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Comment étudier le temps de l’administrateur ?

p. 179-192


Texte intégral

1Peut-on étudier le temps de l’administrateur ? Et à quelles conditions ? L’historien doit explorer le vécu du bureaucrate, du préfet, du conseiller d’État, tout comme il explore la perception du temps par le politique1 ou l’ingénieur. On doit, certes, être prudent dans de telles analyses ; les sources sont parcellaires, médiocres, souvent biaisées, mais l’historien doit savoir poser les bonnes questions : or comment comprendre l’administration en éliminant tout ce qui touche au temps ?2 La tâche est malaisée, et en général on fait silence sur le temps vécu de l’administrateur3 (la science administrative se garde d’en parler), les objectifs sont incertains, les méthodes floues : mais c’est là précisément que l’historien peut montrer sa capacité d’innover. A l’évidence il faut aller pas à pas dans une telle exploration : quand on fait l’histoire d’une direction, on ne comprend pas tout de suite l’importance de l’usage du temps et les diverses facettes du temps vécu, on ne sait pas bien interroger les documents. Il est nécessaire, comme dit Descartes, de faire des dénombrements entiers et des revues générales (ce qui n’est pas aisé en une telle matière) afin d’indiquer aux chercheurs les objectifs à atteindre ; nous voudrons expliquer brièvement ce que peut être cette histoire, comment évoquer les usages du temps, le temps vécu de l’administrateur, le temps de l’action, la durée telle qu’elle est vécue et donner quelques règles de bon usage : mais ces quelques pages ne sont qu’un essai très provisoire4.

I. Comment étudier le temps de l’administrateur

2C’est sans doute un des chapitres les plus difficiles – et les moins explorés – de l’histoire de la bureaucratie5 : comment peut-on étudier le temps usuel, le temps vécu de l’administrateur ?6 Les sources existent si on sait bien les décoder, et l’enquête orale a une place capitale dans cette exploration du vécu temporel. Mais l’historien hésite, par paresse, inexpérience, scrupule ou doctrine, à s’intéresser à des phénomènes aussi complexes, aussi lourds de signification7 : comment comprendre le temps d’un juge, d’un percepteur8, d’un chef de bureau de ministère ? Au surplus le temps n’a pas la même densité, la même économie, la même prégnance aux Affaires étrangères, à l’Intérieur ou aux Finances (qui n’aiment pas travailler dans l’urgence). L’observateur extérieur ignore ces temps discordants, il ne saisit pas ce mélange du temps long, distendu de la coutume, du temps haché par l’urgence, et du temps poreux de la rêverie9 (une bonne circulaire ou un bon décret est d’abord rêvé avant d’être écrit). Certes il s’agit d’une histoire difficile, imparfaite (les sources sont parcellaires, inachevées, en raison des mutations « prévisibles »), peut-être impossible10 : mais c’est une histoire qu’on ne peut négliger, même si elle exige beaucoup de qualités de l’historien (et même une certaine expérience de la vie).

II. L’usage du temps

3L’historien pourrait d’abord s’attacher à cette histoire en quelque sorte externe du temps, de la mesure du temps (l’horloge, l’horloge pointeuse), de l’usage du temps (l’agenda11, avec les rendez-vous, les jours d’audience, les « déjeuners de travail ») : on touche là au quotidien, au vécu de l’administrateur12 ; on peut s’intéresser aussi :

  • aux horaires, qui tendent à s’allonger vers le soir dans les cabinets, ou aux Finances ;

  • à la durée réelle du travail13 ;

  • à l’absentéisme, qui laisse souvent des traces dans les dossiers du personnel ;

  • aux coutumes d’usage du temps (par exemple les plannings de vacances, les tolérances des « petites vacances », ou encore les permanences ou les gardes dans certaines directions opérationnelles14, ou dans les cabinets) ;

  • au rythme du travail, par exemple la réunion de service ou la réunion de cabinet, la « signature » du ministre ;

  • au traitement des urgences (la catastrophe, la « cellule » de crise), des « coups de feu » (le budget, le vote d’une loi).

4Chaque ministère, chaque direction presque, a ses habitudes, ses traditions : les archives en portent la trace (mais trop souvent on ne garde pas les archives du service intérieur), on a aussi les témoignages oraux (ainsi tel Directeur aux Finances était – jadis – chaque jour à 9 heures du matin à l’entrée de sa direction, bavardant avec son adjoint et constatant les retards). Depuis cinquante ans les usages du temps se sont beaucoup modifiés : c’est une histoire qui mérite d’être explorée.

III. Le temps de l’administrateur

5Il est difficile de ne pas chercher à saisir le temps tel qu’il est vécu par le fonctionnaire tout au long de sa carrière : omettre le temps vécu serait une erreur. Mais la tâche est malaisée : distinguons – arbitrairement – plusieurs formes de ce vécu.

A. L’instant

6L’instant joue un grand rôle dans l’administration15 (tout comme dans la politique) : il y a l’instant de plaisir (le plaisir d’être distingué par le ministre, le plaisir de commander), l’instant d’émotion (fort rare), l’instant de la crise (la scène), l’instant d’anxiété, d’angoisse lié à l’urgence (dans les postes « exposés », ainsi pour les préfets) ; dans une carrière on a quelques instants qui laissent de mauvais souvenirs16. Un administrateur est habitué à gérer l’instant, à faire face à l’imprévu : mais la mémoire des instants est poreuse, et l’instant, par construction, laisse bien peu de traces17 (sauf si l’on a rédigé un journal intime, et encore).

