Comment étudier une direction de ministère ?
p. 109-127
Plan détaillé
Texte intégral
1Comment faire l’histoire d’une Direction de ministère ? Il est malaisé de répondre à une telle question, car les précédents sont fort peu nombreux1, et les travaux entrepris depuis 1993 au ministère des Finances n’ont pas encore abouti2, il est difficile d’en tirer des leçons précises. L’histoire administrative est encore incertaine de ses méthodes : or les questions : que chercher, et comment ? engagent tous les principes de l’histoire administrative, sur lesquels on n’a encore que peu réfléchi3 ; car qu’est-ce que l’histoire administrative ? Est-ce l’histoire des procédures, des méthodes d’action ? L’histoire des fonctionnaires ? L’histoire d’organismes ou d’institutions vivantes comme une Direction ? Rien n’est assuré en ce domaine, chaque historien a sa propre conception, ce qui provoque nécessairement un certain désordre. Conduire sur des bases assurées l’histoire d’une Direction, c’est un problème d’ingénierie historique4 : mais cette « discipline » est encore mal connue, et les Comités d’histoire des ministères ont grand peine à en définir les principes et l’économie. Définir une méthode pour étudier l’histoire d’une Direction est un exercice arbitraire, c’est presqu’une rêverie : mais il faut bien tenter de décrire un système, quitte à faire les ajustements et les adaptations nécessaires, car chaque Direction a ses propres caractères (on ne peut raisonner sur la Direction Générale des Douanes comme sur la Direction des Hôpitaux) ; fixer des règles générales n’est pas chose simple, et il convient de rappeler quelques principes de l’histoire administrative :
2Premier principe : il faut faire la part de ce qu’on ne sait pas : or dans la vie administrative, ce qui est important, et parfois « le plus important », ne laisse pas de traces, et on doit tenir compte de ce qui ne s’explique pas, les coutumes, le non-dit, l’occulté5.
3Deuxième principe : il faut essayer de faire une histoire qui soit lisible, acceptée et acceptable par l’administration active, c’est-à-dire qu’on doit tenir compte des réalités administratives6 : il est dangereux de faire une histoire qui fait sourire le vieux fonctionnaire.
4Troisième principe : on ne peut tout faire, tout dire, l’historien doit se fixer des priorités, faire des choix : ce qui entraîne nécessairement quelque arbitraire et demande beaucoup de doigté, de prudence, de finesse.
5On voit l’ampleur de la tâche, et la nécessité d’aller pas à pas, de ne pas être trop pressé, de faire les investissements préalables si l’on veut ne pas prendre trop de risques7 : il faut être conscient des limites d’une telle recherche. Ces réserves faites, nous voudrions répondre – avec prudence – à quelques questions à nos yeux essentielles :
quelles qualités exige cette histoire des Directions ?
comment peut-on se fixer des objectifs ?
quelles sont les méthodes à utiliser pour préparer l’histoire d’une Direction ?
comment décrire les réseaux de relations d’une Direction ?
comment étudier le personnel ?
comment saisir l’esprit d’une Direction ?
6Ce sont là des questions inspirées par un réflexe de prudence, tant la matière nous paraît difficile.
I. Les qualités de l’historien
7Il faut bien voir que cette histoire exige beaucoup de l’historien, qu’elle n’est pas facile, lisse, que tous les esprits n’y sont pas propres (certains ont une vision trop dogmatique, ou trop mécaniciste des choses, souvent citer Weber ou Poulantzas leur paraît la bonne méthode)8. Mais il n’est pas commode de décrire les qualités nécessaires.
8Première qualité : il faut s’adapter au terrain (tout comme le contrôleur9, l’historien doit s’avancer sans prévention ni « doctrine ») :
il faut être capable d’écouter ce que les anciens10 (et même les administrateurs en place) disent, ou veulent dire : on doit savoir feuilleter les souvenirs, les analyser, bâtir des questionnaires intelligents et souples11, découvrir la « logique » propre au service ;
il est nécessaire aussi d’être méfiant, et de ne pas croire que l’on pourra tout savoir (quelle que soit l’abondance des sources) : il y a des zones d’ombre, des trous, des lacunes graves ; rappelons que :
plus la source est importante, moins elle a de chance d’être conservée (ainsi les notes des directeurs au Ministre au ministère des Affaires étrangères)12 ;
la rétention d’information est pratiquée souvent par les services à l’égard de la hiérarchie (c’est une forme de leur pouvoir) ;
plus un service est inoccupé (ou peu actif), plus il réclame de moyens (les services du Budget savent très bien décoder les demandes)13. Un historien doit savoir ne pas être prisonnier de ses sources et bien connaître les usages bureaucratiques.
9Deuxième qualité : l’imagination, la capacité de rêver sur ce que l’on ne sait pas encore (qui est le plus intéressant), sur ce que l’on ne peut savoir14 : on reconstruit un univers disparu, on saisit un temps révolu (et même à des moments différents : t + 1, t + 2...). C’est là un exercice nécessairement dangereux, qui réclame de la mesure, du bon sens, une certaine expérience de la vie administrative15, de la ténacité. Mais les enjeux sont importants : donnons quelques exemples :
il faut identifier les menaces pour la direction, à t, t + 1, t + 2 (c’est-à-dire l’avenir tel qu’elle le perçoit, ce qui est à la source de sa stratégie défensive et offensive) : par exemple, être coiffée par un organisme interministériel (ainsi pour la Direction générale de la Santé en matière de lutte contre la drogue) ; être démembrée, ou coupée en deux (ainsi le service des hôpitaux devient une direction rivale de la Direction générale de la Santé) ; être en concurrence dans certains domaines (le « sang » relevait de la Direction générale de la Santé, mais la Direction du médicament le surveillait aussi). Ceci oblige à voir comment naît la menace (il s’agit souvent de conflits fort anciens), comment elle est gérée par les directeurs successifs16.
on doit s’intéresser aux missions non remplies, ou abandonnées, ou laissées dans l’ombre (c’est la bonne question quand on contrôle une direction)17.
on doit analyser les frottements, le système de frottements, qui à la fois poussent en avant et freinent18, qui provoquent beaucoup de pertes d’énergie.
il faut reconstituer la conjoncture. Il y a pour une direction des périodes propices, fastes, où « elle a le vent en poupe », et des crédits abondants (par exemple lors d’une réforme intelligente) et des périodes obscures, en grisaille, où rien ne va, où l’on ne parle pas d’elle, où elle a de mauvais directeurs, où le cabinet lui est hostile (par exemple en période de déréglementation)19 ; or ces conjonctures administratives ne sont pas aisées à saisir exactement, ce sont choses mystérieuses, dont on préfère souvent ne pas parler20 : si on comprend bien les règles du jeu administratif, on est obligé de faire place à ces mécanismes informels.
