La demande en histoire administrative
p. 37-70
Texte intégral
1On s’intéresse à la production d’histoire administrative – on déplore le petit nombre de chercheurs, de travaux –, mais on oublie de s’attacher à la demande en histoire de l’administration : que convient-il d’étudier quand on « fait de l’histoire administrative » ? Quand on cherche à explorer l’histoire d’un ministère, d’une direction, à quelle demande – expresse ou implicite – doit-on répondre1 ? La théorie de la demande en histoire n’est pas encore faite2, mais c’est une voie qui mérite d’être explorée. Cet étudiant fait une thèse sur le ministère de... : que dois-je trouver dans sa thèse ? Quelles sont les lacunes probables sur des sujets importants ? Quels conseils dois-je lui donner ?
2Une des approches possibles est de dresser l’arbre de la demande, c’est-à-dire d’inventorier le champ de recherche et de dénombrer les disciplines et sous-disciplines correspondantes. Cet arbre de la demande doit permettre d’affiner le questionnaire et de déterminer :
ce qu’il faut traiter en priorité,
ce qu’il ne faut pas oublier, ou dissimuler,
ce qu’il faut chercher à comprendre, même si on n’a pas toujours les sources nécessaires.
3On ne doit pas raisonner de façon restrictive, il faut inclure des recherches ou types de recherche abandonnées ou dédaignées pour lesquelles il n’y a actuellement aucune « demande » : à chaque segment il faudrait évaluer la demande existante, la demande inédite, qu’il serait nécessaire d’analyser (par exemple la demande d’histoire des années 1950-2000)3. Sans doute l’exercice peut-il paraître arbitraire (on découpe a priori un champ de recherche), mais il faut bien voir l’avantage de telles explorations :
l’arbre de la demande fournit une grille de recherche pour l’histoire d’un service, d’une institution quelconque, il oblige à poser quelques questions gênantes, auxquelles on ne peut répondre qu’imparfaitement, à compliquer l’analyse (l’histoire administrative est une histoire qu’il faut compliquer) ;
il incite à prendre en compte des secteurs inexplorés, méprisés, trop techniques (par exemple l’histoire des retraites) ou trop difficiles (l’histoire du style administratif), à se rapprocher de la vie administrative telle que nous la pratiquons chaque jour (et telle qu’elle n’est pas enseignée4) : l’historien doit s’attacher à l’administration telle qu’elle est, avec ses erreurs, ses défaillances, ses vices, sa vie souterraine, et non telle qu’elle doit être suivant les « normes » juridiques. Ceci conduit à exiger beaucoup de l’historien, mais il s’agit ici d’un « programme » destiné à guider le chercheur, à lui donner des repères, à faciliter les monographies.
4L’histoire administrative est encore incertaine de ses méthodes, elle est peut-être inquiétante par ses ambitions – c’est une histoire subversive dans la mesure où elle incite au scepticisme –, mais on a eu longtemps une conception trop étroite, trop mutilante des choses, en négligeant les hommes (et comme dit le professeur Yves Pélicier, « un homme ne peut se définir uniquement par son revenu, son statut socioprofessionnel, son alimentation, ce qu’il consomme, etc., il vit, il regarde, il pleure, il rêve, il dort, etc. »5), en oubliant les conflits entre administrateurs, en négligeant ce qui est important, et parfois le plus important – ce qui conduit souvent au rejet de cette histoire par ceux qui ont l’expérience de l’administration, qui vivent dans l’administration.
5Quand on cherche à réfléchir sur ce que pourrait être l’histoire administrative dans dix ou vingt ans, à évaluer les mutations de la demande, on est conduit à utiliser de tels instruments d’analyse6 : donnons – tout en reconnaissant l’arbitraire des « orientations » choisies – cet arbre de la demande ; pour chacun des segments ou sous-systèmes évoqués, l’historien doit utiliser des outils, des codes, des méthodes de raisonnement, des sources documentaires différents7. Nous irons de ce qui paraît le plus aisé au plus complexe, de la « fonction personnel » aux diverses images de l’administration.
I. Formation des fonctionnaires
6Il faut s’intéresser de près à ces problèmes de formation, aux différentes formules employées – de l’Académie politique de Saint-Prest à l’École libre des sciences politiques et à l’ENA ; très longtemps, on a admis que la formation sur le tas était la seule valable, on se méfiait des écoles qui créent un esprit de corps et forment des esprits peu souples et indépendants ; l’auditorat au Conseil d’État, le cabinet du préfet étaient considérés comme le meilleur apprentissage8 et pour la diplomatie, certains jugent encore aujourd’hui que c’est la meilleure formule9. Pour toute étude de direction, de service ou d’institution, il faut examiner avec soin les exigences de formation et d’apprentissage (il y avait jadis des aspirants surnuméraires) et les évolutions – très lentes – qui ont eu lieu : chaque maison avait ses coutumes.
II. Recrutement des fonctionnaires
7On est passé d’un système de liberté – où la recommandation, la cooptation, le patronage, la faveur politique étaient déterminants – à un système réglementaire avec des exigences de diplômes, des examens, des concours, et le contrôle du juge administratif. Mais il faut bien voir que chaque système a ses avantages et ses inconvénients, et l’historien doit être très circonspect : l’idée de concours a été très longtemps combattue10, non sans de bonnes raisons, et l’inspecteur général des Finances, François Pietri, notait en 1932 que la généralisation du concours avait été la source de l’affaiblissement de l’administration sous la IIIe République.
8La haute administration était attachée aux concours particuliers – ou aux privilèges d’écoles pour les corps techniques –, mais elle était obligée de faire la part de la faveur politique (tour extérieur des grands corps), de la cooptation (par exemple pour le corps préfectoral, la diplomatie).
9L’histoire de ces différentes techniques mériterait d’être entreprise, également celle de leurs conséquences : il n’est pas facile de gérer des maisons où l’on trouve des agents de provenance très différente (ainsi aux Affaires étrangères, en 1970, des énarques, des anciens de la FOM, des lauréats du concours d’Orient, des agents provenant de la promotion interne, des « intégrés » de 1944-1945). La « promotion interne » a eu souvent des conséquences néfastes avant 191411 : l’administration a beaucoup souffert d’avoir des chefs de bureau qui avaient été recrutés comme expéditionnaires et n’avaient qu’une formation générale médiocre12. L’historien doit avoir une vision souple, ne pas commettre d’anachronismes, et bien comprendre les défauts de chaque système : l’administration a dû supporter – jusque dans les armées 1945-1950 – les conséquences d’une insuffisance de la sélection à l’entrée dans les ministères, et ce fut une des raisons de la création de l’ENA.
III. Avancement
10Un fonctionnaire est quelqu’un qui doit avancer : or les règles du jeu varient suivant les ministères ou les institutions, et il faut étudier patiemment, prudemment les mécanismes de régulation de l’avancement et notamment :
le rapport du choix et de l’ancienneté, variable dans le temps13 ;
les nominations « arbitraires », soit népotisme, soit décisions du cabinet14 ;
les mécanismes de cooptation, qui sont souvent déterminants pour les hauts postes (c’est la seule formule valable, soutenait en 1912 Colson) ;
les pressions du personnel et des syndicats pour obtenir des règles « justes » et un contrôle du juge administratif, et surtout pour accroître la part de l’ancienneté.
11Or les traditions sont très différentes suivant les nécessités des services, leur degré d’indépendance (l’avancement à l’ancienneté a été obtenu tardivement au Conseil d’État, et il est compensé par l’importance du « tour extérieur »), le volume des sorties « à l’extérieur » (ainsi à l’Inspection des finances, dans les corps techniques15). Mais ces problèmes d’avancement sont très délicats, notamment en période d’alternance ou de « transition » politique (la conquête républicaine en 1878-1880 a donné la priorité aux critères politiques16, le poids des cabinets – et des clientèles de partis – a toujours été considérable, notamment dans le choix des directeurs17).
12Il faut, pour un ministère ou un service, étudier le jeu des carrières, les stratégies d’avancement, le poids des grands corps administratifs ou techniques. Certes, l’historien ne peut tout savoir, mais il ne doit pas se fier aux textes de principes : il doit essayer de saisir la vie réelle d’un service ou d’une direction.
IV. Gestion du personnel
13Chaque administration avait ses règles coutumières en ce domaine, et la gestion était confiée à des bureaux du personnel qui avaient de fortes traditions, une certaine indépendance, et dont on connaît mal le fonctionnement et les méthodes18 (les dossiers individuels ont été constitués tardivement, vers 1810 pour les Ponts et Chaussées, après 1815 pour les préfets, les techniques de gestion prévisionnelle apparaissent sous le Second Empire). On a peu étudié cette « fonction personnel »19, ce qui est dommage. Il faudrait s’attacher :
aux techniques de gestion : le dossier individuel était tenu avec soin (on y trouve les plaintes, les coupures de presse, les faire-part de mariage, les interventions, les notes d’audience du ministre, les notes annuelles, souvent rédigées de façon remarquable, les rapports d’inspection générale pour les professeurs). Ce sont, surtout à partir de 1850-1860, des dossiers fort complets – doublés parfois de fichiers ;
à la gestion des cas difficiles, des « petits scandales », des affaires disciplinaires (déplacement, démission forcée, mise à la retraite anticipée20) ; c’est une chronique qui mérite d’être faite par ministère, par direction ou par corps. La tolérance administrative était grande, mais elle avait des limites (par exemple, les dettes).
14Toute étude d’institution ou de service doit comprendre l’analyse de ces mécanismes, et parfois il faut étudier les chefs du personnel qui jouent souvent un certain rôle (ainsi aux Ponts et Chaussées). Les bureaux du personnel ont eu à négocier avec les syndicats et les associations professionnelles à partir de 1910, ils ont réussi à mettre au point des règles d’avancement cogéré. On retrouve parfois les dossiers de ces premières négociations21. Pour les années 1910-1960, il faut examiner cette capacité de négociation (que peut-on lâcher ? jusqu’où faut-il aller dans la concession ? jusqu’où doit-on céder sur l’ancienneté sans nuire à l’intérêt du service ?).
V. Traitements
15C’est une histoire financière de la fonction publique qu’il faudrait entreprendre, avec les incertitudes inévitables sur la validité des chiffres recueillis. Une grande prudence est nécessaire dès qu’on étudie une direction ou une institution.
À côté des rémunérations officielles, il y avait autrefois des indemnités pour travaux, des primes annuelles (à la Guerre, aux Postes), des « répartitions », des remises (aux Finances, aux Postes), parfois de petits emplois annexes : les formes de ces suppléments étaient multiples, la Cour des Comptes s’en plaint dès le Second Empire. Et parfois, l’ingénieur des Télégraphes faisait des « expertises » bien payées pour les industriels. Il n’est pas toujours aisé de connaître le revenu réellement perçu22.
Il faudrait examiner parallèlement les charges, retenues pour les retraites23 (qui passent à 6 % en 1924), et surtout charges coutumières : avoir une domestique était une nécessité pour les fonctionnaires d’un certain grade, et parfois il fallait que Madame eût son jour ; les fonctionnaires (et leurs femmes) étaient en province notés sur la tenue de leurs maisons24.
Il faudrait étudier également les protestations des fonctionnaires contre l’insuffisance des traitements25, la « misère en habit noir », l’anarchie des rémunérations (d’un ministère à l’autre, à grade égal, les écarts étaient considérables), les commissions d’harmonisation.
VI. Retraites
16C’est un secteur de recherche oublié. Or les débats dans les années 1860-1890 sur les retraites par capitalisation et les retraites par répartition ont été très vifs26, et les critiques contre la loi tyrannique de 1853 sont nombreuses dans la presse administrative. Il faudrait étudier la généralisation du droit à retraite (la loi ne le consacre qu’en 1924), les techniques de liquidation des pensions, le jeu des retraites partielles, l’âge à la retraite « réel », la démographie de la population des retraités (et en particulier, l’espérance réelle de vie à la prise de retraite27), la gestion des problèmes délicats (veuves, orphelins, secours annuels aux malades)28. La matière est très riche, les sources abondantes (dossiers personnels des agents des ministères, des enseignants, des ingénieurs des Mines, des Ponts et Chaussées). On examinera aussi la jurisprudence du Conseil d’État et son évolution. Il conviendrait d’analyser également :
les effets négatifs du système de retraite (l’excès de sécurité conduit à l’irresponsabilité), l’impossibilité de se débarrasser des sujets médiocres ou affaiblis, les abus du système29, l’insuffisance des retraites des petits fonctionnaires ;
les régimes particuliers (le nombre de caisses particulières était très élevé avant 1914, par exemple pour les départements, les communes, les établissements publics) ;
l’évolution depuis 1920 du système (avec les problèmes délicats de revalorisation, d’adaptation de la loi de 1853, par exemple pour les conjoints de femmes fonctionnaires).
17C’est une histoire qui reste à entreprendre pour chaque maison ou institution, une histoire difficile si l’on veut examiner non les textes, mais l’application qui en est faite dans les dossiers individuels, les pressions parlementaires en faveur de tel ou tel groupe, les interventions des syndicats30.