B. Le temps régulier de la gestion

7C’est un temps ordonné, assuré, réglé, certain : on est inséré dans une hiérarchie, on a des pairs, des inférieurs, des supérieurs, on a une mission, des « attributions », des « pouvoirs » par délégation, un capital de savoir-faire ; gérer est chose régulière, on défend un ordre, on agit suivant des règles fixées par la coutume, on met ses pas dans les pas de son prédécesseur, si bien que ce temps régulier est facile à gérer, sans à-coups (les temps de crise politique sont exceptionnels), sans inquiétude (on sait à peu près où l’on sera dans 10 ans, c’est souvent un avenir « programmé », et cela aux différents échelons de la hiérarchie). Les dossiers du personnel permettent de saisir ce temps réglé : mais les appréciations des supérieurs sont souvent fort peu critiques.

C. La durée

8L’administrateur perçoit profondément la durée : j’ai eu des prédécesseurs, j’aurai des successeurs, on se situe dans une chaîne continue, ce qui oblige à se soucier de l’héritage (on doit transmettre en bon état ce qu’on a reçu)18 . Ce vécu de la durée fonde l’esprit de corps, qui joue un tel rôle, à tous les niveaux, dans la bureaucratie et qui est aujourd’hui injustement critiqué (alors qu’il fait « tourner la boutique »). Les archives orales doivent montrer la prégnance de cette durée telle qu’elle est vécue (et qui représente la grande différence avec les bureaucraties des entreprises privées)19 ; mais il n’est pas commode de décrire cette durée profonde sur laquelle sont fondées beaucoup de certitudes, de conduites, de coutumes : un administrateur exerce 40, 45 ans ses fonctions, il a en quelque sorte besoin de cette certitude de durée.

D. La perception du temps à venir

9Comment un administrateur perçoit-il ce qui va advenir dans six mois, dans cinq ans ? C’est là un problème délicat, on connaît mal les attentes, la capacité de « prévision » de l’administrateur ; certains ne s’intéressent qu’à leurs intérêts de carrière, ne réfléchissent ni à leur « métier » ni à ce qui va advenir : ils vivent un temps court, paisible, d’autres ont un esprit critique plus développé, ils cherchent à comprendre, à prévoir, ils s’inquiètent, ils projettent, ils veulent réfléchir, innover, laisser leur marque, se distinguer : l’historien doit s’intéresser à ces bureaucrates dynamiques, même si leurs « projets » échouent20... On a parfois trace de cette perception de l’avenir, de ces rêveries ou anticipations, notamment dans les articles, les études (souvent « anonymes »), dans les récits des archives orales (« j’avais bien prévu que, j’avais fait un rapport montrant... ») : mais l’historien doit être très prudent (il y a beaucoup de doctrinaires, d’esprits brouillons dans l’administration, il n’est pas aisé d’évaluer leur rôle exact21 : on a souvent tort d’avoir raison trop tôt...).

E. Le temps de la carrière

10Une carrière dure 30, 40 ans et plus : on avance dans la hiérarchie et les honneurs, on accroît ses pouvoirs. Cette ascension est, en principe, régulière, parfois elle a des accélérations brusques (par exemple pour les hauts fonctionnaires qui passent par les cabinets ou qui « font de la politique ») ; toutes les carrières ne sont pas linéaires, il faut récompenser le zèle, l’habileté et l’intrigue ; comme le calculait V. Wright, un sous-préfet qui passait par le cabinet du ministre de l’Intérieur, sous Napoléon III, était nommé préfet avec dix ans d’avance. Le temps de l’avancement est marqué par l’Annuaire qui montre les échelons prévisibles d’une carrière,22 et le rôle des « avancements au choix » ; il faut savoir décoder un Annuaire : le temps de l’annuaire est chose importante, il y en a qui « connaissent leur annuaire par cœur »...

11Les sources abondent : les dossiers personnels, par exemple pour le corps préfectoral, les ingénieurs des Ponts et Chaussées, apportent des indications précieuses sur les temps de l’avancement, les incidents de carrière, les interventions, les « protecteurs » ; les souvenirs23 et les archives orales donnent des récits de carrière, parfois biaisés, et montrent le rôle du hasard (telle amitié, telle rencontre, telle « protection »).

12L’historien peut s’attacher :

  • aux carrières non régulières, qui étaient jadis fréquentes (l’entrée dans les ministères et les corps n’étaient pas défendue par des concours, et les cabinets ministériels étaient la source de beaux parachutages)24,

  • aux carrières interrompues par les épurations, les démissions (en 1830, en 1848, en 1870, en 1879), les révocations : on trouve beaucoup de traces des temps de crise (avec les plaintes, les demandes de réintégration),

  • à la perception du temps de carrière : on se plaint vivement de la lenteur de l’avancement (à peine nommé préfet, on demande une grande préfecture), on cherche à se maintenir le plus longtemps possible, on refuse la retraite (qui pour certains postes est une déchéance), on se sent menacé, on fait intervenir, on s’accroche, on fait du zèle25.

13On s’aperçoit qu’il y a en fait – même pour le corps préfectoral – une sorte de coutume de l’avancement, un modèle implicite de carrière (ce qui explique les multiples plaintes enregistrées par les services du personnel)26.

F. Le temps de la retraite

14On oublie trop souvent, en histoire administrative, l’importance de la retraite27 : jadis on la prenait le plus tard possible (les limites d’âge n’ont été généralisées qu’en 1928)28 et la durée de vie du retraité était faible29. L’historien pourrait s’intéresser au temps du retraité, qui jadis occupait parfois d’autres emplois (teneur de livre, professeur), qui jouait un rôle actif (le percepteur devient conseiller municipal, le préfet entre au conseil d’administration d’une banque, l’ingénieur est commissaire-enquêteur)30 ; c’est là une histoire à construire, celle du temps distendu du retraité, qui parfois cherche à reconstruire le temps réglé du bureau31, mais les témoignages sont rares, il faut procéder à des enquêtes orales (il y a de fortes mutations récentes, avec l’abaissement de l’âge de la retraite).

