Chapitre 2. L’ambiguïté du travail domestique : travailler dans un espace privé
p. 75-111
Texte intégral
1Le travail domestique a pour caractéristique d’être réalisé dans l’espace privé d’une famille qui n’est pas celle de l’employée. Dans ce chapitre, nous souhaitons comprendre comment ces employées domestiques définissent leurs conditions et leurs relations de travail. Nous mettrons en lumière leur dépendance aux patron·nes aussi bien que leurs capacités de négociation. Nous observerons dans un premier temps les différentes conditions de travail (durée et espace de travail), ainsi que les relations qui se nouent à travers l’exercice du travail domestique. Nous analyserons ensuite, à partir de la parole des employées domestiques, les violences qui se produisent dans l’espace de travail. Le prisme de la violence fait apparaître ce que les femmes dénoncent comme des humiliations et les comportements passés sous silence.
Espace, temps et relations de travail : perceptions et capacités de négociation avec les patron·nes
2Si le chapitre XIII de la Loi fédérale sur le travail ne définit pas clairement les conditions de travail de l’emploi domestique, nous pouvons analyser comment elles se caractérisent dans les relations de travail. Malgré la variabilité des situations vécues par les employées rencontrées, mon enquête de terrain a fait ressortir plusieurs constantes dans la négociation de l’exercice de ce travail.
La division des espaces
3Puisque le travail domestique est réalisé dans l’espace privé d’un tiers, la notion d’espace m’a paru centrale. J’effectuerai ici une distinction entre les femmes qui vivent sur leur lieu de travail et celles qui bénéficient d’un logement propre.
4La plupart de mes interlocutrices travaillent à demeure (de planta). Le service domestique dans sa modalité de planta a diminué ces dernières décennies, mais n’a pas disparu. Des familles des classes moyenne et haute continuent à embaucher des femmes sous ce mode. Les travailleuses vivent la semaine chez leurs employeur·ses et sortent le week-end pour mener leurs activités propres. L’espace domestique des employeur·ses est donc partagé pendant la semaine avec une femme qui ne fait pas partie de la famille, qui appartient à une autre classe sociale et qui est le plus souvent de « race » différente.
5Les femmes ainsi embauchées ont accès, lors de l’exercice de leur travail, à toutes les parties de l’espace domestique. Mener une observation participante à l’intérieur de la maison des employeur·ses afin d’observer la division des espaces étant extrêmement difficile, j’ai choisi d’analyser la perception de l’espace comme espace de vie – et non de travail – des employées de maison. Dans la plupart des témoignages, les employées racontent qu’une fois leurs tâches réalisées, elles trouvent refuge dans leurs chambres où elles se reposent, regardent la télé, écoutent de la musique ou qu’elles rangent leurs propres espaces. Elles sont peu à rester dans les espaces communs une fois leur travail accompli. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il n’y a jamais de fin au travail domestique et qu’elles peuvent toujours être rappelées à l’ordre pour effectuer une dernière tâche. Les employées domestiques occupent surtout ces espaces communs en l’absence des employeur·ses, comme ce fut le cas lorsque Rosa (Casa Hogar) m’a invitée à déjeuner avec elle dans la cuisine un jour où son patron n’était pas là. Si l’occupation de la cuisine paraît souvent en accord avec les tâches de l’employée, le salon ou la salle à manger sont considérés comme l’espace de « l’autre ». L’anecdote de Berenice [Guadalajara, 29 avril 2012] est explicite sur ce point : un jour, elle demanda une permission pour aller voir le match de football du championnat national, permission qui lui fut refusée puisque ses patron·nes avaient décidé de sortir le même jour, son rôle de gardienne de maison n’est pas explicite, mais bien réel. Ces dernier·ères lui « permirent » de voir la finale dans le salon, mais rentrèrent avant la fin du match. Berenice a donc éteint la télé et est retournée dans sa chambre. Alors que je lui demandais des détails, elle me raconta que, lorsqu’elle entendit la clef tourner dans la serrure, elle éteignit la télé et s’éclipsa. La ségrégation de l’espace était si forte à l’intérieur de la maison qu’elle ne pouvait pas rester dans le même espace que ses employeur·ses après ses horaires de travail, même pour regarder quelque chose d’aussi trivial et banal qu’un match de football. Si football peut être, dans d’autres contextes, un lieu où les classes sociales se mélangent, il ne conduit pas à remettre en cause, pour les vingt minutes de match restantes, l’ordre qui distingue l’employée des employeur·ses. « […] [I]l ne s’agit pas d’un espace privé étranger, mais d’une entité façonnée et façonnant la société qui reproduit des formes d’organisations, des imaginaires, les mandats et des formes normalisées d’autorité1 » [Cumes, 2012, p. 13]. L’ordre ne s’applique pas par l’imposition d’une violence physique, mais symbolique. C’est Berenice qui choisit de ne pas rester dans le salon pour ne pas cohabiter avec ses patron·nes.
6La règle qui semble régir les espaces partagés est celle de la hiérarchisation sociale imposée par l’exercice d’une violence principalement symbolique. Dans ce contexte, le fait de se retirer dans l’espace privé (la chambre) est-il, de manière consciente ou inconsciente, une manière pour les employées de s’extraire du rapport de domination ? Ces femmes ne sont jamais totalement à l’abri d’une sollicitation des patron·nes, même lorsqu’elles se réfugient dans leur chambre. Je fais l’hypothèse que, dans leur chambre, elles ne doivent pas « jouer » le rôle social de l’employée domestique, selon la métaphore de Goffman. L’article de Mónica Toledo González nous apporte un élément supplémentaire [Toledo González, 2013, p. 60] : « Être “sans-gêne”, ça veut dire “se considérer comme égal·e”, c’est-à-dire enfreindre les limites de la classe sociale. On peut être digne de confiance tout en conservant son statut social, mais il est impossible d’aspirer à être un·e “égal·e”2. » Occuper l’espace à égalité, en n’ayant plus à répondre aux demandes des employeur·ses, peut être perçu comme être « sans gêne » (« confianzuda »). Les employées ne sont pas tenues d’aller dans leur chambre une fois leurs tâches accomplies, mais le préfèrent, car la hiérarchie sociale persiste dans les espaces de vie de la maison. L’invitation de l’employée à un événement comme un baptême dans la famille employeuse est souvent ambiguë, puisqu’il n’est jamais précisé si c’est dans le cadre de son travail ou non. Pily [Casa Hogar, 5 mai 2013] remarque à ce sujet : « Quand il y a des invités, ils savent qui tu es. S’ils veulent un soda, ils vont te le demander à toi, pas à un membre de la famille3. » Le rappel du statut social est toujours présent.
7Quant au fait que les employées ne paient pas de loyer, argument souvent mis en avant par les patron·nes pour justifier qu’elles sont « bien » payées, nous pourrions ici reprendre la réflexion de Christine Delphy [1998, p. 12] :
« Trop de gens “traduisent” l’entretien en son équivalent monétaire, comme si une femme qui reçoit un manteau recevait la valeur de ce manteau. Ce faisant, ils abolissent la distinction cruciale entre salariat et rétribution en nature, distinction qui, indépendamment de la “valeur” consommée, crée la différence entre consommation libre et consommation non libre. »
8La corésidence, dans ce cas précis, n’est pas fondée sur les mêmes principes que la cohabitation ou la colocation. Dans la mesure où l’employée ne paie pas de loyer, les règles de vie sont dictées par l’employeur·se. Tout d’abord, les employées ne peuvent pas inviter qui elles veulent dans cet espace. Si une certaine relation de confiance existe avec l’employeur·se, cela ne signifie pas que la confiance soit accordée aux membres de son entourage familial ou affectif. Des restrictions sont mises en place : les employées peuvent rarement inviter de jour des personnes et encore moins de nuit. Selon tous les témoignages, les seules personnes ayant l’autorisation de rester dormir dans la chambre de l’employée domestique sont de sexe féminin, font partie de la même famille ou du même village, et ont des motifs considérés comme valides par les employeur·ses. Par exemple, si Elsa (Guadalajara) a pu faire dormir sa sœur Muriel dans sa chambre pendant une semaine, c’était parce que celle-ci venait d’arriver à Guadalajara et cherchait un travail à demeure. Accepter une autre personne est souvent vu comme une « faveur » de l’employeur·se, pour laquelle l’employée peut – et doit – ressentir de la gratitude.
9Les sorties des employées durant la semaine ne sont pas libres. Dès lors qu’il y a soupçon de vie sexuelle, c’est-à-dire de sortie avec un homme qui n’est pas de la famille, la sortie est refusée. Que ce soit pour le groupe de Guadalajara ou celui de la Casa Hogar, aucune rencontre avec des hommes n’est possible pendant la semaine, sauf pour celles qui étudient en même temps. Comme l’établit Félicie Drouilleau [2011, p. 110], « Cette interdiction d’une vie amoureuse et sexuelle pour l’employée à demeure se manifeste dans la restriction des sorties et l’impossibilité de recevoir des amis dans sa chambre. »
10La sexualité des employées sur leur lieu de travail et de vie est rejetée. Les patron·nes ont tendance à associer l’acte sexuel de l’employée avec la saleté, comme l’ont déjà montré les enquêtes de Séverine Durin ou d’Abril Saldaña Tejeda [Saldaña Tejeda, 2011] pour d’autres régions du Mexique (Monterrey, Guanajuato). Pour reprendre l’analyse de Séverine Durin à partir des enquêtes sur les patronnes à Monterrey [Durin, 2012b, p. 11],
« La sexualité est associée au “sale” et en parler est une source de honte. Ces conceptions de la sexualité sont proches de celles qu’Anne Martin-Fugier [2004] relate dans son analyse de la vie des bonnes parisiennes en 1900 : leur grossesse dévoilait l’acte sexuel et souillait la maison qu’il fallait purifier par le renvoi du personnel domestique corrupteur4. »
11Cette restriction de la sexualité des employées est plus forte pour celles qui vivent dans des institutions catholiques, telles que la Casa Hogar. Celles qui y sont accueillies le soir ou le week-end ne peuvent recevoir des visites que dans une salle prévue à cet effet – dans le hall pour la Casa Hogar. Leurs sorties à l’extérieur sont scrupuleusement surveillées : elles doivent signer un registre spécifiant l’heure de départ, les lieux et motifs de sortie, et l’heure de retour. Les religieuses présentent ce registre comme un outil pour garantir leur sécurité. Il est néanmoins difficile de ne pas y voir une forme de contrôle, même si les résidentes ont développé des stratagèmes nombreux pour contourner cette surveillance.
