Chapitre ii. L’international comme ressource
p. 105-149
Texte intégral
1Comment des actrices et acteurs locaux et internationaux, qui ne partagent pas le même contexte, se comprennent-ils ? Comment échangent-ils et construisent-ils des relations, et quelles ressources en retirent les paysan·nes dans leurs luttes pour le territoire ? La littérature sur les réseaux transnationaux et l’activisme global s’est trop focalisée sur l’étude des macroprocessus de globalisation au détriment d’une attention portée aux interactions entre actrices et acteurs locaux et internationaux [Della Porta & Tarrow, 2005]. Au cours de ce chapitre, il s’agira de se pencher sur les relations qu’entretiennent les organisations paysannes colombiennes avec une diversité d’actrices et d’acteurs internationaux, ONGI et OI, en partant du point de vue des paysan·nes et des perceptions de ces réseaux internationaux. La construction de ces liens dépend des contextes, des échanges entre actrices et acteurs, et des coconstructions qui émergent de ces rencontres. Ces liens solidaires ne se créent pas de manière linéaire et cohérente, mais laissent plutôt penser à un « internationalisme complexe » [Della Porta & Tarrow, 2005], au cours duquel les organisations paysannes sont confrontées à une diversité d’actrices et d’acteurs internationaux, de méthodes, de manières de faire et de penser. Elles développent différentes façons de rendre cohérentes ces aides internationales au niveau local afin de les transformer en réels outils dans la lutte pour la défense du territoire.
2Pour identifier ces liens et leurs usages, il est nécessaire d’identifier les espaces de rencontres, les moments d’interaction, les actrices et acteurs de ces échanges, et les enjeux de ces échanges. Il faut se donner « les moyens de saisir empiriquement les changements d’échelle pratiqués par les acteurs eux-mêmes » [Siméant et al., 2015, p. 15]. L’observation de ces processus peut se faire par l’ethnographie pour saisir les « nombreux espaces dans lesquels sont encastrées les stratégies des acteurs » [Siméant et al., 2015, p. 16] en suivant leurs trajectoires biographiques dans le temps et au niveau géographique. Ceci induit une étude de leur socialisation et des compétences sociales nécessaires pour évoluer dans ces espaces. Pour appréhender ces liens internationaux, je lie plusieurs méthodes en prêtant une attention particulière aux lieux, aux actrices et acteurs et à leurs origines sociales et politiques, aux discours échangés et à leur évolution dans le temps. Cependant, les « traces » de ces passages internationaux sont parfois difficiles à identifier, et les entretiens réalisés avec les leadeuses et leaders paysan·nes ne permettent pas toujours de cerner ces processus. En effet, selon les personnes interrogées, leurs parcours et leurs perceptions de l’enquête, et selon les moments de l’enquête, certain·es actrices et acteurs et processus d’internationalisation sont mis en valeur au détriment d’autres. Différents types de discours paysans concernant les réseaux internationaux sont identifiés à partir des entretiens. Certain·es enquêté·es insistent sur leurs liens à l’étranger abondamment cités, car ceux-là sont un gage de légitimité, voire de crédibilité de leur lutte. D’autres préfèrent insister sur l’urgence, les besoins financiers et rappeler qu’il est nécessaire de continuer à investir dans la protection des droits humains, espérant souvent que l’entretien donne lieu à des aides concrètes. Enfin, pour d’autres, aborder le sujet de ces « allié·es internationaux » représente un aveu des limites locales et des faiblesses des organisations paysannes. Ces discussions peuvent alors être perçues, selon les leadeuses et leaders interrogé·es et les moments de l’enquête, comme une perte d’autonomie de la résistance paysanne. Enfin, d’autres sources sont importantes pour comprendre ces dynamiques comme les documents internes des organisations qui évoquent les financements et les projets en cours. Ils permettent d’analyser, au-delà des discours et des perceptions, les relations pragmatiques qu’entretiennent les paysan·nes avec différents bailleurs, que ces derniers soient mentionnés ou non lors des entretiens.
Encadré 6. Les sources pour identifier les liens entre le local et l’international
Les entretiens : avec les membres des organisations paysannes, avec les différent·es leadeuses et leaders (aux niveaux local, régional et national), les responsables des relations internationales, etc.
Exemple de questions : Qui sont vos partenaires internationaux ? Ont-ils joué un rôle dans votre lutte, si oui lequel ? Comment êtes-vous entré·es en contact ? Est-ce que vous échangez souvent, et comment ?
Les observations participantes : quel·les sont les actrices et acteurs de l’international présent·es, évoqué·es, revendiqué·es ? Quand les rencontres ont-elles lieu ? Qui rencontre qui ? Qu’est-ce qui se dit durant ces rencontres ? Comment se concrétisent ces échanges (projet de coopération, soutien politique, plaidoyer, etc.) ?
Les documents internes : journaux internes, comptes rendus de réunion, appel d’offres pour des projets de coopération et registre interne des financements internationaux.
Les entretiens secondaires : avec des partenaires internationaux présents en Colombie, en particulier les ONG d’accompagnement physique sur le terrain.
3Ce chapitre appréhende les relations internationales des organisations paysannes sous trois angles : à travers les interactions locales-internationales, les actrices et acteurs intermédiaires et la manière à travers laquelle les actrices et acteurs locaux se réapproprient certains projets de coopération et certaines relations pour les rendre plus cohérentes avec leurs luttes locales. Je montre que les paysan·nes colombien·nes retirent plusieurs ressources de ces échanges : une protection physique, des apports financiers, des compétences, des soutiens et des capacités d’incidence politique à plusieurs niveaux.
Se comprendre : interactions locales-globales
4J’aborderai tout d’abord la diversité des partenaires internationaux et la façon dont ils ont fait évoluer leurs actions auprès des paysan·nes colombien·nes sur la longue durée, puis je me focalise sur ce qu’il se passe concrètement dans les moments d’interactions sociales entre ces actrices et acteurs. L’analyse de ces deux temporalités — long terme et moment précis des interactions — met en évidence la manière dont les actrices et acteurs locaux et internationaux se comprennent et ce que les paysan·nes peuvent retirer de ces échanges.
Diversité des partenaires internationaux et évolution de leurs attitudes vis-à-vis des paysan·nes
5Depuis leur genèse au cours des années 1990, les deux organisations paysannes colombiennes ont été en contact avec une grande diversité d’actrices et d’acteurs internationaux que l’on peut regrouper en deux types : les ONG et les OI rattachées pour la plupart aux institutions des Nations unies. Les actrices et acteurs internationaux ont adapté leurs missions en Colombie en raison du contexte colombien et de leur appréhension de la situation colombienne, et d’autres évolutions sont caractéristiques des changements propres aux secteurs de la coopération et de l’aide au développement. D’une part, le conflit colombien a longtemps suscité plusieurs interprétations qui ont retardé l’intérêt des réseaux internationaux pour ce pays. Les actrices et acteurs internationaux construisent des visions fragmentaires de la situation dont témoigne la multiplication des rapports « thématiques ». Les différentes mises en récit du conflit « constituent autant de registres concurrents et spécifiques, relevant des compétences partielles de chacun des acteurs intervenant sur le terrain », selon Juan Carlos Guerrero Bernal et David Garibay [Garibay & Guerrero Bernal, 2006, p. 148]. D’autre part, sous l’effet du courant altermondialiste qui rapproche progressivement les ONG urgentistes, développementalistes et de protection des droits humains, les liens avec les actrices et acteurs locaux évoluent. Il ne suffit plus d’aider des « pauvres malheureuses et malheureux » via des actions humanitaires ponctuelles ou des plaidoyers pour les sauver, mais de mettre l’accent sur les origines de la misère et des situations de violence dans laquelle se trouvent les populations [Smillie, 2003 ; Dauvin & Siméant, 2002]. Ces changements sont identifiables dans les missions menées depuis les années 1990 par les actrices et acteurs internationaux à destination des zones rurales colombiennes. La première évolution est la fusion progressive entre des missions d’accompagnement physique sur le terrain avec des missions de plaidoyer. La seconde est la prise en compte de thématiques plus larges que celle des droits humains et, pour certaines ONGI, la politisation des violations des droits humains en Colombie. Enfin, la troisième concerne le passage des missions dites d’urgence en actions de développement sur le plus long terme. Ces actrices et acteurs mènent trois grands types d’actions de solidarité et de coopération internationale vis-à-vis des paysan·nes colombien·nes : plaidoyer, accompagnement physique et coopération au développement.
6La première mission menée par des actrices et acteurs internationaux est celle du plaidoyer, de l’incidence ou de la pression politique et institutionnelle menée de l’extérieur pour faire connaître la situation de violations des droits humains et de vulnérabilité des paysan·nes déplacé·es et/ou sans terre en Colombie. Ces actions sont menées par des OI et ONG qui agissent différemment en fonction de leurs ancrages nationaux et de leurs mandats. Plusieurs réseaux de solidarité, constitués d’abord d’exilé·es latino-américain·es, ont contribué à rendre visible la situation colombienne en interpellant les ministères, les gouvernements et les institutions internationales, notamment onusiennes. En agissant tels des lanceurs d’alerte solidaires malgré leur éloignement, ils permettent de faire connaître la situation et d’exercer plus ou moins de pression en fonction de leurs interlocutrices ou interlocuteurs et de leurs poids politiques. L’effet « boomerang » [Sikkink et al., 2013] ou de « naming and shaming » exerce une pression via les Nations unies ou certains États sur les États responsables des exactions. Cependant, dans le cas colombien, cet effet est très limité parce que l’État colombien a plaidé la cause d’un acteur dépassé par une guerre civile interne auprès de ses partenaires internationaux [Lutz & Sikkink, 2000 ; Franklin, 2008 ; Murdie & Davis, 2012]. Sur cette question des droits humains, on retrouve en Colombie les grandes ONGI spécialistes du plaidoyer, telles que Human Rights Watch ou Amnesty International, ainsi que d’autres organisations plus proches des réseaux altermondialistes. C’est le cas de Redher, le réseau européen de fraternité et de solidarité avec la Colombie (Red de Hermandad y Solidaridad con Colombia), regroupant divers collectifs locaux de solidarité qui lient droits humains et enjeux de justice sociale et de solidarité politique avec d’autres peuples opprimés. Ce réseau est composé d’associations et de comités français, espagnols, suisses, irlandais, italiens et anglais, créés à la fin des années 1990. Par la suite, les actions de plaidoyers se sont diversifiées pour alerter sur la responsabilité des entreprises étrangères minières, agro-industrielles et de leurs actionnaires dans l’exploitation des droits humains et la destruction de l’environnement. Le PASC, Projet accompagnement solidarité Colombie, développe par exemple des plaidoyers spécifiques à l’encontre des entreprises canadiennes qui investissent en Colombie et dont les actionnaires peuvent être des retraité·es qui ont placé leurs pensions dans des fonds d’investissement sans en connaître les impacts. Certaines de ces ONG ont à cœur de créer des rencontres avec des parlementaires, des responsables politiques ou des fonctionnaires, afin que les leadeuses et leaders paysan·nes leur parlent de leur situation.
