Comment faire l’histoire d’une crise ?
p. 193-201
Texte intégral
1La crise joue un grand rôle dans l’administration, chaque « maison » connaît ses crises, petites ou grandes : comment peut-on en faire l’histoire ? Le rôle de l’historien n’est pas simple : car on touche là à des domaines mal connus de la vie administrative1, on n’aime guère évoquer ces crises, on tente même de les dissimuler2. Mais la crise permet de mieux saisir l’administration telle qu’elle est vécue, elle montre comment on sait gérer (ou on ne sait pas gérer) une crise, elle souligne le rôle des personnalités, les désordres, les déviations de la bureaucratie : même si les sources sont insuffisantes, partielles, biaisées, l’exploration mérite d’être tentée. Cherchons à donner quelques conseils sur cette histoire difficile.
I. Qu’est-ce qu’une crise administrative ?
2L’administration est chose vivante, et elle traverse souvent des crises, mais on a quelquefois beaucoup de peine à les saisir : la tâche n’est pas facile3. La crise peut être minime, dissimulée avec soin (telle une crise dans un cabinet qui aboutit au départ d’un conseiller et à un petit remaniement des attributions), elle peut concerner une institution (quand une direction vieillit mal, voit son pouvoir contesté, ou subit des échecs retentissants)4, elle peut être aussi la conséquence d’une crise politique lourde, qui entraîne des épurations sévères5. Le champ d’exploration est vaste : or ces crises sont des révélateurs, elles permettent de mieux comprendre le temps vécu de l’administrateur6, le désordre qui peut régner dans certains services ou administrations, l’inefficacité (ou la moindre efficacité) d’une bureaucratie. La crise montre précisément « ce qu’il ne faut pas voir », ce qu’il n’est pas convenable d’évoquer, elle est mal vue (l’administrateur n’aime pas en parler, même 20 ou 30 ans après, la crise laisse des souvenirs désagréables)7. Mais au cours de 40-45 ans de carrière tout haut fonctionnaire a acquis une expérience étendue des crises, des différentes formes des crises et des méthodes pour les bien gérer, et l’historien ne peut se priver d’une telle source d’informations sur la vie d’un cabinet ou d’une direction8. Mais la théorie de la crise administrative n’est pas encore faite (la science administrative en ce domaine est très frileuse)9 ; l’historien doit tâtonner, se fier à son flair, prendre des risques tout comme pour l’histoire du désordre10.
II. Les objectifs de l’historien
3Il faut avoir nettement commence de ses objectifs.
4Premier objectif : il doit chercher à comprendre les origines, les « prodromes », les formes, les conséquences d’une crise, les liens entre les crises politiques et les crises administratives11 : étudier la crise de la Direction des Cultes vers 1880, ou celle de la Direction de l’enseignement supérieur dans les années 1960 suppose une bonne théorie des formes de la crise.
5Deuxième objectif : l’historien est amené, à partir de la crise, à tenter de comprendre le rôle des personnalités12, les liens entre la crise et la « conjoncture » politique, l’importance des amortisseurs qui limitent les désordres ; la tradition veut qu’on dissimule aussi longtemps que possible la crise, qu’on n’en parle pas à l’extérieur jusqu’au moment où elle éclate au grand jour13 : toute crise suppose un certain taux de mensonge.
6Troisième objectif : l’historien peut espérer, à partir de la crise, pénétrer dans les arcanes de l’imaginaire administratif : la crise montre à nu les ambitions, les obsessions, les spéculations sur l’avancement (« si X est nommé, je dois obtenir tel poste »), les réactions des spectateurs (la crise qui touche telle direction réjouit telle autre, mais le spectateur indifférent est parfois rattrapé par la crise, happé dans la tourmente)14 .