12Les employées domestiques, qu’elles vivent à demeure ou dans un logement propre, ne mangent pas dans le même espace que leurs patron·nes. Comme l’avait remarqué Judith Rollins, « l’emploi contrôlé de l’espace de la maison est un autre mécanisme par lequel s’affirme l’inégalité de la relation maîtresse/servante » [Rollins, 1990, p. 73]. Marcela (Colmith) m’explique par exemple qu’elle cuisine et qu’elle doit servir le repas. Elle ne peut pas manger aux mêmes horaires que ses patron·nes et doit contraindre sa pause déjeuner à leurs horaires.
13De plus, beaucoup d’employées ne mangent pas la même chose que leurs patron·nes. Si Marcela mange après ces patron·nes et qu’il ne reste plus de nourriture, elle doit se contenter des restes des jours précédents. Les employées ne peuvent pas manger certains types de nourriture considérés plus raffinés, comme les fromages, les fruits de mer ou les pâtisseries.
14Celles qui ne résident pas chez leurs employeur·ses ont plus de mal à évoquer leur rapport à l’espace de travail. Elles parlent surtout de la distance entre leur lieu de vie et leurs lieux de travail, et des désavantages liés à ces distances à parcourir, notamment à Mexico. Le temps de transport est une donnée très importante pour ces employées.
La définition des horaires et des tâches assignées au travail
15La charge de travail peut être définie en termes d’horaires et/ou de tâches précises ou de consignes vagues, telles que « garder le lieu de vie en ordre et propre ». Il existe une multitude d’expériences de l’emploi de maison, qui dépendent des activités réalisées. La plus commune est le ménage : il faut laver, balayer, dépoussiérer, passer la serpillière, etc. D’autres tâches s’y ajoutent : étendre le linge, servir les repas ou faire la vaisselle. Les employées à demeure doivent en général laver le linge, repasser, faire la cuisine, s’occuper des enfants et/ou des personnes âgées. La distribution des tâches dépend du nombre de personnes travaillant dans la maison, qu’il s’agisse d’autres employé·es ou de la femme au foyer, et du statut et du pouvoir d’achat des patron·nes.
16Les employées à demeure ont des difficultés à poser des limites claires. Il est difficile d’identifier leurs horaires de travail et d’évaluer les heures effectuées. Comme Séverine Durin le remarque pour Monterrey [2009, p. 129], « Dans l’enquête menée auprès des travailleuses domestiques rencontrées au foyer Vicente María, nous avons montré qu’elles travaillent en moyenne douze heures par jour5. » Le même constat s’impose pour les employées à demeure de la Casa Hogar. Ces limites sont d’autant plus difficiles à définir que les tâches domestiques ne sont pas toujours vues comme un travail par l’employée elle-même. Alors que je demandais à Muriel [Guadalajara, 12 mai 2012] ses horaires de travail, elle me répondit : « Je travaille de 7 h 15 à 14 heures, je mange, et après le déjeuner et la vaisselle, je ne travaille plus, je repasse seulement un peu6. » Curieusement, Muriel ne considère pas le repassage comme du travail, ce qui est lié à la dévalorisation de l’exercice de tâches dites féminines.
17Les entretiens soulignent que les horaires de travail sont flexibles. Les employées n’ont pas d’heure fixe de lever ni de coucher. Ces horaires varient en fonction de l’emploi du temps et des besoins des employeur·ses. Cette dépendance à leurs horaires est difficilement négociable. D’autre part, l’arrivée de nouvelles personnes au sein du foyer, des enfants ou des parents par exemple, n’entraîne pas de revalorisation de salaire, alors que la charge de travail augmente. La définition de ce qui est de l’ordre du temps de travail et de ce qui ne l’est pas peut être brouillée par l’existence de liens affectifs, notamment quand les travailleuses ont à leur charge des enfants en bas âge.
18Les employées qui vivent dans un cercle de socialisation en lien avec l’emploi domestique font circuler des informations sur leurs conditions de travail. Les conversations entre les ex-résidentes de la Casa Hogar leur permettent de comparer leurs salaires et leurs charges de travail. Elles révèlent une constante : celle qui se pose en victime reçoit en retour des commentaires expliquant qu’elle est capable d’accepter ou de refuser de telles conditions. Carmen raconte, par exemple, comment ses premier·ères patron·nes, après deux mois de travail, ont ajouté à sa longue journée la tâche de laver les deux voitures du couple à 7 heures du matin avant leur départ au travail, l’obligeant à se lever beaucoup plus tôt et sans rémunération supplémentaire. Rosa réprouve l’acceptation par Carmen de ces conditions : « Le lavage de la voiture, ce n’est pas inclus, tu n’étais pas obligée d’accepter. S’ils ont un chauffeur, c’est à lui de laver la voiture, et sinon, ils doivent le faire eux-mêmes. Ou alors c’est un supplément que tu dois toucher en plus. Normalement, il faut compter 100 pesos par voiture7. » [Rosa, Casa Hogar, 27 avril 2013]. Ces discussions montrent l’échange de stratégies et d’informations afin de déterminer le salaire correspondant à telle quantité de travail.
19Celles qui travaillent comme journalières (un ou deux jours par semaine dans une maison) ont en revanche des horaires précis et des tâches clairement assignées : le ménage et/ou le repassage et/ou la cuisine. Les femmes que nous avons rencontrées qui travaillent comme journalières sont les plus au fait de leurs droits (Colmith et Atabal). Elles ont souvent une famille à nourrir, dont elles doivent s’occuper, raison pour laquelle elles cherchent à être « efficaces ». Les horaires de travail constituent pour elles un élément important de la négociation autour des tâches à effectuer avec leurs patron·nes et leurs partenaires. Sofia et Lorenza (Colmith) demandent par exemple une rémunération supplémentaire si elles doivent repasser, ce qui rejoint les revendications du Colmith concernant la professionnalisation du travail domestique. Certaines employées ont compris que le fait de devoir réaliser toute sorte de tâches nuit à la reconnaissance de savoir-faire « professionnels ». Alma raconte [Casa Hogar, 7 avril 2013] : « Elle [la patronne] me stressait à l’heure du repas. Elle me demandait beaucoup de choses en même temps, je devais faire ceci et cela, je ne servais pas assez rapidement, je ne pouvais pas tout donner en même temps. C’était une vraie corvée ! La prochaine fois, elle ferait mieux de demander une serveuse [rires]8. » Puisqu’il est impossible, d’après elle, de satisfaire toutes les exigences des patron·nes, elle préfère en réaliser moins, mais mieux9.
20Pour les autres, la définition des tâches est souvent plus floue. La plupart ont pour consigne de maintenir l’appartement ou la maison en ordre et propre, sans que soient explicités les critères de propreté et d’ordre. Maricruz travaille de entrada por salida et garde un enfant de deux ans en l’absence de ses parents. Elle réalise les tâches selon les nécessités de ses patron·nes sachant, étant elle-même mère de trois enfants et gérant son propre foyer, ce qui convient ou manquera à cette famille [Maricruz, Atabal, 14 octobre 2012] :
« Je sais ce dont ils auront besoin. Quand le bébé dort, j’en profite pour faire ce que j’ai à faire. Si tu sais que l’important, c’est le bébé et la nourriture, le reste n’est pas si urgent. Si j’ai le temps de passer la serpillière, je ne ferai pas la poussière sur les meubles aujourd’hui10. »
21Cette façon de valoriser son expérience et ses compétences de maîtresse de maison est liée à la naturalisation de compétences considérées comme féminines. Néanmoins, sans définition claire des tâches qui lui sont assignées, la relation de travail ne repose alors que sur la confiance. Dans le travail domestique, il n’y a pas d’intermédiaire pour juger de la qualité du travail. Les règles se définissent dans une position de pouvoir asymétrique : ce sont toujours les critères de propreté ou d’une « bonne éducation » selon la vision des employeur·ses qui priment. Au moindre doute sur l’honnêteté de la travailleuse, la relation de confiance est brisée. Dans la définition des horaires comme des espaces, la relation de travail joue un grand rôle.
Les relations de travail
22Les relations de travail des emplois domestiques dépendent autant de l’employée domestique que de son ou de sa patron·ne : l’âge, le milieu social, les habitudes, la socialisation et la personnalité de chacune des deux parties interviennent. De plus, ces relations varient selon que l’employeur·se est présent·e ou pas au quotidien sur le lieu de travail, ou si elle ou il travaille à l’extérieur.
23Dans le cadre de cette analyse sociologique, il nous faut revenir d’abord sur la nature des sentiments d’affection qui lient parfois employée et employeur·ses, et dépassent la seule relation contractuelle. Ce point a été développé dans de nombreuses recherches sur la thématique, notamment par Mónica Gogna [Gogna, 1989, p. 98-99]. Un des aspects importants est le contact quotidien de l’employée avec l’espace intime du foyer. Cette situation est pourtant ambiguë, dans la mesure où l’employée se situe à la fois à l’intérieur du noyau familial – car habitant dans le même espace et/ou y passant la plupart de son temps – mais aussi à l’extérieur du noyau familial – elle ne fait pas partie de la même famille.