7Le deuxième type d’action menée est l’accompagnement physique sur place qui agit comme une protection pour les communautés paysannes en dissuadant les acteurs armés de commettre des exactions devant des observatrices et observateurs internationaux. Ce sont des missions menées par des ONG dites d’accompagnement international qui, en comparaison aux autres ONG, ont été moins étudiées par la littérature sur la coopération internationale et l’aide humanitaire. Leurs mandats sont divers et leur degré de participation aux actions collectives menées par les organisations paysannes diffère en fonction de leurs orientations politiques et institutionnelles. L’ONG basque Paz y Tercer Mundo (Paix et Tiers Monde) est l’une des premières à avoir été présente dans le Bas Atrato dans les années 1990 et à faire l’expérience malheureuse de l’importance de l’accompagnement international. En novembre 1999, un coopérant espagnol est tué sur un bateau qui transportait des membres des communautés afrodescendantes sur le fleuve Atrato au cours d’une attaque paramilitaire. Dans un premier temps, la disparition du coopérant puis la découverte de son corps suscitent une vive réaction de la part des ONGI européennes travaillant dans le pays et de la part de l’ambassade d’Espagne qui demande des explications à la Colombie. Sous la pression1, la Fiscalité générale de la nation (équivalent du procureur) réagit rapidement en arrêtant neuf personnes quelques jours plus tard. Un communiqué du groupe paramilitaire annonce publiquement que la mort du coopérant était « une erreur ». La rapidité de l’enquête, l’arrestation rapide des paramilitaires responsables et le zèle des autorités colombiennes mettent en avant le rôle de pression qu’exerce cette présence internationale au quotidien sur les autorités comme sur les acteurs armés de la zone. Pour les communautés afrodescendantes comme pour les ONGI, cet épisode renforce l’importance de ces relations pour continuer à dénoncer les violations des droits humains depuis les campagnes. L’une des ONG d’accompagnement les plus présentes au cours de mes enquêtes2 est PBI (Brigades de paix internationales), présente en Colombie depuis 1994. Au moment de l’enquête, les membres des PBI sont réparti·es en trois équipes nationales (Apartadó, Barrancabermeja et Bogota). Elles font des déplacements très réguliers au sein des communautés paysannes, accompagnent les leadeuses et leaders menacé·es et se rendent visibles lors des moments de tension pour rappeler leur présence auprès des actrices et acteurs locaux. L’ONG PBI insiste sur la proximité des équipes avec les communautés tout en revendiquant une posture de neutralité et de distance vis-à-vis des combats politiques que peuvent mener les organisations sociales. Pour tout départ pour des missions d’accompagnement, les volontaires avertissent les autorités locales et militaires afin de rendre compte de leurs déplacements, incitant alors les militaires à assurer leur intégrité physique tout en leur rappelant qu’elles et ils suivent ce qui se passe de près dans les campagnes colombiennes. Pour rester plusieurs jours dans un village, les volontaires suivent le même protocole : visibilité vis-à-vis des actrices et acteurs extérieur·es (banderole, chasuble visible, messages aux autorités, connexion GPS toutes les heures au siège régional de l’ONG) et discrétion vis-à-vis des organisations paysannes. Par exemple, lors d’une action d’accompagnement auprès de la communauté de La Larga Tumaradó dans le Chocó, les deux volontaires mettent, comme à chaque fois, en évidence un drapeau blanc qu’elles tentent de rendre le plus visible possible. Ce jour-là, l’ONG CIJYP — elle aussi menacée et qui doit parfois compter sur l’accompagnement de PBI pour effectuer certaines de ses missions auprès des communautés — organise un atelier avec les familles récemment retournées sur leurs terres. Mais les deux volontaires n’y assistent pas, elles se retirent discrètement en m’expliquant « qu’elles ne font pas de politique3 ».
8Au cours de mes échanges avec les membres de cette ONG, les jeunes volontaires font part de leurs critiques du « système ONG » et valorisent davantage leur rôle de protection et de plaidoyer qui laissent une plus grande autonomie aux actrices et acteurs mobilisé·es. Lors d’un entretien, une membre de PBI explique sa mission ainsi :
« Pourquoi dites-vous que vous n’êtes pas une organisation de défenseurs des droits humains ?
_ Ce sont les Colombiens qui savent le mieux, c’est ce en quoi nous croyons, ils savent mieux ce qu’il faut faire pour faire face à la situation. Et notre rôle, en tant qu’internationaux, ce n’est pas de faire un travail comme celui d’une organisation comme l’ACVC. Ils savent mieux ce qu’il faut faire pour les paysans, beaucoup plus que les gens qui arrivent de l’extérieur et qui disent : “Les paysans ont besoin d’un projet pour la production de lait…” Nous soutenons ceux qui savent le mieux, et selon ce que l’on peut. Nous avons les contacts, nous pouvons être en relation avec les États, nous savons utiliser ça4. »
9Souhaitant s’engager dans une mission humanitaire, certain·es ont choisi PBI pour ses valeurs de non-ingérence et de proximité avec les populations locales. En effet, l’engagement auprès des populations locales est lié, dans le discours des volontaires, à un besoin de repenser les systèmes de domination et les présupposés de développement. Être présent·es dans les moments de tensions et effectuer une veille sur les questions de droits humains permettent aux organisations paysannes de se mobiliser dans de meilleures conditions de sécurité. Un enquêté les décrit comme les « yeux solidaires du monde », et leurs actions manifestent une « solidarité politique et humaine du monde ici5 ».
10D’autres ONGI développent, aux côtés de l’accompagnement physique, des missions de sensibilisation au droit international humanitaire auprès des paysan·nes et des autorités politiques — c’est le cas de SWEFOR — et documentent les violences commises dans plusieurs régions difficiles d’accès en Colombie, comme le font SWEFOR, Witness for Peace ou le PASC. Ces ONGI profitent de leur proximité avec les actrices et acteurs des communautés et de leur ancienneté pour obtenir des informations de première main, pour alerter rapidement à d’autres niveaux et pour constituer, si besoin, des campagnes d’action dans l’urgence. Certaines ONGI utilisent aussi leurs réseaux diplomatiques — c’est surtout le cas de SWEFOR et de Witness For Peace — pour que leurs ambassades fassent pression sur le gouvernement colombien en cas de tensions ponctuelles, d’exactions ou de menaces imminentes à l’encontre de certain·es leadeuses et leaders. Au cours des années 2000, d’autres ONGI se développent et mettent en place un accompagnement plus politique, qui articule plaidoyer politique à l’étranger, souvent via des partis politiques ou des coalitions de partis, et rencontres politiques sur place en même temps qu’une présence physique. C’est le cas de deux organisations, IPO (International Peace Observatory), proche des partis politiques catalans, d’abord créé autour de l’ACVC, puis IAP (International Action for Peace), issu de la même organisation, mais qui a vocation à accompagner d’autres organisations sociales colombiennes. L’engagement politique de certaines ONGI n’est pas sans susciter quelques débats au sein du petit monde de coopérant·es sur la pertinence des actions, sur la neutralité ou encore sur l’avenir des « boucliers humains ». Les ONGI d’accompagnement jouent cependant un rôle clé : ce sont les contacts les plus directs et les plus concrets entre les communautés paysannes et des actrices et acteurs internationaux. Les paysan·nes, qui peuvent ainsi continuer leur travail au niveau local, estiment que cet accompagnement international est très bénéfique. De plus, la présence physique dans les communautés renforce les liens entre les actrices et acteurs locaux et internationaux, puisque tou·tes font l’expérience commune des ressorts de cette internationalisation.
Tableau 4. ONG internationales d’accompagnement en Colombie rencontrées au cours de l’enquête
ONGI | Mission principale | Date d’arrivée en Colombie |
PBI : Peace Brigades International | Accompagnement international : protéger les espaces d’action des droits humains et les personnes menacées. | 1994 |
Witness for Peace (originaire des États-Unis) | Accompagnement des leadeuses et leaders menacé·es ; Documente les conséquences sociales, humaines et environnementales du Plan Colombie. | 2000 |
SWEFOR (originaire de Suède) | Accompagnement de leadeuses et leaders menacé·es et présence lors des actions collectives, des grands événements ainsi que mobilisations pour la non-violence active, la paix et la réconciliation ; Actions de soutien au désarmement, création de mécanismes de prévention et de protection des défenseur·euses des droits humains ; Sensibilisation au droit international humanitaire. | 2004 |
PASC : Programme d’accompagnement solidarité Colombie (Canada) | A commencé par des petites missions d’accompagnement ; Puis s’est orienté davantage vers le plaidoyer contre les politiques extractivistes et le rôle des entreprises canadiennes en Colombie. | 2003-2004 |
IPO : International Peace Observatory (Espagne) | Accompagnement politique et physique sur le terrain (exclusivement pour l’ACVC). | 2004 |
IAP : International Action for Peace (Espagne) | Recomposition de IPO : mêmes missions, mais plus uniquement à destination de l’ACVC. | Fin des années 2000 |
11Enfin, le dernier type d’actions menées par les actrices et acteurs internationaux est celui, plus classique, des missions d’urgence humanitaire et/ou de développement grâce au financement de projets, au soutien logistique ou technique. Dans un premier temps, les ONG et OI se sont centrées sur les missions d’urgence, puis elles ont réorienté progressivement leurs activités vers des actions de développement et en particulier sur les questions agricoles. Elles mènent des actions grâce à des financements sur projet (majoritaires) et des ressources structurelles, plus difficiles à obtenir. La majorité des fonds des organisations paysannes provient des coopérations européennes, d’ONG européennes, canadiennes ou de fondations religieuses. Ces bailleurs structurels ne sont pas mis en avant dans les relations créées par les leadeuses et leaders paysan·nes qui insistent sur d’autres points essentiels dans l’internationalisation de leurs revendications. Cependant, malgré la diversité des liens internationaux entretenus, les leadeuses et leaders confient, dans les conversations informelles, leurs difficultés à obtenir des financements pérennes pour faire fonctionner les organisations. L’ACVC affiche quelques partenaires internationaux structurels : l’association catalane pour la paix, la mairie de Barcelone, Misereor (l’œuvre de l’Église catholique en Allemagne) et Diakonia, une ONG suédoise qui soutient largement les dépenses de fonctionnement de l’organisation paysanne. En ce qui concerne les communautés du Bas Atrato, il est plus difficile d’identifier leurs financements. Celles-ci fonctionnent davantage en autonomie et reçoivent plus ponctuellement l’aide de quelques ONGI à travers le financement de l’ONG colombienne CIJYP. Les documents produits par l’ONG CIJYP informent de l’appui financier de bailleurs souvent catholiques comme Chistian Aid et l’ONG catholique canadienne pour le développement et la paix, ou d’autres bailleurs bilatéraux comme FOS Colombia (le fonds fino-suédois pour la société civile colombienne) et les coopérations espagnole et irlandaise. D’autres petites ONGI sont plus engagées sur les enjeux de développement rural et de pauvreté : c’est le cas de l’ONG Inspiraction, ONG espagnole faisant partie de Christian Aid et qui soutient la CIJYP. Elle met en place des projets de développement, dont la principale mission est « de révéler au monde le scandale de la pauvreté, de contribuer à l’éliminer avec des solutions pratiques, en se confrontant et en changeant les systèmes qui favorisent les riches et les puissants face aux pauvres et aux marginalisés6 ». Cette perspective, qui articule développement et réflexions sur les inégalités, est aussi présente chez IEPALA, une autre ONG espagnole qui finance la CIJYP et qui définit sa mission comme celle de « contribuer à former et activer la “conscience critique organisée” au sein de la société » et « d’être des instruments efficaces pour l’indépendance et le développement des peuples7 ».
Comment se nouent les liens local-global ? Entre émotions et intérêts mutuels
12Les relations entre les actrices et acteurs du local et de l’international se sont tissées grâce à une présence de long terme et à des interactions ponctuelles qui vont marquer les organisations sociales. Au cours de ces interactions, les actrices et acteurs tissent des relations amicales, partagent des intérêts mutuels et ces échanges génèrent des émotions. Les paysan·nes colombien·nes et les actrices et acteurs internationaux, sans partager les mêmes revendications, s’identifient à un processus de mise en commun. Pour Doug McAdam et Sidney Tarrow, le processus d’internationalisation signifie que des actions menées localement atteignent un autre groupe qui, malgré la distance, s’identifie aux premières personnes mobilisées (attribution de similarité) et mène des actions similaires et coordonnées dans des lieux distincts (l’émulation) [McAdam & Tarrow, 2005]. On retrouve par exemple des processus d’identification aux mobilisations zapatistes lors de manifestations altermondialistes, des parallèles entre les mouvements « Occupy » et celui des Indignés [Pleyers, 2010 ; Nez, 2022], alors même que les actrices et acteurs évoluent dans des contextes sociopolitiques distincts. Les paysan·nes colombien·nes sont ainsi parvenu·es à être en contact avec des actrices et acteurs situé·es hors de Colombie grâce à l’attribution de similarité, mais ce processus d’internationalisation ne se traduit pas par des actions collectives similaires menées ailleurs (pas de voie d’émulation). Cependant, en amplifiant leurs causes locales, en les rendant compréhensibles par d’autres, les organisations paysannes parviennent à partager un certain sens commun autour d’une lutte locale.
