Qu’est-ce que l’erreur de l’historien ?
p. 269-276
Texte intégral
1Doit-on parler de l’erreur ? C’est là un sujet difficile : dans une histoire exploratoire, une histoire-carrefour comme l’histoire de la bureaucratie, les erreurs sont nombreuses, répétitives et les travaux ont souvent, par suite, une durée de vie brève. Plus on entreprend des recherches neuves, plus on doit être en garde contre l’erreur, chercher à s’assurer contre l’erreur probable : au début d’une recherche on doit se poser un certain nombre de questions sur les chances d’erreur, et chercher à réfléchir aux sources « possibles » d’erreurs (et souvent on trouve, dans tel ou tel travail, des chaînes d’erreurs qui étaient, avec un peu de prudence, d’application, parfaitement évitables). Certes il est mal vu de parler de l’erreur en histoire1 : nous croyons cependant devoir mettre en garde les jeunes, et les moins jeunes, contre ces risques d’erreur, et les inciter à réfléchir aux sources de l’erreur, aux moyens d’éviter autant que possible l’erreur « probable » : mais il s’agit là souvent de réflexions cruelles.
I. La genèse de l’erreur
2Nul n’est à l’abri de l’erreur : mais on doit s’interroger sur les sources de l’erreur possible chaque fois que l’on commence un travail (un check-list, un guide des erreurs serait bien utile pour l’historien de la bureaucratie2, il existe apparemment de tels guides pour les techniciens des machines nucléaires embarquées)3. Une réflexion sur l’erreur peut amener l’historien à changer ses méthodes de travail, et même ses manières de réfléchir : mais il ne faut pas chercher à tricher.
31° Le champ de l’erreur est vaste ; elle peut tenir :
au choix du sujet,
à la manière de le traiter,
à l’interprétation des documents,
au conclure,
à la manière de présenter les résultats, à la rédaction,
au regard porté sur le passé (c’est-à-dire les fondements doctrinaux de la recherche).
4Sur chacun de ces segments on peut commettre des erreurs : par exemple pour le choix du sujet, on peut prendre un sujet qu’il ne sera pas possible de traiter, par exemple faute de sources valables, ou faute de moyens d’interpréter correctement les sources existantes4, ou encore en raison de la complexité technique des problèmes : or un mauvais choix du sujet peut entraîner des erreurs en chaîne, et parfois provoquer l’abandon de la thèse.
52° On doit tenir compte également des sources générales des erreurs possibles : l’historien parfois méprise les règles morales du métier, et les chances d’erreurs sont nombreuses :
partialité,
absence d’objectivité,
absence d’érudition ;
absence de clarté,
précipitation du jugement,
absence de réflexion sur les conventions utilisées,
conception étroite, mécaniciste de l’histoire,
surestimation de son travail.
6Ce sont là quelques sources fréquentes d’erreurs (les jurys de thèse les relèvent souvent)5 , elles tiennent au manque de technique, à la médiocre formation, à l’influence excessive de tel patron ou de tel « modèle » ; en histoire administrative ces défauts sont plus sensibles qu’en histoire économique et sociale, car plus l’histoire est neuve, exploratoire ou à taux d’innovation élevé, plus on doit être attentif à respecter les règles du jeu. À chacun de ces segments on peut indiquer les faux-pas les plus fréquents : mais ces défauts sont aggravés nécessairement, chez les jeunes historiens, par le manque d’expérience de la vie et l’absence de connaissance de la pratique administrative6.
