Chapitre 3. Bourdieu au Chili : cosmopolitisme et catacombes
p. 62-84
Texte intégral
1La réception de l’œuvre de Pierre Bourdieu au Chili est étroitement liée à la trajectoire de la sociologie dans ce pays latino-américain, à ses périodes d’expansion et à sa brutale contraction pendant la dictature militaire du général Augusto Pinochet (1973-1990). La sociologie s’est institutionnalisée en suivant un parcours similaire aux pays de la région. Elle s’est développée depuis les chaires jusqu’aux instituts et elle s’est accompagnée de la création des écoles de premier cycle1. Mais l’évolution de la sociologie en Amérique latine revêt une singularité : elle a été internationale depuis sa naissance. Santiago du Chili s’est trouvé au cœur d’un circuit académique régional qui a fonctionné en Amérique latine entre les années 1950 et le milieu des années 1970 [Beigel, 2019]. Les textes de Bourdieu sont apparus au début des années 1970 dans cette ville cosmopolite habitée par des intellectuels provenant de différents pays, enrichie par des chercheurs exilés qui fuyaient les coups d’État du Brésil et de l’Argentine, et dans laquelle le contact avec la culture française a été important.
2En comparaison avec l’Argentine ou le Brésil, la circulation de l’œuvre de Bourdieu au Chili a suivi un itinéraire plus accidenté. Le coup d’État du 11 septembre 1973 a en effet eu des effets dévastateurs sur les sciences sociales chiliennes. La sociologie n’a pas été seulement conditionnée par la dictature civile et militaire. Les particularités du retour à la démocratie en 1990 ont aussi défini une large part des cadres institutionnels actuels de cette discipline. Ces vicissitudes rendent plus complexe le repérage des continuités lorsqu’il s’agit de comprendre comment Bourdieu a été lu, enseigné, pensé et problématisé par différentes générations de sociologues chiliens. On peut cependant signaler plusieurs auteurs et institutions qui, à divers moments, ont fait connaître l’œuvre du sociologue français avec des contributions originales, en utilisant ses théories et ses méthodes, et en proposant des cours et des cursus universitaires en sociologie.
3Dans l’idée de restituer ce processus de réception de Bourdieu au Chili, nous verrons d’abord comment ce pays est devenu un « centre périphérique » pour la sociologie et les sciences sociales en Amérique latine. Nous analyserons ensuite les conséquences du coup d’État de 1973 dans le champ universitaire et de quelle façon la sociologie a cherché refuge intellectuel dans les centres académiques indépendants. Dans ces « catacombes2 » surgies pendant la dictature en dehors des universités se sont réalisées d’intéressantes appropriations de Bourdieu, surtout en sociologie de l’éducation. Nous nous aventurerons dans le nouveau cadre contextuel et institutionnel du Chili de l’après-dictature, en montrant différentes recherches et initiatives institutionnelles basées sur les idées, les théories et les méthodes de Bourdieu. Puis nous nous pencherons sur les itinéraires les plus récents de son œuvre dans la sociologie chilienne, en analysant ses répercussions dans d’autres champs disciplinaires. Finalement, nous ferons un bilan de l’empreinte laissée par une sociologie qui s’avère encore indispensable pour penser un pays comme le Chili, sujet à d’importants changements depuis les protestations populaires d’octobre 2019 et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement considéré comme de « gauche ».
Une périphérie cosmopolite
4La régionalisation de la sociologie en Amérique latine a été encouragée par diverses agences, fondations et organismes internationaux comme les Nations unies et l’Unesco après la Seconde Guerre mondiale. La création de la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal), en 1948, a constitué un jalon fondamental dans le développement de la connaissance socioéconomique dans la région. Elle a systématisé l’information statistique accumulée dans les organismes publics au cours des décennies antérieures et a offert une formation technique aux fonctionnaires des ministères des Finances et de la Planification. C’est au sein de la Cepal que s’est créée la Division d’études sociales, dirigée par José Medina Echavarría, qui allait quelques années plus tard écrire son fameux livre sur les aspects sociaux du développement, puis ses Consideraciones sociológicas sobre el desarrollo económico en América Latina [Medina Echavarría, 1959, 1964].
5Entre les années 1965 et le début des années 1970, le Chili est devenu un axe important pour les sciences sociales en Amérique latine, à la fois parce qu’il accueillait les instituts régionaux les plus importants de l’époque et parce qu’il était le siège de la plupart des agences intergouvernementales dépendantes des Nations-Unies. Le pays s’est en outre trouvé à l’épicentre d’autres réseaux académiques internationaux, comme ceux qui s’intéressaient aux études socioreligieuses de la Compagnie de Jésus et ses think tanks au Chili, par exemple Desal, Ilades ainsi que le groupe « Économie et Humanisme », qui s’inspiraient du père dominicain Joseph Lebret [Beigel, 2011]. Ces organismes internationaux ont donné à Santiago une dimension cosmopolite et favorisé des circulations intellectuelles avec différents pays latino-américains et avec les États-Unis et l’Europe.
6Les coups d’État au Brésil (1964) et en Argentine (1966) ont contribué à accentuer le rôle leader du Chili comme plateforme de l’internationalisation et comme destination des professionnels en sciences sociales du monde entier. Des exilés latino-américains sont arrivés en masse et les centres régionaux offraient des postes attrayants qui auguraient la consécration régionale d’une nouvelle génération de professionnels en sciences sociales. Le circuit régional a alors vécu une période exceptionnelle de productivité durant laquelle surgirent de nouvelles théories et de nouveaux concepts qui contribuèrent à la consolidation de traditions sociologiques proprement latino-américaines : parmi elles, la théorie de la dépendance, le débat sur la marginalité sociale et le colonialisme interne [Cardoso et al., 1975(1969) ; Stavenhagen, 1965 ; Nun, 2003 ; Quijano, 1977]. Ces débats interdisciplinaires se trouvaient au croisement de la sociologie, de l’économie et de l’histoire. En 1967, la création d’un organisme régional, le Conseil latino-américain des sciences sociales (Clacso), a encouragé le développement de groupes de recherche et de publications, et a joué un rôle déterminant dans la circulation de la production régionale. Au cours de ces années, le Chili est devenu un lieu de production des connaissances mondialement reconnu et soutenu d’abord par la démocratie chrétienne, puis par le socialisme démocratique au pouvoir.
7Parmi ces organismes, la faculté latino-américaine de sciences sociales (Flacso), créée en 1957 sous les auspices de l’Unesco, et son école latino-américaine de sociologie qui réunissait des sociologues de renom international, ont joué un rôle important. La première promotion (1957-1959) a bénéficié de l’apport de professeurs invités par l’Unesco : José Medina Echavarría, Lucien Brams, Manuel Castells, Johan Galtung, Peter Heintz et Alfred Métraux. D’autres invités donnèrent des cours dans les années 1960 grâce aux accords passés par le recteur de l’université du Chili, J. Gómez Millas, avec l’École pratique des hautes études en sciences sociales-université de Paris : Alain Touraine, François Bourricaud et Edgar Morin3. La convention avec le Centre latino-américain de démographie (Celade) et le programme Fullbright ont aussi permis à Gérard de Gré de se rendre à la Flacso4.
