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Les modes d’écriture

p. 245-253


Texte intégral

1Quand on entre dans l’administration on apprend à écrire selon certaines normes, certains principes, on utilise un certain langage propre à la « maison », on imite des « modèles » et au bout de peu de temps, on ne fait plus attention à ces règles du jeu non écrites qui gouvernent l’écriture. Or l’historien doit s’attacher à saisir de l’intérieur ces modes d’expression, à comprendre ces règles, ces conventions qui touchent souvent à une certaine hygiène de l’esprit, à une prudence coutumière : elles protègent l’administrateur, elles lui accordent en quelque sorte des garanties vis-à-vis de la hiérarchie, des autres, on se coule dans un moule impersonnel, anonyme (le formalisme a un rôle défensif)1 . Si l’historien veut bien décoder les documents sécrétés par l’administration, il doit comprendre ces mécanismes complexes : une note au directeur ou une note au Ministre obéissent à un certain rituel, quels que soient les temps, on applique des conventions connues des initiés2, et qui encadrent le langage : la haute administration a ses habitudes particulières, qui varient suivant les ministères, et on repère vite celui qui sait écrire et bien écrire3. Mais l’historien a quelque peine à saisir ces « systèmes d’habitudes et d’idées »4, ces jeux souvent compliqués : il doit faire attention à cette utilisation de l’écriture, qui n’est jamais innocente5 ; décoder un rapport d’inspection, une note de la Direction du Budget n’est pas un exercice simple, on peut commettre bien des erreurs si l’on n’est pas sur ses gardes. Aussi voudrions-nous présenter quelques observations pour inciter l’historien à explorer ce monde étrange de l’écriture administrative, en nous limitant aux administrations centrales6 .

I. Une typologie est-elle possible ?

2Comment inventorier ces modes d’écriture ? Comment peut-on faire un dénombrement aussi général que possible ? L’exercice est nécessairement arbitraire, chaque « maison » sécrète ses types de documents (les bureaux « organisation et méthodes » le savaient bien), on a des réseaux documentaires très compliqués, et les archives n’arrivent pas à garder l’ensemble des traces écrites (bien des documents sont transitoires, éphémères, quand on quitte une fonction, on « nettoie » son bureau, en détruisant par exemple ses « dossiers de principe », où l’on garde les éléments de doctrine, les références, les modèles, les précédents, les notes de doctrine même dépassées : chacun a ses habitudes en ce domaine)7. On peut chercher à dégager par grandes masses les modes d’écriture : mais on ne peut donner qu’une idée imparfaite, partielle de la « production » administrative, car les écritures ordinaires sont innombrables8 (par exemple, la note énumérant les divers points sur lesquels la commission va se prononcer, et sur lesquels on a une position précise : c’est un aide-mémoire pour soi, un memento rédigé à la hâte la veille de la commission, et qui est « sans valeur » après la séance...)9. Cherchons cependant – en nous limitant aux Ministères et aux grands corps – à donner une idée sommaire de ces masses d’écritures.

3Premier mode : la part intime, que l’on connaît mal, car elle est très généralement détruite : le journal, chose rarissime (mais on a le journal de Morand en 1914-1917, le journal de Combarieu, secrétaire général de la Présidence de la République sous Loubet...)10, les lettres confidentielles (les lettres des Cambon sont souvent de petits chefs-d’œuvre)11, les notes de travail prises au cours d’une réunion, d’une audience, les lettres reçues, qui jouaient autrefois un tel rôle (on a ainsi les lettres reçues par Cohn, chef de cabinet de Jules Simon)12... Les archives privées sont la Providence de l’historien : mais les hauts fonctionnaires gardent peu aujourd’hui13.