73° À ces sources générales d’erreurs « probables » il faut ajouter d’autres mécanismes tout aussi importants, même s’ils sont moins visibles : voici quelques-unes de ces fautes habituelles soulignées par les jurys de thèse :
ennuyer le lecteur (le travail est mal ordonné, mal rédigé, on a envie de fermer le livre au deuxième chapitre),
ne pas savoir montrer ce qui est important,
ne pas comprendre les hommes avec leurs ambitions, leurs faiblesses, leur médiocrité,
ne pas comprendre les mécanismes les plus simples (par exemple un administrateur exerce ses fonctions 40 ou 45 ans durant, ce qui oblige nécessairement à éviter des jugements trop tranchés)7,
ne pas savoir qu’on ne sait pas grand chose, que l’on travaille sur des sources résiduelles, que par la force des choses on ne connaît rien sur bien des sujets importants (la partie orale de l’administration laisse fort peu de traces, et même aujourd’hui on ne peut tout savoir d’une nomination un peu difficile),
marquer quelque naïveté : par exemple croire qu’une circulaire, ou un décret, est nécessairement appliqué, montre quelque ignorance des pratiques administratives8,
bâtir des systèmes a priori, des « modèles » (comme le font les sociologues ou les spécialistes de sciences politiques) et chercher à toute force à faire rentrer les faits dans ce cadre abstrait,
utiliser abusivement les chiffres, les statistiques (tel historien anglais bâtissait de belles courbes mélangeant les hommes de peine et les rédacteurs de ministère...).
8On pourrait allonger la liste de ces chances d’erreur, qui sont évitables dès qu’on réfléchit à ce qu’on fait, à sa manière de fabriquer l’histoire (ce qui renvoie à la formation, aux maîtres, aux « modèles », au tempérament de l’historien). Tout historien qui entreprend un travail sur l’histoire de la bureaucratie doit chercher – avant tout dépouillement d’archives – à comprendre le sens de ce qu’il doit faire et à bien saisir les règles du jeu : s’il ne fait pas cet effort préalable de réflexion sur sa « pratique », il sera sanctionné, son travail risque fort d’être jugé inutile ou tôt déclassé, car les historiens sont une race cruelle.
II. Conséquences
9On voit que c’est toute la conception du faire de l’historien qui est en cause : à quoi sert de consacrer à une thèse x centaines d’heures de travail si on livre un produit médiocre, mal tourné, erroné ?9 Les erreurs, défauts et faux-pas ne sont que sources de gaspillages d’efforts, de temps (et on a toujours des regrets : « Si j’avais su, si je m’étais moins pressé, si j’avais moins écouté X » : rien n’est plus inutile que les regrets) ; en général on n’accepte guère de reconnaître ses erreurs (et les jurys de thèse ont grand peine à faire reconnaître au candidat telle erreur de conception ou de jugement)10.
10De fait, tout le monde commet des erreurs en histoire de la bureaucratie (tant la matière est difficile), mais avec plus ou moins d’art ou d’habileté. C’est une histoire qui suppose une grande diversité de lectures, chacun peut l’entreprendre à sa guise, avec ses méthodes propres, il n’y a pas de modèle unique, mais on doit éviter de tomber dans certains pièges dus soit à la doctrine, soit à la formation. Donnons quelques exemples :
ne pas réfléchir à son faire, à son langage, aux conventions utilisées ; il faut éviter d’employer des mots qu’on a le plus grand mal à définir, ou qui s’adaptent difficilement à la matière (parler de causes, de conséquences est toujours hasardé)11 ;
ne pas voir les documents, ne pas chercher à les lire sous leur aspect technique12, ne pas être érudit rend souvent un ouvrage obsolète : il vaut mieux le savoir avant ;
ne voir que les détails, ne pas mettre en avant ce qui est important, faire maladroitement du « remplissage » et parfois faire silence sur le plus important, est une erreur fréquente (« Vous ne dominez pas, vous ne maîtrisez pas votre sujet », disent benoîtement les jurys de thèse) : en histoire de la bureaucratie cela ne pardonne guère13 (c’est là une erreur habituelle chez des esprits jeunes, qui ont du mal à ordonner leurs connaissances) ;
oublier le rôle des personnalités, ne voir que des « structures », des « systèmes », que des « mécanismes », croire naïvement les préceptes des sociologues de l’organisation ne peut que conduire à l’erreur (et les anciens du corps ou de la « maison » sourient de ces travaux imprudents)14 ;
mettre en accusation, chercher à juger, à condamner, instruire seulement à charge, montrer un esprit partisan est une erreur due à la prévention et une erreur sur la conception même du rôle de l’historien15, et en histoire de la bureaucratie, où l’on doit montrer une prudence extrême, surtout quand on n’a pas l’expérience du métier administratif, le travail risque d’être tôt obsolète.
