Chapitre 1. Entre servantes et employées de maison, les deux imaginaires de l’emploi domestique au Mexique
p. 41-74
Texte intégral
1Deux imaginaires collectifs existent à propos des employées domestiques au Mexique. Ce sont à proprement parler des idéal-types qui, sans pour autant se présenter comme tels dans la réalité, ont pour but de résumer les caractéristiques de chacune de leurs visions. Dans ce chapitre, nous montrons comment les démocraties néolibérales reproduisent les inégalités de manière systémique, et comment ces inégalités sont contestées. Dans l’idéal de citoyenneté, certains collectifs revendiquent d’autre part l’identité des employées de maison, y attachant des droits à un travail digne. Ces deux idéal-types marquent les extrêmes d’une réalité complexe.
De la servilité dans une société « démocratique »
2L’imaginaire social qui renvoie les travailleuses domestiques à une image de servilité est fortement lié au passé colonial sud-américain. En effet, ce dernier est associé au travail obligatoire des indigènes et des personnes esclavisées. Selon Elizabeth Kuznesof, avec la conquête, « le service domestique en Amérique espagnole en est venu à présenter des aspects de subordination raciale et de classe plutôt que d’être une expérience d’apprentissage dans une “étape de vie” comme c’était généralement le cas en Europe préindustrielle1 » [Kuznesof, 1993, p. 36]. Aux mécanismes de subordination mis en place en Amérique du Sud et centrale évoqués par Kuznesof s’ajoutent les mécanismes de subordination de genre, puisque le service domestique a été la forme la plus importante d’emploi féminin et l’emploi le moins régulé. Il nous faut donc comprendre comment cette image de servilité est aujourd’hui présente et reproduite, tant par certains aspects discriminatoires des lois mexicaines, que par le fonctionnement du marché du travail dans le contexte néolibéral mexicain. De quelles manières l’État, le marché et les médias génèrent-ils et perpétuent-ils les inégalités dans le contexte de l’emploi domestique ?
3Pour répondre à ces questions, nous détaillerons d’abord comment l’État prend en compte l’emploi domestique, puis nous analyserons le fonctionnement du marché du travail en ce qui concerne ce secteur. Nous examinerons enfin les représentations véhiculées à travers différents médias.
L’absence de protection dans un État néolibéral
4D’une manière générale, les États se sont désintéressés de la protection de la sphère privée (des foyers) dans laquelle la subordination des femmes est supposée naturelle. Carole Pateman a ainsi fait une critique du contrat matrimonial, par lequel le pouvoir est confié au membre masculin du foyer, lui laissant la possibilité d’exercer des violences sans aucun contrôle de la part de l’État [Pateman, 2010]. Frances Oslen [1985, p. 835-864] explique que les asymétries de genre se reproduisent parce que les femmes sont confinées dans l’espace privé et que la dichotomie privé/public impose la non-soumission du travail domestique à la régulation de l’État. Cela entraîne des relations de pouvoir inégales : la femme réalise un travail non rémunéré, le travail domestique, et la violence de l’homme à l’intérieur du foyer, qu’elle soit économique, psychologique ou sexuelle, n’est pas examinée ou l’est de manière tardive. Il existe au Mexique un contexte social de violence contre les femmes. C’est seulement en 2005 que la Cour suprême de justice a qualifié de crime le viol à l’intérieur du mariage, et ce n’est qu’en 2007 que la loi pour le droit des femmes à une vie sans violence est proclamée. Or, si ces aspects ont tardé à être visibilisés à l’intérieur de l’espace privé pour les membres d’une même famille, il nous faut rendre compte de la difficulté de légiférer sur l’espace privé même si c’est pour un travail rémunéré.
5Les inégalités affectant ce travail sont manifestes dans la loi fédérale du travail (LFT). Il est écrit que « Les travailleurs domestiques sont ceux qui assurent le nettoyage, les soins et autres services propres ou inhérents au foyer d’une personne ou d’une famille2. » Cette définition législative reste vague et renvoie le travail domestique à ce qui est inhérent aux soins à la personne. Dans la Loi fédérale du travail, les droits et les obligations des travailleur·ses domestiques et de leurs employeur·ses sont exposés dans un paragraphe à part qui concerne la catégorie des « travailleurs spéciaux » (chapitre XIII)3. Ce chapitre a été élaboré en 1970 et n’a pas subi de modification substantielle depuis. La LFT institue ainsi une différence essentielle entre ces employé·es et les autres travailleur·ses mexicain·es.
6De plus, les articles 331 à 339 de la LFT sont imprécis. Il y est par exemple signalé que « les travailleurs domestiques doivent pouvoir bénéficier de pauses suffisantes pour se nourrir et se reposer pendant la nuit4 », sans toutefois mentionner le nombre d’heures de travail et de repos. L’employeur·se n’a pas d’obligation d’enregistrer la travailleuse et le travailleur domestique à l’Instituto mexicano del seguro social, équivalent de la sécurité sociale, – leur seule obligation étant d’apporter une assistance médicale en cas de maladie, en participant seulement si les travailleur·ses guérissent et dans le cas où la maladie n’est pas chronique. Cet enregistrement n’étant pas obligatoire, les employé·es domestiques sont généralement obligé·es de s’inscrire en tant que travailleur·ses dans le registre volontaire, en apportant leurs propres cotisations ouvrières et patronales. Mais cette inscription volontaire, qui leur permet d’avoir accès au système de santé public, ne leur ouvre pas de droits à la garde d’enfants ni à certaines prestations comme la pension de retraite ou la prise en charge des accidents du travail.
7En ce sens, on peut dire que la discrimination vis-à-vis de ce travail est institutionnalisée, puisque les travailleur·ses domestiques n’ont pas les mêmes droits que celles et ceux qui travaillent dans d’autres secteurs. Les conditions de l’affiliation au régime volontaire sont très contraignantes. Il faut d’abord que le·la travailleur·se convainque ses employeur·ses ; et si l’employé·e travaille moins d’un an avec cet·te employeur·se ou que les nouvelles et nouveaux patron·nes n’acceptent pas l’affiliation volontaire, l’employé·e perd tous les avantages acquis jusque-là. La loi n’est donc pas adaptée à la réalité des employé·es domestiques, pour lesquel·les le turn-over est fréquent.
8Les travailleur·ses domestiques ne peuvent pas bénéficier de la majorité de leurs droits fondamentaux et la LFT exempte les patron·nes du paiement des cotisations obligatoires de l’Infonavit (Instituto Nacional del Fondo Nacional de la Vivienda para los Trabajadores). Ce programme Infonavit permet aux travailleur·ses de cotiser pour accéder à la propriété privée. En 2010 a été mis en place le programme « Infonavit para todos », et notamment pour les employé·es domestiques. Ce programme est volontaire et non obligatoire, fondé sur la supposée « bonne volonté » des patron·nes. Enfin, les travailleur·ses domestiques sont les seul·es qui, selon la loi, doivent « considération et respect » à leurs patron·nes.
9Les lois ont des conséquences non seulement sur les conditions de vie de ces travailleur·ses qui sont privé·es d’un certain nombre de droits, mais aussi sur la perception que la société a de ces travailleur·ses. Par exemple, si les travailleuses domestiques n’ont pas droit aux jours de repos avant et après l’accouchement, la grossesse signifiant le plus souvent le renvoi, faut-il alors considérer les employées domestiques qui « tombent » enceintes, rarement seules, comme irresponsables ? Celles-ci sont régulièrement désignées comme responsables de la situation, certain·es patron·nes estimant qu’elles jouent avec le feu [Durin, 2012b, p. 14].
