L’histoire d’un cabinet ministériel
p. 129-140
Plan détaillé
Texte intégral
1Comment faire l’histoire d’un cabinet ministériel ? La tâche n’est pas facile. En général, on ne pratique pas cette histoire, jugée trop périlleuse, on préfère passer sous silence les collaborateurs du ministre, ou étudier une direction, en ignorant la tutelle exercée par le cabinet. Les cabinets ministériels sont chose mal connue des historiens, qui n’ont guère l’expérience de cette institution coutumière1, qui laisse peu de traces ; les archives écrites sont résiduelles2, les archives orales offrent des vues biaisées, incertaines, illusoires (parfois par surestimation du rôle)3. Or, dans le jeu administratif, le cabinet – au xixe siècle comme au xxe siècle – joue un rôle essentiel ; mais il y a de bons et de mauvais cabinets, de bons et de médiocres conseillers du ministre, certains cabinets travaillent beaucoup, d’autres ne font que « ronronner »4. Pour l’historien, il n’est pas commode – même pour des périodes récentes – déjuger de l’efficacité d’un cabinet ; et on ne peut oublier qu’un cabinet reflète nécessairement les qualités et les défauts du « patron » (c’est le ministre qui, en principe, a choisi ses conseillers)5. On comprend que cette histoire soit dédaignée, mal vue ; mais comment peut-on aborder cette histoire hasardée, lacunaire ? Nous voudrions examiner les incertitudes des sources, les difficultés de leur interprétation, les bonnes questions que l’historien doit poser, les principes et les règles de bon usage qu’il doit appliquer ; nous voulons seulement mettre en garde contre les dangers d’une histoire difficile, qui exige beaucoup de qualités de l’historien6.
I. Les incertitudes des sources
2On sait combien les sources pour l’histoire des cabinets sont limitées : c’est la difficulté majeure. Elles sont de valeur très inégale.
Pour avoir la composition exacte d’un cabinet, la tâche n’est pas facile, en raison de l’importance des officieux, qui viennent souvent du ministère7 ; mais on possède des sources imprimées (en dehors du Journal officiel)8 et les annuaires téléphoniques internes peuvent rendre de grands services9.
Les archives publiques contiennent rarement des archives de cabinet jusque dans les années 1970-198010 ; on a des informations erratiques, rarement les dossiers et les chronos du directeur de cabinet et des conseillers du ministre11. Mais les archives des directions contiennent souvent des papiers, des notes de conseillers reçus du cabinet12 et les archives du Secrétariat général du gouvernement et celles de la Présidence de la République conservent trace de l’activité des cabinets (par exemple pour la préparation d’un projet de loi)13.
Les archives privées sont la source principale – quand elles n’ont pas été épurées ou mutilées ; on y trouve : des dossiers d’affaires, des correspondances reçues, qui montrent le système d’information14, les chronos qui donnent le courrier signé, les papiers personnels : agendas (détruits généralement), notes personnelles (par exemple mémentos, lors de conflits intemes), journal intime (chose rarissime : le Journal de Paul Morand est une exception)15, les souvenirs rédigés longtemps après le cabinet (ils sont fort rares...)16. Les papiers privés des ministres peuvent contenir des notes de leurs conseillers.
Les archives orales peuvent constituer une source très importante pour l’historien des années 1950-198017 ; tout dépend de la qualité des témoignages, de l’importance accordée au passage par un ou des cabinets dans le récit de la carrière, de la fidélité des souvenirs (la précision du témoignage est peut-être très grande si le témoin a retrouvé ses chronos ou ses agendas)18 . Les archives orales peuvent apporter beaucoup : la part la plus précieuse est représentée par les portraits des membres du cabinet – plus ou moins fouillés, plus ou moins cruels –, par l’évocation du climat du cabinet, des « petites crises » qu’il traverse, des conflits de personnes (ou de doctrines), par les portraits des directeurs du ministère (et l’analyse des rapports avec les directions) ; le témoin peut apporter des souvenirs sur de « grosses opérations » (réformes, projets de loi, gestion de crises sociales) ; il peut chercher aussi à préciser son rôle, à évoquer ses initiatives (le danger est, bien entendu, la surestimation) ; enfin, il peut évoquer les rapports du cabinet avec les autres cabinets, et notamment les cabinets du Premier ministre et du Président de la République, avec les fédérations professionnelles, les syndicats dont le ministère avait la tutelle. Mais il faut bien voir que les archives orales d’un directeur de cabinet sont fort différentes de celle d’un conseiller ; il a des vues plus larges, plus « certaines », il peut parler « en détail » de son ministre, de ses méthodes de travail, il peut aussi juger la valeur des conseillers, leur efficacité, leur loyauté (tous les conseillers ne sont pas loyaux envers leur ministre...) ; ses jugements permettent parfois d’évaluer à leur juste prix certains témoignages – mais il faut faire la part des querelles de personnes et de corps, des atomes crochus, des ambitions (un directeur de cabinet peut à bon droit se méfier de tel conseiller qui guigne sa place)19 ; l’historien doit manier avec beaucoup de prudence ces témoignages.