VII. Dénombrement des fonctionnaires
18Quand on étudie une institution, un service, il est difficile de savoir combien de fonctionnaires y travaillent, sauf à posséder des registres d’émargement (et encore). Même aujourd’hui, il n’est pas commode de connaître exactement le nombre d’agents employés, par exemple, dans un établissement public, ou même dans une direction31. Pour un ministère donné, on a quelque mal :
à avoir un dénombrement exact des fonctionnaires (la notion de fonctionnaire a varié dans le temps) ;
à connaître la hiérarchie des rémunérations, y compris les primes, sauf à posséder les archives de la direction du personnel ;
à avoir une bonne connaissance des âges, des niveaux de formation, des progressions des carrières.
19Aussi faut-il montrer beaucoup de circonspection quand on avance des chiffres (il faut éviter de mélanger les commis et les chefs de bureau et de fabriquer des courbes) : en 1977, on retrouva dans tel grand ministère plusieurs dizaines de chauffeurs « clandestins », payés sur des crédits de matériel, dans tel autre, en 1982, le personnel de l’hôtel du ministre était payé sur des crédits de réception gérés par un membre du cabinet, et l’on découvrit, dans une direction, cent clandestins relevant d’associations : or ces incertitudes ont existé de tout temps.
VIII. Les femmes fonctionnaires
20Il faut analyser le développement de la féminisation dans le service ou l’institution, les résistances rencontrées, les conséquences, notamment la transformation des métiers : c’est un chapitre nécessaire de l’histoire administrative32, mais il conduit à poser des questions gênantes (pourquoi l’administration centrale des PTT ne comporte-t-elle aucune femme sous-directeur ?), à chercher à saisir les difficultés des « pionnières », leur carrière, leur style de vie, les mutations récentes. Cette histoire est encore inachevée, les méthodes en sont incertaines, les sources mal définies (les archives des services du personnel sont souvent riches quand on peut y accéder33, et les archives orales peuvent apporter beaucoup34).
IX. La famille du fonctionnaire
21C’est là un thème de recherche qui n’est guère exploré : même aujourd’hui on a de la peine pour un ministère, un service, à saisir les données chiffrées, par exemple le nombre des couples et la taille de la famille, le travail de la femme (ou du conjoint) ; ce sont là des éléments souvent négligés, mais qui importent pour avoir une idée claire de la vie de famille (dans les années 1900 on déplorait hautement le célibat des fonctionnaires, on cherchait à encourager les familles nombreuses).
22Il faudrait étudier le couple de fonctionnaires (pratique fréquente à l’instruction publique, dans les Finances, les Postes), les mécanismes de mariage35 et d’ascension sociale, les garanties jadis apportées par le mariage (on se mariait « entre polytechniciens »), les études, le mariage des enfants36. Pour chaque institution, chaque corps, il serait important d’examiner ces caractères corporatifs qui ont eu une certaine importance jusqu’en 196037.
X. La vie privée
23Rien ne serait plus important que de connaître la vie privée du fonctionnaire, ce qu’il lit, ce qu’il pense, ce qu’il croit : cela touche non seulement à la vie familiale (supra, IX), mais aussi à la vie matérielle (le vêtement, la nourriture, le logement, le patrimoine, les revenus « hors traitements »), à l’usage du temps libre (les vacances, les résidences secondaires, la chasse), à la vie intellectuelle (participation à des associations ou groupes politiques et religieux38). Sur tous ces points il faudrait dater les mutations importantes. On connaît mieux ces éléments matériels pour les hauts fonctionnaires (Christophe Charle a montré les limites de telles explorations39). Mais on devrait s’interroger sur la vie des petits fonctionnaires (le Sainthomme de Courteline, l’expéditionnaire Albert Samain), les difficultés d’une vie rétrécie, les budgets, toujours déficitaires40. L’histoire administrative ne peut s’arrêter à la porte des bureaux et demeurer totalement abstraite. Le vêtement, la nourriture, le style de vie, la morbidité41, les lectures, les habitudes de sociabilité, voilà ce qui devrait intéresser l’historien (les dossiers de fonctionnaires, les archives des services du personnel, des services médico-sociaux donnent parfois des éléments, mais on ignore beaucoup de choses, et même pour le présent, les enquêtes sont inexistantes) : cette histoire matérielle est un des secteurs à développer pour l’histoire de l’administration (et également pour les bureaucraties secondaires).
XI. La vie au bureau
24C’est là une histoire à multiples facettes42 : la gestion du temps quotidien (les horaires, les repas, les rendez-vous, les « trous » de l’emploi du temps43), la hiérarchie et les formes du commandement qui varient suivant les institutions, la taille du service, les coutumes corporatives (il y a eu un effondrement récent du poids de la hiérarchie), la charge de travail et son rapport aux effectifs (il y a des services qui dissimulent avec soin leurs sureffectifs – se plaignant toujours de manquer d’agents44 –, d’autres qui souffrent cruellement de l’absence de personnel qualifié : le fait est de tout temps45). D’un service à l’autre, d’un bureau à l’autre, la pression des affaires est très inégale, aucune règle générale ne peut être établie (il y a des services à coups de feu, dans les secrétariats de cabinet de ministre ou dans les cabinets de préfet, d’autres où la besogne est plus régulière). C’est là un domaine où l’historien a beaucoup de mal à pénétrer (les tableaux d’effectifs sont mensongers), les dossiers des services de personnel sont souvent très intéressants, notamment quand l’on réorganise les bureaux ou quand l’on procède à des « intégrations » de personnel.
XII. Le vieillissement
25Un fonctionnaire exerce son métier pendant quarante, quarante-cinq ans : ce qui explique bien des attitudes de l’administration en période de crise. Un fonctionnaire âgé est devenu prudent, et même indifférent46, il dissimule avec soin ses opinions, il sert la République et non un gouvernement47, il attend la retraite. Surtout, on trouve dans les services ou les institutions, des conflits, des tensions plus ou moins dissimulées entre jeunes et vieux fonctionnaires (à chaque instant coexistent trois générations de fonctionnaires, si l’on prend quinze ans pour la durée d’une génération) : il y a l’enthousiasme et l’ambition des jeunes, le scepticisme et les calculs des fonctionnaires âgés. La perception du temps qui advient n’est pas la même suivant les générations : le fonctionnaire âgé se moque des réformes et modes successives, il est indifférent au futur (le ministère vivra bien sans moi48). Or l’historien ne saurait omettre l’importance du vieillissement, qui se traduit souvent par l’immobilisme, la résistance aux nouvelles techniques (le téléphone, l’informatique, la réunion de service), l’usure des connaissances (juridiques et économiques), l’obsolescence des méthodes de travail. Toute étude d’institution doit comprendre une analyse de ces problèmes : l’âge auquel on parvient aux grades, l’âge réel de la retraite, la durée d’occupation des postes (quand le président ou le secrétaire général d’une institution est là depuis vingt ans, le contrôleur se pose nécessairement des questions), les techniques inavouées de rajeunissement49, les efforts de « recyclage », les obstacles au changement représentés par le bloc des personnes âgées50, également l’importance des « traditions » et des « valeurs » qu’elles cherchent à transmettre51.
XIII. Les outils de l’action administrative
26On devrait faire l’histoire des techniques administratives et analyser les mutations des méthodes de travail et de raisonnement, retrouver les grandes évolutions : or, même aujourd’hui, on a peine à saisir les évolutions récentes, à dresser un inventaire de ces techniques. Donnons deux exemples :
27Premier exemple : les procédures orales. La matière est complexe : ainsi la technique de la conversation (seul le conseiller d’Etat Montyon a essayé d’en faire une théorie52, mais il est évident qu’un préfet, un diplomate ont un art de l’entretien qui leur est propre), les techniques des repas, officiels ou officieux, chers aux cabinets ministériels, les invitations à la campagne pour régler les affaires délicates, les réunions « informelles » à l’hôtel Matignon, les pressions amicales, les interventions orales (les seules sérieuses) qui sont de tout temps et qui supposent beaucoup de savoir-faire, et on ne peut oublier les techniques disparues, par exemple les deux ou trois visites de salons chaque soir qui jouaient un tel rôle au xixe siècle dans la circulation de l’information politique53 . Certes, les procédures orales ne peuvent l’emporter sur les procédures écrites (le rapport à fin de décision, la note au ministre), mais elles jouent encore aujourd’hui un rôle fondamental (ainsi les réunions d’arbitrage de Matignon – préparées par de multiples entretiens dans les cabinets, doublées d’un procès-verbal du secrétariat général du Gouvernement). Il faut examiner pour chaque institution le poids relatif de ces instruments, car on s’aperçoit là, à l’évidence, que tout n’est pas dans les archives « publiques », que bien des circuits d’intervention échappent, que les correspondances privées sont parfois plus importantes que les rapports officiels, que la réunion décisive ne laisse parfois pas de traces (on le voit bien lors des « affaires »), que les instruments les plus efficaces sont parfois des instructions orales, même à la direction du Trésor.
28Deuxième exemple : on a également la plus grande peine à saisir les méthodes de raisonnement propres à chaque maison, corps ou institution : elles correspondent à des traditions, à des règles juridiques précises, à certaine retenue (un administrateur prudent ne cherche pas à régler tout, tout de suite, il laisse les affaires « en suspens », il pense souvent que les choses s’arrangent « d’elles-mêmes ») ; dans tout service, hier comme aujourd’hui, il y a une part de nécessité (les affaires qu’on est contraint de régler d’urgence) et une part de jeu (on peut montrer, ou non, une certaine initiative, faire preuve ou non d’un certain « volontarisme »), et il n’est pas facile de distinguer, de l’extérieur, ces deux zones ; il faut rappeler aussi que quand on contrôle un organisme quelconque, on est obligé d’examiner la part obsolescente des méthodes de raisonnement, l’importance des principes adoptés il y a dix ou quinze ans et qui n’ont plus de raison d’être54. Mais il est malaisé de procéder à de telles analyses pour le passé, il faut explorer systématiquement les traces de ces raisonnements obsolètes55.
XIV. Le langage administratif
29Rien n’est plus complexe à analyser que le langage administratif : en principe, on apprend à parler, à écrire, suivant la coutume de chaque institution, corps ou service56. On voit les multiples aspects de ce langage : vocabulaire ou jargon administratif (il y a un patois administratif qui varie dans le temps)57, le style officiel (rédiger une circulaire, une lettre, un compte rendu)58, le style particulier de certains exercices : le rapport d’inspection, la notation, l’intervention dans une commission ou réunion interministérielle (il y a une « technique » pour exposer une question devant un ministre), la note au ministre (ce qui est l’exercice le plus sérieux59), plus loin encore le discours administratif (discours aux subordonnés pour le Nouvel An, pour une Légion d’honneur, discours dans des congrès d’usagers de l’administration, conformes à une rhétorique très particulière60) ou encore l’étude « technique » publiée dans une revue politique61. Or ces différents exercices de style mériteraient d’être décodés62 : ils sont conformes à la tradition de chaque maison (celle-ci ne varie que lentement), et il importe de retrouver et d’analyser les témoignages de cette littérature administrative (les « notes » étaient souvent autrefois des exercices remarquables63). La masse documentaire est énorme, mais on ne l’a guère analysée jusqu’à présent64.
XV. Instruments techniques
30Sans doute est-il facile de retracer cette évolution des outils, depuis la plume, la cire à cacheter, la poudre à sécher65 jusqu’aux instruments modernes : télégraphes, téléphones, machines à écrire, à calculer, informatique, et de s’attacher aussi aux moyens de reproduction (depuis la presse à lithographier, les circulaires jusqu’aux films de propagande et à la télécopie). C’est une histoire qui reste à écrire par le menu, pour un ministère ou un service (quand apparaît la plume d’acier ? le cachet en caoutchouc ? le stylographe66 ? la machine à écrire ? Les dates varient fortement suivant les institutions). Il faudrait aussi s’attacher :
aux moyens de transport (l’automobile, l’hélicoptère, le GLAM) ;
aux gestes qui sont liés à ces techniques et qui parfois sont bien oubliés (par exemple cacheter une lettre à la cire67) ;
aux techniques de gestion du temps : éclairage (de la bougie à l’électricité), journée continue, puis interrompue avec l’apparition de cantines, horloges (et horloges pointeuses68), planning de vacances.
31Apparemment, c’est une histoire simple, mais il n’est pas facile de dater l’apparition et la disparition de telle ou telle technique69, de saisir les réticences, les lenteurs70, mais ces mutations ont une grande importance dans la vie quotidienne.