10Les quelques droits reconnus par la loi sont peu respectés par les employeur·ses. L’enquête de la Conapred (Comission nationale contre la discrimination)5 de 2010 révèle que 44,7 % des employé·es domestiques n’ont pas d’horaire fixe, que 37,9 % n’ont pas le droit d’utiliser le téléphone, que 46,5 % ne reçoivent pas d’aguinaldo (équivalent du 13e mois), que 61 % n’ont pas de vacances et que 87 % n’ont pas accès à une assurance sociale. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une niche de travail pour des populations vulnérables et privées de droits. En effet, comme l’écrit Jeanny Posso, pour le contexte latino-américain [Posso, 2008, p. 220],
« Actuellement, le service domestique est un secteur emblématique de l’informalité et de la discrimination au travail. Dans presque tous les pays, il continue d’être l’un des secteurs qui opère en dehors des réglementations du travail, de la couverture sociale et, en résumé, des droits qui constituent la citoyenneté6. »
11Même si cette analyse ne se centre pas sur la citoyenneté, mes observations révèlent que les travailleuses que j’ai côtoyées ne se sentent pas forcément sujets de droits. Dans les cas où elles se rendent compte que leurs droits ne sont pas respectés, les recours en justice sont rares et semés d’embûches. Il n’existe pas de structure spécifique pour juger les litiges susceptibles de se présenter dans ce travail. Ne bénéficiant d’aucune caractérisation précise dans la loi, il est difficile pour ces femmes de faire valoir leurs droits y compris dans les instances plus locales comme la Procuraduría local del trabajo ou les Juntas locales de conciliación y arbitraje, l’équivalent du Conseil des Prud’hommes. De plus, devant des juges non formé·es aux spécificités de leur métier, leurs démarches sont encore plus laborieuses. Les cas de violences, notamment d’abus sexuels, devraient être enregistrés par les commissariats, mais le degré d’impunité des crimes et délits au Mexique en général est stupéfiant : 98 % pour ce qui concerne les délits7.
12Les travaux de chercheuses dans l’étude « ¿Y usted cree tener derechos? Acceso de las mujeres mexicanas a la justicia » (« Et vous, vous croyez avoir des droits ? Accès des femmes mexicaines à la justice ») sont éclairants [Melgar & Saucedo, 2011, p. 7] :
« Pour les femmes, et en particulier pour celles qui sont pauvres et/ou indigènes, le système judiciaire est un terrain dangereux si ce n’est interdit, un espace dans lequel il est impossible de pénétrer sans s’exposer à des mauvais traitements ou à l’expulsion. En effet, que ce soit à cause de la misogynie des lois, de la corruption des autorités et des responsables du système, du manque d’éthique, d’empathie et de perspective au genre des fonctionnaires (ou une combinaison de tous ces facteurs), le système judiciaire, les lois, les forces de l’ordre et même les discours politiques constituent un système hostile aux femmes8. »
13Le recours à la justice nécessite des moyens économiques pour payer des avocat·es et du temps pour affronter la bureaucratie, ce qui provoque de fait des inégalités de classe dans l’accès à la justice. L’inégalité est aussi ethnique, puisque la loi est censée fournir un·e traducteur·rice de langues indigènes lorsqu’une victime indigène porte plainte. Force est de constater que ce n’est que très rarement le cas. Le thème de l’impunité fait référence à d’autres problématiques qui ne seront pas traitées ici, mais il est important de rappeler son ampleur afin de comprendre au mieux la situation des employées domestiques.
14Par ailleurs, la prise en compte par la Conapred de la thématique des employées domestiques et de leur précarité [Conapred, 2012] n’a pas conduit à des avancées majeures : selon une employée de la Conapred, le budget de la commission dédiée à cette question est très réduit par rapport à celui d’autres commissions. Cette institution n’a pas les moyens de dénoncer et de résoudre tous les cas de discriminations. Rendre visible l’intérêt de la Conapred pour cette question permet d’afficher une certaine image de l’État, sans toutefois lui donner les armes pour combattre les racines de la discrimination.
15De plus, le Mexique n’a ratifié l’article 189, intitulé « Travail décent pour les travailleuses et les travailleurs domestiques », de l’Organisation internationale du travail (OIT) que le 3 juillet 2020, ce qui était dû, selon divers agent·es de ce secteur, à une absence de volonté politique claire. La réforme du droit du travail mexicain votée à la fin 2012 n’octroyait pas plus de droits aux travailleur·ses précaires. Au contraire, cette réforme faisait partie d’une vague plus large de mesures néolibérales de grande ampleur, et représentait le point culminant des politiques menées depuis la fin des années 1980, qui éloignent l’État de son rôle de régulateur du marché. L’État mexicain, en tant que « semi-État9 », réalise une série de réformes structurelles qui bénéficient aux transnationales des pays du centre [Almeyra, 2012, p. 173]. Ces réformes sont dessinées depuis les instances supranationales comme l’OCDE et la Banque mondiale, et en ont fini avec les conquêtes du droit du travail permises par les luttes sociales du xxe siècle. Dans un tel contexte, il est difficile d’imaginer que les travailleur·ses domestiques, qui n’ont jamais bénéficié d’une relation de travail formelle et régulée par la loi, puissent faire valoir leurs droits.
Un marché du travail dérégulé qui s’organise autour des inégalités de classe, de « race » et de genre
16Le marché du travail, et notamment celui du travail domestique, a subi de nombreuses transformations au cours de l’histoire. Sans nous arrêter sur l’ensemble de ces changements, soulignons le dernier changement important. Durant la seconde moitié du xxe siècle, le secteur tertiaire et l’emploi féminin ont crû. En effet, avec la diffusion de l’éducation dans les classes moyennes, les femmes de ces milieux sortent de leur maison pour aller travailler, les femmes des classes populaires ayant toujours travaillé [Schweitzer, 2002]. L’organisation traditionnelle du foyer n’est pourtant pas menacée, comme le montre Sonia Montecino [Montecino & Campos, 1993, p. 66] :
« Le paradoxe de la “libération” des femmes dans nos pays du tiers-monde est que l’accès au travail hors du foyer n’est possible que si une autre femme vit à l’intérieur du foyer et prend en charge les tâches ménagères, la socialisation des enfants et le maintien de l’ordre domestique éphémère10. »
17Les femmes des classes moyennes parviennent à obtenir des emplois qualifiés, tandis que la population féminine non qualifiée voit ses opportunités de travail se réduire à l’emploi domestique.
18De plus, l’incorporation des femmes au travail rémunéré n’a pas signifié l’abandon de ses tâches domestiques, puisqu’elles doivent assumer, en général, une double journée de travail. Elle n’a pas conduit non plus à une augmentation de leur influence dans les processus de prises de décision et de contrôle des ressources ou des institutions. Autrement dit, l’incorporation des femmes au marché du travail n’a pas mis fin aux inégalités de genre. Les ségrégations professionnelle et salariale permettent de comprendre comment ces inégalités se perpétuent. La ségrégation professionnelle, selon Flérida Guzmán, conduit à établir une différence d’emploi selon le sexe [Guzmán, 2012] et attribue aux femmes des compétences et des capacités censées être naturelles (la cuisine, le ménage, prendre soin des enfants et des personnes âgées, le travail sexuel), qui sont généralement des activités déqualifiées, aux conditions défavorables et à la rémunération précaire. Au Mexique, les femmes s’intègrent surtout au travail rémunéré dans les services à la personne, les services d’attention et de soin, activités très liées à la sphère privée et aux tâches de care, considérées comme spécifiquement féminines11.
19La représentation culturelle de la division sexuelle du travail a des implications sur l’emploi occupé et sur l’établissement des salaires. C’est ce que l’on appelle la ségrégation salariale : à niveau égal d’instruction, de capacités et de compétences pour un travail hors du foyer, il existe un différentiel de salaire négatif pour les femmes qui ne peut s’expliquer, selon Brigída García, que par la discrimination sexuelle [García, 2009]. Ces deux phénomènes sont corrélés au système social et économique reposant sur la maximisation du profit et la marginalisation de certains secteurs. Le fait que des millions de femmes soient condamnées à travailler à des postes correspondants à leur rôle dans la division sexuelle du travail, et donc mal rémunérées, permet à l’appareil productif des entreprises de fonctionner avec une marge de bénéfice d’autant plus importante. Selon María Elena García [García Trujillo, 2010, p. 237-256], l’importante participation des femmes sur les marchés informels et alternatifs est causée autant par la différence de salaire entre hommes et femmes, que par l’austérité du salaire minimum, la difficulté et le coût élevé des transactions pour trouver un travail, et les pratiques sexistes et discriminatoires dans la plupart des emplois formels. Les marchés informels de l’emploi, comme le travail domestique ou le travail sexuel, sont souvent des alternatives à la pauvreté et sont des lieux où s’exercent des stratégies de survie.