IV. Le temps de l’action

15Cherchons à bien comprendre les règles du temps quotidien ; nous découvrirons plusieurs formes du temps, en allant du plus visible au moins visible, au souterrain : mais nous ne faisons ici qu’une brève revue des questions32.

A. Le temps juridique

16La vie administrative est soumise à des normes juridiques33, le droit fixe les temps, impose certains délais : ainsi le temps de prescription d’une créance, le délai d’appel ou de recours (avec le point de départ de la « notification ») ; le délai juridique, inscrit dans les textes, joue un grand rôle dans l’action administrative, il a souvent de multiples formes, soumises au contrôle du juge (ainsi le temps obligé pour déposer un dossier, une réclamation, pour obtenir un avancement de grade, d’échelon)34. Il faudrait inventorier ces multiples facettes du temps, qui nourrissent une abondante jurisprudence : rappelons le temps de service nécessaire pour obtenir une pension, pour accéder à un grade, le temps-couperet des limites d’âge (pour les concours, les retraites). Le temps est une arme aux mains de l’administration35 : à côté des temps inscrits dans les lois ou les circulaires, on trouve des coutumes souvent contraignantes (« il est trop jeune pour accéder à tel poste »). Savoir manipuler les délais est un art dans l’administration (ainsi dans les services du personnel)36 et le juge doit veiller au respect strict des délais pour protéger le fonctionnaire et l’administré. Dans chaque secteur, presque dans chaque direction on devrait examiner ce rôle du temps juridique, les documents abondent.

B. Le temps du dossier

17Tout dossier a sa durée propre, qui peut être très longue (L’affaire Froideville d’André Theuriet rappelle ces dossiers « qui n’en finissent pas », qui durent 20 ou 30 ans)37 ; il y a le temps d’émergence du dossier, le temps du « traitement », le temps long, dilaté des incidents, des enquêtes, des avis, des commissions, des autorités locales, de l’« instruction », le temps de la préparation de la décision, le temps de la décision, le temps des recours contentieux : chaque ministère a ses temps particuliers d’instruction38, ses rituels, ses règles du jeu (un dossier, par exemple, de naturalisation demande du temps, de multiples avis, il est presque impossible d’abréger les délais)39 et dans les « affaires » un peu compliquées, on voit le temps s’allonger, les perspectives reculent sans cesse40 et la bureaucratie n’a aucune raison « raisonnable » de se hâter, de liquider rapidement le dossier41 ; la notion de délai raisonnable est des plus floues, il faut savoir jouer avec les délais, le contentieux peut allonger les délais de façon « déraisonnable » (ainsi en matière fiscale, en matière de gestion de fait). Chaque administration a ses types de dossiers à longs délais (ainsi en matière d’équipement) et de décisions « prises en urgence » (mais souvent une nomination de préfet est « programmée » longtemps à l’avance) ; quand on fait l’histoire d’une direction, on doit faire attention à ce temps propre des dossiers, qui change très lentement. Faire l’histoire hier et aujourd’hui du temps d’un dossier, de ses phases successives, des « incidents de parcours », peut être très instructif, par exemple pour la construction d’un lycée ou une concession minière42 (et la lecture du Lebon est souvent significative) : on voit qu’il faut entrer dans le détail technique du dossier et presque se mettre à la place du rédacteur chargé de son instruction (mais on ne connaît pas toujours les interventions orales ou « parallèles » qui peuvent surgir aux différentes étapes du dossier)43. Quand on étudie quelques dossiers un peu compliqués, par exemple sous le Premier Empire, on s’aperçoit des difficultés réelles de l’administration, qui a souvent grand peine à prendre la bonne décision, et qui allonge indéfiniment les délais44.

C. Le temps de la négociation

18Contrairement à ce qu’on croit, une bonne part du temps de la bureaucratie aux échelons supérieurs se passe à négocier : le plus souvent on n’impose pas une solution, on négocie pour dégager une solution « acceptable » pour les parties ; ainsi un directeur négocie avec ses pairs, avec les syndicats ou les fédérations professionnelles qu’il a en charge, avec le cabinet (et le cabinet du Premier Ministre), avec les « politiques », et un préfet passe beaucoup de temps à négocier, à déminer, à dédramatiser, à jouer les médiateurs45 : or ce que nous voyons aujourd’hui est valable aussi pour le xixe siècle (une loi, un décret en Conseil d’État étaient précédés le plus souvent d’interminables « négociations »)46. Or le temps de la négociation est un temps complexe47 : il faut saisir l’instant où l’autre fléchit, fait une ouverture, ou montre sa lassitude, il faut aussi profiter des fautes d’un adversaire trop rigide. La négociation a souvent des formes coutumières qu’on connaît mal de l’extérieur : la négociation budgétaire (qui suppose de part et d’autre beaucoup de patience, d’habileté, et de ténacité : mais si l’on cède trop au Budget, on risque de perdre sa réputation, car le Budget profite toujours de vos erreurs), la négociation avec les syndicats (les syndicalistes sont d’excellents négociateurs), la négociation entre directeurs et cabinet (il y a beaucoup de transactions, de compromis, on ne peut vivre toujours en état de guerre). Et tout se négocie maintenant, les « pantouflages », les départs des directeurs, les mises à la retraite ou « sur la touche ». Or cette habitude de négocier est chose traditionnelle dans l’administration48 ; on usait de ménagements, parfois on ordonnait peu, la coutume imposait certaines formes, on n’était pas pressé : il serait important de retrouver dans les dossiers la trace de ces « négociations » souvent fort longues49.

