L’archéologie des cabinets au XIXe siècle
p. 433-440
Texte intégral
1L’histoire des cabinets ministériels est une chose neuve : tout autant que l’intérêt porté par la science administrative à l’institution même des cabinets et à la rivalité du cabinet et des services1. Or cette histoire suppose des méthodes particulières : il convient d’éviter les anachronismes, d’observer certaines règles de prudence si l’on veut saisir la vie coutumière des cabinets au xixe siècle, leur influence réelle sur les affaires ; on ne sait guère comment s’exerçaient les talents d’un chef de cabinet d’autrefois, quelles étaient les méthodes de travail, les règles d’action d’un cabinet du Second Empire2. Nous voudrions présenter ici quelques réflexions rapides sur les difficultés, les principes et les objectifs de cette histoire révélatrice des mœurs administratives du siècle passé3.
I. Les difficultés
2En premier lieu, cette histoire des cabinets se situe à la marge du politique et de l’administratif : c’est à la fois l’histoire de structures administratives (l’Almanach royal en fait foi)4, d’un style d’action (on ne travaille pas dans un cabinet comme dans les services)5, de processus particuliers de décision (c’est là que se prennent un certain nombre de décisions importantes). Or dans un cabinet, tout dépend, en fait, du ministre, de son tempérament, de ses méthodes de travail, de sa connaissance des affaires, de son ambition, de son goût pour l’administration ou la chose publique, de son degré de défiance vis-à-vis de ses directeurs6. Il y a des ministres qui ont besoin d’avoir sans cesse autour d’eux des collaborateurs, d’autres qui affichent une certaine confiance dans leurs services. De fait, il est bien difficile d’établir des règles générales et de saisir le rôle des entourages – officiels ou officieux – des ministres7.
3En deuxième lieu, cette histoire est assez ambiguë : une des raisons de la négligence des historiens, c’est sans doute l’absence de sources d’archives sérieuses ; l’action des cabinets est très souvent orale8, il en reste peu de témoignages écrits et les conseillers « officieux » ont toujours été nombreux dans certains ministères ; de plus, les cabinets représentent cette partie mouvante, fugitive, éphémère de l’action gouvernementale, où la conjoncture politique de la journée est la chose essentielle9, où l’on négocie ce qui ne peut guère s’avouer10 (en administration, tout ne se dit pas, tout ne s’écrit pas, et ce qui se passe dans les salons amis est parfois plus important que le travail des bureaux)11 ; enfin, les personnages du cabinet, chef du cabinet, attachés sont, pour une bonne part, des personnages en grisaille, vivant dans l’ombre du ministre12, sans grand avenir souvent, dévoués, fidèles, travailleurs, capables de donner de bons conseils : mais la fonction de conseil est surtout orale, le hasard des archives livre parfois des analyses remarquables, des rapports brillants13, mais, par la nature des choses, ces notes éphémères sont faites pour être détruites après avoir été lues14.
4En troisième lieu, la force d’un cabinet d’autrefois tient à plusieurs raisons15.
- D’une part, le cabinet arbitre les mouvements de personnel, assure le contrôle politique des nominations et le recrutement arbitraire des administrations centrales, l’absence de tout statut des fonctionnaires permettaient d’avoir une liberté bien plus considérable qu’aujourd’hui16 : le cabinet était souvent l’instrument du favoritisme et du népotisme.
- D’autre part, tout au long du xixe, les affaires deviennent de plus en plus difficiles, complexes, dangereuses à manier : ainsi des affaires de finances et de bourse, des chemins de fer17, des dossiers d’investissements à l’étranger18, de l’organisation de nouveaux secteurs administratifs19 ; le contrôle des propositions des directions devient de plus en plus délicat, certaines affaires sont négociées directement par l’entourage du ministre et il semble que certains cabinets aient été très actifs20.
- Enfin les ministres se méfiaient nécessairement de directeurs légués par le régime précédent ou installés par leur prédécesseurs, souvent quasi inamovibles, parfois députés, et ils étaient fort tentés, notamment à l’Intérieur, d’avoir près d’eux des gens dévoués et fidèles21 : la stabilité comme l’instabilité ministérielle a renforcé cette tendance.
