L’histoire de la mendicité
p. 219-231
Texte intégral
1L’histoire de la mendicité au XIXe siècle est une histoire fragile, incertaine, comme toute histoire à naître ; l’historien est désorienté, il voit bien qu’il ne comprend pas grand chose, il n’a à traiter que des documents incertains, douteux, indéterminés, il est contraint de faire une histoire probabiliste aux règles mal définies, et où les risques d’erreur sont grands1. Mais ces explorations paraissent fort tentantes, elles apportent quelque plaisir : une histoire « probabiliste » oblige à montrer beaucoup de prudence, d’habileté, on doit inventer seul son chemin2. Comment peut-on s’orienter dans cette voie probabiliste ? Quelles sont les zones d’incertitude ? Quelles sont les règles du jeu applicables ? Nous voudrions – profitant d’une expérience récente – présenter quelques observations qui peut-être pourront être utiles aux jeunes chercheurs3.
I. Les zones d’incertitude
2Il faut être bien conscient que nous ne pouvons savoir que peu de choses, que le plus important nous échappe sans doute, que l’on est le plus souvent désarmé devant la multiplicité des choses douteuses, incertaines, indéterminées dans cette histoire. Examinons quelques zones d’incertitude.
3Première zone : la sensibilité, le mode de raisonnement du mendiant : que pouvons-nous savoir de sa connaissance du monde, de son corps, de son âme ? Comment saisir ce qui se passait chez le mendiant, la mendiante ? par exemple sa mentalité religieuse (telle la mendiante qui « lit l’Évangile de saint Jean »)4, ses souffrances (tel mendiant est « ensorcelé » depuis seize ans)5, ses opinions (le mendiant qui colporte les rumeurs, annonce les catastrophes politiques)6.
4Deuxième zone : le mode de raisonnement de la société sur le mendiant : on a la logique judiciaire, administrative de la police du mendiant7, la logique des philanthropes (il faut obliger le mendiant à travailler, le moraliser)8, la logique du médecin (qui s’intéresse aux maladies du mendiant) : mais on a grand mal à relier ces manières de raisonner au malheur du mendiant – l’invahde, la veuve chargée de famille, le vieillard usé –, et l’échec du décret du 5 juillet 1808 tient sans doute à une erreur capitale : on avait confondu le mendiant valide et le mendiant invalide, et l’erreur fut reprise dans les années 1840- 18509.
5Troisième zone : le rapport du mendiant à la vie sociale : son mode de vie (nourriture, vêtement, couchage, infirmités, sexualité, langage)10, l’habitude de ruser, de dissimuler, de mentir, pour protéger sa liberté, sa distinction du permis et du non permis11, son habitude du malheur, son « fatalisme ». Or sur ces différents points nous n’avons, par force, que des informations fragmentaires, extérieures, peu fiables ou suspectes, d’interprétation difficile, qui peuvent conduire l’historien à des erreurs, à des approximations dangereuses ; il faut être conscient qu’on n’a que des documents plus ou moins probables, ce qui interdit toute « généralisation », toute « explication » globale12.
6Quatrième zone : on est incapable par suite de saisir les mutations du monde de la mendicité, les changements dans les rapports entre la société et le mendiant au XIXe siècle : on doit se méfier de tout continuum, on ne peut guère montrer les changements « probables », liés par exemple à l’accroissement du niveau de vie, aux transformations du monde rural ; toute idée de causalité est dangereuse en ce domaine : celui qui croit pouvoir expliquer, commet souvent une erreur, on n’a que des choses très incertaines, indéterminées à montrer13.
II. L’incertitude du questionnaire
7Qu’est-ce qu’étudier la mendicité ? On croit l’entreprise simple – et en fait on doit se plonger dans un système d’incertitudes : les mots mendicité, mendiant conduisent à multiplier les questions, auxquelles on ne sait point répondre, auxquelles peut-être même est-il impossible de répondre14 ; donnons ce questionnaire minimal pour une date précise :
- Qu’est-ce qu’un mendiant ? Comment vit le mendiant ? Quel est son vécu, son imaginaire ?
- Qu’est-ce que la mendiante15 ?
