Smith dans La Richesse des nations. Pour les petits exploitants examinés par Beatriz Heredia et Afrânio Garcia Jr., le mot « travail » recouvrait les activités agricoles sous le contrôle d’une unité domestique. Tout ceci différait profondément des activités d’intermédiaire commercial, le negocio, même si c’est grâce à cette rémunération que les paysans arrivaient à boucler leur budget [Garcia Parpet,1993]. D’autre part, le travail rémunéré en argent et exécuté sous les ordres d’un autre exploitant, l’alugado, était unanimement considéré comme l’activité la plus humiliante. Comme l’observe Robert Castel [Castel, 1995] à propos de ceux qui vivaient « au jour la journée » en Europe depuis la fin du Moyen Âge, les efforts déployés comme journalier ont un caractère honteux. Cette hiérarchie d’activités reconnues par les différentes conditions de subalternes est fortement impregnée de valeurs morales et est relativement indépendante du montant que procure chacune d’entre elles. Examiner dans le détail les usages courants de la catégorie travail permettait ainsi de mieux saisir l’expérience du changement social et de la multiplicité des itinéraires que chacun pouvait emprunter. Cette confrontation systématique de l’éventail de possibilités associée à chacune des positions sociales favorisait la démonstration que l’hégémonie de l’économie de marché ne dotait pas tous les individus de chances équivalentes, comme bon nombre d’économistes le supposent. À l’inverse, les distances sociales entre les descendants de maîtres et descendants d’esclaves (les anciens moradores) étaient récréées sur de nouvelles bases et enracinées dans de nouveaux principes de domination légitime. Le livre qui a regroupé ces monographies, Mudança social no Nordeste : a reprodução da subordinação [Leite Lopes et al., 1979], est révélateur du constat collectif que les changements examinés entraînaient d’importantes modifications des configurations sociales et s’inscrivaient dans l’intimité de chaque individu, et révèlaient également la recréation des différences sociales et les asymétries héritées depuis les temps coloniaux.
Conclusion : hiérarchies sociales et modes de domination
34L’univers instauré par les casas-grandes et les senzalas (maisons de maîtres et masures d’esclaves), comme avait signalé G. Freyre [Freyre, 1933, 1936], n’a pas disparu avec l’acte juridique de l’abolition de l’esclavage. Le travail de domination des senhores de engenho a permis de recréer un certain nombre de pouvoirs sur les populations qui leur étaient soumises, à l’exemple des châtiments corporels et des jugements imposés aux querelles à l’intérieur des domaines. Face aux défis imposés par de nouvelles conditions politiques et économiques, les descendants des maîtres pouvaient déployer de nouvelles stratégies de reconversion, à l’exemple d’investissements scolaires ou de nouvelles activités commerciales, industrielles, ou de promotion d’activités culturelles (école, musique, édition, théatre, etc.), chose impossible pour des descendants d’esclaves, dont la dépendance était sans borne. Chassés des plantations, les démunis n’avaient ni les moyens d’assurer leur survie ni un logement sûr, et rien ne les préparait à affronter un système de marchés généralisé. Face à ces problèmes, les recherches de Bourdieu et ses collaborateurs sur l’Algérie et sur le Béarn ont constitué à la fois des modèles méthodologiques et des points de référence permettant de saisir la spécificité de la configuration brésilienne. Alors qu’elles examinaient la décomposition de paysanneries installées de longue date et jouissant d’une certaine autonomie, la situation des descendants d’esclaves faisait apparaître des « déracinements » qui remontent à une autre modalité de colonisation et qui présentent une dimension au jour le jour qui n’était pas la même que celle des sous-prolétaires récents. Pour comprendre le changement des modes de domination, Pierre Bourdieu proposait l’analyse des formes d’acquisation de nouvelles dispositions mentales permettant aux