4Deuxième mode : la préparation des décisions. On trouve des formes très différentes, tout dépend des habitudes de travail :

  1. le rapport préparatoire : le rapport au Ministre ou le rapport à l’Empereur, pour obtenir des décisions, le rapport au Conseil d’Etat, présenté en section, puis en assemblée générale (sous Napoléon, ce sont souvent des monumenta14 : nous avons publié des rapports de Bérenger15, de D’Hauterive)16, les rapports qui correspondent à des enquêtes (tel le rapport Le Trésor de la Rocque au Conseil d’État sur les pensions de retraite en 1876)17, le rapport de « commissions spéciales »18 ;

  2. les notes pour le Ministre, ou pour le directeur de cabinet, qui cherchent à faire le point, à proposer des solutions, qui parfois sont des notes de « doctrine » : chaque cabinet a sa pratique en ce domaine, ces notes sont souvent très éclairantes (surtout dans les ministères où les directions sont faibles)19 ;

  3. les procès-verbaux de délibérations pu de conférences : on trouve les procès-verbaux des séances du Conseil d’État – qui jusqu’à présent n’ont fait l’objet d’aucun travail d’ensemble20 –, les procès-verbaux de commissions de réforme, parfois publiés21, les « bleus » de Matignon – dont l’ensemble représente la masse la plus considérable d’informations pour suivre la genèse d’une décision, d’un texte important, mais qui est « inaccessible » à l’historien d’aujourd’hui (mais on les retrouve dans les dossiers des ministères)22, les procès-verbaux de commissions ou de Conseil général (par exemple pour le Conseil des mines), etc.23 ;

  4. pour le contentieux du Conseil d’État, les rapports et les conclusions du commissaire du gouvernement (un petit nombre seulement est publié)24.

5Troisième forme : celle de la décision elle-même dont il serait bien nécessaire de faire l’histoire : tels le décret, ou l’ordonnance (mais – sauf pour le premier Empire25 – on a rarement le dossier complet de préparation), l’Avis du Conseil, dont il faudrait suivre l’histoire26, l’arrêt du Conseil (sous forme de décret ou ordonnance avant 1848) avec son formalisme particulier, ses visas, ses considérants27.

6Quatrième forme : l’application de la décision qui même aujourd’hui, pose toujours des difficultés : les arrêtés et les circulaires pour appliquer les décrets28, les instructions pour les services, les dépêches ministérielles qui « interprètent » les textes29. Comme le déclarait Boucher de Perthes en 183530, « en administration voici comment s’applique la hiérarchie d’exécution : on obéit d’abord à la circulaire, puis à la décision ministérielle, puis au règlement, puis à l’arrêté ou décret et enfin à la loi. Il est reconnu que de la circulaire à la loi il n’y a pas toujours rapport exact et même quelquefois contradiction. En cas de doute, la circulaire doit avoir raison, parce que c’est la nation qui fait la loi et que c’est le chef de bureau qui fait la circulaire » : l’historien doit être très prudent, car ce sont là des vérités de tout temps31.

7Cinquième forme : le contrôle, que nous avons examiné ailleurs32 ; la base essentielle est le rapport (le rapport de l’inspection des finances, le rapport de la Cour des Comptes33, le rapport d’inspection générale) et les grands corps techniques ont leur style particulier de rapport. Chaque maison a ses règles en ce domaine34.

8Sixième forme : les mémoires. C’est là un domaine aux limites imprécises : les archives contiennent de multiples mémoires au Roi, aux Ministres35, qui proposent des réformes, des innovations, qui cherchent à lancer des idées, et qui sont souvent rédigés par des hauts fonctionnaires à partir de leur expérience36 ; il n’est pas une grande réforme qui ne soit précédée de plusieurs mémoires de projeteurs, souvent de très grande qualité technique (tel le mémoire de Dupeuty en l’an IX pour réclamer une section juridictionnelle au Conseil d’État37 ou les mémoires réclamant le rétablissement de la Cour des Comptes)38. Or c’est là une pratique constante : « Faites-moi un mémoire, une note », déclare-t-on souvent dans un cabinet à celui qui vient proposer une réforme, et des groupes et syndicats professionnels présentent nécessairement des mémoires critiques, des contre-projets, souvent confiés à d’anciens fonctionnaires, qui savent rédiger suivant les formes administratives39.

9On voit la difficulté à esquisser une typologie des écritures administratives et nous avons simplifié à l’excès : car la bureaucratie est chose vivante et chaque institution, chaque direction, ou presque, sécrète ses types d’écriture particuliers40, cherche à maintenir des habitudes séculaires, et il faudrait dénombrer ces outils administratifs qui sont disparus41, ces modes d’écriture qui se situent à la marge42.