7Quatrième objectif : l’historien peut penser que la crise lui montrera de l’intérieur les désordres15 , les faiblesses de l’administration ; c’est un puissant révélateur, on y voit le jeu des petits intérêts, l’absence de véritable « contrôle », le rôle des esprits brouillons, des caractères faibles, les intrigues des tout-fous, des demi-habiles et des médiocres, les dangers de l’esprit partisan : la crise montre l’envers de l’administration.
8On saisit là les ambitions de l’historien ; la crise lui offre un terrain privilégié, mais il doit bien comprendre les limites de l’exercice :
à l’évidence on ne peut tout savoir d’une crise : l’expérience montre que, même quand on est l’un des acteurs, on ne sait qu’une partie minime des choses16 ; il faut donc avoir plusieurs témoins-acteurs, confronter leurs souvenirs, ce qui n’est pas commode ; les sources sont en général de qualité médiocre, et les témoins refusent souvent de dire ce qu’ils savent (ils ont parfois beaucoup oublié, souvent ils sont gênés, car leur rôle n’a pas été toujours glorieux)17 ;
l’historien doit, pour décoder, avoir une grande connaissance de la mécanique administrative, et montrer une grande prudence ; il n’est pas facile d’apprécier les motifs « réels » de la conduite de tel responsable dans une crise, il faut bien connaître les intérêts de carrière, la diplomatie de bureau et on risque souvent de se tromper ; mieux vaut ne jamais écrire : « Tout s’est passé comme si... ».
III. Formes de la crise
9Il nous faudrait bien une sémiologie de la crise : car qui a vécu une crise administrative sait bien qu’elle s’étale dans le temps et qu’elle comporte des phases bien précises ; mais la science administrative ne s’intéresse pas à la crise.
L’avant-crise n’est pas facile à étudier, avec ses signes précurseurs, le jeu flou des passions et des intérêts, les brouillages de signaux (qui empêchent de voir où l’on va), la non-perception des avertissements (il y a des aveuglements volontaires) ; dans un cabinet on voit bien presque dès la constitution du cabinet se dessiner les éléments d’une « petite crise » ; dans une direction les bons esprits (à l’intérieur et aussi à l’extérieur) disent : « Si X est nommé, nous allons vers de graves ennuis »18.
Les déclencheurs, les mécanismes qui provoquent la tourmente, sont souvent de nature fort différente : quelquefois c’est un incident mineur, mais la « conjoncture » est telle que tout s’embrase, parfois c’est simplement un heurt de personnes, une vengeance, des rancunes qui remontent à 15 ans... Personne ne sait comment réagir, on est pris au dépourvu, on croit naïvement que tout va se tasser (« on n’a pas vu le coup venir », dit-on plus tard pour s’excuser)19.
La gestion de la crise, une fois le conflit ouvert, est malaisée : on est bien forcé un jour de prendre position, mais beaucoup cherchent à louvoyer, à ne pas « prendre parti », ils préfèrent laisser pourrir le dossier, attendre de voir qui l’emportera (chacun des adversaires a des amis fort puissants) ; on croit s’en tirer par de petits moyens (lâcher, sanctionner un subalterne, donner la rosette à X), mais la crise s’aggrave, atteint son paroxysme, les affaires sont paralysées, les esprits s’échauffent, les bruits les plus désordonnés parviennent au dehors20 : on est obligé de trancher brutalement, et on cherche un successeur au directeur ou au conseiller jugé « responsable de la crise » (ce qui n’est pas toujours vrai).
L’après-crise, la « liquidation » de la crise pose des problèmes délicats à l’analyste, car les délais sont très variables : il faut panser les amours propres, obliger le service à retravailler, remettre les esprits (et les subalternes) « dans le droit chemin », éviter que les sanctions contre les demi-habiles qui ont « pris parti » soient trop fortes ; apaiser n’est pas un métier facile, il faut du doigté, mais aussi de la fermeté.
