Chapitre 7. Une traversée transatlantique. Bourdieu et la formation d’un réseau franco-brésilien de coopération scientifique dans les années 1970 et 1980
p. 138-166
Texte intégral
Introduction
1Ce chapitre présente les résultats d’une recherche sur la participation brésilienne à un réseau scientifique créé autour de Pierre Bourdieu, de son travail et de ses collaboratrices et collaborateurs, en particulier Monique de Saint Martin, dans les années 1970 et 19801. La première vague de diffusion de son œuvre au Brésil se déploie à partir de deux branches principales : l’une, à Sao Paulo, sous le leadership de Sergio Miceli, professeur de la fondation Getúlio Vargas (FGV), et l’autre, à Rio de Janeiro, sous la direction de Moacir Palmeira, au Museu Nacional. Miceli a utilisé Bourdieu pour consolider la sociologie de la culture au Brésil, et grâce à lui, José Carlos Durand, Maria Rita Loureiro, Maria Andrea Loyola, Arakcy et Leôncio Martins Rodrigues, Afrânio Catani, Roberto Grun, qui étaient pour la plupart ses collègues à la FGV, ont fini par tisser des liens avec ce réseau de coopération scientifique. Au Museu Nacional2 de Rio de Janeiro, les travaux du sociologue français sont devenus une référence fondamentale pour comprendre la reconversion des classes populaires provoquée par l’intense transformation économique et sociale du pays, surtout dans le monde rural. Dans ce contexte, Moacir Palmeira et Lygia Sigaud ont orienté une série de recherches qui ont eu une influence importante sur celles d’Afrânio Garcia Jr., de Marie-France Garcia Parpet, de José Sergio Leite Lopes, de Maria Rosilene Alvim et de Beatriz Heredia.
2À partir de la réalisation d’entretiens avec les participant·es de ce réseau et de l’étude des lettres que Bourdieu a échangées avec les Brésilien·nes, il s’agit tout d’abord de comprendre la place du Brésil dans l’internationale scientifique qui s’est formée autour de lui dans les années 1970 et 1980. Pour ce faire, il faut tenir compte, par exemple, du nombre de lettres échangées, des modes de collaborations, ponctuelles ou inscrites dans la durée, ainsi que de la relation entre l’intensité des liens établis et le rythme de traduction de ses œuvres. La forte participation brésilienne au réseau est associée à la publication précoce et intense de ses travaux au Brésil [Sapiro & Bustamente, 2009], notamment à travers les efforts de Sergio Miceli et de ses collègues de la FGV. Au premier plan, donc, l’analyse se situe dans le cadre d’une « sociologie de la circulation internationale des idées scientifiques » [Bourdieu, 2002 ; Gingras, 2002] voire d’une « sociologie des traductions » [Heilbron & Sapiro, 2007], dans un contexte de croissante hégémonie étatsunienne. L’interlocution entre les membres du CSE (Centre de sociologie européenne), du CSEC (Centre de sociologie de l’éducation et de la culture) et les Brésilien·nes, restituée à travers des lettres et des entretiens, permet d’analyser comment s’est déployée la relation entre le champ de la production de l’œuvre bourdieusienne et le champ de la réception dans les sciences sociales brésiliennes. Considérant que « les dynamiques de traduction relèvent de la structure de l’espace de réception et de la manière dont des intermédiaires importants (traducteurs, critiques, agents, éditeurs) formatent la demande sociale » [Heilbron & Sapiro, 2007, p. 93], notre recherche s’est penchée sur la première génération de médiatrices et médiateurs du travail de Bourdieu au Brésil.
3Le contexte dans lequel cette génération a pu opérer dans le cadre national renvoie d’emblée au renforcement des sciences sociales au Brésil. Contrairement à d’autres pays d’Amérique latine, la dictature militaire, mise en place en 1964, croyait à l’importance de l’université pour le développement. Elle créa les conditions pour élargir le système universitaire et envoyer des étudiant·es et des professeur·es pour des séjours à l’étranger, dont certain·es étaient menacé·es de persécution politique. Si l’internationalisation scientifique consiste essentiellement en une circulation de textes et de personnes [Gingras, 2002], il faut penser les conditions institutionnelles et politiques qui rendent cette circulation possible.
4Parmi les mécanismes bilatéraux de financement qui existaient entre la France et le Brésil, le réseau de coopération, qui s’est formé autour de Bourdieu au CSE et au CSEC, s’est nourri du désir de rendre sa sociologie « moins parisienne », comme Bourdieu l’explique dans une lettre en référence à la revue Actes de la recherche en sciences sociales, et de celui des jeunes scientifiques cherchant des réponses aux problèmes dans leurs champs de recherche au Brésil. Des opportunités s’ouvraient avec la retraite anticipée et forcée par la dictature d’importantes figures de la sociologie, comme Florestan Fernandes, Octavio Ianni et Fernando Henrique Cardoso de l’université de Sao Paulo. Le travail de diffusion de l’œuvre de Bourdieu avait lieu dans un contexte d’apparition de nouveaux objets et des nouvelles perspectives qui venaient disputer la prédominance du marxisme dans les sciences sociales brésiliennes.
5Cette enquête aborde donc la circulation internationale d’idées de Bourdieu à partir de la trajectoire des agent·es. Basée principalement sur les lettres échangées avec la première génération de diffuseurs de ses travaux, elle ne permet pas d’analyser les relations avec d’autres chercheuses et chercheurs français3 – les contacts établis dans ces centres ont pourtant donné lieu à des collaborations professionnelles qui se sont étendues bien au-delà de la présence de Bourdieu. Par contre, elle permet de comprendre la participation des Brésiliennes et Brésiliens dans les Centres sous la tutelle de Bourdieu. Cette véritable socialisation dans un groupe de recherche a eu un impact décisif dans la carrière des chercheuses et des chercheurs brésilien·nes : l’appropriation de son œuvre s’est en effet convertie en un capital important dans le monde académique brésilien et en un certain ethos scientifique qui a marqué les générations suivantes. Elle a contribué à façonner les carrières de ses importateurs – la consécration internationale de Bourdieu a renforcé la position de ses ex-élèves dans le cadre national –, mais elle s’est aussi diffusée dans le pays, à travers les traductions et sous l’impulsion de thésard·es brésilien·nes.
6On peut distinguer trois moments décisifs de la trajectoire des chercheuses et chercheurs qui ont introduit son œuvre au Brésil et se demander tout d’abord quelles ont été les formes d’insertion dans ce réseau scientifique ou, plus exactement, quelles relations antérieures ont permis cette insertion. À partir de cette analyse des liens institutionnels et des capitaux mobilisés pour cette participation, on peut ensuite s’interroger sur les indices qui révèlent le processus de socialisation des Brésilien·nes dans le groupe de collaboratrices et collaborateurs de Bourdieu au CSE et au CSEC dans les décennies 1970 et 1980. Enfin, le moment de la dissolution du réseau formé autour de lui semble correspondre à deux évolutions concomitantes : au « vieillissement social » des chercheuses et chercheurs concerné·es, ayant conquis des postes importants au Brésil et développé leurs propres programmes de recherche ; et au fait que Bourdieu étant devenu un « penseur global », sa participation au travail collectif n’était plus possible.
La place du Brésil dans l’internationale scientifique
7Si, pour Bourdieu, le Brésil n’a pas eu la même importance que les États-Unis en termes de diffusion de son travail, le caractère précoce et le poids des échanges avec les Brésilien·nes sont évidents, quand on considère le nombre et le type de lettres échangées en comparaison d’autres pays d’Amérique latine.
8Jusqu’à la moitié des années 1990, il n’y a pas eu d’échange régulier entre Bourdieu et des chercheurs d’autres pays latino-américains. Après cette période, le nombre de ses interlocutrices et interlocuteurs dans cette région du globe augmente considérablement. C’est à ce moment que d’autres pays acquièrent de l’importance dans cette interlocution, notamment l’Argentine et le Mexique. En revanche, le type de relation prédominante change, débordant le champ académique et allant vers des contacts plus éphémères, des invitations pour des visites, des interviews dans les médias et aussi des sollicitations plus erratiques pour la traduction de textes. Certain·es ont maintenu une relation plus durable avec Bourdieu à partir de la fin des années 1980, comme Alicia Gutierrez (Argentine), Isabel Jímenez et Nestor Garcia Canclini (Mexique).