II. Les objectifs

10On ne voit pas toujours les objectifs des historiens43 (les travaux sont rares en ce domaine, tout comme les études sur le style administratif, on ne sait trop pourquoi)44. L’analyse des modes d’écriture répond à plusieurs objectifs.

11Premier objectif : l’historien cherche à suivre l’évolution d’un type d’écriture, sa naissance, sa croissance, ses mutations : par exemple les Avis du Conseil d’État (il n’y a pas de précédent au xviiie siècle)45, les conclusions du commissaire du gouvernement (qui sont publiées à partir du Second Empire)46.

12Deuxième objectif : il peut chercher aussi à étudier les traditions du style de chaque institution : « L’apparente unité du style administratif éclate en une pluralité de styles fonctionnels propres aux diverses spécialités administratives : fiscales, budgétaires, diplomatiques, contentieuses, techniques »47 ; chaque « maison » a ses instruments propres, ses habitudes48, ses manies, qu’on connaît mal (il y a des formulaires, des guides qui ne sont pas diffusés à l’extérieur).

13Troisième objectif : l’historien doit étudier les modes d’apprentissage dans les écoles administratives (la note administrative joue un certain rôle dans les concours)49, les modèles utilisés, les codes et conventions qu’on se passe de générations en générations50 : quand on entre dans une maison, on est patiemment initié à ces rituels.

14Quatrième objectif : il faut étudier la préparation des décisions, à travers les projets de rapports, ou d’arrêts, les multiples versions de décrets ou de circulaires, les comptes rendus de réunion, ce qui permet de saisir les méthodes de travail et de raisonnement (un article de décret peut être réécrit six ou sept fois)51.

15Cinquième objectif : on peut chercher à analyser les conflits à travers les brouillons, les minutes, les changements successifs52 : un projet est souvent très remanié à la suite de conflits de doctrine, de pressions diverses, le directeur, le cabinet, le Conseil d’État n’ont pas toujours les mêmes « points de vue » et un rapport, une dépêche ministérielle exprime souvent des oppositions entre deux hommes, ou entre deux conceptions de l’administration53. C’est la genèse d’un texte qui intéresse l’historien54 : mais il est rare que l’on possède le dossier complet (de toute façon il manque les discussions, les conversations « entre deux portes »)55.

16Sixième objectif : on doit étudier tout particulièrement le style des notes personnelles qui permettent, 1°) de comprendre les habitudes de notation du notateur, son caractère, 2°) de saisir les normes implicites qu’il met en œuvre, les modèles qu’il applique, 3°) de suivre une carrière complète (par exemple pour un sous-préfet56 ou un ingénieur des Ponts et Chaussées)57 avec ses infléchissements, ses détours (on aperçoit les déformations du caractère, les effets du vieillissement) : le style de la notation est très révélateur des principes d’une « maison »58.

III. Règles d’usage

17Cette histoire est particulièrement difficile, on doit improviser, innover : quelles règles l’historien peut-il appliquer ? Donnons quelques conseils pratiques.

18Première règle : il faut publier intégralement ce qu’on possède dès qu’on retrouve un beau dossier, avec les minutes, les notes successives, les procès-verbaux de réunion : on montre ainsi le travail administratif dans sa pratique quotidienne, on voit les conflits de doctrine, les systèmes prudentiels, l’utilisation des « précédents » pour « se couvrir »59, les habitudes de dissimulation, la répétition sur 10 ou 20 ans des mêmes arguments60.

19Deuxième règle : il faudrait faire des monographies sur des types de documents, leur genèse, leurs variations (par exemple les rapports des commissions du Plan depuis 194761 ou les Avis du Conseil d’État en matière législative de 1872 à 1879) : l’histoire des formes d’un document peut être très suggestive.

20Troisième règle : on doit entreprendre des études de vocabulaire sur des corpus (par exemple pour les notes personnelles qui « traduisent » des normes invisibles, renvoie à une image précise des « devoirs » d’un préfet, d’un ingénieur des mines, ou pour les notes de la Direction du Budget, qui correspondent à une certaine idée de la bonne administration et de l’intérêt général)62.