démunis de s’inscrire dans les configurations où le marché est roi. Il soulignait également l’importance d’être attentif aux conditions économiques et sociales de cet effort de reconversion. Cette interrogation, qui s’écarte de tout économicisme, fournit une clé importante d’objectivation des obstacles pour accéder à la condition de citoyen. L’édition d’un extrait de l’enquête de Max Weber sur les ouvriers agricoles à l’Est de l’Elbe, texte contextualisé par Michael Pollak dans le numéro 65 des Actes de la recherche en sciences sociales [Pollak, 1986 ; Weber, 1986], exprimait le souci de comprendre les enjeux et les modalités des transformations des modes de domination dans différentes régions du monde. Les recherches sur la « plantation » au Brésil apparaissent ainsi comme révélatrices de la force des liens et des représentations construits à partir de l’esclavage imposant des obstacles à la reconversion des démunis et empêchant d’incorporer la totalité des citoyens à la démocratie.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La coopération entre chercheurs s’est prolongée bien au-delà de l’expérience algérienne. En juin 1965, Bourdieu et Darbel ont organisé un colloque à Arras sur « les transformations survenues dans la société française après la Seconde Guerre mondiale. L’intention des organisateurs était d’engager les économistes et sociologues à entreprendre une discussion scientifique à propos d’un objet que les uns et les autres abordent communément depuis des perspectives très différentes » [Darras, 1967, p. 10]. Bourdieu et Darbel ont cosigné le livre L’amour de l’art [1969].
2 Cette observation est également valable pour les grands domaines tournés vers l’exportation et reposant sur des modalités de servage en Europe centrale comme les ont étudiées Max Weber [1986] et Witold Kula [1970].
3 Voir dans ce livre le chapitre 8 rédigé par Monique de Saint Martin.
Auteurs
Afrânio Garcia Junior, licencié en économie par la PUC-RJ, a réalisé son master et doctorat (1983) en anthropologie sociale au PPGAS du Museu Nacional/UFRJ. Il a fait partie des rédacteurs du projet « Emploi et changements socio-économiques au Nordeste » et de l’équipe de direction coordonnée par Moacir Palmeira (accord FINEP/IPEA/IBGE/UFRJ). Il a conduit son postdoctorat à l’EHESS (1983-1986) sous la direction de Pierre Bourdieu. Il est rentré au PPGAS/MN en 1978 par concours et a intégré l’EHESS également par concours en 1995, où il a codirigé le CRBC en compagnie de Ignacy Sachs entre 1996 et 2009, devenant chercheur du CESSP en 2009. Ses recherches concernent les marchés mondiaux des produits agricoles et les transformations des modes de domination et la mobilité universitaire et circulation internationale des paradigmes scientifiques. Il a publié notamment Libres et assujettis [éditions de la MSH, 1990] et Mobilité universitaire et circulation internationale des idées. Le Brésil et la mondialisation des savoirs [CRES, 2009].
Marie-France Garcia Parpet, licenciée en économie à l’université de Nanterre, a réalisé son master et doctorat en anthropologie sociale au PPGAS/Museu Nacional de Rio de Janeiro. Professeure par concours à l’Institut de philosophie et de sciences sociales de l’UFRJ à Rio jusqu’en 1994, elle a ensuite intégré l’Institut national de la recherche pour l’agriculture (INRA) et est devenue chercheuse associée au Centre de sociologie CESSP/EHESS en France. Elle a enquêté sur la construction sociale des marchés dans le Nordeste du Brésil et en France, se consacrant à la sociologie de l’économie et plus spécialement sur la valeur symbolique et monétaire des produits, la mondialisation des marchés, la construction intellectuelle des marchés agricoles, la patrimonialisation des produits alimentaires. Entre autres elle a publié « La construction sociale d’un marché parfait » [Actes de la recherche en sciences sociales, 1986] et Le marché de l’excellence : les grands crus à l’épreuve de la mondialisation [éditions de Minuit, 2009].
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