Tableau 1. Nombre de lettres échangées entre Bourdieu et des interlocuteurs (universitaires, journalistes, syndicalistes, etc.) des pays d’Amérique latine
PAYS | 1966-1975 | 1976-1980 | 1981-1985 | 1986-1990 | 1991-1995 | 1996-2001 | TOTAL |
Brésil | 14 | 45 | 50 | 38 | 28 | 76 | 251 |
Argentine | 3 | 7 | 71 | 81 | |||
Mexique | 1 | 8 | 4 | 10 | 36 | 59 | |
Chili | 3 | 6 | 2 | 8 | 19 | ||
Colombie | 11 | 11 | |||||
Bolivie | 4 | 4 | |||||
Venezuela | 2 | 2 | 4 | ||||
Uruguay | 2 | 2 | |||||
Haïti | 1 | 1 | |||||
Costa Rica | 1 | 1 | |||||
TOTAL | 17 | 46 | 68 | 46 | 49 | 207 | 433 |
Source : Archives Pierre Bourdieu (1966-2001)
9Un indice important du caractère plus permanent de la relation entre Bourdieu et ses collaborateurs est la publication dans la revue Actes de recherche en sciences sociales. Y publier demandait un ajustement à sa manière de poser les problèmes de recherche : une connaissance de son œuvre et une collaboration avec des membres du centre. Seize articles d’autrices et auteurs brésilien·nes ont été publiés à partir de 1975. Certains ont été coécrits avec des chercheuses et chercheurs français·es, comme ceux de Francine Muel-Dreyfus avec Arakcy Rodrigues, ou ceux de José Sergio Leite Lopes avec Jean-Pierre Faguer et Sylvain Maresca.
10Les lettres révèlent que la publication dans Actes, au moins dans le cas des Latino-Américains, résultait d’une collaboration durable et d’un fort investissement intellectuel. Elle était presque toujours le fruit d’un travail de formation lors de longs séjours dans les Centres, où les textes étaient discutés dans les séminaires. Nous aurions peut-être pu inclure dans cette liste deux textes de Gustavo Sorá, dont les thèmes se rapportent au Brésil, bien qu’il soit de nationalité argentine. Sa trajectoire, comme celle de Frederico Neiburg, est indicative des liens étroits qui unissent le Museu Nacional à la diffusion de l’œuvre de Bourdieu dans ce pays, à travers la formation de cadres.
Tableau 2. Articles rédigés par des Brésilien·nes publiés dans Actes
Date | Auteur | Titre | Acte no |
1975 | Sergio Miceli | « Division du travail entre les sexes et division du travail de domination. Une étude clinique des anatoliens au Brésil » | no 5-6 |
1982 | Maria Andréa Loyola | « Cure des corps et cure des âmes. Les rapports entre les médecines et les religions dans la banlieue de Rio » | no 43 |
1986 | Afrânio Garcia Jr. | « Libres et assujettis. La transition des travailleurs dépendants aux travailleurs libres dans le nord-est du Brésil » | no 65 |
1986 | Francine Muel-Dreyfus & Arakcy Martins-Rodrigues | « Réincarnations. Note de recherche sur une secte spirite de Brasilia » | no 62-63 |
1988 | Arakcy Martins-Rodrigues | « Pratiques et représentations des petits fonctionnaires administratifs à Sâo Paulo » | no 73 |
1989 | José Sergio Leite Lopes & Sylvain Maresca | « La disparition de “ la joie du peuple ”. Notes sur la mort d’un joueur de football » | no 79 |
1990 | Rosilene Alvim & José Sergio Leite Lopes | « Familles ouvrières, familles d’ouvrières » | no 84 |
1991 | José Carlos Durand | « Négociation politique et rénovation de l’architecture. Le Corbusier au Brésil » | no 88 |
1993 | Afrânio Garcia Jr. | « Les intellectuels et la conscience nationale au Brésil » | no 98 |
1994 | José Sergio Leite Lopes & Jean-Pierre Faguer | « L’invention du style brésilien. Sport, journalisme et politique au Brésil » | no 103 |
1995 | Maria Rita Loureiro | « L’ascension des économistes au Brésil » | no 108 |
1998 | Afrânio Garcia Jr. | « La construction interrompue. Celso Furtado, la Guerre froide et le développement du Nordeste » | no 121-122 |
1998 | Maria Drosila Vasconcellos | « L’internationalisation des écoles de gestion au Brésil » | no 121-122 |
1998 | Maria Rita Loureiro | « L’internationalisation des milieux dirigeants au Brésil » | no 121-122 |
2007 | Sergio Miceli | « Jorge Luis Borges, histoire sociale d’un “ écrivain-né ” » | no 168 |
2011 | Afrânio Garcia Jr. | « Les souvenirs d’un Européen : entre le Brésil, terre d’avenir et Le Monde d’Hier. Les derniers écrits de Stefan Zweig » | no 186-187 |
11Dans le même esprit de collaboration, il faudrait tenir compte des textes des chercheuses françaises qui sont issus de leurs participations au réseau franco-brésilien : les travaux de Monique de Saint Martin sur le pentecôtisme et celui sur sa participation à une réunion de l’association de chercheurs en sciences sociales (ANPOCS) au Brésil [De Saint Martin, 1984, 1988] ; le texte de Marie-France Garcia Parpet [Garcia Parpet, 1986] qui reprend en France la problématique de la dimension sociale des échanges économiques qu’elle avaient étudiés dans une foire de la région Nordeste du Brésil.
12Une autre dimension importante pour comprendre la place du Brésil dans cette internationale scientifique est le rythme et le volume des traductions des ouvrages de Bourdieu4. Analysant la diffusion de l’œuvre de Bourdieu à partir de la traduction de ses livres entre 1958 et 2008, Sapiro et Bustamante montrent la position centrale du Brésil dans ce processus, avec vingt-cinq volumes traduits dans cette période, tandis que neuf, onze et cinq titres ont été respectivement traduits au Portugal, en Argentine et au Mexique [Sapiro & Bustamente, 2009, p. 12]5. La forte expansion du système universitaire brésilien étayait ces efforts de traduction, mais cette position s’explique moins par la taille du marché éditorial, lui aussi fragile, que par la convergence d’intérêts qui a amené à la formation du réseau de collaborations ayant fomenté la connaissance précoce et profonde de l’œuvre de Bourdieu parmi des chercheurs qui deviendront des références dans leurs domaines d’action au Brésil, comme Sergio Miceli. Ces chiffres reflètent un faisceau de relations et nous essayerons d’en esquisser l’histoire brésilienne en trois moments.
Une connexion internationale
13À l’opposé de ce qui s’est passé dans d’autres pays d’Amérique latine, le système de troisième cycle a été renforcé pendant la dictature militaire instaurée en 1964, quand il a acquis les conditions institutionnelles, légales et financières pour l’échange élargi et régulier de chercheurs avec des centres étrangers [Garcia Jr. & Canedo, 2005 ; Cury, 2004 ; Souto Maior, 2005]. En outre, la persécution politique des étudiant·es dont les formations étaient associées à des pensées politiques de gauche a contribué à leur départ du pays. De plus, il existait une longue histoire de collaboration entre la France et le Brésil dans le domaine des sciences humaines, dont l’épisode le plus important fut la participation de la mission française à la fondation de l’université de Sao Paulo dans les années 1930. Le réseau franco-brésilien formé autour de Bourdieu s’insérait donc dans une collaboration plus large, et un contexte institutionnel favorable avec, par exemple, des accords déjà signés entre le CNPq et le CNRS, qui ont permis aux jeunes chercheuses et chercheurs brésilien·nes d’étudier au CSE et au CSEC. L’intérêt et les moyens disponibles du côté brésilien motivaient assurément Bourdieu pour tester la portée de sa sociologie et diffuser son œuvre au-delà du contexte français. Cette réceptivité, néanmoins, ne doit pas éluder le fait que l’initiative est née des Brésilien·nes6.
14Monique de Saint Martin a été un maillon fondamental dans cette connexion. Outre l’interlocution intellectuelle qu’elle a entretenue avec les Brésilien·nes qui se sont rendu·es au CSE et au CSEC et qui a abouti à des partenariats professionnels voire des amitiés outre-Atlantique, elle orientait aussi les nouvelles et nouveaux arrivant·es sur les normes tacites de cet espace. Après sa première visite au Brésil en 1976, lorsqu’elle a été reçue par Miceli à la FGV et par Moacir Palmeira au Museu Nacional de Rio de Janeiro, elle se rendit dix fois dans le pays, sondant des recherches ayant des affinités avec la perspective bourdieusienne. Elle l’a aidé avec la lecture des textes en portugais envoyés à Actes et pour la rédaction des réponses aux propositions d’articles (les initiales « MSM » au crayon sur le coin supérieur des articles imprimées en témoignent, et Bourdieu admettait lui-même sa faible maîtrise du portugais). Dans certains cas, sa participation à la traduction et à la réécriture de ces textes a été explicite.
15Jusqu’à la fin des années 1960, le Brésil était faiblement présent dans l’univers de Bourdieu : il avait fait un compte-rendu d’un livre de Roger Bastide [Bourdieu, 1961, p. 114-116], tandis que Moacir Palmeira assistait à ses séminaires7. Celui-ci a publié le premier texte de Bourdieu au Brésil, « Champ intellectuel et projet créateur », qui figurait dans un volume de la revue Les Temps Modernes de 1966 dirigé par Jean Pouillon, qu’il avait rencontré lors de son premier séjour à Paris quand il préparait son doctorat. En 1968, il a décidé de publier intégralement un recueil intitulé Problemas do Estruturalismo - Problèmes du structuralisme, profitant de ses contacts avec la maison d’édition Zahar à Rio de Janeiro.