13Pour illustrer ce qu’il se passe lors de ces rencontres et la manière dont se crée un sens commun entre des actrices et acteurs très différent·es, prenons pour exemple la visite de deux Espagnol·es et de deux Étatsunien·nes dans les zones humanitaires du Curvaradó en soutien à la manifestation des communautés devant la base militaire8. Leur venue a été organisée par l’ONG CIJYP, qui a sollicité ses réseaux de soutien politique et religieux pour apporter une protection internationale aux personnes mobilisées. L’ONG CIJYP m’a confié la mission de les accueillir dans la zone humanitaire et de les accompagner tout au long de cette action collective. À leur arrivée, les militant·es étatsunien·nes et espagnol·es disent être venu·es pour soutenir la « cause de la communauté », mais avouent ne pas connaître celle-ci. Nos premiers échanges me surprennent : tou·tes les quatre connaissent très peu la situation politique en Colombie, et c’est pour certain·es la première fois qu’elles et ils réalisent un tel voyage. Ces volontaires me posent de nombreuses questions sur le contexte actuel et la manifestation prévue. Lorsque nous partons en cortège depuis la zone humanitaire, elles et ils marchent et se placent au milieu des habitant·es. Arrivé·es devant la base militaire, à un moment de tension entre les militaires qui filment les habitant·es, les leadeuses et les leaders dont la peur est communicative, Andrew entonne spontanément une chanson lui rappelant la lutte des noir·es étatsunien·nes pour leurs droits civiques, une situation qui, selon lui, s’apparente à la lutte des communautés afrodescendantes. La scène est alors déconcertante : il chante à plein poumon et en anglais devant la base militaire. Malgré le fait que les communautés réunies ne comprennent pas les paroles, elles sont profondément touchées et chantent à leur tour des chants chrétiens. Main sur la poitrine, Andrew partage alors un moment particulier avec les habitant·es des zones humanitaires. Comme lui, d’autres coopérant·es font ainsi le parallèle avec des faits qui leur paraissent similaires et la situation des communautés.
14Une autre rencontre, celle-ci hors de Colombie, a également donné lieu à des échanges particuliers entre une organisation paysanne colombienne, représentée par Franco de l’ACVC, et un partenaire international, en la personne de Pierre de la Confédération paysanne en France. En 2014, l’ACVC effectue une tournée en Europe pour faire la promotion des zones de réserve paysanne afin d’obtenir des soutiens pour la reconnaissance de cette figure juridique qui protège le paysannat colombien et garantit une transition vers la paix dans le pays. Franco souhaitait rencontrer un syndicat paysan français et a pris contact avec la Confédération paysanne par mon intermédiaire. Je l’accompagne à cette réunion au cours de laquelle je traduis les échanges. Ce point d’observation est heuristique et permet de rendre compte des décalages entre les deux interlocuteurs et des nombreux points communs qu’ils tentent de faire émerger au cours de leur discussion. Pierre est un producteur de porc en Champagne et accueille Franco dans les locaux parisiens de la « Conf’ ». Ce dernier lui explique brièvement le but de sa présence en France, puisque c’est la première fois que l’ACVC prend contact avec ce syndicat agricole français. Ils échangent ensuite sur l’ouverture internationale des marchés agricoles et sur l’impact des politiques libérales sur les petites agricultures. Franco explique la situation en Colombie et les conséquences des traités de libre échange dans les campagnes, ce que Pierre essaie de mettre en lien avec la situation des agricultrices et agriculteurs français·es. Franco insiste sur les difficultés locales pour cultiver en l’absence d’infrastructures ainsi que sur l’insécurité foncière, la présence des entreprises multinationales et les menaces qui pèsent sur les paysan·nes. Pierre a l’air intéressé, mais a du mal à comprendre ce que Franco tente de lui expliquer sur le contexte politique colombien. Pierre lui parle des luttes paysannes en France et de la campagne contre les OGM. Les deux acteurs locaux paraissent très heureux de leur rencontre et leur ressenti semble analogue : les marchés globaux menacent l’agriculture paysanne. Mais la traductrice de cet échange linguistique et socioculturel que je suis se rend compte que les deux acteurs peinent parfois à se comprendre. Franco se tourne vers moi pour me demander constamment : « Je ne sais pas comment cela peut se dire en France… », « Est-ce que cela a un sens pour lui ? », tandis que Pierre m’interroge sur le contexte colombien qu’il a du mal à saisir. Chacun interprète la cause de l’autre à l’aune de ses propres réalités. Ces difficultés de communication rappellent celles analysées par Saturnino Borras, Marc Edelman et Cristobal Kay, lorsqu’ils montrent que les interactions complexes entre les actrices et les acteurs locaux et internationaux mènent à des processus de simplification des causes paysannes, quelques fois nécessaires pour rendre compréhensibles des réalités complexes [Borras et al., 2008]. Au vu de la distance physique et culturelle qui sépare les deux paysans, chacun tente de trouver un sens à l’échange à l’aune de son vécu. Dans ses travaux sur l’usage des discours et l’importance des conditions sociales de production et de circulations des idées, Pierre Bourdieu identifie plusieurs mécanismes permettant de comprendre comment les idées circulent d’un contexte à un autre : une opération de « sélection » (tri par rapport à ce qui est exportable et importable), une opération de « marquage » (effet de traduction et d’annexion aux problématiques locales sans reconstruire le champ d’origine de production de l’idée importée) et une opération de « lecture » à la lumière des perceptions, catégories et références nationales/locales [Bourdieu, 2001, 2002]. Lorsque Franco et Pierre se rencontrent, ils ne connaissent pas le contexte de production du discours de leur interlocuteur. Franco n’est venu que quelques fois en France et Pierre ne connaît pas la Colombie. Franco fait le tri (l’opération de sélection) dans ce que son interlocuteur est susceptible de comprendre ou non, en choisissant de parler à Pierre du manque d’infrastructure et des conséquences des traités de libre échange plutôt que de la complexité de la loi sur les réserves paysannes. Dans leur interaction, Pierre et Franco font également une opération de marquage en rattachant la cause exposée par l’autre à ce qu’ils connaissent et à ce qu’ils défendent — la situation des petites exploitations agricoles françaises et colombiennes victimes de la mondialisation néolibérale. Ils comprennent le discours de leur interlocuteur à travers leur propre contexte, grâce à une opération de lecture selon les propres perceptions.
15Mon observation de ces interactions entre actrices et acteurs du local et de l’international m’amène à identifier des décalages importants, à l’image d’Andrew chantant en anglais devant la base militaire face à une foule de manifestant·es qui cherchaient à être discret·ètes. Si Pierre Bourdieu déplore que les intellectuel·les allemand·es et français·es ne se comprennent pas car elles et ils ne recréent pas les conditions sociales de production du discours9, il n’est pas toujours nécessaire pour les actrices et acteurs que j’étudie de restituer le contexte de production du discours. Malgré ces décalages — ou peut-être grâce à ceux-là — une base d’échange commune est trouvée, qui repose à la fois sur des émotions (le chant d’Andrew) et sur des intérêts mutuels (volonté de trouver un combat commun entre Franco et Pierre). La même attribution de similarité est observable lorsque Andrew choisit (opération de sélection) une chanson sur les droits civiques étatsuniens que les communautés annexent à leur cause (opération de marquage), à savoir la lutte des afrodescendants pour leur terre. L’échange qui en découle dépend de la lecture de chaque actrice et chaque acteur (opération de lecture) qui interprètent cette rencontre au gré de leurs références propres. En ne partageant ni le même contexte ni la même histoire, ces actrices et acteurs trouvent un accord à un moment donné sur une vision commune en amplifiant parfois leurs causes, ce qui peut donner lieu à une action collective commune (autour d’un projet, d’une action d’urgence ou d’un soutien politique) ponctuelle ou sur le plus long terme.
16Pour les paysan·nes, les interactions avec les actrices et acteurs internationaux représentent également un terrain d’apprentissage pour tester des revendications locales, pour se former, pour comprendre comment agissent ces différent·es actrices et acteurs, mais aussi pour définir les limites de cette appropriation. Les communautés paysannes apprennent progressivement à définir ce qu’est leur organisation (définition claire des luttes) et ce que signifie défendre le territoire dans la mondialisation (portée plus globale de leurs luttes locales). En cela l’internationalisation, malgré ces décalages et son caractère imparfait, constitue une ressource pour les organisations locales.
Des actrices et acteurs intermédiaires pour transformer les réseaux internationaux en ressources
17Pour aller plus loin dans la compréhension de ces liens, il est nécessaire de prendre en compte les lieux de ces rencontres ainsi que les propriétés sociales des personnes qui interagissent. Il existe différent·es actrices et acteurs intermédiaires qui permettent de réaliser ce grand écart entre les agendas de coopération des ONG et des OI et les luttes locales des paysan·nes colombien·nes. Ces intermédiaires [Nay & Smith, 2002] providentiel·les, ponctuel·les ou savamment formé·es par les organisations paysannes jouent un rôle essentiel pour faire passer des messages aux partenaires internationaux, afin de conserver un certain contrôle des luttes locales et obtenir différents types de ressources. Ces personnes créent un pont en intégrant au sein des organisations paysannes les logiques de fonctionnement des différentes organisations internationales et ONGI (leur logique de projet, leurs mandats, leurs spécialisations et leurs marges de manœuvre). Les liens interpersonnels sont essentiels dans la concrétisation de ces relations.
18Tout d’abord, les actrices et acteurs se rencontrent le plus souvent à Bogota, dans ce qui constitue un espace de socialisation militant et professionnel commun10 où se mélangent « locaux » et « internationaux ». Au cours de ces échanges, les actrices et acteurs négocient en fonction de leurs marges de manœuvre, de leur identité et de leurs intérêts, pour construire des projets de coopération. Les propriétés sociales de ces intermédiaires, du côté des paysan·nes et des coopérant·es, se ressemblent. Ces « actrices et acteurs de l’international » ne sont pas si étranger·ères et les personnes mandatées par les communautés pour faire connaître les revendications paysannes sont des professionnel·les non paysan·nes, mais acquis·es à la cause paysanne, ou des paysan·nes qui se sont professionnalisé·es. Ainsi, cet entre-soi militant, construit depuis la fin des années 1990 avec la multiplication des bureaux de coopérations internationales en Colombie, est entretenu par une équipe d’intermédiaires désignée pour représenter les paysan·nes dans la capitale. Ces intermédiaires permettent de concrétiser et d’adapter les soutiens internationaux à la réalité des campagnes colombiennes.
Des liens qui se construisent à Bogota
19Il est difficile de saisir les relations internationales qu’entretiennent les paysan·nes du Magdalena Medio et du Bas Atrato : peu de rencontres sont organisées dans les campagnes au cœur des enjeux, les interactions complexes rendent parfois compte de décalage important et les déplacements des paysan·nes à l’étranger sont rares. Pourtant, l’internationalisation de leur situation a permis à ces organisations sociales de se maintenir, d’obtenir une protection internationale et différents types de ressources. Cette présence internationale est surtout celle des volontaires étrangères et étrangers des ONGI d’accompagnement évoquées précédemment, et se concentre sur des mesures de protection et des questions humanitaires. Lors de nombreux échanges avec les habitant·es du Magdalena Medio et du Bas Atrato, ces dernier·ères n’identifient pas distinctement leurs « soutiens internationaux » et les perçoivent tou·tes de la même façon, sans distinguer les ONG entre elles des soutiens politiques ou des agences onusiennes. Mis à part les leadeuses et leaders, les paysan·nes ont finalement des liens très limités avec cet international. Un enquêté, habitant d’un village éloigné de la vallée de la rivière Cimitarra, fait par exemple le parallèle entre les ONGI et ma présence dans son village :
« Et ces liens avec l’international, comment se sont-ils constitués ?