24La littérature sur les relations avec les patron·nes s’intéresse surtout à celles entre employées et employeuses. Le patron est souvent absent des négociations et interactions avec les employées. Lorsque j’ai questionné mes interlocutrices sur leurs relations avec les patrons, elles m’ont répondu dans des termes vagues : « bien », « no lo veo mucho » (« je ne le vois pas beaucoup »), « no está mucho en casa » (« il n’est pas beaucoup à la maison »). Valeria Esquivel écrit [Esquivel et al., 2009, p. 6] : « La femme-mère-travailleuse peut déléguer des tâches, mais elle reste toujours responsable de l’organisation des tâches domestiques et en charge en cas d’urgence ou quand l’organisation même échoue11. » Certaines employées sont pourtant au service d’hommes. Une des enquêtées, Rosa (Casa Hogar) préfère travailler pour des hommes. Selon elle, quand l’employeur est un homme, personne ne lui donne d’ordre ou ne critique sa manière de faire, elle ne subit pas l’ingérence d’une autre femme dans son espace de travail. Elle préfère travailler avec des hommes parce que, selon ses propres termes, elle « a l’impression de commander12 ». Elle dit se sentir plus autonome, sans que change pourtant la traditionnelle division public/privé à l’intérieur de la maison, puisque la femme reste responsable de la sphère privée et l’homme de la sphère publique. Cependant, le fait de travailler pour des hommes seuls peut induire une certaine ambiguïté : l’employée peut être plus facilement victime d’abus au sein du foyer, même si elle est à « l’abri » d’une forme de compétition (inégale) qui peut exister entre les femmes à l’intérieur d’un même foyer. Le système de domination genrée n’est donc pas seulement visible dans la domination des hommes sur les femmes. Certaines femmes peuvent être les exploiteuses d’autres femmes, et lorsque la patronne est une femme, le travail domestique n’en est pas moins dévalué.
25Dans cette enquête, j’ai réalisé à quel point l’engagement dans la relation avec la famille dépendait des personnes. En général, les employées migrantes ont plus tendance à s’impliquer émotionnellement. Étant éloignées de leur propre famille et en contact continu avec la famille des employeur·ses, notamment lorsqu’elles vivent à demeure, les incitations au dévouement augmentent. Les liens sont également souvent plus forts lorsqu’il y a des enfants en bas âge. Plus les enfants sont jeunes, moins existent les marqueurs sociaux, et plus augmentent les possibilités de proximité. Je n’examinerai pas le rôle de la « nounou ». Néanmoins, j’ai constaté que les employées qui s’occupent des enfants en bas âge sont les plus enclines à utiliser le vocabulaire de la famille. Des phrases comme « Je l’ai élevé comme mon propre fils13 » [Jimena, Casa Hogar] ou « Je suis une tante pour eux14 » [Berenice, Guadalajara] le montrent. L’emploi de ce vocabulaire de la famille concerne celles qui tiennent le rôle de nourrice des enfants et s’applique aussi pour la présentation de la relation entre employée et patron·ne. María Claudia (Guadalajara) ne souhaite pas faire venir son fils en ville, alors même que ses patron·nes ne cessent de lui répéter qu’elle et il sont tristes qu’elle s’en aille. Elle-même disait pourtant qu’elle se sentait « comme de la famille15 » [María Claudia, Guadalajara, 12 mai 2012], même si sa « vraie » famille, qu’elle va finalement rejoindre, vit à Playa Limón.
26Ce sentiment d’appartenance à la famille ne peut être généralisé à toutes les migrantes travaillant à demeure, comme le montrent les réactions de Muriel (Guadalajara), « Je suis seulement la femme de ménage16 », ou de Pily, « Je ne veux pas rester plus de cinq ans dans le même travail17. » Pily est loin d’être dupe des marques de la « pseudo » appartenance familiale. Elle préfère garder ses distances, se rendant compte que les relations resteront asymétriques, malgré le climat chaleureux régnant dans la maison : « Ah bah ! Si je fais partie de la famille, pourquoi il ne me prête pas les clefs de la voiture ?18 » [Pily, Casa Hogar, 5 mai 2013]. Elle tente de ne se plier à aucun protocole. Souhaiter son anniversaire à sa patronne lui paraît hypocrite, puisque celle-ci ne se souvient jamais de la date d’anniversaire de ses employé·es.
27Au-delà du sentiment ou non d’appartenance à la famille qui les emploie, la plupart des employées préfèrent parler de leurs relations avec leur patron·ne en termes de respect et de confiance. Quand les relations sont bonnes, les employées aiment que leurs patronnes se confient ou discutent avec elles. L’amitié n’est possible que s’il existe une compréhension entre elles. Pour les employées, si les employeur·ses refusent de les comprendre, c’est qu’elles ou ils refusent de reconnaître leur humanité, ne les considérant que comme des machines. C’est grâce aux propos de Carmen (Casa Hogar) que je me suis rendu compte de cette dimension. Carmen a 40 ans et n’a pas d’enfants :
« Quand mon neveu est mort, ça a été très dur. Je l’ai annoncé à ma patronne parce que je devais aller là-bas. Et vous savez ce qu’elle m’a répondu ? “Non, ce n’est pas une obligation, puisque ce n’est pas de la famille proche !” Eh bien j’y suis allée, je voulais y aller. Je pensais qu’en revenant j’aurais mes affaires dehors. Et non. Mais rien n’a été comme avant19. »
28Le contraste est d’autant plus frappant lorsqu’elle parle de sa nouvelle patronne très compréhensive, qui lui permet de venir travailler avec ses neveux et nièces lorsque son frère et sa belle-sœur ont un empêchement.
29Berenice (Guadalajara) était, elle, fière que sa patronne lui fasse des confidences, comme si celles-ci prouvaient qu’elle était digne de confiance. Mais les confidences sont rarement réciproques. De plus, si l’employée est digne de confiance, elle peut faire preuve de compréhension lorsque la patronne lui supprime au dernier moment ses maigres temps libres. Berenice accepte ainsi de partir en week-end à la plage avec ses employeur·ses, même si elle n’est prévenue qu’au dernier moment. Les abus n’ont pas toujours le masque de l’appartenance à la famille, ils peuvent aussi avoir celui de l’« amitié », sans que cela soit conscient. La relation est asymétrique, même lorsqu’elle se pose dans les termes de l’amitié, et les signes de déférence persistent. Les employées s’adressent à leurs patron·nes en utilisant un titre « Señor·a », « Doctor·a », « Maestro·a », « Licenciado·a », alors que leurs patron·nes les appellent toutes par leur prénom ou même par des diminutifs, comme pour Patricia, appelée Paty ou Patito, soit petit canard. Le niveau de formation scolaire est un marqueur important de différence sociale au Mexique. La relation d’amitié, lorsqu’elle semble exister, n’est pas vue de la même manière par les deux parties, comme le résume Dominique Vidal [2007, p. 193] :
« […] car les bonnes voient avant tout dans l’amitié des patronnes la reconnaissance de leur commune humanité, tout en estimant qu’elle est compatible avec des droits et des obligations différents selon la position occupée dans la relation ; alors que les patronnes la considèrent comme un moyen d’entretenir une relation de confiance mutuelle sans pour autant renoncer à l’idée d’une différence radicale entre les deux parties. »
30Les différences sociales restent présentes à l’intérieur de cette amitié. C’est pourquoi je formule l’hypothèse que toutes les relations entre patronne et employée sont empreintes de maternalisme. Plus que de paternalisme en tant que tel, j’utiliserai donc le mot de maternalisme pour caractériser les relations des employées avec leur patronne : le comportement maternaliste serait l’autorité et la protection de la part d’une femme (la patronne) sur une femme (employée), et renverrait à des formes d’autorité propres à l’autorité et à la protection d’une mère dans le cadre d’une relation ne se réalisant pas à l’intérieur du noyau familial. Ces relations personnelles sont décrites par Judith Rollins en ces termes [Rollins, 1990, p. 76] : « Le but du maternalisme n’est pas de prendre soin (nurture) et d’aider à grandir (comme le fait l’employeur avec ses propres enfants), mais de confirmer l’infériorité de la domestique (et, par extension, de sa classe et de son groupe racial). » En effet, lorsque l’employeuse est une femme, les rapports sont souvent plus intimes. Comme le démontre un peu plus tôt dans son texte Rollins, l’emploi des émotions peut être un moyen de contrôle dans la relation. Si nous avions évoqué le don pour parler de (l’absence) de loyer, il existe par la pratique du don de choses usagées la volonté de montrer la différence entre qui peut donner et qui peut recevoir. C’est une façon de perpétuer la différence de statut entre les femmes. Cette fausse générosité peut être un moyen d’éviter de voir son employée comme une adulte autonome.
