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La coopération monétaire internationale comités et réseaux

p. 199-205


Texte intégral

1Les quatre décennies postérieures à la deuxième guerre mondiale, qui englobent les années 1957 à 1978 objets du colloque, ont connu un développement remarquable de la coopération internationale, particulièrement dans le domaine monétaire, qui s’est accompagné d’un renforcement sans précédent des liens personnels entre les responsables, nationaux ou internationaux, chargés de la mise en œuvre des politiques en cause.

2L’on a pu dire que l’avion à réaction avait tué la dépêche d’instructions à l’ambassadeur. Et il est vrai qu’à une époque où les chefs d’Etat s’appellent par leurs prénoms et passent couramment l’un avec l’autre une heure au téléphone, la tâche des représentants nationaux en pays étranger ou dans les organismes internationaux s’est sensiblement modifiée. Dans le domaine économique et monétaire, les organismes dotés d’un conseil d’administration composé de représentants permanents ne sont pas nombreux. Il s’agit essentiellement du FMI et de la Banque mondiale, ainsi que de certaines banques régionales de développement. On peut aussi mentionner la situation assez voisine du Comité des représentants permanents de l’Union européenne (le célèbre Coreper) et de leurs adjoints financiers et techniques.

3L’on a donc assisté à la multiplication d’organisations internationales, de comités, à vocation durable ou « ad hoc », réunissant des fonctionnaires venant des capitales nationales. Leur énumération serait fastidieuse. On peut cependant tenter d’en faire un inventaire respectant une certaine chronologie, puis de dégager de leur expérience quelques lignes directrices.

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4De 1946 à 1958, l’influence du FMI, longtemps mis hors-jeu par l’inéligibilité à ses concours des pays européens bénéficiaires de l’aide Marshall, et celle de la BIRD, encore à la recherche de sa crédibilité, restent modestes. Le poids des États-Unis y est prépondérant ; les administrateurs résidents se sentent assez isolés de leurs capitales, et d’ailleurs ne s’en plaignent pas.

5Pour faire face aux premières défaillances des pays en voie de développement au titre de leur endettement à moyen terme, est créé en 1955, à l’initiative de la France, de manière informelle et quasi spontanée, sans traité ni convention internationale, et sans personnel d’exécution autre qu’un secrétariat bénévole, le « Club de Paris », premier club de créanciers bilatéraux.

6Réunis « de force » par les Américains au Grand Palais à Paris pendant l’été de 1947 pour le partage de l’aide Marshall, les Européens découvrent l’attrait de la coopération internationale au sein de l’OECE et de ses comités spécialisés (Comité des transactions invisibles, etc.) et naturellement du plus remarquable d’entre eux, le Comité de direction de l’Union européenne des paiements.

7Après 1960, l’administration Kennedy accepte que les États-Unis deviennent un membre, et non plus seulement un parrain, de cet organisme de coopération. L’OCDE chargé de tâches nouvelles et diverses (examen des politiques économiques des pays membres, politique sociale et industrielle, questions scientifiques, aide au développement), voit naître des organismes très vivants et efficaces :

  • le Comité de politique économique
  • le groupe de travail des balances des paiements, dit WP3
  • le Comité d’aide au développement, dit CAD, etc.

8Dans le même temps, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) réussit à faire oublier qu’elle a été condamnée à mort par les accords de Bretton-Woods, se rend utile puis indispensable comme agent technique gestionnaire de l’UEP, et conforte autour de la réunion mensuelle de son conseil d’administration l’autorité croissante du club des gouverneurs de banques centrales, dont naîtront ultérieurement, entre autres, le « pool de l’or » (1960-1971), et plus tard le comité Delors et l’Institut monétaire européen.

9L’on a souvent souligné que le traité de Rome de 1957 portant création du Marché commun fait peu de place à la coopération monétaire. Il n’y consacre que trois articles et envisage assez vaguement la création d’un comité d’experts indépendants (vraisemblablement des universitaires). Or ce comité, composé de représentants des États, deviendra, dès le début des années 1960, dans une symétrie évidente avec le WP3 de l’OCDE, le Comité monétaire, d’abord chargé de la surveillance mutuelle, puis, après la conférence de La Haye de 1969, de la mise en œuvre des divers systèmes monétaires européens, le « serpent » puis le SME. Il y aura aussi un comité des gouverneurs de la CEE, qui se réunit à Bâle le mardi matin, à la suite du conseil d’administration de la BRI.

