Qu’est-ce que douter ?
p. 285-292
Plan détaillé
Texte intégral
1Douter est une nécessité du jeu de l’historien : mais en histoire de la bureaucratie, les risques d’erreur sont nombreux, l’action administrative est difficile à évaluer (les contrôleurs le savent bien)1, le doute s’insinue normalement ; pour l’historien de la bureaucratie il y a peut-être des systèmes de doute qui vont au-delà du doute coutumier de l’historien2, qui se rapprochent du doute opératoire du contrôleur : et quand on étudie une direction, un service, gérer son système de doute suppose un effort particulier, il n’y a pas de méthode certaine. Chacun à bon droit a ses habitudes de travail : mais nous croyons devoir présenter quelques observations sur la gestion des systèmes de doute et le bon usage du doute, qui peuvent attirer l’attention des jeunes historiens sur certaines règles du jeu.
I. Les difficultés de l’histoire de la bureaucratie
2Il faut bien voir que le doute est une contrainte nécessaire ratione materiae de l’histoire de la bureaucratie, car elle suppose plus d’efforts de la part de l’historien, pour diverses raisons.
3Première cause : on travaille sur des sources résiduelles, les destructions des matériaux sont massives et ce qui est le plus important est, en général, disparu entièrement3.
4Deuxième cause : ce qu’on possède est le plus souvent biaisé (un rapport est conforme à une coutume, adapté au lecteur, le rapporteur est pris dans des liens invisibles)4, il est difficile – aujourd’hui – de les décoder correctement, de saisir les règles du jeu : on ne peut saisir que des choses « douteuses » (n’oublions pas que la part orale est souvent la plus importante dans l’administration à certain niveau – et elle ne laisse aucune trace)5.
5Troisième cause : l’administration est souvent opaque – volontairement –, elle a l’habitude de dissimuler beaucoup, de se mentir à elle-même, et le rôle du clandestin, du souterrain, de l’occulté n’est pas facile à saisir, même aujourd’hui6.
6Quatrième cause : on n’a pas de bases doctrinales assurées pour connaître les mécanismes de l’administration ; l’historien n’a pas de règles précises, les systèmes d’explication sont insuffisants, flous (la science administrative est en médiocre état)7, on ne sait trop comment raisonner : ce qui doit inciter l’historien à mettre en doute par principe sa manière de connaître.
7L’histoire de la bureaucratie est par sorte une histoire à risque élevé8, parfois c’est une histoire impossible9 : l’historien est donc amené à organiser son système de doute, contrepoids nécessaire de ces incertitudes.
II. Fondements
8Quels sont les fondements du doute ? Il n’est pas facile de répondre à une telle question : il s’agit d’un doute opérationnel, conforme au premier précepte du Discours de la méthode, qui doit conduire au bon port, donner quelque assurance à la démarche10, un doute raisonnable qui in principio oriente la recherche. Mais on voit la difficulté de justifier une telle conduite.
9Premier fondement : la prudence11, mais à la prudentia coutumière de l’historien s’ajoutent ici des contraintes particulières de prudence, tenant à la matière étudiée, car faire de l’histoire de la bureaucratie comporte bien des pièges.
10Deuxième fondement : le probabilisme, que nous avons évoqué par ailleurs12 : on ne travaille que sur des choses probables, la certitude est hors d’atteinte et c’est une illusion de croire que l’on puisse « dire le vrai ».
11Troisième fondement : l’insécurité de l’historien, qui sait bien qu’il vit dans un monde incertain, qu’il ne connaîtra jamais la « manière de connaître » : le doute traduit cette insécurité fondamentale, il atteint nécessairement la manière de connaître (personne ne peut dire : je crois savoir telle chose).
12Quatrième fondement : le réalisme ; à quoi bon dire des choses qui sont fausses ? C’est une naïveté dont il faut guérir jeune. On peut dissimuler ce réalisme sous divers masques (la « recherche de la vérité » par exemple), mais l’historien sait bien que son officium est de découvrir l’argile sous le sable, et le doute est un moyen privilégié.