_ Comment ça ?
_ Comment êtes-vous entrés en contact avec eux, comment sont-ils arrivés à connaître la situation ici ?
_ Ah bah ça, ça… ça s’est fait par l’intermédiaire des organisations sociales d’ici, de Colombie […]. Ils ont des contacts pour ça. Par exemple, une ONG dans ton pays, par exemple, toi, ça t’intéresse de connaître la situation des droits humains ici en Colombie, etc. Alors, sûrement, tu te mets en contact avec l’ACVC. C’est la même chose que tu es en train de faire. Toi, tu sais comment on vit ici, les difficultés que nous avons, comment nous nous organisons…. Elles [les ONG] font comme ça. Tu me comprends ? Toi t’as fait comment pour arriver jusqu’ici ? Par l’intermédiaire d’eux [l’ACVC] ?
_ Oui11. »
20Après de longs mois pour accéder difficilement aux campagnes colombiennes, il me fallait donc refaire le chemin inverse et reconstituer les différents intermédiaires [Siméant, 2012] qui m’avaient conduite de Bogota au sud du département de Bolivar à m’entretenir avec ce paysan. Pour comprendre qui se rencontre et comment les personnes échangent, j’ai donc suivi les leadeuses et leaders paysan·nes dans leurs interactions avec ces multiples partenaires dans la capitale colombienne. Ces rencontres dépendent des capacités des organisations paysannes à avoir une représentation dans la capitale et à pouvoir se mouvoir dans ces espaces urbains qui ne sont en apparence pas les leurs. Les différences entre les deux organisations sociales étudiées sont importantes à ce sujet : alors que l’ACVC est en mesure de se représenter en nommant des leadeuses et des leaders formé·es à ce type d’échanges, les communautés afrodescendantes, plus dépourvues en ressources et davantage menacées, se font représenter par une intermédiaire, l’ONG CIJYP. L’ACVC a choisi d’envoyer des militant·es à Bogota, qui sont chargé·es de mener à bien ces relations internationales. Ces délégué·es vivent dans la capitale, où un logement et un bureau pour recevoir et rencontrer plus facilement leurs partenaires sont à leur disposition. Les ONG et OI peuvent ainsi avoir des échanges privilégiés et efficaces. Les communautés afrodescendantes passent par l’ONG CIJYP pour contacter leurs partenaires internationaux à Bogota. Elles n’ont pas les ressources financières pour voyager jusqu’à la capitale : il faut deux jours en transport routier et les vols sont extrêmement coûteux. De plus, les rares rencontres à Bogota attestent des difficultés des leadeuses et leaders afrodescendant·es à se familiariser aux modes d’interaction « urbains ». Il suffit de quelques passages dans les locaux de l’ONG CIJYP pour identifier les membres des zones humanitaires qui viennent pour la première fois. On les remarque à leur manière de s’habiller, de se plaindre du froid et à leur peur de se déplacer dans cette grande ville. Cependant, pour des raisons de sécurité, certain·es leadeuses et leaders afrodescendant·es restent parfois plusieurs semaines auprès de l’ONG à Bogota ou à Medellin, en attendant que les menaces à leur encontre ne s’estompent. Ces expériences leur permettent d’appréhender la vie en ville, où l’ONG CIJYP dispose de relais parmi les congrégations chrétiennes qui accueillent ponctuellement des personnes menacées.
21Les rencontres entre les paysan·nes et leurs partenaires internationaux portent principalement sur les aspects techniques et pragmatiques : envoi d’une lettre pour un plaidoyer, décision sur une aide humanitaire, signature d’un projet de coopération ou sur des questions budgétaires ou pratiques. Ces échanges portent peu sur les idées et les revendications défendues par les organisations paysannes et sur les enjeux territoriaux. Dans la majeure partie des cas observés, les leadeuses, les leaders paysans et les coopérant·es se connaissent déjà.
Des négociations entre actrices et acteurs locaux et internationaux
22Pour mieux saisir ces rencontres entre actrices et acteurs et les négociations auxquelles elles donnent lieu, prenons pour exemple la réalisation d’un projet local entre une ONGI et l’ACVC. En 2014, l’ACVC souhaite organiser un « campement écologique » pour réunir des paysan·nes de toute la région pour échanger avec des chercheuses, des chercheurs et d’autres actrices et acteurs des mouvements sociaux sur les enjeux de la protection du territoire et de l’environnement. Pour financer et organiser ce projet, l’association paysanne se tourne vers l’ONG suédoise Forum Syd, qui œuvre pour la protection et la promotion des droits humains. Lors de ces échanges avec l’ONG suédoise, j’accompagne Franco. L’association paysanne m’a par ailleurs chargée de proposer une méthodologie pour favoriser un dialogue entre les paysan·nes, les chercheuses et les chercheurs lors du campement écologique. Il m’est demandé de définir la forme des débats (conférence, ateliers, assemblée, etc.), de réfléchir à la manière d’intégrer tou·tes les actrices et acteurs, et à la façon de systématiser les différentes propositions issues des débats ainsi que de trouver un mécanisme permettant « de passer des débats à la prise de décision et à l’action »12. L’objectif de l’ACVC est qu’au terme du campement, chaque personne puisse repartir avec des « tâches » et des « actions concrètes » à mettre en œuvre dans sa communauté. Ce projet de campement écologique poursuit donc plusieurs objectifs : la construction d’un mécanisme de participation et d’un espace de rencontre des savoirs sur l’environnement qui pourra déboucher sur des actions collectives.
23Forum Syd est une ONG créée en 1995 travaillant avec l’ACVC sur divers projets. L’ONG suédoise est composée de 160 organisations suédoises membres, se déclare sans affiliation politique ni religieuse, et fonde sa coopération sur le respect des droits humains. Le but de Forum Syd est d’accompagner des populations locales qui souffrent de la pauvreté en soutenant leurs capacités d’organisation et de revendication de leurs droits humains. Forum Syd part du principe que les populations sont les plus à même de définir leurs problèmes et de trouver des solutions, et que leur développement passe par la connaissance et la revendication de leurs droits. Ses financements proviennent majoritairement de l’Agence suédoise de développement (SIDA). L’ONG a un bureau à Bogota depuis 2001 et elle a commencé à travailler dans le pays autour de trois axes principaux : la paix, la démocratie et la participation. De prime abord, les valeurs de chacun·e des actrices et acteurs peuvent différer, mais la posture de travail de Forum Syd est a priori compatible avec les revendications de l’ACVC. Cependant, au cours des interactions autour du projet de campement écologique, quelques différences d’objectifs apparaissent. Alors que les actrices et acteurs locaux formulent leurs objectifs en termes de « revendications »13 pour aller vers un changement de modèle économique et social, les coopérant·es cherchent à co-identifier les « besoins » des populations locales, à les faire participer, ce que l’ACVC considère comme étant sa prérogative. À travers diverses interactions, une progressive négociation se met en place entre l’ACVC et Forum Syd. Les compétences et la personnalité des actrices et des acteurs sont essentielles pour comprendre la construction d’un sens commun afin de mettre en place le projet, que l’on peut analyser à travers trois moments de rencontre.
Première rencontre : confrontation des objectifs et mise en commun des intérêts
24Lors de notre premier rendez-vous entre l’ACVC et Forum Syd, Franco commence par exposer la situation actuelle de l’association paysanne, et à l’aide d’un PowerPoint, il insiste sur les atteintes environnementales dans la zone de réserve paysanne, sur le travail de diagnostic et de définition des priorités déjà réalisé par les populations rurales. Docteur en chimie, Franco utilise ses compétences professionnelles pour détailler le rôle du mercure utilisé par l’activité minière dans la contamination des eaux. Les paysan·nes de la région travaillent, en plus de leurs activités agricoles, dans l’extraction de l’or de manière artisanale. La sensibilisation sur les risques pour leur santé et pour l’environnement doit s’accompagner de propositions d’alternatives économiques. Franco expose ensuite les cartes des concessions minières octroyées aux entreprises et les met en parallèle avec les nombreux risques environnementaux identifiés sur le territoire. Son discours s’appuie sur des arguments scientifiques et il entre peu dans les débats politiques autour de la défense du territoire. Cependant, en calquant les risques environnementaux avec la carte des concessions minières, il laisse ses interlocutrices et interlocuteurs faire le lien entre la politique nationale d’exploitation des ressources naturelles et les dégradations environnementales. Il conclut en expliquant qu’il est nécessaire pour l’ACVC d’organiser un campement écologique dans ce contexte.
25L’un des représentants de Forum Syd, Fernando, prend après la parole : il propose d’accompagner financièrement l’association pour le campement écologique — ce que l’ACVC souhaite — et d’organiser des ateliers de « formation de formatrices et formateurs » avant le campement. Il présente une méthodologie de travail développée par l’ONG pour intégrer différentes personnes et les faire participer en vue de préciser les besoins des populations locales. Il explique que cela pourrait servir à l’ACVC pour former des paysan·nes capables de porter les propositions qui émergeront du campement sur le long terme. Fernando explique qu’un « agenda environnemental » ne naît pas si facilement, qu’il faut d’abord identifier les problèmes ressentis par les populations, puis émettre un diagnostic.
26Franco reprend la parole et lui répond que ce travail de diagnostic et d’identification des besoins a déjà été réalisé, que l’ACVC est maintenant prête à faire un agenda : les paysan·nes ont identifié leurs problèmes. Fernando distribue alors le manuel de méthodologie et propose néanmoins de réaliser un atelier avec un petit groupe de personnes qui seraient amenées à transmettre ces connaissances dans l’organisation. La réunion se clôt sur la question stratégique de Franco et celle qui importe le plus pour l’ACVC : qui financerait cet atelier ? Forum Syd s’y engage.
Encadré 7. La méthodologie participative pour « le renforcement des capacités locales » de Forum Syd
Étape 1 : Construire un espace commun. Expliquer le rôle d’un·e facilitrice/facilitateur pour la communauté.
Étape 2 : Appréhender le contexte : quels sont les problèmes ? Construction d’un arbre à problèmes.
Étape 3 : Questions de genre : ces problèmes affectent-ils les femmes et les hommes de la même manière ?
Étape 4 : Identifier les droits : quelles sont les structures de pouvoir ? Quelles sont les autorités responsables/garantes de protéger ces droits ?
Étape 5 : Quels sont les changements souhaités ? Quelles sont les activités nécessaires pour parvenir à ce changement ? Construction d’une cartographie sociale du territoire. Identification des ressources et des obstacles. Mise en place d’un plan communautaire à partir du diagnostic et des volontés de la communauté.
Étape 6 : Comment le groupe de « facilitatrices et facilitateurs » va-t-il travailler avec la communauté ? Et comment lier d’autres actrices et acteurs ?