3On voit combien les sources sont peu nombreuses quand on cherche à faire l’histoire de tel ou tel cabinet20 ; pour le xixe siècle, on a souvent des informations des plus réduites, la vie des cabinets – sauf exception – nous échappe21 ; on connaît mal les méthodes de travail (sauf quand l’on possède des souvenirs – et encore)22.
II. Difficultés d’interprétation
4Le métier de cabinet est chose très particulière, rarement décrit pour lui-même : c’est un métier qu’on apprend sur le tas, et d’un cabinet à l’autre, les variations sont extrêmes23, ce qui explique les difficultés pour décoder les documents.
5Première difficulté : chaque directeur de cabinet, chaque conseiller a sa vision du métier, ses méthodes de travail24 ; les archives orales montrent bien cette diversité : les uns cherchent à faire carrière par les cabinets, c’est un tremplin pour arriver à de hauts postes, d’autres ont traditionnellement une conception plus désintéressée, ils ont le sens du service de l’État, ce sont souvent des techniciens passionnés par leur tâche.
6Deuxième difficulté : dès le xixe siècle, on classait les membres du cabinet en trois groupes : les chiens, qui sont fidèles au ministre, et tombent avec lui, les chats qui sont attachés au ministère et servent l’hôte de passage, mais avec quelque indifférence, les singes qui, soucieux d’abord de leur carrière, passent d’un ministre à l’autre sans états d’âme. C’est là la distinction essentielle – encore aujourd’hui – dans un cabinet ; il faut sans doute ajouter pour être fidèle : les membres imposés par le Premier ministre (parfois pour surveiller le ministre)25, les officieux qui ont bureau et secrétaire, et qui sont des fidèles du ministre, les amis du ministre qui peuvent exercer une grande influence, mais qui ne viennent pas au ministère, les experts du parti politique du ministre qui sont consultés sur les grands projets26...
7Troisième difficulté : un passage dans un cabinet est un « intermède » dans une carrière de fonctionnaire (rares sont ceux qui font le principal de leur carrière dans les cabinets, dans le sillage du ministre)27 ; il faut donc bien saisir les intérêts de carrière du conseiller, les « profits » qu’il tire – ou compte tirer – de ce passage auprès d’un ministre, ses liens avec son corps administratif ou technique d’origine ; mais il n’est pas aisé de savoir le dessous des cartes (un passage dans un cabinet peut aussi se solder par un échec)28.
8Quatrième difficulté : il y a aussi des remaniements de cabinet, des démissions, des départs « sans compensation », mais il n’est pas facile d’en saisir les causes (souvent, il y a des conflits de personnes, parfois des « affaires », parfois des pressions extérieures, si tel conseiller est très « gênant » pour tels intérêts) ; en général, ces remaniements se font très discrètement.
III. Problèmes posés à l’historien
9L’historien doit chercher à réfléchir sur ces coutumes de cabinet, à bien saisir les règles du jeu, le langage ; il est amené ainsi à poser quelques questions dangereuses : même pour aujourd’hui, il n’est pas facile d’y répondre.
10Première question : y a-t-il une politique du cabinet distincte de celle du ministre ? En principe non dans les cabinets bien gérés, mais un ministre ne sait pas tout ce qui se fait et dans son ministère et dans son cabinet, il délègue beaucoup, il s’intéresse surtout à quelques « grands dossiers », il se surmène souvent, et, sur bien des points, il n’a « aucune politique » ; même son courrier est souvent trié par le bureau du cabinet et le directeur de cabinet... Ce qui fait que sur nombre de secteurs, le cabinet jouit d’une certaine « liberté ».
11Deuxième question : y a-t-il une politique des directions distincte de celle du ministre ? Souvent le ministre n’est que le porte-parole des directeurs (c’était la règle sous la IIIe République)29, il n’a pas de politique personnelle, d’idées personnelles, il cherche à gérer au mieux « sans faire de vagues » et par suite le cabinet a un rôle effacé, et ne cherche pas à contrôler efficacement la direction. La situation a changé notablement sous la Ve République30 : le poids des cabinets s’est accru (notamment dans les ministères faibles), le cabinet a cherché à contrôler de près le travail des directions, ce qui a souvent conduit à des conflits ouverts31, à des changements de directeurs. La situation a beaucoup varié dans le temps, mais, quand un cabinet fait bien son travail, il n’y a pas (en principe) de politique des directions distincte de celle du ministre et de son cabinet ; mais les résistances de la bureaucratie sont grandes (il suffit d’attendre la chute du ministre, en espérant que son successeur sera « faible »).
12Troisième question : l’historien d’un cabinet doit dès lors s’attacher aux nominations des directeurs, qui est un acte des plus importants du cabinet. Le cabinet joue un rôle, certes, dans la sélection des candidats, mais il n’est pas le seul, le cabinet du Premier ministre, le cabinet du Président de la République, les chefs de corps interviennent, soutiennent tel ou tel candidat, les officieux du cabinet s’en mêlent ; personne ne peut savoir, tant les intrigues s’entrecroisent, comment tel ou tel l’a emporté (parfois les nominations sont « programmées » depuis un an ou plus) ; l’historien est très désarmé en ce domaine32.