5Mais un cabinet composé d’une équipe très réduite est souvent un lieu de conflits entre ambitions rivales, et l’entente n’était pas toujours parfaite ; de plus, il est évident que l’atmosphère d’un cabinet est changeante : le début et la fin d’un cabinet ne sont pas identiques hier comme aujourd’hui, bien des choses changent avec l’expérience, la routine des affaires, quelquefois le désenchantement des ambitions ; certaines équipes sont bien soudées, efficaces22, d’autres, au contraire, sont par exemple marquées par le désaccord entre le ministre et son chef de cabinet23. Aussi convient-il d’être réservé dans l’évaluation du fort et du faible d’un cabinet : on risque fort, comme d’ailleurs aujourd’hui, de commettre des jugements téméraires, tant les difficultés internes d’un cabinet laissent peu de traces.
II. Les principes
6On comprend, dans ces conditions, la prudence qui doit entourer cette histoire ; il faut limiter ses ambitions ; on peut tenter d’éclairer certaines « zones d’ombre », mais on ne réussira jamais à avoir une vision exacte de ce qui se passait réellement (même les mémoires d’anciens ministres ou membres de cabinet sont assez infidèles) et force est bien de reconnaître qu’aucun cabinet n’est semblable à un autre, qu’aucune règle générale ne peut valablement être établie, car les cabinets dépendent vraiment des patrons. Cependant, l’histoire des cabinets ministériels a certains caractères propres24 :
- c’est une histoire à méthode régressive : on part de l’expérience récente des cabinets pour interpréter une structure administrative du passé : le risque à l’évidence est un certain anachronisme, et il convient d’être très prudent25 ; mais on oublie souvent que l’institution a un poids réel, que les données de la vie administrative ont dans les ministères peu changé26, et qu’un ministre d’autrefois a les mêmes réflexes de défiance qu’un ministre d’aujourd’hui27 ;
- c’est une histoire du quotidien administratif : ce qu’il convient de rechercher, c’est la pratique administrative28, le rôle du cabinet dans la prise des décisions, le traitement de certains dossiers, les rapports du ministre et des services, les querelles des clans et, au travers des documents écrits, l’historien doit chercher à saisir autant que possible ce vécu administratif (à la fois comment vit le cabinet et comment le cabinet est vu de l’extérieur)29 ;
- c’est une histoire psychologique, relevant de l’histoire des mentalités plus que de l’histoire juridique des institutions : il faut arriver à saisir le mécanisme même de ce « point faible » de l’administration, le processus de décision, la conception que le chef de cabinet, les attachés se font de l’administration et de leur rôle de conseiller30 ;
- c’est une histoire expérimentale, une histoire de cas : il convient d’analyser le rôle de certains chefs de cabinet, de suivre leurs carrières administratives, leurs fidélités successives, d’étudier les méthodes de travail, le contrôle politique et technique exercé sur les affaires, d’évaluer le poids réel31, l’influence sur le ministre et à l’extérieur ; l’historien tend tout naturellement à faire une biographie des membres du cabinet, et de telles biographies supposent une bonne analyse des fonctions de cabinet ; l’appartenance à un cabinet implique des liens de fidélité, un certain assujettissement volontaire32, une certaine capacité administrative, de fortes ambitions (le carriérisme ne date pas d’aujourd’hui, et l’avancement est une compensation des servitudes du cabinet), un certain sens de la chose publique ; le cabinet assure un certain apprentissage de la vie politique et administrative33, c’est le lieu où l’on apprend à connaître les hommes, à raisonner des affaires auprès d’un « patron »34, à dissimuler ses sentiments, à manœuvrer, à imposer sa volonté, à négocier des compromis, à défendre l’intérêt général, à garder une certaine indifférence ou plutôt une certaine distance vis-à-vis des affaires ;
- c’est une histoire de ce qui ne se voit pas, de ce qui ne laisse pas de traces ; il faut explorer des sources très différentes, souvenirs, dossiers d’archives, débats parlementaires, papiers privés, et se résigner, répétons-le, à ne pas tout comprendre ; on ne peut obtenir que des présomptions, car le cabinet est chose éphémère, l’on y vit au jour le jour35 et autrefois, en général, on ne « faisait » pas plusieurs cabinets ;
- enfin, c’est une histoire sur longue période ; l’historien doit tenter de saisir la création progressive de cet instrument de contrôle et de direction politique, les différences, suivant les époques et les ministères, dans la vie de l’institution, dans la composition qualitative, la structure, les méthodes de travail, l’influence, la carrière des membres.