10Dès 1958, la Banque européenne d’investissement, (BEI), prend son essor. Elle est ainsi le lieu de rencontres fréquentes des administrations nationales, car la proximité de Bruxelles où elle s’installe d’abord, puis de Luxembourg où elle s’établit ensuite, permet aux représentants nationaux de siéger chaque mois au conseil d’administration, qui ne comporte donc pas d’administrateurs permanents (mais il y a une petite cohorte de vice-présidents).

11Vers le début des années soixante, le système monétaire international est remis en question par l’ampleur et la persistance des déficits de balance des paiements des deux pays à monnaie de réserve, les Etats-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni. Le Comité monétaire du Marché commun se saisit tout naturellement du problème. De son dialogue, souvent difficile et tendu, avec les Américains, naît en 1961-1962 le Groupe des Dix, (G 10). D’abord conçu comme un simple accord financier destiné à fournir au FMI des ressources supplémentaires (le « General Arrangement to Borrow » ou GAB), il se transforme rapidement en un organisme de négociation où se confrontent les thèses américaines (opposition à toute réévaluation du prix de l’or) et européenne (surveillance multilatérale, proposition de création d’une Unité de Réserve Collective CRU). Regroupant les principaux pays industrialisés du FMI, plus la Suisse (à l’époque non membre du FMI) il sera jugé trop peu. confidentiel par les grands pays qui, dès Nairobi (octobre 1973) donneront naissance en son sein au Groupe des Quatre (G4), qui évoluera vers une série de sommets des chefs d’État, puis deviendra le G7 (les Quatre et l’Allemagne plus le Canada et l’Italie), et enfin le G8 avec l’entrée progressive de la Russie.

12Le Comité officieux des directeurs du Trésor et vice-ministres des Finances des grands pays reste le directoire où se préparent les grandes décisions (choix du directeur général du FMI, du président de la Banque mondiale, accords du Plaza, etc.). Il donnera lui-même naissance au groupe des « sherpas » chargé de la préparation des sommets et en partie composé, au moins au début, des mêmes personnes.

13Dans le même temps, soucieux de ne pas paraître se couper trop ostensiblement du reste des pays membres du FMI, les pays du G10 participent au Groupe des Vingt, chargé au début des années 1970 de la préparation de la réforme du système monétaire international. Associant les grands pays à une sélection de pays représentés selon les regroupements des « constituencies » du Conseil d’administration du FMI, il deviendra l’armature du « Comité intérimaire » du Fonds, aujourd’hui en conflit potentiel d’attributions avec ledit Conseil d’administration du FMI, dans le cadre de la « nouvelle architecture mondiale ».

14Le développement des prêts bancaires et des mouvements de capitaux privés vers les pays « émergents » conduira à la naissance de deux séries de comités et d’organismes.

15Dans le domaine des créances bancaires, la crise de la dette des années 1980 conduira les banques, après de premiers contacts officieux et « ad hoc » (dettes de la Pologne, du Pérou) dans les années soixante-dix, et malgré le risque de poursuites éventuelles au titre des lois antitrust, à se doter d’organismes appelés à jouer un rôle analogue à celui que jouent pour les États le Club de Paris et les Consortiums d’aide (à l’Inde, au Pakistan, à l’Indonésie). Ce seront d’une part le « Club de Londres », qui donnera naissance aux « advisory committees », chargé de la négociation de rééchelonnement avec chaque pays débiteur, et d’autre part l’Institut de finances internationales, à la fois cellule d’analyse des politiques économiques et forum de réflexion collective sur les problèmes de la dette.

16Bien que n’étant pas toutes au même degré dans chaque pays chargées de la surveillance « prudentielle » du système bancaire souvent exercée par des administrations de l’État, les banques centrales comprennent rapidement l’intérêt de dégager des règles communes de supervision. D’où le Comité de Bâle (dit Comité Cooke), et celui des banques centrales de la CEE.