13Quatrième question : comment un cabinet fait-il face à l’urgence ? Comment gère-t-il une crise ? Sait-il l’anticiper, flairer le piège, chercher à le désamorcer ? Sait-il prendre la décision à temps ? Sait-il intelligemment liquider la crise ? Ce sont là des questions délicates ; mais c’est dans la gestion des crises qu’on voit la capacité d’un cabinet (et celle d’un directeur de cabinet), le ministre constitue un petit état-major de crise de quelques conseillers et directeurs ; l’historien devrait s’attacher à bien comprendre ces mécanismes de crise, mais il ne dispose guère que des archives orales, et il faut que l’interviewé se prête au jeu...
14Cinquième question : l’historien doit chercher à retracer les crises internes du cabinet, sur 18 mois ou 2 ans ; les querelles de clans, de personnes, de doctrines sont nombreuses, les conseillers venus de la maison se heurtent aux conseillers attachés au ministre (les chiens) ; parfois, le ministre encourage ces tensions, confie le même dossier à étudier à deux conseillers, il divise le cabinet, ouvertement ou non, pour mieux assurer son autorité, il joue le directeur de cabinet contre le chargé de mission, il favorise tel conseiller contre le directeur, parfois le ministre n’a pas toujours confiance dans le cabinet « officiel » qui lui a été « imposé »... Les guerres de conseillers peuvent être liées à des difficultés doctrinales, elles sont encouragées en sous-main par les directeurs, qui y voient un affaiblissement certain du cabinet, elles sont observées avec intérêt par les conseillers du Premier ministre, qui en profitent pour imposer leurs vues, par les fédérations professionnelles, qui, prudemment, attendent l’issue. Il y a une vie souterraine du cabinet que l’historien a tout intérêt à connaître – mais les témoins aiment peu parler de ces querelles, ils sont souvent d’une étrange pudeur pour des batailles remontant à 20 ou 30 ans (mais leurs rivaux sont toujours vivants)33.
IV. Limites de notre savoir
15Il faut être bien conscient du peu de choses que l’on peut connaître de la vie d’un cabinet (pour le xxe siècle comme pour le xixe siècle).
16Première limite : on possède surtout des témoignages sur le cabinet vu par les autres : les directeurs, les députés, les « professionnels » ou les clientèles que le cabinet a en tutelle, les syndicats ; chaque cabinet a sa cote sur le marché, il est plus ou moins complaisant34, efficace, remuant ; mais il est très difficile de reconstituer cette « cote ».
17Deuxième limite : l’activité d’un cabinet est essentiellement orale, il multiplie les réunions, les négociations, les discussions ; tout écrit est nécessairement « résiduel », c’est l’aboutissement de compromis, de négociations ou d’interventions (telle la note pour le ministre rédigée après la réunion le soir chez le directeur de cabinet). Et les informations qui « remontent » des directions ou de l’extérieur sont, pour une grande part, orales (ce qui est le plus important ne se met pas par écrit, hier comme aujourd’hui ; le visiteur vient vous alerter en disant clairement : « Je vous le dis à vous, mais je ne l’écrirai pas »)35, et les dénonciations – fréquentes dans un cabinet – sont rarement écrites (pourquoi laisser des traces ?). Faut-il rappeler que la fabrication d’un texte difficile – projet de loi ou de décret – suppose d’infinies discussions entre les directeurs, le ou les conseillers techniques, le directeur de cabinet, des consultants ou experts extérieurs, le projet est dépecé mot à mot ? Et il est bien difficile, x années après, de reconstituer la trame des discussions (sauf si l’on possède un journal)36.
18Troisième limite : qu’est-ce que l’esprit d’un cabinet ? Aucun cabinet ne ressemble à un autre, l’expérience le montre. Un cabinet a quelques objectifs « certains » : gérer (et gérer l’urgence), promouvoir quelques idées du ministre (et parfois du Président de la République), lancer des réformes de fond (souvent suggérées par la direction) ; un cabinet peut avoir l’ambition de laisser sa trace37, marquer qu’il est actif, dynamique, prudent, qu’on « ne lui en conte pas » ; certains conseillers croient naïvement qu’ils peuvent mener « une politique personnelle » (ce qui aboutit en général à des drames), le directeur peut (contre tous ses devoirs) tenter même d’amorcer une politique distincte de celle de son ministre ; en général, ces tentatives tournent court, et quand un cabinet est trop dynamique, les directions – après son départ – n’ont de cesse de détruire ce qu’il croyait avoir décidé38. Mais l’historien a la plus grande peine à comprendre ce qui s’est passé, car l’esprit du cabinet laisse fort peu de traces, même dans les archives orales.