7Histoire à méthode régressive, histoire du vécu, à tendance psychologique, histoire de cas, histoire de l’invisible administratif, histoire sur longue période : on voit la complexité des orientations d’une histoire difficile, qui en est encore à ses débuts et qui suppose une bonne connaissance des mœurs administratives. En aucun cas, on ne peut la confondre avec une histoire purement biographique : l’histoire des cabinets doit avoir une certaine autonomie, elle doit être en marge, un peu comme l’histoire des grands corps, elle suppose un effort tout particulier de réflexion méthodique.
III. Les objectifs
8Les recherches sur l’histoire des cabinets commencent seulement, et il faut avoir nettement conscience de ce qu’on peut attendre de tels travaux.
9En premier lieu, on pourrait esquisser un portait psychologique de l’homme de cabinet, du chef de cabinet-type dans ses traits essentiels : c’est l’homme tout puissant après le ministre36, mais aussi celui qui s’efface volontairement, qui se contente d’être l’éminence grise, l’homme de confiance, à qui le patron dit tout ; c’est aussi celui qui aplanit les difficultés, arrange les affaires37, arrondit les angles, met en garde le patron, le protège de ses amis et de ses subordonnés38.
10En deuxième lieu, on pourrait procéder à une analyse plus ou moins fine du rôle du cabinet, évaluer son efficacité : est-il un frein ou un moyen d’incitation politique, voire de réforme ? Le cabinet permet-il d’améliorer les affaires ou se limite-t-il à des tâches politiques ? Le chef de cabinet exerce-t-il une influence personnelle ou vit-il dans l’ombre, ou dans la terreur du patron ?39 La réponse à de telles questions est très variable, rien n’est fixe en ce domaine, les affinités de personnes jouent un grand rôle, tout dépend d’impondérables40 et c’est une leçon de relativisme qu’on peut le plus souvent en retirer.
11En troisième lieu, il conviendrait de marquer les différences dans le style d’action suivant les ministères : il y a apparemment des traditions de cabinet quasi immuables dans certains ministères (tels les Finances, la Justice, les Affaires étrangères)41, des traditions bien moins fortes à l’Intérieur ou à l’Instruction publique ; il faut tenir compte ici. de la présence de corps prééminents (l’Inspection des Finances, le Conseil d’État, le corps préfectoral), là des problèmes très particuliers tels que le contrôle de la presse à l’Intérieur ou la tutelle de la Bourse aux Finances, qui viennent renforcer ces traditions qu’on ne saurait sous-estimer42.
12Certes l’historien doit montrer une grande prudence dans l’approche de ce phénomène : mais le cabinet est une institution coutumière propre à l’administration française, et qui a des traditions séculaires, et on ne peut laisser inexploré un tel champ de recherches43, malgré le caractère lacunaire, parcellaire des sources, malgré les difficultés d’approche et l’incertitude des résultats : tout comme l’histoire des grands corps, c’est un des chapitres les plus difficiles de l’histoire de l’administration française.
Notes de bas de page
1 La doctrine s’était très peu intéressée, jusqu’à une date récente, au phénomène des cabinets ministériels, cf. Seurin, « Les cabinets ministériels », Revue de droit public, 1956, p. 1207-1294 ; « Le saint des saints de la vie politique française », Réalités, 1958, p. 30-40 ; R. Catherine, Le fonctionnaire français, 1961, p. 299-326 ; J. Siwek-Pouydesseau, Le personnel de direction des ministères, 1969. Un colloque de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et de l’Institut Français des Sciences Administratives en janvier 1972 a souligné l’importance de l’institution dans la vie politique actuelle (Cahiers de l’Institut Français des Sciences Administratives, n° 8, 1972).
2 Cf. notre étude, « Les cabinets ministériels de 1815 à 1870 » et P. Legendre, « Les cabinets ministériels sous la IIIe République », Colloque précité.
3 On aime à répéter que les cabinets sous la IVe République, et surtout sous la IIIe, n’avaient pas l’influence qu’ils exercent aujourd’hui : l’affirmation mériterait certainement d’être nuancée, car l’administration avait peut-être moins de pouvoirs, au moins en apparence. De plus l’instabilité ministérielle compromettait à l’évidence les desseins a long terme d’un cabinet.
4 L’Almanach royal indique à partir de 1815 les noms des chefs et sous-chefs de cabinet. Auparavant, il donnait les noms des secrétaires particuliers ou secrétaires intimes. Les listes de l’Almanach mériteraient d’être publiées.