21Quatrième règle : il faut chercher à retrouver ce qui est à la marge et qui est trop souvent détruit : la note d’audience, la note passée au « patron » dans une Commission63, le memento, la note manuscrite du directeur de cabinet pour le ministre ; ce sont ces papiers éphémères64 qui font saisir la vie de l’administration (et c’est sans doute le journal du conseiller du ministre, quand il en tient un, qui montre le mieux la marche d’un cabinet)65.

Conclusion

22Peut-on de ces quelques observations tirer quelques leçons ?

23Première leçon : l’historien doit chercher à s’intéresser à la forme, au style, au vocabulaire des documents qu’il manie : s’il veut les décoder correctement, il doit bien comprendre ces modes d’écriture, les fonctions qu’elles remplissent, il ne doit pas se faire piéger par ce qu’il lit.

24Deuxième leçon : l’administration sécrète des masses de papiers, il faut chercher à établir des dénombrements précis de ces types de documents qui sont à lire avec prudence, caute legenda, et à saisir les conventions, les systèmes d’habitudes d’idées, les normes implicites qui gouvernent leur élaboration.

25Troisième leçon : l’histoire du style administratif est une histoire neuve, qui reste à explorer ; les mutations en matière d’écriture sont très lentes, les maisons tiennent à honneur de garder leurs traditions, elles se méfient en ce domaine des changements qui portent atteinte, en quelque sorte, à leur légitimité : le style leur semble le meilleur moyen de se défendre contre le temps.

Notes de bas de page

1 Nous avons, avec Robert Catherine, souligné ce rôle défensif du style administratif, Introduction à une philosophie de l’administration, 1969, p. 239-242.

2 Il faut savoir décrypter une lettre du Budget (et c’est encore plus compliqué quand le cabinet a modifié la deuxième page...).

3 Bien écrire dans l’administration, c’est avoir un style lisible, agréable à lire, précis (pas de mot inutile), ferme, mais aussi souple, capable de nuances. Il est vrai que plus un rapport, par exemple, est « bien écrit », plus le lecteur doit se méfier (le style masque les contradictions, les défaillances ou la partialité) : le « trop lisible », le « trop lisse », le « trop bien écrit » éveille le soupçon.

4 Faut-il rappeler Valéry qui soulignait l’importance de ce qui sous-tend le langage ? « Chaque phrase que nous formons doit, comme tout acte complexe et singulier, être approprié à quelque circonstance qui ne se reproduit pas, comporter une coordination de perceptions actuelles, d’impulsions et d’images du moment avec tout un matériel de réflexes, de souvenirs, d’habitudes » (Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, t. I, p. 1410).

5 Nous n’avons pas de théorie du style, ou de l’écriture administrative, la science administrative n’a guère abordé ce sujet, et la littérature est peu abondante (cf. R. Catherine, Le style administratif, 1947, qui donne les règles pratiques ; ce livre en était à sa 14e édition en 1981).

6 On pourrait faire les mêmes explorations pour les services extérieurs, qui sont au contact des administrés (par exemple le fisc) et où les écritures ordinaires obéissent à des règles différentes (la fonction défensive du style est encore plus affirmée, on veut marquer sa différence).

7 Aux Affaires Étrangères, les dossiers des rédacteurs, à leur départ de la Direction, étaient dispersés, ou détruits par les services des archives – alors qu’ils montraient bien les soucis, les préoccupations, les modes de travail des rédacteurs.

8 Daniel Fabre (Les écritures ordinaires, 1993) a attiré l’attention sur ces multiples modes d’écriture transitoires, oubliés à l’ordinaire des archivistes, les agendas par exemple (qui jouent un tel rôle dans la pratique quotidienne : il y a l’agenda tenu par la secrétaire, et l’agenda personnel, avec de multiples gribouillis « cryptés »).

9 Dans une journée, un directeur ou un sous-directeur accumule beaucoup de ces papiers transitoires, éphémères, que la secrétaire ne classe même pas dans le dossier (mais la secrétaire du Président Cassin archivait soigneusement les notes qu’il prenait quand il recevait quelqu’un).

10 Dans sa version complète, conservée aux Archives Nationales, mais qui n’est sans doute qu’une version « réécrite » (cf. « Le journal manuscrit de Combarieu... », Revue administrative, 1988, p. 210-221).