V. Principes de l’histoire des cabinets
19L’historien doit donc montrer une très grande prudence ; il ne doit pas prendre des risques (au besoin, il doit consulter, quand il a des « problèmes d’interprétation », un ancien membre de cabinet expérimenté, de même qu’il vaut mieux consulter un médecin quand on fait de l’histoire médicale39). Quels principes peut-on appliquer ?
20Premier principe : on ne doit pas surestimer les documents retrouvés (correspondances, peluriers) ni les témoignages oraux (souvent biaisés par des intérêts personnels et peu utilisables pour ce qui touche les cabinets) ; on n’a que des probabilités, l’essentiel de l’activité, étant orale, ayant disparu pour toujours40.
21Deuxième principe : il ne faut pas interpréter à faux ; par exemple, une Note au ministre, conservée dans un « chrono », peut avoir des buts différents :
elle peut proposer, mais simplement pour prendre date (on sait que cela ne sera pas accepté)41 ;
elle peut n’être pas lue (ainsi tel conseiller au cabinet du Général de Gaulle rédigeait de belles notes, mais le secrétaire général, qui ne l’aimait pas, se refusait à transmettre en marquant malicieusement Vu par le Général)42 ;
elle peut être dirigée de biais contre un autre conseiller43 ;
elle peut simplement prolonger une discussion avec le directeur (ou entre conseillers) ou une réunion de cabinet et être un simple compte rendu technique. On peut multiplier les cas : il n’est pas simple de savoir ce que signifie une « Note ».
22Troisième principe : il ne faut pas tenter de reconstituer un continuum (le pire péché de l’historien) : 1° dans le temps : il n’est pas aisé de savoir si deux notes ne sont pas séparées par des discussions, des incidents, des querelles, des interventions du cabinet du Premier ministre ; 2° dans la pensée : le plus souvent un conseiller n’a pas de doctrine, il reçoit des « consignes », l’action est très fragmentaire, très peu programmée44, on obéit principalement aux circonstances (c’est après l’événement qu’on tente de rationaliser, on dit : « nous avions voulu », « nous avions bien vu que »)45.
23Quatrième principe : il faut se garder de raisonner en termes de sociologie des organisations ; un cabinet est une institution coutumière, floue, une structure désordonnée, anarchique, on a peine à saisir – même de l’intérieur – ce qui se passe réellement (et un directeur de cabinet a quelquefois intérêt à ne pas savoir tout ce qui se passe dans le cabinet qu’il « dirige »), la part du clandestin n’est pas négligeable46. On ne peut nullement se fier47 à ce que peut dire un directeur de ministère sur le cabinet qui le contrôlait ; ses propos sont en général biaisés, partiaux (c’est un plaidoyer pro domo), et c’est ce qu’il ne dit pas qui est le plus important : les pièges tendus au cabinet, les colères rentrées par force, les frustrations, les petites humiliations48, le refus par le cabinet de réformes ou de nominations de « protégés », le système d’espionnage du cabinet (il y a des rapporteurs, quelquefois installés au cabinet)49 ; or un directeur se garde bien de dire, aux archives orales, « ce qui se passe vraiment »...
24Cinquième principe : les archives orales des membres du cabinet sont souvent suspectes ; celui qui dit, reconstitue, gomme ce qui est important, oublie (de bonne ou de mauvaise foi), n’a plus qu’une idée vague des conflits, des moments d’anxiété, des craintes pour sa propre carrière, des gaffes qu’il a commises, des sottises rattrapées de justesse, des erreurs de tir... Même s’il a retrouvé ses « chronos », il ne voit plus « ce qui est en noir », et le « chrono » ne donne pas l’attrapade du ministre, le coup de téléphone impératif de Matignon, les ordres reçus, le dossier « égaré » ou perdu de vue ; seul le journal (s’il est rédigé le soir même) peut dire vraiment ce qui s’est passé – et encore, car on oublie facilement qu’une « réunion de cabinet », c’est aussi des tensions, des coups de griffe, des apartés, des complicités, des insinuations, des querelles de clans, des jeux de regards, du non-dit sur « ce qui est important »50. L’historien n’a que des outils grossiers pour saisir ces réalités psychologiques ; même le croisement des témoignages oraux ne permet guère de reconstituer le climat réel d’un cabinet ; il faut que l’historien marque bien qu’il ne sait qu’une infime partie des choses, et que pour une grande part, ce qui est important dans la vie d’un cabinet est tombé irrémédiablement dans l’oubli.
25Sixième principe : un historien doit avoir une singulière acuité de regard pour analyser l’activité d’un cabinet ; c’est une histoire qui exige beaucoup de l’historien, il doit savoir nuancer, éviter les affirmations dangereuses, montrer qu’il n’est pas la dupe de ses « documents », jouer sur l’incertain, le possible, le probable, le vraisemblable, éviter d’instruire le procès uniquement à charge (un cabinet un peu actif est critiqué par tout le monde) ; il lui faut beaucoup de scepticisme, de connaissance de la vie (comment aborder sérieusement les rémunérations « occultes » des membres du cabinet ?51 comment retracer les conflits autour de la « communication » du ministre52 ou évoquer l’influence des « officieux », des « amis » du « ministre » qui peuvent « forcer sa porte » ?)53, et peut-être aussi une certaine expérience de la vie politique (le « jeu politique » impose certaines contraintes au ministre : il lui est interdit de toucher à telle fédération professionnelle, à tel abus coutumier, Matignon « se fâcherait »...)54 ; un historien peut soupçonner beaucoup, il doit laisser entendre, insinuer, mais ne pas prendre parti.