13Cinquième fondement : la défiance de soi, on peut être piégé par les illusions, les préventions, la volonté naïve de tout expliquer, la surestimation de ses travaux ; c’est presqu’une question d’humilité13, le doute renvoie nécessairement au doute sur soi ; ce n’est pas seulement un outil de raisonnement, il y a d’autres motivations profondes, qui relèvent de la vie intérieure de l’historien.
III. Comment gérer un système de doute ?
14Douter paraît chose simple : mais gérer un système de doute est une entreprise redoutable, car en histoire bureaucratique on n’a qu’une idée assez confuse des erreurs probables14, des fautes de raisonnement15, des illusions coutumières que crée ce type d’histoire, et quelquefois le doute peut conduire à des scrupules, qui paralysent la volonté16. Nous croyons devoir rappeler quelques principes, qui s’appliquent plus particulièrement à cette histoire.
15Premier principe : douter, c’est vouloir douter : c’est-à-dire qu’on organise son doute ou système de doute, qu’on se fixe des règles, qu’on se donne les moyens nécessaires en temps, en « précautions », en vérifications et contrôles17, qu’on adopte une ligne ferme (rien n’est plus dangereux que l’instabilité, les changements dans la manière de douter).
16Deuxième principe : douter conduit à organiser des systèmes de documenta, à dénombrer avec soin les anneaux de la chaîne documentaire, à mettre à plat les « preuves », les « pièces à l’appui », à ordonner ses matériaux : on définit ainsi à partir du doute un certain ordre, on régularise18, on montre ce qui est destiné à assurer les conclusions.
17Troisième principe : douter, c’est aussi se refuser aux constructions artificielles, arbitraires, dogmatiques, aux systèmes d’explications nominalistes – avec des « causes », des « conséquences ». On ne croit pas qu’on puisse tout expliquer, on renonce à ces illusions totalitaires (dire : « je sais pourquoi ceci s’est passé ainsi » est en général une sottise), on ne prend pas le risque d’expliquer19 : on est réduit à des parcelles de savoir, à des chaînons disjoints, à des fragmenta.
18Quatrième principe : douter, c’est aussi se questionner, bâtir un système de questions complexes sur son jeu, qu’on doit se poser à intervalles réguliers :
ai-je bien vu ? bien compris ?
ai-je bien évité les pièges ?
en quoi risqué-je de me tromper ?
ai-je bien vérifié que ?
n’ai-je pas trop rapidement cru comprendre que ?
ai-je péché par précipitation ?
19Le questionnement peut être long, à chaque nouveau travail il doit être modifié : c’est le meilleur moyen d’assurer sa prise (tout comme le grimpeur), on contrôle ainsi pas à pas ce que l’on fait, on voit ce qu’on aurait dû faire, ce qu’on n’a pu faire, ce qu’on a mal fait : c’est le mal fait qui gouverne ce doute opératoire.
20Cinquième principe : douter, c’est éviter de trop croire en la valeur de ce que l’on fait, ou a fait (ce qui est le péché habituel de l’historien), c’est avoir conscience des limites, de l’arbitraire de l’exercice, des lacunes de son savoir, de la médiocrité des conventions, des mots qu’on utilise. Dire les limites est une nécessité en histoire de la bureaucratie : mais on n’aime guère ce genre d’aveu, on est souvent entraîné, piégé par la masse de ses connaissances20, on ne discerne pas qu’aux yeux de l’historien futur, de l’historien de 2050, il est plus nécessaire de montrer les limites que d’exposer ses connaissances...
21On voit l’importance de ces différentes formes du douter, qui modèlent la démarche de l’historien, qui le contraignent à la prudence, à l’honnêteté, à la modération et qui lui permettent de ne pas s’attacher à des faux-semblants, ni s’égarer sur de fausses pistes.