31Grace Esther Young [2002] a montré qu’au Pérou, les employeur·ses ont une perception négative et dévaluant la vie rurale et indigène. Ces perceptions accentuent certainement les attitudes maternalistes. Les représentations ethnicistes des patronnes ont été décrites par le travail de Séverine Durin à Monterrey [Durin, 2012a]. Elle a montré que les patronnes se sentent souvent investies d’une mission civilisatrice afin de sauver de la pauvreté et de l’ignorance les employées indigènes venant de communautés perçues comme « traditionnelles » et « arriérées ». J’émets ici l’hypothèse qu’il existe un processus de racisation des classes populaires et des migrantes, même lorsque ces migrantes ne sont pas indigènes. Laura (Casa Hogar) ne se revendique pas comme indigène et ne parle pas une langue indigène. Sa patronne a pourtant des attitudes maternalistes. Laura m’expliquait qu’elle trouverait une augmentation appropriée. Je lui demandai si elle avait essayé d’en demander une, ce à quoi elle me répondit [Laura, Casa Hogar, 14 avril 2013] : « J’ai essayé une fois. Mais elle m’a répondu qu’elle me donnait le privilège d’aller à l’école, alors que d’autres ne l’ont pas. C’était la fin de la conversation20. » Le discours est celui du « privilège » de pouvoir étudier, pour lequel on ne peut demander des conditions de travail dignes. Ces « faveurs » sont fortement empreintes de charité chrétienne21. De plus, on peut y voir une attitude civilisatrice des employeuses envers les employées, comme l’a montré Aura Cumes dans le cas du Guatemala. La tutelle se reproduit par un discours en termes de modernité [Cumes, 2012, p. 29], même lorsque la travailleuse ne se reconnaît pas comme indigène. Il ne s’agit pas seulement d’un système de classe sociale, mais aussi de « race »/ethnie, et de sexe/genre comme principes fondamentaux de la division sociale du travail, que les femmes (employeuses) reproduisent.
32Les employées de maison ne sont pas dupes. Les lois ne les protégeant pas, ayant peu de droits ou des droits qui ne leur sont pas appliqués, la possibilité de bénéficier d’aides personnelles des patron·nes est une manière de se protéger de la précarité et de ses effets. Dominique Vidal l’avait déjà montré : les relations paternalistes ou maternalistes sont acceptées parce que les employées y trouvent aussi leur compte [Vidal, 2007]. Leur consentement pratique ne signifie pas l’adoption de la rhétorique du patron. Elles peuvent profiter d’un geste généreux sans pour autant proclamer leur fidélité au poste. La dépendance n’est pas totale, puisqu’il existe un turn over assez important. Mais les employées peuvent décider de garder « le masque de la déférence », [Cock, 1980, p. 103] pour ne pas subir l’exploitation psychologique qui accompagne parfois l’exploitation physique au travail.
33La pratique maternaliste revient à considérer son employée comme une enfant. Cela peut être dû à son origine ethnique et/ou à son origine sociale. De même que ce sont les patron·nes qui décident de l’inscription ou pas des employées au régime de sécurité sociale volontaire, ce sont en général les patron·nes qui définissent les règles de comportement dans les relations de travail. La relation entre deux femmes n’empêche pas la dévaluation du travail domestique. Judith Rollins évoque ainsi ces relations concernant les États-Unis [Rollins, 1990, p. 74] : « Le manque de considération de l’employeur pour ce travail de femmes peut en outre se combiner avec son propre sexisme, son racisme et ses préjugés de classe pour rabaisser encore davantage le travail et les groupes déjà subordonnés dans les “trois structures de pouvoir” aux États-Unis (les femmes, les gens de couleur et les classes inférieures). » Au Mexique, les groupes subordonnés sont les femmes, les groupes ethniques et les classes populaires, ces deux derniers étant souvent mêlés dans les représentations sociales.
34Il nous faut maintenant comprendre quels sont les abus dont se plaignent les employées, quelles sont les violences visibles et celles qui restent au contraire invisibles.
Les formes de violence au travail et leurs réponses
35Dans l’exercice de leur travail, les employées domestiques sont confrontées à différentes formes de violence qui ne sont pas spécifiques à leur emploi. Les plaintes des employées domestiques sont nombreuses face aux abus de leurs patron·nes. Il faut alors analyser leurs perceptions de la violence, leurs plaintes et les mécanismes et stratégies de défense, individuelles ou collectives, mis en place pour les éviter ou lutter contre elles. La mise au jour des violences sur leur lieu de travail ne signifie pas qu’elles n’en subissent pas avant l’entrée dans l’emploi domestique, comme dans le cadre domestique de la famille d’origine, ou en dehors, dans l’espace supposé de sociabilité. Cependant, mettre en lumière les violences exercées dans le cadre de l’emploi domestique, à l’intérieur des foyers des employeur·ses, permet de se rendre compte que la migration des femmes en ville n’est pas toujours synonyme de libération. Ces violences dans l’emploi sont d’une nature différente, car elles révèlent une dimension approfondie des relations de classe, ethniques et de genre.
36Nous analyserons dans un premier temps les cas d’exploitation au travail. Dans ce cadre, nous nous demanderons à partir de quel moment la charge de travail est décrite comme n’étant plus supportable par les employées. Puis, nous étudierons les violences symboliques dont les femmes employées sont victimes en examinant les différents types d’humiliation qu’elles nous ont révélés. Enfin, nous analyserons la représentation des employées domestiques concernant une forme particulière de violence de genre : le harcèlement sexuel.
Comment les employées définissent-elles l’exploitation dans le travail domestique ?
37Je parlerai de violence au travail, dans la mesure où celle-ci se réalise sur le lieu de travail. Si employeur·se et employées vivent effectivement sous le même toit, au moins une partie de la journée, cette relation s’établit entre des personnes de classes sociales différentes n’ayant ni lien familial ni lien d’amitié, en tout cas pas avant la relation de travail.
38Aucun salaire minimum n’ayant été fixé au Mexique pour l’emploi domestique, il est difficile pour les employées de se rendre compte qu’elles sont exploitées par leurs patron·nes. Le thème de l’exploitation apparaît dans leurs discours lors de l’évocation d’un passé où elles étaient « innocentes » et ne connaissaient pas les conditions de l’emploi. L’idée revient souvent qu’elles venaient d’arriver du rancho (du village) et que les employeur·ses abusent de l’ignorance de celles qui viennent d’arriver de la campagne. L’existence de réseaux contribue au partage d’informations. Sofia m’a ainsi dit qu’elle s’est rendu compte de sa propre exploitation en rencontrant d’autres employées domestiques et en parlant de leurs employeur·ses : « Ils n’étaient pas méchants, mais les autres filles disaient qu’ils me payaient très peu22 » [Colmith, 27 janvier 2013]. J’ai évoqué les différences en matière d’emploi entre la campagne et la ville. Les employées savent que l’on gagne plus en ville qu’à la campagne, mais sans connaître précisément à combien s’élèvent les salaires.
39C’est le salaire qui détermine si les employées en font « trop ». Alma racontait sa journée de travail chez son dernier employeur [Alma, Atabal, 17 mars 2013] :
« Je me lève à 6 heures pour servir le petit-déjeuner, puis je fais le ménage, je prends le petit-déjeuner vers 11 heures. Je dois nettoyer la cuisine pour commencer à cuisiner à midi. À 14 heures, je sers le repas et je m’occupe d’eux (c’est la famille dont je t’ai parlé, que je devais servir comme une serveuse). À 15 heures, je mange avec l’autre femme de ménage dans la cuisine. Les parents sont là l’après-midi, mais je dois m’occuper des enfants. À 19 heures, j’ai une demi-heure de pause, durant laquelle je peux monter dans ma chambre. Après, je dois donner le bain aux enfants, préparer quelque chose pour le dîner, repasser de 21 heures à 23 heures, puis je vais dans ma chambre. Et ce, du lundi au dimanche. Ils me laissaient sortir une fois tous les 15 jours. C’était beaucoup de travail pour moi. Pour 1 000 pesos la semaine, eh bien non, au final, j’ai dit que ça ne me convenait pas23. »
40Le rythme de travail est très soutenu, les pauses rares, et les tâches s’enchaînent pour recommencer tous les jours. Les employées de planta travaillant douze heures par jour, étant isolées dans leur lieu de travail et de vie, ont du mal à se rendre compte qu’elles sont « exploitées ». Alma a compris qu’elle pouvait trouver mieux ailleurs en échangeant avec des collègues mieux payées et qui avaient au moins un jour libre par semaine.
41Certaines racontent que leurs patron·nes ne les laissent pas sortir en semaine ou les privent de week-ends, ce qui rend le travail insupportable : elles souffrent de solitude, ne pouvant ni se confier ni échapper au « jeu de masque » de la relation avec les patron·nes. L’enfermement tout au long de la semaine est encore moins supportable si les patron·nes ne laissent pas l’employée prendre des vacances, même non payées, afin qu’elle rende visite à sa famille. Ces cas sont extrêmes, mais existent : les employeur·ses de Sofia ne la laissaient pas s’absenter plus d’une journée alors qu’elle n’avait que 15 ans. L’image véhiculée par les telenovelas, selon laquelle les migrantes sont innocentes lorsqu’elles arrivent de la campagne participe de ces situations. Circule l’idée que toute personne provenant du milieu rural est arriérée. Les employeur·ses camouflent l’exploitation sociale pratiquée en un moyen de sauver les employées d’une sexualité déviante et d’une communauté corrompue. Une représentante de la congrégation catholique m’expliquait que les ateliers organisés pour les employées domestiques contribuaient « à éviter qu’elles traînent dans la rue pour se droguer ou [sortir] avec leur petit ami. Ici, elles sont entre femmes, elles apprennent et s’améliorent24. » [Ángelica, Casa Hogar, 5 mai 2013]. La rue est en effet perçue comme un danger, or les employées, souvent conscientes de la violence qui s’exercent sur elles, y voient la possibilité de rompre avec la solitude et de se trouver un compagnon, surtout pour les plus jeunes.
42Les employées n’ont pas de droits garantis, comme les congés payés par exemple. Elles ne se représentent pas toujours comme des sujets de droits, leur intégration au marché du travail se faisant la plupart du temps sous le joug de la nécessité. Néanmoins, les discussions entre elles leur permettent de se rendre compte d’abus flagrants. Si certaines font parfois la course à celle qui a été la plus « victime » de mauvais traitements, elles en tirent de possibles arguments de négociation avec les patron·nes afin de prévenir les abus. L’exploitation en tant que telle ne cesse que par une revalorisation salariale la rendant moins insupportable ou par le départ de l’employée. Ce sont souvent la nécessité et la peur de l’inconnu, d’un changement de travail par exemple, qui naturalisent l’exploitation et la font accepter.