8Les élèves de l’école de sociologie de la Flacso ont été très estimés dans cette génération et venaient de toute l’Amérique latine parce qu’il s’agissait du premier diplôme d’études supérieures en sociologie de toute la région [Beigel, 2009]. Castells traduit la première partie du Métier de Sociologue en 1970 pour que ses élèves puissent le lire [Godoy Urzúa, 1997 ; Baranger, 2010], contribuant à la diffusion précoce de l’œuvre de Bourdieu. L’anthropologue chilien José Bengoa annote dans ses archives personnelles ses premiers livres en français achetés dans des librairies de Santiago : Le Métier de sociologue [1969] et La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement [1970] [Espinoza et al., 2019].
9La force de l’infrastructure académique qui existait au Chili dans les universités et les organismes internationaux n’allait pas de pair avec une industrie éditoriale développée, mais Buenos Aires et, en particulier, la maison d’édition Siglo XXI, accompagnèrent le mouvement intellectuel du pays andin avec une production abondante de livres et de traductions d’auteurs européens. Le sociologue José Olavarría se souvient avoir acheté des livres de théorie sociologique édités en France et aux États-Unis5, mais il s’agissait d’une circulation restreinte à qui pouvait lire ces œuvres en français ou en anglais, puisque la première traduction en espagnol du Métier de Sociologue date de 1975 en Argentine.
10Bien que les premières écoles de premier cycle en sociologie ont été créées très tôt (en 1958 à l’université du Chili, en 1959 à l’université catholique du Chili et en 1965 à l’université de Concepción), les programmes d’études n’incluaient pas Bourdieu dans leur bibliographie6. La sociologie universitaire oscillait dans ses premières années entre l’essayisme historiciste, les enquêtes d’opinion et le fonctionnalisme étatsunien. Avec le processus de radicalisation politique qui eut lieu au Chili dans le milieu des années 1960 et le prestige que la sociologie gagnait en tant que discipline engagée dans le changement social, de plus en plus de partisans du marxisme libérationniste se sont inscrits dans cette perspective. Les nouveautés sociologiques françaises arrivaient dans les centres de recherche sociale les plus importants de l’époque, comme le Centre d’études de la réalité nationale de l’université catholique et le Centre d’études socioéconomiques de l’université du Chili, mais ceux-ci fonctionnaient d’une façon autonome par rapport aux cursus universitaires de sociologie. Le structuralisme français introduit par des professionnels en sciences sociales comme Armand et Michèle Mattelart, a eu un poids important, en particulier en ce qui concerne la linguistique et les études en communication. De même, dans les sciences de l’éducation, Tomás Amadeo Vasconi et Inés Reca ont organisé des conférences au CESO. Bourdieu n’était pas encore un auteur important dans ces débats dominés par le marxisme et par une forte volonté d’enraciner la sociologie dans les problèmes de la dépendance et du sous-développement.
Le coup d’État de 1973 et la sociologie des catacombes
11Le coup d’État militaire de 1973 a radicalement modifié la situation, lorsque le président Salvador Allende Gossens s’est donné la mort en défendant la Casa de la Moneda. Les universités ont été mises sous tutelle et les cursus de sociologie, d’anthropologie et de journalisme ont été supprimés. La Flacso a été obligée de déménager en Argentine et plusieurs de ses étudiants ont été emprisonnés ou assassinés. De nombreux professionnels en sciences sociales chiliens ou étrangers, qui avaient en majorité donné leur appui au président Allende, ont été renvoyés, exilés, emprisonnés ou assassinés, et une grande partie a dû sortir d’un champ académique qui avait perdu son autonomie. La Clacso a joué un rôle fondamental dans le maintien du circuit régional en aidant les instituts de recherche dans les pays affectés et en créant des réseaux de contacts pour les professionnels en sciences sociales exilés et poursuivis. C’est ainsi que furent créés des programmes systématiques de relocalisation, comme le Programme de relocalisation de scientifiques sociaux de la Clacso et le Programme de chercheurs réfugiés du World Universitary Service du Royaume-Uni, qui réussit à faire partir en Angleterre plus de mille étudiants et professionnels résidents au Chili [Bayle, 2008].
12Le brusque changement de la scène politique n’a pas seulement impliqué l’intervention militaire dans plusieurs universités chiliennes, il a aussi conduit au démantèlement des plus importants de leurs centres de recherche : le CESO de l’université du Chili, le Ceren et même la Flacso. La dictature a impulsé un processus de privatisation de tout le système de l’enseignement supérieur et les noyaux de résistance subsistants ont été contraints à ne fonctionner que dans les « Centres académiques indépendants » [Brunner, 1985]. La conséquence a été une forte réorientation du programme de la sociologie qui, d’abord engagée, s’est transformée en une sociologie académique toujours plus dépolitisée, affaiblie et surveillée [Barrios & Brunner, 1988]. Ainsi, le cursus de sociologie de l’université catholique, interrompu pendant deux mois après le coup d’État, a rouvert fin 1973 avec un nouveau plan d’études plus traditionnel, qui incluait l’histoire du Chili comme matière fondamentale. Pierre Bourdieu n’était pas un auteur de référence7.
13Au cours de cette période, l’œuvre de Pierre Bourdieu n’était diffusée que de façon fragmentaire et minimaliste dans les « catacombes » du monde académique. Quelques vestiges de la lecture de son œuvre apparurent parmi des élèves en sociologie de l’université catholique du nord, à Antofagasta : Juan van Kessel, qui donnait le cours de Méthodologie de la recherche sociale I, fit circuler, en 1974 et 1975, un exemplaire dactylographié et en français du Métier8. Ce professeur hollandais, formé en théologie, en philosophie et en pédagogie en français, avait étudié à la Flacso entre 1969 et 1970 et réalisé ensuite un séjour à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) de l’université de Paris. Van Kessel rejoignit l’université catholique du nord en 1974 et y resta jusqu’en 1978. Il aida à consolider l’aire de méthodologie de la recherche sociologique et promut la création de la revue Cuadernos de Investigación Social [Donoso, 2020]. Il fut aussi l’auteur de contributions sur la religiosité populaire et l’anthropologie culturelle andine, des thèmes qui orientèrent un cursus de sociologie décimé, qui n’a survécu à ces difficiles années qu’avec un groupe réduit de professeurs et peu d’étudiants [Guerrero, 2004].