10Troisième qualité : l’historien doit être défiant (la défiance est une vertu de l’historien tout comme du contrôleur) ;
défiance naturelle vis-à-vis de soi, qui conduit à tout contrôler, tout recouper, à avoir une conception « positiviste » de l’histoire21 ;
défiance vis-à-vis des doctrines abstraites, commodes (et dangereuses) venant de la sociologie administrative (le culte du chiffre, les théories dogmatiques de type Weber, des analyses, des images, des représentations qui sont peu adaptées à la réalité des administrations centrales, et très difficiles à manier)22, de la science politique (tout voir en termes politiques est une erreur alors qu’un fonctionnaire vit quarante ou quarante-cinq ans, sous deux ou trois régimes), ou encore de la sociologie des entreprises (ou de vagues théories du management à l’américaine)23, qui ne tient pas compte des différences considérables entre des bureaux de ministère et des services centraux d’une grande entreprise. On affaiblit nécessairement la valeur d’un travail en utilisant ces instruments inadaptés, qui conduisent souvent à des analyses erronées (une administration centrale ne peut être gérée comme une entreprise privée)24.
défiance vis-à-vis des propos des partenaires, et notamment :
des discours tout faits des directeurs ou des administrateurs (Ezra Suleiman a été piégé, il a cru sans les critiquer les propos des directeurs qui avaient bien des arrière-pensées25 : par métier un directeur ne dit jamais ce qu’il pense, tout contrôleur le sait, il joue un rôle de composition...).
des discours apologétiques ou totalitaires, qui tendent à mettre en valeur une direction (ou du moins à la défendre contre les critiques habituelles) ; la bureaucratie a toujours tendance à surestimer son rôle, son action, c’est même un des signes formels de la bureaucratie (comme disait Joseph Fiévée, les peuples sont heureux non parce qu’ils sont administrés, mais malgré qu’on les administre). Or pour un corps de contrôle26, un cabinet astucieux, les directions sont mal gérées, incapables de faire des prévisions à terme, elles ont des cadavres dans les placards, elles n’ont que de mauvaises relations avec la société civile – et souvent même elles sont incapables de faire face aux missions qui leur sont assignées (les rapports publics de la Cour des Comptes abondent en critiques de ce type)27. À la vérité, la surestimation des services28, les discours d’auto-admiration sont une sorte de nécessité – ou de vice nécessaire – de la bureaucratie : elle a besoin – pour accomplir un métier ingrat – de croire en elle29, elle aime à dire du bien d’elle-même, elle supporte mal la critique30, elle a bonne conscience31 : il vaut mieux le savoir quand on cherche à évaluer son efficacité et quand on dépouille les sources écrites (ou orales).
11On voit que cette histoire exige beaucoup de sérieux, de sens critique : le danger, c’est l’anecdote dite « significative », non vérifiée, l’incident marginal ou la Note au ministre mise abusivement en valeur, qui marquent la mémoire des anciens : il faut savoir bien trier et ne pas se faire piéger par les apparences.
12De ces quelques observations – trop brèves – sur les conditions de cette histoire des directions, on peut tirer quelques conséquences.
13Première conséquence : il est impossible de voir tout en noir ou tout en blanc, le manichéisme est très dangereux, il y a beaucoup de grisaille, de zones floues, de choses médiocres (et de médiocre gestion) ; l’administration va da se, les accidents (de type thalidomide ou sang contaminé) sont plutôt rares – et quand une direction « ne marche pas », il est très difficile de la redresser (même si on nomme un directeur de poids et de qualité).
14Deuxième conséquence : il faut que l’historien soit assuré de lui-même – mais, même aujourd’hui, il est difficile de dire ce qui est important dans une direction (pour le passé, c’est plus difficile encore : on a bien oublié aujourd’hui le poids politique de la distribution des bureaux de tabac...). Et pour les services du personnel, qui ont une tâche difficile et des coutumes complexes32, il n’est pas commode de juger de la qualité de leur gestion, de leur capacité à résister aux intrigues, aux pressions des politiques et des syndicats.
15Troisième conséquence : on doit aller en profondeur, mais quelquefois on n’a pas de sources suffisantes, on ne peut y suppléer, souvent on n’a que des sources hostiles par système à la Direction33, ce qui oblige à une grande prudence.
16Quatrième conséquence : on doit montrer aussi beaucoup de circonspection dans l’interprétation ; donnons deux exemples.
17– On croit trop facilement au continuum : or il y a, dans la vie d’une direction, des ruptures dues à des inégalités de recrutement (ou de qualité de l’encadrement : des directeurs faibles « coulent » une direction), des contradictions internes (des batailles doctrinales entre sous-directeurs, ou entre le directeur et un sous-directeur), des « pressions » politiques qui ne sont pas toujours décelables34 (notamment dans les ministères sociaux).
18– Il est très difficile de savoir pourquoi on change un directeur, et plus encore, comment s’opère le choix : la chronique varie d’un témoin à l’autre35, les « pressions » sont multiples, il y a des raisons objectives et des causes « conjoncturelles », le jeu d’intérêts extérieurs au ministère, le poids comparé des candidats et de leurs protecteurs ; l’histoire de la chute d’un directeur, et de la nomination du successeur est souvent impossible à écrire, on n’a, le plus souvent, que des « conjectures ».
19On voit qu’une certaine expérience de l’administration conduit à un solide scepticisme : mais il ne doit pas empêcher que l’on approfondisse, que l’on confronte les témoignages, que l’on bâtisse des hypothèses : le scepticisme accroît la difficulté de la tâche, et surtout on est contraint de bien former les chercheurs à leur métier36.
II. La fixation des objectifs
20Quelle histoire administrative veut-on entreprendre ? Quels objectifs entend-on poursuivre ? Ces deux questions sont en amont de toutes les recherches : mais on n’est pas habitué à réfléchir sur ce qui est essentiel dans le travail de l’historien. On va consacrer x personnes, x efforts, x crédits à élaborer l’histoire d’une Direction, mais que cherche-t-on ? Que veut-on dire ? Que voudra-t-on dire (et que pourra-t-on dire) ? C’est là une réflexion nécessaire : mais il n’y a pas de méthode, car l’histoire administrative est, répétons-le, une discipline jeune, incertaine de ses directions, mal assurée de ses possibilités37. Pour déterminer intelligemment les objectifs de sa recherche, il faut combiner plusieurs méthodes pour la Direction concernée (les objectifs, à l’évidence, ne sont pas identiques pour la Direction du Trésor et la Direction générale de la Santé).
21Première méthode : fixer les objectifs en fonction de la demande publique38. Ainsi, pour la Direction du Budget, il y a une demande politique (quel poids la Direction du Budget a-t-elle eu dans l’administration, dans la vie politique ? Son « rôle » a-t-il été négatif ou positif ?). Pour l’histoire de la Direction générale de la Sécurité sociale, ou celle de la Direction générale de la Santé, il y a aussi une demande sociale (on veut comprendre ce qui se passe aujourd’hui, pourquoi on en est arrivé là : c’est une histoire génétique)39, et il existe des demandes techniques correspondant à des histoires techniques (par exemple l’histoire de la métallurgie a besoin d’une histoire de la Direction des Mines, l’histoire bancaire et boursière d’une histoire de la Direction du Trésor, l’histoire de la création artistique d’une histoire de la Direction des Beaux-Arts)40. On voit qu’à partir de ces différentes « demandes » on peut bâtir des « questionnaires » plus ou moins fouillés, en précisant ou compliquant cette demande : par exemple, pour la Direction du Budget, il y a une demande juridique (son histoire concernant le droit parlementaire, le droit budgétaire, le droit constitutionnel), mais aussi une demande de science administrative (comment se prennent les décisions, se font les arbitrages ?) : pour la Direction étudiée, on peut établir un arbre de la demande.
22Deuxième méthode : fixer les objectifs en fonction de la demande d’histoire administrative, qui a sa propre autonomie41 : nous avons déjà étudié les différentes facettes de cette demande générale42, et on doit les adapter à l’histoire de la Direction étudiée, en utilisant cet instrument d’analyse avec prudence ; on possède là un schéma pratique, qui permet d’établir un questionnaire très précis43.