16Le moment décisif de la connexion de Bourdieu avec le Brésil a été la lettre que Sergio Miceli, alors âgé de 25 ans, lui a écrite le 12 février 1970. Il lui proposait de traduire et d’organiser les textes de son premier livre entièrement consacré à ses articles, publié par la maison d’éditions Perspectiva de Sao Paulo en 1974 sous le titre A Economia das Trocas Simbólicas (L’économie des échanges symboliques). Cela marqua le début d’une relation durable qui deviendrait la porte d’entrée de bien d’autres membres dans le réseau. L’intérêt spécifique de Miceli pour l’œuvre de son futur directeur de thèse, et en particulier pour la sociologie de la culture, s’y explicitait déjà.
Extrait de la lettre du 12 février 1970 de Sergio Miceli à Pierre Bourdieu
« Je connais votre œuvre à travers mes cours de sociologie de l’art et de la littérature bien avant de finir ma licence à la Faculté. Je la considère particulièrement importante du point de vue de la définition rigoureuse d’un objet spécifique et relativement autonome pour une sociologie de la culture. À mon avis, votre effort pour établir un champ d’investigation propre et convenable aux études culturelles, mieux encore, pour définir et circonscrire les agents sociohistoriques, les institutions, les modes de comportement, les représentations (sic) mentales, les productions, présente le plus grand intérêt pour les analyses culturelles au Brésil. En plus, votre œuvre me semble significative parce qu’elle essaie de dénommer le rythme et le fonctionnement du niveau de la production culturelle, ses éléments constitutifs et ses formes historiques d’agencement8. Ma formulation personnelle de cette problématique doit beaucoup à vos œuvres et à celles de Francastel, Raymond Williams, Hoggart, etc. »
17Miceli était engagé dans la reconstruction de la sociologie de la culture. Dans un contexte académique dominé par la critique littéraire et par la philosophie esthétique, il essayait d’introduire ses objets de recherche, tandis que dans les sciences sociales, les thèmes du développement, du travail et de l’éducation étaient prédominants. Le départ à la retraite forcée des sociologues les plus importants a accéléré la succession générationnelle et a favorisé l’émergence de nouveaux objets et de nouvelles perspectives.
18Le recueil organisé par Miceli avait un caractère novateur. Quand on compare les suggestions de textes à publier dans le recueil indiquées par Bourdieu, inspirées du volume qui était en cours de préparation aux éditions Droz de Genève [Lettre du 6 avril 1970] et ceux qui ont effectivement été publiés, on se rend compte du souci de Miceli d’imposer un auteur dont les travaux avaient été récemment introduits au Brésil, en le rapprochant des classiques de la sociologie, surtout de Weber. La sociologie wébérienne de la religion est présentée comme la matrice du concept de « champ », le principal instrument pour l’analyse de la culture. L’article « Genèse et structure du champ religieux », qui met en relation l’émergence d’un corps de spécialistes chargés de la gestion des biens du salut et la délimitation d’un espace doté de sa propre normativité [Bourdieu, 1974, p. 36], est publié dans le recueil, bien qu’il ne fît pas partie des suggestions de Bourdieu. Mais c’est surtout dans l’introduction, « A força do sentido » (« La force du sens »), dont le titre a été suggéré par Bourdieu, que le rapprochement de l’œuvre de Bourdieu avec les classiques est le plus prononcé. Miceli insiste sur la filiation avec les traditions qui présentent la culture comme consensus (Durkheim), mais aussi comme pouvoir (Marx et Weber). Ce livre a contribué à faire de Miceli l’un des premiers et principaux spécialistes en Bourdieu au Brésil et lui a permis de gagner la confiance de son futur directeur de thèse9.
19Plus tard, dans un échange de lettres concernant l’organisation du recueil Educação e Hegemonia de Classes (Éducation et hégémonie de classes) publié en 1979, dirigé par Lia Zanotta et José Carlos Durand, un collègue de Miceli de la FGV qu’il avait présenté à Bourdieu, ce dernier réagit à cette association stricte à Max Weber. Dans une lettre du 15 mars 1978, il énumérait des mises en garde à propos de l’introduction écrite par Durand :
Extrait de la lettre du 15 mars 1978 de Pierre Bourdieu à José Carlos Durand
« - p. 12 et suiv. : il me semble que vous sous-estimez (un peu) le poids du capital économique dans les différents facteurs explicatifs.
- p. 16 : c’est peut-être ce qui me gêne le plus, il ne me paraît pas exact de dire que ma conception de la structure de classes est “weberienne”, mais ce serait trop long à expliquer... je vous envoie ci-joint un texte peut-être plus clair.
- p. 17 : dans le champ de la classe dominante, toutes les fractions n’ont pas le même poids10, les grands patrons de l’industrie ou du commerce occupent des positions dominantes tandis que les enseignants occupent des positions dominées ; les cadres dirigeants occupent, de leur côté, des positions intermédiaires. »
20Ces points de désaccord découlent sans doute du biais interprétatif posé par le champ intellectuel brésilien. Le besoin de rapprocher l’œuvre de Bourdieu de la sociologie classique a poussé à une mise en relief des aspects wébériens de sa théorie à travers le concept de « capital culturel », ce qui nuançait le fondement économique des classes sociales. L’hégémonie du marxisme rendait le rapprochement à Weber, vu comme un « théoricien du conflit », moins indigeste qu’un rapprochement avec le fonctionnalisme, vu comme une « théorie de l’ordre ». Une question concernait aussi le versant analytique. L’intérêt de Miceli a toujours été circonscrit aux analyses du champ culturel, dans son interface avec le champ du pouvoir. Au contraire, le dernier point que Bourdieu souligne dans la lettre à Durand pourrait bien être un extrait de La Distinction, où il recommande de penser les intellectuels comme une fraction dominée, non pas parce que le champ culturel est en manque d’autonomie, mais parce que la portée de l’analyse est l’espace social dans son ensemble, où le capital économique est la forme dominante de capital et où les classes populaires doivent entrer dans l’équation.
21L’importation de Bourdieu au Brésil par Miceli a mis en relief la dynamique interne au champ culturel. Le retard dans la publication de La Distinction en est d’ailleurs symptomatique : le livre y est paru seulement en 2007. Miceli a déployé des efforts à répétition pour faire traduire et publier la principale recherche de Bourdieu. Il a dû faire face à d’énormes difficultés dues aux coûts de publication d’un livre long et rempli de tableaux et de graphiques11. Et pourtant, au Brésil aussi, c’était le livre le plus cité avant même d’être traduit [Campos & Szwako, 2000].
22Par ailleurs, dans un contexte de faible autonomisation du champ culturel, où l’État et les organisations politiques avaient un rôle démesuré dans le financement des activités intellectuelles, étant donné la fragilité du marché, la subsomption au champ du pouvoir s’imposait davantage comme dimension pour l’analyse, relativisant même l’application du concept de « champ ». Cette lecture a été renforcée par la thèse de Miceli, réalisée entre 1974 et 1978 sous la direction de Bourdieu, qui traitait de la relation entre les intellectuels et les classes dirigeantes dans la période qui va de 1920 à 1945, de l’intense modernisation de la société brésilienne sous l’impulsion de l’État, de l’expansion du marché culturel et du système d’enseignement. Les textes de ses collègues de la FGV publiés dans Actes se situent dans la même ligne et traitent de la spécialisation du travail de domination symbolique dans différentes niches de la production culturelle, comme celui de José Carlos Durand sur l’architecture [1991] et celui de Maria Rita Loureiro sur le champ de la pensée économique [1995].
23Miceli a été chargé de publier plusieurs textes de Bourdieu après la réussite du recueil A Economia das Trocas Simbólicas (L’économie des échanges symboliques) [1974]. Pour mieux comprendre le succès de la voie qu’il a ouverte et sa consécration dans le champ académique, il faut se déplacer vers l’espace de réception brésilien, où la sociologie de la culture était alors focalisée sur le rôle des intellectuels dans la construction de l’« identité nationale », une obsession dans un pays d’origine coloniale qui n’avait atteint son indépendance qu’au xixe siècle [Arruda, 2004]. Ce problème avait été traité par la critique littéraire d’Antonio Candido et ses élèves à partir de son œuvre fondamentale, Formação da Literatura Brasileira [1959]. Candido avait été l’un des principaux élèves de Roger Bastide, qui avait contribué à renforcer la sociologie de l’art au Brésil dans les années 1940. Avec le retour en France de Bastide et la prééminence du thème du développement dans une aire presque exclusivement dominée par Florestan Fernandes, Candido s’est orienté vers une critique littéraire d’inspiration sociologique. Il est resté malgré tout une référence incontournable dans les études sur la culture au Brésil. Ce n’est pas un hasard s’il a rédigé la préface de l’édition brésilienne de 1979 du livre décisif dans la trajectoire de Miceli, à savoir sa thèse de doctorat éditée aussi en France en 1981 dans la Collection Brasilia de la Maison des sciences de l’Homme. Le travail de Miceli a contribué à la consolidation de la sociologie de la culture au Brésil, la démarquant de la critique littéraire inspirée d’Antonio Candido. Il l’a fait en offrant les instruments théoriques et méthodologiques de Bourdieu pour replacer le problème du rôle des intellectuels dans la construction de la nation sur des bases empiriques plus larges et plus sociologiques, focalisées non pas sur les œuvres, mais sur l’espace social où transitent ses producteurs.