- Quelle est l’attitude du corps social (et du corps politique) devant le mendiant ?
- Quelle est l’attitude des institutions (la justice, l’administration, la police, l’Église) ?
- Comment l’idée de mendicité est-elle acceptée ? Quels débats provoque-t-elle sur les secours pour prévenir la mendicité, sur la nécessaire répression, sur la légitimité de l’aumône (liberté ou centralisation) ?
- Quel est le degré de tolérance au mendiant valide ? au mendiant invalide ?
- Quels sont les rapports entre pauvres, indigents et mendiants ? Comment « tombe-t-on dans la mendicité » ?16
- Qu’est-ce que la police de la mendicité ? Quelles règles juridiques faut-il appliquer ?
- Qu’est-ce qu’un dépôt de mendicité (c’est-à-dire l’institution de répression) ?
8A ces différentes questions, il est bien difficile – faute de sources fiables – de répondre pour une date donnée, et il est encore plus difficile de saisir les mutations, les écarts entre deux dates (par exemple 1810 et 1850). et certaines de ces questions engagent des débats juridiques sur des questions capitales : y a-t-il une liberté de mendier ? un droit naturel à mendier ? Quel est le degré de contrainte que la société peut imposer dans son intérêt ?17 Qui peut priver de liberté le mendiant ou le punir ? Le préfet ou le juge ?18 Quel est le rôle exact d’un dépôt de mendicité ? Pourquoi reclure un mendiant ? L’histoire du droit de la mendicité – depuis la Commission Loménie de Brienne19 – montre que personne n’avait de certitudes en ce domaine20, qu’on se méfiait beaucoup des belles idées de police et d’extinction de la mendicité : ce qui explique les variations des doctrines officielles tout au long du XIXe siècle21. Dès que l’historien cherche à remonter aux principia, il ne trouve que confusion, incertitude, désordre, il est désorienté, il est conduit à suspendre son jugement.
III. Conséquences
9Examinons quelques conséquences d’une telle situation.
10Première conséquence : le malaise, la gêne de l’historien, il se sent « impuissant »22 : on a grand mal à raisonner sur cette histoire de la mendicité (on doit se rappeler les leçons du P. Wresinski, montrant qu’on ne peut saisir la souffrance du pauvre)23, on rationalise toujours trop, on adopte trop facilement le point de vue du juge, du préfet, du bureaucrate, on n’utilise guère que des témoignages ou des discours « raisonnables » ; c’est un piège dangereux (qui rappelle celui du rationalisme pseudo-scientifique des folkloristes dénoncé jadis par Jeanne Favret-Saada)24. On doit bien réfléchir aux limites de ses explorations25, au risque de rationalisation arbitraire, à l’impossibilité de comprendre « en profondeur » le mendiant de 1810 ou de 1860 : il est nécessaire de chercher à désapprendre26, de mettre en doute sa manière de connaître, de saisir son impuissance.
11Deuxième conséquence : il n’y a pas un mendiant, mais de multiples catégories de mendiants : comme dit P.A. Dufau27 en 1858, « il y a le mendiant des cités et le mendiant des campagnes, le mendiant valide et le mendiant infirme, le mendiant homme et le mendiant femme, le mendiant enfant et le mendiant vieillard ; il y a le mendiant accidentel et le mendiant permanent, le mendiant fixe et le mendiant vagabond, le mendiant isolé et le mendiant en famille ! ». Or le Code pénal ne pouvait tenir compte de cette diversité des mendiants, et nous avons le plus grand mal aujourd’hui à comprendre cette extrême bigarrure, le bon mendiant connu, toléré, le mendiant qui n’est qu’un fainéant, le faux invalide28, la veuve chargée d’enfants qui mendie pour survivre, le mendiant qui est un imbécile... Il faudrait pouvoir établir des « biographies » des mendiants, des récits de vie – mais c’est impossible : on n’a que des documents douteux, partiels, provenant de commissaires de police ou de maires paysans29, qui disent peu et souvent déforment (on ne connaît pas leurs sentiments véritables, leurs arrière-pensées) ou des interrogatoires de juges30, qui sont très lacunaires.