11 Une publication de l’ensemble des lettres des Cambon (tout n’a pas été publié) serait sans doute nécessaire.

12 Archives Nationales, 79 AP.

13 Ou plus exactement, à leur mort ou à celle de leurs femmes, les papiers sont souvent détruits par des membres de leur famille qui les jugent sans intérêt (infra, p. 577)

14 Il est dommage que la masse de ces rapports – qui sont imprimés – n’ait pas été exploitée pour une histoire de la pensée et des modes de raisonnement administratifs. Après 1814 les rapports ne sont plus qu’exceptionnellement imprimés sous Louis XVIII.

15 La réforme monétaire de l’an XI, 1993, p. 337-347, 351-369.

16 Sur les maisons de retraite, Aux origines des maisons de retraite : Sainte-Périne de Chaillot, 1997, p. 259-275, et sur les tontines, « Le rapport d’Hauterive sur les tontines, novembre 1808 », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 28, 1993, p. 285-317.

17 C’était un rapport de plus de 240 pages et les documents annexes représentaient plus de 400 pages (nous avons évoqué Le Trésor de la Rocque dans Les pensions de retraite des fonctionnaires, 1994, p. 127-133).

18 Nous avons publié le rapport De Neville en 1808 sur la Caisse Lafarge (La Caisse Lafarge, 1787-1892, Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 27, 1993, p. 195-237), le rapport Bricogne sûr les retraites des fonctionnaires (Les retraites des fonctionnaires. Débats et doctrines, 1996, t. I., p. 389-467) : ce sont là deux exemples de rapports « modèles » (De Neville était un ancien intendant de Guyenne, Bricogne, un premier commis des Finances).

19 Il nous manque une étude sur un ensemble de notes produites par un cabinet en un an, ou en deux ans : il y a les notes-programmes, les notes relatant tel incident, les notes de mise au point, les notes pour critiquer les positions d’un directeur, etc. ; chacune a sa forme différente ; c’est ce jeu de notes croisées qui explique la « politique » d’un cabinet.

20 On possède l’ensemble des procès-verbaux depuis 1872, et les débats de séance ou les Verbatim (cf. Le Conseil d’État, 1799-1974, 1974, p. 964-965), qui montrent le travail très attentif du style (pour exemple, à propos de la création de la Direction de la Fonction publique, Études et documents, t. VIII, 1996, p. 727-733) ; ces procès-verbaux et ces Verbatim sont une mine pour l’histoire du style du Conseil d’État.

21 Aussi pour la réforme du décret de 1862 sur la comptabilité publique.

22 On peut suivre les variations d’un texte d’une séance à l’autre, et les discussions article par article d’un projet de décret : mais ce sont des résumés.

23 Il y a un art de rédiger les procès-verbaux qui mériterait une étude : un Locré a montré une grande dextérité en ce domaine, des réputations se sont bâties sur l’art de rédiger un procès-verbal, et chacun sait par la pratique que c’est un exercice difficile, qui exige beaucoup de doigté, de diplomatie, de malice et de fermeté.

24 Il est dommage qu’il n’y ait pas eu une conservation systématique des conclusions des commissaires du gouvernement.

25 Parce qu’on a conservé les archives de la Secrétairerie d’État (Archives Nationales, AF IV)

26 On sait qu’au début de la IIIe République, le Conseil d’État, saisi pour avis de propositions de loi de l’Assemblée, procédait à une instruction fort complète : citons le rapport Silvy sur un projet de statut de la fonction publique (nous l’avons publié dans La Bureaucratie en France aux xixe et xxe siècles, 1987, p. 663-688), et les débats pouvaient être très intéressants. On peut citer également l’Avis de 1876 sur le projet de Caisse Nationale de prévoyance des fonctionnaires (nous l’avons publié dans Les retraites des fonctionnaires..., 1996, t. II, p. 478-529, mais malheureusement nous n’avons pu publier les débats). Après 1879 les Avis en matière législative disparaissent.

27 Il manque une histoire du formalisme des arrêts du Conseil d’État au contentieux : pour les années antérieures à 1830, une faible partie des décisions du Conseil ont été recueillies, et parfois les arrêts étaient volumineux (l’ordonnance du 12 février 1817 sur la tontine Lafarge représente 25 pages in-quarto).