VI. Règles de bon usage
26C’est une histoire singulière qui laisse désarmé l’historien ; on n’ose pas l’entreprendre, les obstacles sont trop nombreux (faut-il rappeler qu’aucun audit ou contrôle n’est jamais fait sur un cabinet ?), on ne possède pas les clefs de cette histoire, on ignore les règles, les signes, les correspondances qui régissent la vie d’un cabinet : peut-on cependant donner quelques conseils à ras de terre ?
27Première règle : il faut être attentif à tout ce qu’on peut saisir de ce petit milieu, avoir un bon fichier qui comprend les officieux, les « familiers » du ministre – et même les secrétaires importantes55 –, bien connaître les carrières (et ce qu’elles peuvent laisser deviner des « intérêts de carrière ») ; mais on voit combien – en l’absence d’archives orales – cette connaissance est extérieure.
28Deuxième règle : il faut chercher à bien saisir les différentes phases d’un cabinet (il y a des cabinets qui vieillissent bien, d’autres « qui tournent mal »). Prenons un cabinet qui a duré 18 mois : il y a les trois premiers mois qui sont d’inventaire des problèmes, de gestion des urgences (et parfois de liquidation des erreurs du précédent cabinet), de négociations avec le Budget ; les conseillers travaillent beaucoup, commencent à comprendre les dossiers. Puis viennent six mois où l’on perd beaucoup de temps à lancer des projets de réforme (c’est la loi du genre), à chercher des appuis pour les faire passer, à se faire bien voir des conseillers du Premier Ministre, mais cela « patine », on se querelle avec les Finances ou le ministère – « ennemi héréditaire », chaque conseiller cherche à lancer ses projets, ce qui crée quelques désordres. Viennent quatre mois où l’on est obligé de « resserrer les boulons », de se réduire à une ou deux réformes, où l’on cherche à améliorer l’image de marque du ministre (qui s’est créé nécessairement quelques ennemis), où l’on évince, si besoin, quelques conseillers trop remuants. Dans les cinq mois qui restent, on sent l’usure du cabinet, les directeurs tendent quelques pièges, les bureaux n’obéissent guère56, les fédérations professionnelles ou les syndicats prennent quelque distance ; l’on travaille moins, on sent la chute proche, certains conseillers cherchent un « point de chute ». On voit que la durée utile d’un cabinet est assez réduite, et nécessairement une Note au ministre n’a pas le même sens au début et à la fin d’un cabinet : ce qui explique combien un historien doit être prudent dans ses analyses.
29Troisième règle : on doit examiner avec soin la « production » du cabinet, les réformes amorcées, les « initiatives », la méthode employée pour gérer les urgences, désamorcer les conflits ; mais on voit qu’il est difficile de savoir ce qui s’est passé : comment distinguer dans tel projet de réforme la part qui revient aux directions ? Quelle est la marge de manœuvre réelle du cabinet ? Comment – et à quel niveau – sont menées les négociations avec les « professions », les syndicats, les « clientèles » ? Quel est le rôle des conseillers du Premier Ministre ? Chaque « réforme » a son histoire – comment la reconstituer ? Il faut éviter d’affirmer ce qu’on ne peut prouver, ce qui est de l’ordre du vraisemblable ; mieux vaut dire « on ne sait pas », « on ne peut savoir »...
30Quatrième règle : il faut éviter des analyses qui peuvent faire sourire les gens du métier ; un discours de ministre, par exemple, n’est pas nécessairement l’œuvre de tel ou tel conseiller, ce peut être un travail collectif, parfois un officieux ou un ami du ministre y a pris part. Faut-il rappeler aussi qu’un cabinet – comme toute institution, quel que soit le mode de sélection – comporte nécessairement un certain nombre de sujets médiocres, carriéristes, au statut parfois incertain, ou aux connaissances techniques faibles, peu « fiables », qui, par la force des choses, créent quelques ennuis au cabinet57 ? Comment a-t-on composé le cabinet ? C’est un sujet sur lequel l’historien aujourd’hui a nécessairement un savoir des plus limités ; mais les directeurs et les « professionnels » se sont vite rendu compte des talents médiocres et du peu d’indépendance de tel ou tel (et parfois, ils s’en sont réjouis).
31Cinquième règle : on voit combien l’activité d’un cabinet peut paraître floue, mal assurée, diffuse, inégale, variable dans le temps ; le certain se réduit comme peau de chagrin. Aussi bien l’historien doit-il être sur ses gardes, éviter toute analyse ou récit qui tiendrait de l’histoire imaginaire58, il lui faut être précis dans son style, éviter les images, les effets, les stratagèmes rhétoriques, il ne doit jamais écrire : « Il pensait que » s’il n’a une pièce précise sous la main, c’est une question d’honnêteté.