IV. Applications
22Comment appliquer ces principes ? A l’évidence on doit les adapter au terrain, et à 30 et à 60 ans on ne les applique pas de la même façon ; avec l’âge on a une pratique plus assurée, des repères plus précis, on croit – souvent à tort – commettre moins d’erreurs. Mais cette application pose des problèmes redoutables, car douter oblige à prendre le temps de mettre en doute, d’organiser ses doutes, on doit éviter de comprendre « tout de suite »21, on doit distinguer plusieurs niveaux de « compréhension », ce qui coûte du temps, des efforts, de l’application. Donnons quelques exemples de ces systèmes de doute.
23Premier exemple : prenons le cas le plus simple, on cherche à comprendre un décret impérial (par exemple le décret du 30 août 1811 qui prescrit l’incorporation forcée des enfants trouvés dans les pupilles de la Garde impériale)22 ; la recherche suppose plusieurs phases :
Première phase : on recherche les variantes du décret, on retrouve l’original, le rapport à l’Empereur, les brouillons, on dévide la pelote de laine, on assure sa prise ;
Deuxième phase : on suspend son jugement, on trouve étrange ce décret, on refuse toute explication simpliste, on ne comprend pas bien ce qui a pu se passer ;
Troisième phase : on cherche à reconstituer les anneaux de la chaîne bureaucratique, on retrouve les origines du décret, les brouillons du chef de bureau, les réglements, on s’attache à saisir les applications du décret, les circulaires, les difficultés de mise en œuvre, les protestations en province.
Quatrième phase : on met à plat l’ensemble, on pose les questions de contrôle : ai-je bien tout vu ? tout compris ? qu’est-ce qui ne colle pas ? ne faut-il pas aller plus loin ? et comment ?
Cinquième phase : on publie les documents retrouvés, avec, si possible, les brouillons, les annexes, ce qui permettra aux autres historiens de poser leurs propres questions.
Sixième phase : on explique les limites de ce que l’on a trouvé, les conventions utilisées, on indique brièvement ce qui reste à voir, à comprendre23.
24C’est là un schéma idéal : mais on voit bien que c’est le doute – l’incompréhension à la deuxième phase, le contrôle à la quatrième – qui est le moteur de la recherche, qui oblige à aller au-delà, à rebâtir tout le « système » et à publier le dossier ; l’essentiel est d’aller pas à pas, de dénombrer les anneaux de la chaîne.
25Deuxième exemple : on dépouille un dossier de préfet24, et on doit là se méfier de sa précipitation, de sa facilité à tout comprendre « au premier coup d’œil ».
Première phase : on doit prendre son temps, lire lentement le dossier.
Deuxième phase : on cherche à éviter le piège des questionnaires tout faits, attrape-tout25, on doit chercher à mettre en doute ce que l’on croit comprendre, poser les bonnes questions : pourquoi a-t-il quitté ce poste ? Pourquoi lui a-t-on refusé cette préfecture ? Quelle était l’influence de sa belle-famille ? Pourquoi n’a-t-il pas été sanctionné après tel incident ?
Troisième phase : on pratique avec soin une deuxième lecture du dossier – ce qui permet de corriger les erreurs de décodage de la première lecture –, on recoupe avec d’autres sources, etc.
Quatrième phase : on met à plat, on contrôle (qu’est-ce que je ne comprends pas ? Qu’ai-je oublié d’important).
Cinquième phase : on marque bien les limites, les lacunes de ce que l’on croit savoir, on souligne ce qui est inquiétant, douteux (sauf correspondances privées, ou journal, on sait très peu de choses sur la vie d’un préfet, on n’en a qu’une vision très arbitraire et on ne peut absolument pas se confier aux rapports officiels, nécessairement biaisés).
26Troisième exemple : pour l’histoire d’une institution ou d’un service, les problèmes sont analogues, le doute doit régler le jeu.
Première phase : on doit chercher à savoir ce qu’il y a par-dessous, ce qui est invisible, on essaie de trouver les critiques externes, les « projets de réforme », les rapports d’inspection qui montrent ce qui ne va pas, ce qui ne peut aller, qui permettent de déceler des parties inconnues, ou souterraines, de l’institution (les contrôleurs d’aujourd’hui savent bien qu’il faut éviter de se fier aux rapports officiels, aux discours tout faits des responsables).