28 Fabriquer un décret, une circulaire d’application d’une loi est souvent un exercice pénible, car tous les conflits qui avaient éclaté lors de la préparation réapparaissent, les groupes de pression relèvent la tête, exercent des pressions, et les services renouvellent avec une grande force leurs objections – sans compter la Direction du Budget qui contestent les modalités d’application et les services extérieurs qui font connaître leurs « difficultés » (l’application de la loi du 31, décembre 1970 sur la lutte contre la toxicomanie en donne un bon exemple, les Finances, la Justice et l’Éducation Nationale présentant chacune leurs objections – alors que la loi avait établi des compromis : les circulaires d’application ont posé quelques problèmes délicats) ; or, pour toute loi importante, on rencontre les mêmes obstacles ; nous avons préparé en 1968-1969 le décret d’application de la loi Edgar Faure sur le régime financier des Universités, qui violait la loi sur plusieurs points avec l’accord du Conseil d’État (cf. notre commentaire, « Le décret 69-612 du 14 juin 1969 sur le budget et le régime financier des Universités », Revue de science et de législation financière, 1970, p. 633-677) : ce décret réaliste a été mieux observé que certaines dispositions de la loi....

29 On devrait observer les procédures nouvelles : il y a 20 ans, les Recteurs devaient exécuter des « projets de télex », et aux Finances, on voit des instructions (MO) « confidentielles » de la Comptabilité publique aux comptables, qui violent ouvertement les règles de la comptabilité publique... Pour chaque loi importante on a un faisceau d’instructions qui complètent, sans trop le dire, la loi : nous avons donné ainsi, pour les lois de germinal an XI sur le franc, les types d’application, avec les Avis du Conseil d’État, les circulaires et les Instructions pour les fonctionnaires des monnaies (cf. La réforme monétaire de l’an XI, ouv. cité, p. 603 et suiv.).

30 Cf. Témoins de l’administration, 1967, p. 172-173. Ymbert en 1825 s’était déjà moqué de la manie des circulaires dans les Mœurs administratives, ibid., p. 136-138 : ses propos sont toujours valables. « Un directeur, père de vingt circulaires, en retire une foule de paragraphes dont s’enorgueillit son érudition administrative. Tout cela (...) étant plein de contradictions et d’obscurités, forme dans sa tête un mélange d’où s’échappe difficilement la lumière ; mais comme il est le créateur de ce fatras de chapitres, de sections et d’articles, il ne perd pas une seule occasion d’en citer des passages au ministre qui les a signés de confiance ; et quand il arrive à celui-ci de demander quelque chose de raisonnable, le directeur ou le chef de bureau rencontre toujours quelque vieille et savante circulaire qui s’oppose au vœu de Son Excellence » : la circulaire est une des sources de sclérose de l’administration.

31 Celui qui veut faire l’histoire de l’arbitraire bureaucratique doit explorer la masse des circulaires, et des circulaires « interprétatives » qui finissent par empêcher les exécutants de voir clair ; aux Affaires Etrangères vers 1980 personne, au bureau des Consulats, n’avait la collection complète des circulaires que les consuls étaient censés appliquer (mais on diffusait largement un manuel, qui en était le résumé).

32 Supra, p. 237.

33 Les rapports de l’Inspection des finances comme les rapports de contrôle de la Cour ne sont pas communicables en principe.

34 Rédiger un rapport de contrôle suppose l’observation de règles du jeu compliquées, et le style sert à marquer les compromis nécessaires, les cotes mal taillées, à dissimuler ce qu’on a oublié de voir (cf. Nicolas Grandguillaume, Théorie générale du contrôle, 1994). Quand le rapport est soumis à contradiction – comme les rapports de l’Inspection des finances –, le rapporteur montre une grande prudence, la sécheresse du style lui est très utile. Comment on fabrique un rapport : ce serait un beau sujet de réflexion.

35 Chaque grande crise provoque des flux de mémoires, souvent de grande qualité (tel le rapport Dauvergne au Maréchal Pétain sur l’administration, en octobre 1940, « Comment Henri Dauvergne voyait la réforme administrative en 1940 », Revue administrative, 1990, p. 404-412). Personne n’a encore étudié cette manie de réflexion administrative après les crises (sur les projeteurs, supra, p. 229).