23Troisième méthode : fixer les objectifs par rapport à des problèmes particuliers que l’on veut traiter à l’échelle d’une Direction : ce sont là des demandes fragmentaires, des « lectures » partielles, qui forment la partie volontaire, flexible de la recherche. Donnons deux exemples :
On peut chercher à étudier la partie souterraine, occulte de la vie administrative, au niveau quotidien : les relations réelles entre agents, les rapports de forces internes, les conflits hiérarchiques, les crises, les fictions ou mensonges bureaucratiques ; celui qui administre voit très bien l’importance d’étudier ce qui tient à la coutume administrative, ou au clandestin administratif44.
On peut vouloir étudier le rôle des personnalités : il y a les directeurs-fondateurs45, leurs « écuries » ou leurs protégés, les directeurs « aventuriers » ou les directeurs conformistes (ou médiocres, en grisaille)46 ; on peut étudier toutes les variétés de la fonction « directoriale ».
24Il peut y avoir, pour une Direction, d’autres objectifs particuliers : par exemple, on peut chercher à étudier les effets pervers des réformes en étudiant une direction qui a été en 25 ans trop « réformée » (telle la Direction de l’enseignement supérieur), ou l’influence néfaste de la politique sur une direction très « politique »47.
25Ces trois méthodes – la demande publique, la demande d’histoire administrative et les demandes « partielles » – doivent être combinées : les trois questionnaires n’ont pas le même poids, la même signification, il faut choisir des objectifs prioritaires ; en fait on ne peut tout traiter (de même qu’on ne peut tout savoir), on doit avoir dès le départ des priorités précises, surtout si le travail se fait en « équipe » (les révisions d’objectifs sont plus difficiles avec une équipe). Et ce sont ces priorités qui doivent inspirer les travaux préparatoires qu’il convient d’entreprendre.
III. Les travaux préparatoires
26On ne peut tenter de faire l’histoire d’une direction sans entreprendre un certain nombre de travaux préparatoires : cette idée est simple, mais elle n’est guère appliquée systématiquement, parce qu’on croit que cette histoire se fait comme celle des maîtres des eaux et forêts au xviie siècle, ou celle du contentieux des municipalités au xviiie siècle : or c’est en fait un problème d’ingénierie assez complexe, coûteux en temps, en moyens, en efforts, car les méthodes sont incertaines, expérimentales (il y a peu ou pas de précédents), arbitraires (il faudrait des discussions approfondies, des comparaisons d’expériences pour dégager un corps de doctrine)48. Mais il faut savoir combiner les différentes méthodes préparatoires :
étude de crises,
formation des chercheurs,
accumulation des documents,
élaboration d’instruments de travail,
collecte des archives orales.
27Première méthode : l’étude de crise.
28On peut – avant toute étude globale – chercher à approfondir une « crise » de la Direction, ou une réforme importante49, un projet de loi fabriqué par la Direction50, en utilisant tous les documents écrits ou oraux (y compris les sources parlementaires ou doctrinales) ; cela permet :
de donner un coup de sonde,
d’établir un modèle des sources, de mesurer les lacunes de la documentation, et la valeur relative des sources,
de voir jusqu’où on peut aller dans le détail51,
de ne pas s’enfermer dans une mécanique trop descriptive : une crise, une réforme oblige à saisir de l’intérieur la vie d’une direction.
29C’est au fond une expérimentation, avec, le cas échéant, des sous-produits non négligeables (études, recueil de documents, archives orales éventuellement).
30L’avantage principal est de s’adapter au terrain, de découvrir le « langage » de la direction, de saisir l’ensemble des sources, et surtout de permettre de former d’autres chercheurs.
31Deuxième méthode : former des chercheurs.
32On sait la carence de la réflexion en ce domaine : qu’est-ce que former un chercheur en histoire administrative52 ? Les méthodes universitaires ne sont pas toujours adaptées, surtout pour l’histoire de périodes récentes, qui exige beaucoup de prudence et de subtilité. Pour étudier une direction, on peut :
initier des « anciens » de la Direction aux méthodes de la recherche historique, afin d’élargir le vivier des chercheurs : les « anciens » possèdent un savoir technique irremplaçable, un séminaire de 40 ou 60 heures peut leur apporter beaucoup ; cette méthode a été adoptée par l’Association pour l’histoire de l’électricité53.
initier de jeunes chercheurs universitaires à l’histoire générale de la Direction, aux objectifs et aux méthodes de l’histoire administrative, leur donner à la fois une « problématique », une description des sources utilisées et des connaissances générales sur la direction, les familiariser avec le terrain, leur préciser les objectifs prioritaires. C’est une méthode souple, fructueuse, mais il faut éviter d’être trop directif54.
entreprendre un effort de réflexion en commun sur ce qu’on peut attendre de l’histoire de cette Direction et les problèmes de méthode soulevés : ce peut être l’occasion de séminaires, de journées d’études, on pourrait chercher à élaborer des notes de méthode sur des thèmes précis : comment étudier le rôle d’un directeur (ou le rôle des personnalités dans une direction) ? Comment analyser les rapports du cabinet et de la Direction ? Qu’est-ce que la partie « souterraine » d’une Direction ? Comment décrire la vie quotidienne des bureaux ? Il s’agit de questions apparemment simples – mais qui soulèvent des problèmes de « doctrine » redoutables55. Ces notes faciliteraient singulièrement la tâche des chercheurs.
33Troisième méthode : l’accumulation de documents.
34Il faut, dès le départ, se donner les moyens d’accumuler des documents afin d’aider à l’initiation des chercheurs – et d’alléger la tâche des historiens futurs (on doit aussi se soucier, dès la phase préparatoire, de l’historien de 2050 ou 2080 qui reprendra les travaux et les poursuivra pour les années 1995-2050)56. On peut utiliser plusieurs méthodes :
publier un Bulletin où l’on reproduit systématiquement des documents importants sur la Direction, des notes de principes, des mémoires inédits ou d’accès difficile, des documents périssables ou menacés, ou des « trouvailles » : c’est la méthode adoptée par le Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale depuis 1988 ;
publier des souvenirs d’anciens : la méthode du concours autobiographique est très fructueuse57, elle permet à l’historien de l’administration de poser des questions nouvelles, de s’intéresser au vécu des administrateurs ; elle a été appliquée avec succès à la Direction de la Comptabilité publique, elle doit l’être bientôt à la Direction générale des Impôts ;
publier des témoignages oraux de patrons (ce que le Comité pour l’histoire économique et financière a fait pour un ancien directeur du Budget, Roger Goetze).
35Il s’agit de publier – avant d’entreprendre l’étude d’ensemble – des memoranda ou des memorabilia au fur et à mesure de la recherche (ce qui, dans le cas du Bulletin, encourage les chercheurs et permet d’allonger le questionnaire).
36Quatrième méthode : l’élaboration d’instruments de travail. Ce sont là des moyens classiques :
rédaction d’une bibliographie adaptée (avec, si possible, un commentaire), tenant compte des sources particulières (documents budgétaires58, cours de Sciences-Po et de l’ENA59, rapports administratifs non publiés60, rapports d’inspection, bulletins ou revues de la Direction61, publications syndicales)62 : cette bibliographie devrait éclairer le chercheur et servir à la constitution d’une petite banque de données.
élaboration d’un guide des sources d’archives – à Paris et en province – adapté à l’histoire de la direction (l’inventaire des fonds peut être poussé plus ou moins loin)63 ;
constitution d’une banque de données sur l’histoire de la Direction (par exemple, en reprenant les noms et carrières des agents figurant dans l’Annuaire du ministère, avec, le cas échéant, les dossiers du personnel).