11Nous avons donné là que quelques exemples ; l’historien mène souvent des explorations, il est le premier à traiter tel sujet, et cela accroît nécessairement le risque d’erreur s’il n’y prend garde : il lui faut éviter des opinions absolues, des méthodes prêtant à contestation, il doit garder une certaine distance avec son sujet (ce ne sont après tout que des « dévorations d’insectes », comme disait Valéry) et montrer :
qu’il ne sait grand chose (en histoire administrative, il est très rare qu’on ait des dossiers complets, non épurés, non aseptisés),
qu’on ne peut savoir grand chose,
qu’on ne peut avoir, au mieux, que telle ou telle « probabilité »16.
12L’historien doit trouver une via media qui le mette à l’abri des chances d’erreur : on ne reprochera jamais à l’historien de l’administration de dire : « Je ne sais pas et voici pourquoi » (l’expérience du contrôle montre que le savoir sur une administration, un service, quel qu’il soit, est toujours très limité)17.
III. Comment peut-on limiter l’erreur ?
13Il est difficile, certes, de refaire son esprit : et c’est pourtant bien ce qu’on devrait tenter pour éliminer les erreurs. Mais c’est une rêverie : personne n’échappe à l’erreur, mais ce qui est le plus dangereux, c’est l’accumulation des erreurs ; on sait que l’histoire de la bureaucratie est par force imparfaite, partielle : on doit en conséquence redoubler de prudence, à la fois dans le faire, le poiein et dans la prévention de l’erreur « probable », c’est-à-dire qu’on doit faire les investissements nécessaires pour limiter l’erreur et éviter les pièges d’erreurs « redoublées ».
14Aussi peut-on donner quelques conseils simples, à ras de terre :
15Premier conseil : pour chaque travail – livre et même article – on doit examiner les chances d’erreur « raisonnables » et « déraisonnables » : il faut éviter de dépasser un certain taux d’erreur et d’accumuler les erreurs (ainsi faire un livre à la fois non érudit et ennuyeux...).
16Deuxième conseil : chaque travail doit faire l’objet d’une étude de « faisabilité » ; c’est évident pour un « programme » sur 5 ou 10 ans, c’est aussi une nécessité pour une thèse, un livre : on doit suspendre son jugement, réfléchir, examiner les points forts et les points faibles, la « conjoncture », la « concurrence », consulter – et au besoin changer de sujet.
17Troisième conseil : on ne doit pas se presser, il faut aller lentement, éviter les pièges de la précipitation, des dépouillements insuffisants, des « impasses », des lectures hâtives (la deuxième lecture est souvent une nécessité en histoire de la bureaucratie, qui est une histoire technique)18 ; on ne doit pas faire d’impasses, il faut travailler en profondeur, en s’attachant au fond des affaires, en cherchant à comprendre ce qui est difficile (un projet de décret, un rapport au Ministre, un compte financier) : la paresse, la négligence ne font pas les bons travaux...
18On doit de plus :
explorer les alentours, examiner à qui se passe sur les marges et qui peut être « le plus important »,
examiner les aspects actuels (si l’on travaille sur les bureaux de bienfaisance au xixe siècle, mieux vaut connaître, et de façon assez fine, les difficultés aujourd’hui des centres communaux d’action sociale...),
analyser les aspects juridiques, contentieux, que l’on a trop tendance à négliger (la lecture du Fuzier-Herman19 ou du Béquet20 – quand on vérifie la jurisprudence citée – peut apporter de belles trouvailles)21.
19On voit que ces travaux d’histoire coûtent du temps : on doit investir – sinon on commet l’erreur, qui est sans remède, d’être léger, insuffisant, inégal à son officium.
20Quatrième conseil : lors de la rédaction – phase où sous le prétexte de manque de temps l’on commet à l’habitude le plus d’erreurs – il faut redoubler de précautions ; on doit notamment :
ne pas donner de conclusions hâtives22,
éviter les affirmations tranchées : on ne travaille que sur du probable23,
chercher à ne pas ennuyer le lecteur, par exemple mettre tout sur le même plan, encombrer le texte de détails secondaires, oublier de faire de belles citations24,
bien montrer qu’on est conscient (répétons-le) qu’on ne sait qu’une toute petite partie des choses, que cette histoire est nécessairement partielle, imparfaite, inachevée25.