12Troisième conséquence : techniquement l’historien n’a que des documents médiocres, incertains, qui sont plus ou moins probables ; on ne peut se fier aux statistiques fort arbitraires (on ne sait quelle est la part des mendiants qui échappe aux enquêtes), les dossiers administratifs ou judiciaires ne concernent qu’une petite part des mendiants, et le mendiant ne parle pas (le greffier interprète, et souvent en reprenant des formules stéréotypées), il n’écrit pas, et ceux qui ont le contact direct avec lui – la religieuse, le prêtre, la servante qui donne l’aumône – ne laissent aucun témoignage. L’historien n’a que des incertitudes, il a la plus grande peine à décoder les documents. Il sait qu’à chaque pas il peut commettre des erreurs, il lui est bien difficile aujourd’hui de comprendre le mode de raisonnement du préfet, du notable devant ce « problème insoluble »31, il ne saisit que des fragments, il n’a plus de repères : comment savoir ce que pensaient réellement un maire, un médecin, un membre du bureau de bienfaisance ? Quels étaient leurs préjugés coutumiers, leurs « traditions » ? Qu’était-ce que le devoir d’aumône pour une bourgeoise de 1820 ? de 1880 ? Et pour une religieuse ou un prêtre ?32 L’historien est prisonnier de multiples incertitudes, il ne sait comment trouver son chemin vers le probabilior.
13Quatrième conséquence : on rêve d’aller plus loin, d’établir la biographie d’un mendiant ; aucun mendiant ne ressemble à un autre33, il a ses malheurs particuliers, mais personne ne peut plus les conter : tout est irrémédiablement perdu. Et on n’a pas la ressource des archives orales (comme en histoire administrative ou sociale) pour chercher à saisir les choses importantes, les réflexes, la sensibilité, ce qui est tu, caché : il serait dangereux d’utiliser des archives orales sur les mendiants d’aujourd’hui pour comprendre le mendiant de 1860 ou de 1900, tant les modes de vie, les manières de voir sont différents (notamment pour le mendiant rural)34.
14Cinquième conséquence : on doit se méfier de ce qu’on peut écrire sur la mendicité, on peut dire, « expliquer » à tort, on a un discours nécessairement trop « raisonnable »35, on se heurte à des barrages, à des incompréhensions : il faut donc limiter ses visées, se réduire à des analyses fragmentaires, à des publications patientes de documenta, de testimonia, se refuser à bâtir des systèmes d’explication, même à titre provisoire ; on est dans une histoire presqu’impossible36, qui ne peut bouger que lentement (peut-être un jour dans 10 ou 20 ans un jeune historien posera-t-il les bonnes questions qui permettront d’aller plus loin...)37.
15Sixième conséquence : comment gérer ce système des probables ? Les règles sont très floues, on ne sait trop (c’est une histoire qui pour le XIXe et le XXe siècle vient de naître) jusqu’où l’on peut aller dans cette voie ; posons quelques questions.
16Premier problème : peut-on enseigner à faire cette histoire de la mendicité ? Nous ne le croyons pas38, mais dans un séminaire on peut mettre en garde à la rigueur contre les erreurs probables de l’historien, qui est tenté par cette histoire difficile (on peut déraper par excès de doctrine, par incapacité à décoder les documents).
17Deuxième problème : comment programmer ses efforts, fixer des étapes ? Que veut-on dire à l’historien d’aujourd’hui ?39 au lecteur qui a la pratique sociale (et qui peut « probablement » y saisir ce qui se rapproche de son quotidien, assistante sociale ou religieuse) ? à l’historien de 2050 (celui qui utilisera, et jugera sans appel mes travaux) ? Or on n’écrit pas les mêmes choses pour ces trois « publics », on doit bien saisir leurs besoins « probables ».
18Troisième problème : comment faire effort pour aller jusqu’aux limites de cette histoire ? Peut-on saisir par l’intuition, par la rêverie des choses importantes ? Les risques d’erreur sont considérables, appliquer les règles d’une histoire sensible est dangereux40.