37Là encore le but est d’aider non seulement le chercheur actuel, mais aussi le chercheur de 2050 ou 2080.
38Cinquième méthode : l’accumulation d’archives orales.
39La méthode a été bien définie par Mme Florence Descamps64, mais le questionnaire doit s’inspirer des objectifs prioritaires déterminés au départ de la recherche (on teste ainsi les priorités qu’on a définies), en aucun cas il ne doit être écrit (les réponses à un questionnaire écrit sont de faible valeur). Ce sont des mémoires retrouvées, mais avec leurs défauts (le triage des souvenirs, les réponses biaisées, les scrupules et silences volontaires, la prudence, la passivité : « je ne réponds qu’aux questions qu’on me pose ») : il est bien entendu que ces archives orales concernent les agents de la Direction, mais aussi les fonctionnaires qui étaient au cabinet, les ministres (comment voyaient-ils la direction et son directeur ?), les « satellites » de la Direction (les dirigeants, par exemple, de fédérations professionnelles « sous tutelle »).
40On voit l’ambition – et la nécessité de ces travaux préparatoires, qui exigent du temps, de la ténacité, le sens de l’organisation et des « programmes d’action » (il faut les faire aller en même temps), des moyens importants (notamment pour les publications65 et les archives orales) : mais si on veut travailler en profondeur et avoir des bases solides, il n’y a guère d’autre solution.
IV. L’analyse des réseaux
41Une direction est un être vivant, complexe, une sorte de personne, bien au-delà des fonctionnaires qui la composent (il y a des Directions qui vieillissent bien, d’autres qui vieillissent mal). Comment peut-on décrire une Direction ? On peut chercher tout d’abord à décrire le réseau des relations qui constituent la trame de la vie quotidienne de la Direction66.
42Premier réseau : les relations externes. C’est là qu’on découvre d’étranges constances, des guerres héréditaires, des rapports de force complexes, parfois dangereux pour l’efficacité de la machine administrative (on ne peut concilier l’Éducation nationale et le Travail en matière de formation professionnelle)67. Ces lieux de conflits, ces rapports de forces doivent être inventoriés systématiquement (avec les gîtes documentaires correspondants) ; l’historien a un avantage, il possède les critiques de l’autre contre la myopie, la faiblesse, les variations, l’inefficacité de la Direction étudiée : il bénéficie donc d’une vue relative des choses, surtout s’il est prudent dans l’interprétation (on ne peut croire personne sur parole, ni d’un côté ni de l’autre)68. On dresse ainsi un tableau des relations de la Direction avec les Directions opérationnelles du Ministère, ou la Direction du personnel (et du budget), avec qui les conflits sont nombreux, avec le cabinet (où la Direction envoie des conseillers officieux ou non), avec les autres ministères rivaux, avec la Direction du Budget au ministère des Finances. Mais il faut aller plus loin et décrire les relations avec le cabinet du Premier Ministre (où la Direction a son « correspondant »), avec le cabinet du Président de la République, avec le Commissariat au Plan, avec les commissions du Parlement, avec les corps de contrôle... On a l’arbre des conflits (dans une vue simpliste des choses), avec les moyens de pression et de résistance : mais il n’est pas aisé de décrire pour un moment donné l’ensemble de ces relations souvent informelles (ainsi entre les ministères sociaux et le « service des affaires sociales » du Plan, qui noue des contacts utiles avec les syndicats) et de saisir les absences, les défaillances, les maillons faibles du système... Un directeur a pour mission principale de défendre sa direction, de la protéger et d’étendre son influence69 : c’est un mauvais directeur s’il laisse s’affaiblir la réputation de la Direction, s’il laisse le cabinet imposer des nominations, dicter sa « politique », s’il accepte une réforme dangereuse, ou s’il laisse filer une de ses attributions, fût-elle minime. Et rappelons que pour certaines grandes directions il était important d’avoir des liens directs avec la presse (alors que depuis 1968 les cabinets ou les « directeurs de la communication » accaparent les rapports avec la presse)70. Pour l’historien, le point le plus délicat est l’étude des rapports de la Direction avec le cabinet du ministre71, qui peut, dans certains ministères, exercer un contrôle fort étroit et même chercher à faire de la gestion directe (en travaillant avec les sous-directeurs et en court-circuitant le Directeur...)72.
43Deuxième réseau : les satellites. On trouve, autour de chaque direction, une sorte de nébuleuse de satellites, d’affidés, d’usagers, d’institutions « sous contrôle », de fonds, de comités, de conseils, qui dépendent étroitement de la Direction, qui l’informent, qui étendent son pouvoir, mais qui aussi, en retour, exercent certaines pressions sur elle73 : or chaque direction a son système (les « satellites » du Trésor, les usagers formés en puissantes fédérations professionnelles ont souvent un poids considérable)74. A côté de la Direction, il y a des bureaucraties secondaires75 qu’on connaît mal, qui ont des « relations privilégiées » à la direction (ou à la sous-direction), qui peuvent l’aider quand elle est menacée ; ce maillage est difficile à saisir de l’extérieur : quand on prend un poste de conseiller technique dans un cabinet, chargé de contrôler une direction, on a la plus grande peine à se retrouver dans ces réseaux d’influences, à évaluer le poids ou le rôle de chaque dirigeant76, à soupeser l’indépendance et l’impartialité de la direction dans une multitude d’affaires concernant ce « système ». Une Direction a besoin, en principe, de renseignements : et c’est par ces réseaux que remontent souvent les bonnes informations, celles qui permettent à la Direction d’être au courant de ce qui va se passer (et avant le cabinet). Mais quand on interroge les responsables de ces organismes, ils ont souvent une opinion très critique sur la Direction et ses agents, ils ont la mémoire des défaillances, des « accidents », des promotions injustifiées77 et c’est tout bénéfice pour l’historien. A l’inverse, la Direction juge souvent ces satellites, ces « bureaucraties subordonnées », médiocres, obsolètes, indisciplinées, surprotégées, dangereuses – et marque bien la nécessité de les contrôler étroitement78.
44Troisième réseau : le réseau des relations internes.
45On touche là à un monde difficile à cerner : les équilibres sont complexes entre le directeur (et son cabinet, ses chargés de mission, ses protégés) et les sous-directeurs ou chefs de service, qui ne lui sont pas favorables, entre le directeur et les syndicats (s’il y a lieu). De plus, dans une Direction, on trouve des sous-directions (et des bureaux)79 qui ont un poids politique (les cabinets les surveillent attentivement) par l’octroi de subventions, par les faveurs qu’elles accordent, par leur « clientèle », d’autres qui ont un poids économique, qui distribuent des crédits, d’autres qui n’ont qu’une faible influence, qui sont de simples gestionnaires. Mais ce schéma est trop simple, car souvent les attributions s’enchevêtrent, et il est très difficile de connaître le poids réel vis-à-vis de l’extérieur de telle ou telle sous-direction.
46Or les frictions et conflits entre les personnes, les traditions, les doctrines sont souvent nombreux et malaisés à comprendre : un sous-directeur trop indépendant peut être mis sur la touche, ou remplacé, les querelles de personnes se doublent habituellement de querelles politiques ou idéologiques plus ou moins ouvertes, et les procès d’intention sont fréquents : mais la chronique n’est pas facile à conter, on peut prendre facilement le change, et on doit se méfier des témoignages (un directeur médiocre tend toujours à se plaindre de ses sous-directeurs)80.