Conclusion
32Quelles leçons peut-on retirer de ces brèves remarques ?
33Première leçon : le métier de cabinet est très difficile à appréhender du dehors, et les archives orales sont, en ce domaine, partielles, partiales – et souvent peu utilisables.
34Deuxième leçon : le cabinet est au centre des décisions, mais il a rarement une doctrine claire, une stratégie précise, sauf si le ministre ou le directeur ont une forte personnalité ; l’historien est mal armé pour saisir ce qui se passe vraiment – les équilibres de pouvoirs – dans un cabinet.
35Troisième leçon : l’historien voudrait bien explorer les relations-du cabinet avec le ministre, les directeurs, les autres cabinets, mais il n’a que des sources fort incertaines, on peut se tromper très facilement (il n’y a pas de filet de sécurité), les relations du cabinet sont variables dans le temps (on se brouille et on se réconcilie facilement – c’est la règle du jeu).
36Quatrième leçon : cette histoire des cabinets devrait permettre de comprendre le désordre59, l’incohérence, le flou du monde politico-administratif, car l’administration, au niveau des cabinets, se montre souvent médiocre, pusillanime, peu responsable : c’est là une histoire qui, nécessairement, dérange et ébranle les belles certitudes.
Notes de bas de page
1 Les études sur les cabinets ministériels sont rares ; renvoyons à nos études, Regards sur la haute administration en France (19791 Les cabinets ministériels (1982, avec bibliographie) et à Olivier Schrameck, Les cabinets ministériels (1995). Mais il y a beaucoup d’idées fausses et de légendes sur les cabinets.
2 Nous avons abordé le problème pour le xixe siècle dans « Pour une histoire des cabinets ministériels », Revue administrative, 1972, p. 479-483 (infra, p. 433) et dans La vie quotidienne dans les ministères au xixe siècle, 1976, p. 180-192.
3 Un conseiller technique d’un ministre peut apporter un témoignage, mais il est prudent de le recouper avec ce que son directeur de cabinet, les autres conseillers techniques peuvent penser de lui ; la tendance naturelle de tout interviewé est de surestimer son rôle.
4 Aujourd’hui, les cabinets ministériels sont – en principe – mal vus, on a cherché à réduire leur nombre, leurs pouvoirs (le rapport Picq sur la réforme de l’État est significatif), mais jamais ils n’ont été si nombreux ni si puissants que depuis 1980.
5 Mais pas toujours : depuis vingt ans, le Premier Ministre et le Président de la République exercent un contrôle attentif, les conseillers du Premier Ministre cherchent à imposer leur candidat.
6 L’Institut français des sciences administratives et la IVe Section de l’École pratique des hautes études ont organisé en 1973 un colloque Origines et histoire des cabinets ministériels (Droz, 1975), mais les études ont été peu nombreuses par la suite, notamment pour les années 1900-1940.
7 Il est très difficile de connaître la répartition des attributions entre les conseillers, qui ne fait souvent l’objet que de notes internes diffusées aux directions, et qui peuvent varier dans le temps.
8 On a des Annuaires spécialisés (par exemple : Annuaire des cabinets ministériels – Ministère Guy Mollet, 31 janvier 1956, 20e édition, Société générale de presse et d’éditions, 330 p.), le Bottin administratif, des annuaires des ministères (comme l’Annuaire diplomatique, l’Annuaire des Finances ou l’Annuaire du corps préfectoral), mais le problème délicat est bien de connaître les officieux, souvent délégués par les directions.
9 C’est souvent la source de belles surprises. Mais ces annuaires sont rarement conservés.
10 Sur cette politique de conservation des archives des cabinets, le rapport Braibant a fait récemment le point.
11 Mais les périodes de grande crise favorisent parfois la conservation des dossiers ; ainsi avons-nous certains dossiers du cabinet Abel Bonnard.
12 Ajoutons, pour mémoire, les papiers des bureaux du cabinet, qui concernent rarement les dossiers de principe.
13 Les relevés de décision (les bleus de Matignon) permettent de suivre les positions prises par les conseillers d’un ministre ; mais les collections de ces bleus sont pour le moment inaccessibles (on a vu leur importance quand on a publié un bleu à propos de l’affaire du sang contaminé : le rapport Lucas a enfreint une règle traditionnelle).
14 Ainsi possède-t-on les lettres reçues par le chef de cabinet de Jules Simon, Léon Cohn (Archives nationales, 79 AP).
15 On peut considérer Verbatim d’Attali comme un journal de cabinet, même s’il est partiel. Et Combarieu, secrétaire général de l’Élysée sous Loubet, avait rédigé un journal (qui depuis 1980 se trouve aux Archives nationales) dont il a publié une version très mutilée. Une liste de ces journaux de cabinet serait intéressante à établir.