Deuxième phase : on établit un arbre des possibles, des probables, on a une vision d’ensemble qui comprend aussi ces parties inconnues ou souterraines, ce qui permet de saisir ce qui est impossible à connaître et met en cause les systèmes apparents.
Troisième phase : au moment de la rédaction on met en doute ses résultats, on marque les zones d’ombre, les limites nécessaires, inévitables, de ce que l’on croit savoir, on montre le « probable ».
27Ce qui est important, c’est d’appliquer un système de doute aux diverses phases de la recherche : le doute est ce qui permet d’orienter, de relancer la recherche, et parfois de découvrir des choses « plus importantes » : le doute est efficace, encore faut-il savoir le mettre en œuvre au bon moment.
V. Règles d’usage
28On voit bien la difficulté de bien douter en histoire administrative (ceux qui sont négligents sur ce point risquent de donner des travaux qui paraissent légers ou insuffisants). Il faut bien réfléchir à sa manière de douter. Donnons quelques conseils « à ras de terre ».
29Première règle : douter, c’est organiser son système de doute pour la recherche que l’on mène, et en particulier on doit bien trier :
ce que je ne peux savoir (l’impossible à connaître),
ce que je ne saurai jamais26,
ce que je ne sais pas aujourd’hui, mais que je saurai peut-être un jour, ou probablement,
ce que je peux savoir si je fais tel effort...
30Il faut hiérarchiser les diverses situations, car le doute n’a pas la même fonction, le même poids, la même importance.
31Deuxième règle : douter, c’est mettre en place des mécanismes de contrôle, de vérification et de révision, à chaque étape de la recherche : or en général on ne cherche pas à contrôler ce qu’on fait, par manque de temps, de rigueur (on n’imagine pas qu’un contrôle soit nécessaire), de métier (on croit naïvement qu’on ne commet jamais de faute, qu’on sait éviter les pièges). Or un doute raisonnable conduit à organiser à t, t+1, t+2 un contrôle strict permettant de vérifier les résultats, d’éprouver les conclusions, de mettre en cause le bien-fondé des hypothèses (j’ai supposé ceci à t, mais à t+2 est-ce encore valable ?).
32Troisième règle : on doit chercher à établir un ordre, son ordre, à l’intérieur d’un système de doute, à observer sa démarche : on rédige des fiches de synthèse (ceci est-il bien justifié ? cette source est-elle la bonne ? qu’ai-je laissé de côté ? n’ai-je point été imprudent sur ce point ?), et au besoin des bilans périodiques, ou un journal de recherche qui fait état des doutes tout au long d’un travail : un doute méthodique doit être observé pas à pas.
33Quatrième règle : il faut, répétons-le, se défier de soi-même, de sa facilité à croire qu’« on a compris », à pratiquer un va-et-vient du présent au passé (ce va-et-vient est souvent piégé, il y a des risques d’anachronisme, d’oubli de certaines contraintes ou facettes du passé) ; on a peine quelquefois à comprendre les règles du jeu de l’administration (par exemple l’importance de la coutume bureaucratique27, des « liens invisibles », des habitudes de dissimulation, ou les conduites « opportunistes » en période de crise politique)28 ; il faut mettre en doute ce qu’on croit savoir, et marquer nettement « ce qu’on ne peut comprendre », « ce qu’on ne peut plus comprendre »29.
34Cinquième règle : l’histoire bureaucratique est une histoire à fort taux d’innovation (on défriche a novo), ce qui conduit nécessairement à une obsolescence rapide si l’on ne prend pas certaines précautions pour lutter contre le déclassement, au niveau du choix du sujet, de l’interprétation des documents (la publication de textes, le recueil de documents est apparemment la méthode la plus sûre, on assure les fondements de la recherche future, on laisse à d’autres le soin d’interpréter – quand la discipline aura des méthodes plus assurées).