47Quatrième réseau : le réseau des services extérieurs. Nous n’évoquons que pour mémoire ce point81 : car l’importance des services extérieurs, leur poids dans la vie de la Direction, dépendent du ministère concerné, et l’étude des relations mutuelles, des pressions de la centrale et des techniques de résistance (ou d’inaction) des services extérieurs (toujours hostiles aux « pailleux » des bureaux) est des plus compliquées, qu’il s’agisse de gestion de personnel ou de prises de décision ; ce qu’on appelle hiérarchie recouvre une masse de décisions, qu’on a grand peine à analyser, sauf à prendre un dossier précis et à vérifier par les comptes rendus, les correspondances, les notes internes, comment il est traité à la sous-direction et comment on applique – bien ou mal – les décisions dans x départements : mais on sait que, sauf de rares exceptions, une instruction ou circulaire n’est jamais prise en consultant les responsables des services extérieurs (ainsi à la Direction générale des Douanes).
48Pour étudier ces divers réseaux, l’historien est quelque peu débordé par la tâche :
il lui faut croiser les sources écrites et les sources orales, contrôler les unes par les autres ;
pour le passé lointain, il dépend étroitement des sources écrites, et notre connaissance est des plus limitées des conflits internes, des relations exactes avec les « satellites » (et surtout les documents sont difficiles à décoder) ; on peut toutefois s’attacher à en retrouver les traces dans la presse administrative (et la presse syndicaliste), la presse des associations professionnelles, dans les articles de doctrines concernant la réforme administrative, dans les rapports des comités de réforme (tel le Comité de la Hache) et des corps de contrôle, dans les souvenirs d’anciens. Mais la récolte risque d’être maigre pour les années antérieures à 1914. Or le pire ennemi de l’historien de l’administration, c’est la certitude : croire savoir ce qu’on ne sait pas vraiment, c’est sottise ; il faut donc inventorier avec soin ce qu’on ne sait pas, ce qu’on ne peut savoir (ou ne pourra savoir), qui est peut-être « le plus important ». Mais il y a souvent des chances pour le chercheur, des « trouvailles » (ainsi Combarieu n’a publié qu’une partie de ses souvenirs) : rien n’est assuré (on peut même retrouver des souvenirs d’un directeur, et même un journal).
V. L’étude du personnel
49C’est là une histoire où il faut une grande prudence, l’expérience administrative montrant qu’on ne sait pas grand-chose en ce domaine82 (on doit faire la part de réseaux d’amitiés, des affinités, des atomes crochus, des clans et des chapelles) ; même quand on est témoin, il est difficile de savoir les raisons de tel avancement, de telle nomination « inespérée », de tel blocage de carrière « immérité », et les dossiers de personnel sont souvent peu explicites (ils sont parfois vides, les notations sont presqu’identiques – car c’est la mémoire des services du personnel qui est la plus importante, ils « savent tout ») : et nécessairement dans une Direction, il y a des personnalités fortes, des fonctionnaires moyens, des agents médiocres (et bien entendu les médiocres se soutiennent entre eux).
50Il faut savoir limiter ses ambitions :
on peut recouper les témoignages oraux (les jugements sur tel ou tel sont souvent contradictoires) ;
le dossier personnel n’est pas toujours fiable, notamment pour l’encadrement (on fait parfois l’éloge de X pour en débarrasser la Direction – ou par crainte de ses protecteurs, et on dément souvent oralement l’appréciation écrite) ; au surplus tout le monde connaît la valeur de chacun dans une direction – et même sa vie privée ;
même aujourd’hui, il n’est pas facile d’apprécier les qualités administratives d’un agent : un contrôleur n’a pas le même point de vue que le directeur (il y a souvent beaucoup de complaisance, ou de résignation : « on fait avec », on veut la paix, comme M. Nègre) ;
les agents moyens ou médiocres ont tendance à surestimer leur rôle, leur efficacité, à se faire valoir, ils ont besoin d’être « reconnus » : c’est une tradition administrative acceptée ;
les souvenirs et récits autobiographiques sont le plus souvent des plaidoyers, dont il faut se méfier.
51On doit donc être très circonspect quand on écrit sur ces problèmes, et on sait que tel agent brillant peut devenir médiocre83, que tel jeune directeur peut décevoir beaucoup le ministre qui l’a nommé84, que la politique peut pervertir le système des avancements « normaux ». La chronique d’un ministère abonde en anecdotes de ce type : en fait, la gestion du personnel comporte nécessairement une grande part d’arbitraire, et les services du personnel ont des traditions solides de scepticisme. Chaque fonctionnaire (bon ou médiocre) joue un jeu personnel, avec les cartes qu’il possède (et notamment les hauts fonctionnaires) : l’avancement est souvent une obsession85, qui peut fausser le jugement et conduire à intriguer86 ; ce sont là des règles acceptées communément : l’historien ne peut tout comprendre, il reste nécessairement en deçà.
VI. L’esprit de la direction
52On est là dans un domaine délicat : il y a un langage, des habitudes, des réflexes, des passions même propres à chaque direction, chacune a ses structures intellectuelles, son style, sa vision du monde, sa forme de scepticisme : mais il n’est pas facile de décrire cet esprit, d’expliquer ses particularités (il y a un esprit Budget, un esprit Trésor, un esprit Comptabilité Publique, un esprit Personnel, personne aux Finances ne s’y trompe)87. Or ce qui est important, c’est de pouvoir saisir les composantes, les racines, l’économie de cet esprit de corps propre à chaque Direction, qui fonde en quelque sorte sa légitimité, qui n’est pas « raisonnable », mais qui a des conséquences non négligeables (on sait les conséquences de la « logique » de la Direction du Budget ou du Trésor...). Comment décrire cet esprit de corps, ou cet esprit de « boutique » ? Il faut faire la part :
du dressage au départ, de la formation « professionnelle » (ainsi au Budget) ;
du sentiment de supériorité, soigneusement entretenu, sur les autres directions ;
de la conscience d’une doctrine, de certitudes transmises par les anciens (on le voit bien dans une Direction du personnel, où l’on « transmet » des valeurs écrites, où l’on renforce les sentiments de défiance vis-à-vis de la nature humaine, où l’on enseigne un scepticisme intelligent)88 ;
des garanties d’avancement, de « débouchés », de « carrière courte » (ainsi au Budget) : on est le bon élève qui au bout de x années méritera cet établissement public, ou cette Trésorerie générale, si on a montré le zèle, l’habileté nécessaires et entretenu des amitiés fructueuses ;
de la solidarité vis-à-vis des menaces extérieures (contre ce qui peut troubler l’avancement, affaiblir la direction, les menaces du cabinet ou les nominations extérieures) et pour défendre les « gens de la maison » qui sont attaqués : ne pas paraître divisé, c’est essentiel pour une « maison » ou un corps.
53Or cet esprit de corps des responsables descend vers le personnel subordonné, qui tient beaucoup au prestige de la maison, qui donne les coups de collier nécessaires, qui est légitimiste par principe, « dévoué aux chefs », quels qu’ils soient, qui ne distingue pas le service de l’État du service de la Direction (il tend même à surestimer l’action de la « maison »).