D. Le temps des cabinets

19C’est un temps bien différent de celui des services : un temps court, pressé, haché, on vit dans l’urgence (en principe), on sait qu’on n’a qu’une durée de vie limitée (et souvent le conseiller venu de l’extérieur n’a aucune attache avec la maison)50 ; c’est un temps plein, dès qu’on cherche à faire quelque chose, à laisser sa marque, on veut montrer son autorité, on harcèle les bureaux51. Certes un cabinet peut être déraisonnable, tyranniser, mal jouer son rôle, provoquer des « drames » (et les services accueillent avec joie sa chute), mais traditionnellement dans un cabinet on doit savoir penser vite, réagir rapidement aux événements, faire des évaluations en urgence, donner le bon conseil au bon moment52 (un cabinet qui « ronronne » n’a pas la même perception du temps). L’historien peut s’attacher à retrouver ce temps court des cabinets par les archives orales, par les souvenirs (les journaux intimes, les « carnets » sont fort rares)53, parfois aussi par les chronos de correspondances (mais on ne doit pas oublier qu’une grande partie de l’activité des cabinets est orale)54. En fait il faudrait s’attacher à bien saisir les différences du temps des cabinets d’un ministère à l’autre (le temps du cabinet des Affaires étrangères est très éloigné du temps d’un cabinet de l’Education nationale ou du Travail, la notion d’urgence n’a pas le même sens).

E. Le temps de la crise

20Il serait important de retracer ce temps difficile, bref, de la crise : la crise est chose fréquente dans une administration, où les conflits personnels abondent (la scène55, l’attrapade, la mise sur la touche, la révocation ou le déplacement sont des figures traditionnelles de la comédie administrative) ; mais la crise est souvent amortie par la coutume administrative (on se déchire mais on ne le crie pas sur les toits, on donne des compensations, on négocie, les « traversées du désert » sont souvent abrégées)56. Les conflits portent peu sur les idées, la doctrine (car un bon bureaucrate cède facilement sur la doctrine, s’il sait son adversaire bien en cour, et on est rarement révoqué pour « désobéissance »)57, mais ils tiennent à des questions de personnes, à des heurts de caractères ou d’intérêts ; les conflits entre administrateurs sont habituels, notamment entre le directeur et le conseiller du cabinet58, entre le directeur et ses chefs de services (qui aspirent à le supplanter), entre les directeurs (ce sont les plus féroces, le cabinet sait en profiter), entre le directeur et les syndicats, et ces crises laissent des traces dans les archives59 (les témoignages oraux peuvent être abondants)60 ; elles passionnent les bureaux, et, comme disait Boucher de Perthes, « la transition de Barras à Napoléon et de Charles X à Louis-Philippe a été moins sensible à la tribu plumitive que celle de M. Clément, chef du personnel, à M. Roch, directeur du mouvement ».

21Ces temps de crise interne mériteraient d’être étudiés pour eux-mêmes (nous laissons de côté les temps de crise politique comme 1940, 1944 ou 1968)61 , ils révèlent les tensions souterraines, des manières d’administrer ancrées dans la durée ; tantôt on laisse pourrir la situation, la crise se développe, on cherche déjà un successeur pour le directeur (et les intrigues se multiplient), tantôt on veut intervenir dans le conflit, ce qui souvent l’aggrave, car chaque partie recourt à ses protecteurs, dramatise ; la crise montre les caractères, c’est un temps pénible, haché, mal vécu par les acteurs (et par les subalternes quand ils sont pris dans la tourmente). Mais la crise est chose tout à fait normale : toute institution a ses crises internes, en général elle sait dissimuler, elle préfère que l’on en parle peu à l’extérieur, elle craint les fuites dans la presse...

F. Le temps de la réforme

22La bureaucratie est menacée de façon permanente par la réforme et les réformateurs : réformer permet de satisfaire le cabinet, les « politiques », le Parlement, de récompenser certaines ambitions62 et de sacrifier au besoin de changement (chacun espère en tirer quelque profit). Mais le temps de la réforme est très divers : tantôt une réforme demande du temps, la gestation est longue, on piétine, on hésite (une commission de réforme peut traîner dix ans...) et les décideurs enterrent les projets successifs (ce qui paraissent urgent en 1876 ne l’est plus en 1885), on va souvent à l’échec63, c’est un temps sinueux, médiocre, qui n’en finit pas, qui excite le scepticisme des bureaux ; tantôt la réforme est faite en urgence, on presse les responsables, on tient un « calendrier » (ainsi en mai-octobre 1945 la réforme de la fonction publique et la création de l’ENA furent menées en urgence par Michel Debré, c’est un modèle)64 : c’est le temps court, parfois dramatisé (on compte les jours, on a des butoirs)65, presqu’un temps de crise (malheur au rapporteur qui traîne). Or ces réformes laissent précisément beaucoup de traces (procès-verbaux de commissions, documents administratifs et parlementaires, archives orales), on peut suivre pas à pas l’histoire du projet de réforme ou du projet de loi, saisir les causes des échecs, les méthodes de travail « en urgence », l’attitude des bureaucrates, souvent très réservée (dès le départ ils savent d’instinct qu’« il n’en sortira rien » ou que le projet de loi, même mal ficelé, « passera »).