24Sa tâche fut sans nul doute facilitée par l’accès à des ressources matérielles, culturelles, symboliques et institutionnelles très importantes. Dès le début de sa carrière, Miceli a maintenu des liens étroits avec le marché de l’édition. Grâce à sa première épouse, Sônia Novinsky, il s’est rapproché de Jacó Guinzburg, responsable des éditions Perspectiva, qui a publié le recueil des textes de Bourdieu en 1974 [Muniz Jr. & Rodrigues, 2018]. Son expérience antérieure comme éditeur d’une revue scientifique à la FGV lui a permis l’acquisition d’un type de capital culturel important pour les médiateurs. Plus tard dans sa trajectoire, Miceli a maintenu des relations étroites avec d’autres maisons d’édition qui lui ont permis de contribuer de manière décisive à la publication des livres de Bourdieu, en particulier lorsqu’il a travaillé à la direction de l’Edusp et lors de sa collaboration avec la maison d’édition Companhia das Letras. Miceli a joué un rôle très important dans l’établissement de liens entre Bourdieu et la sociologie de l’éducation au Brésil. Après la mauvaise et précoce traduction de La Reproduction en 1975 par Editora Francisco Alves, José Carlos Durand a organisé le recueil de textes sur l’éducation en 1979 avec Lia Zanotta, et, plus tard, Afrânio Catani et Maria Alice Nogueira ont fait publier un livre très connu dans le domaine, Escritos de Educação (Écrits sur l’éducation) [1998], qui a été réédité seize fois. Durand avait été son collègue à la FGV et Catani avait travaillé comme assistant de recherche, recherche sur laquelle est basé la thèse de Miceli.
25Au Museu Nacional do Rio de Janeiro, l’autre endroit où la pensée de Bourdieu a été diffusée dans les années 1970, l’anthropologie élargissait déjà ses problèmes de recherches au-delà des communautés autochtones. Les travaux de Bourdieu et Sayad sur l’Algérie procuraient de plus en plus d’instruments pour comprendre la reconversion des classes sociales provoquée par le déclin de la domination traditionnelle dans le monde rural [Garcia Jr., 1983, 1989 ; Sygaud, 1980 ; Leite Lopes, 1988]. Cette clé d’interprétation de l’œuvre de Bourdieu a eu des effets très importants dans le domaine de l’anthropologie. Elle a été la base d’un projet de recherche qui a obtenu le financement d’une agence du gouvernement brésilien, ce qui fut fondamental pour garantir la continuité de l’institution, alors qu’à partir de 1972, la fondation Ford a cessé de financer le programme. Son impact dans la diffusion de l’œuvre de Bourdieu au Brésil et dans l’ensemble des sciences sociales n’a pas été le même que celui produit par le travail de Miceli, peut-être parce qu’il n’y a pas eu autant d’efforts d’édition. Palmeira a participé à la direction d’une collection de livres de sciences sociales pour les éditions Zahar, très importantes dans le domaine, mais n’a pas publié d’autres textes de Bourdieu, car le contact le plus direct avec le propriétaire de la maison d’édition revenait à un autre anthropologue du musée, Gilberto Velho, qui avait d’autres priorités, la traduction des œuvres d’Erwing Goffman et d’Howard Becker, plus en phase avec sa formation étatsunienne12. Plus tard, au début des années 1980, Afrânio Garcia Jr. a suggéré que le livre Questions de Sociologie soit publié par Marco Zero, et Marie-France Garcia Parpet a révisé de la traduction. Bourdieu l’en a remercié dans une lettre du 29 juin 1982. Leur correspondance indique que tous les deux ont déployé de nombreux efforts pour publier Le Sens pratique et La Noblesse d’État chez Hucitec, efforts qui n’ont pas été couronnés de succès13.
26Le travail de traduction et de publication est très important pour l’acquisition du poste de médiateur de l’œuvre d’un auteur. Le cas de Renato Ortiz le démontre. Il eut des contacts bien moins réguliers avec Bourdieu, mais il fit publier un recueil de ses textes dans la prestigieuse collection « Grandes Cientistas Sociais » en 1983, dirigée par Florestan Fernandes aux éditions Ática de Sao Paulo. Le volume aurait dû porter sur Franz Fanon ou Georges Balandier, mais après quelques résistances de Fernandes, Ortiz a réussi à le convaincre de l’importance d’un auteur encore méconnu au Brésil dans la deuxième moitié de la décennie 197014. Ortiz a aussi écrit une introduction assez connue, qui est plus centrée sur la théorie de l’action et sa tentative de dépassement de la polarisation entre objectivisme et subjectivisme en sociologie, et qui privilégie le débat avec Sartre. Ce cadrage de l’œuvre de Bourdieu lui a permis de devenir une référence importante sur l’auteur français dans le domaine de la « théorie sociale », assez influente au Brésil. Cependant, le texte n’a pas été bien reçu par les collaboratrices et collaborateurs de Bourdieu, dans la mesure où il a été pris pour un indicateur d’une certaine distance d’Ortiz par rapport à sa perspective.
27L’entretien que Maria Andrea Loyola a réalisé avec Bourdieu, publié au Brésil en 2002 et utilisé dans un documentaire projeté en France15 constitue une autre facette du travail de diffusion. Elle a conclu sa thèse de doctorat en 1973 à l’université de Nanterre, sous la direction d’Alain Touraine. En juin 1978, elle a reçu une lettre d’invitation de Bourdieu pour un séjour au CSE où il mentionnait la proximité des problématiques et des méthodes de ses recherches avec celles de son groupe. En 1982, elle a publié un article dans Actes sur les manières de traiter la santé du corps et de l’âme mobilisées dans un quartier pauvre du Rio de Janeiro. Bourdieu a fait de grands efforts pour prolonger son séjour à Paris, tenant compte des risques que la dictature faisait peser sur elle.
28Presque tou·te·s les chercheuses et chercheurs qui sont passé·es par les Centres pendant cette période étaient en relation avec les groupes de Sao Paulo et Rio de Janeiro, spécialement à travers Lygia Sigaud, Sergio Miceli et Maria Andrea Loyola, qui étaient de proches amis. Mais ils n’ont pas rejoint le réseau au même moment. Alors que Miceli l’a intégré dans les années 1970, grâce à l’organisation du recueil et à sa thèse dirigée par Bourdieu, le groupe du Museu Nacional n’a établi des relations plus régulières qu’à partir du début des années 1980. Curieusement, Moacir Palmeira est devenu un pionnier dans la diffusion de l’œuvre de Bourdieu à travers sa thèse de doctorat présentée en 1971 à l’université René Descartes, sous la direction de François Bourricaud. Bien qu’elle ne fût jamais traduite ou publiée en portugais, cette thèse eut une grande influence sur toute une génération de chercheurs, surtout au musée. Elle a conduit à un programme de recherche sur des populations paysannes pour les étudiant·es en DEA et de doctorat dans le programme naissant de troisième cycle en anthropologie sociale. La thèse de Palmeira signalait le besoin de connaître plus profondément la réalité des populations paysannes affectées par les intenses transformations de la structure productive et de l’espace social au Brésil de cette période, surtout à travers la méthode ethnographique. Elle visait à dépasser une catégorisation générique construite à partir du contexte européen fondée sur la polarisation entre capitalisme et féodalisme. À la fin des années 1960, Palmeira avait assisté aux cours de Bourdieu à Paris. Il avait eu l’occasion de discuter avec lui de sa thèse, mais il n’a pas pu l’inviter à être membre du jury, n’ayant pas obtenu l’autorisation de son directeur de recherche pour le faire16.
29En tant que professeur et directeur de recherche, Moacir Palmeira a introduit la pensée de Bourdieu au Museu Nacional et son travail, avec celui de son épouse Lygia Sigaud, a orienté bien des recherches dans les années 1970 sur les transformations du mode de domination traditionnel dans le monde rural brésilien, en particulier dans le Nordeste. C’est dans ce cadre qu’ont été formés Afrânio Garcia Jr., Marie-France Garcia Parpet, José Sergio Leite Lopes, Rosilene Alvim et Beatriz Heredia, soit celles et ceux qui ont entretenu des liens étroits avec le réseau. Malgré les contacts que Palmeira avait établis avec le sociologue français en 1968, c’est Sergio Miceli qui a demandé une lettre d’invitation pour un séjour au Centre en novembre 1975. L’épouse de Palmeira, Lygia Sigaud, était une grande amie de Miceli depuis leurs licences à l’université catholique de Rio de Janeiro. Sigaud est un maillon très important dans le réseau, comme l’a signalé Monique de Saint Martin et comme tous les entretiens que nous avons réalisés le révèlent, bien qu’elle n’ait pas entretenu de correspondance soutenue avec Bourdieu.