Deuxième rencontre : « faire participer » les populations locales. Confrontation entre le travail des ONG et le travail militant de l’association paysanne
27Avant l’arrivée des représentant·es de l’ACVC au deuxième rendez-vous, j'en profite pour interroger Fernando sur les orientations données par l’ONG concernant ce type de projet. Il précise que le projet doit entrer dans les axes prioritaires de l’ONG, mais il sait par expérience que les organisations sociales n’ont pas toujours le même point de vue. Il connaît bien les zones d’intervention de l’ONG, et sa connaissance des actrices et acteurs locaux lui permet de « bricoler » avec les fonds et directives reçues pour faire coïncider les situations locales avec le fléchage des bailleurs de fonds. Il m’explique aussi qu’il n’est pas dépourvu de marges de manœuvre et de réflexivité quant à sa position et à son employeur. À l’arrivée de Franco, la réunion commence. Franco m’avait chargée de lire la méthodologie de Forum Syd et de trouver un « compromis » entre ce que l’ONG a l’habitude de faire et ce qui a été discuté au sein de la direction de l’ACVC concernant l’agenda écologique souhaité. Franco sait que je peux comprendre les exigences de l’ONG et de leurs bailleurs, et dialoguer avec elle tout en ayant en tête les lignes directrices définies lors des dernières réunions avec l’équipe de direction de l’association paysanne. Or, la méthodologie de l’ONG prévoit toute une partie de diagnostic (étape 2 : identifier les problèmes) et de concertation sur les solutions à apporter (étape 5 : identifier les changements souhaités), des étapes que l’ACVC considère achevées suite à la construction du plan de développement de la ZRC. Pour l’ONG, l’aide aux projets de coopération doit s’accompagner d’un processus participatif, matrice de Forum Syd. Pour l’ACVC, les ONG n’ont ni à orienter leurs manières de fonctionner ni à définir les priorités locales exprimées par les paysan·nes, qui constituent le cœur de leur travail militant. Un rapport de force s’installe entre Fernando, désireux de mettre en place « sa » méthodologie pour travailler avec les paysan·nes, et Franco, qui lui fait comprendre que l’ACVC a des lignes de travail définies et ne souhaite pas que celles-ci soient discutées avec l’ONG. Fernando explique alors que l’agenda ne peut être prédéfini et que le travail au niveau des communautés peut être distinct du travail plus politique de l’ACVC. Franco clôt le débat en répondant calmement qu’il n’y a pas de différences entre l’ACVC et les communautés : « Les communautés sont l’ACVC. » Les discussions reprennent sur des aspects plus pragmatiques comme l’organisation des ateliers. Une sorte de compromis non formulé semble être trouvé entre la mise en place de la méthodologie de l’ONG et le respect des orientations de l’ACVC qui seront reprises dans la méthodologie. Franco demande quelle sera la participation financière de Forum Syd et Fernando explique que l’ONG financera l’atelier, une partie du campement, et qu’elle continuera à accompagner structurellement l’association paysanne.
Troisième rencontre : comment respecter « l’axe genre » ?
28Cette dernière réunion avant l’atelier de formation des formatrices et formateurs, qui aura lieu à Barrancabermeja, porte sur les derniers détails d’organisation. Fernando aborde la question des personnes qui participeront à l’atelier et met en avant l’importance de la parité femme/homme. L’axe genre est, en effet, l’un des objectifs de l’ONG, et pourrait, selon Fernando, apporter une réflexion supplémentaire pour le campement. Franco explique que la majorité des leaders aptes actuellement à transférer des connaissances dans leur communauté sont des hommes, mais qu’il va également convoquer quelques femmes paysannes, si elles sont disponibles et si elles souhaitent assister à l’atelier. De même, certain·es membres de l’équipe technique seront également formé·es à cette méthodologie, celle-ci étant majoritairement composée de femmes. Fernando et Franco se quittent en bonne entente, satisfaits de leur échange.
Réalisation de l’atelier ACVC-Forum Syd à Barrancabermeja
29Au cours de l’atelier de formation, organisé sur trois jours à Barrancabermeja, les confrontations et compromis entre Forum Syd et l’ACVC continuent d’être perceptibles. Cet atelier est une rencontre entre deux acteurs, qui ont trouvé des objectifs communs, mais ne parlent pas depuis le même point de vue. Pour Forum Syd, la participation est un « objectif » central de la démocratisation et doit permettre de construire des décisions représentatives de la diversité des membres. La participation des femmes est un des « axes » prioritaires de l’ONG, qui cherche à renforcer les capacités des paysannes. Le but de l’ONG n’est pas seulement d’aider financièrement des organisations locales, mais aussi de renforcer des processus collectifs, pour que ces derniers soient plus inclusifs. Le processus semble compter davantage que le résultat pour l’ONG. D’un autre côté, l’ACVC est une organisation paysanne à la hiérarchie claire et qui défend des « causes » politiques. Pour l’association paysanne, renforcer ses capacités signifie surtout porter ses « revendications » sur son territoire et à d’autres niveaux de mobilisation. Alors que Forum Syd cherche à travers ces ateliers à transmettre des instruments d’« empowerment », l’ACVC cherche à former des leadeuses et des leaders capables de défendre les « revendications collectives ».
30Derrière ces différentes perspectives, les intérêts de l’ACVC et de Forum Syd se rejoignent pourtant. Cet effort de dialogue est le fait du travail des intermédiaires que sont Franco et Fernando, des acteurs clés dans le processus de traduction et de concrétisation de ce projet de coopération. En effet, l’ONG cherche des « facilitatrices/facilitateurs », tandis que l’organisation locale recherche des « politisatrices/politisateurs » de situations locales, pour reprendre les deux visages de l’intermédiaire selon Olivier Nay et Andy Smith [Nay & Smith, 2002]. Ces intermédiaires rendent ces deux termes compatibles grâce à des interactions au cours desquelles ils construisent cet intérêt mutuel. Ces processus ne sont pas pour autant objectivés et explicités. Ils sont plutôt le résultat de longues relations entre des actrices et acteurs internationaux et les actrices et acteurs locaux qui ont appris à se connaître. L’ACVC et Forum Syd ont renforcé durablement leurs relations, ainsi que les affinités personnelles entre Fernando et Franco.
Des actrices et des acteurs internationaux pas si étranger·ères, des paysan·nes pas si dépaysé·es
31Les nombreuses interactions à Bogota, la fluidité des échanges malgré des décalages et la présence d’intermédiaires sont rendues possibles, car ces actrices et acteurs évoluent dans un espace militant similaire et partagent des propriétés sociales. La durée du conflit colombien et la permanence de l’urgence ont amené les professionnel·les de l’humanitaire et du développement à rester sur le long terme en Colombie, ce qui les a en partie mené·es à évoluer et être socialisé·es au sein des mêmes cercles professionnels, militants et amicaux que les ONG colombiennes. Par extension, ces espaces partagés sont des points de rencontre avec les militant·es paysan·nes et afrodescendant·es. Les connexions entre les organisations paysannes et les milieux urbains se sont accentuées ces dernières années. Par exemple, les communautés afrodescendantes entretiennent des liens très fort avec l’ONG CIJYP qui est centrale dans le tissu associatif colombien, tandis que l’ACVC a orienté stratégiquement ses actions vers une présence plus soutenue dans la capitale colombienne.
32Avec le temps, les professionnel·les internationaux perdent leur caractère d’étrangeté. Paysan·nes, militant·es des droits humains, membres d’ONG nationales et internationales, responsables de projets onusiens, universitaires ou expert·es en développement, etc. circulent dans un même espace militant à Bogota. Les conférences, assemblées et rencontres culturelles sont autant de moments d’échanges et de convivialité entre des actrices et des acteurs qui ont appris à se connaître. Ce rapprochement s’explique également par une convergence dans le profil des actrices et acteurs du local et de l’international qui interagissent. En effet, les organisations paysannes choisissent souvent des leadeuses et leaders non paysan·nes, appelé·es « professionnel·les » et désigné·es comme étant en charge des relations avec les actrices et acteurs internationaux. Ces personnes, d’abord jeunes étudiant·es puis diplômé·es, maîtrisent les « codes » de l’international et le fonctionnement des ONGI, et partagent le même contexte urbain et intellectuel que leurs interlocutrices et interlocuteurs internationaux. Franco, membre de l’ACVC, en est l’exemple. Originaire de la région de Barrancabermeja, il a milité au sein des Jeunesses communistes lorsqu’il était étudiant. Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur, il a réalisé son doctorat en Italie. Il a beaucoup voyagé à l’étranger et maîtrise d’autres codes d’interaction sociale. À l’inverse, les ONGI, OI et agences onusiennes ont également recours à du personnel local pour mettre en œuvre les projets, ce qui réduit d’autant plus la distance avec les organisations paysannes. C’est le cas de Fernando, qui travaille pour l’ONG suédoise Forum Syd. De nationalité colombienne, il est diplômé d’une université publique du pays et me confie avoir un passé militant « dans les mouvements de gauche ». Il maîtrise les problématiques des zones rurales en Colombie et a d’ailleurs réalisé un travail de recherche sur les zones de réserve paysanne dans le cadre de son master. Il porte un intérêt particulier au développement des campagnes colombiennes et partage une proximité linguistique et culturelle avec les actrices et acteurs locaux avec lesquel·les il interagit au nom de l’ONG internationale. Au moment où Franco et Fernando se rencontrent, on assiste à un échange entre deux acteurs qui ont la même socialisation au sein d’une université publique et un passé militant similaire, loin des éventuels décalages comme ceux observés entre Franco et Pierre. Franco et Fernando sont tous deux les intermédiaires qui permettent la réalisation de ce soutien international pour un projet local.
33Le rapprochement entre actrices et acteurs va encore plus loin, puisque certaines personnes disposent d’une double casquette, celle de membre de l’ACVC et celle de chargée de projet international. C’est le fonctionnement qu’ont adopté la FAO (programme des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) et l’ACVC. La FAO mandate certain·es membres de l’ACVC pour la mise en œuvre d’un projet local de coopération à destination de l’organisation paysanne. C’est le cas de Diana, ingénieure agronome rencontrée sur un bateau sur le fleuve Magdalena, qui m’explique qu’elle a été choisie par la FAO pour mener à bien un projet de potagers agroécologiques dans les communautés rurales de la zone de réserve paysanne. Jeune diplômée, elle a réalisé un stage auprès de l’ACVC et ses compétences correspondaient tant aux caractéristiques exigées par la FAO pour être la porteuse du projet qu’à l’engagement militant requis par l’association paysanne. Pour l’ACVC, c’est l’assurance que la mise en œuvre des projets sera cohérente avec les demandes sociales locales, tandis que pour la FAO, c’est un gage de crédibilité et de visibilité de l’agence onusienne qui agit ainsi au plus près des paysan·nes.
34Ces intermédiaires, à la fois facilitatrices/facilitateurs et politisatrices/politisateurs, permettent à des mondes très différents de dialoguer grâce à leurs caractéristiques communes. En Colombie, un entre-soi militant a émergé au sein duquel on retrouve des organisations des droits humains et des victimes, et des organisations syndicales et paysannes qui partagent un « espace » commun de lutte, au sens de Lilian Mathieu [Mathieu, 2007]. Cet entre-soi militant permet de surmonter des obstacles. Des circulations de pratiques et d’idées sont observables, mêlant processus d’internationalisation et de localisation. Par exemple, les actrices et acteurs locaux vont s’approprier des méthodes de travail inspirées des ONGI, comme la création de cartographie sociale, la construction d’arbres à problèmes, l’identification des allié·es et une certaine « logique projet ». Les leadeuses et leaders paysan·nes se servent de ces outils pour échanger avec leur propre base sociale. À l’inverse, les actrices et acteurs internationaux sont sensibilisé·es aux problématiques locales et vont progressivement « faire remonter » l’importance d’une approche territoriale dans les projets, approche devenue incontournable dans les projets de coopération en Colombie après les accords de paix de 2016. La plupart des grandes ONGI et des OI ont également développé des antennes régionales et ont constitué des équipes qui restent en Colombie sur le long terme. Entre des actrices et acteurs locaux, veillant à ne pas se laisser imposer des manières de faire, et des coopérant·es, préoccupé·es par une certaine éthique et par une dimension participative dans leurs actions, la confiance mutuelle et interpersonnelle permet de concrétiser les projets de coopération.