20La décision de travailler comme employé·e domestique est rarement prise en autonomie et dans un contexte de choix. Dans de nombreux cas, elle est motivée par des crises survenues dans le cercle familial (mort, divorce, abandon du conjoint masculin) et/ou par la précarité économique. Dans un cadre de grande précarité économique, toute la famille doit travailler, les enfants et les femmes aussi. Dans ce cas, la crise est considérée comme une rupture avec une situation traditionnelle où la femme devait rester à l’intérieur du foyer et la transgression est acceptée comme nécessaire à la survie matérielle des membres de la famille.
21La plupart des femmes avec lesquelles j’ai réalisé un entretien ont commencé à travailler quand leurs parents – leur mère, dans la majorité des familles monoparentales – ne pouvaient plus subvenir aux besoins d’une famille nombreuse. Cela est souvent le cas, dans notre enquête, des jeunes célibataires migrantes. Ainsi les discours de ces femmes évoquent-ils le thème de l’aide à la famille : « Moi, j’aime aider ma famille », « Pas le choix, il fallait aider12. » Dans ces discours, le travail est présenté comme une « aide » et non comme une base au maintien de la famille, ce qui invisibilise le travail des femmes. Les crises économiques, comme le renvoi par l’employeur d’un membre de la famille, sont d’autant plus dévastatrices qu’elles altèrent l’équilibre économique de la famille en entier.
22Les crises peuvent être également familiales. Des femmes, qui n’avaient jamais travaillé pour un salaire après avoir accouché, ont dû faire face à des crises familiales comme l’abandon de leur conjoint, souvent dans le contexte d’une polygamie tolérée pour les hommes. Les deux mères célibataires connues à Guadalajara, Elsa et María Claudia, sont parties travailler comme employées domestiques lorsque leurs maris les ont abandonnées pour aller vivre avec une autre femme. D’une manière générale, l’introduction des femmes sur le marché du travail se fait souvent dans un contexte de précarité économique et de crise familiale.
23Puisque la plupart de nos enquêtées sont des migrantes internes, il nous faut revenir rapidement sur les conditions structurelles de ces migrations. Elles s’inscrivent dans un contexte de migration de la campagne vers la ville. Selon Erika Vázquez, il existe différents niveaux d’analyse pour comprendre le phénomène de la migration [Vázquez & Hernández Casilla, 2004]. Ces niveaux sont à la fois macrostructurel (politique, économique, social, etc.), régional et microstructurel. Ces différents niveaux d’analyse nous permettent de comprendre la raison du départ de certain·es personnes, tandis que d’autres choisissent de rester. La vague néolibérale qui déferle dès la fin des années 1980 a eu des effets graves dans les campagnes mexicaines. Avec l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (Alena), signé en 1993, les paysan·nes mexicain·es, indigènes ou non, ont vu l’ouverture du marché mexicain aux produits venus des États-Unis et du Canada, produits pour la plupart subventionnés. De plus, la révision de l’article 27 de la Constitution mexicaine en 1992 a permis la vente d’ejidos13, ce qui était auparavant impossible et a conduit à une certaine privatisation de la propriété communautaire.
24L’application de telles politiques économiques néolibérales a eu des conséquences désastreuses au niveau local. Face à la compétitivité des produits importés, vendre les produits locaux est devenu de plus en plus difficile. Dans la plupart des cas, cette production agricole ne permet que l’autosuffisance et, pour obtenir une source de monnaie sonnante et trébuchante, les habitant·es doivent quitter leurs villages. Selon Cristina Oehmichen [2000, p. 323], « la fermeture des canaux de développement paysan, qui a été intensifiée par la réforme néolibérale, a laissé des milliers de paysans et d’indigènes sans défense et sans autre alternative que l’émigration14. » Si ces facteurs sont exposés ici de façon générale, ils s’appliquent dans les différentes régions du Mexique selon différentes problématiques et avec des degrés de gravité divers, entraînant une migration continue. Séverine Durin a démontré que dans la métropole de Monterrey, le travail domestique à demeure est une « niche d’emploi ethnique » dans la mesure où la proportion d’indigènes y est très importante par rapport à d’autres types d’emplois15 [Durin, 2010, p. 34]. À Guadalajara, mes interlocutrices travaillaient (ou avaient travaillé dans un premier temps) à demeure, et trouvaient effectivement du travail grâce aux contacts de leur communauté (chinanteca) d’origine. À Mexico, deux des cinq travailleuses à demeure avec qui je me suis entretenue, se sont présentées comme étant indigènes, zoque et nahuatl respectivement.
25Sur le marché du travail, les femmes sont doublement discriminées. Leur scolarité étant généralement plus courte, elles sont plus affectées au moment de trouver un travail formel rémunéré, et lorsqu’elles en trouvent un, leurs salaires sont plus bas que ceux des hommes. Dans un contexte d’absence de travail formel bien rémunéré, elles doivent trouver des alternatives telles que l’emploi domestique. Malgré la représentation de la femme comme devant rester dans le foyer sans « travailler », en contexte de crise économique et/ou de crise familiale, les femmes doivent entrer dans un marché du travail informel. Le marché du travail est ainsi segmenté en fonction des différences de classes, « ethniques » et de genres [Posso, 2008, p. 220].
L’imaginaire social de la bonne au Mexique
26Je donnerai un aperçu de l’imaginaire collectif qui entoure la bonne mexicaine, à partir des analyses qu’ont faites Séverine Durin et Natalia Vázquez de certaines telenovelas [Durin & Vázquez, 2013] et d’un article de Daniel Bosigliono publié début avril 2013, qui fit scandale. Il m’a paru cohérent de mettre en valeur ces telenovelas, puisque ce sont des productions commerciales diffusées sur des chaînes privées, TV Azteca et Televisa, qui constituent un duopole. Les représentations sociales diffusées dans les programmes de ce duopole ne sont pas neutres et elles permettent de reproduire un système social inégalitaire dont le capitalisme se nourrit.
27La telenovela est un genre télévisuel qui participe de la construction de représentations sociales. Elle reprend des caractéristiques propres à la tradition orale dans un contenu moralisateur qui définit ce qui est autorisé ou non à l’intérieur d’une société. Dans leur article, Séverine Durin et Natalia Vázquez montrent que la trame des telenovelas traduit une vision dominante de la société mexicaine, notamment en matière de stratification ethnoraciale. Je reprendrai ici leur analyse de la seconde version de María Isabel (María Isabel… si tu supieras), diffusée en 1997, dans le contexte du soulèvement zapatiste. Cette telenovela propose une vision raciste et paternaliste des indigènes, en montrant qu’elles peuvent « s’intégrer » si on leur donne du travail. Ainsi, si les employées domestiques servent dans de « bonnes » maisons avec de « bon·nes » patron·nes, elles peuvent espérer se « civiliser ». En côtoyant la « civilisation », elles peuvent se métisser culturellement en se « modernisant », et biologiquement, en se reproduisant avec un patron blanc, riche et veuf. Cette telenovela tend à diffuser une représentation de « l’indigène idéal·e », présenté·e avec les caractéristiques wiwadrika (groupe ethnique du nord du Mexique), bien que la représentation de son lieu de vie, les chinampas, soit fort éloignée de la réalité de leur installation en zone montagneuse.
28Les indigènes sont encore plus objets de discrimination et de racisme lorsqu’elles et ils migrent en direction des villes [Castellanos, 2003]. L’enquête de Séverine Durin et Natalia Vázquez le met en évidence : « Ce que les spectatrices signifiaient était l’association entre ce qui est indigène, rural et arriéré : c’est-à-dire une condition indésirable16 » [Durin & Vázquez, 2013, p. 34]. Des codes racistes sous-tendent ce genre de la telenovela : l’indigène y est représenté·e comme ignorant·e, ne reconnaissant pas le savoir pratique que peut détenir sa communauté, et comme violent·e. Le personnage de l’indigène María Isabel représente le mythe de la bonne sauvage. Son ascension sociale dans cette telenovela montre que son arrivée en ville lui a permis de canaliser sa violence et de perdre ses traditions presque barbares, afin qu’elle devienne une femme au foyer charitable et généreuse.