54L’esprit de corps était la force de la bureaucratie d’autrefois (où l’on faisait toute sa carrière dans une direction89), il était la source de carrières régulières (chacun savait jusqu’où il pourrait aller, et à quelles dates) dans un système relativement peu politisé (même au Quai d’Orsay, on ne faisait pas de politique avant 1940, ou du moins on n’affichait pas ses opinions). Cet esprit de corps a souvent été affaibli, en particulier depuis vingt ans, par la politisation et « l’esprit de parti », par une mobilité accrue des carrières (on passe plus facilement d’un ministère à l’autre), mais il reste encore l’armature des Directions : il est en effet le fondement :
des coutumes (par exemple d’avancement, de notation) ;
des normes non écrites de cooptation ;
des liens hiérarchiques, encore très vivaces dans certaines « maisons » (parfois la hiérarchie était très pesante) ;
d’une doctrine de gestion, souvent à racines lointaines, qu’il faut examiner sous-direction par sous-direction ;
d’un certain taux de désordre (l’esprit de corps couvre souvent les défaillances d’individus ou la médiocrité de tel bureau)90 ;
d’un certain conformisme ou scepticisme « raisonnable » (on ne montre pas trop de zèle, on se méfie par principe des esprits aventuriers, d’un individualisme trop poussé)91.
55On est là dans un domaine assez trouble de la psychologie administrative : qu’est-ce qui fait mouvoir la machine, sinon cet esprit de corps qui excite au travail, qui garantit la qualité des papiers ? Cet esprit de corps est souvent mal vu aujourd’hui, à tort, car il se traduit par l’indépendance vis-à-vis des politiques, et de la politique partisane, par la résistance aux différentes modes administratives, aux pressions intéressées de certains groupes sociaux, par la défense de quelques privilèges, le maintien de certaines traditions : mais chose étrange, nous n’avons aucune analyse sérieuse de l’esprit de corps qui est la marque d’une bonne bureaucratie : on ne voit que les menus inconvénients de l’esprit de corps, on n’en mesure pas les avantages.
Conclusion
56Peut-on, de ces quelques orientations de recherche, tirer quelques conclusions ?
57Première leçon : on ne peut tout faire. Il faut, pour une direction, se limiter à quelques aspects fondamentaux, et fixer ses objectifs en fonction des témoignages, de la tradition orale du service, de la qualité des sources écrites.
58Deuxième leçon : d’une étude sur une direction on en peut guère établir de conclusions qu’à titre provisoire ; on n’a fait que déchiffrer des parcelles de la réalité administrative ; une direction est chose infiniment complexe, même un Directeur (aujourd’hui) ne sait pas tout ce qui se passe dans sa direction, et il a intérêt parfois à ne pas le savoir (et le contrôleur reste souvent sur sa faim) : comme dans toute bureaucratie, il y a une part de mensonge ou de fiction que l’on a grand peine à saisir. Aussi l’historien, répétons-le, doit-il montrer une grande prudence et ne pas se lancer dans des conclusions dogmatiques aventurées92.
59Troisième leçon : il faut sans doute au départ se montrer ambitieux, chercher à saisir des « ensembles », vouloir examiner dans le détail les missions de la direction, les modes d’action, les interventions, les prises de décision : mais on ne peut se faire d’illusions, on reste nécessairement en deçà, tant les mécanismes sont complexes ; on n’a le plus souvent que des « vraisemblances » : même aujourd’hui, un contrôleur ne peut dire avec certitude si une sous-direction marche bien ou mal93.
60Quatrième leçon : la qualité des travaux dépend, à l’évidence, de la qualité des travaux préparatoires et de la fixation habile des priorités : il est très dangereux d’aborder l’histoire d’une direction sans avoir ces éclairages d’ensemble, sans disposer d’orientations intelligentes, sans savoir comment poser les bonnes questions ; la formation préalable des chercheurs – universitaires ou anciens de la « maison » – nous paraît une condition capitale : l’historien doit posséder, dans ce genre de recherche, un savoir technique préalable – ce qui limite nécessairement le nombre de chercheurs.
Notes de bas de page
1 Nous ne possédons guère que l’histoire de la Direction des Cultes par J.-M. Leniaud et les travaux de J. Clinquart sur la Direction générale des Douanes.
2 Notamment sur l’histoire de la Direction du Trésor depuis 1945 (Laure Quennouëlle) et celle de la Direction de la Prévision (Aude Terray). L’histoire de la Direction du Budget et celle de la Direction Générale des Impôts sont inscrites au programme. Les travaux de L. Quennouëlle et A. Terray utilisent très largement les archives orales.
3 Sur les incertitudes de l’histoire administrative, cf. G. Thuillier, « Pour une prospective de l’histoire administrative contemporaine », Mouvement social, octobre 1991, p. 71-83, et (avec J. Tulard), « Aspects de la fonction publique en France au xixe siècle », Revue internationale des Sciences administratives, 1980, p. 175-178.
4 Sur la notion d’ingénierie historique sur laquelle repose l’histoire des Comités d’histoire des ministères, cf. G. Thuillier et J. Tulard, Les écoles historiques, 1993, p. 110-114 et supra, p. 71.
5 C’est la méthode du « tricotage » : une maille à l’envers, une maille a l’endroit : ce qui est par-dessous joue souvent un rôle déterminant.
6 Et tout particulièrement d’un fait essentiel : un fonctionnaire exerce ses fonctions souvent 40, 45 ans, au travers de plusieurs « régimes » ou systèmes politiques – ce qui engendre un solide scepticisme. Et il est souvent formé à 20 ans par des administrateurs de 60 ans, eux-mêmes formés 40 ans plutôt : c’est là une réalité difficile à saisir de l’extérieur.
7 Quand on fait l’histoire d’une Direction, il faut « évaluer » les risques que l’on prend : mais cela suppose du bon sens et de la finesse (il faut parfois renoncer à décrire certains aspects de la vie administrative). La notion de risque est souvent très mal perçue par l’historien : c’est seulement lorsqu’il soutient sa thèse devant un jury qu’il en prend conscience (cf G. Thuillier et J. Tulard, La morale de l’historien, 1995).
8 Ce genre de citations sert souvent à couvrir une grande ignorance des réalités administratives. Au demeurant, le « modèle » weberien est inspiré par la bureaucratie allemande d’avant 1900 et n’est guère utilisable, même avec de grandes précautions (cf. N. Grandguillaume, Théorie générale de la bureaucratie, 1996).
9 Un contrôleur sent vivre une direction, il finit rapidement par en connaître les détours et les secrets (cf. N. Grandguillaume, Théorie générale du contrôle, 1994).
10 Y compris les anciens du cabinet, qui ont un jugement souvent fort critique sur la Direction qu’ils ont eue en tutelle.
11 En aucun cas, il ne faut faire de questionnaires écrits : le haut fonctionnaire déteste répondre par écrit, parce qu’il se sent engagé et qu’il tend toujours à biaiser ou à dissimuler, ce que n’a pas compris un Ezra Suleiman.
12 Ces notes, rédigées le soir pour le Ministre, n’étaient pas versées au bureau d’ordre et étaient détruites au départ du Directeur.
13 Ces effets de brouillard ont toujours existé, un chef de bureau, Aimès, les décrit déjà en 1886 pour l’administration de la Guerre dans La réforme administrative et le favoritisme (cf. G. Thuillier, Bureaucratie et bureaucrates en France au xixe siècle, 1980, p. 113-133, notamment p. 121) : Aimés est un des très rares auteurs qui décrive en termes réels la vie des directions.
14 Cf. « Si j’étais plus savant », Études et documents, t. VII, 1995, p. 488.
15 Si l’on n’a pas cette expérience, on peut en partie y suppléer en « feuilletant » attentivement les mémoires des anciens de la Direction.