14L’enseignement de la sociologie à l’université du Chili a été supprimé par la dictature. En revanche, un enseignement de sciences sociales a été ouvert en 1976 dans un nouveau campus à La Reina, loin de Santiago et loin du contact avec les autres disciplines. Les cours de sociologie n’ont pas repris avant la moitié des années 1980. Mais Bourdieu n’était pas un des auteurs les plus étudiés à l’université du Chili, au contraire d’Anthony Giddens, Jürgen Habermas ou Niklas Luhmann. De façon exceptionnelle, quelques professeurs comme Alfonso Arrau, titulaire d’un doctorat de la Washington University et possédant une ample formation en théorie sociologique, et Ximena Sánchez, professeure du cursus de pédagogie de l’université de Playa Ancha de Valparaiso, qui dispensait un cours de Théorie sociologique, ont pu faire connaître aux étudiants de l’université du Chili les apports de Pierre Bourdieu dans les débats contemporains de la sociologie9.
15Bourdieu a été beaucoup plus lu, au contraire, dans les centres académiques indépendants qui fonctionnaient en dehors du cadre autoritaire en vigueur dans les universités. Des centaines de centres privés ont été créés dans les années 1980 au Chili, plusieurs d’entre eux étaient associés à des ONG, à des financements externes de fondations privées ou à l’Église catholique. Ces institutions ont protégé le travail des professeurs destitués par la dictature, et maintenu en vie la critique intellectuelle et la recherche sociologique dans ces conditions adverses [Brunner & Barrios, 1987]. Le financement de plusieurs institutions étrangères a permis l’autonomie et la possibilité de fonctionnement de ces centres. On peut citer par exemple la Swedish Agency for Research Cooperation (Sarec), la International Development Research Center (IDRC) du Canada, l’Inter-American Foundation (IAF) des États-Unis, ou des institutions étatsuniennes présentes depuis longtemps au Chili et en Amérique latine, comme la fondation Ford. Les fondations des partis allemands, comme la Friedrich Ebert et la Konrad Adenauer, contribuèrent aussi à financer ces centres.
16Cette morphologie particulière de l’espace institutionnel a influencé la diffusion et la réception de Bourdieu dans la formation universitaire, et c’est dans le champ de recherche de la sociologie de l’éducation que son œuvre a commencé à être lue plus systématiquement au cours des années 1980. Cristián Cox, par exemple, a joué un rôle clef comme passeur culturel du classique français. Cox avait connu assez tôt l’œuvre de Bourdieu en faisant son doctorat à l’université de Londres sous la direction de Basil Bernstein, lequel donnait un cours de théorie sociologique dans lequel Bourdieu occupait une place centrale lorsqu’il s’agissait de théoriser les relations de génération du curriculum et du « dispositif pédagogique ». Son livre La Reproduction venait d’être traduit en anglais, et en 1979 avait été publié La Distinction, deux ouvrages qui ont fait partie du cadre théorico-conceptuel de la thèse de doctorat de Cox. De retour au Chili, Cox a rejoint le Centre de recherche et de développement de l’éducation (Cide) qui fit ensuite partie de l’université Alberto Hurtado. Il a contribué à la réception de l’œuvre de Bourdieu dans la « nouvelle sociologie de l’éducation10 » qui se développait alors au Chili, dans le prolongement des recherches aux États-Unis et au Royaume-Uni. En 1984, il a publié au Cide un texte qui unissait Bernstein et Bourdieu pour interpréter les relations entre société, système politique et éducation, Clases, reproducción cultural y transmisión escolar : una introducción a las contribuciones teóricas de P. Bourdieu y B. Bernstein. Cependant, selon Cox lui-même, l’impact de ces textes ne fut pas très important11.
17José Joaquín Brunner a aussi joué un rôle important dans les années 1990 en faisant une lecture et une réception systématique de l’œuvre de Bourdieu au siège de la Flacso à Santiago, où elle avait réemménagé. En dépit des pressions de la dictature civile et militaire, cet organisme régional continuait à rassembler un nombre important de chercheurs fondamentaux pour penser la sociologie et le processus de transition à la démocratie dans le Chili des années 1980. On peut citer parmi eux les noms de Norbert Lechner, Manuel Antonio Garretón, Rodrigo Baño, Tomás Moulián ou Julieta Kirkwood, pionnière des études sociologiques féministes et de genre au Chili. Brunner fut directeur de la Flacso entre 1976 et 1984, et il a mené des recherches sur le système de l’enseignement supérieur et la construction des champs intellectuels et académiques au Chili, en particulier sur la formation de la sociologie dans ce pays [Barrios & Brunner, 1988 ; Brunner, 1988]. Dans les années 1980, il s’est intéressé à la sociologie de la culture et à la consommation culturelle dans la société chilienne. L’influence évidente de Bourdieu sur Brunner est manifeste dans son usage de la notion de champs, dans les catégories de reproduction, de violence symbolique, dans le rôle attribué aux intellectuels, et dans les comptes-rendus qu’il écrivit d’ouvrages comme Les Étudiants et la Culture, La Distinction. Critique sociale du jugement ou Les Héritiers12. Parmi les textes les plus représentatifs de Brunner dans cette période, on peut mentionner en 1983 Los intelectuales y las instituciones de la cultura, écrit avec Ángel Flisfich, Universidad y sociedad en América Latina, publié en 1985, et en 1988, El caso de la sociología en Chile. Formación de una disciplina.
18Pour cette génération de sociologues qui se sont consacrés au champ de recherche de l’éducation, et surtout pour Cox et Brunner, la théorie de la reproduction et les critiques de Bourdieu sur le système scolaire considéré comme un reproducteur d’inégalités, se sont avérées pertinentes pour analyser la société chilienne changeante des années 1980 : une société où l’on commençait à percevoir les premières répercussions culturelles, éducatives et sociales du laboratoire néolibéral mis en place par la dictature et qui, entre 1982 et 1984, avait vécu une profonde crise économique. Dans ce contexte, le sociologue français a été reçu et perçu par ses collègues chiliens comme une référence dans la pensée sociologique moderne, parce qu’il analysait comment l’éducation reproduit l’inégalité sociale et crée des brèches que, dans le cas du Chili, l’on commençait à penser comme infranchissables13. Les impacts sociaux de ces inégalités ont inquiété les sociologues qui travaillaient en contact direct avec les secteurs populaires [Iglesias-Vázquez, 2016]. Ainsi, l’organisation SUR-Corporation d’études sociales et éducation, fondée en 1978, a réuni un groupe prestigieux de scientifiques, entre autres les sociologues Eugenio Tironi, Javier Martínez, Eduardo Valenzuela, Vicente Espinoza, et les anthropologues José Bengoa et Francisca Márquez. Étant donnée la formation francophone de l’un d’entre eux, un atelier consacré à l’analyse de La distinction de Pierre Bourdieu14 a eu lieu au début des années 1980. Cette rencontre a été organisée par Eugenio Tironi, qui réalisait sa thèse de doctorat à l’EHESS (Paris) sous la direction d’Alain Touraine. Même si les membres de SUR ont été plus influencés par l’intervention sociologique et les analyses de Touraine, ils ont aussi travaillé sur des thèmes proches de la sociologie de Bourdieu pour analyser l’inégalité, la pauvreté et les transformations de la structure sociale chilienne. Une importante contribution de ce groupe a été l’ouvrage collectif Pobladores. Luchas sociales y democracia en Chile, qui rend compte d’une recherche de terrain réalisée parmi des habitants de Santiago entre 1985 et 1986, et qui tente de comprendre les logiques d’exclusion et d’inclusion de la société chilienne provoquées par le modèle néolibéral [Espinoza et al., 2016].