21Il s’agit là de règles de prudence minimales : elles ne mettent pas toujours à l’abri de l’erreur, mais au moins on a cherché à mettre toutes les chances de son côté : ce sont des tactiques d’évitement26.
IV. Règles d’usage
22Peut-on donner des règles pour bien user de l’erreur, c’est-à-dire peut-on aller au-delà de la prudentia commune ? Si l’historien de la bureaucratie veut bâtir sa théorie de l’erreur, il doit chercher à aller plus loin et faire un effort de doctrine : donnons quelques règles pratiques.
23Première règle : il faut revenir sur les erreurs qu’on a commises dans ses travaux, analyser les erreurs passées (on a été imprudent dans tel jugement, on n’a pas poussé assez loin l’analyse juridique, ou financière, de telle situation, on n’a pas bien mis en valeur le rôle des personnalités) est un exercice fructueux ; il faut exploiter les observations que tel pair, tel « patron », tel lecteur a faites sur votre travail, chercher à comprendre du dedans pourquoi on a commis telle ou telle « erreur » ; par exemple sous l’influence d’un patron, ou d’un modèle, on a oublié le rôle des personnalités créatrices (erreur souvent pratiquée par la science administrative) : c’est, en fait, le fruit de la prévention27, on a accepté sans examen des idées toutes faites, du « prêt-à-penser ». Chacun connaît son fort et son faible, ou plus exactement doit rechercher à partir de ce qu’il a écrit les raisons de ses faiblesses : c’est là chose pénible – mais fort utile pour « refaire son esprit ».
24Deuxième règle : il faut examiner d’un œil critique les travaux des autres, des anciens, chercher à comprendre les erreurs, qu’ils ont commises et leurs sources ; lire les ouvrages d’X ou d’Y en s’attachant à voir pourquoi ils ont commis telle erreur d’interprétation, cédé à la prévention, pourquoi ils sont d’une lecture malaisée ou ennuyeuse28, est un bon entraînement : car ce sont des exemples à ne pas suivre. Ainsi tel a cherché à établir un modèle, qui est sans doute à la source de ses erreurs de jugement, et au surplus un modèle a-t-il une quelconque signification en histoire ? Tel autre a écrit un gros livre sur un grand ministre et n’a jamais parlé de l’entourage, du cabinet, il n’a jamais songé que les discours pouvaient être rédigés par un chef de cabinet, ou un « officieux »29. En examinant les « erreurs » des autres, on a de multiples occasions de « perfectionner son jugement ».
25Troisième règle : l’erreur probable ne doit pas paralyser la capacité de travail ; c’est parce qu’il y a chance d’erreur que le jeu est passionnant, on a le sentiment d’une partie difficile qu’il faut gagner en tenant compte des risques ; on doit intégrer la probabilité d’erreurs dans sa pratique et en tirer des conséquences (ainsi, au niveau le plus bas, si je recopie un texte pour le publier, il y a « probabilité » d’erreurs, il vaut mieux avoir la photocopie pour l’étudier à loisir), prendre des assurances (pour comprendre tel rapport signé d’un directeur, il est préférable que je sache qui est ce directeur, j’éviterai – peut-être – un contresens). À chaque pas on doit être vigilant, et ne pas se livrer au seul plaisir de la chasse...
26Quatrième règle : l’historien ne doit pas croire qu’il peut tout savoir, qu’il peut juger de ce qui s’est passé il y a 50 ans ou 100 ans ; il doit mesurer son jugement, tenir sa langue, car on peut se tromper lourdement en voulant juger de la conduite d’un administrateur d’autrefois (on ne sait jamais toutes les pressions, directes ou indirectes, qui peuvent s’exercer sur lui pour qu’il écrive une note, un rapport dans tel sens) ; l’administration est un monde étrange, et il faut être un touriste administratif, avoir administré dans différents ministères pour bien comprendre l’importance des entraves qui « ligotent » l’administrateur ; il est très difficile de juger de la conduite d’un préfet – ou de son chef de cabinet – en période de crise ; dès qu’il y a crise l’historien doit être prudent et suspendre son jugement.