23On saisit l’ampleur de la tâche : il faut remonter des documents écrits ou oraux au temps perçu des acteurs administratifs, avec les multiples nuances tenant au secteur étudié (il y a des sous-directions, ou des bureaux, qui vivent « hors du temps »66, d’autres qui sont constamment harcelés par des dépêches urgentes, qui gèrent sans trêve de petites crises). Mais le bureaucrate a souvent quelque peine à parler de ces différents temps, il n’aime guère évoquer les temps des crises internes ou des vaines réformes (ou du moins il oublie volontiers ces « dévorations d’insectes »)67.

V. Le temps long

24Comment faire l’histoire du temps immobile, inerte ? La bureaucratie est fondée sur la durée, elle a besoin vis-à-vis des politiques, du corps social de cette durée, de ce temps long qui légitime ses pouvoirs. Les formes de cet ancrage dans la durée sont multiples, il faudrait en faire l’inventaire : outils juridiques, conception du métier, traditions morales et esprit de corps, traditions « techniques », coutumes non écrites, on voit l’étendue, l’économie, le rôle de cette durée. La façon de traiter un dossier, de réfléchir à un problème, ou de le contourner, de considérer l’administré est souvent plus que séculaire : Jean-Paul Massaloux a montré que l’esprit, les méthodes de l’enregistrement des années 1930-1970 étaient très proches des méthodes de travail, des conduites et des réflexes des Fermes générales68. Or les coutumes d’un métier sont apprises très tôt, sur le tas, on vit sur des textes anciens qui modèlent l’esprit et gardent toute leur valeur69, le précédent a une grande force, quelque soit le secteur administratif70. Mais il n’est pas facile de décrire ce temps long, ces traditions qui sont, aujourd’hui, souvent bien menacées : il faudrait étudier en profondeur les méthodes de travail, les attitudes devant l’urgence, l’esprit hiérarchique (ainsi une analyse des coutumes et réflexes du corps préfectoral71 serait très précieuse).

25Ce temps apparemment immobile recouvre souvent des mutations lentes, souterraines : rappelons qu’une direction, un service, une institution ont une genèse, une croissance, une expansion faite parfois aux dépens du voisin, une maturation qui est souvent accompagnée de petites crises, et même de dérapages, enfin une décadence, ou une perte d’autorité : ce sont là des temps différents qu’il convient d’étudier avec une grande prudence, car on doit se méfier de vues trop réductrices. La vie d’une direction, par exemple, n’est pas simple : il y a des moments où elle a le vent en poupe, un bon directeur (et de bons sous-directeurs), une autorité certaine (« elle se fait respecter »), des ambitions (« tout lui réussit »), d’autres où elle est obligée de se battre pour maintenir ses attributions72, où elle doit résister aux menaces d’annexion (ou de démembrement) de la direction voisine, qui est son « ennemi héréditaire »73. Or toute institution administrative, tout établissement public, toute École subit de telles tourmentes : on veut fusionner, réorganiser, rebâtir, déconcentrer, « débureaucratiser », le paysage change parfois très rapidement. On voit tout l’intérêt qu’il faudrait apporter à l’analyse des temps d’une direction : le temps de la création (avec les « pères fondateurs »)74, le temps de l’expansion, de la domination, avec la formation d’un esprit-maison75, de réflexes, de coutumes de pensée, la mise en place de « débouchés », le temps de la gestion prudente, parfois médiocre, où l’on cherche surtout à défendre ses « privilèges ». Mais il n’est pas aisé de reconstituer ces différents temps (on risque de tomber dans l’arbitraire), les souvenirs sont souvent biaisés (ils évoquent souvent un âge d’or mythique que démentent les archives...)76, et on a peine à retracer les conflits entre les « doctrinaires », les « visionnaires » qui anticipent l’avenir, et les « réalistes » qui se méfient des « utopies » et jouent la prudence, ils n’ont pas la même vision du temps à venir77 : or ces conflits sont de tout temps dans les directions.

VI. Règles de bon usage

26La tâche est très difficile : peut-on chercher à définir quelques règles concernant cette histoire, fort délicate, du temps vécu ?

27Première règle : il faut montrer beaucoup de prudence pour utiliser cette notion de temps de l’administrateur : il s’agit principalement du temps vécu, du temps ustensile.

28Deuxième règle : on doit éviter avec soin les généralités, il s’agit du temps particulier à tel corps, à tel « métier » : ainsi le temps des comptables était réglé par des agendas leur rappelant leurs obligations « réglementaires » ; chaque bureaucratie a son temps particulier, l’historien doit chercher à saisir, à travers les sources écrites ou orales, le temps du Budget ou le temps vécu d’un Trésorier-Payeur-Général.

29Troisième règle : on doit éviter également avec soin toute statistique, tout effort pour mesurer des temps « moyens » (par exemple le temps « moyen » jour traiter un dossier) : le chiffre en administration n’a pas grande valeur, les bureaucrates, les contrôleurs et les bureaux d’étude le savent bien, et mesurer e temps moyen est une impasse.

30Quatrième règle : il faut aller au plus profond du perçu, utiliser au mieux les archives orales (mais l’administrateur n’a pas toujours conscience des différents temps qu’il perçoit ou qui « encadrent » son action depuis son entrée dans les bureaux, soit depuis 40 ou 45 ans...) et les archives, si on sait bien les décoder, peuvent donner beaucoup d’indications sur les techniques d’utilisation du temps.