Les humiliations, formes de violences symboliques
43Plus que le non-respect de conditions dignes de travail, les distances qu’instaurent les employeur·ses vis-à-vis de leurs employées sont mal vécues. Le témoignage de Teresa, faisant état de plusieurs formes d’humiliation, en est un bon exemple [Teresa, Casa Hogar, 14 avril 2013] :
« Ma deuxième patronne était la pire. Elle avait 85 ans. Elle m’appelait la boniche, la chatte. Par ignorance, elle me traitait mal, très mal. Elle me disait qu’il ne fallait même pas que j’envisage d’utiliser ses toilettes, comme si elle avait peur que je le contamine. Elle a même dit à sa belle-sœur qui lui rendait visite : “Ne lui donne pas ça, il y a des gelées qui vont se gâter !”, alors qu’elles mangeaient un gâteau de la pâtisserie. En vérité, elle m’humiliait. Je suis restée environ quatre mois, mais je n’en pouvais plus. Quand elle était au téléphone, elle mettait le haut-parleur et disait les choses que je ne faisais pas correctement. Du coup, je l’ai remerciée et je suis partie. Et le pire dans tout cela, c’est qu’elle a parlé aux sœurs en leur disant que je lui avais volé des choses ! [Rires] Oui vraiment ! Eh bien ! Elles n’ont plus envoyé personne, elle était vraiment folle25. »
44Sans dire que cela soit représentatif de tou·te·s les patron·nes, ce témoignage montre que l’humiliation est ressentie comme telle lorsque l’infériorité est signifiée. Ces procédés d’infériorisation peuvent être de plusieurs ordres : de classe, de race, de genre ou une subtile imbrication des trois.
45Même si ce n’est pas le cas de toutes les employées, le fait que la plupart ne mangent pas avec leurs patron·nes et qu’elles mangent de ce fait les restes ou ce qui est le moins frais est considéré comme une humiliation. L’enquête de la Conapred établit que plus de 80 % des enquêté·es pensent que, en pratique, on donne à manger les restes à l’employé·e [Conapred, 2010, p. 23] Cette idée fait donc partie de l’imaginaire social. Lorsqu’elles ne mangent pas les restes, les employées mentionnent souvent une distinction entre la nourriture quotidienne et la nourriture chère, de « luxe », qu’elles ne peuvent pas consommer à cause de leur statut social. De plus, la différenciation de la nourriture n’est pas seulement liée à une différenciation de classe, elle se mêle aussi à un processus de racisation. En effet, selon Abril Saldaña Tejeda [2011, p. 83-85], une différenciation dans la consommation alimentaire s’est installée durant la période coloniale. La nourriture est devenue et reste aujourd’hui un marqueur social et du pouvoir au Mexique. Le récit de Pily fait apparaître cette dimension. L’humiliation n’est pas directement liée à l’employée elle-même, mais à son origine [Pily, Casa Hogar, 5 mai 2013] :
« La fille de la docteure et du patron étudie la psychologie, comme elle dit. Elle rentre de l’école habillée comme ça, super élégante. Elle portait un sac – je l’ai vu depuis la camionnette – comme ça le sac [elle fait une moue de dégoût et sa main repousse le sac], elle a ouvert la poubelle, moi j’étais dans la cuisine en train de préparer à manger. “Bonjour Pily, je suis arrivée”, “Très bien”, et elle l’a jeté à la poubelle. Elle me dit : “Je vais me reposer un peu, j’ai très mal à la tête.” Elle part et j’ouvre le sac. C’était des bananes qu’on donne au village : les meilleures ! Des bananes et des tamales26 je ne sais plus combien, que lui ont donnés les femmes du village où elle faisait son… je ne sais pas comment on dit, là où elle allait étudier la psychologie, comme elle dit. C’était pour un cours qu’elle suit à l’université, une université payante. Et les femmes, en arrivant, lui font la bise, des femmes indigènes comme moi. Et les femmes lui ont donné des tamales, qu’elles ont préparés elles-mêmes, avec leurs moyens. Peut-être qu’elles n’avaient pas d’argent et elles l’ont investi dans les tamales. Et elle arrive avec le sac. Et moi je l’ai ouvert et j’ai dit, alors que je ne suis pas vulgaire : Quelle garce !” Et non, elle n’en a rien fait. J’ai ouvert le sac et j’ai vu les bananes. Des bananes comme celles de mon village. Des tamales. Ils étaient tout frais et elle les a mis à la poubelle ! J’ai pris le sac, j’ai sorti les bananes plantains et je les ai lavées. Et je les ai descendues. Elle les avait jetées à la poubelle ! Je les ai pris et j’ai dit “Quelle garce !” Je veux dire : pourquoi a-t-elle dû les jeter à la poubelle, elle ne pouvait pas me les laisser là ? Je suis de la campagne aussi, elle pouvait me dire : “Regarde ce qu’il y a et mange ce qui te fait plaisir.” Mais non ! Elle les a jetés. Et ça m’a mise en colère, vraiment ! Je pensais aux pauvres femmes, à leurs efforts, à leurs espoirs… que cette femme a jetés à la poubelle, comme ça, juste comme ça ! Comme si le sac était contaminé27. »
46Pily se sent humiliée par le fait que l’on puisse jeter à la poubelle de la nourriture préparée à la main, sans y goûter, présupposant de sa valeur symbolique. Sa colère est d’autant plus grande qu’elle s’identifie à ces femmes, comme elle, indigènes, et à leurs plats typiques du sud du Mexique, et surtout des communautés indigènes. Le fait que la fille de la patronne les jette, sans proposer à Pily de les manger, signifie que cette nourriture n’est pas digne de son statut social et qu’elle pourrait contaminer son lieu de vie. Pour Pily, cet acte est d’une grande violence symbolique.
47La séparation entre employeur·ses et employées peut également être spatiale, comme le signale l’interdiction d’utiliser les mêmes toilettes qu’a évoquée Teresa (Casa Hogar). D’une manière générale, l’association des employées à la saleté est un moyen de marquer la frontière sociale. Jimena nous raconte son altercation avec une des filles de ses patron·nes [Jimena, Casa Hogar, 19 mai 2013] :
« Je ne m’entends pas très bien avec une des filles. Elle est un peu prétentieuse. Elle veut toujours que je lui repasse ses vêtements. Je lui ai dit que non, qu’il y avait quelqu’un d’autre, une autre femme qui était chargée de repasser les vêtements. Mais non, elle veut que je lui fasse pendant la semaine. Jusqu’à ce qu’elle m’humilie. Une fois, elle avait du linge sale et je lui ai demandé si elle voulait que je le lave. Et elle m’a répondu : “Non ! Je ne veux pas que tu le laves, je veux que tu le repasses ! Même s’il était sale et plein de merde, tu devrais me le repasser ! C’est pour ça que tu es payée !”28 »
48Jimena travaille dans une famille qui a les moyens d’employer plusieurs travailleuses domestiques. L’une d’elle vient une fois par semaine pour repasser le linge. Mais la fille de la famille ne comprend pas cette division des tâches et demande à Jimena de lui repasser ses vêtements. Celle-ci refuse, car ce n’est pas dans ses fonctions. Devant le refus de Jimena, la jeune fille s’énerve et l’humilie en lui rappelant son statut. Selon elle, Jimena n’a pas le droit de lui refuser ce repassage. Le rappel de statut inférieur se fait en mentionnant à l’employée sa proximité avec la saleté. Sa réponse est d’autant plus insultante qu’elle ne se réfère pas seulement à la saleté ordinaire, mais aussi à la saleté fécale. Pour Martha Nussbaum [2006], le dégoût est la volonté de rejet de tout ce qui nous rappelle notre condition animale. Rejeter la saleté sur une personne qui ne fait pas partie de la même classe sociale permet de se sentir supérieur en affirmant la différence entre un statut et un autre. De plus, l’association à l’animal est la négation d’une commune humanité. Le rapport à la saleté et le manque de propreté sont liés à la condition animale. C’est pourquoi la présomption de non-respect des règles d’hygiène de base est une autre source d’humiliation29.
49Enfin, l’accusation de vol n’est jamais étrangère aux motifs de renvois, comme le rappelait le témoignage de Teresa. Si des vols peuvent être commis par les employées, dans cette enquête, les employées les nient systématiquement : elles se réfèrent constamment à la morale dont elles se veulent les garantes. Elles exercent une profession « respectable », par rapport à la prostitution notamment, et elles ne doivent ce qu’elles ont qu’à leur travail et à leurs efforts. Ces accusations de vol sont souvent vécues comme une humiliation pour les exposer à la honte et les rabaisser [Fernanda, 12 mai 2012] :
« Je suis partie parce que la patronne a dit aux autres filles qu’elle allait me renvoyer parce que, selon elle, je volais, alors que ce n’est pas vrai ! C’est qu’elle faisait les courses une fois par semaine, mais ça ne durait jamais pour que je cuisine pour toute la semaine. Et elle ne voulait pas acheter plus, ne voulait pas dépenser plus. Elle a donc dû penser que je lui volais de la nourriture30. »
50Se faire accuser de voler de la nourriture est d’autant plus violent pour Fernanda que sa patronne remet en cause une tâche, la confection des repas, qui est sous sa responsabilité. S’opère ici une association symbolique entre le pauvre et le criminel [Rotker, 2002, p. 8]. La honte ressentie par Teresa est renforcée par le fait que son employeuse ne soit pas venue lui parler directement, mais l’ait fait savoir aux autres. Fernanda se sent accusée injustement. Sa honte est d’autant plus importante que l’humiliation est publique et que l’accusée subit le regard des autres et voit sa réputation remise en cause. C’était le cas également pour Teresa, dont le témoignage montre que sa patronne imposait sciemment une distance entre elles et qu’elle la redoublait devant des tiers, en parlant avec le haut-parleur par exemple ou en l’accusant devant sa belle-sœur.
