Qu’est-ce que créer ?
p. 293-300
Plan détaillé
Texte intégral
1Qu’est-ce que créer en histoire ? et dans une histoire aux règles aussi incertaines, aussi floues que l’histoire de la bureaucratie ? On a peine à comprendre ce qu’est créer : c’est un mot usé, dangereux, vague, et on a tout intérêt à saisir le jeu de conventions, le réseau de questions par derrière le mot de création. Or l’histoire de l’histoire montre bien le déplacement des centres d’intérêt, le jeu de la demande publique ou technique1 qui incitent à explorer de nouveaux champs, à transformer de l’inconnu en connu (et du connu en inconnu), elle montre également le rôle des personnalités créatrices qui modèlent une discipline ou sous-discipline, qui ont une imagination créatrice, une sorte d’ingenium qui séduit, provoque le goût de créer (on dit : « Il a un tempérament créateur, il a su faire des avancées décisives dans son secteur, il nous a fait voir des choses inconnues, il est inventif il sait chercher ce dont on n’a pas idée »). La part de l’invention, de la création en histoire mérite l’attention : mais il y a beaucoup d’échecs, de livres « qui n’apportent rien », qui ne contiennent aucune innovation. Et on n’ose trop poser la question, pourtant essentielle : à quoi sert d’écrire un livre qui n’apporte rien ?2
2On voit combien ces questions sont piégées : qu’est-ce qu’un historien « créateur » ? comment peut-on créer en histoire ? et dans une discipline comme l’histoire de la bureaucratie où la liberté de créer est des plus grandes ? Nous devons aller prudemment (on ne peut tout dire en ce domaine), en biaisant parfois quelque peu, et nous voudrions montrer l’importance de cette part de création, la difficulté de gérer un système de création et donner quelques conseils de bon usage3.
I. Qu’est-ce que créer ?
3On peut beaucoup tâtonner avant de donner une définition4 : pour l’historien, créer, c’est mettre au jour quelque chose de neuf non pas ratione materiae (ce qui est le moins important), mais ratione principiorum, c’est-à-dire à raison du mode de voir, du mode de raisonnement, ce qui peut engager l’historien pendant 10 ou 20 ans. Or c’est là chose rare : peu de gens créent réellement à notre sens, car on peut explorer des champs inconnus, mais sans mettre en œuvre une manière de voir neuve, féconde ; créer une manière de voir suppose des inversions de perspectives, des changements de repères, des excitations, des connexions nouvelles, des mutations de sensibilité, des liaisons intérieures inédites, c’est-à-dire beaucoup de choses incertaines, floues, qui échappent à l’analyse5 : on joue une partie compliquée, il faut être sûr de soi.
4Créer est chose mal vue, en raison du petit nombre d’historiens créateurs, qui ont osé créer quelque chose, rompre avec la routine du troupeau. Ceci nous conduit à poser quelques questions délicates sur le statut et l’importance de la création.
5Première question : faut-il parler de ce problème, et notamment aux jeunes ? Si l’on n’en parle pas, on applique les règles de prudence, de la coutume, si l’on en parle, on peut créer des illusions, des déceptions.
6Deuxième question : créer correspond à une expérience personnelle, par définition non communicable, et personne ne nous donne de témoignages, d’analyses sur la création de l’historien6. Or il y a peut-être plusieurs types de créations suivant leur genèse :
l’illumination (« j’ai eu subitement l’idée que »), ou la lente maturation (« j’ai peu à peu compris que »),
la déviation (« j’étais sur une autre voie, puis j’ai dérapé, je me suis rendu compte qu’il valait mieux bifurquer »),
le conseil (« une conversation avec X, un conseil d’Y m’a mis sur la bonne voie »).
7En fait il y a toujours un avant compliqué, des « origines » confuses, des « déclencheurs » (et le récit tient parfois à un légendaire personnel, déformé, biaisé : on a souvent devant soi des personnes habiles à dissimuler, à habiller, on ne sait jamais réellement ce qui s’est passé).
8Troisième question : créer correspond, bon gré mal gré, à une expérience spirituelle7 : la joie de créer, d’exister dans et par la création, la volonté d’accéder à des choses inaccessibles, la capacité de faire des sacrifices, de se dépasser ; il n’y a pas une voie unique, et dans toute création il y a une part d’ascèse. Mais l’historien n’aime pas parler de lui-même.
