II. L’histoire européenne
p. 185-197
Texte intégral
1Dans les vingt prochaines années, il est certain que se développera, dans chaque segment de l’histoire économique, une histoire européenne qui risque d’accaparer les énergies et les crédits. La prospective est floue ; mais en histoire économique des XIXe et XXe siècles, cette forte croissance de l’histoire européenne, avec ses principes, ses ambitions, ses règles du jeu, ses contraintes, risque d’avoir des conséquences notables pour l’histoire « nationale ». Certes on a grand peine à raisonner sur de telles hypothèses, on n’a pas de méthode de réflexion assurée, on discerne mal les enjeux par-dessous. Mais nous croyons urgent d’entreprendre une réflexion d’ensemble qui permette de dégager certaines priorités1 et nous voudrions présenter quelques observations sur la croissance de cette histoire européenne et ses risques, sur le questionnaire européen et sur les programmes qu’on devrait mettre en œuvre2.
I. LA DEMANDE D’HISTOIRE EUROPÉENNE
2L’histoire européenne est une nécessité : elle se développera fortement d’ici 2030-2050, mais cette probabilité est encore peu reconnue3, on a quelque mal à en discerner les enjeux réels. Il faut être conscient de l’importance des demandes qui poussent au développement de cette histoire.
3Premièrement : une demande politique, dans la logique de l’État fédéral en cours de construction, et de l’intégration de plus en plus poussée des États-membres : la conscience politique européenne doit normalement s’appuyer sur une histoire européenne.
4Deuxièmement : une demande sociale : on cherche à voir clair en amont de l’intégration, on veut saisir ce passé commun, les heurts et divisions entre nations, les rapprochements nécessaires, mais cette demande est ambiguë, on veut saisir aussi son passé national ou régional.
5Troisièmement : une demande technique : certaines histoires ne peuvent être faites qu’à l’échelle européenne (par exemple l’histoire de la machine à calculer, l’histoire de l’informatique, l’histoire du management ou l’histoire de l’armement).
6Quatrièmement : une demande globale ; la recherche historique tend de plus en plus – comme les autres sciences humaines – à sortir du cadre national, ce qui permet d’obtenir des allocations de moyens plus abondantes, on veut avoir accès aux crédits européens4.
7Mais il faut faire la part aussi d’autres demandes :
une demande des jeunes, de plus en plus habitués à regarder les choses sous l’angle européen, qui voyagent et feront de plus en plus des séjours à l’étranger ;
une pression des historiens anglais, et surtout américains, qui ont une conception globale, souvent très arbitraire, très résumée de l’histoire économique européenne et tendent tout naturellement à « oublier » les différences nationales5 ;
une incertitude sur le statut futur de l’histoire : quelle histoire enseignera-t-on dans les lycées en 2050 ? Y aura-t-il des directives (ou des lois) « fédérales » sur le contenu de cette histoire ? L’histoire risque fort d’être un enjeu politique dans les prochaines décennies, nécessairement elle aura une incidence politique floue, sa mission « probable » sera de renforcer l’idéologie de l’intégration européenne et de combattre – sans trop le dire – les « nationalismes »6, les réflexes identitaires (on a là la possibilité de « dérives » vers une histoire plus ou moins « manipulée » et manipulatrice...)7. Mais il peut y avoir des tensions, des résistances, des contre-manœuvres, des histoires défendant ostensiblement les identités nationales (ou régionales), et tout comme l’histoire politique, l’histoire économique risque de jouer un rôle non négligeable dans cette défense8.
8Personne ne peut dire ce qui se passera en 2030 ou 2040 : il est probable que l’histoire « européenne » obtiendra facilement de larges crédits, des postes de chercheurs, d’enseignants9, et qu’on mettra systématiquement en œuvre des histoires européennes par secteur (par exemple l’histoire des assurances ou l’histoire des houillères ou l’histoire de la sidérurgie).