36 Nous en avons donné de nombreux exemples à propos de l’ENA, L’ENA avant l’ENA, 1983 ; un bon exemple en est donné par le projet du préfet d’Herbouville en 1815, Bureaucratie et bureaucrates..., ouv. cité, p. 471-478).

37 « Un projet inédit.... », dans L’État de droit, Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, 1996, p. 673-683.

38 Cf. La Cour des Comptes, CNRS, 1984, p. 341-342.

39 Une histoire des contre-projets, de leur mode de raisonnement, de leur logique particulière, serait bien intéressante (nous avons publie un contre-projet établi en 1819 par les employés du Ministère de l’Intérieur pour s’opposer au projet du Ministre, Les retraites des fonctionnaires, ouv. cité, t. I, p. 490 et suiv. ; c’est là une « rébellion » qui sera fréquente au xxe siècle avec l’organisation des syndicats).

40 Par exemple la Cour des Comptes a ses outils de style particuliers : le référé signé par le Premier Président, la « note du Parquet », la lettre du Président (cf. La Cour des Comptes, 1984, p. 759-763).

41 Ainsi les bulletins pour diriger l’esprit public diffusés aux responsables départementaux sous le Second Empire (par exemple aux Ingénieurs en chef des Ponts et chaussées) : ce sont des « circulaires politiques », qui obéissaient à des règles du jeu précises.

42 Tels les discours de vœux des directeurs (qui sont publiés dans les revues administratives cf. Bureaucratie et bureaucrates..., ouv. cité, p. 237-238), ou encore les notices nécrologiques des conseillers maîtres détaillées par le Procureur général près la Cour des Comptes dans les discours de rentrée, publiés au Journal Officiel (c’est un exercice difficile, où l’on trouve beaucoup de « langage codé » – et de malices).

43 Pourtant une étude du style administratif permet de mieux saisir la psychologie de l’administrateur.

44 Nous avons donné jadis une étude sur le style des notations des sous-préfets sous le Second Empire (cf. Bureaucratie et bureaucrates..., ouv. cité, p. 453-468), mais notre exemple n’a pas été imité. Sur les difficultés de cette histoire, cf. « Pour une histoire de la notation administrative », Revue administrative, 1974, p. 228-236.

45 Les Avis représentent une partie importante du travail du Conseil, principalement sous l’Empire et sous la Monarchie de juillet (cf. Le Conseil d’État, 1799-1974, 1974).

46 Cf. Tony Sauvel, « Les origines des commissaires du Gouvernement auprès du Conseil d’État, statuant au contentieux », Revue de Droit Public, 1949, p. 5 et suiv. et Le Conseil d’État, ouv. cité.

47 Introduction à une philosophie de l’administration, ouv. cité, p. 242. On voit bien qu’il nous manque une étude sur le style « Trésor » et sur le style « Budget ».

48 Une histoire du style des rapports publics de la Cour des Comptes, avec ses formules prudentes, ses litotes, ses fausses sévérités, serait bien utile.

49 À l’ENA, on cherchait dès le départ à apprendre à faire des circulaires, mais dès la première ENA, celle de Louis XIV, on voit le souci d’apprendre aux élèves à rédiger des procès-verbaux de reunion, des résumés, des notes raisonnées, des pamphlets même, ainsi que les Statuts de 1712 le prévoient expressément (cf. L’ENA avant l’ENA, 1983, p. 24 et La première École d’Administration : L’Academie politique de Louis XIV, 1996).

50 On apprend à former son style auprès d’un « patron », et à la Direction du Budget on formait longuement les nouveaux venus.

51 Nous avons publié, à titre d’exemple, le dossier de préparation du décret du 4 juillet 1806 sur les pensions des employés du Ministère de l’Intérieur, avec les projets initiaux, la consultation des chefs de bureau et le mémoire technique de Duvillard (cf. Les retraites des fonctionnaires..., ouv. cité, t. I, p. 130-170, 172-174, et t. II, p. 727-734).

52 Nous avons reproduit ainsi le brouillon d’un projet de circulaire concernant le traitement des fous en 1812-1813, Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 34, 1996, p. 219-227.