9Quatrième question : comment peut-on créer sur 40-45 ans ? C’est là chose impossible, on ne peut toujours créer, et il y a des risques certains de médiocrité, d’illusions : on veut forcer son talent, on s’appauvrit, on travaille à l’identique, on ne sait comment rebondir, on vit sur des images de soi dépassées... Il faut bien être conscient de ces risques multiples : créer sur 40-45 ans – la carrière d’un historien – est un problème insoluble, et en général on n’a de capacité de créer que pendant un temps court8...
II. Les formes de la création
10On peut hésiter à définir un champ d’analyse, car tout est flou en ce domaine9 : on peut distinguer deux cercles.
11Premier cercle : en apparence la création touche :
au choix d’un sujet, d’un thème à explorer,
à une méthode pour explorer (on montre la voie à d’autres),
à la chance ou au hasard (on a découvert un beau gîte documentaire).
12Deuxième cercle : la création touche en profondeur à des mécanismes infiniment complexes :
à une manière de voir, une sorte de vision,
à une manière de raisonner, ou un art de raisonner (qui peut, à la rigueur, s’imiter, s’enseigner : c’est chose adaptable, transférable à d’autres secteurs),
à une manière de questionner, d’interpréter (on invente un questionnaire),
à une manière de connaître, qui est la chose la plus importante, celle qui donne tout son sens à l’œuvre et qui touche aux ressorts intimes de l’historien10 .
13Or dans ce deuxième cercle, on se trouve dans le flou : comment définir la manière de voir, de raisonner de tel historien, par exemple d’un abbé Bremond ? Car c’est plutôt une « pratique » qu’il montre, il refuse d’en faire la théorie, de dire les principia, mais il « donne », à ceux qui le lisent avec soin, une manière de voir, d’évaluer, de progresser, il enseigne – sans le dire – une manière de connaître, de discerner « ce qu’il est le plus important de connaître » (mais personne n’ose tirer les conséquences de la pratique de l’abbé Bremond)11. A dire vrai, la plupart des « patrons » se gardent bien de dire les principes de la création12, ils sont prudents, ils se méfient des critiques des jeunes (et ils savent d’expérience qu’il est toujours préférable de ne pas parler de choses qu’on ne peut expliquer).
III. Comment gérer la création ?
14Nous posons là une question difficile, « insoluble », qu’il n’est peut-être pas convenable de poser, car la création est chose inexplicable en elle-même13. Mais on peut tenter de décrire les passages, d’évoquer les obstacles à la création.
15On voit bien les passages qui forment barrière, qui freinent la création, qui provoquent les échecs.
16Premier passage : de l’intuition à la création, ou plus exactement à l’acquisition d’une vision, d’une manière de voir ou de raisonner : on passe du flou, de l’incertain à un système ordonné de « possibles », de « probables » ; c’est une conquête difficile, hasardée, il faut être favorisé des Dieux.
17Deuxième passage : de la création à la production. On ne sait trop comment « réaliser » cette manière de voir, traduire son pressentiment, affirmer sa novelleté (ce que j’ai trouvé), les conditions de sources, de faisabilité ne sont pas toujours réunies, on piétine, on tâtonne, on cherche à forcer diverses serrures, on se heurte à de redoutables difficultés d’exploration, d’application, on craint l’échec : et de fait il y a souvent des « créations » qui ne sont pas suivies de réalisations pratiques, des pressentiments qui sont abandonnés.
18Troisième passage : du produit à la manière de connaître. Il faut éviter de se limiter à un « produit » qui tôt ou tard sera obsolète, on doit s’attacher à la réception du produit (il y a des résistances psychologiques à la novelleté14), à l’adaptation du message (il y a des niveaux de lectorat)15, mais surtout il faut que le produit mène à une manière de connaître qui ait certain éclat, certaine audience, c’est une transformation par le haut, L’entreprise est très difficile : il y faut 10-15 ans, plusieurs livres, et en général il y a échec16, on n’a pas toujours les talents nécessaires pour montrer cette manière de connaître.
19On voit les difficultés successives de ces passages, l’énergie nécessaire pour les surmonter17, alors qu’en général on ne sait pas où l’on va, on est dans le noir. Examinons quelques-uns de ces obstacles psychologiques.