XVI. Les instruments juridiques
32Le domaine est immense : fonctions juridiques des bureaux, droit sécrété par les directions (règlements, arrêtés, circulaires), procédures (règles des adjudications, des marchés publics, liquidation des pensions, agréments, autorisations), outils intellectuels fournis par le droit administratif, ouverture d’un contentieux quand les décisions bousculent ou violent le droit, création par l’administration de droits objectifs au profit des usagers (droit à secours de l’aide sociale, indemnisation du chômage). Sur chacun de ces segments, il y a assurément, secteur par secteur, une histoire à entreprendre (par exemple pour les marchés de défense nationale ou les règlements de l’enregistrement), des masses documentaires – manuscrites ou imprimées – à exploiter, des archives contentieuses à dépouiller, et il faudrait s’intéresser à l’histoire des idées juridiques de l’administration (qui ne se réduit pas à une histoire du droit administratif) : l’affaiblissement du sens du droit des administrateurs depuis vingt ou trente ans serait lié à l’absence de formation juridique parmi les fonctionnaires, et à un changement de conception du rôle de l’administration (il faut être efficace avant tout71). Pour toute histoire d’un service ou d’une institution, il faut examiner les instruments juridiques employés72, l’efficacité des procédures, souvent incertaine (ainsi pour les règles des adjudications tournées par des ententes, par exemple pour les coupes de bois), l’évolution des conceptions (on tend aujourd’hui à abuser des marchés de gré à gré ou des procédures d’urgence) : l’histoire des techniques juridiques d’une direction ou d’un établissement public est souvent beaucoup trop négligée73.
XVII. Les conflits administratifs
33Il faut bien voir l’ampleur de ces contentieux. Ils concernent :
les conflits entre l’État et les particuliers ;
les conflits entre l’État et les entreprises (notamment les fournisseurs et entrepreneurs de travaux) ;
les conflits entre administrations (c’est une part non négligeable, mal perçue ; ces conflits ne se règlent pas toujours devant les tribunaux74) ;
les conflits enfin entre l’État et ses fonctionnaires depuis la fin du xixe siècle, qui représentent une part importante de l’activité des tribunaux administratifs et du Conseil d’État.
34Or souvent ce contentieux est massif : ainsi du contentieux fiscal (un contribuable sur cinq serait en conflit avec l’administration fiscale en 1984 au titre de l’impôt sur le revenu75, et l’histoire du contrôle fiscal, de son efficacité, de ses limites mériterait d’être entreprise), ainsi du contentieux des marchés de travaux publics, du contentieux de l’aide sociale, ou du contentieux de l’indemnisation du chômage. Chaque administration a son type de contentieux76, ses règles propres (souvent mal connues77) et on trouve, dans la plupart des services ou institutions, des cellules juridiques, des bureaux du contentieux, des commissions de recours.
XVIII. Les instruments chiffrés
35Chaque service ou institution crée deux séries de chiffres : les comptes financiers et les dossiers statistiques.
Il faut s’intéresser aux instruments financiers de l’action administrative, aux documents financiers – budgets prévisionnels78, comptes d’exécution79 –, aux rapports de contrôle : le budget de chaque ministère ou service a ses caractères propres, ses coutumes80, son système de subventions, de marchés, sa clientèle fidèle81. Il y a souvent une partie opaque, mal connue (même des contrôleurs financiers), qu’il s’agisse de système de primes82, de crédits de matériel permettant de payer du personnel83, et il faut s’intéresser à ces pratiques complexes, souvent très anciennes, dénoncées rituellement par la Cour des Comptes84.
Aujourd’hui tout organisme sécrète, commande, utilise des statistiques : il faut saisir dans le détail cette fonction statistique85, pour le service ou l’établissement public étudié. Quand apparaît le besoin de vraies statistiques ? Quand les statistiques ont-elles commencé à préparer les décisions ? Quand a-t-on utilisé les techniques du calcul des probabilités ? La simple description statistique – sur le modèle napoléonien – ne servait pas à grand-chose86 ; les statistiques nécessaires à la gestion, ou à la prise de décisions, sont rares, alors que les statistiques inutiles, ou inutilisables, abondent87, et souvent les statistiques touchant à des phénomènes souterrains ne pouvaient jadis qu’être biaisées (quelle est la valeur des statistiques de mendiants ? et de celles des suicides88 ?). Mais traditionnellement les bureaux aimaient peu les statistiques et – sauf exception – se méfiaient du calcul économique89.
XIX. L’information
36Il conviendrait d’étudier :
les délais de transmission des instructions et ordres (le téléphone a beaucoup changé les choses, mais la procédure demeure largement écrite) ;
les modalités de transmission de l’information (le compte rendu90) ;
les modalités de surveillance et de contrôle (contrôle sur place et sur pièces, rapports d’inspection).
37L’action administrative repose sur un système d’information complexe entre le centre et la périphérie. Chaque ministère ou service a ses habitudes en ce domaine (rappelons le rôle qu’a joué la centralisation journalière des écritures du Trésor) ; la tutelle hiérarchique suppose une bonne information, mais les délais étaient (et sont) toujours trop longs quand il y a autorisation préalable ou approbation, et parfois les ministères s’ingénient à vouloir contrôler de Paris des détails infimes (ce qui multiplie les frictions)91. Parfois des systèmes d’informations parallèles s’établissent, les chefs de bureau ont leurs « informateurs » particuliers, leurs « correspondants », on monte un système de renseignements particuliers quand on se défie des préfets ou chefs de service92 : les ministères ont toujours peur d’être pris au dépourvu, d’être trompés par les renseignements donnés par les services extérieurs93 (ce qui explique la croissance des inspections générales).
XX. Le maintien de l’ordre
38L’administration a pour mission de défendre un certain ordre : juridique, comptable, financier, fiscal, social et elle utilise toutes les techniques pour ce maintien de l’ordre. Elle agit, réglemente, ordonne, contrôle ; Rœderer en l’an VIII avait essayé, non sans peine, de définir ces différentes missions de l’administration, et son schéma reste valable94. Mais l’historien est amené à poser quelques questions :
39Première question : qui a défini cet ordre, quand et quelles missions ont-elles été fixées au service ? Quand on procède à l’audit d’une direction, ou d’un service, on s’aperçoit que les missions sont incertaines, floues, mal définies, que certaines ont été « oubliées » ou « adaptées », que d’autres ont été rajoutées sans texte précis ou même sans base juridique, et personne n’ose trop en parler (les missions sont souvent coutumières). L’historien doit s’intéresser à ces dérives, à ces dérapages.
40Deuxième question : comment faire l’histoire technique de maintien de l’ordre ? Par exemple, pour maintenir l’ordre comptable, on a instauré la séparation du comptable et de l’ordonnateur (et un certain contrôle du premier sur le second95), un contrôle financier à l’échelle ministérielle (mais il y a des visas en dépassement), un contrôle hiérarchique sur certains ordonnateurs96, etc. Mais il faut aller au-delà des textes et regarder non seulement l’instrument juridique, mais aussi l’esprit du contrôle (qui obéit à des normes non écrites), également les dérapages, les erreurs (contrôle paralysant). Dans chaque secteur on retrouverait ces techniques particulières du maintien de l’ordre97 : chaque technique a son histoire, son efficacité, réelle ou supposée, ses conflits, son contentieux, ses infléchissements98.
XXI. Les hauts fonctionnaires
41On doit s’intéresser en priorité au groupe des hauts fonctionnaires : directeurs, chefs de service, sous-directeurs99 ; le nombre en est réduit100. Ce sont, en principe, des décideurs, qui ont le goût de commander, de créer, qui prennent au sérieux leur carrière, qui montrent traditionnellement un certain honneur de corps, le sentiment de leur dignité, de la conscience professionnelle, un certain sens de l’État, qui ont un poids sur des décisions à la limite de la politique : ils sont, en général, peu connus du public, ils sont prudents dans leurs rapports avec la presse101. L’histoire de ce groupe mérite d’être entreprise102 : il faut connaître leur biographie, leurs écrits (ils ont souvent une doctrine à défendre). À l’évidence toute une part de l’histoire administrative repose sur la connaissance de la psychologie du haut fonctionnaire : le corps directorial joue un rôle décisif en période de crise, il incarne – contre les « politiques » – la légitimité administrative, et quand on abaisse le niveau, il y a un risque évident d’affaiblissement de l’appareil d’État. Dans le passé, la sélection était souvent médiocre, parfois on choisissait selon l’ancienneté, parfois sur des critères politiques : l’historien doit montrer une grande prudence quand il fait l’histoire d’un ministère, ou d’une direction. C’est un secteur d’histoire qui exige des méthodes particulières103.
XXII. Les grands corps
42Les grands corps sont les gardiens d’un certain ordre administratif, doctrinal, intellectuel, surtout ils ont en charge la transmission de traditions, la défense d’une certaine conception de l’administration indépendante du pouvoir politique : ce qui explique sans doute la multiplicité des attaques contre eux, contre leurs privilèges104, contre leur esprit d’autonomie. L’histoire des grands corps administratifs et techniques (Ponts, Mines, Génie maritime) n’est pas facile :
il faut bien comprendre la psychologie de ces corps, leurs traditions (ils modèlent les individus suivant certaines normes105), leur volonté de maintenir des carrières individuelles (ce sont des clubs) ;
on doit examiner leur poids dans la vie de l’administration106, le maintien qu’ils imposent de certaines exigences de qualité de travail, de réflexion, et pour chaque corps, il faut étudier les principes d’ordre, de rigueur défendus contre les ministères ou contre les « politiques », d’après les documents internes (correspondance, dossiers personnels, procès-verbaux d’assemblées générales du Conseil d’Etat, rapports), les sources imprimées (notices biographiques, études de doctrine, rapports), également d’après les enquêtes orales : l’histoire sur un siècle d’un corps est très chargée de signification107.
XXIII. Le contrôle politique
43Un ministre doit assurer le contrôle politique de son administration : c’est de là qu’il tire la légitimité de ses décisions. Mais son rôle est équivoque : il peut être un simple contrôleur de la gestion, contrôlant les choix de personnel, les grandes orientations, ou bien être le premier des fonctionnaires de sa maison, le patron de l’entreprise, ce qui suppose une certaine durée, un outil technique (le cabinet), et une subordination étroite des directeurs (c’est le principe de la Ve République)108. Or, suivant les ministères et les périodes, la conception du rôle du ministre, son importance réelle dans la vie du ministère, son efficacité ont beaucoup varié109 : l’historien doit faire preuve de souplesse, de flexibilité pour apprécier en termes réels le rôle du ministre et de son cabinet, pour tenir compte des personnalités, pour comprendre les difficultés particulières des cabinets (tenant au caractère du patron, à ses intérêts « politiques », aux conflits entre conseillers, à la « conjoncture »110). Mais d’un ministre à l’autre, d’un ministère à l’autre, la situation est très variable : et l’historien devrait s’attacher aux résistances des directeurs contre le contrôle des ministres (cela va parfois jusqu’à la démission comme pour Colson), contre l’omnipotence des cabinets qui harcèlent les bureaux (aux Finances, aux Affaires étrangères, des compromis instables sont établis, traditionnellement le poids du cabinet est plus faible) ; l’histoire des querelles entre cabinets et directeurs est une chronique qu’il n’est pas aisé de saisir (la querelle aboutit souvent au remplacement du directeur). Mais jusqu’à présent, ce secteur de recherche a été dédaigné (il n’existe aucune étude détaillée sur les cabinets dans un ministère).
XXIV. Le clandestin dans l’administration
44L’historien ne peut ignorer la part du clandestin, du dissimulé, de l’occulté, qui joue un rôle non négligeable dans la vie quotidienne de l’administration111. Il faut examiner les différentes sphères de ce clandestin :
ce qui n’est pas visible : les avantages et menus abus au profit de certains (logements112, avantages en nature, primes, absentéisme113), les malversations, fraudes et corruptions (notamment en matière de marchés) et les « interventions politiques » (en particulier pour la gestion du personnel) ;
ce qui tient au secret : les liens plus ou moins dissimulés entre fonctionnaires qui appartiennent à la même chapelle, au même clan, la vie cachée des bureaux (ainsi les amours bureaucratiques, les « petits ménages », les dépressions, les suicides, le jeu, les dettes)114 ;
ce qui est normalement clandestin : on cache ce qui ne va pas le plus longtemps possible, on dissimule aux supérieurs, au cabinet, les sureffectifs, les branches mortes, les erreurs de gestion115 : tout conseiller technique d’un ministre sait qu’on lui dissimule avec soin beaucoup de choses, qu’il « ne doit pas savoir ».
45Le rôle de l’historien est de comprendre, secteur par secteur, ce clandestin – qui varie suivant les temps, les institutions – d’après la masse documentaire qui subsiste (dossiers judiciaires, « notes secrètes » des fonctionnaires, plaintes d’employés, d’usagers, rapports d’inspection, presse administrative) : l’administration n’est pas chose claire, nette, le flou, l’implicite, le non-dit jouent un grand rôle et une grande part de ce clandestin appartient à la coutume.