31Cinquième règle : cette histoire du temps est nécessairement une histoire imparfaite, il s’agit bien de « tenter l’impossible », mais il est nécessaire de poser les bonnes questions, de chercher à comprendre « en profondeur » les documents (la publication des textes, le recueil de documents permettent d’aller plus loin dans la compréhension, le décodage), de montrer jusqu’où l’on peut aller sur tel ou tel point (par exemple la connaissance des coutumes non écrites, que peuvent donner les archives orales). Tout essai historique en ce domaine peut contribuer à nourrir, à étendre le questionnaire utilisé lors des archives orales, il peut servir aussi utilement aux réflexions sur les lacunes de la science administrative.

Conclusion

32On comprend combien cette analyse peut paraître hasardée : on cherche ici à repousser les limites de l’enquête historique, à montrer l’importance de ce qui nous échappe. Cherchons à tirer quelques leçons de cet essai provisoire.

33Première leçon : c’est une histoire neuve, à taux d’innovation élevé, car on touche là aux ressorts intimes de l’administrateur, et les méthodes sont encore incertaines.

34Deuxième leçon : c’est une histoire nécessaire, centrée sur la perception de la durée et de l’instant par l’administrateur qui voit le temps s’écouler au fil de l’annuaire ; le temps de l’action, le temps de la réflexion, le temps du contrôle, le temps du juge, autant de temps que l’historien ne saurait confondre et qui jouent un grand rôle dans la vie d’une bureaucratie.

35Troisième leçon : il faut que l’historien sache poser à l’administrateur les bonnes questions lors des archives orales sur cette gestion du temps qui passe, de façon à saisir les multiples facettes du temps passé, présent et à venir tel qu’il est vécu (on ne perçoit pas le temps de la même façon à 20 et à 60 ans) ; il faut que le questionnaire des archives orales s’étende aussi vers le temps vide de l’ennui bureaucratique (l’acedia des bureaux), des traversées du « désert », le temps des échecs, le temps dangereux des illusions, des obsessions, de l’imaginaire78 – c’est-à-dire ce qui fait la partie noire du temps.

36Quatrième leçon : l’administrateur vit sur la durée, c’est elle qui inspire son action, qui lui impose une certaine prudence (il y a des choses qui ne sont pas « convenables », on ne peut tout faire), il a une réputation, une carrière à défendre dans la durée : et par derrière ce vécu de la durée l’historien trouvera nécessairement ce qui est au centre de la bureaucratie, l’esprit de corps.

Notes de bas de page

1 Cf. Pierre Lenain, Le temps politique, 1987 et L’instant politique, 1989.

2 La faiblesse des analyses de la bureaucratie par Michel Crozier et les post-weberiens est d’ignorer le temps, ainsi que l’a montré Nicolas Grandguillaume, Théorie générale de la bureaucratie, Economica, 1996.

3 Nous avons, avec Robert Catherine, donné une esquisse générale sur le temps administratif dans Introduction à la philosophie de l’administration (1969, p. 37-127) et publié quelques pages sur l’instant administratif dans Regards sur la haute administration, 19/9, p. 140-146.

4 Cette note est destinée principalement à ceux qui font des monographies de directions, ou d’institutions, afin de les inciter à élargir leur questionnaire et à mieux comprendre ce qu’est un administrateur.

5 Nous avons posé quelques questions sur le temps dans « La demande en histoire administrative », supra, p. 68.

6 En fait on connaît mal les usages réels du temps du bureaucrate, la science administrative s’en est désintéressée (et le temps est banni des traités de science administrative). Cf. J. Vauvilliers, « Le temps perdu », Revue administrative, 1994, p. 95-97.

7 Il est plus facile, à l’évidence, de s’intéresser aux structures, à l’organisation, aux missions, toutes choses apparemment « objectives » : mais l’historien ne peut éliminer le vécu de l’administrateur de son champ de recherche.

8 Rappelons les tournées de mutation des receveurs des contributions directes, qui rythmaient jadis son travail (cf. Isidore Sarrasy, « Les Tribulations du contrôleur », 1860, publié dans Études et documents, t. VIII, 1996, p. 699-708).

9 Sur le temps de la rêverie de l’administrateur, cf. Regards sur la haute administration, op. cit., p. 147-153, et (avec R. Catherine) L’être administratif et l’imaginaire, 1982, p. 65 et suiv.

10 Mais on voit très bien l’importance, pour l’historien du corps préfectoral, de l’histoire de la perception du temps à venir, des impatiences devant la lenteur de l’avancement, de l’inquiétude devant les risques et les menées des politiques, de la perception de l’urgence (et du non-urgent) : celui qui nous donnera (d’après les dossiers personnels ou des souvenirs) une bonne analyse du temps des préfets et des sous-préfets (qui n’est pas identique) apportera beaucoup à l’histoire du corps préfectoral.

11 Trop rarement conservé, il permet de saisir les horaires, le rythme du travail, l’importance des « négociations ».

12 Cf. supra, p. 46.

13 Rappelons l’importance d’une histoire du temps partiel, qui est en train de changer les traditions administratives.

14 Ainsi à l’Intérieur, à la Santé.

15 Cf. Regards sur la haute administration, ouv. cité, p. 140-146, et pour une « théorie de l’instant », P. Lenain, L’instant politique, 1989.

16 Le vocabulaire l’indique bien : « les instants de malheur ».

17 L’insomnie, qui joue un grand rôle dans la vie du bureaucrate, laisse fort peu de traces : or ce demi-sommeil est une source d’instants parfois pénibles.

18 On doit être digne de ses prédécesseurs : c’est là un sentiment confus, mais important chez l’administrateur âgé, il aide à supporter les fatigues de la charge.