20Premier obstacle : compte tenu du risque d’illusions, d’erreurs, de faux-semblants, sur x créations, ou essais de création, combien tiennent la route ? Et sur ceux qui tiennent la route, combien arrivent à un « produit » ? Et sur ceux-là combien arrivent à faire apparaître une « manière de connaître » ?18
21Deuxième obstacle : assurément les problèmes de fatigue sont nombreux ; on est pris dans un piège (jadis la grande thèse durait 15 ans), il y a des chutes et des rechutes, des crises de doute, de découragement, d’amertume, on sent qu’on n’est pas égal à son officium, alors qu’on a eu la « bonne intuition », qu’au départ on a « trouvé » quelque chose d’important.
22Troisième obstacle : parfois se produit un phénomène de clôture ; on dérive de la création vers un « fonds de boutique », ce qui peut stériliser, conduire à des formes médiocres, erronées, de recherche, il y a une sorte de calcification (le vocabulaire le dit bien : « Il a eu quelques belles idées jadis, mais aujourd’hui, il n’a plus d’idées neuves, il est incapable de créer, d’innover, il est fermé à toutes les idées ») : le phénomène est plus fréquent qu’on ne pense.
23Quatrième obstacle : ce qu’on a trouvé n’est qu’un point de départ, il faut vouloir aller plus loin, se dépasser (même les « manières de connaître » sont précaires19, sont atteintes par l’obsolescence). Le vrai problème pour l’historien n’est pas d’avoir une idée, mais plusieurs qui s’enchaînent, se poussent, s’entrecroisent avec des effets de contamination, de subversion, qui peuvent « ébranler » d’autres secteurs. C’est là une sorte de quatrième passage, le plus difficile à mettre en œuvre sans doute ; si l’on ne réussit pas ce quatrième passage, c’est peut-être qu’on ne fait pas les efforts nécessaires d’adaptation, de « théorisation », de prolongation, qu’on préfère s’en tenir à ce qu’on tient, ne pas risquer son capital : mais c’est là peut-être une vue un peu courte, un historien doit toujours aller le plus loin possible20.
IV. Conséquences
24On doit se poser quelques questions difficiles, dont on ne peut faire l’économie, au moins pour une histoire incertaine comme l’histoire de la bureaucratie.
25Première question : comment éviter les illusions ? Quelles sont les possibilités de discerner ce qui est une erreur, ce qui conduit à une impasse ? A première vue, il n’y a aucun moyen, on n’a pas de guides, et si l’on donne des conseils, ils seront récusés, avec de bons motifs (« les anciens sont rarement tolérants, ils sont frileux, ils nous disent toujours : soyez prudents »)21. La chasse aux illusions paraît impossible : on le voit bien avec les échecs des histoires à la mode, qui gâchent souvent les plus belles chances de création (les modes sont éphémères par nature)22.
26Deuxième question : une création engage-t-elle une manière de voir, de connaître ? En principe, cela devrait être, et chaque fois que l’on apporte quelque chose de neuf, il y a une connexion, une correspondance avec la manière de voir, l’invention d’un autre regard : mais est-ce toujours le cas ? L’exploration est parfois superficielle, maladroite, limitée, biaisée, il n’y a pas réflexion sur la manière de voir : tout dépend de la flexibilité de l’historien23, de l’inventivité de son questionnaire, de sa capacité à réfléchir sur ce qu’il fait.
27Troisième question : peut-on exciter cette capacité de création, d’invention ? peut-on la produire l’entretenir ? C’est là une question difficile : il y a des niveaux de création24, et à la vérité on ne peut créer une telle capacité de toutes pièces, il faut que l’historien ait des dons particuliers ; mais on doit pouvoir exciter l’inventivité, aider quelqu’un à refaire son esprit (reficere ingenium) – mais il s’agit là d’exceptions.
28Quatrième question : la durée de la création, des produits. Comme en littérature, il y a des générations, des modes, des apparences : ce qu’on crée a une durée de vie brève, le taux d’obsolescence est rapide, et telle étude qui correspondait à t à une belle intuition, à une innovation importante, est – vingt ans après – devenue chose banale, enseignée, mise au programme de l’agrégation. Et personne ne peut croire vraiment que ce qu’il crée aura encore quelque valeur en 205025 : tout s’annule, c’est la cruauté du jeu (on n’utilise plus, on ne cite plus guère aujourd’hui un livre publié en 1948...).
29Cinquième question : quels sont les rapports de la création avec l’intuition, l’expérience – l’expérience de la vie et l’expérience spirituelle –, l’imagination, la flexibilité, la rêverie ? Il y a beaucoup de flou, de désordre dans le vocabulaire utilisé ; ce sont des mots usés, dangereux, et la poiétique, rappelait Valéry, est chose mystérieuse ; pour l’historien, nous n’avons pas assez de témoignages, d’archives orales, d’analyses en profondeur (qu’est-ce qu’imaginer pour un jeune historien ? pour un historien âgé ?). Les investissements intellectuels ne sont pas faits – et personne n’y a intérêt, car il y a les historiens qui créent, d’autres qui ne créent pas, et statistiquement ces derniers sont les plus nombreux...