16 Ainsi les souvenirs de Foville (cf. La vie quotidienne, ouv. cité) ou de Maugny, pour les Affaires étrangères (cf. La bureaucratie aux xixe et xxe siècles, 1987, p. 339-348).
17 Actuellement l’effort principal a été entrepris par le Comité pour l’histoire économique et financière pour les hauts fonctionnaires des Finances (plus de 2 400 heures), mais la quête commence pour les cabinets de l’Éducation nationale.
18 L’expérience montre que la mémoire, à 70 ou 75 ans, est très poreuse et sélective si l’on n’a pas recherché dans ses papiers « ce qui est important ».
19 Le cas est fréquent : la position d’un directeur de cabinet n’est pas toujours facile, il y a beaucoup de tendances centrifuges dans un cabinet, et des conseillers peu « loyaux » qui cherchent à nouer des liens « privilégiés » avec le cabinet du Premier ministre.
20 On notera que la presse ne donne que fort peu de renseignements fiables sur la vie des cabinets ministériels ; un historien ne peut raisonnablement se fier à l’Œuvre de Gustave Téry (qui attaque violemment avant 1914 certains cabinets).
21 Cf. G. Thuillier « Pour une histoire des cabinets ministériels », article cité.
22 Donnons un exemple : les souvenirs d’un chef de bureau du Budget, conseiller aux cabinets Jean Moreau et Félix Gaillard, Paul Schwall (« Au fil d’une vie. Éclats de mémoire », dans Études et documents, t. VIII, 1996, p. 572-593) ; on voit sur le vif combien ces souvenirs sont fragmentaires.
23 Il faut rappeler que certains cabinets ont des traditions corporatives particulières : aux Affaires étrangères, aux Finances, les gens de la maison occupent traditionnellement les postes (il est très rare qu’un membre du Conseil d’Etat appartienne à un cabinet Finances), et les directeurs désignent souvent les agents qui doivent « conseiller » le ministre, système qui doit éviter les conflits. Dans les ministères sociaux, au contraire, la tradition a été longtemps de prendre des hauts fonctionnaires étrangers au ministère.
24 Cf. G. Thuillier, Les cabinets ministériels, ouv. cité, p. 26 et suiv.
25 Pratique répandue assez largement après 1974.
26 Les grands corps servent à l’habitude de vivier pour les cabinets, et les chefs de corps surveillent attentivement le placement de leurs poulains.
27 Peu de hauts fonctionnaires appartiennent à six ou sept cabinets ministériels successifs.
28 Beaucoup de conseillers ne « font » qu’un cabinet ; il faut avoir une certaine flexibilité d’esprit pour être un chien ou un singe.
29 Un ministre qui avait des idées, qui voulait réformer son ministère prenait – tel Jules Siegfried – le risque de n’être jamais plus ministre. Ne mécontenter personne était souvent la règle.
30 Cf. Bernard Chenot, Etre ministre, 1967, et G. Thuillier, Les cabinets ministériels, ouv. cité, p. 14-15. Le problème majeur des cabinets socialistes (ou communistes) des années 1981-1986 et 1988-1993 était, au départ, de contrôler une administration jugée résolument hostile, puis, par la suite, d’imposer un certain nombre de réformes à une bureaucratie très réticente (et soucieuse de la prochaine échéance électorale) : ce qui a provoqué des conflits importants pour les années 1981-1985 et 1991-1993.
31 Un directeur n’est pas dépourvu de moyens ; le courrier s’appauvrit, on envoie moins de papiers « à la signature », les ordres du cabinet sont exécutés avec une sage lenteur, les fédérations professionnelles font des représentations à l’Elysée sur le « mauvais fonctionnement du cabinet », le ministre peut même être mis en porte-à-faux sur tel problème délicat.
32 Il est « vraisemblable » que les désignations de directeurs étaient tout aussi complexes autrefois – mais les influences « mondaines » étaient plus importantes.
33 Nous laissons de côté une question cruciale depuis 1960-1965 ; les rapports du cabinet avec les cabinets du Premier ministre et du Président de la République ; ils peuvent être bons (si le cabinet fait preuve de docilité, et même de servilité) ou détestables (si le cabinet revendique une certaine liberté de manœuvre, ou s’oppose à la politique personnelle de tel ou tel conseiller de Matignon, qui a, par exemple, son syndicat favori ; le ministre aime bien la CFDT, Matignon « joue » FO, les conflits sont nécessairement dangereux pour le ministre). Mais ces querelles sont de tout temps : le chef du cabinet militaire de Loubet, le général Dubois, se plaint hautement dans son journal que le cabinet d’André refusait toutes ses demandes.
34 N’oublions pas l’importance de ces complaisances : avancements de protégés, Légion d’honneur, nombreuses faveurs (débits de tabac, bourses), autorisations diverses (Le beau métier d’Henri Clerc a montré l’importance des autorisations d’emprunts, cf. G. Thuillier, La bureaucratie aux xixe et xxe siècles, ouv. cité, p. 213-225).