53 Ces conflits ne sont pas rares : on voit même en 1812 le ministre Montalivet, à propos de la liquidation des comptes de Sainte-Périne, dicter une note pour critiquer le rapport qui lui était soumis et fixer la marche à suivre (cf. Aux origines des maisons de retraite..., ouv. cité, p. 343-346). Et quand on examine, à propos des affaires de la Tontine Lafarge, la suite des projets du Conseil d’État – Napoléon critiqua vivement, paraît-il, la position de la section de Législation –, on s’aperçoit de l’importance de ces conflits (cf. La Caisse Lafarge, Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 27, 1993, p. 143-178 et « Conseil d’Etat et droit des sociétés : comment on a réformé la Caisse Lafarge », Revue administrative, 1993, p. 543-552).

54 C’est pourquoi nous croyons qu’il faut pratiquer la technique du corpus ou du recueil de documents, car résumer les textes conduit souvent à des « erreurs » et seule la succession des textes permet de comprendre de l’intérieur une loi ou un texte important (c’est la méthode que nous avons appliquée pour la réforme monétaire de 1785 et la création du franc germinal en l’an XI).

55 Nous avons retrouvé, pour la réforme monétaire de l’an XI, le procès-verbal d’une conférence avec les banquiers de la place au Ministère de l’Intérieur (La réforme monétaire, ouv. cité, p. 403-406), mais c’est exceptionnel, et nous avons publié un procès-verbal, signé Barbé-Marbois, d’une « conférence des présidents » à la Cour des Comptes en 1832, à propos du contrôle des hôpitaux (Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 35, 1997, p. 137 et suiv.) : ce sont des documents fort rares.

56 Cf. supra, note 44. Nous avons là un corpus de notations qui mériterait des études approfondies.

57 On voit là les notes des chefs directs et celles des inspecteurs généraux. On a également des notes très intéressantes dans les dossiers des professeurs au xixe siècle, avec la note du proviseur, celle du Recteur et celle de l’Inspecteur général : ils ne voient pas toujours les mêmes choses (nous avons publié les notes de Mallarmé, Bureaucratie et bureaucrates..., ouv. cité, p. 596-599).

58 Un préfet juge souvent sévèrement les sous-préfets sous ses ordres, il craint toujours un « pépin ». Et M. Long nous contait que les jugements des préfets étaient toujours d’une grande sévérité – comme autrefois.

59 Nous avons montré, à propos du décret du 4 juillet 1806 sur les retraites de l’Intérieur, que le chef de bureau, qui était un ancien des Fermes générales, avait simplement « démarqué » le décret du 4 prairial an XIII qui créait un fonds de retraites pour les droits réunis (Les pensions de retraite..., ouv. cité, t. II, p. 727-733) : malgré les consultations, on reste fidèle au « précédent ». Et quand nous avons rédigé le décret de 1969 sur le régime financier des universités, nous avons repris littéralement – par prudence – les dispositions du Code des communes (cf. « Le décret 69-612... », article cité à la note 28).

60 À la Santé nous avons constaté en 1972, en réformant un décret concernant la variole, que l’on répétait depuis 20 ans un article dont plus personne dans les services ne savait la signification exacte...

61 Il y a un « style » Commissariat au plan qui s’est formé peu à peu et qu’il faudra bien étudier un jour ; c’est un mélange de volontarisme et d’utopie, ou d’irréalisme, qu’il faut décoder avec soin, car il y a souvent des manœuvres des services, ou de telle personnalité influente : tel président de groupe de travail inscrivait rituellement dans chaque plan la nationalisation de la répartition pharmaceutique, personne n’y faisait plus attention (un historien qui travaille sur les documents du plan doit se méfier de ces « déformations »).

62 La note du Budget devait être la plus solide, la meilleure, et effectivement dans les années 1970 elle surclassait nettement en qualité les notes présentées par les ministères dépensiers : mais c’est là une histoire à faire.

63 Ou lors d’un débat à la Chambre.

64 Ce sont souvent les papiers qui ne sont pas au chrono, qui sont les plus importants (le ministre ne rend pas toujours la note manuscrite qu’il reçoit).

65 Le journal est un mode d’écriture volontariste qui obéit à certaines règles (infra, p. 555).

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