V. Règles du jeu
30Il n’est pas simple de donner quelques conseils dans un domaine aussi biaisé, où personne ne tient à dire les choses clairement.
31Première règle : il faut aider les jeunes qui ont un tempérament exceptionnel d’historien à pousser leurs intuitions jusqu’à la création, c’est-à-dire les aider à créer : les patrons doivent deviner – c’est leur métier – ce qu’ils « portent en eux », voir les divers possibles qu’ils représentent26 et leur donner les encouragements, les moyens nécessaires27.
32Deuxième règle : il faudrait aider à cette logique de la création, c’est-à-dire aider à la réflexion sur soi, à la rupture avec les autres, inciter à ne pas penser conforme : ce qui n’est pas toujours aisé (les conseils sont parfois mal adaptés).
33Troisième règle : il est nécessaire de montrer la part de création dans toute œuvre historique importante, ce qui conduit à des discriminations, des hiérarchisations (il y a des œuvres où il n’y a rien, où les talents sont en quelque sorte gaspillés, sine fructu), mais on voit le risque d’une telle séparation. Il faudrait avoir une idée précise de ce qu’est la création : or la chose est impossible, il faut se garder de trop définir ce qui est incomparable, ineffable, inexplicable ; c’est une impasse. Mais on peut attirer l’attention des jeunes sur l’importance de la création, et de la méditation sur la création.
34Quatrième règle : on doit mettre en place des garde-fous contre les fausses inventions, les fausses créations : on voit combien le jeu est délicat, on ne peut que donner des mises en garde, inciter à réfléchir sur les risques d’erreur.
35Cinquième règle : peut-on réfléchir à des zones de création possible, c’est-à-dire esquisser la cartographie de la création future, « programmer » les choses à créer ? C’est sans doute impossible, car on n’a qu’une idée fort vague de ces histoires « possibles », non encore vues, non encore visibles, et une création correspond nécessairement à une manière de voir, une manière de connaître, à advenir. Mais une rêverie sur les choses à créer dans chaque secteur serait nécessaire, il faudrait la pousser le plus loin possible28, elle pourrait même être à la source de belles explorations.
Conclusion
36Nous n’avons donné qu’une esquisse : quelles leçons peut-on en tirer ?
37Première leçon : la part de la création en histoire est importante dans le jeu de l’historien : mais comment comprendre les règles du jeu alors qu’on n’a pas de repères précis, de signes certains ? L’historien doit examiner avec soin dans ce qu’il fait la part de création, mais on est là dans l’ordre du probable – et l’exercice est cruel29.
38Deuxième leçon : créer apporte un plaisir évident (mais l’historien est fort discret là-dessus), mais aussi certaine anxiété : ce que l’on crée n’a qu’une durée de vie nécessairement limitée – et on n’a que peu de temps devant soi pour créer.
39Troisième leçon : dans une histoire aussi opaque que l’histoire de la bureaucratie, on ne peut guère créer de choses cohérentes, certaines, on ne travaille que sur du probable, il y a beaucoup de zones d’ombre, et on a grand peine à transformer le connu en inconnu, à mettre en œuvre une nouvelle manière de voir : le jeu de la création est là particulièrement difficile.
Notes de bas de page
1 Par exemple, en histoire de l’immigration, en histoire de la famille, en histoire de la protection sociale, on voit l’importance de la demande sociale et politique.
2 Chaque fois qu’on décide d’entreprendre un sujet, on devrait se poser la question... Un livre qui « n’apporte rien » peut-il apporter quelque chose à la carrière, à la réputation, au plaisir ? C’est plus que douteux.
3 Nous ne donnons qu’une esquisse générale, mais on voit bien comment on peut appliquer ces réflexions à l’histoire de la bureaucratie.
4 La littérature sur le sujet nous paraît des plus maigres – et on ne peut transposer les règles concernant la création littéraire (même s’il y a des connexions).
5 On dit : « Il a un tempérament de créateur », mais on se garde bien de dire où cela mène (parfois il y a échec).
6 Si l’on se décide à collecter les archives orales des historiens, on pourra recueillir sans doute beaucoup de témoignages sur ce point.