29Ces représentations ne sont pas sans répercussions sur les imaginaires des Mexicain·es en général, et notamment des employeur·ses. Marta Angelica travaille au centre social (bourse du travail) de la Casa Hogar. Elle m’explique que certain·es patron·nes recherchent un profil bien particulier [Marta Angélica, Casa Hogar, 3 mars 2013] :
« […] Les patrons cherchent des filles qui ne sont pas de mauvaises filles. [Il faut] qu’elles soient douces, qu’elles fassent leur travail avec amour. D’autres disent : “Qu’elles étudient ? Non, je ne les laisse pas étudier, mais elle sera un membre de la famille ! Et qu’elle reste jusqu’à ce que les enfants grandissent.” Bien sûr, c’est plus facile, n’est-ce pas ? Ils me disent [qu’il faut] “une jeune fille qui ne discute pas, qui soit innocente, qui vienne d’arriver” et qui peut être éduquée comme ils veulent pour qu’elle puisse rester pendant de nombreuses années17. »
30L’image de l’indigène bonne, docile et soumise, transmise dans les telenovelas, est liée aux représentations sociales des employeur·ses. D’après Marta, certain·es patron·nes cherchent des migrantes à peine arrivées en ville, bien dociles, pour leur apprendre à faire les choses comme elles et ils le désirent. Une similitude entre le commentaire de Marta et le discours de l’investissement à long terme m’a frappée : les employées domestiques seraient une acquisition qui se doit d’être rentable à long terme pour les heures passées à leur enseigner comment réaliser leurs tâches d’une manière décente. Le commentaire de Marta nous fait penser que, pour les patron·nes, l’adaptation des migrantes à la ville doit se faire selon leurs règles et avec les fréquentations qu’elles et ils acceptent.
31Les telenovelas ne diffusent pas seulement une image raciste ou simplificatrice des minorités ethniques. Elles diffusent aussi le mythe de l’ascension sociale par le mariage. En effet, dans les telenovelas les plus vues par les enquêtées de Séverine Durin et Natalia Vázquez, toutes les protagonistes finissent par se marier, éventuellement après avoir réussi une ascension sociale personnelle, avec un homme riche et blanc, et peuvent elles-mêmes employer des bonnes. Dans un programme daté de 2011, Eva Luna, une migrante vénézuélienne arrivée aux États-Unis réussit à devenir une mannequin célèbre et à se marier. Dans ce cas, la trame indique que c’est par son corps qu’Eva peut parvenir à la mobilité sociale, en accédant au statut de mannequin, répondant ainsi aux critères de beauté et d’esthétique occidentaux. Dans notre étude, aucune des femmes interrogées n’a formulé l’objectif de devenir mannequin ou actrice. Cela est probablement dû à l’âge de nos enquêtées, et je ne sais pas si ce désir existe pour des femmes plus jeunes. Néanmoins, la possibilité d’ascension sociale par le mariage, si elle n’est pas directement formulée, semble être l’objet de rêves et de confidences, comme en témoigne Pily dans un entretien [Pily, Casa Hogar, 5 mai 2013] :
« Parfois c’est comme dans les feuilletons, n’est-ce pas ? La bonne tombe amoureuse du patron, le patron de la bonne et il la sort de la pauvreté. Mais aux filles, quand elles disent “Ah, le fils du patron, ou le cousin ou je sais pas qui”, je leur dis : “Ne pensez pas que c’est comme dans les feuilletons avec le riche, le happy end, ce sont des FEUILLETONS !” Ce n’est pas la réalité. Je n’en ai jamais vu aucune se marier avec le patron. Jamais de ma vie. Et j’en ai connu beaucoup18. »
32La conclusion de Séverine Durin et Natalia Vázquez vis-à-vis des rôles de genre est sans appel [Durin & Vázquez, 2013, p. 40] :
« Tout au long des quarante années de fiction, les qualités féminines telles que la beauté, le dévouement, la gentillesse, la douceur et la soumission, en tant que représentations traditionnelles du genre, continuent d’être des qualités caractéristiques des personnages de ces feuilletons télévisés19. »
33Cette représentation des femmes vaut également pour les employées domestiques.
34Le scandale provoqué par l’article « ¡Malditas domésticas! » publié par le présentateur de télévision et de spectacle Daniel Bisogno complète cette étude sur les représentations des employées domestiques véhiculées par les médias. Cet article a en effet créé la polémique et déclenché une plainte déposée devant la Conapred. En voici un extrait révélateur [Bisogno, 2013] :
« Et tout ça pour quoi ? Pour qu’elles finissent par porter plainte, qu’elles veulent je ne sais pas combien ? Pourquoi ne se plaignent-elles pas de toutes les fois où elles ont gardé la monnaie, toutes les fois où on leur a donné des vêtements, un jouet pour l’enfant qu’elles ont eu hors mariage ? Toutes les fois où l’enfant ou la mère tombe malade, presque toujours le lundi ou quand elles rentrent de vacances ? Ou de tous ces petits vols de fourmis qu’elles font au jour le jour ou quand il ne leur manque plus qu’à passer avec leur chariot pour leurs bons alimentaires de tout ce qu’elles s’embarquent, ces mal nées ?20 »
35Bisogno reprend à son compte toute une série de mythes relatifs aux femmes des classes populaires. Tout d’abord, les employées domestiques auraient leur progéniture en dehors du mariage : elles seraient infidèles et ne respecteraient pas l’institution sacrée du mariage. Il décrédibilise leurs motifs d’absence, les accusant d’être paresseuses et menteuses, oublieuses de leurs responsabilités. La référence au vol quotidien, en proportion démesurée, les associe également à la délinquance. Enfin, l’allusion au fait qu’elles soient « mal nées » montre que la naturalisation des classes sociales basses comme déviantes, voleuses et rompant avec la morale, est récurrente. L’accusation est destinée en particulier aux employées travaillant avec des personnages célèbres : « Le personnel domestique qui travaille avec les personnes célèbres finit par être ingrat, profiteur, abusif et voleur21. » La dimension de classe ne peut être oubliée. Pour lui, celles et ceux qui travaillent auprès des célébrités ne devraient pas se plaindre de leurs conditions de travail, au vu de la « chance » qui est la leur. Il omet que la différence de statut et de revenus est d’autant plus marquée que le ressenti de l’inégalité devient plus violent.
36Les outils de communication reproduisent une image de l’employée domestique comme une servante qui doit être docile et se soumettre aux exigences des patron·nes. Si elle ne répond pas à ces exigences, elle sera alors associée à la déviance, l’assimilation « classes laborieuses, classes dangereuses » est prégnante. Dans ce contexte, les employé·es domestiques ne sont guère protégé·es par la loi, ce qui est contraire aux principes d’une société démocratique. Mais dans l’étape néolibérale capitaliste que traverse le pays, la « démocratie » mexicaine ne semble guère s’en soucier. Les principes d’un marché dérégulé permettent ainsi d’exploiter une main-d’œuvre bon marché, alors que l’État ne garantit pas les conditions de la mobilité sociale. Le racisme est nié, puisque tou·te·s les Mexicain·es seraient métis·ses. Cela n’empêche pas la racisation des classes populaires. Tout ce qui rappelle l’indigène est un obstacle au progrès et annonce un retour à l’obscurantisme de la tradition. Cependant, si les mécanismes reproduisant la domination semblent bien huilés, il ne faut pas non plus croire qu’ils soient tout-puissants, ne laissant aucune possibilité d’action. C’est ce que nous allons voir maintenant avec l’analyse de l’émergence de l’identité d’employée de maison.
L’apparition d’une identité d’employée de maison (« empleada del hogar »)
37L’intérêt pour l’emploi domestique et son organisation est assez récent. Des organisations syndicales, soumises au PRI, d’employées domestiques existaient pourtant dans les années 1930. Les organisations en faveur des droits des travailleuses domestiques apparaissent à la fin des années 1970, notamment à travers le réseau Atabal de Cuernavaca. En 1988 est créée la Confédération latino-américaine et des Caraïbes des travailleuses de maison (Confederación Latinoamericana y del Caribe de Trabajadoras del Hogar – CONLACTRAHO en espagnol), première organisation régionale d’employées de maison. Mary Goldsmith a analysé cette organisation et exploré les possibilités de mobilisation politique transnationale des travailleuses domestiques [Goldsmith, 2007b]. Sa secrétaire générale, Marcelina Bautista, est mexicaine et travaille dans l’organisation CACEH (Centro de Capacitación de Empleadas del Hogar). Je n’ai pas eu l’occasion de travailler avec cette association, car elle n’a jamais répondu à nos sollicitations.