Bourdieu en démocratie
19La transition démocratique au Chili s’est amorcée avec le triomphe électoral du « Non » au plébiscite du 5 octobre 1988. Plus tard, pendant les élections présidentielles de décembre 1989, le triomphe de la Concertation de partis pour la démocratie s’est affirmé et Patricio Aylwin a assumé la présidence le 11 mars 1990. La sociologie chilienne a vu dans la démocratie une possibilité de construire un nouvel ordre social pour le pays, qui était encore marqué par de fortes limitations structurelles héritées de la dictature. Ces contraintes se reflètent dans la prééminence de la matrice individualiste-consommateur-néolibéral qui, à grands traits, caractérise depuis une société chilienne qui a été capable de réduire les niveaux de pauvreté, mais qui reste marquée par une inégalité socioéconomique persistante [Garretón, 2012]. En outre, un nouveau cadre contextuel, institutionnel et politique s’est ouvert pour la sociologie, défini par le déclin des centres académiques indépendants, l’orientation de la sociologie vers la formulation des politiques publiques, le retour de la sociologie dans les universités, et la consolidation d’une scène professionnelle et privée pour l’exercice des sciences sociales [Gómez Núñez, 2010]. Ce pluralisme idéologique coïncidera au niveau international avec la crise des paradigmes et, en particulier, la crise du marxisme, et il se consolidera dans les années 1990 en permettant le dialogue depuis des perspectives distinctes, moins globalisantes et plus ouvertes aux nouveaux courants de pensée. Bourdieu occupera une place privilégiée dans différentes activités, initiatives et intérêts théoriques, méthodologiques et institutionnels [Gómez, 2002].
20La trajectoire de Cristián Cox est paradigmatique dans ce contexte. Ancien chercheur du Cide, il a participé à la réforme éducative du premier gouvernement démocratique, en élaborant et mettant en place les Programmes d’amélioration de la qualité et équité de l’éducation (Mece) du ministère de l’Éducation, dans lesquels on apprécie l’influence des idées de Pierre Bourdieu et de Basil Bernstein. Plus tard, entre 1998 et 2006, il a été chargé de la réforme des programmes d’études mise en place par l’unité de curriculum et évaluation, et du Système de mesure de la qualité de l’éducation (Simce) du ministère de l’Éducation. Il a dirigé du Centre d’études de politiques et pratiques de l’éducation (Ceppe), avant de devenir doyen de la faculté de l’Éducation de l’université catholique. Aujourd’hui, Cristián Cox est directeur du Centre de politiques comparées de l’éducation de l’université Diego Portales et reconnu, au Chili et à l’international, comme un spécialiste en politiques éducatives, en formation enseignante et en formation citoyenne.
21Le contexte démocratique a permis le développement de la sociologie et surtout, son retour à l’université. La discipline s’est réinstitutionnalisée dans un champ universitaire placé sous le sceau du privé et du marché depuis la loi des universités de 1981, promulguée sous la dictature, qui permettait que des institutions privées fondent des universités. Le marché des universités privées a fleuri à partir des années 1990 et beaucoup ont commencé à offrir un enseignement en sociologie. Même si les cours de sociologie de l’université du Chili et de l’université Catholique n’avaient pas complètement cessé sous la dictature, la période démocratique a permis une expansion des études sociologiques au niveau universitaire. C’est ainsi qu’en 1990 l’université Academia de Humanismo Cristiano a ouvert un cursus d’enseignement en sociologie. En 1993, ce fut le tour de l’université de Concepción, en 1997 de l’université Alberto Hurtado, en 1999 de l’université Diego Portales et de l’université Centrale, en 2000 de l’université Catholique Silva Henríquez. D’autres ont suivi et, aujourd’hui, seize universités du pays enseignent la sociologie.
22Ce processus a fragmenté le champ de l’enseignement sociologique. La pluralité des programmes dans différentes universités publiques ou privées montre l’existence de perspectives distinctes lorsqu’il s’agit de comprendre la discipline elle-même et la société chilienne. Ceci explique les lectures et les usages multiples qui ont été faits de Pierre Bourdieu, de même que l’empreinte de cet auteur dans plusieurs projets institutionnels. Par exemple, José Bengoa a été le fondateur et le premier directeur de l’École d’anthropologie de l’université Academia de Humanismo Cristiano, dans laquelle Bourdieu occupe une place fondamentale dans la formation méthodologique des premières générations d’étudiants15. L’École de sociologie de cette université s’ouvre aussi aux idées du sociologue français. En 1992, Justino Gómez et Cristián Parker, directeur de l’École, introduisirent quelques changements aux premiers programmes, en incluant un cours de « Théorie contemporaine » basé sur trois auteurs : Pierre Bourdieu, Anthony Giddens et Alain Touraine. Gómez avait lu Bourdieu à l’université catholique de Louvain, où il avait réalisé sa thèse de doctorat sur la sociologie de la religion. La façon dont Bourdieu surmontait les dichotomies qui jusqu’alors existaient entre la perspective structuraliste et le paradigme interprétatif l’avait intéressé. En outre, Justino Gómez anima entre 1991 et 1993 un séminaire à l’Ilades (Institut doctrinaire de la compagnie de Jésus), intitulé « Lecture sociologique d’un auteur » et consacré à la vie et l’œuvre de Bourdieu16. En 1994, Gómez publia dans la revue Persona y Sociedad (Ilades) un article intitulé « Cultura tradicional y desarrollo : el aporte de Pierre Bourdieu al análisis de las culturas tradicionales ».