Les conséquences sont souvent floues (il serait dangereux de les exagérer). L’historien doit chercher à voir quelle a été l’incidence de la crise sur la manière de traiter tel ou tel « grand dossier », sur les avancements (la crise facilite l’avancement des habiles, qui savent tirer les marrons du feu), sur la régularité du service (il y a des secteurs qui peuvent être durablement affectés), sur sa réputation (à l’extérieur on dit : « Cette direction est mal en point, il lui faudra du temps pour s’en remettre, il faudrait une poigne ferme »). Une crise laisse nécessairement des traces durables (on en parle encore 5 ou 8 ans après, surtout quand a eu lieu un renouvellement de l’équipe dirigeante) : mais on n’a pas toujours des éléments fiables pour retracer cette incidence21.
10De fait, on a beaucoup de peine à faire la théorie de la crise, tant les distances sont grandes entre une mini-crise (un conflit de personnes) et les crises longues (une direction peut être « en crise » 10 ans durant)22.
IV. Les sources de cette histoire
11On voit bien la gêne : de quelles sources dispose-t-on pour une telle histoire ? Leur qualité peut être très variable, et l’historien doit montrer beaucoup de prudence. Examinons le champ des sources disponibles.
Le journal de l’administrateur est la meilleure source (même s’il est partial) : mais on en possède fort peu (un journal comme celui de Stendhal est une exception)23, mais lors de crises graves (ainsi en 1968, en 1981) certains hauts fonctionnaires prennent des notes24.
Les souvenirs peuvent retracer des crises mais de façon épurée, aseptisée, on reconstruit le passé : ainsi Emile Biasini retrace, dans Grands travaux (1995), sa chute de la Direction de la Musique et conte les diverses intrigues qui s’entrecroisent, mais à l’accoutumée on ne peut tout dire (il y a encore des témoins vivants, qui peuvent réagir) et, par construction, on se donne le beau rôle, le rôle de victime (peu d’administrateurs rappellent qu’ils ont été aussi des « bourreaux »)25.
Les archives orales sont une source principale si l’on sait orienter les entretiens sur les crises telles qu’elles ont été vécues, les échecs, les chutes, les « traversées du désert », si l’interviewé a bien conscience des différentes « phases » d’une crise (et de l’importance de l’après-crise, et des traces laissées par la « liquidation ») : un questionnaire détaillé pourrait être établi (pour les crises de cabinet, les crises longues de direction, pour les « évictions », pour les traductions administratives des grandes crises politiques et pour les épurations, etc.). On aurait là des matériaux importants pour élaborer une « théorie générale » de la crise.
Les dossiers du personnel contiennent parfois la trace de crises dures, par exemple pour les préfets et les sous-préfets qui sont dans des postes « exposés », pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées et des mines : tel ingénieur veut dénoncer les voleries de ses subalternes et finir par être révoqué, tel préfet entre en conflit avec son secrétaire général et quitte la préfecture pendant huit mois avant d’obtenir qu’il soit révoqué26 ; on pourrait multiplier la chronique de ces petites crises dans le corps préfectoral hier comme aujourd’hui et faire des sondages rapides dans les dossiers (en prenant bien garde que l’on ne possède souvent que des versions biaisées ou édulcorées : les motifs d’une révocation de préfet sont souvent mystérieux, les tarets chers à Balzac jouent un grand rôle dans les crises).
Les rapports d’inspection générale (notamment de l’Inspection générale de l’Intérieur) et de contrôle cherchent souvent à éclaircir telle ou telle « petite crise » : mais ils sont souvent par force élusifs, et ne veulent pas tout dire (ils sont doublés par un rapport oral)27. En général ils permettent de bien voir la genèse de la crise, ses prodromes, et donnent des conseils précis pour la liquider.