35Si ces intermédiaires jouent en quelque sorte le « double rôle d’exportateurs et de réimportateurs — ou inversement » [Dezalay, 2015, p. 175], ces circulations à double sens de personnes et d’idées ne mènent pas à un « brouillage des rôles entre exportateurs et importateurs », selon la formule de Yves Dezalay [Dezalay, 2015, p. 177]. Derrière ces interactions, il existe des rapports de force très présents, et les échanges ne sont pas égaux. Dans ce double jeu, il ne faut pas perdre de vue que les actrices et acteurs locaux, même délocalisé·es, cherchent à imposer leurs revendications. Ce ne sont pas des développeuses et développeurs apolitiques, mais des personnes mobilisées. Même si dans cet entre-soi militant, les actrices et acteurs locaux et internationaux se ressemblent, à l’image de Franco et de Fernando, leurs rôles ne se confondent pas [Dezalay, 2015, p.184]. Ces savoirs et pratiques sont questionnés par les organisations paysannes qui tentent, par différents moyens, de poser des limites à l’importation de savoirs experts extérieurs.
Réappropriation et localisation des ressources internationales
36Les organisations paysannes se sont adaptées à ce nouveau panorama de la coopération. Elles ont pris en compte les exigences des ONGI et OI et appréhendé leur fonctionnement. Cependant, les leadeuses et leaders paysan·nes ne deviennent pas pour autant des « courtiers de l’international » [Dezalay, 2004]. Sous certains aspects, ces dernier·ères ont un rôle de médiation central dans ces dispositifs de développement, et tentent de les repolitiser et de se les réapproprier pour qu’ils correspondent aux ressources nécessaires pour continuer à mener leurs luttes. Les travaux de Lilian Mathieu sur la notion d’espace des mouvements sociaux nous rappellent que le travail des actrices et acteurs consiste en partie à définir les frontières de ces espaces de lutte [Mathieu, 2002]. Les militant·es qui, à certains égards, sont des bénéficiaires de l’aide, ne cherchent pas à capter « une rente de développement », mais plutôt à assurer la pérennité de leur collectif et la défense de leurs revendications locales, à la différence des pratiques identifiées sur d’autres terrains par les anthropologues du développement [Blundo, 1995 ; Olivier de Sardan, 2000]. Pour ce faire, on peut observer deux mécanismes conjoints : d’une part, un travail de réappropriation des ressources internationales (dispositifs, financements, réseaux), et d’autre part, la localisation de ces ressources pour les rendre cohérentes avec ce dont ont besoin les paysan·nes et pour les faire parvenir jusqu’aux villages les plus reculés. Les paysan·nes colombien·nes utilisent cette internationalisation de trois façons : en valorisant les réseaux internationaux acquis pour gagner en légitimité au niveau national (effets classiques du plaidoyer et résultats moins traditionnels de l’effet boomerang), en traduisant les revendications locales en « projets de coopération » pour concrétiser leurs actions collectives, et enfin en tentant de politiser l’aide internationale avec plus ou moins de succès.
Utiliser les réseaux internationaux pour gagner en légitimité au niveau national
37Le soutien international, bien que très important en Colombie, ne résout pas les demandes politiques des organisations paysannes. Leurs revendications en termes de droit sont plutôt adressées aux autorités colombiennes. L’internationalisation de la situation des campagnes colombiennes n’a, en soi, qu’un impact réduit sur le quotidien des paysan·nes, mais elle devient un réel moyen de lutte dès lors que les actrices et acteurs locaux s’en emparent pour s’affirmer sur la scène nationale colombienne. Les plaidoyers menés par les ONGI ont mis en avant les communautés locales à l’étranger et ont eu pour effet de les sortir de leur isolement, voire de leur stigmatisation, en tant qu’éventuel·les guérilleras et guérilleros aux yeux du gouvernement colombiens. Les paysan·nes se sont d’abord servi·es de ces appuis pour continuer à exister en tant qu’organisations collectives, puis ont utilisé ces soutiens internationaux pour gagner en légitimité au niveau national afin d’apparaître comme des interlocutrices et interlocuteurs légitimes vis-à-vis du gouvernement colombien. C’est ce que Jésus, membre de la communauté de paix de San José de Apartadó, un village situé près de la ville d’Apartadó, m’explique. Quand je le rencontre à Apartadó14 dans les locaux de l’ONG PBI, il doit, ce jour-là, serrer la main du président de la République et recevoir des excuses officielles de l’État colombien pour les exactions commises à l’encontre de son village. Le cas de cette communauté est l’un des plus médiatisés en Colombie et est un symbole de résistance qui a suscité l’émoi de nombreuses ONGI. Après avoir voyagé dans de nombreux pays pour sensibiliser sur la situation de la communauté de paix, Jésus tire des conclusions assez sceptiques quant aux effets directs de cette visibilité. Selon lui, ses voyages et ses rencontres avec divers·es actrices et acteurs internationaux n’ont pas eu les effets escomptés sur le gouvernement colombien, puisque la communauté reste stigmatisée et que les paramilitaires continuent de menacer les habitant·es. Il se dit « réaliste » sur l’internationalisation de la communauté de paix : si les effets ne sont pas directs, il convient qu’il est essentiel de saisir ces espaces de communication au niveau international pour s’exprimer. Selon Jésus, l’enjeu est de pouvoir donner sa version, la « vraie » version des faits, la vision des paysan·nes. Il pense que ces actions de sensibilisation ont contribué, sur le long terme, à créer de nouvelles relations au niveau national, notamment avec l’État colombien. C’est le travail d’internationalisation en tant que tel qui a permis à sa communauté de rencontrer des universitaires, des professionnel·les colombien·nes, des personnes qu’il n’aurait jamais pu contacter sans ce qu’il appelle « ce saut » à l’international. L’effet boomerang, qui décrit le rôle de la pression internationale sur un contexte national, a donc un impact pour les communautés qui gagnent en confiance dans leurs luttes. En cela, les financements, les échanges avec des actrices et des acteurs internationaux et les réseaux constitués permettent à des populations marginalisées qui se sentent peu légitimes de renforcer leurs convictions. L’aide internationale contribue à renforcer les capacités des organisations locales qui s’illustrent par leurs facultés à faire usage, voire à détourner l’aide humanitaire, pour positionner leurs revendications sur la scène colombienne.
38La dimension internationale n’a pas toujours la place ni les effets que l’on imagine au sein des collectifs. S’internationaliser induit de pouvoir construire la lutte locale, de comprendre les mécanismes d’oppression et d’accaparement à l’œuvre, de se faire des allié·es et de renouveler l’action collective. En définitive, pour les paysan·nes colombien·nes, le niveau international sert surtout à exister sur la scène nationale, privilégiée par les militant·es pour obtenir un changement effectif et durable de leur situation.
Traduire les revendications et se réapproprier les projets de coopération
39Pour les organisations paysannes, les relations avec les coopérant·es sont des moments d’apprentissage pour formuler les causes et pour les communiquer. L’enjeu pour les paysan·nes est de pouvoir traduire leurs actions collectives et leurs revendications en projets de coopération susceptibles d’être financés.
40Au sein de l’ACVC, la réappropriation des thématiques portées par la coopération internationale fait l’objet d’un travail minutieux et organisé. Pour les leadeuses et leaders paysan·nes, l’objectif est d’orienter les ressources internationales disponibles pour valoriser le territoire. Cette organisation a traduit stratégiquement ses revendications en morcelant ses causes afin de glaner plusieurs types de financements et de mobiliser divers soutiens internationaux. La « défense du territoire » est par exemple séquencée en plusieurs objectifs, susceptibles d’attirer et d’obtenir des financements sur projets : développement durable, paix, droits humains, femmes et développement, accès à la terre, souveraineté alimentaire, etc. L’organisation des ressources internationales témoigne autant de la diversité des revendications paysannes soutenues par l’ACVC que des capacités de l’organisation à s’adapter aux demandes des actrices et acteurs internationaux. Plusieurs documents internes de l’organisation paysanne répartissent les projets de 1998 à 2014 de la manière suivante : la paix (deux projets financés), les droits humains (cinq projets financés) et le développement rural (dix financements). Certains financements appuient l’organisation d’actions collectives pour des événements de grande ampleur, comme des rassemblements pour la paix et des rencontres entre plusieurs zones de réserve paysanne provenant de tout le pays. Ce que l’association appelle, dans son travail militant, « renforcement organisationnel » correspond aux projets fléchés « droits humains » pour les bailleurs.
41L’ACVC est parvenue à se réapproprier des projets internationaux de coopération pour les rendre plus cohérents avec les besoins locaux et les causes défendues par l’association. Le projet de production de viande et de lait de buffle en est une illustration. Financé au départ par l’UE à travers le Programme de paix et développement pour le Magdalena Medio, ce projet prévoyait de donner des buffles aux familles paysannes. L’ACVC devait être en charge de les distribuer aux familles, mais a décidé de mettre en place un système de collectivisation en créant un « comité buffles », chargé de suivre la reproduction du bétail et l’intégration progressive des familles au projet en les formant et en assurant le renouvellement progressif du cheptel. À chaque nouvelle famille qui intègre le « comité buffles » sont distribués huit femelles et un mâle, et la famille s’engage à redonner le même nombre d’animaux à l’association, qui les redistribuera à une autre famille, et ainsi de suite. De cette façon, à partir d’un projet modeste, l’association a intégré au fur et à mesure plusieurs familles et leur a permis de se former à l’élevage de buffles et de créer d’autres projets de commercialisation (viande, lait puis fromage). Tou·tes les bénéficiaires du projet sont rattaché·es à un comité qui organise la répartition du travail et s’occupe du cheptel collectif. La gestion collective et la coordination assurée par l’ACVC lui ont permis de multiplier le projet dans les trois zones d’action de l’association dans la vallée du fleuve Cimitarra. Ces fermes collectives servent aussi de lieux de rencontre pour dispenser les formations nécessaires pour prendre soin des animaux et sont utilisées comme un fonds de réserve pour la reproduction du cheptel. Liant souveraineté alimentaire, principes de solidarité entre les familles et collectivisation d’une partie de la production, ce projet correspond à la vision politique du développement rural défendue par l’ACVC, loin des objectifs prévus par le financement européen de départ. Lors d’un échange informel, l’un des leaders de l’ACVC m’explique que le projet a créé des ressources économiques pour ces familles et qu’il les a mises en relation grâce aux comités, créant ainsi des espaces collectifs. Ce mode opératoire est appliqué à tous les autres projets de développement agricole dans la zone de réserve paysanne : production de riz, de sucre de canne, de bovins, etc. Tous ces comités de production sont directement rattachés à l’ACVC qui pilote le devenir économique des projets et fait en même temps passer ses messages politiques dans les campagnes.
42À partir de 2006, les aides perçues par l’ACVC se diversifient et proviennent de plusieurs agences de coopération et d’ONGI, et plus seulement de l’UE. Les financements sont plus modestes et portent sur des projets ponctuels de plus courtes durées. Alors que la question du développement rural est une constante, les formations sur les droits humains laissent progressivement la place à d’autres enjeux de « renforcement organisationnel », comme des formations techniques (agronomes, juristes, comptables, etc.) qui témoignent d’un développement important au sein de l’organisation paysanne. L’ACVC demande et reçoit également des financements pour des événements et des projets en dehors de la région Cimitarra, alors qu’auparavant, tous les projets de développement étaient exclusivement pour la zone de réserve paysanne. L’expérience des projets productifs de la ZRC de l’ACVC est exportée dans d’autres zones du pays où l’ACVC se porte garante, auprès des bailleurs internationaux, de la bonne mise en œuvre des projets pour d’autres organisations paysannes amies. Par exemple, FOS Colombia (fonds fino-suédois de coopération pour la société civile colombienne) a financé pour la période 2012-2015 des « rencontres nationales de communautés afrodescendantes, indigènes et paysannes pour la terre et la paix », un financement dont la gestion a été confiée à l’ACVC aux côtés d’autres organisations sociales. L’organisation paysanne se réapproprie ainsi des ressources internationales pour en faire bénéficier d’autres organisations locales colombiennes. Plusieurs projets discutés au sein de l’ACVC concernent par exemple l’Association nationale des zones de réserves paysannes (ANZORC), car les deux associations mutualisent leurs relations internationales. Tous ces éléments confirment le fait que l’association paysanne ACVC est parvenue à canaliser l’aide internationale, à la rendre cohérente localement, à s’en servir pour consolider l’association, puis pour étendre son travail militant en dehors du Magdalena Medio.