XXV. Les bureaucrates secondaires
46En aval de chaque ministère, service ou institution, il convient d’examiner les bureaucraties secondaires – selon le mot de Marx116 – qui prolongent l’action de l’administration, reproduisent la bureaucratie d’État, mais poursuivent leurs fins propres et possèdent des règles particulières. Ces bureaucraties secondaires, chargées de « missions de service public », ont de multiples formes juridiques : établissements publics117, agences, offices, banques liées à l’État118 , associations dépendant entièrement des subventions d’État, organismes corporatifs, ordres, chambres syndicales, etc.119. Chaque ministère a ses satellites, ses démembrements du service public qui sont souvent d’origine fort ancienne. Ceci pose quelques problèmes à l’historien : 1° Comment a-t-on associé la puissance publique et les intérêts privés120 ? 2° Comment l’intérêt général est-il défendu dans les conseils d’administration (ou au travers de la tutelle des décisions et du contrôle des subventions) ? 3° Quel est le pouvoir coercitif ou quasi réglementaire qui est confié à ces organismes (par exemple, les chambres de commerce ou les ordres) ? 4° Quel est le statut particulier du personnel dirigeant et des employés de ces organismes, qui se rapproche plus ou moins de celui des fonctionnaires d’État, mais ont des avantages propres, souvent dissimulés avec soin121 ? C’est là un champ infini de recherches : chaque « organisme » mérite une étude historique attentive, mais il faut une grande prudence pour étudier les rapports avec la « bureaucratie principale », les modalités de la tutelle, les coutumes de dépendance et d’indépendance. Il serait absurde de vouloir étudier un ministère sans examiner ses « satellites » et leur rôle. C‘est un domaine où l’histoire administrative a jusqu’ici fort peu pénétré.
XXVI. Action administrative et parlement
47L’administration a toujours été, depuis plus d’un siècle, dans une situation ambiguë122. Elle dépend du Parlement pour ses moyens d’action financière et juridique, mais elle appartient à l’exécutif, et est liée par là même à un système d’ordre ancien auquel s’oppose la volonté de domination de l’Assemblée, si bien que les conflits sont nombreux :
l’administration est contrôlée de près par le Parlement, par les discussions budgétaires (les rapports entrent souvent dans un grand détail), par les interpellations, par les commissions spécialisées qui, à partir de 1914 surtout, assurent une sorte de contrôle permanent, par les interventions multiples pour la gestion du personnel et même la passation des marchés123 : il faut dépouiller les débats et les rapports parlementaires124 – dont certains éléments sont parfois fournis, clandestinement, par les services mécontents du ministre – pour bien comprendre l’ampleur de ce contrôle et l’utilité pour l’historien d’en bien saisir le mécanisme (où trouver vers 1900 des précisions sur le cabinet noir sinon dans le rapport sur le budget des Postes ?), et les dossiers administratifs conservent la trace des négociations avec les commissions parlementaires125 ou des interventions en matière de personnel ;
l’administration entend préserver son indépendance : elle proteste contre les réformes voulues par le Parlement, contre le contrôle politique des nominations, contre le népotisme126, l’affairisme, contre les pressions des groupes d’intérêts privés : mais ces protestations ne laissent guère de traces, sauf dans la presse administrative ou la presse syndicale, et on a peu de témoignages directs sur les interventions des lobbies, sauf à l’occasion de tel ou tel scandale. Il faut collecter avec soin tous ces témoignages127.
XXVII. Contrôle de l’opinion
48Pour tout ministère, service ou direction, il faut analyser la politique d’information sous toutes ses formes et l’image que l’administration cherche parfois à obtenir dans l’opinion. L’inventaire des techniques n’est pas commode : on trouve la censure (pour mémoire), la corruption128, les subventions (la publicité des emprunts a toujours beaucoup servi l’administration des Finances), l’influence sur les journalistes spécialisés ou affidés, le contrôle direct des agences d’information129, les aides indirectes (poste, fiscalité130). Mais la tâche de l’historien n’est pas facile : l’activité des bureaux de presse des ministères (ou des directions) laisse peu de traces131, on connaît mal les mécanismes d’intervention ou d’influence132, mais – avant 1960-1965 – chaque grande direction de ministère avait des liens directs avec la presse, possédait « ses journalistes »133 (en 1939, on essaya en vain de coordonner au niveau du président du Conseil les moyens d’information des ministères134). C’est une dimension de l’action administrative qu’on oublie souvent (qui imagine que la direction générale de l’Enregistrement avait, en 1892, un bureau de presse ?), mais les sources et les méthodes de cette histoire sont mal définies (il faut explorer systématiquement et la presse administrative et les rubriques spéciales de la grande presse).
XXVIII. Le rôle économique
49On doit bien saisir l’importance économique de l’administration135 : son rôle est multiple comme : 1° acheteur ; 2° employeur ; 3° emprunteur sur le marché ; 4° investisseur ; 5° régulateur du marché par le biais des douanes, du taux d’intérêt ; 6° répartiteur d’allocations (bourses, aide sociale) ; 7° producteur (forêts, tabacs, alcool) ; 8° contrôleur financier des entreprises à partir de 1920, par le biais de la fiscalité des entreprises et des investissements. Or chacune de ces « fonctions » a une genèse, un développement, des « révolutions périodiques », elle exige des instruments politiques, juridiques, elle suppose des contrôles (Parlement, Cour des Comptes, Inspection générale des Finances), des mécanismes d’information et d’évaluation, des coûts : l’historien a une tâche considérable devant lui, mais, comme il s’agit d’histoires techniques, elles sont souvent dédaignées (qui s’intéresse à l’histoire des techniques de l’aide sociale ?). Cependant, dans chaque secteur administratif, il faut examiner les relations avec l’économie, par exemple pour les marchés publics136 (cahiers des charges, méthodes d’adjudication, de contrôle, de révision, contentieux, rapports avec les entreprises137) ; l’histoire de la fonction économique de l’État – et du contrôle de son action – doit être entreprise secteur par secteur, ministère par ministère138 : il faut saisir l’évolution des mécanismes139, les révolutions dues aux guerres (par exemple le contrôle des prix), les protestations contre l’extension du secteur public (après 1920 et après 1945), mais il faudrait surtout entreprendre l’histoire de la fiscalité des entreprises, secteur totalement délaissé, et l’histoire des dépenses sociales d’assistance à partir de 1890.
XXIX. Images de l’administration
50C’est là un chapitre important d’une histoire psychologique de l’administration. L’historien doit étudier à la fois :
l’image que l’administration se donne ou veut donner d’elle-même, sa vision propre des choses ;
l’image qu’elle possède dans le public, positive ou négative140, l’image que lui renvoient les autres.
51Ce n’est pas une tâche aisée, car les sources sont très parcellaires : mais on ne peut étudier la direction des Beaux-Arts, ou la direction générale des Contributions indirectes, sans s’intéresser à ces « images ».
52Première forme : la conscience de soi. Le fonctionnaire a bonne conscience, il sait ce qu’il vaut, ce qu’il fait, il a un honneur de corps à défendre, il a conscience des menaces et on trouve souvent ces images dans les notices nécrologiques, les discours de réunions corporatives141, qui exaltent l’esprit de corps, le goût du travail bien fait, les traditions morales142 , et dénoncent les menaces extérieures, les mauvais recrutements, la baisse du rendement. Ce sont là des images fortes, peu étudiées jusqu’à présent143 (on en retrouve la trace jusque dans la notation du personnel144), mais qui – sur 50 ou 100 ans – montrent des constantes étonnantes (par exemple aux Finances, à l’Intérieur145).
53Deuxième forme : les autres renvoient une image beaucoup plus négative, que l’on supporte mal (le fonctionnaire est par nature très susceptible146) : la presse, les discours parlementaires, la littérature syndicale, les sondages147, les études fournissent des éléments. Corps par corps, on voit que la compétence est contestée, la valeur morale, le dévouement niés148 ; l’analyse systématique de ces critiques mérite d’être entreprise pour de larges périodes, pour bien comprendre ces regards extérieurs sur l’administration.
XXX. Conflits internes
54Toute structure administrative est un lieu de divisions, de conflits, de tensions qu’on gère plus ou moins facilement. Le rôle de l’historien est de bien saisir ces conflits, leur durée, leur étendue, leur économie, et d’en connaître les sources, d’en analyser les conséquences : ce n’est pas une tâche facile parce que le conflit est souvent nié, dissimulé. On rencontre quatre types de conflits :
entre ministères (les organismes interministériels n’arrivent pas toujours à arbitrer ces conflits149) ;
entre directions, à l’intérieur d’un ministère (c’est une chronique malaisée à suivre : il s’agit souvent de haines quasi héréditaires, mais fondées aussi sur des principes150) ;
entre administration centrale et services extérieurs (les pailleux ne sont pas toujours bien vus en province) ;
entre haute et basse administration (leurs intérêts sont souvent divergents, et le syndicalisme à partir de 1910 aggrave les tensions)151.
55Or ces divisions, ces conflits s’expriment à travers des hommes, ou des groupes organisés (tels les syndicats) : en fait, dans un service, une direction, un ministère, il n’y a pas unité de volonté, on trouve des querelles de clans, des oppositions sur des points de doctrine ou de techniques, des tensions entre réformateurs et conservateurs, entre jeunes et vieux, entre autoritaires et libéraux, ce qui se traduit quelquefois par des départs, des pantouflages, des exclusions, des conflits entre cabinets et services, ou par des promotions accélérées, des changements de doctrine sur des points importants152 . On ne possède guère d’études sur la typologie de ces conflits ni de monographies récentes pouvant servir à l’historien, mais c’est cependant là l’histoire la plus importante, la plus révélatrice de ce qu’est réellement l’administration : à la vérité les sources antérieures à 1940 sont rares.
XXXI. Administration et corps social
56Quand on étudie un ministère, ou une institution, il faut examiner avec soin les réactions du corps social : l’irritation peut être vive, les conflits multiples (par exemple en matière de droits indirects ou d’assurances sociales). En fait, il faut examiner ces conflits, leur économie, leur volume pour chaque secteur : fisc, enseignement, inspection du travail, police, gendarmerie, justice, assistance sociale, chaque corps a ses conflits et contestations. Mais il faut bien voir que les mots corps social recouvrent des groupes très différents par leurs intérêts, leurs conduites :
les usagers, demandeurs de services ;
les assujettis, les administrés qui subissent des contraintes ;
les allocataires, qui bénéficient de subventions ou prestations financières153 ;
les contribuables, qui financent le système, mais souvent sont fort contestataires154 ;
les contrôlés qui subissent le poids des contrôles fiscaux, douaniers ou policiers ;
les groupes de pression, syndicats ouvriers ou organismes patronaux, qui ont des intérêts à défendre – soit contre l’administration, soit avec sa collaboration ;
les journalistes, qui sont bien forcés de flatter leur clientèle ;
les hommes politiques, qui n’ont pas les mêmes intérêts ou opinions suivant qu’ils sont au pouvoir ou dans l’opposition.
57Si bien que pour chaque ministère, service ou institution, l’historien devrait examiner les rapports avec ces différents « groupes » – ce qui suppose qu’il trouve des sources suffisantes (plaintes dans la presse, presse administrative et syndicale, courrier des députés, affaires contentieuses, débats au Parlement)155. L’histoire d’une institution doit s’attacher à ces questions de conflits ou contestations156, mais c’est certainement un des domaines les plus difficiles à explorer (il fallut plus de quinze ans pour régulariser l’impôt sur le revenu). Si l’on veut comprendre comment on est arrivé à de véritables cogestions – à l’Agriculture ou à l’Éducation nationale –, il faut étudier par le menu ces rapports avec le corps social.
XXXII. Syndicats de fonctionnaires
58L’histoire de la puissance syndicale, de son émergence progressive, de ses techniques de négociation et de cogestion, mérite d’être faite par ministère et même par direction ou service. Les sources abondent157. C’est une histoire apparemment facile, qui permet de bien voir les enjeux corporatifs des « luttes » syndicales158, mais qui oblige à être prudent : il faut s’intéresser à la biographie des dirigeants, à leur carrière, aux querelles entre syndicats (pour des motifs ou idéologiques ou corporatifs159), au jeu subtil des directions du personnel qui finissent (sans le dire) par cogérer avec les syndicats et qui peu à peu, leur laissent une part importante dans les nominations et les avancements (au moins pour les services extérieurs), au conservatisme de bien des hiérarques syndicaux, à leur résistance au changement, à leur goût des privilèges (la cogestion finit par donner des privilèges plus ou moins patents), également à l’effondrement parallèle de la hiérarchie dénoncée dès les années 1910 par Célestin Bouglé et par Colson. Pour chaque institution il faut étudier ces évolutions, souvent très lentes.
XXXIII. Presse administrative
59La presse administrative est une source privilégiée d’information160, et elle nous révèle, en général, l’état d’esprit de la basse administration et ses revendications. Mais par définition, cette presse est assez ambiguë : elle ne dit pas tout, elle déforme les choses, elle cherche à faire pression sur les directions du personnel (surtout après 1914). On doit la dépouiller attentivement (pour chaque ministère, on trouve une presse syndicale abondante après 1945161), mais il faut être prudent, interpréter correctement les critiques162, ne pas trop faire attention à son contenu idéologique (les objectifs sont d’abord corporatifs163).