Les « affaires » laissent généralement beaucoup de témoignages ; elles ont soulevé des tempêtes, la presse s’en est emparée, parfois il y a des dossiers judiciaires : on a une chronologie précise, des protestations véhémentes (ainsi, dans l’affaire des « fiches », qui secoue le cabinet André, on possède Ma vérité du capitaine Mollin)28, des témoignages (ainsi pour cette affaire le journal manuscrit de Combarieu, secrétaire général de Loubet). Mais, comme toujours, on ne peut savoir qu’une partie des choses (il en est de même pour une crise politico-administrative comme le 16 mai 1877, dont les aspects administratifs n’ont guère été étudiés)29 et l’historien doit bien connaître les limites de son savoir.
V. Conséquences
12On saisit bien les conséquences d’une telle situation :
13Première conséquence : pour bien décoder les documents, ou poser les bonnes questions lors des entretiens, l’historien doit avoir une certaine expérience de la vie et s’il n’a pas de connaissance directe de l’administration, il doit prendre l’avis de « bureaucrates » expérimentés qui l’aideront de leurs conseils et de leur malice (car le pire danger pour l’historien de la crise est la naïveté) : le commissaire Maigret avait l’habitude d’interroger le docteur Pardon...
14Deuxième conséquence : il faut éviter de surestimer ce qu’on a trouvé, il est nécessaire de garder une certaine mesure ; la crise, certes, est un révélateur, mais pendant la crise, la « boutique » continue à tourner, la plupart des administrateurs ne sont que des « spectateurs » (ou veulent garder le statut de spectateur). L’histoire de la crise n’est qu’un moyen pour comprendre certains mécanismes de la bureaucratie : il serait dangereux d’aller au-delà.
15Troisième conséquence : plus on va vers le passé, moins on a de chance de comprendre ce qui s’est passé réellement, de saisir le jeu des intérêts (il est rare de trouver les aveux de corruption d’un premier commis des Finances30 : en général la corruption ne laisse pas de traces) ; pour une crise importante le ménage des papiers a souvent été fait31, l’historien n’a plus que des sources très fragmentaires32.
16Quatrième conséquence : les techniques de gestion des crises sont difficiles à saisir, les bureaucrates expliquent rarement les raisons de leur conduite ; quand on laisse pourrir une « affaire », en général on ne le dit pas expressément, on avance tel ou tel argument fictif, on obtient un accord tacite des « patrons », on dissimule, on ment, on ne veut surtout pas montrer ses vrais mobiles ; or c’est là une tactique fréquente (notamment dans les services de personnel, où l’on n’aime guère agir rapidement), et l’historien peut être facilement la dupé.
VI. Règles de bon usage
17On voit les difficultés d’une telle étude, qui exige beaucoup de l’historien : peut-on donner quelques conseils au chercheur débutant ?
18Première règle : il faut limiter ses ambitions en fonction des sources disponibles, et bien vérifier leur qualité – et leur fiabilité ; dans une crise, quelle qu’elle soit, il y a beaucoup de choses que l’on ne peut savoir, qui « ne s’écrivent pas », qui ne laissent pas de traces (hors le journal intime), ainsi les amis qui s’éloignent, ou qui trahissent, qui étaient de « faux amis », ou les dénonciations et délations, ou la scène, qui échappe à la mémoire (on n’en garde qu’un souvenir flou, indistinct surtout si elle a été violente et imprévue)33.
19Deuxième règle : il faut éviter de faire une histoire trop résumée ; une crise, c’est (en principe) une chronologie jour par jour, parfois heure par heure. Mais il faut traiter de crises importantes qui se trouvent aux limites du politique et de l’administratif34. Une crise politique se double en général d’une crise administrative avant, et d’une autre après (c’est la phase des « sanctions » et de la « liquidation ») : qui nous donnera une version « administrative » de la crise du 16 mai 1877 ?35
20Troisième règle : c’est une histoire exploratoire, il faut donc être deux fois plus rigoureux en matière d’érudition, de contrôle des sources, de cohérence des hypothèses ; ainsi l’étude d’une épuration administrative doit comprendre aussi l’étude de la contr’épuration, de la liquidation du contentieux, c. à d. la réintégration des épurés, et de l’« épuration des épurateurs » (qui est chose inévitable). On doit éviter les simplifications, le schématisme et l’angélisme (la crise permet de comprendre l’administration telle qu’elle est)36.