5 Ce qu’on faisait dans un cabinet autrefois est apparemment énigmatique : mais les témoignages d’un Mérimée, chef de cabinet du comte d’Argout (cf. Correspondance générale, t. I, 1941), du comte de Maugny, attaché au cabinet du marquis de Moustiers, Ministre des Affaires étrangères (Notes et croquis, Mondes parisiens, 1888, cf. Revue administrative, 1967, p. 121-125) ou d’un de Foville, sous-chef de cabinet du Ministre des Finances Pouyer-Quertier (Souvenirs, dans Le Correspondant, 1911, cf. Revue administrative, 1963, p. 618-619) sont très clairs sur le métier de cabinet tel qu’on le concevait autrefois et qui, croyons-nous, est assez proche du métier actuel.
6 Dès la Restauration, le problème du contrôle des services par le ministre est posé très nettement : ainsi que le déclare Huet de Coetiosan, le ministre vivait prisonnier des services : « Quel moyen le ministre a-t-il de discuter et de combattre les décisions qu’on lui soumet ? D’où obtiendrait-il des renseignements contraires à ceux qu’on lui présente ? Peut-il ici faire prévaloir une opinion ? Peut-il se permettre d’en avoir une ? S’il avait une pensée, s’il donnait un ordre qui contrariât les vues du Directeur ou blessât seulement son amour-propre, pourrait-il avoir la certitude d’être obéi ? N’est-il pas facile de le convaincre aussitôt d’erreur et de témérité, en opposant des obstacles imaginaires, en grossissant des obstacles réels, en apprêtant de fâcheux résultats !... On a peine à croire que des ministres responsables, éclairés sur leurs devoirs et capables de les remplir, se condamnent à cet état d’asservissement et de nullité... » (De l’organisation de la puissance civile dans l’intérêt monarchique, 2’ éd., 1821, p. 230-231) : le développement des cabinets est lié a cette nécessité de ne pas trop dépendre des services.
7 Sur l’apparition des « entourages », sous la Restauration et « l’ignominie » de cette expression nouvelle l’entourage, cf G. Ymbert, Mœurs administratives, 1825, p. 112-113. Ymbert note que le projet de loi soumis par les bureaux au Ministre « va quelquefois tomber dans des mains inconnues : ce sont celles quelquefois d’un ami du ministre, souvent d’un homme obscur dans les lumières duquel il a confiance et qui charge les mémoires et les chiffres de notes sages et désintéressées. Ils reviennent à la source. On s’intrigue pour savoir d’où partent ces épreuves ;... l’arsenal des bureaux est remis en mouvement, les commis sont reoccupés à faire des contre-chiffres et des contre-mémoires qui ramènent le projet à toute sa pureté primitive et le ministre est contraint à conviction, par la raison du dossier et l’éloquence des cartons » (ibidem) : on voit que déjà les bureaux étaient contraints de se méfier du contrôle technique des officieux du cabinet.
8 Sur le métier même des membres du cabinet cf. X., « Lettres à un ami anglais, Sur les cabinets ministériels », Revue administrative, 1971, p. 155-158.
9 Rappelons la « Matinée d’un ministre » de Vivien (cf. Témoins de l’administration, 1967, p. 210-222) : le propos de Vivien est toujours actuel.
10 Notamment pour les contacts sur les parlementaires, l’opposition, la négociation des élections (cf. A. Pirlenko, Les mœurs électorales en France. Régime censitaire, 1928). Sur les problèmes des relations avec les parlementaires, cf. X., « Lettres à un ami anglais, V, Sur les attaches parlementaires », Revue administrative, 1972 et sur le problème des recommandations, traditionnellement traitées par le cabinet, cf. R. Catherine, Le fonctionnaire français, ouv. cité, p. 343-348.
11 Le rôle politique, et même administratif, des salons est généralement méconnu, alors que pour un ministre l’opinion des salons était une chose importante.
12 « Le secrétaire particulier est toujours un jeune homme dont les capacités ne sont connues que du ministre. Ce jeune homme est le petit prince de Wagram du Napoléon ministériel, sa femme, son Ephestion. Il connaît tous les secrets, raccroche les tièdes, porte, rapporte et enterre les propositions, dit les non et les oui que le ministre n’ose pas prononcer... Anneau mystérieux par lequel bien des intérêts se rattachent au ministre, il est discret comme un confesseur : il sait et ne sait pas, il sait tantôt tout et tantôt rien (...). Enfin, avec lui, le ministre ose être ce qu’il est, ôte sa perruque et son râtelier, pose ses scrupules, et se met en pantoufles, déboutonne sa rouerie et déchausse sa conscience (...). Leur langage est plein de mais, de cependant, de néanmoins, de moi je ferais, moi à votre place (ils disent souvent a votre place), toutes phrases qui préparent la contradiction (...). Comme la femme chaste, ils doivent n’avoir du talent qu’en secret, et pour leurs ministres. S’ils ont du talent en public, ils sont perdus » (Balzac, Physiologie de l’employé). Rappelons, dans Visitations (1942), l’attaché de cabinet du ministre : Giraudoux manifeste beaucoup d’« attendrissement pour ce personnage adolescent et ingénu qui débute dans la vie auprès des vieillards les plus roués et des situation les plus terribles » (Ides et Calendes, 1947, p. 72-73).
