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Préface

p. 7-9


Texte intégral

1Nathalie Borrel présente ici les résultats d’une enquête effectuée il y a quelques années au Mexique sur les employées de maison, qui a donné lieu à son mémoire de master. Issu de ce dernier, réélaboré, enrichi par sa permanence au Mexique depuis, l’ouvrage que vous avez entre les mains contribue d’une façon originale à la connaissance de cette catégorie de femmes actives dans ce secteur du marché informel que sont les services auprès des personnes au sens large du terme. Contrairement à d’autres catégories d’actifs œuvrant dans le secteur informel, les services dont il est question ici, le travail domestique rémunéré, ont lieu dans les espaces clos du domicile des employeurs, presque inaccessibles pour l’enquêteur, sauf à endosser le rôle d’une « aide familiale ». Déjà relevée par Dominique Vidal, lors de sa recherche sur les « bonnes de Rio », cette difficulté d’accès à la population d’enquête a pu être contournée par Nathalie Borrel en adoptant des stratégies différentes selon les villes, les lieux et les institutions relais et en assumant les limites inhérentes à chaque approche. Certes, l’appellation générique des employées de maison renvoie à plusieurs situations professionnelles, dont les modalités d’exercice, les répercussions sur la vie hors travail et les relations de pouvoir, en tant que pratiques et représentations, qu’elles engendrent varient considérablement. En effet, comme le note Nathalie Borrel, travailler en demeure, vivant pendant toute la semaine sous le même toit que les employeurs, et être soumis(e) à un contrôle strict autant de l’espace que du temps, ne saurait se comparer au travail domestique par heure, circonscrit, défini quant aux tâches imparties et probablement plus clairement négocié au préalable. Il n’empêche que le travail domestique rémunéré met en contact, dans l’espace confiné du domicile, les « gens au-dessus » et les « gens en dessous », pour reprendre l’expression de Michèle Lamont. Ces deux catégories, certes toute relatives, renvoient, dans le cas du Mexique, à des configurations spécifiques qui articulent et réactivent au quotidien les rapports sociaux de classe, de « race » et de genre, mais selon des modalités variées propres aux caractéristiques idiosyncratiques aussi bien des employeurs que des employés, ce qui a comme résultat de « brouiller » en permanence la matrice fondamentale des rapports sociaux. C’est à ce niveau qu’intervient une cascade d’ambiguïtés dans la relation professionnelle, que met admirablement en lumière Nathalie Borrel tout au long de son ouvrage.

2Une première ambiguïté réside dans le fait que le travail domestique rémunéré s’apparente à celui non rémunéré assigné socialement aux filles et aux femmes dans le cadre familial. Aussi bien les patronnes que les employées sont arrimées à cette représentation sociale fortement ancrée, dont il est plus que difficile de se défaire. Si les patronnes peuvent déléguer certaines tâches, elles n’en sont moins responsables aux yeux de la famille, de la parenté et du cercle social. De l’autre côté, les employées qui ne s’occupent pas exclusivement de leur propre famille peuvent effacer le stigma en revendiquant, comme motivation première de leur mise au travail rémunéré, l’aide à la famille ou à la fratrie, mais rarement leur développement personnel dans le sens de l’autonomie.

3Une autre ambiguïté relève du statut attribué aux employées, socialement et concrètement en fonction des conditions de chaque emploi occupé, variable d’ailleurs selon le temps de permanence, un temps long pouvant consolider des relations étroites ramenées à des positionnements assimilés à la parenté élargie.

4Dans ce cas, les rapports sociaux de classe, de « race » et de genre ne sont pas effacés, mais sont traduits dans des termes pouvant être considérés comme acceptables par les deux parties.

5Une autre série d’ambiguïtés voit le jour en permanence, dans le quotidien. La définition du périmètre du cadre et du contenu du travail, ainsi que celui du temps imparti à chaque tâche à accomplir, se négocie jour après jour selon les agendas des employeurs, en somme par le temps vécu par ceux-ci. Pour les employées cela peut être vécu comme une dépossession de l’étendue de leur autonomie de travail, comme une contestation de leurs compétences en matière de gestion des priorités, voire comme une hétéronomie. À cette ambiguïté s’ajoutent toutes celles qui ont trait à la délimitation des frontières de l’intimité et à la gestion des affects, sans oublier celles qui émergent lorsqu’il s’agit de négocier les registres d’interactions et de comportements, modulables selon les espaces de travail, les tâches à accomplir et les temps de vie.

6Enfin, un autre ensemble d’ambiguïtés se présente, comme le développe Nathalie Borrel, autour des définitions de la « violence » et de différentes formes qu’elle peut adopter, parfois très subtiles de par le niveau d’éducation des employeurs. Abus de toute sorte, manque de respect, vexations, brimades, humiliations, isolés ou récurrents, peuvent avoir de multiples fonctions dans le rapport employeur/employée et peuvent être interprétés différemment au sein d’un système de travail domestique qui effectue en même temps, comme Nathalie Borrel nous le rappelle constamment, un « patrouillage » des relations de classe, de « race » et de genre dans cette dialectique de la domination.

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