30L’extrait de la lettre que Miceli envoie à Bourdieu le 17 novembre 1975 révèle qu’il pouvait compter sur le soutien des professeurs de l’université de Sao Paulo, et probablement sur celui de Leôncio Martins Rodrigues, collaborateur de Touraine. Elle révèle également une forte proximité entre les groupes de Rio de Janeiro et de Sao Paulo. Finalement, la référence au texte sur Heidegger montre que les publications constituaient un intérêt commun qui renforçait la position de l’intermédiaire privilégié de Miceli dans le réseau.
Extrait de la lettre du 17 novembre 1975 de Sergio Miceli à Pierre Bourdieu
« En ce qui concerne le projet de votre visite au Brésil, j’ai cru que la meilleure stratégie était de rallier à la “chaîne” un sociologue de l’université de São Paulo (c’est le même qui a patronné la visite de Touraine) et le groupe de sociologues du Musée National à Rio duquel fait partie notre ami Palmeyra. Si le type de l’université n’arrive pas à faire passer ce qu’on a convenu auprès de la “chaîne” à laquelle il appartient, il n’en manquera pas d’autres. En plus, d’autres personnes pourront intégrer le circuit, par exemple la psychologue qui vous a déjà remis une invitation. Si vous êtes d’accord avec tout cela, dites-le moi.
D’autre part, il faudrait envoyer à Moacir PALMEYRA (dont l’adresse est Rua Araucária, 159/apto 304 — Jardim Botânico — Rio de Janeiro/rj – Brésil) la lettre d’invitation dont je vous ai parlée. Cette lettre lui permettra d’obtenir qu’une institution quelconque lui paie son voyage à la fin de cette année (il suffit de faire mention à un séjour de deux mois).
J’attends avec impatience votre texte sur Heidegger ainsi que le prochain numéro de Actes…
En attendant de vos nouvelles, je vous salue très affectueusement
Sergio M. »
31La lettre d’invitation que Bourdieu a envoyée à Moacir Palmeira le 2 décembre 1975 faisait référence à un échange qu’ils avaient à la fin des années 1960. La visite qui s’ensuivit en 1976, coïncidant avec les vacances d’été, a été courte. À cette occasion, Lygia Sigaud et José Sergio Leite Lopes sont également allés à Paris. La connexion s’est surtout établie grâce à de Saint Martin, qui était venue au Brésil la même année et qui avait été reçue par le groupe du musée, ainsi que par Miceli et ses collègues de la FGV. À partir de là, des invitations pour des séjours plus longs au CSE et des publications dans Actes se sont multipliés. Mais ce n’est que dans les années 1980 que cette relation s’est effectivement approfondie avec le groupe de Rio, surtout avec Afrânio Garcia Jr., Marie-France Garcia Parpet, José Sergio Leite Lopes et Rosilene Alvim.
32Lorsque nous reconstruisons ce réseau de collaborations, il est frappant de noter la fréquence des mariages entre ses membres, comme dans les cas de Afrânio Garcia Jr. et Marie-France Garcia Parpet, Moacir Palmeira et Lygia Sigaud, José Sergio Leite Lopes et Rosilene Alvim, José Carlos Durand et Maria Rita Loureiro, Leôncio Martins Rodrigues et Arakcy Martins Rodrigues. Le lien matrimonial apparaît comme une forme très importante de capital social pour la construction du groupe. Dans les correspondances, bien des interactions entre Bourdieu et les Brésiliennes passent par l’entremise des maris. Dans cet environnement universitaire des années 1970 et 1980, fortement hiérarchisé en termes de genre, l’habitus du leader, qui manifestait une « certaine propension à l’orgueil et l’ostentation masculins » [Bourdieu, 2004, p. 96], n’était pas trop embarrassant, car son autorité s’exerçait aussi sur des hommes. La distance respectueuse que la condition de femmes mariées imposait à la plupart des Brésiliennes du réseau était peut-être la raison majeure de cette entremise des maris, mais le fait est qu’elles ont rarement établi une relation plus indépendante avec lui, à en juger par les lettres.
33La principale exception a été Maria Andrea Loyola, dont le mari s’est maintenu distant puisqu’il n’appartenait pas au domaine des sciences sociales. Quelques lettres laissent entrevoir une relation de grande confiance et de gratitude, et les efforts que Bourdieu avait déployés pour prolonger son séjour en France au début des années 1980. Loyola était responsable de l’une des trois lignes de recherche qu’il répertoriait quand il concevait les projets de coopération avec le Brésil17, la sociologie de la santé et du corps, mais qui fut pratiquement subsumée dans les deux autres axes conduits par Miceli et Palmeira : elle a entretenu une intense collaboration avec les branches de Sao Paulo et de Rio, mais elle s’est déplacée vers la santé collective, un domaine plus en marge des sciences sociales. Entre 1970 et le milieu des années 1980, le réseau franco-brésilien s’est développé, engendrant quelques tensions, asymétries et certains coûts personnels.
Un difficile apprentissage
34Se connecter aux Centres à travers Monique de Saint Martin et Sergio Miceli n’était que le premier pas d’un processus fort exigeant. Il n’est pas surprenant que bien des tentatives de connexion n’aient pas abouti. Les séjours à Paris étaient des moments d’acquisition directe de la sociologie bourdieusienne, à travers les séminaires, la discussion des textes, les conversations informelles, où les sanctions positives et négatives exercent leur effet. Dans le cas des Brésilien·nes, une charge supplémentaire venait s’adjoindre en fonction de l’asymétrie structurelle qui marquait leur insertion dans le réseau, eu égard à leur condition de chercheuses et chercheurs d’un pays périphérique. En ce sens, les correspondances permettent d’objectiver les positions occupées par les un·es et les autres, et d’analyser leur manière de gérer les asymétries de positions dans ces relations qui plaçaient Bourdieu à un haut niveau de supériorité d’autant plus naturalisée que les un·es se trouvaient proches du cœur du réseau. De plus, elles permettent de voir comment se dessinaient les luttes ayant pour enjeu une plus grande proximité avec lui.
35La trajectoire de Moacir Palmeira révèle les coûts impliqués dans la participation au réseau, le conduisant, à un moment donné, à se désinvestir de cette relation. Après leur rencontre rapide de 1976, Bourdieu lui a écrit commentant deux de ses articles qu’il avait évalués pour une publication dans Actes, affirmant le désir de publier l’un deux, mais demandant des reformulations substantielles. Ces commentaires ont pu paraître trop durs pour un chercheur brésilien confirmé, même si Bourdieu manifestait son intérêt pour le texte et pour établir une collaboration régulière avec le groupe du musée18. Moacir Palmeira était déjà bien établi au musée, où il était un leader respecté, et n’a pas entrepris les efforts nécessaires aux exigences de la revue et de la participation aux travaux des Centres. Il n’y a pas de trace d’une réponse à cette lettre dans les archives de Bourdieu.
36Deux ans après, le 19 juillet 1978, c’est Bourdieu qui écrit à Palmeira en regrettant de ne pas avoir publié l’article dans un numéro thématique sur les paysans, suggérant encore un petit séminaire où les chercheuses et des chercheurs des deux pays présenteraient leurs travaux en vue d’une collaboration durable. Il y mentionnait son désir d’inviter Lygia Sigaud et José Sergio Leite Lopes, et demandait, se servant d’un point d’interrogation, ce qui n’était pas toujours le cas dans ses lettres, des suggestions de dates et de noms. Il organisait avec Monique de Saint Martin et Sergio Miceli cette rencontre, qui avait pour titre « Culture et classes sociales », ce qui était un indicateur de la centralité de son doctorant dans les orientations que l’on imprimait aux discussions. Dans sa réponse du 28 août 1978, Palmeira tente d’inclure Afrânio Garcia Jr. et Beatriz Heredia au groupe de participant·es, en introduisant par là-même un décalage avec les thèmes proposés par Bourdieu. Cet épisode révèle par contraste à quel point Miceli s’était adapté à la manière de travailler du Centre et au leadership incontesté que Bourdieu y exerçait. Miceli avait réalisé deux séjours prolongés en France pour préparer sa thèse et avait développé un contact très étroit avec Bourdieu lors de la préparation des éditions brésiliennes des ouvrages de son directeur de thèse. Cette proximité est devenue encore plus évidente lorsque Bourdieu lui a confié la tâche d’organiser et diriger une réunion préparatoire à Sao Paulo. C’est à cette occasion que le conflit apparaît. Bourdieu avait demandé que chaque participant·e brésilien·ne envoie un résumé du travail devant être présenté à Paris pour élaborer une note justificative d’une nouvelle demande de soutien au CNRS et au gouvernement français, étant donné la difficulté à obtenir des financements19. Le groupe du Museu Nacional s’est refusé à tout envoi par anticipation, cette sollicitation étant comprise comme l’acceptation d’une position subalterne devant les Français.