21Quatrième règle : l’histoire des crises doit mettre en lumière le rôle des passions administratives (c’est un des points difficiles de la recherche) : une nomination administrative un peu difficile soulève (quelle qu’elle soit) des rancœurs, provoque des déceptions, des blocages, quelquefois des départs ou démissions plusieurs mois après (« Je ne veux pas être sous les ordres de X, mon avenir est désormais bloqué, pourquoi rester dans une maison où je me déplaît ? »).
Conclusion
22Une crise n’est pas chose simple à étudier : on reste nécessairement en deçà. Mais il faut s’y résigner : toute une part de notre passé est tombée irrémédiablement dans l’oubli. Mais cette histoire doit être tentée : quelles leçons peut-on tirer de ces réflexions ?
23Première leçon : cette histoire n’est pas encore faite, mais la théorie générale de la crise n’est pas encore élaborée par la science administrative (c’est un sujet tabou). Or la vie de certains services est marquée par des crises successives qui minorent l’efficacité, altèrent l’image de marque, et qui sont dues à des fautes de commandement, à des attaques extérieures, à des querelles de personnes ou à une politisation excessive : l’historien de la bureaucratie ne peut ignorer la crise.
24Deuxième leçon : il s’agit d’une histoire « à risques » et l’historien doit bien marquer les limites de ses connaissances ; il faut éviter les supputations, les imaginations (« il pensait que » ou « il croyait que » doit être proscrit absolument si l’on n’a pas de texte certain)37. Les limites peuvent tenir aux sources qui, écrites ou orales, peuvent être biaisées par les passions ou les intérêts en jeu (même trente ans après, on veut marquer encore qu’on a eu raison de batailler contre X et de dénoncer Y).
25Troisième leçon : il est nécessaire d’être très prudent dès qu’il s’agit de querelles de personnes (il faut éviter de porter des jugements) et de crises politico-administratives, qui sont très difficiles à interpréter (les attentistes, les « neutres », le « marais » gagnent à tout coup, un bon bureaucrate « ne se mouille pas », il flotte avec le vent) ; c’est une histoire qui ne peut qu’accroître le scepticisme de l’historien.
Notes de bas de page
1 Aucune théorie de la crise administrative n’a été entreprise, on ne sait pourquoi, on n’aborde la crise que de biais, par exemple à propos des cabinets ministériels, supra, p. 129, des conflits entre cabinet et directeur, (cf. Regards sur la haute administration, 1979, p. 40-41), du temps administratif, supra, p. 179. On trouvera dans R. Catherine et G. Thuillier, Introduction à une philosophie de l’administration, 1969, quelques pages sur les « tensions internes » (p. 281 et suiv.), mais rien sur la logique des crises.
2 Les rapports publics de la Cour des comptes donnent souvent des indications précises sur les crises qui secouent telle direction ou tel service, la crise correspondant à un certain taux de désordre (ainsi pour l’informatique à la Justice, Rapport, 1994, le désordre interne de la Documentation française, ibidem, 1995). Mais la Cour laisse entendre, suggère, elle ne décrit pas directement la crise que traverse la direction ou le service.
3 L’historien de l’entreprise a aussi quelque peine à comprendre les crises qui secouent les directions (ainsi en matière bancaire, Indo-Suez ou Paribas donnent de bons exemples).
4 Il y a des organismes qui sont toujours en crise, qui survivent difficilement ou doivent être supprimés (le rapport Belin-Gisserot en avait, en 1986, dressé la liste) : la chronique administrative abonde sur ces « maisons » dont les missions sont obsolètes ou mal définies.