43En miroir de l’ACVC, les communautés de Jiguamiandó et de Curvaradó font une autre expérience des projets internationaux. Elles ne sont pas toujours en mesure de se les réapproprier pour qu’ils correspondent à leurs besoins et ne parviennent pas à avoir prise sur les coopérant·es. Le registre humanitaire, très présent, se traduit par des visites ponctuelles et sporadiques de quelques ONGI et agences onusiennes pour une aide matérielle qui s’amenuise vite : un projet de Christian Aid pour l’installation de toilettes sèches, une présence sporadique du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et quelques projets financés par Suiz-Aid et Oxfam pour la distribution de graines permettant aux populations de recommencer à cultiver leurs champs. Les « projets » sont rares. La situation sécuritaire est tendue et la question de la propriété de la terre non résolue : il y a trop d’incertitudes pour les ONGI. L’aide est alors très fragmentée et ponctuelle, et il est difficile d’identifier une logique dans ces liens avec les partenaires internationaux. Les communautés ne semblent pas avoir de réels contrôles sur ces projets qui arrivent préconçus et fléchés pour des populations vulnérables et pour des besoins urgents.
Politiser l’aide internationale pour la transformer en outils de lutte
44Le dernier aspect de la réappropriation de l’aide internationale concerne les tentatives de les transformer en outils de lutte locale. Les leadeuses et leaders paysan·nes interrogé·es sur leur lien avec la coopération internationale mettent surtout en exergue des relations qualifiées de « politiques », dans la mesure où elles leur permettent d’aborder réellement le cœur de leurs revendications. Leur opposition à l’État colombien n’est pas feinte : les communautés afrodescendantes l’accusent de complicité dans leur déplacement, et l’ACVC pointe du doigt l’absence structurelle de l’État dans la région. Si l’aide d’urgence permet de répondre aux conséquences immédiates, et les projets de développement de maintenir les populations paysannes sur leurs territoires, celles-ci cherchent surtout à rendre compréhensibles la portée politique de leurs revendications auprès des actrices et acteurs internationaux. Pour le mouvement paysan, la défense du territoire va de pair avec une opposition ferme aux logiques de concentration et d’accumulation de terres. Ces discours trouvent difficilement un écho dans leurs échanges avec leurs partenaires internationaux. Sur ce point, l’ACVC tente un travail stratégique pour développer des liens plus politiques au niveau international et pour politiser davantage l’aide internationale qu’elle perçoit. À l’inverse, les communautés afrodescendantes de Jiguamiandó et Curvaradó ont des liens politiques plus flous. Elles parviennent à faire évoluer les positionnements de leurs partenaires à l’étranger, mais peinent à en tirer des avantages pour leurs luttes locales.
45Pour l’ACVC, les relations politiques font partie intégrante des stratégies d’internationalisation, et l’association tente de développer des liens propres avec des partenaires à l’extérieur. Les voyages à l’étranger des membres de l’ACVC sont de bons indicateurs de la pluralité des liens qu’entretient l’organisation paysanne, car ils sont l’occasion de consolider des partenariats, d’entretenir des relations, mais aussi de créer de nouvelles opportunités. Les grandes tournées européennes effectuées par les principaux leaders de l’organisation à la fin des années 1990 et pendant les années 2000 suivent, dans un premier temps, les pas des réseaux des exilé·es politiques latino-américain·es des dictatures du Cône Sud et colombiens, du PCC et de l’UP, puis se diversifient. Les paysan·nes de l’ACVC rencontrent divers député·es européen·nes de gauche et certain·es parlementaires des parlements nationaux européens. L’ancrage politique des revendications paysannes est ainsi maintenu dans ces relations internationales. Pour Camila, membre de l’ACVC, ces relations permettent à l’association de mettre en commun des intérêts entre l’ACVC et des partis politiques, et ce bénéfice est réciproque.
« (…) L’autre axe, qui est plus propre à l’ACVC, plus politico-social, on va dire que ce n’est pas nécessairement un travail de droits humains, mais [un travail] qui questionne, de manière convaincante, le système politique colombien. Cela est lié aussi aux exilés du monde, parce que ces derniers ont généré des réseaux à travers leur travail.
_ Mais pour aller au Parlement européen (elle l’avait mentionné un peu plus tôt dans l’entretien), il faut avoir des contacts, non ?
_ Oui bien sûr, mais là on parle d’un travail de plus de dix ans. Mais aussi regarde, la proposition de travail de l’association est très forte, très convaincante, sa capacité d’organisation, sa capacité à se documenter, et aussi la capacité à proposer, c’est un groupe très important. Alors, ces voyages à l’étranger, tu vois, ces exilés, ces personnes, ces groupes de solidarité, pas seulement les exilés d’ailleurs, parce qu’il y a beaucoup d’Européens qui se joignent à ce travail, et bien tout cela se joint au travail des parlementaires, des journalistes, avec les partis communistes et socialistes européens, qui ont clairement des commissions de travail international. En définitive, c’est réunir des intérêts avec les nôtres, non ? Pour eux, leur travail est plus convaincant là-bas quand ils amènent la voix de la personne, le visage de la personne qui porte les dénonciations de ce qui se passe en Colombie par exemple ; ou ce qui se passe dans le tiers-monde en général. Alors on peut dire que c’est une stratégie qui rend plus convaincant le travail que nous pouvons faire, autant pour eux que pour nous15. »
46Pour l’ACVC, ces liens plus « politiques » permettent de se placer sur un pied d’égalité avec leurs interlocutrices et interlocuteurs internationaux, qui sont des « partenaires ». À partir de 2010 et de la constitution du mouvement politique la Marche patriotique16 par plusieurs organisations sociales colombiennes, l’ACVC a réaffirmé les prétentions politiques de l’association, ce qui s’est traduit par de nouvelles relations internationales. Gilberto Guerra, président de l’association au moment de l’enquête, explique qu’il est nécessaire d’articuler les revendications paysannes avec le mouvement politique de la Marche patriotique et de mener une internationalisation conjointe. Selon lui, l’ACVC assume un choix délicat dans cette alliance, puisque l’articulation à un mouvement politique peut faire perdre à l’association paysanne des ressources internationales. En positionnant publiquement son « opposition au système17 », l’association peut perdre le soutien d’actrices et acteurs internationaux peu enclin·es à afficher leur proximité, voire leur accord avec un mouvement politique comme la Marche patriotique. Mais Gilberto le répète à plusieurs reprises : c’est un coût que l’association est prête aujourd’hui à assumer, car il est essentiel, selon lui, de repolitiser les questions agraires et d’articuler la lutte territoriale au-delà de la rivière Cimitarra. Finalement, malgré cette affiliation politique affichée, l’ACVC semble avoir gardé de très bons contacts parmi ses partenaires plus classiques, et l’association a pu développer un axe de travail appelé « incidence politique ». En regardant de près ces demandes de financement, on observe que l’argumentaire paysan se complexifie : de la situation spécifique des paysan·nes de la vallée de la rivière Cimitarra, l’ACVC met en avant des solutions politiques au problème agraire en Colombie au niveau national.
Encadré 8. Un exemple d’une demande de financement international pour ANZORC pour un projet de six mois intitulé « Incidence politique »18
« Objectif général :
Renforcer les capacités d’incidence politique de l’ANZORC pour la défense des zones de réserve paysanne.
Objectifs spécifiques :
Générer des alliances avec des organisations sociales et politiques en Europe pour la défense des zones de réserve paysanne ;
Positionner dans l’agenda public, dans les médias, auprès de l’État, de la société civile et de la communauté internationale, la proposition politique et programmatique des ZRC pour une réforme agraire intégrale ;
Défendre juridiquement la permanence des ZRC dans l’ordre juridique national à travers des interventions citoyennes.
Les premiers résultats obtenus :
Résultat 1 : Des alliances avec des acteurs politiques et sociaux en Europe pour conserver un soutien aux zones de réserve paysanne (ZRC) ont été réalisées. […] »
47Le projet détaille par la suite toutes les activités comprises dans ce financement, dont de nombreux voyages en Europe pour des réunions « qui se feront avec des organisations sociales et politiques qui soutiennent cette figure juridique (ZRC). Des conférences seront également données dans des universités et auprès d’organisations qui abordent le problème agraire en Colombie et les ZRC comme une figure agraire qui pourrait résoudre ces conflits pour la terre19 ». Ainsi, l’ACVC maximise ses liens politiques à l’international et utilise différentes voies pour sensibiliser ses interlocutrices et interlocuteurs sur la situation dans sa région et pour positionner des revendications d’ordre national. Les financements et la place des relations politiques dans les discours de l’ACVC témoignent d’une maîtrise croissante des rapports avec ces acteurs internationaux. Cependant, ces relations permettent surtout d’affirmer des revendications territoriales aux niveaux local et national. Au niveau international, elles ne donnent pas lieu à la constitution d’un réseau politique large de soutien envers la cause paysanne colombienne. C’est l’une des limites sur laquelle on se penchera dans le prochain chapitre.
48Les communautés afrodescendantes ont, elles aussi, renforcé leurs discours locaux sur les causes structurelles de leur situation et sur les liens entre déplacement forcé et développement de l’agro-industrie sur leurs terres. Les liens que les communautés entretiennent avec des ONGI sont des liens particuliers, interpersonnels et construits avec des actrices et acteurs internationaux qui ont connu les communautés sur place : les associations chrétiennes à l’étranger ou les rencontres nommées « Foi et politique » animées par les membres de l’ONG CIJYP. Même si ces actes de solidarité sont importants pour la visibilité des actions collectives, ces relations animées et permises par CIJYP témoignent d’une solidarité religieuse transnationale assez floue. Cependant, certains partenaires internationaux ont fait évoluer leurs discours en échangeant avec les communautés et en suivant leur développement organisationnel. C’est par exemple le cas du Programme d’accompagnement solidarité Colombie (PASC)20, créé suite à la visite d’une jeune anthropologue canadienne dans les zones humanitaires du Curvaradó. Sensible à l’expérience des communautés et au processus de construction des zones humanitaires, elle décide de créer l’association PASC à son retour au Canada en 2003-2004. Au départ, le PASC envoie des volontaires pour répondre au besoin de présence physique sur le territoire. Puis, au début des années 2000, Maria, une leader afrodescendante, accompagne les bénévoles au Canada pour les sensibiliser sur la situation dans le Curvaradó. La leadeuse de Camélias raconte un échange avec les membres canadien·nes de l’association :
« Non, mais moi je leur ai expliqué point par point, et je leur ai exigé qu’ils nous accompagnent, qu’ils nous appuient dans ce processus, parce que de toute façon, tous les pays internationaux ont mis la main dans le déplacement, parce qu’eux, ils ont amené l’argent. Souvent, ce n’était pas leur faute, parce que le président allait dans les pays internationaux pour demander des ressources pour le bénéfice des communautés, et en fait, c’était pour acheter des avions pour nous faire sortir d’ici. Tout cela, je leur ai expliqué21. »
49La rencontre avec cette leadeuse va changer le travail du PASC qui prend connaissance du discours politique des communautés derrière les enjeux humanitaires. Le PASC va orienter ses plaidoiries au Canada contre le modèle néolibéral en pointant du doigt les entreprises étrangères. C’est ainsi que Blandine, membre de PASC rencontrée à Bogota, explique le positionnement de l’ONG :
« On est ici parce qu’en ce moment, ce qui se passe en Colombie, c’est un agenda global, et par exemple, c’est contre ça qu’on se bat au Canada, contre les orientations néolibérales, contre l’appropriation des ressources naturelles […]. La Colombie, c’est un peu l’Israël des Amériques, le partenaire des États-Unis, c’est le pilier de l’empire dans le Sud22. »
50L’ONG canadienne publie par la suite un journal intitulé Le caillou dans le soulier23 sur les effets des politiques économiques et commerciales de leur pays sur les populations rurales colombiennes. On peut y lire des articles intitulés : « Canada-Colombie : qui a besoin d’un accord de libre échange pour poursuivre les échanges coloniaux ? », « Ciblons les profiteurs canadiens de la guerre en Colombie », « Nouvelles victimes de la palme africaine : Ecocert parle de certification bio ; la communauté de déplacement forcé », « Poursuite contre la minière Drummond accusée de financer les paramilitaires »24. Le ton des dénonciations du PASC fait en partie écho au mouvement altermondialiste. L’ONGI s’est construite à partir des interactions entre les jeunes bénévoles et les communautés du Curvaradó. Aujourd’hui, l’ONG n’envoie plus de bénévoles pour accompagner, mais continue à réaliser des formations au Canada sur les enjeux miniers et leurs conséquences socioenvironnementales dans les pays du Sud, notamment en Colombie. Les relations nouées avec les leadeuses et leaders afrodescendant·es ont ainsi permis à un acteur international de repenser son action de solidarité et de réorienter une action au départ purement humanitaire vers un travail politique de plus grande ampleur. Ce type de plaidoyer permet aux communautés afrodescendantes d’obtenir des soutiens, de renforcer leurs luttes locales en ayant le sentiment qu’elles ne sont pas seules. Cependant, elles peinent à transformer cette politisation en ressources pour leurs luttes locales.