XXXIV. Les techniques de réforme administrative
60On voit bien ce que pourrait être une histoire de l’idéologie réformatrice – qui correspond souvent à des vues utopiques, ou iréniques de l’action administrative, et qui souvent est d’inspiration politique164 –, mais il est plus difficile de faire l’histoire des techniques de réformes, des résistances rencontrées (un fonctionnaire, répétons-le, vit quarante ans et résiste fort bien aux « modes » successives), de l’efficacité de ces réformes (comment changer l’esprit d’une institution « à réformer », par exemple aujourd’hui l’ANPE ou la direction générale des Relations culturelles ?). La pratique de l’audit montre combien les meilleures réformes sont difficiles à mettre en œuvre et surtout à faire accepter par les dirigeants et par le personnel qui profitent des menus « abus » du système antérieur, combien ces réformes sont onéreuses (l’application des lois de décentralisation de 1982 coûte cher et son efficacité est mise en doute ici et là sur bien des points). L’historien doit montrer un certain scepticisme en ce domaine et s’attacher à saisir l’écart entre les intentions du réformateur et la réalité des réformes, à évaluer leur efficacité apparente (pour autant qu’elle puisse se mesurer), à comprendre les résistances techniques ou psychologiques (on peut bien « informatiser » un service, encore faut-il au préalable définir avec rigueur ses missions et ses procédures, et analyser l’efficacité de chaque procédure165). Souvent il faut vingt ou trente ans pour faire passer une réforme (telle la fusion des régies fiscales décidée en 1948166). C’est une histoire difficile, parce qu’on ne peut se fier totalement aux documents dont on dispose167, elle exige beaucoup de flair et de doigté.
XXXV. Les désordres administratifs
61L’idée que l’administration est rationnelle, lisse, impartiale, juste, n’est pas « raisonnable » : les dysfonctionnements, les désordres, les erreurs, les abus (favoritisme, politisation) abondent, quels que soient les régimes politiques : mais cette histoire négative de l’administration est rarement faite pour elle-même, et les « affaires » sont, en général, imputées aux politiciens ou à leurs créatures. Cependant cette histoire mérite d’être entreprise, secteur par secteur ; c’est une histoire malaisée, car quelles sources utiliser ? Comment les « évaluer » ? Comme apprécier la signification de tel ou tel désordre « institutionnel »168 ? On trouve trace de ces désordres dans les archives des directions du personnel169 – les dossiers d’ingénieurs ou de préfets sont souvent fort riches en ce domaine170 –, dans les rapports d’inspection, les rapports de la Cour des Comptes, les arrêts du Conseil d’État, dans la presse administrative, et (quand l’affaire est publique) dans la presse générale171, les débats parlementaires. La chronique de ces dérapages, désordres et abus et celle des « réorganisations » ou remises en ordre est longue ; même si on n’aime pas en parler, il faut ouvrir les dossiers : l’histoire administrative doit enseigner la méfiance, et l’exercice de l’autorité, comme le rappelait Alain, prête toujours à abus172.
XXXVI. Le formalisme
62Le domaine de cette histoire est difficile à cerner173 : elle touche à l’histoire du protocole, à celle du style administratif, à l’histoire du formalisme juridique (ou judiciaire pour les juges administratifs), à l’histoire des délais, visas, approbations, avis, à l’histoire des procédures de communication (rapports de contrôle ou d’inspection avec les colonnes des « réponses », notation par les supérieurs successifs)174, à l’histoire des images données à travers ce formalisme (celle d’une administration juste, impartiale, neutre, celle d’une administration efficace, transparente)175, à l’histoire des normes que supposent ces formes (la soumission au droit176, l’honnêteté du comptable177, l’indépendance de l’administration vis-à-vis de la politique). C’est là une histoire délicate à entreprendre, car ce formalisme qui protège les intérêts des administrés ou de l’État risque souvent de ralentir les affaires, de diminuer l’efficacité des actions, il a un coût élevé, il est parfois paralysant (on le voit bien quand un fonctionnaire passe dans le secteur privé), mais les sources abondent : il faudrait étudier le formalisme fiscal, budgétaire, comptable (les « règles de la comptabilité publique »), le formalisme des travaux publics, celui des pensions de retraite. Chaque secteur administratif sécrète son formalisme178, et on retrouve les mêmes principes dans les bureaucraties secondaires179, qui souvent exagèrent le jeu des « formes ».
XXXVII. Le coût de l’administration
63C’est là une histoire complexe, qui exige beaucoup de prudence : on doit explorer plusieurs champs de recherche.
64Premier champ : l’histoire du coût de la machine administrative pour un ministère, de son rapport au total des dépenses de l’État (mais on sait les difficultés pour calculer les dépenses pour le passé)180, également l’histoire du coût de certaines « fonctions » (par exemple les dépenses de personnel, le coût des retraites, les dépenses de travaux). Mais, faute de bons documents, la tâche est difficile, et longtemps, par exemple, on a dissimulé des dépenses de personnel dans les crédits de matériel.
65Deuxième champ : l’histoire du coût d’une organisation, d’une institution ou d’un service : ce n’est pas toujours aisé, parce qu’on ne dispose pas toujours de bons documents financiers, même aujourd’hui (il est difficile de calculer le coût d’une direction et certains organismes ont plusieurs sources de financement, par exemple les universités).
66Troisième champ : l’histoire du coût des erreurs de gestion, des dysfonctionnements, des désordres : ce sont là des calculs que l’on trouve dans les rapports d’inspection ou les rapports de la Cour des Comptes (coût d’une erreur de gestion d’une entreprise publique, paiements indus des ASSEDIC) ; pour le passé on retrouve ces mêmes tentatives pour calculer le coût d’erreurs ou de tromperies (par exemple, l’affaire Kessner en 1830 ou l’enquête sur les marchés de défense nationale en 1870-1871).
67Quatrième champ : la mythologie des économies à faire et des gaspillages, qui a joué un grand rôle autrefois, avec un arrière-plan doctrinal important depuis 1780 (l’administration est improductive, elle coûte trop cher, emploie trop de personnel) : on critique les dépenses « somptuaires » (par exemple la construction des écoles primaires dans les années 1880-1890), on veut des réformes, on crée une Commission de révision des services administratifs (1871)181, des Commissions de la hache182, et les plans d’économie ont toujours suscité les plus vives résistances, de la part des fonctionnaires, des collectivités locales ou des lobbies (du rapport Marin en 1922 jusqu’au rapport Belin-Gisserot sur les organismes à supprimer en 1986183). L’histoire de la doctrine de l’État au moindre coût ou de l’administration à bon marché, de l’échec des mesures, plans ou trains d’économies et des résistances provoquées mérite d’être entreprise secteur par secteur.
XXXVIII. Le temps administratif
68La perception du temps joue un grand rôle dans la vie administrative, mais les spécialistes de science administrative l’ignorent184. Si l’on veut faire une histoire du temps administratif suivant les secteurs, il faut éclaircir plusieurs problèmes.
69Premier problème : la création (et la mort) des organismes ou services, les procédures d’institution ou de réorganisation méritent l’attention (par exemple, comment a-t-on créé un ministère de la Santé, sous quelles influences, avec quelle doctrine « médicale » ou « sociale », quels moyens humains ?).
70Deuxième problème : il faut étudier les scléroses, les déformations des organisations, les modes de l’obsolescence. C’est un sujet difficile : à partir de quand et pourquoi un organisme vieillit-il ? Comment doit-on le réformer, le réorganiser ou le supprimer ? Comment un organisme continue-t-il à survivre alors que ses missions sont de plus en plus minces, malgré les avertissements ou les essais de réforme ? Des exemples récents peuvent être cités185, mais dans le passé les modes de vieillissement étaient identiques.
71Troisième problème : il est nécessaire d’étudier les révolutions administratives. Comment une direction, une institution résistent-elles à certaines épreuves comme la guerre (ou la décolonisation) ? Comment subissent-elles les modes successives : la planification, la RCB, l’informatique, la « gestion des ressources humaines » ? Comment subissent-elles l’influence d’un décideur, d’une personnalité, qui bouleverse tout à son arrivée, change les missions, les hommes, élargit l’influence ? Il y a eu toujours dans l’administration des réorganisations, de petites révolutions, des fusions186 ou des scissions.
72Quatrième problème : la perception du temps futur, la capacité de prévoir à l’échelle d’une direction, d’un ministère ou d’un service. Comment cette « fonction » de prévision est-elle assurée depuis 1960 ? Quelles résistances a-t-elle rencontrées ? Comment gérait-on le futur auparavant ? L’administration a toujours mal aimé cette fonction « prospective » (« en l’an 2020 je ne serai plus là ») et on trouve bien des dossiers – au Commissariat du Plan ou dans les services – montrant cette résistance.
73Cinquième problème : les erreurs de prévision. On en trouverait de multiples exemples, par exemple dans la gestion du personnel187, dans les plans informatiques, dans l’aménagement du territoire ou les aides à la sidérurgie : les faux choix, les dérapages, les déviations abondent dans l’administration188, et on trouve de multiples dossiers pour la période récente189 et pour les temps anciens.
74On voit combien cette histoire mérite d’être explorée, secteur par secteur : si l’on peut trouver les documents, il faudrait chercher à saisir comment le fonctionnaire perçoit le temps qui passe, le temps qui va advenir (mais les journaux intimes sont rares).
XXXIX. L’histoire de l’administration
75L’histoire de l’histoire administrative mérite d’être explorée, car elle permet de poser quelques questions sur la mémoire du passé. Tout au long du xixe siècle, l’histoire administrative s’est développée, elle est enseignée à l’École libre des sciences politiques, elle fait partie de la culture de l’administrateur. Elle disparaît brutalement après 1900-1910, et ne réapparaît que dans les années 1970190 : pourquoi cette éclipse ? Et trop souvent quand on l’enseigne, on oublie le fonctionnaire, on ne connaît que les « structures »191. Ce désintérêt pour l’histoire administrative, pour la mémoire du passé, a eu des conséquences fâcheuses, en particulier le refus de s’intéresser aux archives administratives. Ainsi des destructions massives eurent lieu entre 1930 et 1970. Il faudrait étudier, secteur par secteur, les causes de cette désaffection192, ses conséquences archivistiques et les raisons de la réapparition – timide – de cette discipline.
XL. L’histoire des idées de science administrative
76On a quelque peu négligé cette histoire, on l’a confondue avec l’histoire des idées sur l’administration (qui relève de l’histoire des idées politiques193), avec l’histoire des réformes administratives, avec l’histoire de l’enseignement de l’administration194, avec l’histoire des idées sur l’organisation des entreprises. Si bien que les tentatives d’établir une science de l’administration sont souvent passées sous silence, alors qu’au départ la science administrative avait pour mission de perfectionner, ou régulariser l’administration, et de permettre son enseignement : la science administrative s’efforce de définir les normes ou du moins des principes d’administration. Or l’histoire de ces tentatives mérite d’être entreprise (Stéphane Riais a montré la richesse des documents pour les années 1910-1930), elle permet de mieux comprendre comment naissent (et se déclassent) les idées sur l’administration (il faudra bien un jour faire l’histoire des idées sur la bureaucratie ou celle de la représentation des grands corps), les « modes » que la science administrative a engendrées, ses ambitions, ses limites doctrinales, ses échecs (il y a un net recul depuis 1975-1980) : quand on fera l’histoire des années 1950-2000 secteur par secteur, on sera bien obligé d’aborder ces problèmes. Et dans chaque administration ou institution on trouve, pour le xixe et le xxe siècle, de multiples mémoires, rapports, projets qui remontent aux principes, qui déterminent des règles, qui sont de véritables recherches de science administrative appliquée et qui méritent l’attention195 : La réforme administrative et le favoritisme (1886), d’Eugène Aimés, est un véritable traité de science administrative en un certain sens, et dans chaque administration on trouve des efforts non négligeables de doctrine administrative.
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77On voit à l’évidence que cet arbre n’est pas complet196. Mais cette analyse oblige l’historien à prendre en compte certains aspects de l’action administrative qu’il aurait tendance – par inexpérience, ignorance ou paresse – à oublier, souvent sous les meilleurs prétextes (notamment l’absence de sources197). Peut-être ces exigences sont-elles trop grandes, mais nous croyons que l’histoire administrative n’est pas chose lisse, que l’éclipse qu’elle a subie entre 1900 et 1970 tenait à des simplifications excessives, qu’il faut partir de l’expérience concrète d’aujourd’hui pour comprendre ce qui s’est passé jadis : le va-et-vient du présent au passé est une nécessité en histoire administrative.
Notes de bas de page
1 Dans les Comités d’histoire qui se sont créés depuis quelques années, on dit souvent qu’il faut entreprendre l’histoire du ministère, ou des directions, mais on ne sait trop quelles doivent être les méthodes, les objectifs sont flous, et il n’existe pas de guide véritable : si bien que souvent on renonce à développer cette forme d’histoire.
2 Sur la demande en histoire, cf. « Réflexions sur la demande en histoire », Études et documents, t. II, 1990, p. 379-386.
3 C’est-à-dire que cet « arbre de la demande » vaut pour l’analyse du présent et du futur proche : il n’y a pas, de séparation pour l’historien de l’administration entre le passé et le présent, il y a simplement des problèmes d’accès aux bonnes sources. La pratique de l’audit montre bien les problèmes que devrait traiter l’historien : le contrôleur ou l’auditeur doit poser les bonnes questions, celles qui permettent de bien saisir le système et, si possible, son efficacité.
4 Il y a une crise de la science administrative, en particulier parce qu’elle est enseignée par des personnes qui ne connaissent pas de l’intérieur l’administration : ce qui conduit à des vues souvent formelles.