5 Sur les épurations, cf. nos conclusions, avec J. Tulard, dans Les épurations administratives (Droz, 1977).
6 La crise est mal vécue, c’est, pour l’auteur principal, un temps oppressant, harcelant, destructeur (on le voit par les insomnies, les conduites « non raisonnables », on a l’impression d’être lâché, trahi). Pierre Moussa (La roue de la fortune, 1989) a publié des notes significatives qu’il avait rédigées après sa chute de Paribas en 1981, on y saisit nettement le paroxysme de la crise. La traversée du désert, qui suit la crise, est chose fréquente (sur les principes, cf. Commentaire, automne 1981, p. 463-466).
7 Lors des entretiens des archives orales, l’administrateur n’aime pas trop à parler des crises qu’il a vécues, sauf s’il a retrouvé des notes prises à ce moment précis (en général, dès qu’une crise s’amorce, l’administrateur a tout intérêt à noter « l’essentiel » au jour le jour, infra, p. 555).
8 Supra, p. 134.
9 Les contrôleurs, qui souvent contrôlent ou inspectent des services en crise, ou même sont appelés à donner des « conseils », n’ont pas fait la théorie de ces contrôles, qui sont souvent fort difficiles (cf. Nicolas Grandguillaume, « L’audit d’une institution en crise », Revue administrative, 1997, p. 539-541).
10 Supra, p. 163.
11 On le voit bien pour des grandes crises comme le 16 mai, la chute de Combes ou le Front Populaire.
12 Il y a ceux qui ne se laissent pas abattre, qui font front, ceux qui intriguent à des fins personnelles, qui cherchent à tirer profit des cabales, ceux qui cherchent a ménager tout le monde, et ne veulent pas « se faire remarquer », ceux qui cherchent à assurer leur pouvoir et à tirer les ficelles (quelles que soient leurs opinions), etc. Une crise provoque toujours de multiples intrigues, dont une partie est « clandestine ».
13 Il est très exceptionnel que la presse générale disserte de la crise de telle Direction, ou commente telle nomination ; même la presse syndicale est généralement fort discrète dès que la crise éclate.
14 Celui qui se réjouit du malheur d’autrui a tort, il est pris quelquefois au piège : quand une Direction est en crise, c’est tout le ministère qui est atteint.
15 Sur le désordre, supra, p. 163.
16 On a « aidé », par exemple, à la chute d’un directeur : mais elle avait bien d’autres ressorts secrets, peut-être était-elle programmée depuis longtemps.
17 Dans une crise, quelle qu’elle soit, les caractères se révèlent, les bassesses, les « faiblesses » se multiplient : on compte ses vrais amis (sur les faux amis, cf. R. Catherine et G. Thuillier, L’être administratif et l’imaginaire, 1982, p. 62-64).
18 Sur la place de Paris tous les défauts des hauts fonctionnaires sont connus, chacun a sa cote, et il en était de même au xixe siècle.
19 Alors que tout le monde était au courant, dans le ministère et au dehors : la chute d’un directeur est souvent annoncée par la rumeur avant qu’il en perçoive le premier signe véritable, et parfois des contacts informels ont eu lieu discrètement pour lui trouver un successeur afin de « résoudre la crise » (on dit : « Il ne tient pas sa direction », « c’est la pagaïe, le service n’est pas commandé », « il a déjà commis trop de gaffes »).
20 Quand une crise se déclenche, bien des ambitions apparaissent, certains croient tirer profit del’éviction d’X et donc de son protégé Y, l’imaginaire entre en branle (le chef de service intrigue pour être directeur, même s’il n’a « aucune chance »), chacun compte ses amis vrais ou supposés et les informe du déroulement de la crise...
21 Il faut poser la question aux archives orales : quelles ont été les conséquences de la crise ? Mais, en général, on en minimise les conséquences (car la tradition veut que la « machine » absorbe les crises, que les crises « ne tirent pas à conséquence »).