17Enfin, après les crises du Mexique en 1994-1995 et de l’Asie du Sud-Est en 1997-1998, qui affectent moins les banques que les mouvements de capitaux privés (investissements directs et placements de portefeuille) les organismes nationaux de contrôle des marchés financiers (SEC, COB, etc.) voient eux aussi la nécessité d’une concertation et créent l’IOSCO, suivis à leur tour par les organismes de contrôle des sociétés d’assurance, et demain par le « Forum de Stabilité » animé par le directeur général de la BRI.

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18Ainsi s’est développée dans les années 1960-1970, une remarquable ossature de coopération internationale qui devait avoir une foisonnante postérité. On peut sans doute en dégager quelques lignes directrices.

19La première concerne le resserrement, parfois même la création, des liens personnels entre les responsables nationaux à l’intérieur même de leur pays. Peu pratiqué jusque vers les années 1950, le tandem direction du Trésor/ Banque centrale devient la règle (Comité de politique économique de l’OCDE, W P 3, Comité monétaire de la CEE, Groupe des 10, Groupe des 20, etc.). D’où des couples qui dureront de longues années (Van Lennep-Zijlstra, Roosa-Volcker, etc.).

20On pourra citer aussi les organismes nationaux de concertation interministérielle qui associent autour des ministères des Finances et des Affaires étrangères les autres ministères techniques pour l’application d’une procédure ou la conduite d’une négociation particulière. Tel est, en France, le cas du plus connu d’entre eux, le SGCI, créé pour assurer la mise en œuvre du plan Marshall en liaison avec les autorités américaines, et devenu tout naturellement, à partir de 1955, le pivot des négociations européennes : préparation des traités, élaboration et suivi des instructions à Bruxelles. Bel exemple d’une création spontanée ; la fonction, ayant créé l’organe, a continué de le faire vivre pendant un demi-siècle.

21Qu’il s’agisse de la réforme du système monétaire international ou de la recherche d’une identité monétaire européenne, car il y a constamment va-et-vient et complémentarité entre ces deux objectifs, une petite troupe de responsables, soit une trentaine de personnes des dix (ou onze) nations du G10, plus les fonctionnaires compétents du FMI, de l’OCDE et de la CEE, se retrouve en permanence ici ou là ou ailleurs (chaque mois dans les périodes de négociation internationale active au sein du G10 ou du G20, toutes les six semaines au Comité monétaire de la CEE, deux fois par an au FMI, deux ou trois fois par an au G7, etc.). D’étroits liens d’amitié se créent, en même temps qu’une connaissance approfondie des points de vue des divers partenaires, qui permettrait à chacun, comme l’avocat de Courteline, de faire une excellente présentation des thèses qu’il est chargé de combattre.

22Loin d’être menacé d’introversion, le groupe cherche à enrichir ses contacts avec le monde extérieur (industriel, universitaire, ...), à la fois pour mieux faire comprendre les enjeux de ces négociations souvent jugées très techniques, et pour recueillir les avis des personnalités qui professionnellement conduisent une réflexion théorique sur les mêmes sujets.

23Dès 1963, à l’initiative de quelques animateurs du G10, est créé le « groupe de Bellagio » (ou de Princeton) qui associe au G10 quelques-uns des économistes et universitaires les plus prestigieux (Jacques Rueff, Sir Roy Harrod, Robert Triffin, Fritz Machlup, Gottfried Haberler, Harry Johnson, etc.).

24Au milieu des années soixante-dix, lorsque se développe la pratique des « sommets », Robert Roosa réunit, de manière très officieuse, quelques membres du groupe de Bellagio pour fournir aux chefs d’États des documents de réflexion sur les sujets dont ils vont débattre (réforme monétaire, politique énergétique, etc.).