II. LES RISQUES D’UNE HISTOIRE EUROPÉENNE
9L’analyse n’est pas facile car, si l’on a déjà la pratique d’une histoire européenne dans des secteurs limités, cette histoire, pour le XIXe et le XXe siècles, reste encore à construire (par exemple pour l’histoire monétaire ou pour l’histoire du financement des investissements) : c’est tout un système qui se mettra progressivement en place, avec des règles du jeu différentes, des principes et des méthodes dont on ne peut prévoir aujourd’hui le développement (ce système s’organisera « probablement » sur quarante ans)10. On ne sait trop ce qui pourra se passer si l’on ne fait pas un effort de prospective intelligent.
10Premier risque : une histoire européenne, quel que soit le secteur, peut tenter de niveler, de gommer les différences, les divisions, de lisser volontairement le passé, sous prétexte de simplifier, de rechercher les points communs : or une histoire résumée, à l’excès, niveleuse, est toujours dangereuse11.
11Deuxième risque : elle risque fort d’être partiale, volontairement ou non : on trie les faits, sous prétexte qu’on ne peut tout dire, on ne veut saisir que les « points de rapprochement », on cède à la facilité, on esquisse, sous le prétexte de synthèse, des « fresques » artificielles, arbitraires, qui conduisent droit à l’erreur.
12Troisième risque : il est très difficile de faire coopérer des historiens « nationaux » entre eux ; chacun a ses préjugés, ses méthodes, les conflits sur les principes de l’histoire risquent d’être nombreux, ils tiennent aux différences de formation12, de vision de l’histoire (ils ne croient pas à la vérité de la même façon, beaucoup font de l’histoire « partiale », engagée)13 ; les centres d’intérêts sont différents d’un pays à l’autre14. Si l’on veut construire une histoire européenne fiable, il faudra multiplier les confrontations, évaluer les méthodes, les produits.
13Quatrième risque : quel sera le poids de l’histoire des régions dans cette histoire européenne ? Chaque histoire nationale s’appuie sur des histoires régionales et locales de valeur inégale : comment l’histoire européenne va-t-elle utiliser ce vivier ? Les histoires régionales ont un poids certain en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Angleterre : comment en tiendra-t-on compte ?
14On saisit bien les incertitudes : dans bien des secteurs, l’histoire économique européenne est difficile à entreprendre pour le XIXe et le XXe siècle, elle pose des questions redoutables de principes, de définitions (quelles limites territoriales donner à l’Europe ?)15, de méthodes de travail, d’objectifs communs ; on peut certes comparer facilement l’outillage des hôtels des monnaies à travers l’Europe, et donner des statistiques de fabrication, mais il est plus délicat de comprendre l’élaboration des politiques monétaires, les mécanismes des décisions monétaires, de saisir la circulation des monnaies ou les coutumes monétaires16. À l’évidence le risque est grand d’avoir une histoire orientée vers le plus facile, l’apparent, le mesurable, le formel et qui délaisse le plus important.
III. LE QUESTIONNAIRE EUROPÉEN
15Pour entreprendre une histoire européenne d’un secteur économique, l’historien de l’économie doit répondre à des questions qui sont souvent occultées à l’échelle nationale ou qu’on oublie de poser, par myopie ou faute de sources. Or la perspective européenne oblige à prendre en compte des hypothèses de travail neuves, et dans chaque secteur, on doit réfléchir à ce « questionnaire » (par exemple pour l’histoire de l’armement ou l’histoire fiscale ou l’histoire de l’actuariat). On voit bien ce qui est en jeu :
la diffusion des idées, et les vecteurs (les publications et les traductions, les voyages, les guerres) ;
l’imitation des techniques, des expériences étrangères ;
le transfert de techniques intellectuelles (droit) ou scientifiques, ou de procédures d’organisation ;
la circulation de l’information ;
les illusions européennes, les essais de coopération (en matière douanière, financière, monétaire) ;
les résistances : les préjugés nationalistes, la psychologie de la « défense nationale », le jeu des intérêts économiques ;
l’image de l’étranger et de ses déformations.