IV. Règles du jeu
19Comme pour toute histoire sociale il faut régler les désajustements, les écarts entre les ambitions et l’exécution, entre les rêveries et le possible. Quels conseils peut-on donner à ras de terre ?
20Première règle : on doit chercher à saisir la « biographie » des mendiants, en dépouillant les dossiers judiciaires, les enquêtes statistiques ou policières, les dossiers des dépôts de mendicité et des bureaux de bienfaisance ; les interrogatoires du juge de paix ou du juge d’instruction sont parfois très détaillés41, on a souvent des regards différents, et les « fiches » des commissaires de police ou des maires permettent d’entr’apercevoir tant bien que mal le malheur des mendiants. On a tout intérêt à publier de telles « fiches », car elles se prêtent à des lectures multiples.
21Deuxième règle : on doit publier les différents regards sur le mendiant, de l’administrateur, du juge, du procureur, du prêtre, du « philanthrope », du journaliste ; un préfet peut parler du droit naturel à mendier42, un notable défendre la liberté du mendiant et protester contre l’injustice de toute sanction à son égard, de toute privation de liberté (l’aumône est un accord libre entre celui qui demande et celui qui dorme)43, les mesures de police soulèvent la réprobation (il faut d’abord donner du travail)44. On peut accumuler ces regards croisés, ces opinions en vue d’une histoire provisoire, en suspendant son jugement – les « interprétations » sont souvent difficiles.
22Troisième règle : on doit chercher à se mettre en état de comprendre avant de commenter45, à bien saisir les limites de ce que l’on croit saisir : le P. Wresinski a montré la difficulté de connaître le pauvre, sa souffrance psychologique, et il en est de même du mendiant, qui est le pauvre entre les pauvres, qui parfois a fait le « saut de la mendicité » quoiqu’honnête homme (le mendiant « de bonne conduite »). Chaque fois que l’on traite une question de mendicité, on doit bien en montrer les limites : il y a 1°) ce que je ne peux comprendre aujourd’hui, 2°) ce que je ne suis pas en état de comprendre, parce que le vécu du mendiant relève de l’inconnaissable, 3°) ce qui est perdu irrémédiablement, 4°) ce qui probablement existait et que je ne puis qu’entr’apercevoir. On est pris au piège, on reste en deçà.
23Quatrième règle : on doit marquer l’intérêt de l’exercice – aller le plus loin possible dans la « connaissance » ou l’exploration du malheur du pauvre, du fatum –, mais aussi on doit faire voir ce qui ne colle pas, ce qui ne va pas : on est (toutes choses égales par ailleurs) dans un cas proche de celui de la sorcellerie (il faut relire les vives critiques de Jeanne Favret-Saada contre les illusions rationalistes de Van Gennep dans Les mots, les sorts, la mort)46 ; l’idée qu’on peut aller jusqu’au fond des choses est une erreur, ou une sottise : je ne peux « comprendre » vraiment ni le mendiant, ni celui qui donne l’aumône ni le juge qui interroge ou sanctionne ; on est sans remède à l’écart, plongé dans l’incertain, le douteux, le non-connaissable, on peut, tout au plus, publier des « fragmenta », des « testimonia ».
24Cinquième règle : il faudrait dégager les règles du probabilisme en ce domaine à l’usage des successeurs, et de l’historien de 205047 ; gérer un système de probables n’est pas commode, il faut : 1) accumuler, collecter des fragmenta, des monumenta48, des testimonia, 2) suspendre son jugement à titre provisoire, attendre d’autres investigations, d’autres investissements intellectuels, d’autres mises en doute : c’est une erreur que de vouloir aller rapidement à dame, 3) faire un effort de doctrine, montrer l’imaginaire que provoque un tel sujet, rappeler les principes de l’humilité nécessaire à l’historien de la mendicité, qui sent douloureusement son impuissance49.
V. Qualités exigées de l’historien
25L’histoire probabiliste requiert de l’historien un certain nombre de qualités, qu’il faut rappeler brièvement (on est loin de l’histoire déterministe, certaine, capable de tout expliquer).