35Sixième règle : l’historien doit réfléchir à son système de doute, à l’instabilité des manières de connaître30 : on n’a aucune sécurité, on vit dans une sphère de doute, qui donne des tracas, des dégoûts, on guette les autres « manières de connaître », leurs mutations ; on cherche sans cesse un ordre du connaître qui paraît inaccessible, qui recule sans cesse : ce qui oblige à approfondir, à fouiller en tous sens, à multiplier les tâtonnements, les tentatives (et en quarante ans on peut varier beaucoup) ; on fait des paris, on n’est assuré de rien.
Conclusion
36Peut-on tirer quelques leçons de ces observations ?
37Première leçon : il faut bien user du doute, c’est une nécessité pour faire l’histoire de la bureaucratie, car on est piégé facilement, et les travaux risquent d’être médiocres, et rapidement obsolètes si l’on n’y prend garde.
38Deuxième leçon : il faut savoir organiser son système de doute : cela demande de l’organisation, de la flexibilité, des réflexions, de l’habileté ; on ne doit pas improviser, il faut se donner les moyens de douter raisonnablement (ce qui a un coût).
39Troisième leçon : le doute est fructueux, il permet de mieux saisir ce qui se passe dans la bureaucratie, de montrer « ce qu’on ne comprend pas », d’accéder à ce qui est le plus important : c’est un doute modéré, mais difficile à mettre en œuvre.
Notes de bas de page
1 Personne ne peut dire aujourd’hui si une sous-direction marche bien ou mal ; et quand quelqu’un imprudemment affirme : « ce service, cette direction marche très bien », on ne peut qu’être méfiant, on craint un mensonge ou une manipulation. Des événements récents ont montré que la notion de « bon fonctionnement » est chose des plus floues.
2 En histoire économique, les règles du jeu sont sans doute différentes. Mais en histoire sociale on voit facilement combien il serait utile de préciser les systèmes de doute, la manière de mettre en doute. Nous ne donnons ici qu’une esquisse, qu’il faudrait approfondir.
3 La destruction en 1871 des archives du Conseil d’État, du ministère des Finances, de la préfecture de police ont provoqué des pertes irréparables, et sous la IIIème République il y a eu beaucoup de destructions fâcheuses.
4 Cf. J.E., « Les autorités invisibles », Revue administrative, 1997, p 303-304.
5 On le voit bien avec les archives orales que nous donnent une autre image de l’administration.
6 Les contrôleurs savent bien qu’ils ne peuvent connaître cette part « dissimulée » ; quand on contrôle une institution, c’est la question insidieuse, qui nourrit l’insomnie du contrôleur : qu’est-ce qui m’échappe ? qu’est-ce qu’on me cache ? qu’est-ce que je devrais savoir et que je ne sais pas ? Et quelquefois on trouve ce qu’on vous dissimulait avec un soin extrême (par exemple en matière de primes ou avantages indus).
7 Cf. « Où en est la science administrative ? », Revue administrative, 1993, p. 455-456 et « Pour une prospective de la science administrative », ibid., 1994, p. 265-267, et Nicolas Grandguillaume, Théorie générale de la bureaucratie, 1996.
8 Évoquons la mise en garde de Louis Fougère, que rappelait Jean Tulard : « Que penserait du sort des fonctionnaires français des années 1960-1980 la personne qui a la fin de ce siècle tenterait d’écrire leur histoire en lisant seulement leurs doléances syndicales, les discours politiques ou les échos du Canard enchaîné ? » (cité par J. Tulard, « Défense et illustration de l’histoire administrative », dans la Bureaucratie en France aux xixe et xxe siècles, 1987, p. VI) : on est facilement piégé.
9 Il serait intéressant de préciser les points où l’histoire paraît impossible, ce serait un exercice fructueux, qui montrerait l’état du questionnaire de l’historien à une date donnée : 30 ans ou 50 ans après, la liste de ces points change nécessairement. Sur l’histoire impossible, cf. Études et documents, t. IX, 1997, p. 561-568.
10 Sur les difficultés du doute cartésien pour l’historien, cf. « Les préceptes du Discours de la méthode », dans L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 344-358.