23Pendant la même période, les sociologues chiliens de l’éducation, et plus particulièrement ceux qui s’étaient formés en troisième cycle en sociologie ou en sciences sociales, surtout à l’université catholique de Louvain17, continuèrent à lire Bourdieu. Javier Corvalán depuis le CIDE, membre de l’université Alberto Hurtado, a fait connaître les propositions de Bourdieu dans ses travaux et analyses sur l’éducation chilienne et les nouvelles politiques éducatives [Corvalán, 2012]. Sergio Mártinic a également joué un rôle important pour faire connaître Bourdieu, d’abord depuis le Cide, puis au sein de la maîtrise et du doctorat en éducation de l’université catholique. Une équipe de sociologues et d’éducateurs, dirigés par José Weinstein depuis le ministère de l’Education, a élaboré et mis en place des politiques éducatives contre la reproduction des inégalités sociales. Dans le même temps, Francisco López, sociologue de l’université catholique de Louvain où il avait obtenu son doctorat, a été chargé de remodeler le programme de sociologie de l’université Alberto Hurtado lorsque l’Ilades faisait partie de cette institution [López, 2013]. Dans les cours de sociologie contemporaine, Bourdieu occupait une place importante.
24Au milieu des années 1990, Bourdieu était un auteur de référence dans la vie académique des institutions universitaires chiliennes, comme les universités Academia Humanismo Cristiano et Alberto Hurtado, et leurs centres Cide et Ilades. On l’étudiait dans les cours de théorie et de méthodologie pour son importance théorique et pour son apport épistémologique et méthodologique. Les textes les plus lus étaient, en français et en espagnol, Los estudiantes y la cultura, La reproduction, Sociología y cultura, La Distinction ou Choses dites. Le Métier de sociologue était un texte indispensable et de base pendant cette période de réinstitutionnalisation d’une sociologie universitaire et scientifique. En outre, ce livre était répandu dans les cours de méthodologie pour animer le débat sur la construction de l’objet scientifique contre la sociologie spontanée du monde social. À la même époque, on a commencé à enseigner le concept d’habitus, celui de champ et sa dynamique pour l’analyse du champ culturel, le champ éducatif ou le champ religieux18. Bourdieu a fait consensus parmi les sociologues chiliens, en particulier ceux qui avaient été formés dans des universités francophones, qui utilisèrent ses idées, ses théories et ses concepts comme base théorique et méthodologique de cours, de séminaires, de recherches et de thèses.
25Au milieu des années 1990, l’université Arcis (université des arts et sciences sociales) a été un foyer important de réception de l’œuvre de Bourdieu. Y travaillait un groupe de professeurs formés dans les universités françaises, composé d’Alfredo Joignant, de Tomás Moulian, de Nelly Richard et de María Emilia Tijoux. Tomás Moulian, qui avait étudié en troisième cycle à l’université catholique de Louvain, avait travaillé sous la dictature à la Flacso et réalisé dans les années 1980 d’importantes études sur la gauche et le socialisme chilien. Nelly Richard, née et ayant étudié en France, était issue du milieu culturel contestataire de la fin des années 1970, et avait réussi à construire l’un des discours les mieux articulés au Chili sur l’art, la politique et la mémoire. Entre 1990 et 2008, elle a dirigé la Revista de Crítica Cultural, qui a constitué un apport important dans le surgissement et la consolidation des études littéraires et de la culture dans le Chili post-dictature, et dans laquelle Pierre Bourdieu a été un auteur fondamental [Moraña, 2015]. Alfredo Joignant et María Emilia Tijoux ont obtenu leurs doctorats respectivement en science politique et en sociologie aux universités de Paris-I et Paris-VIII.
26Ces auteurs ont fait une lecture intéressante de Bourdieu, principalement depuis la sociologie politique et l’étude des élites, des identités et des pratiques culturelles, ou de la remise en cause de la domination néolibérale. Ils ont entrecroisé des visions provenant de la sociologie réflexive avec la sociologie de la culture, dans lesquelles les concepts de capital culturel, de champ littéraire, de champ artistique et de violence symbolique ont constitué quelques-uns des points centraux pour tisser une critique soutenue de la société chilienne du milieu des années 199019. L’ouvrage Crisis de los saberes y espacios universitarios, publié en 1995 par l’université Arcis et la maison d’édition LOM, et ses textes écrits par Bourdieu, Tomás Moulián, Nelly Richard et d’autres professeurs de cette université comme Willy Thayer ou Pablo Oyarzún, sont représentatifs de cette période. Cette sociologie s’est matérialisée dans plusieurs programmes d’études de l’université Arcis comme le Diplôme en critique culturelle, la maîtrise en Études culturelles ou la maîtrise en sciences sociales.
27Bourdieu a réalisé deux téléconférences en juin 1999 à destination des sociologues et des étudiants de sociologie latino-américains et chiliens. La première a été donnée à l’université autonome métropolitaine du Mexique dans le cadre de la chaire Michel Foucault. La seconde, quelques jours après, a regroupé les universités de Buenos Aires, de Córdoba et de l’université du Chili [Aguilar, 2015]. À cette époque charnière entre deux siècles, de nouvelles lectures de son œuvre émergèrent. La Domination masculine a par exemple circulé dans les nouvelles études de genre grâce à Ximena Valdés et José Olavarría, chercheurs du Centre d’études pour le développement de la femme (Cedem) et professeurs de l’université Academia de Humanismo Cristiano et de son diplôme de genre et société20. Un autre foyer important de cette réception a été le Centre interdisciplinaire d’études de genre (Cieg) de la Faculté de sciences sociales de l’université du Chili, dans lequel le rôle de l’anthropologue Sonia Montecino a été très significatif. Dans les mêmes années la Flacso a créé une aire d’études de genre dans laquelle participèrent comme chercheurs, entre autres, Ximena Valdés et José Olavarría. L’ouvrage Familia y vida privada. ¿Transformaciones, tensiones, resistencias y nuevos sentidos ?, édité par Teresa Valdés et Ximena Valdés, et publié en 2005 par la Flacso et le Cedem, rappelle l’influence de Bourdieu dans ces nouvelles recherches.
28Durant ces années, plusieurs livres se sont inspirés des idées de Bourdieu, en particulier sur les conséquences sociales du capitalisme global et sa domination culturelle, dans un contexte où le processus de modernisation du pays était débattu et remis en cause [PNUD, 1998]. Les livres de Tomás Moulian, Chile actual. Anatomía de un mito [1997] et El consumo me consume [1998], publiés par LOM, ont déconstruit le mythe de la transition réussie et pactisée au Chili. Dans la même ligne critique, SUR a publié en 1999 deux ouvrages importants où l’influence de La Misère du monde [1993] est notable. Dans ce texte, Bourdieu proposait un diagnostic des effets sociaux désastreux des politiques néo-libérales. Le volume 29 de la revue Proposiciones a publié le texte « El espacio para los puntos de vista », qui présentait La Misère du monde. SUR a également publié un livre collectif coordonné par José Bengoa, Francisca Márquez et Susana Aravena, et intitulé La desigualdad : testimonios de la sociedad chilena en la última década del siglo XX. Bengoa était un lecteur de longue date de Bourdieu. Avec Marquéz et Aravena, ils ont recruté des professeurs et des étudiants pour réaliser une radiographie de l’exclusion sociale et des « déshérités » de la modernisation du pays. En suivant la méthode des entretiens approfondis utilisée par Bourdieu et son équipe, ils ont combiné la sociologie et l’anthropologie sociale pour se convertir en porte-parole de ces « multiples voix des interviewés » afin de comprendre comment la modernisation « a été une menace » pour certaines personnes au Chili, et de constater qu’« il existe plusieurs pays dans un seul pays ».