13 Cf. les rapports de Lingay, publiés par Taschereau dans la Revue rétrospective, 1848, p. 140-143. C’est Lingay qui préparait les réponses du Roi a l’Adresse (cf. F. Wey, Entre amis, 1892, p. 153-154).
14 Les cabinets détruisent soigneusement leurs archives et A. Pirlenko (ouv. cité) remarque qu’il n’a pratiquement rien trouvé des instructions des ministres aux préfets à la veille des campagnes électorales : « Tous les documents de ce genre ont été soigneusement détruits, conformément à un plan préconçu et amplement exécuté ». Sur la destruction des archives d’un cabinet, on se reportera à la scène, toujours actuelle, esquissée par Ymbert dans les Mœurs administratives en 1825 (t. I, p. 215-217).
15 Nous laissons de côté ici le problème des relations avec les Chambres et avec la presse.
16 De là l’importance de la préparation de la signature du ministre, notamment aux Finances et à l’Intérieur.
17 Cf. L. Girard, La politique des grands travaux sous le Second Empire, 1952.
18 Rappelons l’importance de ces négociations, cf. R. Poidevin, Les relations économiques entre la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, 1969. Sur l’importance de l’économie aux Affaires étrangères, cf. les lettres d’Albert Sorel à Albert Eynaud, Revue administrative, 1963, p. 616-618.
19 Ainsi pour l’administration des télégraphes (Mérimée s’en occupa un temps), l’Instruction publique (Duruy dut gouverner contre ses directeurs, cf. J. Rohr, Victor Duruy, ministre de Napoléon III, 1967, p. 31).
20 Cf. de Maugny, ouv. cité et E. Gaboriau, Les gens de bureau, 1862, p. 296-299. Les cabinets avaient déjà le rôle d’« officine de harcèlement » dont parle R. Catherine (ouv. cité, p. 305) : « Partageant au jour le jour la vie ministérielle « du patron », le cabinet travaille plus au moins dans l’improvisation. Il lui faut préparer les interventions inopinées au ministre, répondre tout de ce qu’il ignore, recevoir (...). les solliciteurs les plus divers, c’est-à-dire qu’il lui faut chaque fois alerter, aiguillonner les services (...). Cette hâte et cette fébrilité sont d’ailleurs étroitement fonction de l’organisation du travail parlementaire ». Henri Chardon notait, en 1908, que les gens des cabinets avaient pour habitude de faire marcher les bureaux : « Horrible jargon et mauvaise administration ! Les bureaux ne marchent pas et le service est désorganisé. Le conflit sournois ou bruyant qui divise souvent ainsi les gens des cabinets accuse moins, quoi qu’on dise, la routine des premiers que la présomption des seconds (...). Il importe beaucoup que les ministres aient de bons chefs de cabinet : il n’importe pas moins qu’ils ne rendent pas trop facilement la main à l’ardeur du sang naturelle à l’heureuse jeunesse. Si les fonctionnaires sont médiocres, changez-les, mais pas de coadjuteurs « in partibus »» (L’administration de la France, p. 128, et, dans le même sens, Les travaux publics, essais sur le fonctionnement de nos administrations, 1904, p. 34-35).
21 C’est ce que montre bien Balzac dans Modeste Mignon.
22 Rappelons les portraits esquissés par de Maugny (ouv. cités) et par de Foville (art. cité).
23 Cf. les jugements souvent fort durs d’un Rémusat sur ses chers de cabinet, Mallac et Léonce de Lavergne (Mémoires de ma vie, t. III, 1960, p. 186-187, 336 et suivantes) : les ministres ont souvent des opinions peu favorables sur leurs collaborateurs, surtout quand ceux-ci peuvent, ou croient pouvoir faire une carrière politique (Balzac signale comment des Lupeaux, secrétaire général du ministre, qui veut etre député, est en butte à la méfiance de son ministre).