37La lettre que Miceli envoie à Bourdieu le 2 juin 1979 rapporte les tensions pendant cette réunion et ne laisse pas de place au doute quant à sa façon d’interpréter les motifs de la dispute. Il y mentionne que le groupe s’est divisé lors de la réunion, entre ceux, proches de lui, qui avaient compris l’esprit de la réunion de travail à Paris, et l’équipe du musée qui manifestait son désaccord. Cette lettre révèle le pragmatisme que Miceli avait acquis en France et au contact avec Bourdieu, qui conduisait de manière très stricte les travaux dans cet espace [Delsaut, 2005]. Elle fait en même temps état de l’hésitation et d’une certaine résistance de la part du groupe du musée à se soumettre aux règles du jeu, résistance d’intensité variable qui serait diluée pour certains membres, mais importante chez des leadeuses et leaders comme Moacir Palmeira et Lygia Sigaud. Pour Miceli, Palmeira donne priorité à l’activité politique au détriment du travail académique et il explique que son choix avait de l’influence sur tous les autres. Mais la dispute pour la place de médiateur principal auprès de Bourdieu est aussi mentionnée.
38Miceli dit à Bourdieu qu’il a assumé une position de compromis consistant à lui demander une « diminution des asymétries ». Dans la mesure où la gêne provoquée par la demande initiale de Bourdieu variait en fonction de la carrière, de la position et de place qu’occupaient les chercheuses et chercheurs de ce groupe, et de leurs compréhensions des bénéfices qui pourraient advenir du fait de renoncer à leur prestige gagné au Brésil pour se placer en position d’« apprentis », le prix de cette socialisation n’a pas été payé par tou·tes les participant·es à cette réunion de Sao Paulo, malgré le grand intérêt à se rapprocher de Bourdieu et de son groupe. Les membres du Museu ont ainsi insisté sur la réalisation du séminaire, dans des conditions d’« asymétrie contrôlée », même quand Miceli a suggéré qu’il serait peut-être mieux y renoncer, comme l’a rapporté Bourdieu20. À la fin de sa lettre, Miceli demandait à Bourdieu ce qu’il pensait de la situation.
39Le 20 juillet 1979, Bourdieu lui a répondu pour le remercier et lui dire que compte tenu des énormes difficultés de financement du voyage, il valait mieux ajourner le projet et financer seulement sa venue, celle de son épouse, de Maria Andrea Loyola ou de quelqu’un du groupe de Rio qui souhaiterait venir, « Par exemple, J. S. Leite Lopes ». Quant au conflit rapporté par Miceli, Bourdieu affirmait qu’il cherchait à être conciliant en disant que les demandes du groupe de Rio étaient compréhensibles, mais qu’il n’avait pas envie « d’entrer dans ce jeu », surtout parce qu’il était préoccupé par une situation administrative difficile.
40Sur le haut de la lettre envoyée à Miceli, noté au crayon, nous pouvons lire : « dans ces condt, renvoyer la réunion à plus tard ». C’est ce qui s’est passé en effet, mais le sujet ne sera pas abordé dans les correspondances ultérieures. Les entretiens confirment qu’un séminaire a eu lieu en 1981, où Moacir Palmeira, Lygia Sigaud, Afrânio Garcia Jr., Marie-France Garcia Parpet et Maria Andrea Loyola ont eu l’occasion de discuter leurs travaux avec les membres du Centre, et de les présenter pour publication dans Actes. Plus tard, dans cette même année, José Sergio Leite Lopes est allé lui aussi au Centre. Dès lors, dans le dessein du réseau, les deux branches se sont séparées et ont commencé à avoir des relations plus indépendantes avec le sociologue français.
41Dans les lettres, les sanctions découlant de la participation à cet espace apparaissent surtout dans le travail éditorial de Bourdieu, le degré de minutie et d’intervention dans les textes évalués. Le niveau d’exigence de la revue est un symptôme du type d’investissement nécessaire à la participation au réseau, ce qui écartait celles et ceux qui étaient absorbé·es par d’autres projets. Le prix induit par cette connexion avec l’internationale scientifique bourdieusienne n’a pas non plus attiré des professionnels déjà établis dans leurs carrières au Brésil et qui ont eu des contacts avec Bourdieu ou de Saint Martin dans les années 1970 et 1980, à l’instar de Roberto Cardoso de Oliveira, Leôncio Martins Rodrigues ou Fernando Henrique Cardoso, qui avait un lien étroit avec son concurrent direct en France, Alain Touraine, et dont la transition vers une carrière politique était amorcée. Fernando Henrique Cardoso a échangé des lettres avec Bourdieu pour solliciter, en sa qualité de président du Cebrap, l’extension du séjour de Maria Andrea Loyola à Paris. Cardoso a répondu aux questions de façon brève21. Dans une certaine mesure, Moacir Palmeira et Lygia Sigaud semblent s’être désinvestis de cette relation, et cette dernière a bâti d’autres liens professionnels avec la France.
42Les coûts émotionnels de cette socialisation ne semblent pas des moindres, à en juger par le récit d’Afrânio Garcia Jr. par rapport au double effort impliqué dans l’adaptation au Centre lors de son premier postdoctorat en 1983. Il fallait, d’une part, discerner les relations dans cet espace, déjà tendues entre Boltanski et le groupe de Bourdieu, ce qui exigeait de comprendre le travail de chaque chercheuse et chercheur, et sa place spécifique dans cette configuration. D’autre part, il fallait s’immerger dans l’œuvre de Bourdieu, de Sayad, dans les textes publiés dans Actes, pour comprendre « la construction des outils sociologiques, comprendre, par exemple, que dans les premiers travaux sur l’Algérie, il était question d’éthos et que c’est après que le mot habitus entrait, et comprendre déjà les polémiques suscitées » [Gheorghiu, 2018, p. 36]. Selon Afrânio Garcia Jr., l’appui de Michael Pollak, Jean-Pierre Faguer, Jean-Claude Combessie, Francine Muel-Dreyfus, Michel Pialoux, Louis Pinto, qui lisaient et discutaient les textes, outre celui de Monique de Saint Martin, était fondamental. En ce sens, les articles publiés dans Actes sont des indices importants de l’investissement et de la reconnaissance obtenue dans le groupe de Bourdieu. Afrânio Garcia Jr. est le Brésilien qui y a le plus publié et à un rythme continu. Son premier article dans Actes synthétise sa thèse de doctorat sur la transformation des modes de domination dans le Nordeste rural : il a suivi le conseil de Pollak de traiter le pôle dominant, ce qu’il a fait à partir de la littérature. Les trois autres textes qu’il a publiés dans Actes montrent une inflexion vers l’analyse des trajectoires des intellectuels et de leurs contributions au débat public sur des questions stratégiques, comme la construction nationale (Alberto Torres et Nelson Werneck Sodré), le statut du Nordeste (Celso Furtado) ou le pays vu de l’étranger (Stefan Zweig).
43José Sergio Leite Lopes a lui aussi beaucoup publié dans les Actes. En tant que second auteur, il signe un texte sur le changement dans le mode de domination dans une cité ouvrière du Nordeste et sur le rôle des femmes dans ce contexte dans l’émergence d’une conscience politique. L’accent porté sur les relations de genre devait particulièrement à la recherche de son épouse, Rosilene Alvim, première autrice de l’article. La force du programme de recherche de Bourdieu sur le travail des membres du réseau transparaît dans les deux autres articles de Leite Lopes, car ils répondent à une demande de Bourdieu au moment où il s’intéressait à la sociologie du sport. Le premier, écrit avec Sylvain Maresca, traite des reportages journalistiques sur la mort de Garrincha, dont la trajectoire permettait de voir les liens entre l’origine du football brésilien et les ouvriers. L’autre, publié avec Jean-Pierre Faguer, explore les relations entre l’émergence de la presse sportive, le football professionnel et le « style brésilien » de jeu.
44La participation de Marie-France Garcia Parpet au réseau de collaboration formé autour de Bourdieu s’est développée à partir de son rapprochement avec le groupe du Museu Nacional, sous le leadership de Moacir Palmeira et Lygia Sigaud. Son intérêt pour la dimension sociale des échanges économiques s’est éveillé quand elle préparait son DEA sous la direction de Palmeira, et il s’est prolongé au cours de sa trajectoire ultérieure, lors de son doctorat sur les marchés du Nordeste et de son postdoctorat réalisé à l’EHESS avec Bourdieu sur le commerce informatisé de fraises. Sa perspective de recherche sur les « structures sociales de l’économie » lui a permis de publier rapidement dans Actes.
45À partir du contact établi par les Brésilien·nes en France, principalement avec les autres membres du Centre, quelques liens se sont consolidés, et des chercheuses et chercheurs français·es se sont rendu·es au Brésil pour des missions communes sur le terrain. Dans le cas du groupe du Museu, cette collaboration a été plus durable, résultat d’un ethos collectif de recherche qui convergeait vers une « ethnographie de longue durée », avec des visites successives sur le terrain [Leite Lopes, 2009].