16C’est tout un monde à explorer, par exemple en histoire de la métallurgie ou en histoire monétaire, et parfois on fait de belles trouvailles17. On voit que l’historien de la métallurgie18 doit s’intéresser aux importations de techniques et d’outillages, à l’immigration d’ingénieurs et de « spécialistes », aux voyages de « renseignements industriels » (ou d’espionnage industriel) à l’étranger, à la diffusion des traités techniques, à l’imitation de procédés d’organisation, de pratiques sociales (caisses de retraites), et qu’il est amené à publier des documents (journaux de voyage, correspondances, mémoires techniques) qu’à l’ordinaire il dédaignait ou jugeait presque « hors sujet »19.
17Dans chaque secteur on doit inventorier ce qui peut être fait, comprendre les exigences particulières de cette histoire européenne. Mais on peut hésiter : comment relier ses propres objectifs à ceux de l’histoire européenne de la branche ? Voici quelques questions auxquelles on doit répondre pour son secteur.
18Première question : quelles sont les exigences de cette histoire « européenne » pour les règles de recherche, les méthodes de travail ? On doit pratiquer des méthodes d’érudition, découvrir des sources nouvelles – et notamment des sources sur l’étranger –, publier des recueils de documents de façon à être « lisible » pour l’historien européen qui les utilisera20.
19Deuxième question : comment ces méthodes peuvent-elles s’adapter à l’histoire nationale ? Comment peut-on « programmer » la recherche en en tenant compte ?21
20Troisième question : quels sont les points de divergence entre les histoires « nationales » ? Certains pays paraissent « en avance », d’autres « en retard », mais rien n’est plus flou que ces idées d’avance et de retard, et comment en saisir les causes ?
21Quatrième question : quels sont les échanges d’idées, d’expériences, de techniques, de procédures ? Quels modèles importe-t-on, et par quelles voies ?
22Cinquième question : quelles sont les innovations (ou créations) au plan européen apportées par telle ou telle personnalité créatrice ?22
23Sixième question : comment peut-on « comparer » un système national à un autre ? Par exemple quelle valeur attribuer aux statistiques, aux documents imprimés, aux enquêtes parlementaires, qui peuvent être biaisées et induire en erreur ?23
24On voit l’importance des questions, l’incertitude des réponses : assurément, avant de construire une histoire « européenne », il faudra quelques décennies de travaux de première main, si l’on veut éviter une histoire simplifiée, résumée, partiale, erronée, parce qu’on n’a pas su mener à la base les travaux de façon rigoureuse, avec des méthodes, un langage communs. Or l’histoire européenne ne peut être la simple juxtaposition d’histoires nationales, elle met en cause sans le dire tout le système de production historique.
IV. CONSÉQUENCES
25On ne sait trop comment réagir devant ces perspectives floues ; il faut avancer prudemment et bien voir ce qui pourrait se passer.
26Première conséquence : on devrait, pour être capable d’entrer dans le jeu européen, être au clair sur les principes généraux de la recherche pratiquée dans chaque secteur.
27Deuxième conséquence : l’histoire européenne, répétons-le, risque fort de niveler les différences, d’oublier les divergences d’évolution ; pour éviter ces vues réductrices – inévitables si l’on n’y prend garde –, on doit chercher à compliquer les problèmes, à établir des arbres de la demande24 permettant de saisir tous les aspects d’une quaestio, de démultiplier les objectifs, ce qui permettrait de repérer facilement les tentatives de réduction.
28Troisième conséquence : dans chaque secteur d’histoire économique on doit :
développer des méthodes de programmation, telles que les appliquent les Comités d’histoire ;
établir des plans sectoriels de développement ;
vérifier les lacunes de la recherche, les taches blanches de la carte (nous n’avons, pour l’histoire générale des tarifs douaniers, qu’un ouvrage remontant à 1876...) ;
constater le déclin des études pour certaines périodes (on se plaint ici et là, par exemple, de l’abandon de l’histoire du XIXe siècle...)25.