11 Supra, p. 255.
12 Supra, p. 155.
13 L’humilité de l’historien : quel beau sujet de réflexion ! C’est quelque chose dont on n’aime pas parler.
14 Sur l’erreur, supra, p. 269.
15 Les jurys de thèse insistent souvent sur ces fautes de raisonnement, qui « sautent aux yeux », qui sont en général des naïvetés dues à l’inexpérience de la vie.
16 Nous laissons de côté cette pathologie du doute, qui peut conduire l’historien à l’échec (à force de douter, on ne produit plus rien).
17 En général les historiens se pressent trop, ils sautent des chaînons, ils manquent de temps, disent-ils, mais en fait ils n’ont pas la patience nécessaire, le goût de ces vérifications minutieuses.
18 Le doute crée l’ordre, la régularité (c’est le troisième précepte du Discours de la méthode).
19 Même si cela va contre la coutume des historiens, qui incite à « expliquer à tout prix » (dire : « je n’y comprends rien » est mal vu, on dit : « Il n’a pas réussi à se tirer de se guêpier, il manque de moyens, il n’est pas aussi fort qu’on le croyait »).
20 On finit par croire ce qu’on a écrit, et quelques années après, on dit : « J’ai démontré que... ».
21 Un contrôleur, au début de son audit, évité avec soin de montrer qu’il comprend, il « fait la bête », demande des explications minutieuses, les fait répéter : c’est une tactique qui peut etre payante.
22 Nous avons publié ce dossier, « L’incorporation forcée des enfants trouvés dans les Pupilles de la Garde, 1811-1814 », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 31, 1995, p. 237-277. Ce décret souleva beaucoup d’oppositions en province, dans les commissions administratives des hôpitaux et hospices.
23 Dans le cas de cette incorporation des enfants trouvés, nous avons trouvé – après la publication de l’article – un projet fort complet en janvier 1811 de militarisation des enfants trouvés, avec 10 grands établissements à travers l’Empire (cf. Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 36, 1997) : le doute oblige d’approfondir le dossier, de retrouver les chaînons manquants.
24 Infra, p. 461.
25 Il y a des historiens, par exemple, qui en lisant le dossier s’attache seulement aux origines sociales, aux opinions religieuses, leur vision est limitée par des « préventions », des préjugés, et ils laissent de côté ce qui est « le plus important », par exemple le jeu personnel du préfet, sa manière de survivre.
26 Il y a un doute sur ce que je ne saurai jamais : ainsi, on ne peut connaître l’opinion de Napoléon au Conseil d’État sur tel sujet, telle décision, les procès-verbaux établis par Locré ayant brûlé en 1871, mais au fond peut-être y a-t-il eu des brouillons, une copie, gardés par Locré ? Peut-être un jour les papiers de Locré réapparaîtront-ils ?
27 Par exemple en matière de retraites, il existait avant 1853 des systèmes coutumiers, qui jouaient un grand rôle (comme avant 1789), et nous n’en avons plus que des traces indirectes.
28 Ainsi sous la Révolution et l’Empire bien des employés dissimulaient avec soin leurs opinions, ils travaillaient, obéissaient, mais parfois prenaient des initiatives hardies, aux conséquences capitales (nous avons conté l’action du modeste Ropiquet, chef du bureau des hôpitaux, « Un héros anonyme, Claude Ropiquet (1756-1826) », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 33, 1996, p. 15-21.
29 L’affaire Papon en 1997 a bien montré la difficulté de comprendre l’attitude du corps préfectoral en 1942-1944, on ne démissionnait souvent qu’à l’extrême limite, parce qu’on croyait à la nécessite de maintenir l’appareil d’État : l’observation du devoir d’obéir était alors une tradition du corps et il est difficile aujourd’hui de reconstituer ces traditions (et Claude Gruson et François Bloch-Laîné ont montré la complexité de ces manières de penser, dans Hauts fonctionnaires sous l’occupation, 1996).
30 Cf. « La manière de connaître », dans L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 416-423. On a pris une position, on adopte une manière de connaître – mais elle est instable, incertaine, elle n’a parfois qu’une durée brève.
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