5 Sur le rôle de l’imaginaire dans l’administration, cf. notre étude, avec R. Catherine, L’être administratif et l’imaginaire, 1982.
6 Il est évident que d’ici dix à quinze ans l’arbre des disciplines changera, le prisme de la demande n’est pas chose stable, de nouvelles demandes apparaîtront (par exemple sur la rhétorique administrative ou la logique des décisions).
7 On voit très bien que pour chaque segment, on pourrait indiquer le réseau des sources d’archives ou des sources imprimées, et des études. Peut-etre cette analyse devrait-elle inciter à compléter, ou affiner le schéma de collecte des archives administratives : beaucoup de documents sont détruits parce qu’on n’en voit pas bien « l’intérêt historique » (par exemple, dans les services du personnel : sur certains points, on pourrait préciser les objectifs de cette collecte en fonction de la demande des historiens).
8 Par exemple, il existait bien un concours pour l’auditorat de la Cour des Comptes, mais en 1893 on estime qu’« un stage au ministère des Finances, au service du Budget ou au bureau des trésoriers-payeurs généraux, ou au cabinet du Premier président de la Cour, ou le secrétariat d’un conseiller référendaire » était le meilleur moyen d’avoir les connaissances pratiques nécessaires.
9 Ce qui explique les résistances aux formules d’école (cf. notre étude L’ENA avant l’ENA, 1983). Rappelons qu’aujourd’hui le passage en cabinet ministériel vient se superposer à la formation reçue à l’ENA (le cabinet est la « deuxième ENA », l’évolution est très nette depuis 1965).
10 Cf. notre étude sur le concours dans Bureaucratie et bureaucrates en France au xixe siècle, 1980, p. 334-362.
11 Cf. « Comment on recrutait », dans La vie quotidienne dans les ministères au xixe siècle, 1976, p. 105-122.
12 Il faut examiner les copies de concours, quand on les retrouve. Sur le niveau des recrutements selon les ministères, on lira le Guide pratique des jeunes gens dans le choix d’une carrière (1893), de Victor Turquan (cf. La bureaucratie en France aux xixe et xxe siècles, 1987, p. 689 et suiv.)
13 Cf. notre étude « L’avancement : choix et ancienneté », dans Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 363-400.
14 Sur les avancements arbitraires dans les ministères, cf. Eugène Aimés, cité infra, note 18.
15 Il manque une étude sur le pantouflage dans la haute administration d’autrefois. Mais on va quelquefois dans les entreprises parce qu’on a subi une injustice dans sa carrière.
16 Il faut etudier le jeu des épurations.
17 Mais bien des problèmes se posaient : qu’est-ce qu’un protégé ? Et un patron ? Qu’est-ce que changer de patron ? Ce sont peut-être des notions variables avec le temps.
18 Rappelons les critiques d’un Boucher de Perthes, d’un Gaboriau, d’un Aimès, d’un Demartial contre les bureaux du personnel. Sur la gestion arbitraire du personnel on lira d’Eugène Aimés, chef du bureau à la Guerre, La réforme administrative et le favoritisme, 1886 (cf. Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 114-133) : Aimés a une vision très critique de son administration et peut fournir des hypothèses de travail.
19 Sur les problèmes posés par la gestion du personnel dans un ministère, cf. notre étude « La gestion du personnel au ministère de la Guerre, 1830-1880 », dans Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 191-315 (les archives du service du personnel de la Guerre sont assez complètes).
20 Sur les problèmes disciplinaires dans les ministères, cf. « Le droit disciplinaire dans les ministères », dans Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 401-422.
21 Ainsi aux archives du ministère de la Guerre, mais on devrait retrouver des dossiers identiques dans les autres ministères.
22 Les cumuls n’étaient pas rares (en juillet 1935, on crée un comité chargé des cumuls), et les enseignants avaient les leçons privées. Certains fonctionnaires exerçaient aussi le secrétariat de députes.
23 Mais les préfets et les conseillers d’État n’étaient pas soumis à cette retenue au xixe siècle.
24 Notamment les sous-préfets, mais même les magistrats étaient notés sur leur train de vie.
25 Rappelons que le poids de la fiscalité directe était très faible au xixe siècle.
26 Depuis la rédaction de cet article (1991) nous avons publié Les pensions de retraites des fonctionnaires au XIXe siècle (1994), et Les retraites des fonctionnaires. Débats et doctrines (1996).
27 Quelle est la durée de vie des retraités ? C’est là un sujet important.
28 Mme Françoise Mayeur, à propos des enseignantes de l’enseignement secondaire, a montré l’importance des cessations d’activité pour cause de maladie, notamment de tuberculose, ce qui conduisait à octroyer des secours très faibles : elle a montré ainsi que 60 % seulement des enseignantes accédait à la retraite, compte tenu du nombre de décès en activité et de sorties du corps (L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la IIIe République, 1977, p. 303). Il serait important d’avoir des études sur le taux de fonctionnaires accédant à la retraite et les causes de cette situation (mort, départ dans le secteur privé, révocation).
29 Il y avait souvent des mises à la retraite forcées comme « hors d’état ». En 1933, on créa même une commission spéciale chargée de rechercher les retraites et pensions abusivement concédées.
30 Il faudrait étudier également les bureaux des pensions des ministères et le service des pensions du ministère des Finances.
31 Il faut tenir compte du personnel prêté à l’extérieur, des agents mis à la disposition, du personnel « contractuel », « auxiliaire », ou « vacataire », des agents payés sur des crédits de matériel ou des contrats, ou parfois rémunérés par des associations subventionnées ; jadis il faut prendre en compte les surnuméraires, et les aspirants surnuméraires, les attachés non payés (des aspirants auxiliaires existaient encore dans certains services financiers jusqu’en 1960). Il est de meme bien difficile, aujourd’hui comme hier, de savoir combien de membres (officiels ou officieux) comprend réellement un cabinet ministériel (on y trouve toujours beaucoup d’agents délégués par les services...) : rappelons que Maupassant avait été prêté par la Marine au cabinet de Bardoux, ministre de l’Instruction publique.
32 Cf. notre étude Les femmes dans l’administration depuis 1900, parue en 1988, et infra, p. 425-431.
33 Mme Françoise Mayeur a montré combien fructueux pouvait être le dépouillement des dossiers, même sous forme anonyme (L’enseignement secondaire des jeunes filles, ouv. cité, p. 241 et suiv.).
34 Notamment sur les difficultés de la femme célibataire et celles de la femme mariée chargée d’enfants.
35 L’âge au mariage était souvent retardé pour les hauts fonctionnaires jusqu’à 30-35 ans : ce serait un sujet d’étude.
36 On trouvera dans A. Darbel et D. Schnapper, , Les agents du système administratif, 1969, de nombreuses indications et pistes de recherche en ce domaine. À dire vrai, même les dossiers personnels ne donnent pas toujours des indications sur le milieu familial, sauf pour le corps préfectoral et les grands corps techniques. Mais Christophe Charle, Les élites de la République (1880-1900), 1987, montre bien la nécessité de recourir aux archives de l’enregistrement, fort riches, et aux archives notariales.
37 Le niveau des revenus dépend aujourd’hui souvent du travail de la femme, qui peut exercer son métier dans l’administration ou dans le secteur privé. L’extension du travail féminin a posé des problèmes dans certaines carrières (par exemple la carrière diplomatique ou le corps préfectoral).
38 Sur le problème religieux, cf. A. Darbel et Dominique Schnapper, Les agents du système administratif, 1969, p. 92 et suiv. On trouvera, dans ce volume et dans Le système administratif, 1972, beaucoup de pistes intéressantes pour une étude de la vie du personnel administratif d’autrefois.
39 Cf. Les élites de la République, 1880-1900, ouv. cité.
40 Nous avons publié des budgets (cf. Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 587-595). Mais on devrait retrouver des carnets de compte.
41 La mort avant l’âge de la retraite était chose fréquente dans les ministères, dans l’enseignement (Mme Françoise Mayeur, ouv. cité, l’a bien montré pour les femmes professeurs). Il faudrait une étude sur la tuberculose dans l’administration aux xixe et xxe siècles.
42 Cf. notre essai, La vie quotidienne dans les ministères au xixe siècle, 1976, p. 15-48.
43 Ajoutons le temps des vacances, les difficultés du temps partiel, les congés de maladie, et de longue maladie, les congés de maternité, ainsi que l’absentéisme coutumier (qui s’est sensiblement accru depuis vingt ans).
44 Ainsi en 1886 Aimés (La réforme administrative et le favoritisme) signale le fait comme habituel. Et quand on fait l’audit d’une direction aujourd’hui, on a quelque peine à définir exactement la charge de travail, car il faudrait examiner le bien-fondé, et la nécessité, de chaque procédure.
45 Quand l’on manque de personnel, on assiste à des mutations intéressantes : on cherche à simplifier le travail, on n’enregistre plus le courrier (ce qui a des conséquences minimes), on ne soigne plus les lettres, on donne des instructions orales, mais la machine marche assez bien. Et dans bien des administrations aujourd’hui, on ne cherche plus à recouvrer les petites créances (et l’Agence judiciaire du Trésor donne plus ou moins son accord).
46 Ce qui permet de saisir la résistance de l’administration de Vichy à toutes les directives qu’elle recevait.
47 Un préfet de 50 ans a vu beaucoup de choses depuis son entrée dans le corps, il a appris beaucoup de malices, et son enthousiasme est souvent de façade.
48 Ce qui explique la résistance des sous-directeurs et chefs de bureau de ministère à toute planification, à tout essai de « prospective », à toute tentative de gestion prévisionnelle du personnel.
49 L’évolution est sensible depuis 1960, notamment pour les directeurs de ministère.
50 Il faudrait étudier à cet égard le rôle des Inspections générales quand elles sont recrutées parmi les agents âgés.
51 Il faut bien voir qu’en 1990, un fonctionnaire de 60 ans a appris l’administration 35 ans auparavant, en 1955, auprès d’administrateurs qui, eux-mêmes, avaient appris l’administration vers 1920 : on voit le décalage, et l’importance des « transmissions ». Or ce fait s’est produit à toutes les époques (il y a un écart normal de 60-70 ans) : ce qui explique l’importance du jeu des traditions dans certains corps (traditions morales, intellectuelles).
52 Cf. « Comment le conseiller d’État Montyon voyait l’administration sous Louis XVI », Revue administrative, 1989, p. 315-327. On peut s’étonner de trouver si peu d’études sur l’art de la conversation : les praticiens n’aiment guère à parler de ces choses, qu’on apprend sur le tas, près des patrons. Et pourtant un contrôleur a une technique d’entretien particulière ; dans les notes des sous-préfets on loue les qualités d’expression orale.
53 On ne sait trop comment dater la disparition de ces visites jadis indispensables pour les chefs de cabinet (vers 1900-1920 ?).
54 Quand on procède à un audit on pose deux questions : 1° Qu’est-ce qui est obsolète ? 2° Quelles sont les missions non remplies et pourquoi ? L’historien, quand il étudie une institution ou un service, doit se poser lui aussi ces deux questions.
55 Les documents ne manquent pas pour une critique des « systèmes » : projets de réorganisation ou de réforme, rapports d’inspection, rapports parlementaires (et débats en commission au Parlement), rapports du Conseil d’État sur des projets de decrets d’organisation, notes des directeurs au ministre, etc.
56 Sur le bon usage du style administratif, cf. notre Introduction à une philosophie de l’administration (avec R. Catherine), 1969, p. 239-242.
57 Il n’est pas facile de savoir aujourd’hui ce que sont des rompus.
58 Il existe un style propre aux institutions, au Conseil d’État, à l’Inspection générale des Finances, à la Cour des Comptes (cf. Paul Therre, « Courts propos sur les styles de la Cour des Comptes », dans ENA-mensuel, juillet 1989, p. 12-13). Et on ne rédige pas une note au Budget comme à la DGI.
59 II faut ajouter le discours qu’on rédige pour le ministre (par exemple le discours pour la présentation du budget) : rappelons qu’hier comme aujourd’hui les discours des ministres sont « préparés » par les cabinets ou par les services (et les conseillers du ministre révisent la sténo après la séance de la Chambre et souvent la corrigent beaucoup), infra, p. 585.
60 On trouve souvent des extraits dans la presse administrative dès la fin du xixe siècle.
61 La revue Projet a publié souvent (sous de faux noms) des articles de hauts fonctionnaires.
62 Mme Carré de Malberg l’a fait pour les notices nécrologiques des inspecteurs des Finances.
63 Telles les notes données par P. Cambon sur ses sous-prefets.
64 On a fait beaucoup d’analyses linguistiques en histoire et en science politique, mais en histoire administrative on ne trouve pas d’études, alors que les documents abondent (par exemple, les dossiers du corps préfectoral ou les procès-verbaux et sténotypies des assemblées générales du Conseil d’Etat). Sur le style de la notation des sous-préfets, cf. Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 453-468.
65 Cf. La vie quotidienne dans les ministères au xixe siècle, ouv. cité, p. 26-28.
66 On voit nettement l’apparition du stylographe dans la succession des notes du personnel des ministères.
67 Cf. notre étude, « Les gestes des fonctionnaires », dans Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 539-564.