Itinéraires récents
29Si l’on peut dire qu’il existe plusieurs pays dans un seul pays, on peut affirmer qu’il y a plusieurs sociologies dans un seul pays, et donc plusieurs façons de lire et d’interpréter un auteur. C’est ce qui s’est passé avec Pierre Bourdieu et la réception de son œuvre au Chili. Une lecture académique est née au sein de la Flacso et s’est transformée en praxis dans la trajectoire de José Bengoa. La trajectoire de Justino Gómez depuis le début des années 1990 permet d’observer une autre mode de réception des travaux du sociologue français. Ce professeur, enseignant à l’université catholique Silva Henríquez, a remodelé le programme de sociologie de cette université, dans lequel Le Métier de sociologue occupe une place centrale. En 2000, il invita l’un des disciplines de Bourdieu, Franck Poupeau, à Santiago du Chili, pour discuter du dilemme de la pluralité du métier de sociologue, et pour lui présenter le projet de programme étrenné cette même année. Plusieurs mois après, Gómez a rendu visite à Bourdieu à Paris. En juin de la même année, il a organisé la vidéoconférence déjà mentionnée avec Bourdieu, en coordination avec Alicia Gutiérrez de l’université de Córdoba (Argentine) et des professeurs de la Faculté de sciences sociales de l’université catholique Silva Henríquez, entre autres Hilda Chiang, Mario Sandoval et Carmen Sepúlveda21. L’échange entre Bourdieu et Gómez sur le projet du programme de sociologie de cette université chilienne s’est poursuivi jusqu’à la mort du sociologue français en janvier 2002. La revue Temas Sociológicos, publiée par l’école de sociologie de l’université Silva Henríquez, a consacré son numéro 8 de 2002 à sa mémoire, avec un « Hommage à Pierre Bourdieu », texte introductif écrit par Gómez, et l’article « Por la invención de una nueva política en Occidente » que Bourdieu avait envoyé à la revue quelques mois auparavant [Bourdieu, 2002].
30Le deuxième numéro de la revue Cuadernos sociológicos de l’École de sociologie de l’université Arcis de 2002 a été consacré à « Pierre Bourdieu y la sociología crítica : resistir la dominación ». Ce numéro comportait des articles de Jacques Bidet, « Bourdieu y el materialismo histórico », de Daniel Bensaid, « Pierre Bourdieu. El intelectual y el político », et de María Emilia Tijoux, coordinatrice du dossier « Pierre Bourdieu : la herejía científica de un sociólogo impertinente ». La revue Enfoques sociológicos, fondée par le département de sociologie de l’université de Concepción, a publié dans son premier numéro de 2002 un article de Pierre Bourdieu, « Génesis y estructura del campo religioso », traduction en espagnol du texte que le sociologue français avait publié en 1971 dans la Revue Française de Sociologie. L’édition chilienne de Le Monde Diplomatique a publié dans son numéro d’avril « Combatir a la tecnocracia en su propio terreno », le discours que Bourdieu avait prononcé face aux travailleurs en grève réunis à la Gare de Lyon à Paris en décembre 199522.
31Le décès de Bourdieu eut des échos dans la presse nationale. Le célèbre journal de l’establishment, El Mercurio, lui a dédié, le 3 février 2002, une longue note intitulée « La sociología como deporte de combate », qui présentait de témoignages de Sonia Montecino, Ximena Valdés, Eduardo Valenzuela, Carlos Catalán et Tomás Moulian. Brunner, un autre connaisseur de Bourdieu, s’est chargé d’organiser cette même année un congrès à l’université Diego Portales consacré à la mémoire et au legs du sociologue français. En 2008, la même université a organisé la conférence internationale « Actualité (et urgence) de la pensée de Pierre Bourdieu » qui réunit, entre autres, plusieurs de ses plus fidèles collaborateurs comme Gisèle Sapiro, Yves Dezalay, Sergio Miceli et les Chiliens Cristián Cox, José Joaquín Brunner, Javier Corvalán, Carlos Peña, Alfredo Joignant et Tomás Moulian23. Bourdieu était alors un auteur lu et reconnu dans le monde académique chilien. Au cours de ces années, des textes inspirés par ses idées et son œuvre ont été publiés, par exemple le livre de Justino Gómez et Mario Sandoval, Más allá del oficio de sociólogo. Nuevas identidades, prácticas y competencias en el campo profesional, publié en 2004 par l’université catholique Silva Henríquez, dans lequel les auteurs se plongent dans la problématique des pratiques de la sociologie dans le contexte des profonds changements vécus par la société chilienne ; on peut citer aussi l’article de Frank Poupeau et d’Hugo José Suárez, « Pierre Bourdieu : Un auto-análisis no biográfico », publié en 2007 dans le numéro 12 de la revue Temas Sociológicos ; celui de Claudio Ramos Zincke, « ¿Sistema, campo de lucha o red de traducciones y asociaciones ? Tres modelos para investigar la ciencia social y un intento de integración », paru en 2008 dans le numéro 2 de la revue Persona y Sociedad, dans lequel il propose une réflexion intéressante sur les théories des champs de Bourdieu ; et enfin, le livre de Nelly Richard, Campos cruzados. Crítica cultural, latinoamericanismo y saberes al borde [2009], inspiré par la théorie des champs.
32En 2010, les presses de l’université catholique Silva Henríquez ont publié un livre édité par Guy Bajoit, La sociología hoy : debates contemporáneos sobre cultura, individualidad y representaciones sociales, avec des textes de Phillippe Corcuff, Gilberto Giménez, Danilo Martuccelli et Denise Jodelet, tous dédiés à la figure et l’œuvre de Pierre Bourdieu. L’année suivante, les éditions de l’université Diego Portales publient un ouvrage dirigé par Alfredo Joignant et Pedro Güell, Notables, tecnócratas y mandarines. Elementos de sociología de las élites en Chile (1990-2010), dans lequel plusieurs chapitres dialoguent avec Bourdieu et s’interrogent sur son apport pour l’étude des élites, leur circulation et leur reproduction.