Conclusion
27À l’évidence il s’agit d’un sujet délicat, mais nous voudrions, de ces observations parfois élusives, tirer quelques leçons.
28Première leçon : savoir se mettre à l’abri des erreurs – y compris des erreurs coutumières30 – est une obligation pour l’historien s’il veut éviter que ses travaux deviennent inutiles, et tombent dans l’oubli. Mais ce n’est pas chose aisée : car il faut réfléchir attentivement à ses méthodes de travail et souvent chercher à les réformer.
29Deuxième leçon : l’historien a peine à reconnaître qu’il a commis des erreurs ou va faire des erreurs : se mettre en cause, douter de sa capacité de juger, n’est pas facile, mais souvent l’historien n’a aucune connaissance de la pratique de l’administration, ce qui multiplie notablement les risques.
30Troisième leçon : l’historien de la bureaucratie doit trouver une via media ; il commet inévitablement des erreurs, il le sait, mais s’il est prudent, il peut chercher à minimiser le taux d’erreur – à la vérité cela suppose beaucoup de sacrifices.
Notes de bas de page
1 Sur la théorie générale de l’erreur en histoire, cf. L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 626-636. En fait il nous manque une réflexion globale sur les tactiques de l’historien de la bureaucratie.
2 On verrait bien de tels guides spécialisés par secteur, par exemple pour l’histoire du corps préfectoral ou l’histoire d’un établissement public.
3 Les militaires ont développé dans les années 1980 les méthodes de retour d’expérience, c’est-à-dire d’analyse des erreurs passées, qui les conduisent à établir des grille d’analyse des incidents et à analyser les facteurs d’erreur (pour un exemple, M. Mouly et A. Masurel, « Le facteur humain dans la conduite des chaufferies nucléaires embarquées », L’Armement, octobre 1996, p. 116-122). Ces techniques d’analyse ne sont guère pratiquées par l’administration civile (sauf au Ministère de l’Intérieur).
4 Par exemple on a des milliers de dossiers de personnel, plus ou moins intéressants : comment les traiter efficacement ?
5 Avec Jean Tulard, nous avons défini quelques règles du jeu dans La morale de l’historien, Economica, 1995.,
6 À l’inverse on peut rencontrer des historiens qui ont la connaissance du métier administratif, mais qui refusent d’appliquer les règles du travail historique, notamment les règles d’impartialité et d’érudition.
7 Il y a de bons esprits qui croient que l’on peut étudier l’administration de 1848 à 1851 : or on ne peut saisir qu’une toute petite partie des choses, car les fonctionnaires – qui travaillent 40, 45 ans – cherchent à durer, ils s’adaptent à la crise, ils font sans états d’âme ce qu’on leur demande de faire : la bureaucratie est res nullius.
8 La vraie difficulté est de savoir quelles sont, dans la masse des circulaires, celles qui sont vraiment appliquées.
9 De même l’apprenti menuisier apprend très tôt qu’il doit faire des tables qui soient d’aplomb...
10 Le candidat résiste, proteste : « ils ne comprennent rien », « ils n’ont pas vu les documents », « ils ne connaissent pas la matière » ; tous les arguments sont bons, l’amour propre aidant, pour se disculper et soutenir ce qui n’est pas défendable. Ce n’est qu’avec l’âge qu’on commence – et encore – à voir les erreurs, les pièges où l’on s’est laissé entraîner (mais c’est toujours la faute d’autrui...).
11 Dans les rapports d’audit ou de contrôle, on n’emploie ces mots qu’avec les plus grandes précautions, on ne parle que de causes probables ou de conséquences apparentes...
12 On écrème les cartons d’archives, on « extrait » telle pièce et on oublie de dépouiller le reste du carton, on lit un livre technique « en diagonale », on fait des impasses (telle candidate disait naïvement à son jury qu’elle n’avait pas lu tous les ouvrages du grand personnage dont elle faisait la biographie, alors qu’elle en avait détaillé minutieusement, et avec amour, toutes les éditions et traductions).
13 Pas plus que dans les rapports de contrôle, où le rapporteur met tout sur le même plan.
14 Quand les travaux concernent la période récente, ces imprudences sont fréquentes : ne pas faire un travail qui puisse faire sourire les anciens devrait être un objectif « souhaitable » pour l’historien.