16 Ainsi, dans les années 1960, le Commissariat au Plan a-t-il été considéré comme une menace par la Direction du Budget, qui a réagi vivement (avec les ateliers budgétaires).
17 Ainsi les problèmes européens n’ont-ils pas pendant très longtemps été gérés par l’Éducation nationale.
18 Il nous manque une théorie des frottements dans l’administration (dans le domaine social, cf. « Les frottements sociaux », Revue administrative, 1991, p. 534-536).
19 Il y a des régressions, des crises (ainsi la disparition récente de la Direction du Médicament, dont une grande partie des pouvoirs est passée à l’Agence du médicament), et on sait les difficultés depuis quelques années de la Direction générale des Douanes avec l’ouverture des frontières.
20 Il faut bien faire la part des personnalités : il y a des directeurs qui ont du prestige, de l’autorité sur leur ministre, qui attirent de bons éléments, qui veulent laisser leur marque, qui à leur départ laissent en place des équipes dynamiques (ainsi un Julien Cain à la Direction des Bibliothèques, un Charles Braibant aux Archives nationales) : leurs successeurs en pâtissent souvent.
21 Cf. G. Thuillier et J. Tulard, La morale de l’historien, ouv. cité, p. 17 et suivantes.
22 Sur les difficultés de la science administrative actuelle, cf. « Où en est la science administrative ? », Revue administrative, 1993, p. 455-456.
23 L’erreur de Crozier dans Le phénomène bureaucratique (1964) est d’avoir (sur le modèle américain) méconnu la différence entre les administrations régaliennes et les entreprises (il n’a pris pour exemples que les manufactures de tabac et les chèques postaux) : Crozier n’avait jamais lu Hegel (cf. N. Grandguillaume, Théorie générale de la bureaucratie, ouv. cité).
24 La notion d’efficacité d’un service n’est pas mesurable, tous les contrôleurs le savent, et L. Rouban a bien montré que les doctrines de l’évaluation des politiques publiques étaient plus ou moins des « manipulations » à des fins proprement politiques, dirigées contre les « élites » traditionnelles.
25 La valeur de son travail en a été altérée – et il a fait sourire les administrateurs de métier : un historien ne peut guère utiliser son travail. En fait, Suleiman aurait dû interroger aussi les gens des cabinets et confronter leurs points de vue avec ceux des directeurs.
26 Les corps de contrôle inspectent, il est vrai, rarement les directions du ministère : c’est une sorte d’accord tacite, qui n’est rompu que par accident...
27 Faut-il rappeler les critiques de la Cour contre la Direction de la Sécurité civile du ministère de l’Intérieur ou les services informatiques du ministère de la Justice ? Avant d’étudier une direction, un jeune historien pourrait pour se former – au lieu de lire Weber – feuilleter les rapports publics de la Cour (les rapports de l’Inspection des finances sont malheureusement confidentiels et concernent très rarement les administrations centrales).
28 Déjà dénoncée par Aimés (ouv. cité, p. 121).
29 On peut citer, à titre d’exemple, les souvenirs très intéressants du Directeur général de la Santé, le Dr Pierre Charbonneau, publiés en 1977, Combat pour la Santé, 286 p., sur la Direction qu’il venait de quitter : on y trouve une naïve satisfaction et un grand contentement de soi – alors que la Direction était en mauvais état, au jugement des cabinets successifs.
30 Les critiques du Commissariat au Plan, celles de la Direction du Budget – au courant de trop de choses – sont mal accueillies, étouffées ou presque (il suffit de plaider « le manque de moyens »).
31 Cette bonne conscience est renforcée par les approbations « intéressées » des clients et « abonnés » de la Direction (même s’ils se plaignent d’une tutelle trop étroite).
32 Un service du personnel « n’a pas de cœur, pas de moralité, mais il a de la mémoire » : c’est un axiome qui vaut pour toutes les époques.
33 Par exemple, pour les années 1870-1900 on a surtout des critiques contre la Direction de la dette inscrite (qui s’opposait au système de capitalisation des retraites), contre son étroitesse de vues – ce qui peut être une source d’erreur.
34 Les souvenirs de Crouy-Chanel sur Alexis Léger, secrétaire général du Quai d’Orsay de 1932 à 1940, montrent bien que le poids du secrétaire général variait avec le tempérament du ministre, il était sans cesse obligé à des compromis.
35 Même quand on a été mêlé personnellement à une nomination un peu « difficile », on ne sait, en fait, qu’une petite partie des choses.
36 Cf. « Qu’est-ce que former un historien ? », Revue administrative, 1996, p. 117-123, et infra, p. 353.
37 Cf. supra, p. 5.
38 Cf. « Réflexions sur la demande en histoire », dans Études et documents, t. II, 1990, p. 379-386.
39 Cf. « L’histoire génétique », dans L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 713-721.
40 Cf. Pierre Vaisse, La Troisième République et les peintres, 1995, p. 41 et suiv.
41 Il est nécessaire d’affirmer l’autonomie de cette histoire, car depuis 1920-1930, l’histoire économique et sociale a cherché – et souvent cherche encore – à passer sous silence l’histoire de l’Etat (et de l’administration), pour des motifs idéologiques flous (elle confondait abusivement cette histoire avec une histoire des institutions purement descriptive). L’histoire de ces conflits – et de leurs conséquences – reste à retracer.
42 Supra, p. 37.
43 Rappelons qu’une histoire approfondie d’une Direction peut servir utilement l’histoire administrative générale et que l’histoire administrative générale peut permettre de poser les « bonnes questions » : l’échange est double.
44 Sur le clandestin dans l’administration, supra, p. 56, et infra, p. 405.
45 Rappelons l’importance d’un Bloch-Lainé, d’un Gregh, d’un Guindey, d’un Laroque.
46 Si nous avons si peu de souvenirs de directeurs, c’est que beaucoup ont été des directeurs « conformistes », qui n’avaient pas véritablement de politique personnelle.
47 Par exemple, pour une période récente, la Direction de la Population et des Migrations aux Affaires sociales.
48 Il faudra sans doute un jour créer un enseignement d’ingénierie historique pour tirer la leçon des expériences des Comités d’histoire, qui ont chacun leurs méthodes, et leur savoir-faire.
49 Infra, p. 193.
50 Par exemple, la loi du 31 décembre 1970 sur la lutte contre les toxicomanies : l’étude d’un projet de loi permet de voir le jeu des intérêts, les conflits entre services et entre ministères (en l’occurrence, Intérieur, Justice, Santé), les réactions à l’extérieur, le rôle des politiques (et des cabinets) : mais il faut avoir les souvenirs des principaux acteurs (et leurs « notes » ou leurs « chronos » qui précisent les souvenirs).
51 Rappelons que les administrateurs tiennent fort rarement un journal...
52 Cf. « Comment développer la formation post-universitaire en histoire ? », Revue administrative, 1995, p. 322-327 et L’histoire entre le rêve et la raison, ouv. cité, p. 849-860.
53 Cette méthode est fort rentable : car ces chercheurs peuvent travailler 10-15 ans, et ils peuvent lire correctement les textes, décoder les conflits, ce qui n’est pas toujours le cas pour les historiens de métier.
54 Au Comité pour l’histoire économique et financière en 1993-1994 un séminaire a eu lieu sur la Direction du Trésor, qui mêlait les jeunes chercheurs, des administrateurs de la Direction et des « anciens ».
55 On sait par exemple les divergences d’interprétation sur le rôle des cabinets, institution coutumière très controversée (infra, p. 129).