33Avec le changement de décennie, de nouveaux regards et de nouvelles lectures sur Bourdieu apparaissent. Ils vont au-delà de la sociologie et proviennent d’autres disciplines, comme le travail social, la philosophie, la communication, l’histoire ou l’art [Arias & Yáñez, 2011 ; Silva & Vera, 2010 ; Múñoz, 2011, 2016]. L’ouvrage de Mabel Moraña, Bourdieu en la periferia : capital simbólico y campo cultural en América Latina, publié en 2015 par les éditions Cuarto Propio en est un exemple. Ce texte, qui provient de la critique culturelle, mérite d’être signalé parce qu’il retrace les façons dont l’œuvre du sociologue français, ses catégories et ses méthodes ont été reçues dans différents pays de la région, principalement en Argentine, au Brésil, au Chili et au Mexique. Dans les dernières années, d’importants textes sociologiques inspirés par Bourdieu ont été publiés. Nous pensons par exemple à l’article d’Omar Aguilar, « Pierre Bourdieu y América Latina », paru en 2015 dans le premier numéro des Cuadernos de Teoría Social publié par l’université Diego Portales.
34Il convient aussi de mentionner l’ouvrage collectif dirigé par María Emilia Tijoux, Racismo en Chile. La piel como marca de inmigración, publié en 2016 par les éditions de l’université du Chili, dans lequel différents auteurs documentent les processus de domination, de stigmatisation et d’exclusion que subissent les populations migrantes au Chili. On mentionnera également le livre Mercado escolar y oportunidad educacional. Libertad, diversidad y desigualdad [2016] dirigé par des sociologues de l’éducation chiliens, Javier Corvalán, Alejandro Carrasco et Juan García-Huidobro, publié par l’université catholique ; l’ouvrage dirigé par Modesto Gayo, professeur de l’université Diego Portales, Ideología, moralidades y reproducción social : una introducción a la sociología de la cultura, paru en 2017 aux éditions La Pala ; ou le livre d’Alfredo Joignant, Acting Politics. A Critical Sociology of the Political Field, publié en 2018 par Routledge et qui constitue l’une des contributions les plus récentes et les plus intéressantes à l’étude critique de la théorie des champs de Pierre Bourdieu.
35Ces dernières années, la production scientifique a beaucoup été influencée par les idées de Bourdieu, parfois de façon inattendue. Ramos Zincke, Canales et Palestini, en étudiant les références bibliographiques d’un important corpus de livres de sciences sociales publiés au Chili, observent que cet auteur occupe la première place dans les citations d’auteurs étrangers en anthropologie, mais seulement la troisième en sociologie, après Niklas Luhmann et Anthony Giddens [Ramos-Zincke et al., 2008]. Cela démontre, d’un côté, la place prééminente qu’a eu Bourdieu dans l’anthropologie chilienne, en tant qu’auteur lu très tôt, et qui est désormais une référence pour sa théorie des champs, ses travaux ethnographiques, la richesse et la variété de sa méthodologie [Espinoza et al., 2019]24. Mais d’un autre côté, cela indique que le Chili n’a pas forcément développé autour de cet auteur de programmes de recherche sociologique de l’envergure de ceux mis en place dans les pays voisins comme le Brésil ou l’Argentine. Malgré tout, les théories et les recherches de Bourdieu se sont ancrées dans le champ académique de la sociologie nationale. Elles ont trouvé un écho dans la plupart des universités et des écoles de sociologie du pays, dans lesquelles son enseignement est aujourd’hui habituel. En outre, la lecture des œuvres de Bourdieu a augmenté et s’est diversifiée dans différentes disciplines et champs thématiques, en particulier l’anthropologie, la critique culturelle, la philosophie, le travail social, l’histoire ou l’art25. Cette ouverture disciplinaire a contribué à la diffusion de sa pensée et ses implications pratiques dans la réflexivité d’autres disciplines.
Conclusion
36Les caractéristiques propres au champ sociologique chilien ont influencé et conditionné la diffusion et la circulation des recherches de Pierre Bourdieu. Sa réception a constitué un processus intermittent, avec des interruptions, des récepteurs nationaux et des foyers institutionnels qui sont apparus, ont brillé et ont disparu pour réapparaître dans d’autres espaces et d’autres domaines institutionnels. L’œuvre de Bourdieu fonctionne comme une véritable sociologie de la sociologie au Chili. Ses idées influencent désormais différents programmes de recherche dirigés par les plus prestigieux sociologues du pays, mais dans la plupart des cas, il s’agit de projets personnels et individuels plutôt que de groupes ou d’institutions, mises à part quelques exceptions. Bourdieu est en tout cas un auteur largement reconnu, utilisé et légitimé par ses collègues chiliens. Ce long parcours s’explique par les affinités et la reconnaissance du sociologue français, qui a tenté d’expliquer « un monde social auquel il n’appartenait pas et dans lequel il ne s’est jamais senti complètement à l’aise » [Aguilar, 2015, p. 72]. D’un point de vue international, ses analyses ont « plus de sens pour ceux qui sont justement situés dans une position homologue dans le champ intellectuel comme dans le monde social » des sociétés périphériques [Aguilar, 2015, p. 72], dans lesquelles l’origine sociale et la provenance socioéconomique continuent à se répercuter avec force sur les itinéraires sociaux, académiques et intellectuels.
37Un autre aspect de l’influence de Pierre Bourdieu au Chili, plus difficile à évaluer et à appréhender que les précédents, mais tout aussi important, se rapporte à la dimension publique acquise et assumée par différents sociologues en tant qu’intellectuels publics, qui interviennent dans les médias, les programmes de radio et télévision, ou qui écrivent des notes d’opinion dans les journaux ou dans les portails Internet26. Plusieurs d’entre eux, comme José Joaquín Brunner, Alfredo Joignant ou Carlos Peña, ce dernier provenant du champ du droit, sont parvenus à proposer une vision de la société chilienne profondément influencée par Bourdieu, dans laquelle ils articulent pouvoir, culture et transmission intergénérationnelle27. Tomás Moulian ou María Emilia Tijoux, intellectuels publics et vieux lecteurs de Bourdieu, ont eu une attitude plus combattive et un compromis critique différent, plus lié aux secteurs populaires, aux mouvements sociaux et aux médias alternatifs, et ont suscité débats et discussions de résistance face au pouvoir et à la domination néolibérale au Chili. Tous sont des exemples des manières diverses d’être intellectuel dans ce pays et qui renouent avec l’idéal d’observer la société chilienne en même temps que de la soumettre à l’analyse et au jugement sociologique.