22 Et il y a des ministères en crise (par exemple l’Éducation Nationale avant 1968) qui n’arrivent pas à faire face à leurs missions, ou qui ont subi trop fortement le choc de changements politiques (après 1981 par exemple).
23 Les pages de l’année 1814 – où il voit son avenir détruit – sont significatives.
24 Nous avons cité l’exemple de Pierre Moussa (supra note 6), mais il en est sans doute bien d’autres qui ont vécu difficilement la « traversée du désert ».
25 On tend nécessairement à oublier les gaffes, les abus de pouvoir, que comme directeur on a commis, ou la politique qu’on a menée en sous-main contre le cabinet (ou contre son ennemi X, qui a naturellement protesté et contre-attaqué...).
26 Ainsi le préfet de la Nièvre Adet qui n’arrivait pas à se débarrasser de son secrétaire général Théodore Martin en 1807-1808.
27 Les rapports de la Cour des Comptes décrivent prudemment des situations de crise pour telle institution (ou direction), mais 1° en omettant les questions de personnes ; 2° en prenant les problèmes par leur côté financier. Mais il nous manque – chose curieuse – une analyse théorique des rapports de la Cour et de ses méthodes « indirectes » d’analyse des crises.
28 Cf. G. Thuillier, « Autour d’Anatole France : le capitaine Mollin et l’affaire des fiches », Revue administrative, 1986.
29 Jules Simon connaissait très tôt par sa police les grandes lignes du complot, mais il semble qu’il ait été surpris le 16 mai : et le préfet de police, Voisin, est resté en place à son départ...
30 Dans l’affaire dite des Négociants Réunis en 1805, qui a provoqué le remplacement de Barbé-Marbois, le premier commis, Roger, a été révoqué malgré ses protestations d’honnêteté : or Mollien, six ans après, réussit à lui faire avouer qu’il avait reçu 800 000 F des Négociants réunis (lettre de Mollien à l’Empereur, 11 mars 1812, Arch. Nat., F7 6576) : il fut arrêté sur le champ sur ordre de Napoléon, qui n’aimait pas la corruption.
31 On le voit bien pour l’affaire dite des « fiches » : André a fait brûler les fiches du cabinet.
32 Il faut retrouver des archives privées pour bien comprendre ce qui a pu se passer (mais personne n’a jusqu’ici retrouvé les archives du capitaine Mollin...).
33 Sur la scène, cf. Les femmes dans l’administration depuis 1900, 1988, p. 161-164.
34 La mini-crise à l’intérieur d’un cabinet, ou d’un service relève plutôt de l’ethno-histoire de la bureaucratie ou de l’histoire psychologique (par exemple les batailles entre deux sous-directeurs).
35 Comment a-t-elle été vécue à l’Intérieur ? aux Finances ? C’est quasi impossible à savoir – sauf archives privées.
36 Il ne faut pas oublier les aspects psychologiques : l’insomnie, la tension, les intrigues et cabales, les obsessions de l’avancement, les pièges tendus (Balzac dans les Employés a bien montré l’enchevêtrement des intrigues subalternes qui provoquent la chute de Rabourdin).
37 C’est une question d’honnêteté : on n’a, on ne peut avoir que des « probabilités », et encore...
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Pour une histoire de la bureaucratie en France
Ce livre est cité par
- Chatriot, Alain. (2002) L'espace de l'histoire La démocratie sociale à la française. DOI: 10.3917/dec.chatr.2002.01.0391
- (2015) Le règne des entourages. DOI: 10.3917/scpo.eymer.2015.01.0799
- Kreplak, Yaël. Potin, Yann. (2022) La vie sociale des dossiers. Genèses, n° 126. DOI: 10.3917/gen.126.0005
- Fabre, Karine. Michaïlesco, Céline. (2010) From learning to rationalization: the roles of accounting in the management of Parisian Great Exhibitions from 1853 to 1902. Accounting, Business & Financial History, 20. DOI: 10.1080/09585201003590617
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