56 Cf. infra, p. 545.
57 Sur le concours autobiographique pour le Trésor, cf. infra, p. 347.
58 C’est une source beaucoup trop négligée pour l’histoire des Directions : les réponses des administrations aux questionnaires des commissions parlementaires contiennent souvent beaucoup de données inédites. Les commissions des Finances disposent egalement des rapports des contrôleurs financiers.
59 Ainsi Roger Grégoire avait-il fait un cours à l’ENA sur la fonction publique en 1951, les interventions des élèves figurent dans le polycopié.
60 Ainsi l’Inspection générale de l’administration à F Éducation avait-elle établi en 1968 un curieux rapport sur l’administration centrale, Direction par Direction, en vue d’un transfert dans les bâtiments de l’OTAN : c’est un témoignage fort utile pour l’historien.
61 Leur inventaire est très difficile à faire ; quelquefois elles sont confidentielles et tirées à petit nombre (ainsi aux Affaires étrangères).
62 Elles sont fort nombreuses et rarement conservées. Un mémoire de l’INTD de M.-C. Chadal avait relevé 184 titres pour les années 1956-1966, dont 34 pour les Finances (Les publications des syndicats des fonctionnaires, 1969, 99 pages). Or les publications syndicales peuvent apprendre beaucoup sur la vie d’une Direction, et les conflits internes... Pour chaque Direction, il faut inventorier ces sources syndicales. Malheureusement les collections de ces publications sont difficiles à retrouver (on ne possède plus la collection complète de La Voix des ministères avant 1940).
63 N’oublions pas qu’à côté des archives de la Direction, il y a lieu d’explorer les archives de la Direction du Personnel et du Budget, celles des cabinets (quand elles sont conservées), celles du Secrétariat Général du Gouvernement (notamment pour les procès-verbaux de réunions interministérielles, les « bleus »), celles du Commissariat au Plan, celles du SGCI, également les archives de la Direction du Budget, qui jadis avait des dossiers fort bien classés : c’est tout un modèle d’archives qu’il faut établir.
64 Cf. F. Descamps, « Les archives orales au Comité pour l’Histoire économique et Financière ou la fabrication d’une source », Études et documents, t. III, 1991, p. 511-538, et infra, p. 339.,
65 Il faut se défier des résumés : comment peut-on résumer un Avis du Conseil d’Etat où chaque mot porte ? Et pour bien comprendre une loi, ou un décret important, il faudrait avoir les discussions préalables, les négociations entre le rapporteur du Conseil et les représentants de l’administration, les différentes versions du texte, les discussions de la section et de l’assemblée générale : la genèse d’un texte un peu compliqué est difficile à saisir.
66 C’est là un travail nécessaire de dénombrement et d’inventaire de problèmes.
67 Et les querelles entre la Santé et l’Éducation sur l’enfance handicapée dans les années 1965-1975 rappellent étrangement celles entre Binet et le Dr Boumeville en 1900-1905.
68 L’expérience du contrôleur rejoint là celle de l’historien...
69 Sur la psychologie d’un directeur, on lira nos remarques « Des directeurs de ministère », dans Regards sur la haute administration, 1979, p. 35-43 (publiées en 1975 dans la Revue administrative) : évidemment c’est le point de vue d’un conseiller de cabinet.
70 De même, les directeurs importants avant 1960-1968 négociaient parfois « leur budget » directement avec le bureau compétent de la Direction du Budget, et ils avaient souvent des députés affidés.
71 Cf. G. Thuillier, Les cabinets ministériels, 1982.
72 Dans certains ministères, traditionnellement, les conseillers techniques du ministre sont délégués par la Direction : ce qui permet d’éviter des conflits, mais limite fort l’indépendance des conseillers et l’autorité du ministre.
73 Faut-il rappeler la quasi-indépendance de l’ANPE et de l’UNEDIC par rapport au ministère du Travail et au Délégué à remploi, qui assure une « tutelle » lointaine ?
74 Ainsi, on ne peut oublier, à la Santé, le poids politique traditionnel de l’industrie pharmaceutique, qui a ses entrées à Matignon et à l’Elysée.
75 Selon le mot de Marx dans sa Critique de la philosophie du droit d’Hegel.
76 C’est un « milieu » et les personnalités les plus influentes n’apparaissent pas directement : ce qui incite à une grande prudence.
77 Quelquefois, ils sont « dans les affaires » depuis très longtemps, alors que les chefs de bureaux et sous-directeurs sont « tout neufs » : ce sont eux qui ont la mémoire de la direction.
78 L’affaire dite du « sang contaminé », qui concerne le Centre national de transfusion sanguine, a montré nettement le poids de ces organismes « sous tutelle » et le danger d’une insuffisante surveillance – financière et technique – de ces « satellites » : c’est un cas d’école.
79 Rappelons qu’il y a eu une inflation des titres et qu’un bureau des années 1940-1950 correspond souvent à une sous-direction d’aujourd’hui.
80 Rappelons que le plus souvent, un directeur n’a pas choisi ses sous-directeurs.
81 C’est en fait une autre histoire qui est engagée là : celle des services extérieurs, elle exige un tout autre questionnaire.
82 C’est un domaine où la science administrative pénètre fort peu, tellement il est complexe, et l’on sait que les corps de contrôle ne contrôlent presque jamais les Directions du personnel (mais c’est un oubli volontaire) : c’est un sujet tabou.
83 On ne sait pourquoi, et on dit simplement : « il a mal vieilli ».
84 Edgar Faure ne changeait pas ses directeurs parce qu’au moins il connaissait leurs défauts...
85 Cf. R. Catherine et G. Thuillier, L’être administratif et l’imaginaire, 1982.
86 Pour l’administration d’autrefois, on lira le témoignage d’Aimés en 1886 (ouv. cité).
87 Et à la Direction générale des Impôts on trouve encore – malgré la fusion – des traces de l’esprit « enregistreur » – mais il est presque disparu. Au ministère de F Éducation nationale, le conflit entre l’esprit du supérieur, et l’esprit du secondaire a souvent eu des conséquences fâcheuses.
88 Rappelons que pour le Budget, la doctrine traditionnelle était fondée sur le gaspillage général, l’insouciance des ministères dépensiers, leur mauvaise gestion, leur incapacité à justifier leurs dépenses (ainsi en 1968 le Budget avait-il la plus mauvaise opinion de l’emploi des crédits de recherche dans l’Université). Et une note du Budget devait montrer l’erreur et la mauvaise foi des « gestionnaires » ; c’était presque un jeu rituel : mais le Budget avait souvent raison.
89 Ce n’est que depuis les années 1970 qu’une certaine mobilité s’est introduite.
90 Dans tel bureau du ministère de la Santé, chargé de l’aide à l’enfance, la gestion du secteur était, en 1970, des plus routinières alors que les conséquences étaient fâcheuses ; il a fallu, pour tout changer, créer des commissions, Dupont-Fauville, puis Bianco, qui ont réformé l’aide sociale à l’enfance : mais en 1970, personne ne s’inquiétait de cette gestion médiocre... Or dans chaque direction ou presque on trouve de tels bureaux « dormants » – l’expérience du contrôle le montre.
91 Ce qui explique les projets de réforme avortés, les rapports oubliés, les circulaires non signées et l’éviction des éléments « non conformes ».
92 Sur la prudence nécessaire de l’historien, cf. G. Thuillier et J. Tulard, La morale de l’historien, ouv. cité, p. 43-47.
93 Cf. N. Grandguillaume, ouv. cité, p. 49.
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