26Première qualité : la souplesse, on doit savoir s’adapter au terrain, en suivre comme le faucheur toutes les bosses, tenir compte des pièges, de la résistance de la matière étudiée, pressentir les voies du plus probable, viae probabiliorum : c’est une histoire qu’il faut faire jeune, quand on a encore la capacité de pressentir fortement.
27Deuxième qualité : la confiance en soi, l’assurance de soi : on sait qu’on est capable d’aller le plus loin possible dans le non-connu, dans l’exploration des zones entre le connu et le non-connu, on doit savoir jurer de soi, être tenace, obstiné.
28Troisième qualité : la capacité de gérer un système de probables, soit de se mettre en état de pressentir, d’entrevoir, d’aller lentement, pas à pas, de programmer ses efforts, de mettre en question ce que l’on conquiert : ce n’est pas toujours facile, il y faut beaucoup de prudence, de circonspection, de discernement.
29Quatrième qualité : le courage, on doit avoir le courage de se jeter à travers champs, comme dit Claude Bernard, d’échapper aux systèmes, aux pièges de la coutume, de trouver seul son chemin.
30Cinquième qualité : la capacité d’ignorer : on ne sait (comme dans toute histoire à naître) ce que l’on risque de découvrir, où l’on pourra aboutir, on se laisse guider par les Dieux (peut-être court-on à l’échec).
31Sixième qualité : l’art de mettre en doute ce qu’on croit saisir ou « savoir »50, de déceler ses erreurs probables51, de n’avoir que des jugements provisoires (on est fasciné par le provisoire)52.
32Septième qualité : l’habileté à vivre dans le doute, l’inachevé, en trouvant au doute provisoire, à l’inachèvement, à l’imparfait, une vertu pacifiante et presqu’une sorte de plaisir53.
Conclusion
33Quelles leçons – à titre provisoire – peut-on tirer de ces quelques explications ?
34Première leçon : l’histoire de la mendicité est un bon exemple du flou nécessaire en histoire sociale : l’historien ne peut aller au-delà d’un certain point, sinon par des fictions dangereuses, il est contraint de rester dans le domaine du plus ou moins probable.
35Deuxième leçon : cette histoire du mendiant (et de la mendiante) nous enseigne beaucoup sur un passé mort, irrémédiablement perdu (on n’a plus que des testimonia douteux, incertains), mais aussi sur soi-même, sur ses limites intellectuelles et sensibles, son incapacité à saisir le vécu d’autrefois, son impuissance : on doit être prudent, gérer attentivement son système des probables, ne pas croire qu’on puisse comprendre vraiment ce qui s’est passé54.
36Troisième leçon : l’histoire de la mendicité est in principio une histoire probabiliste qui incite à un scepticisme modéré. Le Que puis-je savoir ? renvoie à un Qu’est-ce que j’ignore ?, et personne ne peut répondre, même la rêverie ne peut rien apporter (et on sait qu’il n’y a pas de bon roman sur le mendiant)55. C’est un cas limite : mais l’historien est nécessairement fasciné par cette histoire impossible.
Notes de bas de page
1 Sur le probabilisme en histoire sociale, supra, p. 205.
2 Sur un cas d’application, qui touche à l’histoire de la mendicité, le probabilisme en histoire de la bureaucratie, cf. Pour une histoire de la bureaucratie en France, 1979, p. 155-162.
3 Sur les perspectives de l’histoire de la mendicité, cf. « Orientations de recherche » dans La mendicité en Nivernais. Débats et pratiques (1840-1860), 2001, p. 695-706 et « Perspectives de l’histoire de la mendicité au XIXe siècle », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 42, 2000, p. 64-75.
4 On trouve peu de choses sur l’histoire religieuse du mendiant, ce n’est pas un sujet d’étude...
5 Cf. Préfets et mendiants : le dépôt de mendicité de la Nièvre (1808-1820), 2002, p. 82.
6 Ibidem, p. 83.
7 Celle qu’exprime le Code Pénal de 1810.
8 Comme le dit le bureau de bienfaisance de Mulhouse en 1847 : « L’aumône simple est toujours impuissante parce qu’elle est toujours aveugle. La charité intelligente substitue le travail à l’aumône pour moraliser en secourant ». Et le préfet de police Dubois en 1808 voulait qu’on offrît toujours du travail au mendiant avant de le renfermer (cf. Préfets et mendiants..., ouv. cité, p. 385 et sur le point de vue d’un Delessert, Bulletin, n° 43, 2001).