51Ces humiliations rendent les conditions de travail moins supportables. L’exploitation de l’employée domestique s’effectue à travers le travail, mais encore de manière psychologique, comme l’avançait J. Rollins [Rollins, 1990, p. 70]. Or cette dimension psychologique utilise des représentations sociales dégradantes de la « race », de la classe et du genre.
52Tous les exemples d’humiliations précédemment cités sont des exemples de mauvais traitement entre deux femmes. Cependant, il serait faux de penser que seules les femmes reproduisent la violence sur les femmes employées domestiques racisées et/ou altérisées. L’homme de la famille est rarement mêlé aux conflits avec la domestique, mais sa présence met en lumière une forme de violence à laquelle peuvent être confrontées les employées domestiques, à savoir le harcèlement sexuel.
Violence de genre dans le travail, une difficile reconnaissance
53Nous nous concentrerons dans cette sous-partie sur la représentation et le vécu du harcèlement sexuel dans l’emploi domestique, et nous n’évoquerons pas les diverses formes de violences de genre en général. Le thème du harcèlement sexuel est tabou au Mexique : les femmes ont du mal à en parler et éprouvent une certaine honte à son évocation. De plus, le fait de reconnaître ce type de harcèlement dans une relation de travail où les deux personnes se connaissent rend l’accusation d’autant plus gênante.
54Ce tabou a des racines profondes au Mexique et y revêt une forme particulière. Dominique Vidal explique la spécificité du Brésil à ce sujet en l’articulant à la valeur attribuée aux relations sexuelles dans l’imaginaire social, et notamment dans le mythe des trois races, mythe fondateur de la nation brésilienne [Vidal, 2010, p. 37-53]. Au Mexique, il nous paraît indispensable de relier la valeur des relations sexuelles au mythe de la Malinche. Pour cela, nous reprendrons ici Octavio Paz [Paz, 1992, p. 35] :
« Si la Chingada est une représentation de la Mère violée, il ne me semble pas forcé de l’associer à la Conquête, qui fut aussi un viol, non seulement au sens historique, mais dans la chair même des indiennes. Le symbole de la reddition est Doña Malinche, l’amante de Cortes. C’est vrai qu’elle s’est livrée volontairement au conquérant, mais dès qu’elle cesse de lui être utile, il l’oublie. Doña Marina est devenue une figure représentative des indiennes fascinées, violées ou séduites par les Espagnols31. »
55Ce mythe est ambigu puisqu’il associe à doña Malinche le double statut de femme « violée » et de femme qui s’est « offerte » volontairement. La Malinche est une traîtresse, elle a trahi les sien·nes en traduisant pour Cortés. L’ambiguïté historique de cette femme – était-elle consentante ou pas ? – n’a donc pas d’importance, car elle fut la complice de Cortés. Ainsi, la « mère » de tous les Mexicain·es serait une traîtresse. Selon Gloria Anzaldúa, les figures des « trois mères »32 mexicaines ont subi une distorsion historique [Anzaldúa, 1999, p. 53] : « La vierge de Guadeloupe nous [rend] obéissants, la Chingada nous [fait] ressentir la honte de notre passé indien et la Llorona [fait de nous] les victimes33. »
56Ce mythe explique en partie la « honte » que peuvent ressentir certaines femmes victimes d’abus et nous permet de comprendre l’imaginaire social selon lequel la femme violée est toujours un peu – ou complètement – coupable de son sort. Cela explique pourquoi les femmes ne veulent pas parler de viol, d’abus ou de harcèlement sexuel, de peur qu’on les déclare coupables de la situation, et d’avoir eu une attitude séductrice et provocatrice devant l’agresseur.
57Marta Torres Falcón parle de « vérités discursives » réaffirmées lorsqu’il est question de la victime d’un viol, toujours soupçonnée d’être coupable : « Si une femme ne veut vraiment pas, elle ne peut pas se faire violer », « Elle le cherchait même si elle dit le contraire », « Elle l’a provoqué que ce soit de manière consciente ou inconsciente »34 [Torres Falcón, 2004, p. 25]. Dans les témoignages que j’ai recueillis, les employées qui parlent d’abus sexuels ne se considèrent pas comme victimes, car elles ne sont pas « tombées dans le piège ». Leurs récits évoquent les stratégies ratées de patrons et d’autres personnels domestiques ou des expériences de tiers.
58Nous examinerons d’abord les récits se rapportant au harcèlement d’une autre femme employée domestique. Cette autre est d’une manière ou d’une autre désignée comme coupable. Il existe plusieurs types de « discours » rapportant un fait de harcèlement sexuel ou une tentative d’agression. Le premier est celui de la condamnation morale. Lors d’une conversation informelle, Berenice me parle de Samantha, que je ne connaîtrai jamais personnellement. Cette Samantha, qui n’est guère appréciée de Berenice, m’est ainsi décrite [Berenice, Guadalajara, 17 juin 2012] : « Elle m’a raconté qu’elle plaisait à son patron parce qu’elle adore séduire les hommes. Moi, si le patron commence à me draguer, je démissionne direct. Je pars et c’est tout35. » Berenice ne parle pas d’une expérience concrète qu’elle aurait vécue. La possibilité de partir, sans mot dire, est envisagée, mais pas le recours à la justice. Le jugement tombe moins de cinq minutes plus tard lorsqu’elle commente :
« C’est que les hommes te traitent selon ton comportement. Si tu t’habilles ou tu leur parles comme une pute, alors ils vont te traiter comme telle, comme une pute. Mais si tu comportes normalement, ils te traitent respectueusement36. »
59Dans les paroles de Berenice, le patron n’est pas critiqué, même s’il a une femme et des enfants, elle ne condamne pas son attirance pour Samantha. En revanche, Samantha est condamnée moralement, puisqu’elle provoque le désir d’autrui. Comme Marcela Lagarde l’a montré dans son livre, si la monogamie féminine est absolument obligatoire, la polygamie masculine existe à cause de la pratique des « mauvaises » femmes [Lagarde, 2005, p. 440-443].
60Le deuxième type de discours quant au harcèlement sexuel concerne les jeunes filles qui ne se rendent pas compte du danger. Il fait appel à l’innocence, toujours en même temps coupable [Pily, Casa Hogar, le 5 mai 2013] :
« Un jour [Maribel] est arrivée ici et m’a dit qu’elle était allée travailler avec le patron et que le patron l’attendait de manière très suspecte. Il lui a servi un verre. Les bonnes sœurs ne le savent pas, Maribel ne vient plus ici. Donc il lui a servi un verre. Et quand il a vu qu’elle était pompette… Elle était jeune, elle avait 19 ans. Et la patronne n’était pas là, elle était partie à l’étranger avec les enfants, donc il ne restait que le patron et elle. Elle me raconte : “Il me donne à boire, et je ne me suis pas sentie très bien, alors je suis allée dans ma chambre.” Je lui demande : “Et ensuite ?” Elle me répond : “Imagine. J’étais dans ma chambre et le patron toque à ma porte. ‘Maribel, tu ne veux pas un autre verre ?’ et je lui réponds, ‘Non, merci monsieur’. ‘Maribel, tu sais depuis combien de temps que je n’ai pas fait l’amour à ma femme ?’”
Je lui dis : “Maribel, qu’est-ce que tu lui as répondu ?” Elle me dit : “J’ai ri, fermé la porte et je ne suis plus sortie.” Je lui ai répondu :
“Maribel, il faut que tu partes de ce travail !
— Oui, mais…
— Maribel, tu sais que si c’était un cousin par exemple qui me disait : ‘Cousine, tu sais depuis combien de temps je n’ai pas fait l’amour à ma femme ?’, je lui répondrais ‘Mais qu’est-ce que ça peut me faire !’ Mais non Maribel, ce n’est pas possible, qu’est-ce qu’il se passe ici ?”
— S’il-te-plaît, ne le dis pas aux bonnes sœurs, j’ai confiance en toi” […]37. »
61Pily raconte l’histoire en montrant que Maribel se doute des intentions du patron. Elle refuse de lui laisser la possibilité d’être innocente ou de ne pas se rendre compte du danger. Maribel se sent d’une certaine manière coupable, puisqu’elle demande à Pily de ne pas raconter cela aux religieuses du couvent. Elle a ingéré de l’alcool pendant son travail, mais ce souci par rapport aux religieuses vient aussi de sa compréhension des mauvaises intentions de son patron. Or celles qui, comme Pily, racontent que « l’autre », à savoir Maribel dans cet exemple, a eu des problèmes avec son patron, n’oublient jamais de spécifier qu’elles l’ont personnellement mise en garde contre le comportement des hommes, qu’elles lui ont dit de prendre garde à ses façons de s’habiller pour ne pas paraître « provocante ». On leur recommande toujours de faire attention à soi, l’homme étant « naturellement » un prédateur pour la femme. Le désir sexuel masculin est naturalisé et la violence n’est qu’un aspect des différents types de pulsions sexuelles de ces derniers. De plus, le fait de prévenir permet de mettre en évidence une des rares stratégies que les employées ont à leur disposition : le partage des informations et des techniques pour ne pas être victimes du harcèlement des hommes du foyer. C’est une responsabilité individuelle qui est alors assignée : ne pas provoquer l’homme.