38Dans le cadre de mon mémoire, j’ai analysé la situation des employées domestiques au Mexique. Le réseau Red National de Trabajadoras del Hogar (RNTH) est constitué de cinq organisations présentes dans plusieurs États du Mexique. J’évoquerai ici des organisations de Mexico : la Casa Hogar de la Joven Vicente María, que nous nommons « Casa Hogar », Atabal et le Colectivo de Mujeres Indígenas Trabajadoras del Hogar (Colmith).
39Dans un premier temps, je présenterai ces associations et leurs membres qui revendiquent l’usage du terme « employée de maison », puis je montrerai ce que véhicule l’image de « l’employée de maison », différente de celle de la travailleuse domestique. Enfin, je rendrai compte des stratégies mises en œuvre par ces associations pour transmettre cette nouvelle image.
Qui sont les travailleuses organisées ?
40Dans les organisations qui travaillent avec les employées domestiques, une diversité de postures politiques et de lignes d’action se manifestent. Ces organisations regroupent des institutions religieuses et des associations de la société civile, féministes ou d’expression culturelle (de danse mixe par exemple). Les religieuses accompagnent activement les employées domestiques, et les organisations catholiques sont souvent les seules qui soutiennent ce secteur – à l’exception des agences d’emploi – dans les différents États du Mexique. À Mexico, plusieurs organismes montrent un intérêt pour le travail domestique. Dans le cadre de cette analyse, je détaillerai les perspectives des trois organisations que j’ai rencontrées et côtoyées.
41Les religieuses de l’Immaculée Conception travaillent auprès des employées domestiques à Mexico à la Casa Hogar. Depuis environ quarante ans, selon Mary Goldsmith, elles offrent un hébergement temporaire, donnent des cours de niveaux primaire et secondaire, proposent une formation au travail et un service de placement dans le travail domestique, que nous appellerons bourse du travail [Goldsmith & Lau Jaiven, 2006]. Elles focalisent leur attention sur les jeunes femmes qui ont migré de la campagne à la ville. La Casa Hogar accueille une petite centaine de jeunes femmes : les deux tiers travaillent à demeure et fréquentent la Casa Hogar les week-ends, moments privilégiés pour leur formation, tant scolaire que professionnelle. Un tiers des femmes résident à la Casa Hogar en semaine, dans des chambres qu’elles partagent à deux ou quatre. Celle de la capitale revendique des droits pour les employées de maison et s’est inscrite à la RNTH (Red National de Trabajadoras del Hogar) en 2013. On y observe un mélange de catholicisme traditionnel et de théologie de la libération. Leurs seules revendications concernent les conditions de travail des travailleuses domestiques, qu’elles veulent décentes, mais sans prendre en compte d’autres dimensions de leurs conditions de vie ou de travail. Malgré quelques efforts pour avoir une perspective différente, sa démarche reste tout de même une démarche d’assistance. Les travailleuses y vivant ne sont pas auto-organisées.
42Atabal a été créée en 1987 à Mexico à partir d’une initiative féministe. Son objectif est de valoriser le travail domestique et de revendiquer pour les employées de maison des droits qui permettront de mettre en place des relations sociales égalitaires. Les actions de l’association consistent à recevoir les demandes et les offres d’emploi grâce à une bourse du travail, La Esperanza, en activité depuis février 1993. L’objectif de cette bourse est de favoriser l’emploi dans des conditions justes pour les employées et les employeur·ses. Atabal a également élaboré une série de matériels de communication sur les conditions des travailleuses domestiques. Aujourd’hui, Atabal est moins active au sein de la RNTH, le collectif s’étant recentré sur le projet de garderie dans un quartier populaire de Mexico, la colonia Guerrero. Grâce à un service de garderie en partie financé par une institution fédérale, la Sedesol (Secretaría de Desarrollo Social), l’organisation tente de communiquer sur les droits des employées de maison à avoir des enfants. Elle réalise un travail de base, avec les mères comme avec les enfants, afin d’éviter une démarche d’assistance.
43Ces deux organisations fonctionnent comme des bourses du travail : elles placent les employées domestiques et promeuvent le droit du travail. Ces bourses du travail font partie d’une stratégie d’action pour conscientiser autant les travailleuses que les employeur·ses, mais on ne peut nier que la différence entre ces bourses du travail et les agences d’emploi ne sont pas toujours bien comprises par les membres : ces bourses peuvent être utilisées comme un moyen de trouver un travail pour les personnes qui ne bénéficient pas d’un réseau personnel efficace, mais elles ne sont pas contraintes en retour à participer aux divers ateliers proposés par les deux institutions (premiers secours, cuisine, lavage, repassage, couture et confection de vêtements, ainsi que des ateliers d’auto-estime). Vivre à la Casa Hogar ou trouver un travail grâce à Atabal ne signifient pas nécessairement s’impliquer dans la lutte pour les droits des travailleuses domestiques ou s’identifier comme empleada del hogar. La plupart d’entre elles ne se reconnaissent pas dans cette dénomination, comme le montre la réaction de Pily (Casa Hogar, 5 mai 2013) : « Il y a un an, une fille disait : “Nous sommes des employées de maison !” Employée de maison ? Nous sommes des servantes22. » La plupart des femmes, lorsqu’on leur demande quel est leur emploi, répond : « Je travaille dans des maisons23 », sans revendiquer un statut particulier.
44Le Colmith (Colectivo de Mujeres Indígenas Trabajadoras del Hogar) est une association civile militant pour les droits des employées domestiques indigènes et non indigènes. Sa particularité tient au fait qu’elle regroupait à l’origine, en 1995, un groupe de migrant·es mixes, groupe ethnique originaire de Oaxaca, et se dénommait alors Expresión Cultural Mixe Xaam. L’objectif initial de l’association était de réaliser des rencontres culturelles, notamment de danse traditionnelle, pour diffuser la culture et la vision du monde des peuples indigènes. Cette organisation étant essentiellement urbaine, les femmes qui la composaient étaient presque toutes employées domestiques à Mexico. À la fin des années 1990, elles décidèrent de s’organiser pour les droits du travail des employées de maison. Depuis 2012, ces femmes se sont constituées en association civile et luttent à la fois pour les droits des employées de maison et pour la revendication d’une identité indigène. Le changement de nom indique leur volonté de ne pas représenter seulement un groupe ethnique, mais plutôt de revendiquer une identité indigène en ville. Le Colmith regroupe une petite dizaine de membres. Toutes sont employées domestiques et sont très engagées. Quatre de ses membres appartiennent à la même famille (respectivement mari, belle-mère et belle-sœur de Lorenza Gutierrez), ce qui témoigne de la difficulté d’élargir les bases de l’organisation et de recruter des personnes susceptibles d’investir leur temps dans l’association.
L’identité émergente d’employée de maison (« las empleadas del hogar »)
45L’image de l’employée domestique déployée dans les lois, sur le marché du travail ou dans l’imaginaire social actuel est celle d’une femme située en bas de l’échelle sociale, souvent stigmatisée. Les associations engagées à leur côté cherchent à mettre à mal cette image négative.
46Le journaliste Gustavo García, dans la revue Nexos, liste par exemple les appellations péjoratives qui les concernent : « criada », « gata », « gatigrafa » « muchacha » « chacha » et « sirvienta ». Toutes sont des expressions négatives qui les associent à un enfant ou à un animal, qui les infantilisent ou les animalisent [García, 2012]. Pour lutter contre l’utilisation de ces termes, les associations militant pour les droits de ces femmes ont choisi celui d’« empleada del hogar », que l’on peut traduire par « employée de maison ». Selon Mary Goldsmith, cette expression a été préférée à celle de « travailleuse de maison », afin de ne pas confondre l’employée et la femme au foyer, les deux étant des travailleuses à la maison effectuant un travail invisible [Goldsmith, 2007a, p. 280]. Le rejet par les associations du qualificatif « domestique » tient au fait que ce terme est lié, dans l’imaginaire social, aux animaux que l’on soumet à sa volonté. Ce refus permet d’affirmer que les employées ne sont ni serviles ni domesticables.