15 Quand on écrit sur l’histoire des fonctionnaires de 1940 à 1944, on doit faire preuve de la plus grande prudence, on est obligé d’instruire « à charge et à décharge », et bien souvent de suspendre son jugement (et quand on lit le volume courageux Hauts fonctionnaires sous l’occupation (1997) de François Bloch-Lainé et de Claude Gruson, qui furent de grands « patrons », on s’aperçoit vite de la difficulté de juger...).
16 Cf. supra, p. 155.
17 L’idée même qu’on puisse tout savoir d’une direction est une rêverie naïve : l’expérience des archives orales montre que l’on n’a que des connaissances très parcellaires, et une grande partie du passé administratif – même pour des périodes proches – est tombée irrémédiablement dans le néant.
18 Sur la deuxième lecture, cf. L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 788-793.
19 Répertoire général alphabétique du droit français.
20 Répertoire du droit administratif dirigé par le conseiller d’État Béquet.
21 Certains articles, notamment du Fuzier-Herman, sont des machines a faire rêver l’historien (les notices sont très érudites et donnent une foule de pistes de recherche, elles peuvent aider beaucoup au « questionnaire »).
22 Sur l’art de conclure, cf. L’histoire entre le rêve et la raison, ouv. cité, p. 746-755.
23 Supra, p. 155. L’on doit bien marquer le taux de probabilité de ce que l’on avance.
24 Sur l’ennui du lecteur, cf. L’histoire entre le rêve et la raison, ouv. cité, p. 804-810.
25 Il nous manque une réflexion sur l’inachèvement en histoire de la bureaucratie : l’idée d’un travail achevé est une rêverie qui relève de l’ordre du dérisoire.
26 On pourrait sans doute aller plus loin : en particulier on doit donner des documents, des memorabilia qui permettent au lecteur de se faire lui-même son opinion, on ne doit pas trop peser sur son jugement ; il faut manier doucement son lecteur, créer une certaine complicité avec lui, lui faire voir à la fois le bien et le mal, le connu et l’inconnu, l’ordre et le désordre : c’est-à-dire qu’on ménage sa liberté, qu’on lui donne toute possibilité de jouer. En histoire de la bureaucratie, cette « manière douce » est importante, on évite ainsi les pièges des « fausses vérités », des certitudes illusoires (le recueil de documents commentés est sans doute la formule la plus efficace).
27 Sur le rôle de la prévention, il faut relire le Discours de la méthode, c’est la première règle (cf. L’histoire entre le rêve et la raison, ouv. cité, p. 345-348).
28 Lire à haute voix une page d’X ou d’Y permet de bien voir les à-peu-près de la pensée, les phrases, ou membres de phrase, qui ne veulent rien dire, les redondances, les chevilles, les « remplissages », les imprécisions, les faux raisonnements, les liaisons fictives, les lâchés de style : c’est l’exercice le plus cruel que l’on puisse faire, mais on voit bien les pièges que l’on doit éviter. Pour bien juger d’un livre, il faut en lire une page à haute voix.
29 Et cela vaut pour tous les temps : nous avons montré que les discours de Barère sur la bienfaisance nationale en l’an II étaient rédigés par l’ancien chanoine Montlinot, et que ce dernier avait écrit de même les discours du thermidorien Delecloy pour combattre les décrets de la Convention (cf. « Un observateur des misères sociales : Leclerc de Montlinot », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 19, 1989, p. 7-55 et « Les idées de Montlinot en vendémiaire an IV, le rapport Delecloy », ibid., n° 30, 1994, p. 47-54).
30 Il y a des erreurs conformes à la coutume des historiens, qu’on se passe de génération en génération : par exemple on croit souvent à l’efficacité de l’administration napoléonienne (certains croient naïvement à un modèle de l’administration napoléonienne), alors qu’elle recouvre beaucoup de désordres, de corruption et de turpitudes, que son efficacité, même dans des affaires importantes, était douteuse et que Napoléon n’était pas toujours obéi (Maxime Leroy l’avait montré jadis dans son Saint-Simon).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006