62Le troisième type de discours que nous avons pu recueillir est celui où les femmes racontent leur propre anecdote concernant la violence sexuelle dans leur emploi. Ces anecdotes reprennent souvent des événements passés. Nous reprendrons ici le récit de Teresa [Teresa, Casa Hogar, 14 avril 2013] :
« Un jour, je ne me sentais pas très bien. Ce type, le jardinier, m’a pris la main pour me demander comment ça allait. J’ai enlevé ma main. Il m’a proposé d’aller me chercher un coca pour que ça aille mieux. Je lui ai dit que non, que j’allais me reposer un moment. Il a été en chercher quand même. Quand je suis revenue, je suis allée à la cuisine pour le boire, mais je n’ai pas eu confiance. Je me suis rendu compte qu’il était ouvert et qu’il avait mis quelque chose dedans, une pilule, je crois. Je ne l’ai pas bu, ah non, je l’ai même vidé dans l’évier. Quand je suis sortie, il me regardait avec un regard pervers [rires]. C’était l’heure où je devais faire les courses, alors il m’a suggéré d’y aller en voiture. Il a dit qu’il pouvait me déposer au supermarché. Je lui ai dit que non, que je me sentais mieux grâce au coca. Il a beaucoup insisté. Je ne l’ai pas écouté et j’y suis allée à pied. Et voilà. Il est passé en voiture. Tu le crois, ça ? [rires] Et bah je lui ai dit non merci, que j’allais y aller comme d’habitude à pied. Heureusement que je n’ai pas pris le cacheton. Imagine ! Pauvre idiot. Mais je n’ai pas eu peur. Le gars était fou, il n’y a pas d’autres explications38. »
63Cet épisode m’a été raconté sur le ton de rigolade. Alors que je découvrais peu à peu que Teresa me racontait comment le jardinier avait essayé de la droguer et d’abuser d’elle, le ton qu’elle adoptait me surprenait. Plus tard, j’ai compris que l’anecdote était racontée comme une épreuve quotidienne : l’histoire montrait surtout qu’elle avait été plus maligne que lui. Elle avait compris que c’était un piège et n’était pas tombée dedans. La violence n’était pas perçue comme telle, mais seulement comme l’expression d’un homme un peu désespéré et fou. Quand je lui demandai si elle en avait parlé à quelqu’un, à sa patronne par exemple, elle me répondit que non, qu’elle n’en avait parlé à personne, parce que ça ne valait pas la peine. Et, lorsqu’elle évoque le harcèlement dont elle a été l’objet à celle qui l’a remplacée, elle le fait sur un ton léger, sans évoquer l’épisode de la pilule dans le soda : « J’ai rencontré la femme qui a travaillé après moi. Et je lui ai dit : “Fais attention que le gars ne rentre pas dans ta salle de bains, qu’il aille pas voir ta chambre et qu’il reste longtemps ! Il essayera probablement de sentir tes sous-vêtements.” [rire] La dame a eu peur39. » Elle l’alerte sur les risques, sans accuser directement le jardinier d’une tentative d’abus sexuel. On peut se demander si le fait de ne pas en parler ne permet pas d’éviter de revêtir le statut de victime. Refuser le statut de victime, lui résister, empêche la dénonciation des faits, mais est aussi une manière d’écarter la possibilité d’être considérée comme coupable. Teresa s’est montrée plus intelligente que son agresseur et a donc pu éviter l’agression.
64Laura Chavarría a montré l’importance des réseaux pour renforcer le sentiment de sécurité à l’intérieur de la ville [Chavarría, 2005, p. 98]. Ces réseaux permettent la circulation d’information sur les façons de se comporter dans les lieux publics ou sur la nécessité de ne pas sortir seules. Pour une femme, sortir la nuit en groupe permet de limiter son exposition au risque d’agression. Ces informations influent sur le sentiment de sécurité. Cependant, elles parlent très peu des abus sexuels, et encore moins dans le milieu du travail. Par exemple, à l’intérieur des réseaux de migrantes indigènes, la possible violence des hommes sur le corps des femmes domestiques est plus sujet à diffamation (des collègues) qu’à l’élaboration de véritables stratégies, au contraire du salaire par exemple où l’échange d’information permet de se rendre compte de l’existence d’abus. Le moyen de résistance envisagé est de modifier ses propres manières de s’habiller ou de se comporter, plutôt que de dénoncer ces violences. Ainsi, dans les réseaux soutenant les employées domestiques, la représentation de la culpabilité de la femme reste de mise. La morale chrétienne semble renforcer cette vision, à l’image d’Ève par exemple.
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65L’exploitation n’est dénoncée que lorsqu’elle ne peut être compensée de manière matérielle ou qu’elle ne permet pas la conciliation entre vie personnelle et travail. De plus, les humiliations proviennent de la volonté des patron·nes de se différencier de leurs employées en leur rappelant leur proximité avec la saleté ou avec des comportements déviants. Ces humiliations renvoient à la peur des employeur·ses que la présence et les comportements des membres des classes populaires puissent contaminer leur propre famille. Ces propos, qui nient une commune humanité, sont dénoncés dans les conversations entre les employées domestiques. La violence de genre dans le cadre de relations hiérarchiques est d’autant plus difficile à dénoncer que l’imaginaire social tend à montrer la femme comme coupable de provoquer le désir. Les employées domestiques ont souvent intériorisé les différences sociales existant entre elles et leurs patron·nes. Celles-ci ont été naturalisées dans le contexte d’une société très inégalitaire et reconstruites par les médias. Aussi rompre la domination est-il difficile. C’est seulement lorsque l’humanité ou la moralité des employées sont remises en question que celles-ci refusent la relation de travail et s’en vont, presque toujours sans rien dire.
66Il nous faut maintenant comprendre comment l’emploi domestique a des influences profondes sur les projets des femmes qui l’exercent. Nous examinerons donc les stratégies des employées, qui ne se limitent pas à la sphère professionnelle.
Notes de bas de page
1 Citation originale : «[…] [N]o es un espacio privado ajeno sino un ente conformado y conformador de sociedad pues reproduce las formas organizativas, los imaginarios, los mandatos y las formas de autoridad normalizadas. »
2 Citation originale : « Ser confianzuda significa “igualarse”; es decir, transgredir los límites de la clase social. Se puede ser de confianza manteniendo el estatus, pero no se puede aspirar a ser “iguales” a ellos. »
3 Citation originale : « Cuando hay invitados, saben lo que eres. Si quieren un refresco te lo piden a ti, no a los miembros de la familia. »
4 Citation originale : « La sexualidad se asocia con lo “sucio” y hablar de ello es motivo de vergüenza. Estas concepciones sobre la sexualidad son parecidas a las que Anne Martin-Fugier [2004] relata en su análisis de la vida de las sirvientas parisinas en 1900: su embarazo desvelaba el acto sexual y ensuciaba la casa, la que requería ser purificada con el despido del personal doméstico corruptor. »
5 Citation originale : « En la encuesta con las empleadas del hogar contactadas en la Casa de asistencia Vicente María, evidenciamos que trabajan en promedio doce horas diarias. »
6 Citation originale : « Trabajo de las 7h15 a las 14h, como, y después de comer y de lavar los trastes, ya no trabajo, solo de planchar un poco. »
7 Citation originale : « Lo de lavar los coches no está incluido, no tenías que acceptar. Si tienen chofer es el chofer que tiene que lavar el coche, o lo tienen que hacer ellos. O sino es un extra, entonces tienes que cobrar a parte. Normalmente son 100 pesos para lavar cada coche. »
8 Citation originale : « [La patrona] me ponía nerviosa a la hora de la comida. Que me preguntaba muchas cosas al mismo tiempo, que tenía que hacer eso y eso, que no servía rápido, y que no podía dar todo al mismo tiempo. Un relajo. La próxima vez pues mejor pide una mesera [risas]. »
9 La charge de travail est moins acceptée quand la personne dictant les tâches à accomplir n’a pas de travail salarié et qu’elle est souvent présente sur le lieu de travail de l’employée. Ce point, développé dans la version originale de mon mémoire, ne sera pas abordé ici [Borrel, 2013, p. 99].
10 Citation originale : « Sé que van a necesitar. Aprovecho para hacer las cosas que me quedan por hacer cuando el niño duerme. Si sabes lo importante es el niño y la comida, pues el resto no es tan urgente. Si tengo tiempo para trapear no haré hoy el polvo en los muebles. »
11 Citation originale : « La mujer-madre-trabajadora puede delegar tareas, pero siempre queda con la responsabilidad de la organización de la tarea doméstica y a cargo de la tarea en los casos de emergencia o cuando la propia organización falla. »
12 Citation originale : « Tiene la impresión de mandar. »
13 Citation originale : « Lo eduqué como mi proprio hijo. »
14 Citation originale : « Soy la tía para ellos. »
15 Citation originale : « como de la familia. »
16 Citation originale : « Sólo soy la mujer de la limpieza. »
17 Citation originale : « No quiero quedarme más de cinco años en un trabajo. »
18 Citation originale : « Ah pues si soy de la familia ¿por qué no me prestan las llaves de la camioneta? »
19 Citation originale : « Cuando se murió mi sobrino, fue muy duro. Lo anuncié a mi patrona porque tenía que ir allá. ¿Y saben lo que me dijo? “¡No es una obligación, no es de tu familia cercana”! Pues yo fui, yo quería ir por allá. Yo pensé que al regresar tendría mis cosas a fuera. Pero no. Pero nunca fue igual. »
20 Citation originale : « Lo hice en una ocasión. Pero me contestó que me daban el privilegio de ir a la escuela cuando otras no tenían. Ya se acabó la conversación. »