24 Sur les principes de l’histoire de l’administration, cf. G. Thuillier et J. Tulard, « Problèmes de l’histoire de l’administration », Revue internationale des sciences administratives, 1972, p. 128-132. L’histoire des cabinets ministériels obéit à des règles particulières, précisément parce que la psychologie des membres des cabinets, l’« optique du cabinet » sont très différentes de ce qui se passe dans les « services » (sur l’« optique du cabinet », cf. R. Catherine, ouv. cité, p. 300-305, 322-323).
25 Sans doute les cabinets étaient-ils peu nombreux ; quatre à six personnes, en principe, mais il ne faut pas oublier que le nombre des employés était fort réduit : d’après D. Schnapper et A. Darbel, le nombre des employés et chefs de bureau était, en 1870 (à l’exclusion du personnel de service et huissiers) aux Affaires étrangères 93 (dont 21 chefs de bureau), à la Justice 99 (dont 15), à l’Intérieur 363 (dont 43), aux Finances 926 (dont 111), à l’Instruction publique 107 (dont 18), au Commerce et à l’Agriculture 211 (dont 42), aux Travaux publics 116 (dont 26) (d’apres les chiffres du projet de budget, cités par A. Darbel et D. Schnapper, « Taille et effet de la taille dans la haute fonction publique », Sociologie du travail, 1971, p. 406-407).
26 Les conflits de générations entre jeunes chefs de cabinet et fonctionnaires âgés existaient déjà : rappelons Mérimée, chef de cabinet en 1831 du comte d’Argout à la Marine, parlant avec mépris des fonctionnaires : « Je hais et méprise cette racaille autant qu’elle me hait elle-même. Le peu que je vois de chefs de division et de bureau (...) est hideux de bassesse (...) ; l’important n’est pas d’apaiser ces bougres-là, mais de s’en faire craindre » (Correspondance générale, ed. par M. Parturier, t. I (1822-1835), 1941, p. 90).
27 Les fonctions de chef de cabinet et de secrétaire particulier sont bien distinguées à la fin du siècle, exactement comme aujourd’hui celles de directeur de cabinet et de chef de cabinet. « Le ministre charge le chef de cabinet de veiller à la transmission et à l’exécution des ordres. Il importe de prendre telle mesure, d’écrire telle lettre officielle. Le chef de cabinet est responsable (...). Le secrétaire particulier est plus étroitement attaché à la personne du Maître. Sa principale mission est de soigner les électeurs influents. Tout ministre se double d’un législateur. Ce législateur a besoin de ne pas mécontenter ceux qui l’ont élu, sous peine de perdre son siège (...). Le secrétaire particulier se trouve là juste à point pour calmer ces appétits, en leur jetant un os à ronger, de belles phrases aimables, de vagues promesses », etc. (Adolphe Brisson, Paris intime, p. 113-114).
28 Ainsi pour la préparation de la signature, le cabinet des Finances doit viser les lettres soumises au ministre : « C’est le rôle, et peut-être le plus sérieux devoir des chefs de cabinet que de faire à l’avance, par un minutieux examen le départ entre les rapports que le ministre devra lire lui-même, avant de signer, et les pièces où il aura à mettre son nom sans y regarder » (de Foville, à propos du cabinet Pouyer-Quartier, art. cité). De même il convient de rechercher les positions prises ou couvertes par le cabinet sur telle affaire, vu l’urgence (voir par exemple, à propos d’une grève en 1870, une note au chef de cabinet du ministre, Aspects de l’économie nivernaise, 1966, p. 530).
29 Il serait important de saisir comment les bureaux voyaient le cabinet du ministre (cf., à titre d’exemple, les Postes, Albert Cim, Bureaux et bureaucrates, mémoires d’un employé des P.T.T., 1909, p. 290 et suiv., p. 311 : « les bons fonctionnaires n’ont pas le temps d’intriguer » ; ce sont les fonctionnaires « les plus cyniques et les plus effrontés » qui « prennent la place, la bonne place auprès du ministre, s’imposent à eux, leur servent de confidents et de guides, de Pères Joseph et d’égéries (...). Oui, ce sont toujours presque toujours les pires agents, des fonctionnaires suspects, tous, sans valeur réelle, sans scrupule surtout, que MM. les ministres vont recruter, dénicher... », etc., p. 324-325).
30 Cf. les témoignages précités de Foville et Maugny, et H. Chardon, L’administration de la France, les fonctionnaires, 1908, p. 122-132.