68 Nous avons encore connu des horloges pointeuses au ministère de la Santé en 1970.
69 Rappelons que les minutes au crayon permettaient tous les repentirs.
70 Les hésitations devant les machines à traitement de textes sont significatives (le Journal officiel a mis plusieurs années avant d’accepter les disquettes des ministères ou institutions).
71 Sur le formalisme, infra, XXXVI. On s’embarrasse moins des procédures, on construit des montages pour tourner les règles de la comptabilité publique, des directions de ministères créent des sociétés anonymes de droit privé, etc. (les rapports du Conseil d’Etat et de la Cour des Comptes dénoncent ces multiples pratiques).
72 Prenons le cas de la direction (aujourd’hui de l’Agence) du médicament au ministère de la Santé, avec ses techniques d’autorisation de mise sur le marché, pratiquement sans appel, de fixation des prix, ses possibilités de suspendre d’urgence la distribution de certains médicaments, etc. Et il faudrait rappeler tout le droit des conventions de formation professionnelle.
73 C’est souvent un droit secondaire mal connu en dehors d’un cercle d’usagers ou d’initiés ; chaque administration se fixe ses propres règles d’action et crée ses propres instruments, par exemple les autorisations d’ouverture de lits de cliniques privées.
74 Par exemple les conflits entre l’État et les affectataires du domaine de l’État, entre l’État et les comptables (devant la Cour des Comptes), entre l’État et les ordonnateurs (devant la Cour de discipline budgétaire), entre un ministère et d’autres ministères qui refusent de régler leurs dettes (par exemple entre les PTT et les autres ministères pour les factures de téléphone), etc.
75 Les rapports du Conseil supérieur des impôts donnent le détail de ce contentieux (cf. 7 e Rapport relatif à l’impôt sur le revenu, année 1984).
76 Dès qu’on crée des droits à allocations, on est obligé d’instituer des systèmes de recours gracieux, puis contentieux, des commissions de recours (par exemple, en matière d’aide sociale, ou d’indemnisation du chômage).
77 Par exemple en matière de responsabilité des hôpitaux en raison d’actes médicaux.
78 Également aux documents préparatoires de ces budgets, aux demandes des services ou bureaux, aux « négociations » avec la direction du budget : quand on étudie un service, un établissement public, on trouve là beaucoup de précisions intéressantes sur les ambitions des services, leur tactique financière.
79 Il ne faut jamais trop se fier aux budgets tels qu’ils sont approuvés par un Parlement ou un Conseil d’administration : il faut voir les comptes après exécution du budget qui sont souvent sensiblement différents (c’est encore plus vrai pour un budget départemental ou communal).
80 Dans certains établissements publics vénérables à Paris on trouve encore des comptabilités établies suivant le modèle du xviiie siècle et qui survivent à toutes les réformes.
81 Rappelons le réseau d’associations qui entoure traditionnellement certains ministères comme les Affaires étrangères, la Culture, l’Éducation nationale ou la Santé publique.
82 Jadis avant 1914, des fonctionnaires de l’Intérieur touchaient des primes importantes sur le produit du PMU.
83 Cette pratique est dénoncée vers 1869-1870, par la Cour des Comptes, dont les rapports mériteraient d’être dépouillés systématiquement pour chaque ministère.
84 Les débats et rapports parlementaires sur les lois de règlement peuvent souvent apporter de curieuses informations.
85 Cf. Pour une histoire de la statistique, t. I, INSEE, 1977 (Actes du Colloque des 23-25 juin 1976).
86 Il faut attendre le recensement de 1896 pour avoir des descriptions précises des métiers et professions, à la suite d’un rapport de Levasseur.
87 L’audit d’un service aujourd’hui tend toujours à examiner : 1° la fiabilité des statistiques produites par le service, les conditions de leur collecte et de leur élaboration ; 2° leur utilité pour le service (servent-elles à contrôler, à orienter la gestion, à préparer les décisions ?) ; bien des statistiques, constate-t-on, ne sont faites que « pour les archives ».
88 Rappelons que jusque vers 1940 les statistiques des causes de mortalité étaient fortement sujettes à caution, compte tenu du nombre limité de déclarations faites par un médecin.
89 Cf. François Etner, Histoire du calcul économique en France, 1987 et notre étude sur Le premier actuaire de France : Duvillard (1755-1832), 1997.
90 Il faut rappeler les comptes rendus décadaires des districts au Comité de salut public et au Comité de sûreté générale en l’an II (avec des questions différentes...).
91 En 1968, la direction des bibliothèques tenait toujours à approuver, comme au xixe siècle, les congés des bibliothécaires des bibliothèques d’université, en 1990, un bureau du ministère des Postes approuvait encore le remboursement de bris de lunettes pendant le service au-delà de 1 500 F...
92 Sous le Second Empire, la gendarmerie était chargée d’établir des rapports quotidiens en dehors du préfet, qui étaient transmis par l’Inspection générale de la gendarmerie au cabinet de l’Empereur, qui en communiquait des extraits aux ministres concernés : ce qui permettait de « contrôler » les rapports des préfets.
93 Le système des fiches en 1901-1904 a été inventé par le général André parce qu’il n’avait confiance ni dans les notes données par la hiérarchie militaire, ni dans les « notes politiques » établies par les préfets... Et comme disait en janvier 1905 le général Gallifet, pince-sans-rire : « Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que, la question de l’anticléricalisme mise à part, ces fiches sont, au point de vue militaire, les notes les plus remarquables qu’on ait données... »
94 Cf « Le système administratif d’après Rœderer », Revue administrative, 1988, p. 18-21.
95 Mais une partie de ce contrôle relevait de la coutume et résultait de compromis consolidés par le temps (on n’a jamais rédigé un code des comptables, comme on le réclamait dès 1800).
96 Rappelons la tutelle financière exercée sur les budgets communaux par le préfet et le trésorier-payeur général avant 1982 (notamment par l’approbation préalable des budgets et des opérations d’emprunts).
97 Par exemple, dans le domaine du médicament, il existe une « police » pharmaceutique qui s’est sensiblement renforcée au nom de l’intérêt général, avec les autorisations de mises sur le marché (AMM), la fixation des prix, le contrôle des expérimentations, l’influence des directives européennes : le poids économique et scientifique de la direction du médicament (devenue Agence) s’est accru sensiblement en vingt ans (alors que le médicament était un secteur presque entièrement « libre » avant 1945).
98 Rappelons par exemple les variations de l’autorisation de licenciement accordée par l’inspection du Travail.
99 Sur les grands corps, infra, p. 55.
100 Rappelons que vers 1870, il y a seulement quelque vingt-huit directeurs de ministère.
101 Quand avant 1950 le nom d’un directeur apparaît dans la grande presse, il y a souvent un « problème ».
102 Cf. Les directeurs de ministère en France (xixe, première moitié du xxe siècle), 1976, 184 pages, actes d’un colloque de l’IFSA et de l’École pratique des hautes études, et sur la psychologie des directeurs, cf. notre étude dans Regards sur la haute administration, 1979, p. 35-43. Nous croyons qu’on ne peut confondre les directeurs et les inspecteurs généraux (qui sont eux aussi des hauts fonctionnaires), car leur conduite, leurs réflexes devant l’événement, leurs responsabilités sont par construction fort différents : quand on étudie un ministère, il faut étudier à part l’Inspection générale (même si l’on y trouve d’anciens directeurs) et chaque Inspection générale a ses principes, ses traditions, son corps de doctrine (par exemple l’Inspection générale du travail ou l’Inspection générale de l’administration, à l’Intérieur).
103 Il faudrait disposer de correspondances particulières, ou de souvenirs (mais ceux-ci sont fort rares, et quand ils existent, ils sont parfois biaisés).
104 Par exemple contre le pantouflage, qui est de tradition dans certains corps et en consolide l’autorité à l’intérieur du corps social (dès la monarchie de Juillet le corps des Ponts et Chaussées accepte fort bien que certains fassent carrière temporairement dans les chemins de fer : c’était un instrument d’action utile pour le ministère).
105 Cf les travaux de Marie-Christine Kessler, Les grands corps de l’État, 1986.
106 Le poids des grands corps était considérable au xixe siècle, quand le nombre des licenciés en droit parmi les chefs de bureau, ou les directeurs était très réduit (il n’y avait que 350 employés supérieurs en 1870, cf. La vie quotidienne dans les ministères..., ouv. cité, p. 9).
107 Les grands corps sont beaucoup moins tournes vers le passé qu’on ne pense, mais ils connaissent, par expérience, le danger d’ébranler les « traditions ».
108 Sur ces deux conceptions, cf. notre étude, Les cabinets ministériels, 1982.
109 Cf. nos conclusions avec J. Tulard du colloque Origine et histoire des cabinets des ministres en France (1975).
110 Sur la vie des cabinets, et le rôle des directeurs de cabinet, cf. nos remarques dans Regards sur la haute administration, 1979, p. 3-19.
111 Cf. infra, p. 405.
112 La Cour des Comptes a montré récemment l’importance de tels abus, à propos des logements de fonctions des PTT.
113 C’est une critique traditionnelle de la Cour, à propos par exemple du personnel administratif de F Education nationale.
114 Cf. « Les gestes des fonctionnaires », dans Bureaucratie et bureaucrates, ouv. cité, p. 546-549.
115 Les contrôleurs, en ce domaine, font métier d’historien : ce que découvre et rapporte la Cour des Comptes ou l’Inspection des Finances touche le plus souvent au clandestin, et parfois au « clandestin officiel », qui est « entré dans les mœurs ». La direction du Budget, par ministère, a des dossiers intéressants sur les abus dans l’utilisation des crédits.
116 Marx, dans la Critique de la Philosophie du droit de Hegel, a très bien expliqué les principes de ces bureaucraties secondaires.
117 Sur la vogue des établissements publics après 1918, cf. S. Riais, Administration et organisation, 1910-1930, 1977, p. 223 et suiv.
118 Le réseau des satellites du Trésor mérite l’attention, du Crédit Foncier (l’un des plus anciens) à la Caisse centrale de coopération économique.
119 Il faudrait ajouter les organismes à vocation sociale, privés ou publics : les ASSEDIC, rappelons-le, ne sont que des associations de droit privé.
120 Des formules sont très anciennes, par exemple pour les associations syndicales de propriétaires.
121 Ainsi pour la Banque de France, ou le personnel des caisses de Sécurité sociale, au régime de retraite très privilégie.
122 Cf. nos conclusions avec J. Tulard dans Administration et Parlement depuis 1815, 1982, p. 119-128.
123 Sur l’interventionnisme des députés, cf. P. Guiral et G. Thuillier, La vie quotidienne des députés de 1871 à 1914, 1980, p. 207-220.
124 Il faudrait ajouter les débats en commissions (conservés dans les archives de la Chambre des députés pour les années 1928-1940).
125 Les rapports parlementaires sont souvent très volumineux (par exemple pour le budget de la Guerre) et très consciencieux : un bon rapporteur pouvait facilement être nommé ministre (ainsi pour Berteaux, Messimy...).
126 Sur l’antiparlementarisme des bureaux, cf. G. Thuillier, La vie quotidienne dans les ministères au xixe siècle, ouv. cité, p. 98-99.,
127 Rappelons le mépris d’un Édouard Estaumié, directeur aux PTT, pour son ministre, Symian, ou encore la pièce d’Henri Clerc – chef de bureau aux Finances – Le Beau Métier, 1929 (cf. La bureaucratie en France, ouv. cité, p. 213 et suiv.).
128 Les fonds secrets des ministères allaient souvent à la presse, et Barrés, dans Les Déracinés, a très bien décrit le mécanisme.
129 Il nous manque une bonne histoire de l’Agence Havas qui avait un poids politique certain (c’est auprès de son directeur, Lebey, que Paul Valéry a fait son éducation « politique »).
130 La fiscalité de la presse – depuis le Directoire – mériterait une etude (le Parlement a toujours été d’une étrange tolérance, notamment pour les taxes sur le chiffre d’affaires).
131 Les services de presse étaient rattachés au cabinet, mais depuis 1958, et surtout depuis 1968, un contrôle général – à mailles lâches – a été établi par le Premier ministre (par le biais du SLI, puis du SID).
132 Les Finances avaient beaucoup de moyens pour attaquer dans la presse les projets qui leur déplaisaient (par exemple, dans les années 1875, les projets de caisse de retraite des fonctionnaires).
133 Ainsi la direction des Beaux-Arts.
134 Cf. le projet de Florian Chardon (1939) sur les services de la présidence du Conseil (cf. Revue administrative, 1989, p. 209-220).
135 Contrairement à ce qu’on croit, l’intervention économique de l’État n’a jamais cessé, cf. nos conclusions, avec J. Tulard, du colloque Administration et contrôle de l’économie, Droz, 1985, p. 161-167.
136 Une histoire des marchés publics serait bien nécessaire pour le xixe et le xxe siècle (notamment pour les marchés de la Guerre et de la Marine).
137 Les rapports privilégiés entre l’État et les entreprises sont bien antérieurs à 1914 ; on soutenait fortement les exportations, Poidevin l’a bien montré pour les matériels d’armement, entre 1890 et 1914.