19 Les administrations privées n’ont pour elles aucune durée, aucune enracinement dans le temps au sens où un conseiller d’Etat se sent très proche d’un conseiller d’Etat de l’Empire et sait, de science certaine, qu’il y aura encore des conseillers d’Etat en 2030 : c’est ce qui explique les insuffisances des théories des sociologues, tels Crozier et ses disciples (cf. Nicolas Grandguillaume, ouv. cité).

20 L’analyse des travaux du Plan pour les années 1950 – 1980 montrerait combien certains travaux étaient en avance, et d’autres, d’une grande myopie (notamment en matière d’éducation, de santé) : ce n’est que vers 1970 que le Plan commença à s’intéresser au « qualitatif ». Or dans les ministères on était souvent très en arrière des travaux du Plan.

21 Quelqu’un qui « a des idées » est souvent très mal vu dans son corps : de l’Inspecteur général des finances Corréard, qui avait agité beaucoup d’idées très intelligentes de 1916 à 1940, un de ses cadets nous disait qu’il était considéré comme un peu fou dans le corps et n’exerçait aucune influence.

22 Il montre aussi au bureaucrate les échéances inéluctables.

23 Et les récits de vie provoqués comme ceux de percepteurs publiés dans Études et documents, t. VII, 1995 et t. VIII, 1996.

24 On déclarait vers 1907 qu’il fallait mieux passer par un cabinet pour être nommé maître des requêtes bien avant ceux qui avaient passé le concours de l’auditorat.

25 Aussi dans le corps préfectoral vers 1900 les préfets âgés menacés d’être mis à la retraite.

26 Ces plaintes devraient être analysées pour elles-mêmes, car elles donnent des modèles de représentations de carrière.

27 Cf. « Le retraité », Revue administrative, 1994, p. 152-153.

28 Jusqu’en 1936 un conseiller d’État n’était atteint par la limite d’âge qu’à 75 ans.

29 12 a 13 ans, calculait-on au xixe siècle quand la retraite était prise à 60 ans.

30 Parfois le retraité jouait un grand rôle dans les commissions administratives, dans les associations, les sociétés savantes, et les « groupements de retraités » étaient influents dans les syndicats de l’Éducation Nationale.

31 Dans la Retraite de M. Bougran Huysmans a montré jusqu’où pouvait aller cette manie (cf. La bureaucratie aux xixe et xxe siècles, 1987, p. 121-139).

32 Nous laissons de côté des formes aussi complexes que le temps budgétaire (de la discussion budgétaire à la dépense), le temps fiscal, le temps du contrôle (cf. Nicolas Grandguillaume, Théorie générale du contrôle, 1994), le temps du juge administratif, qui chacun mériterait une monographie (les sources abondent pour chacun de ces temps).

33 Cf. « La demande en histoire administrative », supra, p. 37.

34 Sur le délai, cf. Introduction à une philosophie de l’administration, ouv. cité, p. 92-98.

35 Ymbert explique très bien l’importance du délai en 1825 (cf. Témoins de l’administration, 1967, p. 132-133, 139-140).

36 Faut-il rappeler, par exemple, le délai de communication des archives, qui est un moyen pour l’administration (par exemple les Affaires étrangères ou le Trésor) de se défendre contre certaines curiosités des historiens ? En 1960 on ne pouvait encore consulter que les dossiers de diplomates retraités avant 1815...

37 L’affaire Nucci-Chaher du Carrefour du développement, découverte en 1986, a demandé dix ans au juge des comptes... Une « gestion de fait » ne peut, en général, se régler qu’après un long délai.

38 Pour la construction d’un pont, d’une ligne de chemin de fer, pour la concession d’une mine, l’implantation d’une usine : chaque administration a ses délais d’enquête.

39 Naturaliser un étranger en un ou deux mois relève de l’exploit, il faut une volonté politique ferme.

40 Ainsi pour le Crédit Lyonnais, le Crédit Foncier, le GAN, le temps de « sortie de crise » recule indéfiniment, on n’en finit pas de calculer le véritable coût du désastre.

41 À la veille des élections, on est pris soudain du désir de liquider certains dossiers « en urgence » (Georges Lecomte se moquait déjà en 1900 dans les Cartons verts de cette hâte soudaine, qui faisait sourire les bureaux). À chaque échéance électorale le jeu est identique.

42 Rappelons le conte de Henri Chardon, « Chef de bureau et romancier », Revue administrative, 1993, p. 15-23.

43 Par exemple les interventions du cabinet, à la demande d’un député ou d’un lobby, pour accélérer l’instruction d’un dossier (ainsi en matière de fixation du prix d’un médicament).

44 Ainsi pour l’affaire de la Caisse Lafarge (cf. La Caisse Lafarge, 1787-1892, 1993, Comité d’histoire de la Sécurité Sociale), pour la « nationalisation » de la maison de retraite de Sainte-Périne en 1807 (cf. « Conseil d’État et droit social : comment Napoléon « nationalisa » l’institution Sainte-Périne de Chaillot », Revue administrative, 1996, p. 632 – 641) ou pour les retraites des artistes de l’Opéra en 1807-1811 (cf. Les retraites des artistes de l’Opéra, 1698-1914, à paraître).

45 C’est pour cette raison que les talents des préfets sont très appréciés dans les cabinets ministériels.

46 On le voit bien quand on examine les archives du Conseil d’État (ainsi pour le projet de loi Léon Say sur les retraites des fonctionnaires, préparé par le Conseil d’État dès 1873, adopté par le Sénat en 1878 et repoussé par la Chambre en 1883, cf. Les retraites des fonctionnaires. Débats et doctrines, 1996, t. II, p. 478 et suiv.).