9 Sur l’échec du décret de 1808, cf. Préfets et mendiants..., ouv. cité, p. 417-427.
10 Sur ces deux derniers points, on possède fort peu de témoignages.
11 C’est tout le problème du soupçon de vol qui a toujours pesé sur le mendiant : il est toujours facilement accusé de vol ou de larcin.
12 Les thèses sur la mendicité qui cherchent trop à expliquer, à dire « ce qui s’est passé », sont souvent vouées à une obsolescence rapide : l’histoire de la mendicité est opposée à une histoire déterministe, doctrinaire, qui croit à des explications générales.
13 Il est très difficile, de même, de savoir les changements qui se produisent du côté de celui qui accorde l’aumône, de saisir l’évolution du côté spirituel de l’aumône (rappelons que le P. Portal a quelque peine vers 1900 à expliquer à Mme Gallic et à la communauté de Javel qu’il faut aider le pauvre sans aucune exigence, sans esprit de retour, R. Ladous, Monsieur Portal et les siens, 1985, p. 312) ; dans le domaine de la charité, il y a plusieurs écoles, et on n’a pas toujours les bons textes.
14 Comme disait le bon Seignobos, « il est très utile de poser des questions, très dangereux d’y répondre » : c’est là un fondement du probabilisme en histoire.
15 C’est un des chapitres ignorés de l’histoire des femmes, alors que les mendiantes représentaient deux tiers de la mendicité habituellement.
16 Cette chute dans la mendicité est rarement décrite, on ne sait comment « on fait le saut ». Parfois le bon travailleur manquant d’ouvrage et chargé de famille se met à mendier en période de crise frumentaire.
17 Rappelons le contre-mémoire de l’archevêque d’Aix, Boisgelin de Cucé, qui a, de façon quasi diabolique, rappelé en 1775 qu’il était tout à fait déraisonnable, et contraire à la justice, d’accabler et tracasser le mendiant (Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 43, 2001). Or Boisgelin ne faisait qu’exprimer la bonne doctrine religieuse (ce qui explique sans doute la chute des dépôts de mendicité en 1814-1817).
18 C’est un débat qui remonte au XVIIe siècle, la police des mendiants relevant du Roi et non du Parlement.
19 Cf. Aux origines de l’administration sociale : le Mémoire sur la mendicité de Loménie de Brienne (1775), Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 2002.
20 On voit très bien les doutes d’un Bertrand de Molleville, intendant de Rennes, Bulletin, n° 42, qui sont repris tout au long du XIXe siècle.
21 Le corpus des circulaires mériterait d’être étudié sous cet angle.
22 Cf. « L’impuissance », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, n° 44, juillet 2001.
23 Il conseillait à ses collaborateurs de tenir journal pour apprendre à comprendre le discours du pauvre.
24 Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage, 1976 (cf. « Le métier d’ignorant », p. 286-294) : on peut en tirer quelques enseignements sur les tentations « rationalistes » ou « positivistes », les erreurs de perception, même si la mendicité est fort éloignée de la sorcellerie (mais ce sont aussi deux « souffrances psychiques »).
25 C’est une entreprise très difficile : l’historien n’est pas formé à réfléchir par écrit aux limites de son savoir, et il ne tient pas journal.
26 Il serait intéressant de dresser la liste de tous les préjugés que nous avons sur le mendiant, pour des raisons d’éducation, de compréhension, de coutumes de pensée : même ceux qui ont la pratique sociale du mendiant aujourd’hui ont peine à comprendre sa manière de raisonner, son vécu.
27 P.A. Dufau, Essai sur la science de la misère sociale, p. 227. Rappelons les efforts d’un Montlinot pour classer ses mendiants, ou de l’auteur anonyme d’un mémoire de 1775 (Bulletin, n° 41, 2000, p. 132-135).