47Une des exigences de toutes les organisations militant pour les droits des femmes employées de maison est la revendication de meilleures conditions de travail. Celles-ci ne doivent pas dépendre de la bonne volonté des patron·nes. Pour cela, une des premières conditions est d’imposer aux employeur·ses des obligations et de favoriser l’accès au droit pour les employées. L’objectif des associations est de faire connaître les droits que la loi leur reconnaît. Cela suppose deux choses : que les droits existant dans la Loi fédérale du travail (LFT) soient effectivement appliqués, et que ces droits soient étendus à tou·te·s les travailleur·ses, notamment à travers la ratification par le Mexique de la convention 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) intitulée « Travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques ». La signature de cette convention par le Mexique a été un premier pas vers l’élimination des inégalités touchant les personnes qui réalisent un travail domestique, mais n’a eu lieu qu’en 2020, soit neuf ans après la signature des autres pays en 2011, lors de la centième conférence de l’OIT. L’article 1 et le prologue de la convention présentent le travail domestique comme un travail : « Le travail domestique est un travail. Les travailleurs domestiques ont droit, tout comme les autres travailleurs, à un travail décent. » Les droits de base revendiqués par ces organisations sont l’accès à un salaire juste, la définition des horaires de travail, le respect des jours de repos et des jours fériés, des congés payés, l’aguinaldo (l’équivalent du treizième mois) et le droit à la sécurité sociale. Ce dernier comprend la prise en charge médicale, une retraite et des prestations liées à la maternité, en garantissant notamment le service de garderie. Les associations prônent la signature d’un contrat de travail où seraient spécifiées les conditions de travail. Elles revendiquent en outre l’instauration d’institutions judiciaires capables de faire respecter ces lois et/ou la possibilité de passer devant une commission de conciliation et d’arbitrage.
48La plupart des associations de défense des travailleuses à domicile ne souhaitent pas seulement la reconnaissance légale de leur emploi, elles revendiquent en plus une formation nécessaire à cet emploi. Le travail domestique étant perçu comme un travail typiquement et naturellement féminin, insister sur l’importance de la formation dans ce domaine est un moyen de lutter contre son invisibilisation. L’accomplissement des tâches ménagères varie selon les ressources mises à la disposition de la travailleuse. Les associations examinent la nécessité d’une formation technique pour apprendre à manier les divers outils dont disposent les femmes pour leur travail, notamment les appareils électroménagers24. De plus, elles revendiquent une définition des tâches, afin que soient reconnues les capacités nécessaires à chacune d’entre elles. L’accent est mis sur la formation nécessaire à la garde des enfants d’autrui ou des personnes âgées, afin que les employées sachent ce qui relève ou non de leurs responsabilités. Les associations proposent aussi des cours, des ateliers de cuisine et de nutrition, ainsi que de repassage. Ces formations œuvrant à la professionnalisation de l’emploi domestique sont censées permettre aux femmes de revendiquer des salaires plus élevés. Les formations sont présentées comme bénéfiques pour les employeur·ses, puisqu’elles ou ils auront alors un personnel réalisant ces tâches de manière efficace et responsable. Les formations se réalisent de manière informelle pour l’instant, mais certaines associations souhaitent les faire reconnaître en tant que diplômes par l’État.
49Les revendications des associations ne se limitent pas seulement aux droits et conditions de travail, comme le montre l’analyse de la publication Nuestros derechos de empleadas del hogar25. Toutes prônent également le droit à l’éducation et facilitent l’accès aux institutions proposant des cours pour adultes. Le Colmith prend en compte la dimension de genre, comme Atabal qui est avant tout une organisation féministe, mais aussi la dimension ethnique. Ces deux associations reconnaissent et soutiennent l’application de la « Loi générale d’accès des femmes à une vie libre de violence » ratifiée en 2007, les femmes travaillant dans la sphère privée étant effectivement susceptibles d’être victimes de violence ethnique ou de genre. La lutte contre toutes les formes de discriminations affectant les femmes, qu’elles soient liées au sexe, à la langue, à la condition socioéconomique, à l’âge, au handicap, à l’apparence ou à l’origine ethnique, est donc l’un des objectifs des associations, qui s’appuient ici sur la « Loi pour prévenir et éradiquer la discrimination dans le district fédéral » ratifiée en 2006. De plus, le Colmith revendique la convention 169 de l’OIT « relative aux peuples indigènes et tribaux »26. Cette convention permet de lutter contre les discriminations à l’embauche et prend en considération le droit de parler sa langue maternelle, de se vêtir conformément à ses traditions et le respect des valeurs et pratiques sociales et culturelles, religieuses et spirituelles sans honte. Pour le Colmith, il est important que soit reconnu le droit des femmes travaillant comme employées de maison à garder leur mode de vie. Cette revendication se fait en appelant au droit, qui embrasse la pluralité et l’hétérogénéité de la société mexicaine.
50La reconnaissance de ces droits permettrait que les employées de maison ne soient plus traitées comme des servantes, qu’elles jouissent d’une meilleure estime de soi et qu’elles soient les initiatrices de mesures pour changer la société. À moyen terme, le but est de promouvoir l’autogestion des employées domestiques à travers les réseaux de solidarités. Prenant source dans le droit national ou international, cet appel à une plus grande justice sociale tend à construire une nouvelle citoyenneté reconnue et soutenue par le droit. Cette demande prend sens pour les populations indigènes en milieu urbain qui manquent de représentation, autant politique que légale. Ainsi, Guillermo de la Peña qualifie en 2006 la citoyenneté de ces populations de « citoyenneté non réalisée » [Peña, 2006].
51Dans les conversations avec les personnes engagées dans le combat pour les droits de l’employée domestique revient souvent le mot empoderamiento (empowerment). Ce mot, empoderamiento, a été critiqué par des féministes, qui dénoncent le fait que ce concept ait été coopté par les organisations internationales et de développement. Selon les mots d’Anne-Emmanuelle Calvès, l’empoderamieto « devient peu à peu un concept vague et faussement consensuel, qui assimile le pouvoir aux choix individuels et économiques, dépolitise le pouvoir collectif, perçu comme harmonieux, et est instrumentalisé pour légitimer les politiques et les programmes top down existants » [Calvès, 2009, p. 747]. Des organisations comme le Colmith travaille à partir de la base et cherche à échapper au paternalisme, afin que les personnes trouvent les moyens de s’émanciper. L’objectif est d’abord l’auto-organisation, qui devrait accroître la possibilité d’échanges d’expériences et de savoirs, permettant à ses membres non seulement de réfléchir à leur propre subordination, mais encore de concevoir de nouvelles pratiques d’autonomie. Certes, l’autogestion est une condition difficile à remplir dans un secteur aussi fragmenté que celui des employées domestiques. En suivant Magdalena León, l’empoderamiento peut être compris comme la manière dont les sujets se convertissent en agents actifs du changement, notamment à travers des organisations sociales [León, 1997, p. 223] : « Son utilisation peut contribuer à favoriser des changements dans la culture, en particulier dans les imaginaires sociaux sur la relation des femmes avec le pouvoir27. » L’empoderamiento suggère un changement dans les relations et dans la distribution des pouvoirs établis, provoqué par l’organisation et la participation sociale.
52Dans ce contexte, l’empoderamiento ne traduirait pas seulement l’impact des individus sur l’organisation et sur la visibilité de leur cause, mais aussi sur leur propre projet. L’autodétermination du projet de vie inclut la condition subjective de la femme, non plus seulement comme agente passive, mais également comme actrice de changement, comme le formule Mora Urquiza [Mora Urquiza, 2008, p. 135] : « Réaliser un projet pour soi implique de rompre avec les schémas d’assujettissement, ainsi que de se confronter aux logiques de pouvoir dominantes28. » Un projet « pour soi » permettrait à la femme de se construire comme un sujet social et de modifier les relations de pouvoir qui la conduisent inéluctablement à ne se constituer qu’en fonction des impératifs des autres. L’idée du Colmith est qu’à travers le respect des droits du travail et des droits en tant que citoyennes, les femmes puissent décider de manière autonome et aient la possibilité de changer leur destin. Ainsi le Colmith insiste-t-il sur le fait que les femmes venant de communautés indigènes sont discriminées, directement ou indirectement, et surtout en milieu urbain. Le collectif revendique le respect d’une citoyenneté plurielle permettant aux femmes de conserver, si elles le souhaitent, leur langue, leurs habits et leurs coutumes, y compris dans un environnement urbain. Cette décision leur revient, dans une réflexion sur leur propre subordination. L’autonomie fait donc partie de l’empoderamiento de la femme, mais celui-ci a un caractère « évolutif » et inachevé.