51Rester en vie, gagner en légitimité, renforcer l’organisation sociale, politiser davantage leur situation : l’internationalisation est une ressource pour les organisations paysannes confrontées à un contexte sociopolitique et économique difficile. Les deux organisations ont su tirer parti, de différentes manières, de l’attention de différents types d’actrices et d’acteurs internationaux, pour s’en servir afin de continuer à mener des luttes dans un cadre national et local. Pour ce faire, l’ACVC a pensé ces relations de manière stratégique en se réappropriant les projets et en les localisant. Les communautés afrodescendantes ont moins de prises sur leurs relations internationales, mais leur cas est à présent reconnu, visible, et certains de leurs partenariats ont permis de faire le lien entre le déplacement forcé et une interrogation plus large sur le développement des campagnes des Suds.
*
52Ce chapitre s’est intéressé à l’internationalisation des paysan·nes colombien·nes depuis leur point de vue : que faire de ces relations internationales parfois tissées dans l’urgence ? Quelles sont les ressources qu’elles et ils en retirent, et comment agir face à ces actrices et acteurs ? J’ai détaillé le long processus d’interactions sociales entre actrices et acteurs locaux et internationaux qui a façonné les comportements des ONGI et OI et ceux des militant·es paysan·nes qui ont appris à interagir avec ces partenaires étranger·ères. Il ressort que ces relations locales-globales se concrétisent surtout à Bogota où s’est progressivement constitué un espace professionnel et militant entre coopérant·es de l’étranger et militant·es colombien·nes issu·es de différentes associations. Au sein de ces espaces se négocie la « solidarité » internationale. Elle se met en place et se concrétise malgré des divergences entre les objectifs des coopérant·es et les revendications des paysan·nes. Les paysan·nes colombien·nes ont développé des capacités dans la gestion des projets de coopération et dans l’usage stratégique des soutiens internationaux en vue d’apparaître comme plus crédibles et légitimes vis-à-vis des institutions colombiennes et de leur propre base sociale. Les membres des organisations locales ont aussi appris à traduire leurs revendications en projets susceptibles d’être financés et cohérents avec leur lutte locale. Enfin, il existe plusieurs tentatives de politisation de l’aide internationale pour que celle-ci serve les causes défendues localement.
53En définitive, ces relations internationales ne remplissent pas toujours l’objectif initial fixé par les coopérant·es — les projets de développement ont un impact réduit, les plaidoyers n’ont pas permis de sensibiliser davantage sur les conséquences du développement des campagnes colombiennes, l’accompagnement international n’arrête pas les assassinats de leadeuses et leaders—, mais ont d’autres finalités. Ces relations sont appropriées, transformées, réutilisées par les actrices et les acteurs pour renforcer leurs capacités locales, obtenir une certaine crédibilité sur la scène nationale et, dans une certaine mesure, permettre aux collectifs de continuer à exister.
54Ces résultats de l’internationalisation ne sont pas lisibles si l’on se contente de lire les bilans des ONGI et OI. Il faut appréhender l’usage qu’en font les actrices et acteurs dits « bénéficiaires ». Il faut porter une attention particulière aux interactions sociales concrètes entre actrices et acteurs pour décrypter ce qu’il se passe (échanges d’intérêts, incompréhension, émotions, amitié), ainsi qu’au travail d’intermédiation, qui oblige à prendre en compte le temps long, et aux espaces d’échanges militants et professionnels.
55Deux voies distinctes sont empruntées par les organisations paysannes vis-à-vis de leurs partenaires internationaux. D’un côté, l’ACVC pense son internationalisation en tant que telle. Elle s’approprie les logiques thématiques des actrices et acteurs internationaux et tente de développer de nouveaux liens plus politiques. De l’autre côté, les communautés afrodescendantes sont dépendantes d’un intermédiaire dans leurs relations avec leurs partenaires de l’international et restent tributaires d’une aide fléchée « humanitaire », malgré de fortes relations tissées avec des collectifs chrétiens. La complexité des contextes microlocaux est parfois difficile à saisir par des coopérant·es qui cherchent une population cible pour la mise en œuvre de projets. Les actrices et acteurs locaux ignorent quelques fois la complexité des alliances suscitées. Les organisations paysannes semblent donc aux prises avec un « internationalisme complexe » [Della Porta & Tarrow, 2005, p. 11-12], très présent dans les discours des leadeuses et leaders, mais parfois incomplet dans la pratique. La longue liste des partenaires de l’international impliqué·es auprès des organisations sociales locales laisse difficilement émerger l’idée d’une cause commune entre ces actrices et acteurs. Les paysan·nes colombien·nes semblent être alternativement des sujets politiques, des pauvres du milieu rural, des civil·es en danger, des victimes du conflit ou du néolibéralisme. La question paysanne n’est pas transmise au niveau international telle qu’elle est exprimée au niveau local. L’international même transformé en ressource est une réelle épreuve pour les communautés paysannes.
Notes de bas de page
1 Par la suite, le cas sera mis en avant à la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. Voir http://elpais.com/diario/1999/11/26/internacional/943570820_850215.html [Dernière consultation le 15 octobre 2021]
2 Au cours des trois années de terrain, j’ai eu l’occasion d’échanger de nombreuses fois avec les équipes de PBI, et notamment avec l’équipe d’Apartadó qui couvre la zone du Bas Atrato, puisque cette équipe est régulièrement en mission auprès des communautés de Curvaradó, de Jiguamiandó ainsi que des autres bassins voisins. Lors de mon premier déplacement à Apartadó, cette équipe m’a accueillie dans leur maison pendant plusieurs jours et j’ai pu transformer ce temps d’attente en un moment privilégié d’observation et d’échanges sur l’engagement des jeunes volontaires.
3 Extrait de mon journal de terrain, Bas Atrato, Colombie, octobre 2014.
4 Entretien avec une membre de PBI, Bogota, octobre 2012.
5 Entretien avec un membre de l’ACVC, octobre 2013, Barrancabermeja.
6 [En ligne] https://www.inspiraction.org/nosotros/mision [dernière consultation le 20 octobre 2015]. À noter que Christian Aid a depuis fermé cette antenne espagnole et que le site web n'est plus accessible.
7 IEPALA, Planificación estratégica, 2012-2015, p. 6. L’ONG a depuis cessé une grande partie de ses activités. Le document précité énonce d’ailleurs dans ses principes d’action « ne pas s’institutionnaliser et être prêts à disparaître quand nous arrêterons d’être utiles ».
8 Voir l’encadré sur le répertoire religieux et politique des populations du Curvaradó et du Jiguamiandó, chapitre 1.
9 L’article porte spécifiquement sur la circulation des idées entre l’Allemagne et la France et sur les rapports entre les intellectuel·les de ces deux pays. Il montre que certains discours politiques ou religieux acquièrent une efficacité symbolique car ils sont compréhensibles par-delà la structure du champ dans lequel ils sont produits, et du champ de réception depuis lequel est interprété le message [Bourdieu, 2001, p. 65].
10 Ces espaces de rencontre ont été étudiés par les travaux sur l’altermondialisme [Mayer & Siméant, 2004].
11 Entretien avec un président de JAC, département du Bolivar, octobre 2013.
12 Plus tard, en analysant mes carnets de terrain, je me suis rendu compte qu’en tant que chercheuse internationale et missionnée par l’association paysanne, j’étais l’une de ces multiples intermédiaires dont l’ACVC a recours pour convaincre ses partenaires internationaux et pour créer des ponts entre paysan·nes et monde académique.
13 L’usage des guillemets tout au long de cette partie vise à mettre en valeur le vocabulaire utilisé par les actrices et acteurs, et les points de vue que ces usages sous-entendent.
14 Notes à partir du carnet de terrain, Apartadó, mai-juin 2013. En attendant mon départ pour le Curvaradó et le Jiguamiandó, j’ai passé une semaine dans la maison de l’équipe de terrain de PBI à Apartadó. C’est au cours de ce bref séjour que j’ai visité la communauté de paix de San José de Apartadó et échangé avec des leadeuses et leaders paysan·nes.
15 Entretien avec une membre de l’ACVC, Octobre 2013, Bogota.
16 La Marche patriotique est un mouvement politique qui rassemble divers mouvements populaires et de gauche. Ce mouvement est né en 2010 suite à la grande marche de commémoration du bicentenaire de l’indépendance (1810). Selon sa déclaration politique, le mouvement veut une « deuxième et définitive indépendance ». Sur le site du mouvement, la Marche patriotique annonce : « Pendant plus de 200 ans, les puissants ont imposé un projet de nation à la Colombie, un projet basé sur leurs intérêts et l’exploitation des travailleurs, ils ont soumis le peuple à l’opprobre et à la misère dans le but de sauvegarder et de défendre les privilèges mesquins d’une classe, au prix de la faim des secteurs sociaux et populaires. Les Colombiennes et Colombiens ont résisté historiquement aux politiques des puissants, des élites. Le moment est venu pour que le peuple s’unisse et déploie encore plus sa créativité, ses initiatives et ses désirs pour la construction d’un modèle alternatif de pays » [http://www.marchapatriotica.org/, ce site n'est plus accessible]. Le mouvement s’officialise réellement en 2012 et s’est illustré ces dernières années dans les mobilisations pour la paix et dans les marches paysannes de 2013. D’autres « mouvements politiques » qui ne sont pas des partis politiques se sont constitués depuis 2010 et depuis l’ouverture des dialogues de paix en 2012.
17 Entretien avec Gilberto Guerra, août 2014, Barrancabermeja, siège de l’ACVC.
18 Une membre de l’ACVC me demande de rédiger une demande de financement international pour le projet « campement écologique » dont je suis en charge. Je lui demande alors de m’envoyer un modèle, c’est ainsi qu’elle me transmet le document restitué ici. Ce document présente le contexte (« les antécédents »), l’organisation ANZORC, dont fait partie l’ACVC (et qu’elle pilote en partie), et les objectifs du projet. Les résultats obtenus sont retranscrits ici.
19 Idem. Issu du document interne sur le financement du projet d’incidence politique d’ANZORC.
20 De son nom complet « Pour la défense de la vie, la dignité et l’autonomie, projet d’accompagnement et de solidarité avec la Colombie ». Site internet : https://pasc.ca
21 Entretien avec une leadeuse du Curvaradó, zone humanitaire de Camélias, novembre 2013.
22 Entretien avec Blandine, membre de PASC, 8 mai 2013, Bogota.
23 En écho à l’expression colombienne qui signifie quelque chose qui gêne.
24 Le caillou dans le soulier, Printemps 2011, n°8.
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