28 A Biches M. de Cheverry donne en 1860 quelques exemples (La mendicité en Nivernais..., ouv. cité, p. 590-594).
29 Par exemple dans l’enquête de 1841 (ibidem, p. 48 et suiv.).
30 Les juges – contrairement à ce qu’on pense – sont souvent d’une grande mansuétude, dès que les textes leur permettent de remettre en liberté le mendiant.
31 On a le même problème aujourd’hui pour l’attitude du juge (et du préfet) à propos des toxicomanes.
32 Le curé est souvent chargé de distribuer des secours aux mendiants, ou aux indigents qui risquent de verser dans la mendicité.
33 C’est là un axiome « probable » qui doit régler la recherche : plus on cherche à introduire le chiffre, à bâtir des tableaux statistiques par âges, professions, statuts, plus on risque de commettre des erreurs graves. La statistique ne peut rendre compte vraiment du malheur (il y a par exemple le mendiant de race, de père en fils, qui échappe à toute mesure).
34 Les risques d’anachronisme sont considérables, et de surcroît la mendicité 1980-2000, qui est faite surtout de valides, n’a plus rien à voir apparemment avec celle de 1900 (même pour la partie « psychiatrique »). Mais on n’a pas encore pratiqué des archives orales de mendiants.
35 Le seul terrain solide – parce qu’il donne l’occasion de multiples lectures –, c’est celui de la publication de documenta.
36 Sur l’histoire « impossible », cf. L’histoire..., ouv. cité, p. 637-645.
37 Peut-être trouvera-t-il un journal de prêtre ou de notable bienfaisant, qui contera ses rapports avec ses mendiants...
38 Tout discours sur les mendiants, même avec les précautions nécessaires, est récusable, il relève de ce pseudo-scientisme ou de cet illusionnisme dont J. Favret-Saada se moquait méchamment (supra, note 24). Il faudrait dresser la liste de toutes les faussetés probables d’un discours sur le mendiant.
39 Sur la demande actuelle en histoire des mendiants, cf. La mendicité en Nivernais..., ouv. cité, p. 703-706.
40 C’est là un cas limite où la rêverie, quelle que soit sa capacité de pénétration, ne peut guère aider l’historien.
41 Mais on voit bien que ce sont des cas peu intéressants, des malheureux « dignes de pitié », comme dit le procureur de Cosne, et on préfère laisser intervenir la police administrative.
42 Ainsi le préfet de la Nièvre, maître des requêtes au Conseil d’État, en 1846.
43 C’est la grande doctrine de Boisgelin de Cucé en 1775, reprise par les libéraux du XIXe siècle contre les « philanthropes ».
44 C’était la doctrine du préfet Dubois en 1808.
45 Suivant le mot d’Étienne Gilson.
46 Supra, note 24. Quand on lit telle thèse récente sur la mendicité, où l’on ne trouve aucune mise en doute de ce qui est affirmé, on songe aux critiques de J. Favret-Saada : à quoi sert d’affirmer des choses qu’on ne cherche pas à comprendre ?
47 Sur l’historien de la protection sociale en 2050, cf. L’histoire en 2050, ouv. cité, p. 66-69.
48 On a si peu publié sur le sujet qu’on ne dispose même pas d’un recueil des circulaires et rapports principaux.
49 Sur l’humilité, cf. Théorie et pratique de l’histoire (à paraître).
50 Sur l’art de douter, cf. Pour une histoire de la bureaucratie..., ouv. cité, p. 285-292.
51 Par prudence, on devrait dresser, à titre d’exercice, la liste de toutes les erreurs probables.
52 Comme dans la méthode cartésienne, ainsi que le note Alain, c’est un provisoire fort durable : la sottise est de vouloir sortir du provisoire, de croire qu’on peut un jour accéder au vrai (cf. infra, p. 251).
53 Sur le nécessaire inachèvement, cf. L’histoire entre le rêve et la raison..., ouv. cité, p. 657-665.
54 On ne peut appliquer les règles de l’histoire sensible (cf. Revue administrative, 2000, p. 302-306).
55 Pas plus qu’on n’en a sur l’idiot...
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L’historien et le probabilisme
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