38Bourdieu continuera à être une référence indispensable pour penser une société en changement, traversée par des relations de domination et par l’idéologie, la culture et les pratiques néolibérales. Son œuvre et ses idées resteront des ressources fécondes et attrayantes pour continuer la réflexion à partir des conditions propres à la sociologie chilienne et à ceux qui la pratiquent. Les tâches à venir sont semblables à celles que Pierre Bourdieu a affronté dans la dernière étape de sa vie, surtout si l’on considère ce pays comme un modèle du néolibéralisme le plus orthodoxe, reconnu pour son inégalité socioéconomique persistante et dans lequel la prospérité économique ne change que difficilement les capitaux culturels et sociaux accumulés. Pour la société chilienne, il y aura un avant et un après l’explosion sociale d’octobre 2019, qui a mis en évidence un profond malaise qui couvait depuis longtemps dans différents aspects subjectifs et objectifs de la vie sociale [Araujo, 2009, 2019 ; Cortés, 2019 ; Güell, 2019]. Le 25 octobre 2020, la société chilienne a décidé majoritairement, lors d’un plébiscite national, de commencer à travailler pour rédiger une nouvelle Constitution, qui a finalement été refusée par référendum en 2022. Dans ce contexte instable, la sociologie et les sociologues ont renouvelé leurs pratiques, leur dimension publique et leurs engagements. La discipline est redescendue dans la rue pour accompagner le processus de changement dans le pays, analyser son émergence et ses difficultés. Il n’y a aucun doute que la « sociologie de combat » de Pierre Bourdieu continuera à nous interpeller dans nos défis les plus immédiats.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Les « chaires » ont été la première forme institutionnelle adoptée pour l’enseignement de la sociologie en Amérique latine au cours de la première moitié du xxe siècle. Les enseignements de sociologie par le système de chaires étaient dispensés dans des cursus de droit, de philosophie ou de pédagogie. Par la suite, la sociologie est passée des chaires universitaires aux instituts spécialisés, comme cela s’est produit au Chili avec la création en 1946 de l’Institut de recherche sociologique de la faculté de philosophie et d’éducation de l’université du Chili. Les écoles de sociologie ont été créées à l’université du Chili en 1958 et à l’université catholique en 1959 en tant qu’écoles de premier cycle pour former les premières générations de sociologues du pays.
2 L’idée des catacombes a été utilisée pour la première fois pour analyser la situation des sciences sociales en Argentine pendant la dictature militaire de 1976-1983. Cependant, au Chili, des centaines de centres privés de recherche ont proliféré en dehors des universités et ont marqué durablement la scène des sciences sociales, alors qu’en Argentine, très peu de centres privés se sont ouverts et les « catacombes » étaient des groupes d’intellectuels ou de chercheurs qui se réunissaient plus informellement. Voir Hebe Vessuri [1992].
3 Gómez Millas invita Georges Friedmann au Chili en 1956 lorsqu’il fut élu président de l’Association internationale de sociologie (ISA). Il organisa la venue d’une mission scientifique à l’Institut de sociologie de l’université du Chili pour que ses disciples puissent réaliser des études empiriques sur l’exploitation minière et la sidérurgie chiliennes. Ce groupe de Français donna des cours à la Flacso et mena des recherches au sein de l’Institut de sociologie, mais n’enseigna pas à l’École de sociologie en premier cycle (Entretien de Fernanda Beigel avec Alain Touraine, Paris, janvier 2008).
4 IIIe Rapport du secrétaire général de la Flacso, MIMEO, 1959, p. 10.
5 Entretien avec José Olavarría, 3 juin 2020.
6 Entretien avec Eugenia Valenzuela, 12 mai 2020 ; entretien avec Justino Gómez, 6 mai 2020.
7 Entretien avec Cristián Cox, 1 juin 2020.
8 Entretien avec Bernardo Guerrero, 4 juin 2020.
9 Entretiens avec Omar Aguilar, 19 mai et 8 août 2020 ; et avec Ximena Sánchez, 24 août 2020.
10 Entretien avec Javier Corvalán, 11 mai 2020.
11 Entretien avec Cristián Cox, 1 juin 2020.
12 Entretien avec José Joaquín Brunner, 6 mai 2020.
13 Entretiens avec Javier Corvalán, 11 mai 2020 ; et avec Ximena Sánchez, 24 août 2020.
14 Entretiens avec Omar Aguilar, 19 mai et 8 août 2020.
15 Entretien avec Claudio Espinoza Araya, 10 mai 2020.
16 Entretien avec Justino Gómez, 6 mai 2020.
17 Entretien avec Javier Corvalán, 11 mai 2020.
18 Entretiens avec José Joaquín Brunner, 6 mai 2020 ; avec Javier Corvalán, 11 mai 2020 ; avec Justino Gómez, 6 mai 2020 ; et avec Claudio Ramos Zincke, 12 mai 2020.
19 Entretien avec Mabel Moraña, 14 mai 2020.
20 Entretiens avec Kathya Araujo, 1 mai 2020 ; avec Eugenia Valenzuela, 12 mai 2020 ; et avec José Olavarría, 3 juin 2020.
21 Entretien avec Justino Gómez, 6 mai 2020.
22 Voir Pierre Bourdieu, « Je suis ici pour vous dire notre soutien », Le Monde diplomatique, Chili, 11 avril 2002.
23 Entretiens avec José Joaquín Brunner, 6 mai 2020 ; et avec Cristián Cox, 1 juin 2020.
24 Entretien avec Claudio Espinoza Araya, 10 mai 2020.
25 Entretien avec Jorge Ferrada, 4 juin 2020.
26 Entretien avec Cristián Cox, 1 juin 2020.
27 Alfredo Joignant, dans un ouvrage récent écrit avec Mauro Basaure, reprend les préoccupations de Pierre Bourdieu sur l’étude des intellectuels publics et la circulation mondiale des idées [Joignand & Basaure, 2020].
Auteurs
Fernanda Beigel est sociologue et docteure en Sciences politiques et sociales. Professeure titulaire à l’université nationale de Cuyo et chercheuse au CONICET (Argentine). Elle est directrice du Centre de recherches sur la circulation des connaissances (CECIC) et coordinatrice nationale du Conseil argentin pour la science ouverte. Elle a été directrice d’études associées à la FMSH en 2021 et titulaire de la chaire de l’Advisory Committee for Open Science (UNESCO) entre 2020 et 2021. Elle a publié douze livres, une quarantaine de chapitres de livre et plus de cinquante articles dans des revues internationales. Elle a reçu le prix Bernardo Hossay en 2003 (Argentine), a été lauréate du concours d’essai de la CLACSO en 2004 et a été honorée par le Sénat de la République argentine de la mention d’honneur pour son travail scientifique en 2017.
Juan Jesús Morales Martín est docteur en sociologie de l’université Complutense de Madrid (Espagne). Il a poursuivi ses études grâce à une bourse postdoctorale CONICET à l’Institut des sciences humaines, sociales et environnementales (INCIHUSA, Mendoza, Argentine). Il travaille actuellement comme maître de conférences et chercheur à l’École de sociologie de l’université catholique Silva Henríquez (Santiago du Chili). Il est également directeur de la revue Temas Sociológicos. Ses axes de recherche sont liés à l’histoire de la sociologie, à la sociologie latino-américaine et à l’étude sociologique des intellectuels. Il est coauteur avec Justino Gómez de Benito du livre History of Sociology in Chile. Trajectories, Discontinuities, and Projections [Palgrave Macmillan, 2022].
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