138 Il nous manque une bonne histoire des arsenaux, de leur mission, de leurs progrès techniques, de leur coût, de la gestion de leur personnel (le principe même des arsenaux mérite réflexion : pourquoi fallait-il absolument que l’État fabriquât les ancres de ses vaisseaux de guerre, ce que ne faisait pas l’Angleterre ?).
139 Rappelons la liberté rendue en 1863 aux prix de la boulangerie (décret du 22 juin 1863), qui provoqua tant de contestations dans un pays habitué à la réglementation (et aux fraudes).
140 Cf. infra, XXXI, sur les rapports de l’administration et le corps social.
141 On en trouve des extraits dans la presse administrative, dès les années 1880, dans la presse syndicale (infra, XXXIII).
142 On se reportera au mémoire de Mme Carré de Malberg sur les traditions de l’Inspection des Finances au travers du Crayon vert.
143 Qui nous donnera un travail sur l’esprit de corps ?
144 Elles expriment fortement une tradition, avec un non-dit important (la vocation, la soumission à la hiérarchie, le sens de l’État, la religion du devoir, le dévouement à ces fonctions, des valeurs morales affirmées), cf. « Le style de la notation des sous-préfets sous le Second Empire », dans Bureaucratie et bureaucrates en France..., ouv. cité, p. 453-468, et « Pour une histoire de la notation administrative », Revue administrative, 1974, p. 228-230.
145 Il y a un esprit douanier, un esprit Enregistrement et aussi à un moindre degré, un esprit Trésor.
146 La presse administrative des années 1870-1890 supporte très mal les critiques des députés – tout comme l’Inspection du travail supporte mal d’être contestée dans les années 1970...
147 Rappelons l’étude exemplaire de Dominique Schnapper sur l’image de la Sécurité sociale à travers les sondages et la presse (La révolution invisible, 1989, p. 17-18).
148 Ces contestations sont séculaires (ainsi pour l’image du policier, ou même celle du juge).
149 Ainsi pour l’enfance handicapée dans les années 1970, ou la toxicomanie (le problème n’est toujours pas réglé).
150 Ainsi les heurts entre la direction générale de la Santé et la direction du Médicament, ou les rivalités – inévitables – entre la direction du Budget et la direction du Trésor.
151 On trouverait d’autres divisions : 1° entre administrations de masse, à privilèges et à fort taux de syndicalisation (comme les PTT ou F Éducation) et administrations à faibles effectifs, qui se sentent injustement délaissées (comme les Affaires étrangères) ; 2° entre administrations jugées traditionnellement plus « à gauche » (comme le Travail et la Sécurité sociale) et d’autres qui se situeraient plus à droite (comme l’Industrie) ; 3° entre administrations dirigistes, interventionnistes, qui défendent les principes d’une économie dirigée, et administrations qui gèrent leurs administrés de façon plus souple, plus conciliante (l’Agriculture, la Manne marchande).
152 Par exemple, les choix entre hospitalisation publique et hospitalisation privée (depuis 20-30 ans, le débat est très vif), les rapports avec les syndicats ouvriers au ministère du Travail, et la conception de la neutralité (ou de l’impartialité) de l’Inspection du travail ou encore la croissance d’une bureaucratie culturelle (à Paris et en province) de plus en plus envahissante.
153 Il manque une bonne histoire de l’aide sociale, et de son contentieux.
154 Les rapports entre le contribuable et le fisc mériteraient des études régionales (ou départementales sur longue période), les attitudes varient avec les coutumes régionales (les taux de recouvrement et de contentieux sont très différents suivant les régions).
155 On ne peut négliger les sources littéraires comme Topaze (mais il s’agit d’administrations municipales...).
156 Il y a souvent confusion – et ce, très tôt – entre les agents de l’Etat, les agents des collectivités locales (octroi, police municipale, hôpitaux), les agents d’institutions comme la SNCF ou EDF, et les para-administrations (comme les assurances sociales) : on attribue tous les péchés à l’Etat, alors qu’il ne s’agit pas de fonctionnaires d’Etat.
157 Presse syndicale (infra, XXXIII), archives de la direction du personnel, archives syndicales (rarement conservées hors les fédérations).
158 On se reportera aux travaux pionniers de Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide (1988) et Les syndicats de fonctionnaires depuis 1948 (1989). Mais il ne faut pas confondre histoire du syndicalisme et histoire politique des fonctionnaires : les syndicats ne représentent que de faibles minorités (avant 1940, le nombre de militants – en dehors de l’enseignement et des postes – est minime).
159 En fait, il y a un vide idéologique du syndicalisme des fonctionnaires, qui a des objectifs purement corporatifs de contrôle et de « partage du pouvoir » : les rapports avec le syndicalisme ouvrier ont toujours été très équivoques, Célestin Bouglé dès 1907 le montrait nettement dans un grand article de la Revue de métaphysique et de morale, et la situation n’a guère changé, même après 1945 : par construction le syndicalisme des fonctionnaires est un syndicalisme de cogestion, et non un syndicalisme « révolutionnaire » (quels que soient les discours des hiérarques ou les rêves des militants de base).
160 Pour une esquisse pour les années 1840-1960, cf. Bureaucratie et bureaucrates au xixe siècle, ouv. cité, p. 175-287. Pour les Postes, les Finances, cette presse est très volumineuse, l’inventaire précis n’en a pas été dressé.
161 On recensait 184 titres pour la presse syndicaliste des années 1956-1966 (dont 34 pour le seul ministère des Finances). La grande difficulté est de retrouver les collections de ces bulletins, souvent détruits. Il serait souhaitable d’entreprendre d’urgence un inventaire détaillé par ministère ou corps de cette presse syndicale avant 1940 et après 1940 (également un inventaire de la presse des fonctionnaires retraités et de celle des mutuelles).
162 Rappelons qu’en 1989, lors de la crise de la gendarmerie, les journaux des retraités ont eu un certain rôle ; ils pouvaient dire tout haut ce qu’ils voulaient.
163 La politique joue un grand rôle après 1920-1930, mais les rubriques pensions, traitements, revendications pour l’avancement, étaient apparemment les plus lues dans ces journaux. Il faut, pour « décoder » correctement ces journaux, avoir bien conscience de ce qu’était le lecteur syndical moyen.
164 Mais il existe une idéologie réformatrice à l’intérieur de la haute administration après les grandes « crises », 1919-1920, 1936, 1940, 1944, 1958 (cf. E. Bonnefous, La réforme administrative, 1958).
165 Rappelons les critiaues, en 1990, de Jean Choussat sur l’informatique au ministère des Finances, alors qu’on avait oublié de moderniser la gestion du personnel.
166 On peut bien supprimer un corps, décider de son extinction (ainsi pour l’Inspection de l’enseignement technique), il subsiste vingt ans après avec ses principes et sa doctrine.
167 Ainsi l’historien des réformes successives de l’Éducation nationale doit-il être très prudent, car, au départ, les textes ne sont appliqués véritablement que dans un petit nombre de départements (souvent on attend la réforme suivante).
168 Par exemple la cession à prix d’argent de postes de percepteurs jusqu’au milieu du xixe : on a des traces, mais le cas est-il fréquent ? L’affaire Génie a-t-elle eu lieu aussi dans la magistrature judiciaire ?
169 On trouve aussi des dossiers de commissions de discipline, des conseils d’enquêtes à la Guerre.
170 Révocations, démissions, déplacements : il y a des ingénieurs des mines qui reftisent de couvrir des abus, dénoncent les malfaçons des fournisseurs, et finissent par être déplacés.
171 Ainsi dans le cas du fils de Baroche.
172 L’affaire des fiches en 1904 montre bien les abus où conduisent la passion et l’inexpérience d’un agent (le capitaine Mollin).
173 Cf. Introduction à une philosophie de l’administration (avec R. Catherine), 1969, p. 166-170.
174 Par exemple pour les Ponts et Chaussées, l’inspecteur divisionnaire contredit parfois la note de l’ingénieur en chef.
175 C’est le principe de la publicité donnée à partir de 1832 aux rapports de la Cour des Comptes : l’erreur doit être dénoncée publiquement.
176 C’est la justification de l’extension du domaine du recours pour excès de pouvoir.
177 Toute la comptabilité publique est fondée sur la méfiance vis-à-vis du comptable, sur qui pèse la responsabilité des erreurs (responsabilité devenue fictive en partie grâce au système d’assurances mutuelles et de remises gracieuses ordonnées par le ministre...).
178 Pendant les guerres, ou les périodes de crise, on est bien obligé de passer outre à ce formalisme. Et on a bien été contraint, en période normale, d’instituer le visa en dépassement du contrôleur financier... Pour éviter le formalisme des règles de la comptabilité publique (et de gestion du personnel) certains ministères ont créé des associations fonctionnant entièrement sur subventions de l’État (ainsi aux Affaires étrangères ou à l’Industrie).
179 Ainsi pour la Sécurité sociale. Mais on s’aperçoit que dès que l’État a accordé des allocations aux indigents en 1793-1794, le formalisme établi par les bureaux – sous prétexte d’éviter les abus – a paralysé la distnbution de ces secours (le style des circulaires du ministère de l’Intérieur, et leur complexité, pour les secours aux parents des défenseurs de la patrie, ressemble beaucoup au style et à la complexité des circulaires de la Sécurité sociale d’aujourd’hui..., cf. Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, 1987, n° 16, p. 33-51).
180 Quand on examine quelques secteurs particuliers, on est souvent saisi d’un certain scepticisme devant les chiffres annoncés. Même aujourd’hui on est dans l’incapacité d’avoir un chiffre exact du déficit budgétaire (il n’y a pas un chiffre, mais plusieurs...). On a bien tente de faire des compilations des sources budgétaires (cf. L. Fontvieille, Évolution et croissance de l’État français de 1815 à 1969, dans Économies et sociétés, Cahiers de l’ISMA, 1976), mais on ne peut guère en tirer de conclusions.
181 Cf. Bureaucratie et bureaucrates..., ouv. cité, p. 316-333.
182 Cf. E. Bonnefous, La réforme administrative, ouv. cité, p. 58-105, qui décrit les différentes tentatives de réforme depuis la Commission Marin en 1922 jusqu’à 1953.
183 Rapport qui ne fut ni publié, ni appliqué.
184 Sur le temps dans l’administration, cf. notre Introduction à une philosophie de l’administration, avec R. Catherine, ouv. cité, p. 41-127 et Regards sur la haute administration, 1979.
185 Par exemple, le vieillissement de la doctrine, et de l’organisation de l’AFPA, dénoncé par la Cour des Comptes.
186 Rappelons les fusions – au nom d’une idéologie incertaine – qui ont mal tourné, telle celle des Affaires sociales en 1966, réalisée par J.-M. Jeanneney, qui a été un échec dont on a mal mesuré les conséquences (on a enfin, en 1990, recréé une direction du Personnel au ministère du Travail), telle celle, qui ne dura guère, de la Coopération et des Affaires étrangères en 1982-1986.
187 Telles les tentatives pour freiner l’accès des femmes aux grades supérieurs avant 1940 (et en 1945 pour les écarter de l’ENA).
188 Les rapports de l’Inspection générale des Finances, et ceux de la Cour des Comptes, certains rapports du Commissariat au Plan (par exemple en matière d’informatique) donnent de multiples exemples.
189 Dans toute administration, direction ou service, il faut examiner la politique suivie en matière informatique depuis 1970 : on trouve là des dossiers très riches. L’informatique dans l’administration française : quel beau sujet de thèse !
190 Il est significatif que l’Histoire économique et sociale de la France de F. Braudel et E. Labrousse ne contienne, pour le xixe siècle, aucun chapitre sur les interventions de l’État et le rôle de l’administration.
191 C’est le défaut – majeur – de l’Histoire de l’administration de 1750 à nos jours de Pierre Legendre (PUF, 1967), qui s’intéresse surtout aux « structures ».
192 Elle tient sans doute au poids de l’histoire économique, de l’histoire idéologique dans les facultés des lettres, à l’attachement excessif à la description juridique des institutions dans les facultés de droit, et, de façon générale, à l’ignorance des réalités administratives.
193 Notamment pour les idées sur le rapport entre le législatif et l’exécutif.
194 Infra, p. 471.
195 Il ne faut pas se limiter aux noms toujours cités : des rapports de maîtres de requêtes comme Florian Chardon sur les services de la présidence du Conseil (1939) ou de Leloup sur les principes de la fonction publique (1939) relèvent, à notre avis, de la science administrative. Et l’on trouverait, dans les archives du Conseil d’Etat, de nombreux rapports qui – comme ceux de Silvy en 1874 ou de Roussel en 1884 – montrent un bel effort de doctrine administrative.
196 Il faudrait ajouter l’histoire du contrôle des esprits, l’histoire de l’imaginaire (dans L’être administratif et l’imaginaire, 1982, avec R. Catherine, nous avons donné quelques orientations de recherches).
197 Mais, comme disait Lucien Febvre, ce n’est pas parce qu’on n’a pas de sources à exploiter que le problème ne se pose pas, et l’expérience de l’audit montre chaque jour que ce qui est important en administration ne laisse guère de traces.
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