35 Beaucoup de conversations sont de type « confidentiel », quelquefois par prudence, le conseiller préfère rédiger une note pour le ministre, pour rendre compte (« J’ai reçu M. X, qui m’a affirmé à titre confidentiel que, qui m’a alerté sur »).
36 On l’a bien vu dans l’affaire du sang contaminé en 1985, qui est un « cas d’école ».
37 Trente ans après, on parlait encore au ministère de la Santé, des normes fixées par un maître des requêtes du cabinet Chenot.
38 Ce qui doit exciter au scepticisme l’historien : il trouve de belles décisions, de beaux décrets – il lui faut voir ce qui en est resté cinq ans plus tard... Le cabinet successeur accueille, en général, très libéralement toutes les plaintes contre l’ignorance, l’incompétence ou la médiocrité du cabinet prédécesseur : c’est la tradition.
39 Le commissaire Maigret aimait consulter le Dr Pardon.
40 Il est très difficile de reconstituer le réseau d’information d’un cabinet – et on ne doit pas oublier le rôle des déjeuners aujourd’hui, comme jadis le rôle des salons, dans ces systèmes d’information.
41 Ce sont des alibis pour mettre à couvert sa responsabilité (on a rendu compte, on a pris ses précautions).
42 Ce conseiller n’a jamais su que ses notes n’étaient pas lues par le Général : c’est là la surprise que réservent les archives orales.
43 Les attributions sont souvent floues dans un cabinet, on cherche volontiers à empiéter sur le voisin.
44 Il est très rare de retrouver des notes-programmes d’un cabinet fixant les orientations pour un an (mais cela existe).
45 Les archives orales sont trompeuses sur ce point.
46 Il nous manque une réflexion sur le clandestin dans un cabinet (quelques « affaires » ont montré dans les années 1980 son importance à la Coopération, aux Finances, aux Affaires sociales, aux Armées) ; le principe du pas vu, pas pris est souvent pratiqué (notamment pour l’octroi d’autorisations moyennant finances).
47 Contrairement à ce qu’a cru jadis Ezra Suleiman dans un livre assez « naïf », où il a accepté pour bon pain les plaintes des directeurs contre les cabinets (Les hauts fonctionnaires et la politique, 1976), mais Suleiman était sociologue, non historien.
48 Dans tel grand ministère, les directeurs allaient en tremblant à la réunion présidée par le ministre.
49 Les mécanismes d’espionnage mériteraient l’attention : ce qui se passe au cabinet est épié par les bureaux, les propos sont sus immédiatement à l’extérieur ; cet « espionnage » bénéficie en priorité aux directeurs.
50 Il est très difficile de raconter une réunion de cabinet un peu tendue, et l’on sait que dans certains cabinets, ce qui est important se dit dans les couloirs ou avant ou après la réunion.
51 Pour les officieux, mais aussi pour les officiels (contrats sur des établissements publics) ; il y a beaucoup d’usages tolérés par les Finances et par Matignon (qui « ferment les yeux ») ; jadis, on utilisait beaucoup la procédure des frais de mission fictifs pour Marseille ou Nice.
52 Directeur de cabinet, chef de cabinet, attaché de presse, chargé de mission, tout le monde s’occupe de la « communication ». N’oublions pas l’importance des journalistes « amis » du ministre.
53 Cela a toujours été : on possède aux Archives nationales des listes de « familiers » des ministres de l’Intérieur de 1852 à 1870 (F 7 12706).
54 Il y a des « conseils », des directives non écrites du Premier ministre, et parfois, bien entendu, des directives en sens inverse du cabinet du Président de la République (ainsi en 1971-1972 pour la question des avortements volontaires).
55 On oublie toujours à tort le rôle capital des secrétaires et des chefs de secrétariat particuliers (également des secrétaires de directeur de cabinet) ; Mme Anne-Marie Dupuy a rappelé récemment dans ses souvenirs comment ils pouvaient favoriser – ou défavoriser – une « carrière » de conseiller.
56 Ils cherchent à deviner quel sera le successeur, ils commencent à dresser leurs batteries, ils n’obéissent plus vraiment au ministre (on a bien vu cette dérive au premier semestre 1972 dans les ministères, chacun attendant la chute de Chaban-Delmas) ; en fait, c’est la règle générale, même si on ne le dit pas : on a beaucoup de rancunes – et motivées – contre le cabinet, « ils ont fait leur temps, on ne les regrettera pas ».
57 Ils sont dévoués certes, appliqués même, mais ils ont des intérêts de carrière qui passent en premier, ils ne sont pas aussi indépendants que le métier l’exige, ils ont des « protecteurs », ils sont tenus de « rendre des services » ; le ministre ne peut se fier à eux, et quelquefois, ils espionnent pour le compte d’autrui.
58 Il faut se garder du légendaire de cabinet complaisamment rapporté dans les archives orales parfois par plusieurs témoins.
59 Sur le désordre bureaucratique, cf. « Le désordre administratif » dans Pierre Lenain, Le désordre politique, 1992, p. 9-13 et supra, p. 163.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006