47 Cf. Pierre Lenain, « L’instant diplomatique », dans L’instant politique, 1989, p. 71-73.

48 On négocie trop, on ne sait plus parfois imposer sa volonté, on a peur de la presse, des syndicats, des fédérations professionnelles. Mais Bergeret montrait déjà vers 1880 (Trois mois au pouvoir) qu’un ministre ne pouvait se débarrasser de son huissier, son chef du personnel déjà « négociant » fort lentement son départ (cf. « La vie d’un ministère autrefois », Revue administrative, 1993, p. 425 et suiv.).

49 L’administration autrefois n’était pas trop pressée, elle aimait le rituel des commissions de réforme (on le voit bien pour la réforme du décret de 1862 sur la comptabilité de l’Etat, entreprise en 1877...).

50 Mais aux Affaires étrangères, aux Finances les cabinets (sauf exceptions) ne comportent que des gens de la maison.

51 Cf. G. Thuillier, Regards sur la haute administration, 1979, et Les cabinets ministériels, 1982.

52 Cf. « De la fonction de conseil », dans Regards..., ouv. cité, p. 44-51.

53 Rappelons le Journal d’un attaché d’ambassade de Paul Morand et le Verbatim de Jacques Attali qui donne bien cette fragmentation du temps.

54 Supra, p. 135.

55 Cf. G. Thuillier, Les femmes dans l’administration depuis 1900, 1988, p. 161-164.

56 Sur le temps très particulier, doux-amer, de la traversée du désert, cf. « La traversée du désert. Essai sur les mœurs administratives », Commentaire, automne 1981, p. 463-466.

57 On sait plier à temps, on montre son mécontentement, mais on obéit (on prendra sa revanche plus tard, à la chute du cabinet ou dans cinq ans).

58 Cf. Regards sur la haute administration, ouv. cité, p. 40-41. Les alternances politiques provoquent souvent de tels conflits.

59 On voit bien dans le dossier de l’affaire du sang contaminé et du CNTS, l’importance de ces conflits de personnes (le directeur général, Roux, n’avait aucun crédit au cabinet).

60 Parfois les rapports d’inspection ou d’audit donnent des renseignements sur ces conflits quand ils sont plus au moins publics.

61 Cependant la « crise » d’une direction en 1968 mériterait une étude, car le temps vécu du fonctionnaire, dans ces semaines incertaines, était très particulier (on ne travaillait plus, c’était un temps vide, inquiet, douloureux, les caractères se révélaient). Il faudrait étudier le temps de la liquidation de la crise de juin à novembre.

62 Réformer est un mot équivoque : c’est aussi mettre à la réforme, à la retraite.

63 Personne n’a réussi de 1876 à 1900 à réformer le système des retraites de la loi de 1853, le projet de Rouvier en 1890, celui de Caillaux ne furent même pas discutés.

64 Nous l’avons montré, d’après les archives du Conseil d’Etat, dans « Quelques documents sur la réforme administrative en 1945 », dans 1945-1946, Les fondations d’une nouvelle fonction publique, Revue administrative, 1995, p. 103-123. Mais l’on ne dispose pas encore des archives de Roger Grégoire ni de celles de Michel Debré sur cette réforme.

65 Ainsi pour la réforme des Universités du Président Edgar Faure en septembre-novembre 1968 : il fallait faire voter la loi de façon à assurer la rentrée des étudiants dans les Facultés, c’était l’objectif principal du Président, le fond importait peu.

66 Il y avait ainsi naguère quelques bureaux « hors du temps » aux Affaires étrangères, ainsi à la Direction des Français de l’Étranger.

67 Suivant le mot de Valéry.

68 La régie de l’enregistrement et des domaines aux xviiie et xixe siècles. Étude historique, 1989, Droz, 414 p. (Massaloux était un ancien directeur régional de l’enregistrement).

69 On cite toujours l’arrêté des consuls du 19 vendémiaire an XII sur la responsabilité des comptables en matière de recouvrement des recettes.

70 Une histoire des « précédents » utilisés dans un service, quoiqu’il soit, serait très intéressante, on verrait la reproduction de modèles de raisonnement et l’importance du préjugé (« Y-a-t-il un précédent ? » est encore une question très pratiquée, notamment en matière fiscale). Et la phrase : Il ne faut pas créer de précédent permet de torpiller des « solutions raisonnables ».

71 Par exemple en matière de maintien de l’ordre.

72 La crise actuelle de la Direction du Trésor en donnerait un bon exemple.

73 Il y a des réformes qui peuvent la vider de sa substance (telles la création de l’Agence du médicament et la disparition de la Direction du médicament).

74 Ainsi François Bloch-Lainé au Trésor ou Pierre Laroque à la Sécurité Sociale.

75 Ainsi, autour de Gruson, l’esprit SEEF et « Commission des comptes de la nation » (ainsi que l’a montré Aude Terray).

76 L’écart est souvent grand entre les souvenirs, écrits ou oraux, et ce qui se passait réellement, il faut être très méfiant (beaucoup d’administrateurs ont tendance fâcheusement à surestimer leur importance).

77 Ce qui explique qu’un projet un peu hardi mette dix ans, quinze ans pour être adopté, même s’il est « raisonnable » : les réalistes ou les conservateurs ont facilement le dessus (ce n’est qu’en 1990 qu’on a reconstitué imparfaitement une direction du personnel au Ministère du Travail, mesure réclamée dès 1978).

78 Cf. R. Catherine et G. Thuillier, L’être administratif et l’imaginaire, 1982 et G. Thuillier, « La mort administrative », dans Regards sur la haute administration, 1979, p. 154-160.

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