31 En 1853, Tixier note que « l’homme important d’un ministre, c’est le chef de cabinet ; le chef de cabinet est généralement un jeune homme bien lancé ; il possède toute la confiance de son maître, c’est lui qui est chargé de l’importante partie des invitations aux bals et aux dîners ministériels. C’est le despote des petites choses ; c’est encore lui qui décachette les lettres intimes et donne audience aux gens que le ministre refuse de recevoir. La principale attribution d’un chef de cabinet consiste à dorer la pilule d’un refus formel aux solliciteurs éconduits. La grande prétention d’un chef de cabinet, c’est d’être fort occupé... », etc. (Tableau de Paris, t. II, p. 227). En fait, l’image paraît conventionnelle et déjà un peu vieillie.
32 Rappelons que Mérimée refusa d’être le chef de cabinet de Thiers « avec 10.000 F, logement, cabriolet, titre de maître des requêtes et pouvoir de secrétaire général ». Il refusa, « outre l’assujettissement qui était trop considérable, le mauvais renom de la boutique m’a dégoûté » (à Stendhal, octobre 1833, cf. « Six lettres de Mérimée à Stendhal », Fontaine, décembre 1945). Le portrait de l’attaché « produit de la République », « talon rouge de la République » dressé par Albert Millaud dans ses Physiologies parisiennes (1886, cf. Revue administrative, 1967, p. 19-20) donne une conception très mondaine du travail de cabinet.
33 Les cabinets ont eu toujours une fonction de sélection, c’était une école de formation administrative, conception qui est toujours actuelle : « Il nous paraît tout à fait souhaitable que les cadres permanents des ministres aient au moins une fois dans leur vie professionnelle, l’occasion de travailler auprès d’un ministre. Ils y apprendront une technique de travail à laquelle le service « sédentaire » ne les a pas habitués. Ils élargiront leur expérience et la doubleront de cette « optique temporelle de l’urgence » (...). L’optique des cabinets ne s’oublie pas : elle se traduit de la façon d’aborder, d’approcher les questions, dans le goût de la célérité, dans le désir de franchir les obstacles et cloisonnements » (R. Catherine, ouv. cité, p. 323) : nombre de directeurs et sous-directeurs de ministère ont, à la fin du xixe siècle, une « expérience de cabinet », et c’était autrefois une source normale de recrutement, (cf. H. Chardon, L’administration de la France, 1908, p. 124). « Il est tel ministère, non des moins importants, déclare Chardon, comprenant un personnel nombreux, dévoué, remarquable, dans lequel tous les premiers rôles ont été conquis depuis dix ans par des jeunes gens totalement etrangers à la carrière, mais ayant la chance d’être attachés pendant quelques mois au cabinet d’un ministre (...). L’ingéniosité d’un chef ou sous-chef de cabinet pour découvrir la bonne case, machiner les combinaisons qui la rendent disponible, écarter les concurrents, apaiser les réclamants, dédommager les protestataires est admirable : mais elle désorganise parfois les administrations dont nous avons le plus absolu besoin » (p. 124-125).
34 Le prince de Talleyrand « m’a dit, écrit Mérimée à son patron d’Argout, qu’il me félicitait beaucoup d’apprendre les hommes et les affaires sous votre direction ; car il était impossible qu’un homme de lettres fît quoi que ce soit bien s’il n’avait été de bonne heure dans les affaires. À l’appui de cette opinion, il m’a cité M. de Chateaubriand qui n’a jamais pu apprendre les hommes dans son cabinet, au milieu de ses livres, et qui arrivé aux affaires, a fait les bévues les plus comiques » (14 décembre 1832).
35 Les cabinets sont un « milieu » et il faut, pour bien comprendre cette intimité et cette camaraderie des cabinets, leur appliquer les propos d’un Paul Morand : « C’est une curieuse chose que d’être d’un milieu. On ne sait comment ça commence, bien qu’après on ait l’impression que cela fut par des forces mystérieuses, combiné d’avance (...). C’est un cercle magique qui se referme. L’on vit dans l’intimité de gens qu’on ne connaissait pas et qu’on n’aurait jamais choisis. C’est la période où l’on s’amuse beaucoup, où la camaraderie, une bonne humeur générale, l’échange d’élans vitaux, font du groupe un personnage utile pour lequel on néglige peu à peu, sous divers prétextes, tout ce qui n’en fait pas partie. Puis des fissures apparaissent. Les éléments les moins bons semblent prendre naturellement le dessus. On est lié par des répulsions, des inimitiés (...). On veut enfin, sinon se retirer, du moins mettre entre les autres et soi un peu d’espace. Il n’est plus temps. Un contrat est né, absolu, tacite... » (Tendres stocks, 1922, p. 132-163).