46Ainsi, les échanges avec Abdelmalek Sayad, renforcés par ses deux séjours d’un peu plus de cinq semaines au Brésil, en 1990 et 1994, illustrent comment le réseau a permis la construction d’autres relations. Sayad a été accueilli au musée, où il a donné des cours sur la migration comme « un cas limite de reconversion sociale » [Garcia Jr., 2020], concept qui permettait de relire dans un registre plus vaste toute la production de ce groupe. Les visites de Sayad ont consitué un moment important : elles ont exigé des Brésilien·nes un certain degré de décentrement par rapport au champ intellectuel national, et des bénéfices scientifiques qui y étaient associés. En ce sens, l’internationalisation faisait partie de la stratégie d’un groupe jusqu’alors marginal dans la sociologie mondiale, essayant de tester et de démontrer la validité transnationale de ses instruments théoriques et méthodologiques. Cela n’a pu se réaliser sans l’inculcation d’un habitus scientifique tourné vers la perspective comparative, qui s’est manifesté par l’intérêt immédiat de Sayad à discuter les recherches en cours au Brésil et à suivre les enquêtes de terrain réalisées dans le Nordeste, sur les mobilisations de la zone industrielle de Sao Paulo ou sur la situation des migrants dans les bidonvilles de Rio de Janeiro [Garcia Jr., 2020].
47Autre exemple de collaboration : Jean-Claude Combessie [2001, p. 191] rapporte l’une des deux visites réalisées par des chercheurs de France, d’Argentine et du Brésil à Rio Formoso à la fin des années 1990, où Lygia Sigaud avait une entrée privilégiée sur le terrain. Il montre à quel point a été profonde pour lui la réflexion découlant de cette expérience, l’amenant à revoir les postulats individualistes des méthodes des sciences sociales. Ces expériences montrent que les relations professionnelles entre les Brésilien·nes et les membres du réseau se sont prolongées bien après l’immersion dans les Centres, mais la nature de cette collaboration a changé à mesure que Bourdieu devenait de plus en plus absent dès la fin des années 1980.
La fin d’une époque
48Le processus de consécration de Bourdieu et des premiers médiateurs et médiatrices dans le champ intellectuel brésilien marque un changement important dans les collaborations transatlantiques. Les lettres postérieures à 1980 montrent la dispersion des échanges, avec l’apparition de nouveaux collaborateurs provenant d’autres universités brésiliennes ou d’autres pays d’Amérique latine. Ces nouveaux échanges sont presque toujours occasionnels. Daniel Lins, Tomaz Tadeu Silva, Juremir Machado et Maria Alice Nogueira favorisent les contacts avec d’autres centres universitaires, comme ceux du Ceará, du Rio Grande do Sul et du Minas Gerais au Brésil. Grâce à Moacir Palmeira et Afrânio Garcia Jr., Irlys Barreira et César Barreira, de l’université fédérale du Ceará, sont présenté·es à Bourdieu et font des séjours de postdoctorat à l’EHESS entre 1989 et 1990, établissant une relation plus durable.
49À partir de la moitié des années 1990, bien des lettres ne sont que des invitations à des visites et des entretiens de la part de personnes sans contacts antérieurs ou postérieurs avec Bourdieu, qui était devenu une « abstraction » [Delsaut, 2005]. Dans ces cas, l’œuvre semble arriver avant l’auteur, sans son intervention directe. Sa condition d’« intellectuel public » avait ouvert un autre front de travail dans les médias et la demande de textes, d’entretiens voire des visites avait acquis un caractère plus politique, dans un contexte où les sciences sociales se reconstruisaient après les dictatures en Argentine, au Chili ou en Bolivie. Sa présence était vue comme un soutien stratégique. En même temps, sa santé imposait des limites de plus en plus visibles, ce qui se manifeste dans les lettres à partir de 1994.
50La relation avec les ancien·nes collaboratrices et collaborateurs brésilien·nes semble avoir changé. Le groupe de travail qui existait jusque-là se dissout dans les années 1990. De plus, les investissements des médiatrices et des médiateurs se sont déplacés de plus en plus vers le champ national, où elles et ils ont acquis d’importants postes dans leurs domaines de recherche. Miceli avait toujours été conscient des bénéfices académiques qu’il pouvait obtenir dans son pays natal. Dans sa lettre à Bourdieu du 14 décembre 1975, il lui disait qu’il devait savoir ce que signifiait la publication de son premier texte dans Actes du point de vue de sa « position interne ». Le sens de ces efforts était évident pour Bourdieu qui, dans une lettre adressée à Monique de Saint Martin, affirmait son pari sur la revue comme un moyen de soutenir Moacir Palmeira et les « deux Sergios », Miceli et Leite Lopes, dans leurs carrières au Brésil.
51Si le moment de la connexion n’a pas été le même pour les universitaires de Rio et de Sao Paulo, l’éloignement s’est imposé de façon différente. Miceli s’est engagé avec constance dans la publication des livres de Bourdieu au Brésil, mais à partir du début des années 1980, la force de son propre programme de recherche s’est consolidé avec son étude sur l’Histoire des sciences sociales au Brésil [1989]. Ce livre l’a consacré et a contribué à affirmer l’hégémonie de l’école de sociologie de Sao Paulo devant les autres centres du pays. Cela explique qu’il ait refusé à plusieurs reprises les propositions de Bourdieu qui l’enjoignait à publier dans les Actes des articles sur le football quand le Français s’intéressait à la sociologie du sport, et d’autres basés sur les recherches qu’il développait sur le clergé et les portraits de l’élite de Sao Paulo au xixe siècle22.
52Les chercheuses et les chercheurs du musée, en revanche, ont fait le mouvement inverse. Tant qu’ils ont été occupés par les projets qui ont permis la consolidation du troisième cycle universitaire, dans les années 1970, ils n’ont pas beaucoup participé au réseau. Leite Lopes explique pourquoi il n’a pas accepté l’invitation de Bourdieu à publier un texte sur sa thèse en 1976. Bourdieu exigeait un effort de systématisation de l’ensemble du travail sous la forme d’un article, se refusant à publier un chapitre23, alors que Lopes était absorbé par une recherche dans le Nordeste24. Dans les années 1980, après leurs séjours en France, José Sergio Leite Lopes, Rosilene Alvim, Afrânio Garcia Jr. et Marie-France Garcia Parpet ont trouvé des points de convergence avec les recherches que Bourdieu développait, ce qui est manifeste dans les textes qu’ils ont publiés dans Actes. Mais l’éloignement de Bourdieu, après sa consécration internationale, a rendu plus difficile de maintenir ce dialogue.
53De manière générale, les Brésilien·nes qui ont participé au réseau sont devenu·es des références dans d’autres domaines de recherche, au-delà de la sociologie et de l’anthropologie, comme la santé collective (Maria Andrea Loyola), les sciences politiques (Maria Rita Loureiro), la publicité et l’administration (José Carlos Durand), la communication (Renato Ortiz), l’éducation (Afrânio Catani et Maria Alice Nogueira). À partir d’un tronc commun, la pensée de Bourdieu s’est répandue bien au-delà des sciences sociales, grâce à l’applicabilité de ses cadres d’analyse à une grande diversité d’objets empiriques. Sa consécration au Brésil, où il est aujourd’hui l’auteur le plus cité en sociologie, s’est accompagnée du « vieillissement social » de celles et ceux qui ont participé au réseau dans les années 1970 et 1980.
54Contrairement à la sociologie des intellectuels sous l’influence de Miceli, les thèmes du Museu Nacional, liés aux transformations dans le monde rural, après le grand intérêt éveillé par les grèves rurales des années 1980 [Perruso & Araújo, 2015], moment de la redémocratisation du pays, sont devenus une affaire de spécialistes. Au cycle précédent, la force des thèmes de la modernisation et du développement donnait à la sociologie rurale une pertinence particulière parce qu’il fallait comprendre comment intégrer les paysans à la société urbaine. Du point de vue du marxisme, le monde rural tendait à être perçu comme un lieu potentiel de transformation sociale. Mais à la fin des années 1980, l’urbanisation était un fait accompli et la centralité thématique du rural a été fragilisée.
55Cela est lié à une autre tendance renforcée par la dictature : la professionnalisation des sciences sociales et le déclin de leurs relations directes avec la vie publique. Le thème des classes populaires était important pour ces chercheuses et chercheurs, et pour une partie de leurs lectorats, à cause de leurs engagements militants. Cette professionnalisation les a conduit·es à des dilemmes personnels, comme le fait de devoir quitter le pays pour réaliser leur doctorat, alors que leurs ami·es étaient menacé·es [Garcia in Ghergiou, 2018]. Pour plusieurs chercheuses et chercheurs de Sao Paulo, la décision de s’éloigner de la lutte politique avait déjà été prise. Maria Andrea Loyola a subi des persécutions politiques, ce qui l’a conduite à venir en France. Miceli et Durand racontent qu’ils ont très tôt été témoins des violences policières à l’université. L’engagement politique qu’ils pouvaient avoir jusqu’alors a par conséquent été redirigé vers le travail académique25.