53Les chemins de l’empoderamiento ne sont pas faciles. C’est la raison pour laquelle les organisations utilisent des stratégies différentes, qu’il est intéressant de comprendre pour mieux les cerner et élucider leurs moyens d’action.
Les stratégies choisies
54Les stratégies des organisations pour diffuser une identité d’employée de maison s’organisent autour de quatre axes : la modification des lois, le changement des mentalités, l’auto-organisation des employées, et la spécialisation et la professionnalisation des tâches. Dans un premier temps, nous verrons comment les organisations tentent de changer les lois et les mentalités à travers diverses stratégies. Puis, nous nous attacherons à détailler le travail de base réalisé avec les femmes au sein des organisations. Enfin, il nous faudra appréhender les moyens dont elles disposent et les alliances auxquelles elles procèdent, pour nous interroger sur la possibilité de constitution d’un syndicat.
55L’une des stratégies des associations est d’intervenir auprès du personnel politique afin de faire pression pour que soit ratifiée la convention 189 de l’OIT. Ce travail se réalise en relation avec les député·es et sénateur·rices, sans distinction de partis politiques – PAN (Parti d’action nationale), PRI (Parti de la révolution institutionnalisée) ou PRD (Parti de la révolution démocratique).
56La place accordée aux employées de maison dans les médias de masse étant réduite et stéréotypée, les associations essayent de diffuser dans des médias alternatifs, comme la radio Regeneración (radio indépendante diffusée depuis un collectif d’étudiant·es de l’UNAM) ou la Radio UNAM. Par ailleurs, les trois associations engagées auprès des femmes employées de maison ont collaboré entre elles pour promouvoir des actions collectives, telles que l’organisation de forums de discussion, d’une enquête et d’une campagne sur la valorisation du travail domestique. Elles ont aussi participé aux festivités de la Journée internationale des employées de maison, le 30 mars.
57Afin de visibiliser les droits des employées domestiques, Atabal et Casa Hogar ont créé des bourses du travail pour lesquelles sont mis en place des contrats types spécifiant les obligations des employé·es et des employeur·ses, le but étant que les travailleuses obtiennent des conditions de travail plus justes. Ainsi, la bourse de travail de la Casa Hogar oblige les employeur·ses à remplir une fiche de renseignements comportant les éléments suivants : le salaire, les horaires de travail, les périodes de temps libre, les tâches à effectuer, les personnes dont l’employée aura à s’occuper, ainsi que les modalités précises de cette prise en charge. Ces fiches mentionnent les jours fériés et rappellent que ces derniers sont obligatoires pour les employé·es domestiques comme pour les autres travailleur·ses.
58Ainsi, en plus de la visibilisation, ces associations ont aussi comme objectif de mobiliser les employées elles-mêmes. Elles cherchent à organiser des ateliers et des formations au bénéfice des employées. Ces activités sont d’abord des formations en droit du travail afin que les femmes se rendent compte qu’elles sont sujets de droits qu’il leur faut revendiquer ces droits puisque, selon les mots de Patricia, « si elles ne le font pas, personne ne va les demander à leur place29 » [Patricia, directrice d’Atabal, 14 février 2013]. Ces formations tentent de faire connaître les droits de la Loi fédérale du travail, mais les ateliers organisés notamment à Atabal ou au Colmith ne concernent pas uniquement l’aspect législatif.
59Ces associations mettent en place des ateliers d’estime de soi ou des ateliers sur leurs droits reproductifs et de santé. Cela est d’autant plus cohérent qu’Atabal est une association féministe qui reprend le concept de travail dans un concept plus large d’autonomie et de valorisation des femmes. Dans le cas du Colmith, les femmes participent plus à des forums sur l’identité indigène et proposent des ateliers de danse régionale ouverts à tou·te·s.
60Les associations, comme le Colmith, travaillent régulièrement avec les milieux universitaires et académiques, sensibles à leurs revendications et tentant de leur apporter une aide ponctuelle selon les besoins. Pour éditer des livres, c’est souvent leurs liens avec les milieux académiques qui leur permettent de trouver des financements dont elles ne connaissaient pas l’existence. C’est ce qu’expliquait Lorenza, employée et membre du Colmith, concernant la publication d’un livre du Colmith : Nuestros derechos: empleadas del hogar indígenas, financée par la ville de Mexico (gouvernement du district fédéral), la Asamblea Indígena de la Ciudad de México, la Universidad Autónoma de la Ciudad de México et la Coordinación de Enlace Comunitario (Cenco).
61Des alliances se mettent aussi en place avec certaines associations et organisations de la société civile. Le Colmith est en lien avec des organisations luttant en faveur de la thématique ethnique, en particulier en ville, ce qui leur permet de diffuser plus largement leurs messages tout en bénéficiant de certaines structures, le Colmith n’ayant pas de bureaux. Aucune association ne peut néanmoins compter sur des avocats officiels qui défendraient les employées. Le coût de tels services est en effet prohibitif, alors qu’elles ne bénéficient d’aucune subvention permanente.
62La question du syndicat, pour reconnaître le travail domestique en tant qu’emploi reconnu et encadré, peut difficilement être éludée. En général, la possibilité d’un syndicat reste lointaine, dans la mesure où les conditions actuelles permettent à peine de reconnaître les droits des employé·es domestiques dans la loi. En outre, toutes les organisations cotoyées m’ont expliqué que cette lutte était plutôt la chasse gardée du Centro de Apoyo y Capacitación a las Empleadas del Hogar (Caceh), dont c’est l’objectif principal. La position du collectif Colmith est claire : s’il respecte cet objectif de création d’un syndicat comme une manière de faire reconnaître légalement la défense des droits des employé·es, il ne le considère pas comme prioritaire. Lorsque la question leur est posée, les membres des associations expliquent leur peu d’aspiration au syndicat ainsi : les syndicats ont un fonctionnement vertical et sont souvent corrompus par le pouvoir, comme en témoigne le « corporatisme » alimenté sous le régime du PRI30. La figure de Marcelina Bautista, dirigeante de Caceh et ex-secrétaire générale de la Conlactraho, est controversée : lui sont reprochés sa posture médiatique (se faire prendre en photos pendant les réunions internationales) et son éloignement de la base, ces réunions internationales étant composées de représentantes des travailleuses. Cet éloignement, selon elles, est d’autant plus manifeste que Marcelina Bautista a une licence (quatre ans d’études universitaires au Mexique), ce qui est le cas de très peu d’employées domestiques. L’idée de fonder un syndicat est vue comme une manière de s’approprier les ressources économiques des travailleuses domestiques, sans que ce syndicat puisse véritablement servir, puisque très peu de travailleuses se reconnaissent comme sujets de droit. Comme le remarque avec finesse Patricia : « Comment allez-vous expliquer aux travailleuses domestiques qu’elles devront payer un salaire à vie et un bureau syndical si elles n’ont pas d’argent pour elles31 ? » [Patricia, directrice d’Atabal, 14 février 2013]. Le syndicat n’est donc pas une solution envisagée actuellement. Devant l’ampleur de la tâche consistant à rendre les femmes conscientes qu’elles sont des sujets de droits, la perspective d’un syndicat n’est pas encore possible.
63Les deux imaginaires qualifiant les travailleuses domestiques, d’un côté la « servante », de l’autre la empleada del hogar, n’ont pas la même force dans la société mexicaine. Si la vision hégémonique des « servantes » se répercute dans les médias les plus puissants et dans l’état actuel des lois, la vision de « l’employée de maison », relayée par moins d’une dizaine d’associations au niveau national, peut paraître vaine. Ce déséquilibre est à l’origine du fait que les employées domestiques ne se reconnaissent que rarement comme des travailleuses ayant des droits. Le travail est vu comme une nécessité, non comme un choix. Pourquoi défendre les droits d’un emploi que l’on abhorre si l’on cherche d’abord et avant tout à changer de travail ?
64Rompant avec les mécanismes puissants du système raciste, classiste et sexiste, des organisations se sont constituées dans le panorama social afin de revendiquer ces droits. Ces associations prouvent qu’il est possible de diffuser une vision alternative, dans le dialogue, en dépit des différentes postures idéologiques. Elles tentent de tracer leur chemin, partageant leur stratégie entre travail de base et volonté de changer le modèle dominant. Leurs ressources étant faibles, les alliances se créent au fil des rencontres et des circonstances.