36 Le « despote des petites choses », suivant le mot de Tixier, peut empêcher bien des choses, faire barrage autour de son ministre, enterrer telle ou telle affaire, pousser en avant le candidat, tel protège. Le chef du cabinet, c’est aussi celui qui a des idées, qui veut légiférer : « La participation intense des chefs de cabinet à l’œuvre législative n’est pas (...) une chose très recommandable. A l’âge où nous devenons chef de cabinet, l’Ecole de droit ou celle des sciences politiques viennent à peine de nous lâcher. Pendant cinq ou six ans, des hommes supérieurs ont, à coup de conférences, démoli des abus et rebâti une société idéale. O joie de légiférer à son tour et de réglementer la vie des autres à l’âge où l’on ne sait pas encore régler la sienne ! Cette belle besogne ne va pas toujours sans aventures, même pour ceux qui l’entreprennent avec la passion du bien public. J’ai connu des chefs de cabinet qui avaient pâti de pondre des lois comme des poules au printemps », etc... (H. Chardon, L’administration de la France, 1908, p. 128-129).
37 Le ministre « reçoit une foule de pétitions, de demandes. Les députés l’assaillent de réclamations. Au cours de chaque visite, il en résume l’objet sur une feuille de papier, et il ajoute la phrase sacramentelle : « Bonne note est prise, cher monsieur, ou cher collègue, ou mon cher députe, ou monsieur le Président, ou monsieur tout court ». A la fin de la journée, les feuilles s’amoncellent. C’est au chef de cabinet de s’y débrouiller... Il trie, il classe, il se débarrasse des broutilles en les enterrant dans les bureaux ; il retient les choses essentielles. Et quand le ministre est absent, il affronte à sa place les quémandeurs... » (A. Brisson, ouv. cité, p. 113).
38 Cf. Vivien, La matinée d’un ministre, ouv. cité. Ymbert se moque de la complaisance des chefs de division vis-à-vis du secrétaire intime : « Tel est l’aveuglement de l’ambition que rien ne saurait la désenchanter de l’influence imaginaire qu’elle prête au secrétaire intime. On a vu des chefs de division eux-mêmes se laisser aller à cette décevante illusion, dissiper leur attention et leurs veilles auprès de ce jeune impuissant, l’initier aux secrets de leur portefeuille, abandonner à ces mains timides le soin d’accélérer les signatures, de hâter les décisions et de faire naître les tours de faveur. Malheur au chef de division qui donne à ses efforts cette fausse direction. Il passe sa vie dans le cabinet du secrétaire intime, l’œil sans cesse tourné vers la petite porte qui conduit à son Excellence, il guette, il épie l’instant fugitif que vont lui laisser les importuns (...). Le chef de division prodigue alors au secrétaire intime l’excédent d’expressions affectueuses, de petits soins et d’égards dont il avait fait provision pour le ministre... » (ouv. cité, t. I, p. 96).
39 Un ministre décide rarement seul, il a besoin de conseillers sûrs en qui il a confiance et avec qui il peut discuter librement de toutes les faces d’un problème.
40 C’est encore plus net dans les périodes de crise où les caractères des hommes se montrent à nu.
41 Rappelons La grande conférence (1963) de Bourbon-Busset.
42 H. Chardon (Le pouvoir administratif 1912, p. 359-361) notait que les tâches d’un cabinet se ressemblent beaucoup d’un ministère à l’autre et exigent « les mêmes qualités, quelles que soient les compétences techniques » et suggérait que les cabinets dans les différents ministères forment « un corps distinct rattaché au Conseil d’Etat et aux conseil administratifs régionaux », le Conseil d’Etat devant faire aux différents ministres les propositions nécessaires pour constituer leur cabinet : c’était une solution nettement en avance sur son temps ; il est vrai qu’il assignait aux cabinets des tâches de contrôle général, de préparation du budget, de comptabilité et les questions de personnel.
43 Les biographies des ministres, tels un Baroche, un Rouher, un Billault, devraient comprendre plus que des allusions à leurs collaborateurs, car les discours, la correspondance d’un ministre tiennent parfois entièrement à son cabinet.
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