56Alors que Miceli est resté focalisé sur le champ intellectuel brésilien, Afrânio Garcia Jr. a suivi une autre stratégie scientifique, qui a fait de lui un intermédiaire fondamental des échanges entre la France et le Brésil dans les sciences sociales. Dans les années 1990, avec l’appui de Bourdieu et des chercheuses et chercheurs lié·es au CSEC, il a obtenu, par concours, un poste de « maître de conférences » à l’EHESS, où la succession d’Ignacy Sachs à la direction du CRBC (Centre de recherche sur le Brésil contemporain) a eu un poids décisif, qui fait de lui une sorte de « diplomate » des relations entre les chercheuses et chercheurs brésilien·nes et la sociologie française, bien qu’il n’ait jamais cessé de contester l’asymétrie des relations entre les deux pays.
57Le réseau franco-brésilien a eu des effets moins importants sur le champ scientifique français, bien qu’il fasse partie de luttes pour l’autorité académique sur le « laboratoire » brésilien [Martinière, 1982]. La métaphore du « laboratoire » révèle la relation asymétrique qui marque ces échanges scientifiques. Une certaine division internationale du travail scientifique tend à réserver des places différentes à la production de chaque pays : elle place la France du côté de la théorie et fait du Brésil une source inépuisable de phénomènes sociaux complexes, comme le syncrétisme religieux qui attira l’attention de Bastide dans un livre, livre sur lequel Bourdieu rédige un compte-rendu publié au début des années 1960 [Bourdieu, 1961]. Plus récemment, la participation de la Mission française à la fondation de l’université de Sao Paulo a été réévaluée dans le sens d’une réflexion sur l’influence de l’expérience brésilienne sur les auteurs français, et plus encore, des échanges intellectuels qu’ils entretenaient avec les Brésiliens, comme dans le cas bien connu de l’influence de Gilberto Freyre sur Roger Bastide [Merkel, 2022]. Les jeunes chercheurs qui deviendront de grands noms dans leurs disciplines, comme Claude Lévi-Strauss, Fernand Braudel et Roger Bastide, ont été plus ou moins marqué par leur passage au Brésil. Mais la double voie de ces échanges se fait voir de plus en plus, à partir des années 1960, quand le nombre de doctorant·es brésilien·nes venus en France pour étudier des thèmes liés au Brésil a augmenté [Martinière, 1982]. Dans le cas du réseau formé autour de Bourdieu dans les années 1970 et 1980, ces chercheuses et chercheurs ont avant tout souhaité à s’approprier les outils bourdieusiens afin de rénover la sociologie nationale. L’élaboration des textes pour Actes était la forme principale de cette collaboration, bien qu’elle se soit déroulée sous des conditions très particulières : un groupe de recherche qui travaillait collectivement, sous le leadership de Bourdieu, principalement au début de sa carrière, et qui a trouvé des jeunes chercheuses et chercheurs formé·es dans une tradition assez solide pour acquérir sa manière de poser les problèmes, qui correspondait aux exigences des fondements empiriques qui s’imposaient de plus en plus au Brésil, dans un processus synchronique.
58À partir des années 1980, les trajectoires de Bourdieu et de ses premiers collaborateurs ont commencé à diverger et la division du travail qui avait prédominé dans le groupe est devenue de plus en plus problématique [Delsaut, 2005]. Suite à sa consécration internationale, cette division a pesé surtout pour celles et ceux qui n’ont pas obtenu la reconnaissance promise initialement pour leur collaboration. La paternité intellectuelle revendiquée à titre individuel tend à oblitérer tout l’effort de construction collective impliqué dans l’élaboration de la connaissance. Au moment initial de la participation au groupe de recherche, l’acquisition de la connaissance et la promesse de reconnaissance future semblaient compenser ce que chacun·e apportait au collectif : si le nom de Bourdieu devenait de plus en plus important à l’échelle internationale, certain·es de ses disciples n’ont pas eu tant de visibilité dans le sillage de cette consécration. Ces trajectoires se sont par la suite éloignées, au point d’entraîner des ruptures. Cette distance est aussi due au fait que le projet d’internationalisation s’était réalisé et que Bourdieu était de plus en plus « submergé » – ce sont ses mots – par des demandes venant de toutes parts, souvent d’interlocutrices et interlocuteurs qu’il ne connaissait pas personnellement. Plus ou moins réconcilié·es par la suite avec ces évolutions, les participant·es de l’ancien réseau semblent avoir une certaine nostalgie qui peut exprimer la conscience du caractère non reproductible de cette expérience. Dans une lettre du 4 septembre 1995, Sergio Miceli parle de « récupérer le temps perdu », alors que Afrânio Garcia Jr. compare l’environnement plus compétitif de l’EHESS avec le « sentiment d’appartenance » que les Centres lui inspiraient [Gherghiu, 2018].
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SOUTO MAIOR Heraldo P., Para uma História da Sociologia em Pernambuco: A pós-graduação, Recife, Ed. UFPE, 2005.
Notes de bas de page
1 Recherche financeé par CAPES/PrInt.
2 Voir les textes de Saint Martin, Garcia Jr. et Garcia Parpet, Miceli, Leite Lopes, Muel-Dreyfus dans ce volume.
3 Pour des éléments à ce sujet, voir les chapitres 8 et 10 de ce volume.
4 L’effort de publication le plus remarquable de la part d’une maison d’éditions portugaise et qui a eu des reflets au Brésil a été Le pouvoir symbolique, un recueil publié par Difel en 1989 en coédition avec Bertrand Brasil. En effet, ce fut une initiative commune destinée aux marchés brésiliens et portugais. Le 13 février 1997, José M. de P. Raposo, responsable de la Difel à Lisbonne, écrit à Bourdieu lui demandant une liste de livres dont la traduction et publication pourraient être de son intérêt, après la grande réussite du recueil auprès du public brésilien : aujourd’hui encore, ce recueil est l’un des livres les plus cités de Bourdieu au Brésil. Mais, à ce moment-là, bien des titres avaient été traduits vers le portugais par des maisons d’édition brésiliennes.
5 Il y a un grand nombre d’éditions dans le monde hispanique, avec trente-quatre volumes publiés entre 1958 et 2008 [Sapiro & Bustamente, 2009, p. 28], principalement par la maison d’éditions Anagrama en Espagne.
6 Conférence de Monique de Saint Martin au Colloque « Bourdieu et les Ameriques ». IHEAL, le 6 juin 2019. Voir dans ce volume le chapitre 8.
7 Conférence de Monique de Saint Martin au Colloque « Bourdieu et les Ameriques ». IHEAL, le 6 juin 2019.
8 Nous soulignons.
9 Entretien avec Sergio Miceli réalisé le 23 septembre 2019.
10 Nous soulignons.
11 Voir à ce propos les lettres du 21 mai 1980 et du 2 décembre 1980 de Sergio Miceli à Pierre Bourdieu.
12 Entretien avec Moacir Palmeira réalisé le 4 octobre 2019.
13 Voir la lettre du 2 janvier 1990 de Afrânio Garcia Jr. à Pierre Bourdieu.
14 Entretien avec Renato Ortiz réalisé le 29 septembre 2019.
15 CARLES Pierre, La sociologie est un sport de combat, Film documentaire, 2001, 146 min.
16 Entretien avec Moacir Palmeira réalisé le 4 octobre 2019.
17 Copies de deux rapports de recherche présentés au CNRS disponibles dans les archives Pierre Bourdieu.
18 Lettre du 8 décembre 1976 de Pierre Bourdieu à Moacir Palmeira.
19 Lettre du 31 mai 1979 de Pierre Bourdieu à Sergio Miceli.
20 Lettre du 02 juillet 1979 de Sergio Miceli à Pierre Bourdieu.
21 Lettre de Fernando Henrique Cardoso à Pierre Bourdieu du 30 juillet 1980.
22 Voir les lettres de Pierre Bourdieu à Sergio Miceli du 18 décembre 1980, du 5 juin 1981 et du 11 décembre 1987.
23 Voir la lettre de Pierre Bourdieu à José Sergio Leite Lopes du 8 décembre 1976 reproduite dans ce volume (chapitre 12).
24 Entretien avec José Sergio Leite Lopes le 4 octobre 2019.
25 Entretiens avec Sergio Miceli le 30 septembre 2019 et avec José Carlos Durand le 27 septembre 2019.
Auteurs
Maria Eduarda da Mota Rocha est professeure au Département et au programme d’études supérieures en sociologie de l’université fédérale de Pernambouc (UFPE) au Brésil. Dans les premières années de sa carrière, ses recherches ont porté sur des objets de la sociologie de la communication comme la publicité et le journalisme. Elle se consacre plus récemment à l’étude sur les intellectuel·les, sur la formation du système d’études supérieures au Brésil et sur la participation de ce pays au processus d’internationalisation des sciences sociales. Elle a publié plusieurs articles et ouvrages, dont le plus récent est Bourdieu à Brasileira [Confraria do Vento, 2022].
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