7 Cf. « L’expérience spirituelle », dans L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 252-261.
8 Mais on ne le sait pas, ce qui provoque souvent beaucoup de difficultés.
9 Il nous manque une théorie générale de la création en histoire, qui permettrait de saisir les principes de l’art de créer.
10 Sur la manière de connaître, cf. L’histoire entre le rêve et la raison, ouv. cité, p. 416-423.
11 Henri Bremond avait une capacité d’entreprise étonnante, il n’a pas eu de vrai successeur.
12 Alphonse Dupront aurait pu le faire, mais il s’est bien gardé – par prudence ? – de laisser une théorie de la pratique de l’histoire.
13 C’est là un point essentiel : comment peut-on « expliquer » une création ? Il y a peut-être des pressions extérieures, des mouvements intérieurs, des changements de sensibilité à l’origine d’une création, mais on ne peut vraiment l’expliquer, et Jean Guitton se moquait – à propos de Gustave Lanson – de cette prétendue « méthode scientifique », qui « consiste à expliquer dans un être tout cet être, sauf son essence même » (Écrire comme on se souvient, p. 161).
14 Les pairs, les patrons n’y croient pas, on se crispe contre cette novelleté, on y voit une manœuvre idéologique, un enjeu de pouvoir. Bremond continue – par son exemplum – à irriter les esprits
15 Il faut faire un effort de doctrine pour bien marquer ses objectifs, définir les limites, car les autres historiens cherchent à réduire, à déformer ce que vous apportez.
16 Quelquefois on retrouve ainsi des produits erratiques dans une revue locale, qui témoignent de grandes et légitimes ambitions.
17 Il nous manque une réflexion sur la ténacité de l’historien : qu’est-ce qu’être tenace ?
18 Une analyse de ces échecs serait très suggestive, car on verrait combien l’histoire est un chemin étroit et épineux.
19 « Si tu crois savoir quelque chose, tu ne connais pas encore la manière de connaître » : la petite phrase de saint Paul montre bien l’imperfection nécessaire de toute manière de connaître.
20 Il doit savoir explorer tous ses possibles, et comme disait une religieuse orthodoxe de Paris, amie de Berdiaev, la Mère Maria (Lisa Pilenko) : « Je ne vaux pas un rouble, mais cent kopecks »...
21 Les anciens craignent les jeunes, ils voient bien la menace que représentent les jeunes, et parfois – quand ils sont médiocres – ils le laissent voir.
22 Ainsi de l’histoire psychanalytique, de l’histoire sociale statistique, de l’histoire qui tire ses règles de vagues sociologies de l’organisation, de l’histoire sociologique à la Bourdieu, etc. : ce sont souvent des intuitions qui ont été mal exploitées.
23 Supra, p. 277.
24 Il y a la une question gênante : quelle est la capacité d’invention, de création d’un historien à talents moyens, qui ne sera, apparemment, qu’un historien mineur ?
25 L’histoire n’est qu’un champ de ruines, et les éloges que l’on a prodigués à celui qui avait créé, apporté quelque chose de neuf, sont transformés 20, 30 ans plus tard presqu’en reproches, il est déclassé, méprise, les jeunes disent de lui : « Il n’a rien compris, il a oublié de voir, il ne savait pas raisonner correctement, il est inutile, illisible... ».
26 Voir le possible chez les jeunes : c’est une des fonctions des patrons (« Il a su deviner, il a fait confiance, il a cru en X malgré les résistances, il a protégé ses débuts, il l’a aidé à publier »), c’est aussi songer à former des patrons futurs – tâche trop souvent oubliée.
27 Cependant il y a certains risques, compte tenu du décalage des générations (et des sensibilités) : les patrons, à t, peuvent montrer ce qu’il faut explorer, créer sur tel point, alors qu’à t + n cela « n’a plus de sens », le paysage historique ayant fortement bougé.
28 Ce sont des rêveries-programmes : elles peuvent jouer un certain rôle, notamment pour montrer comment ce que l’on croit connaître est en fait inconnu, ou mal connu, ou même « inconnaissable », pour transformer du prétendu certain en probable, ou improbable, ou douteux : c’est souvent là la source de travaux féçonds.
29 Notamment en fin de partie, lors des archives orales : on voit qu’on a très peu créé, qu’on a peut-être eu de bonnes intuitions, mais qu’on n’a pas su donner de bons produits, qu’on n’a pas réussi à montrer une manière de connaître.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006