21 J’ai développé plus d’exemples à ce sujet dans la version originale de mon mémoire [Borrel, 2013, p. 93-94].
22 Citation originale : « No eran malos pero las otras me decían me pagaban muy poco. »
23 Citation originale : « Me levanto a las 6 para servir el desayuno, y después yo hago la limpieza, desayuno como a las 11 am. Tengo que limpiar la cocina para empezar hacer la comida a partir de las 12 am. A las 2 pm les sirvo y les atiendo (lo que te contaba que tengo que servir como una mesera), a las 3 pm como con la otra chica de la limpieza en la cocina. Los padres están por la tarde, pero tengo que cuidar a los niños. A las 7 pm me dan media hora de descanso, dónde puedo subir a mi habitación. Después tengo que bañar a los niños, preparar algo para la cena, y plancho de las 9 a las 11 pm. Y ya me voy a mi habitación. Y eso de lunes a domingo. Me dejaban salir cada 15 días. Era mucho trabajo para mí. Por 1000 pesos por semana, pues no al final dije que no me convenía. »
24 Citation originale : « Para evitar que andan la calle a drogarse o con el novio. Aquí están entre mujeres y aprenden y se superan. »
25 Citation originale : « Mi segunda patrona era la peor. Tenía 85 años. Me llamaba la chacha, la gata. Por la ignorancia, me trataba mal, muy mal. ¡Que no me fuera a meter a su baño!, me decía, como si tuviera miedo que yo lo contaminara… Hasta dijo a su cuñada que la visitaba “de esto no le das, hay gelatinas que se van a echar a perder”, cuando ellas estaban comiendo un pastel de la panadería. La verdad me humillaba. Me quedé como 4 meses, pero ya no pude más. Cuando hablaba por teléfono, ponía el altavoz y hablaba que no hacía las cosas bien. Pues yo le di las gracias y me fui. ¡Y lo peor de todo fue que habló con las hermanas diciendo que yo le había robado cosas! [risas] ¡Sí en serio! Pues nada ya no le enviaron a nadie a esta persona, está muy loca. »
26 Un tamal est un plat préparé à partir de pâte de farine de maïs nixtamalisée et de saindoux, cuit à la vapeur, servi dans une feuille d’épi de maïs ou de bananier. Ce plat d’origine amérindienne est très populaire.
27 Citation originale : « La hija de la doctora y del señor está estudiando psicología según ella. Ella llega así, bien elegante de la escuela. Traía una bolsa – la vi desde la camioneta – así la bolsa [imita una cara de asco y la mano que aleja la bolsa], abrió el bote de la basura, yo estaba en la cocina preparando la comida. “Hola Pily, ya llegué”, “Está bien”, y lo botó en la basura. Me dice: “Voy a descansar un rato que no puedo de la cabeza.” Se va y yo abro la bolsa. ¡Era plátano de lo que se da en el pueblo, lo más rico! Plátanos y unos tamales no sé qué tantos le dieron las señoras que ella iba… como se dice, iba a estudiar de psicóloga según ella. Fue a curso que le mandan en la universidad, es una universidad de paga. Y las señoras, como ella llegaba, saludando de besitos, las señoras indígenas igual que yo. Y las señoras le regalan tamalitos que hicieron ellas, de su esfuerzo. A lo mejor no tenían dinero y lo invirtieron en los tamalitos. Y llega con la bolsa. Y yo agarré y la abrí que yo no soy grosera de « pinche vieja maldita », no no no tampoco lo usó. Abrí la bolsa y vi los plátanos. Plátanos como los de mi pueblo. Tamales. Y así como estaban, los puso al bote. Lo agarré, saqué los plátanos y los lavé. Y los bajé. ¡Ella lo tiró a la basura! Yo agarré y dije “pinche señora” o sea ¿por qué lo tuvo que haber tirado, no me lo pudo haber dejado ahí? Yo soy de rancho que diga: “Oye escoge lo que te gusta, comételos”. ¡No! Los tiró. Y me dio coraje, mucho coraje. Pienso a las pobres señoras, con su esfuerzo, con su ilusión, para que esta señora lo avienta a la basura. ¡Así! Como si la bolsa hubiera sido contaminada… »
28 Citation originale : « No me llevo muy bien con una de las chicas. Como que es muy altanera. Siempre quiere que le planche la ropa. Yo le digo que no, que hay alguien más, otra señora en la casa para planchar la ropa. Pero no, quiere que yo lo haga en la semana, hasta que me humilló. Una vez tenía la ropa sucia y yo le pregunté si quería que la lavara. Y me contestó: “¡No! ¡No quiero que la laves, quiero que la planches! ¡Hasta sea sucia y llena de mierda tu tendrías que planchármela! ¡Por eso te pagan!” »
29 J’ai développé ce point dans la version originale de mon mémoire de master [Borrel, 2013, p. 103].
30 Citation originale : « Me salí porque la señora comentaba a las otras chicas que me iba a echar. ¡Porque según ella robaba, cuando no es verdad! Es que ella hacía las compras una vez a la semana, pero nunca me duraba para que cocinara toda la semana. Y ella no quería comprar más, no quería gastar más. Entonces seguramente se le ocurrió que yo robaba comida. »
31 Citation originale : « Si la Chingada es una representación de la Madre violada, no me parece forzado asociarla a la Conquista que fue también una violación, no solamente en el sentido histórico, sino en la carne misma de las indias. El símbolo de la entrega es doña Malinche, la amante de Cortés. Es verdad que ella se da voluntariamente al Conquistador, pero éste, apenas deja de serle útil, la olvida. Doña Marina se ha convertido en una figura que representa a las Indias, fascinadas, violadas o seducidas por los Españoles. »
32 La Vierge de Guadalupe est le nom donnée à la Vierge Marie qui serait apparue à l’indigène Juan Diego en 1532. Elle a plusieurs titres comme patronne et reine du Mexique, ainsi qu’impératrice des Amériques. La Chingada est la traîtresse. Octavio Paz a pris la figure polémique de la Malinche et la présente comme celle qui s’est donnée à Hernan Cortes et qui a trahi son peuple. La Llorona est un personnage mythique d’une représentation fantomatique qui sortait tous les soirs à pleurer pour ses enfants morts.
33 Citation originale : « Guadalupe para hacernos dóciles, la Chingada [Malinche] para hacernos sentir vergüenza de nuestro pasado indio, y la Llorona para hacernos gente sufrida. »
34 Citation originale : « Si una mujer verdaderamente no lo quiere, no puede ser violada », « Ella lo estaba buscando aunque lo negará », « Ella lo provocó consciente o inconscientemente. »
35 Citation originale : « Me comentó que gustaba a su patrón porque le encanta coquetear a los hombres. Yo si empieza a coquetearme el patrón, renuncio directo. Me voy sin más. »
36 Citation originale : « Es que a los hombres, te tratan según como te comportas. Si te vistes o les habla de puta, pues así te van a tratar: de puta. Pero si te comportas bien, te tratan con respecto. »
37 Citation originale : « Un día [Maribel] llegó aquí y me dijo que se fue a trabajar con el patrón. Y que el patrón le estaba esperando muy sospechosamente a ver si estaba llegando. Y que le sirve una copa. Eso no lo saben las hermanas, la chica ya se fue. Y que le sirve una copa. Y cuando ve que está tomada – estaba chica, tenía 19 años. Y la señora no estaba, se fue a otro país con los niños y se quedó el señor y ella. Y ella me dice: “Y que me da una copa, me da una copa y me sentí mareada, que me voy a mi cuarto.” Le digo: “¿Y luego?” Y dice: “¿Qué ves tu? Que estaba en mi cuarto, que me toca el señor: ‘Maribel, ¿no quieres otra copa?’ Le dijo: ‘No señor, no gracias’. ‘Maribel, ¿sabes hace cuanto tiempo que no hago el amor con mi mujer?’” Y le digo: “Maribel, ¿qué le dijiste?” Me dice: “Me reí, cerré la puerta y me metí.” Le digo: “Maribel, de este trabajo tú ya te tienes que salir” “Si pero…” “Maribel, sabes que un primo que está casado por ejemplo y que me dice: ‘Prima, ¿sabes hace cuánto tiempo que no hago el amor con mi mujer?’ Le digo: ‘¿Pero a mi qué me importa?’ No Maribel, esto está mal. ¿Qué está pasando ahí?” Que me dijo: “No le vayas decir a las hermanas que confío en ti. […]”»
38 Citation originale : « Pues un día estaba un poco mal. Este güey, el jardinero, me agarro la mano y me preguntaba cómo estaba. Me la quité. Propuso ir por una coca para que esté mejor. Le dije que no, que me iba a descansar un rato. Pero sí fue por una coca. Cuando regresé, fui a la cocina para tomarla, no me dio confianza. Me di cuenta que ya estaba abierta y que había puesto algo dentro. Una pastilla yo creo. No la tomé, pues no, mejor la eché en el lavadero. Cuando salí, me miraba con cara de morboso [risas]. Era la hora que yo iba por las compras, entonces él me propuso ir en carro. Que me podía dejar allá en el supermercado. Le dije que no, que me sentía mejor después de la coca. Él era insistente e insistente. No le hice caso, me fui a pie. Pero paso otra vez en caro, ¿lo crees? [risas] Pues nada le dije que no gracias, que iba como siempre caminando. Y así. Pero menos mal que no tomé la pastilla. ¡Imagínate! Pobre loco. Pero yo no tuve miedo. Estaba loco el güey, ¿qué más?»
39 Citation originale : « Pues solo me encontré a la señora que trabajó ahí después de mí, y le dije “¡Aguas que se te mete al muchacho a tu baño y que pasa a tu cuarto, se tarda mucho! Seguro intenta oler tu ropa interior.” [risas] Se espantó la señora. »
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« Employées de maison ? Nous sommes servantes »
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