Notes de bas de page
1 Citation originale : « El servicio doméstico en Hispanoamérica llegó a tener aspectos de subordinación racial y de clase en vez de ser una experiencia de aprendizaje en una “etapa de la vida” como generalmente lo fue en la Europa preindustrial. »
2 Citation originale : « Trabajadores domésticos son los que prestan los servicios de aseo, asistencia y demás propios o inherentes al hogar de una persona o familia. »
3 La section des travaux spéciaux est composé de dix-sept chapitres qui représentent les secteurs suivants : de confiance, des navires, des équipages aéronautiques, des chemins de fer, de transport motorisé, les travaux de manœuvre de services publics dans les zones sous juridiction fédérale, les travailleurs·ses agricoles, les agent·es commerciaux·les et autres agent·es similaires, les sportif·ve·s professionnel·les, les artistes, celles et ceux qui travaillent depuis leur domicile, les travailleur·ses domestiques, des mines, dans les hôtels, les restaurants, les bars, etc., dans l’industrie artisanale, les médecin·es résident·es en cours de formation dans une spécialité, et les universités et établissements d’enseignement supérieur autonomes de par la loi. [En ligne] https://idconline.mx/laboral/2018/02/07/que-son-los-trabajos-especiales
4 Citation originale : « Los trabajadores domésticos deberán disfrutar de reposos suficientes para tomar sus alimentos y de descanso durante la noche. »
5 Conapred, Encuesta nacional sobre discriminación en México (Enadis), 2010. [En ligne] https://www.conapred.org.mx/userfiles/files/Enadis-2010-TD-Accss.pdf
6 Citation originale : « Actualmente, el servicio doméstico es un sector emblemático de la informalidad y la discriminación laboral. En casi todos los países, sigue siendo uno de los sectores que funciona al margen de las regulaciones laborales, de la cobertura social y, en síntesis, de los derechos que constituyen la ciudadanía. »
7 Ce pourcentage est celui des délits commis au Mexique, dénoncés ou non, et restés impunis. C’est le chiffre avancé dans l’enquête sur l’accès à la justice des femmes mexicaines [Melgar & Saucedo, 2011, p. 72].
8 Citation originale : « Para las mujeres, y en particular para las pobres y o indígenas, el sistema de la justicia es un ámbito peligroso si no es un campo vedado, un espacio que resulta imposible pisar sin exponerse al maltrato o la expulsión. En efecto, ya sea por la misoginia de la letra jurídica, por la corrupción de las autoridades y encargados del sistema, la falta de ética y empatía y de perspectiva sensible al género de los funcionarios (o una combinación de estos factores), el sistema judicial, las leyes, las fuerzas del orden e incluso los discursos políticos constituyen un sistema hostil a las mujeres. »
9 Pour Almeyra, un semi-État est un État qui a perdu une partie de sa souveraineté dans les domaines monétaire, financier, juridique, alimentaire et du contrôle du territoire national.
10 Citation originale : « Las paradojas de la “liberación” de las mujeres en nuestros países tercermundistas es que el acceso al trabajo fuera del hogar sólo es posible si existe otra mujer que vive dentro del hogar y haga las labores de aseo, de socialización de los niños, de manutención del efímero orden doméstico. »
11 Selon l’étude de l’Inegi « Mujeres y hombres en México, 2011 » [Inegi, 2011], dans les services à la personne, on observe 181 femmes pour 100 hommes ; dans l’éducation, 166 femmes pour 100 hommes ; et dans le commerce, 109 femmes pour 100 hommes.
12 Citation originale : « A mí me gusta ayudar a mi familia », « Ya ni modo, tenía que ayudar. »
13 La réforme agraire de 1917 avait permis de redistribuer les terres agricoles sous forme collective avec un type de propriété sociale, les ejidos : « Ils se composent de parcelles agricoles éventuellement individualisées, de terres d’usage collectif et, enfin, de zones destinées à l’habitat et à son développement, dites zone d’urbanisation. Le régime de propriété sociale ou ejidale interdit toute aliénation (vente, location ou héritage) ou saisie de ces biens fonciers, ainsi que la participation de toute personne morale ou juridique non-membre de l’ejido. » [Salazar Cruz, 2011, p. 95]
14 Citation originale : « El cierre de las vías campesinas de desarrollo que se ha venido agudizado con la reforma neoliberal, ha dejado inermes a miles de campesinos e indígenas sin más alternativa que la emigración. »
15 Elle montre que 28,11 % déclare parler une langue indigène, mais que ce chiffre est bien en dessous de la réalité puisque beaucoup ne veulent pas le reconnaître à cause de discriminations vécues, et surtout exercée par les classes supérieures. Parfois, la langue n’est plus parlée dans la communauté d’origine. Ces personnes cessent-elles d’être indigènes pour autant ?
16 Citation originale : « Lo que significaron estas espectadoras fue la asociación entre lo indígena, lo rural y el atraso; es decir, una condición indeseable. »
17 Citation originale : « […] Que los patrones quieren unas chicas que no sean maleadas. Que sea tierna, dulce, que haga su trabajo con amor. Otros te dicen: “Que estudien no, yo no les dejo estudiar, pero será como integrante más de la familia! Y que se queda hasta que los niños crezcan.” Pues claro, ¿más fácil no? Me dicen: “Una joven que no sea contestona, que sea inocente, que acaba de llegar”, que se le puede educar como quieran para que se quede muchísimos años. »
18 Citation originale : « A veces es como en las novelas, ¿no? Que la sirvienta se enamora del patrón, el patrón de la sirvienta y la saca de pobre. Pero a las chicas cuando dicen: “Ah que el hijo del patrón, e hijo, el primo o no sé”, les digo: “No piensen que es como en las novelas que el rico, que el final feliz, ¡eso son NOVELAS!” pues no. No es la realidad. Y nunca he visto a ninguna casarse con el patrón. Jamás en mi vida. Y conocí a muchas. »
19 Citation originale : « A lo largo de cuarenta años de ficción, cualidades femeninas como la belleza, la dedicación, la bondad, la dulzura y la sumisión, en tanto representaciones de género de corte tradicional, siguen siendo cualidades características de los personajes en estas telenovelas. »
20 Citation originale : «¿Y todo para qué? Para que acaben demandando, que quieren no sé qué tanto, ¿por qué no se quejan de todas las veces que se les dan sus buenos centavos extras o cuando se les regala que la ropa, que el juguete para el niño que tienen fuera del matrimonio, las veces que se les enferma el hijo o la madre casi siempre en lunes o regresando de vacaciones o de todo el robo hormiga que van haciendo día a día o cuando ya nomás les falta pasar con su carrito por tu despensa de todas las cosas que se llevan las malnacidas?» [En ligne] https://www.publimetro.com.mx/mx/noticias/2013/04/03/denunciaran-daniel-bisogno-columna-que-ataca-personal-domestico.html [dernière consultation le 22 décembre 2022]
21 Citation originale : « Personal doméstico que llega a trabajar con los famosos acaba por ser malagradecido, encajoso, abusivo y ratero. »
22 Citation originale : « Hace un año una chica decía: “¡Somos empleadas del hogar!” ¿Empleada del hogar? ¡Somos sirvientas!»
23 Citation originale : « Trabajo en casas. »
24 Les employeur·ses interdisent souvent l’usage des appareils électroménagers, considérant que les employées sont incapables de s’en servir et risquent de les casser.
25 « Nuestros derechos. Empleadas del hogar indígenas », Expresión Cultural Mixe Xaam, Mexico, 2010.
26 [En ligne] http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C169 [Dernière consultation le 18 juin 2013]
27 Citation originale : « Mediante su uso se puede contribuir a impulsar los cambios en la cultura, en particular en los imaginarios sociales sobre la relación de la mujer con el poder. »
28 Citation originale : « Hacerse un proyecto para sí implica romper con los esquemas de sujeción, así como enfrentarse a lógicas de poder dominantes. »
29 Citation originale : « Si ellas no lo hacen, nadie les va a pedir por ellas. »
30 Voir Prévôt Schapira [1993, p. 203-220]
31 Citation originale : «¿Cómo les vas a explicar a las trabajadoras domésticas que van a tener que pagar un salario de por vida y una oficina del sindicato si no tienen dinero para ellas?»
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