25Ce sera l’origine du « groupe des 30 » créé en 1978, qui réunit trente personnalités cooptées à titre purement individuel, et qui associe fonctionnaires des ministères et des banques centrales, universitaires, dirigeants de très grandes entreprises, des États-Unis, du Japon et de l’Europe occidentale, mais aussi de l’Europe de l’Est, de l’Australie et du Tiers-Monde (Inde, Amérique latine). Réuni deux fois par an en sessions plénières, le groupe a constitué de très nombreux groupes de travail pour l’étude de questions aussi diverses que la gestion des réserves des banques centrales, le problème de l’eurodollar, les prix du pétrole, etc. Présidé successivement par Johannès Witteveen, Gordon Richardson et Paul Volcker, le groupe continue d’émettre des avis qui font autorité (cf. les documents récents sur les règlements boursiers ou les produits dérivés).

26À peu près à la même époque, et principalement à l’initiative de David Rockefeller, fut créée la « Trilatérale », réunion d’hommes politiques, d’hommes d’affaires et de techniciens, dont l’objet principal était de renforcer les liens entre les communautés des affaires des États-Unis, de l’Europe et du Japon. Ses travaux n’ont peut-être pas eu un impact aussi direct sur la vie économique que ceux du groupe des 30.

27D’autres regroupements peuvent être cités, tels que le groupe de « Bilderberg » la « Table ronde » des industriels européens ou le Forum de Davos. Ils sortent un peu du cadre de la présente communication.

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28La multiplication de ces centres de contact a produit d’heureux résultats. Les rapports entre banquiers et banques centrales, le plus souvent limités dans le passé à des entretiens individuels concernant la vie d’un établissement, ont pris un tour beaucoup plus collectif, moins hiérarchique, plus ouvert à la discussion.

29Attentifs à faire partager leur objectif de stabilité, les gouverneurs de banques centrales sont devenus, un peu comme les « télévangélistes », les vedettes de spectacles annuels, où ils sont régulièrement invités à se produire devant un parterre choisi de banquiers. Ainsi de l’une des séances de la réunion annuelle de l’International Monetary Conference de l’American Bankers Association en juin, ou du séminaire des banquiers du groupe des 30 en septembre.

30De manière plus institutionnelle, des rapports nouveaux se sont établis, sur le plan des contrôles prudentiels, entre les banquiers et les autorités de contrôle des banques centrales. C’est notamment dans le cadre de l’Institut de finances internationales que les banquiers centraux membres du Comité de Bâle (Comité Cooke) ont ainsi rencontré, pour la première fois collectivement, les représentants des banques pour préparer avec eux les meilleures méthodes d’établissement des pondérations de classes d’actifs bancaires, (« risk-weighted assets ») ou de contrôle des risques (de marchés, de crédit) à l’intérieur des établissements.

31Enfin c’est sans doute à ce rapprochement des esprits, à cette confrontation permanente des thèses et des expériences que l’on peut attribuer la naissance progressive d’un consensus sur ce que doivent être, quel que soit le pays en cause, les bases d’une politique économique saine et durable. Lutte permanente contre l’inflation, vigilance à l’égard de toute surévaluation de la monnaie, maintien de taux d’intérêt réels positifs, combat sans relâche contre les déficits des finances publiques destructeurs d’épargne, réforme, vente ou fermeture des entreprises publiques déficitaires consommatrices de la richesse nationale. Ces grands principes sont aujourd’hui admis comme des règles d’or, qu’ils soient prônés par le FMI (« IMF rules. OK ? » titrait The Economist vers la fin des années quatre-vingt) ou qu’ils soient inscrits dans le traité de Maastricht comme dans le Pacte de stabilité.

32On a pu les caricaturer comme relevant de la « pensée unique », ce qu’ils sont en effet. Mais si l’on mesure le chemin parcouru depuis l’immédiat après-guerre, où le FMI a dû consacrer plusieurs années à un débat sur les mérites respectifs du bilatéralisme et de la convertibilité, et où l’« École de Cambridge », tenante acharnée du protectionnisme, avait assez d’autorité pour fourvoyer pendant plusieurs décennies le développement économique de l’Amérique latine, on ne peut s’empêcher de penser que l’existence des comités et réseaux ci-dessus évoqués a été pour la croissance économique mondiale un apport significatif.

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