29Si l’on veut obtenir des crédits européens, ou affectés à l’histoire européenne, il faut avoir des programmes cohérents, et éviter d’y aller en ordre dispersé, la pire des méthodes.
30Quatrième conséquence : on devrait former, en urgence, quelques historiens aux méthodes de coopération intra-européenne, à la logique de l’histoire européenne, au métier de chef de projet26 : dans la plupart des secteurs on a trop peu d’historiens ayant la pratique de la négociation internationale.
31Cinquième conséquence : l’histoire européenne future risque fort de s’appuyer sur des histoires régionales telles qu’elles sont pratiquées dans les pays à structure fédérale ou à fortes régions (Espagne, Italie). On doit tenter de renforcer, dans chaque secteur de l’histoire économique, notre histoire régionale en appliquant des méthodes de programmation (il faudrait peut-être des Comités d’histoire régionale)27, chercher à combler les lacunes, accroître les crédits de recherche régionaux (bourses de thèses, chercheurs à plein temps dépendant des régions)... Avoir une histoire régionale forte serait un atout précieux ; si l’histoire européenne doit se développer, comme il est probable, à coup de « grands projets », il faut que les historiens régionaux puissent répondre efficacement aux appels d’offre européens28...
V. PROGRAMMES D’ACTION
32Il est nécessaire d’arrêter un certain nombre de programmes et de prendre les moyens nécessaires pour les appliquer ; cette attitude volontariste peut seule nous mettre à l’abri de mauvaises surprises.
33Premier programme : former les chercheurs à cette histoire à dimension européenne :
on doit les initier dans des séminaires spécialisés à prendre conscience de la dimension européenne de leur secteur de recherche29 ;
on doit les former à explorer les systèmes étrangers, donner des bourses de voyage pour aller travailler sur archives en Allemagne, en Italie, en Angleterre30 (un stage à l’étranger sera un jour obligatoire pour soutenir une thèse), distribuer des thèses sur des sujets européens ou utilisant des archives étrangères ;
il est nécessaire d’organiser des séminaires, des colloques sur des thèmes européens, ce qui permet peu à peu de défricher des sujets mal connus (l’histoire de la comptabilité des prix de revient ou l’histoire des crédits à la consommation ou l’histoire de l’amortissement ou l’histoire du chèque...) ;
on doit inciter à publier dans une perspective européenne, créer peut-être des collections spécialisées (par exemple un Annuaire européen de l’histoire de la fiscalité au XIXe et au XXe siècle...)31.
34Deuxième programme : dans chaque secteur de l’histoire économique, on doit examiner :
la situation de l’histoire européenne du secteur32 ;
la situation de la recherche française vis-à-vis de l’histoire « européenne » ;
les exigences de l’histoire européenne ;
les moyens de se mettre au niveau de ces exigences.
Ces examens permettraient d’établir un questionnaire33, de montrer les trous de la recherche, la nécessité d’établir de nouveaux chantiers ou de réviser les méthodes.
35Troisième programme : on doit renforcer l’histoire régionale dans les secteurs que l’on veut développer, afin de se mettre au niveau de l’histoire européenne :
donner des bourses de thèses (notamment sur le XXe siècle), aider à la publication des travaux ;
organiser des séminaires régionaux spécialisés ;
publier des recueils de documents (c’est ce qu’utilisera le mieux l’historien « européen » en 2030-2050).
36Quatrième programme : on doit entreprendre une réflexion générale sur la manière d’entreprendre l’histoire européenne dans chaque secteur (l’histoire des assurances ou l’histoire monétaire ou l’histoire de l’armement), sur les techniques d’ingénierie historique à employer. Par exemple on doit se poser des questions difficiles sur l’objectif européen 34 :
quelles méthodes faut-il employer dans le secteur pour établir un programme européen de recherche ? Comment en fixer les objectifs ? Quels moyens faut-il allouer ?
comment établir un arbre de la demande européenne dans le secteur ?
quels conseils de méthode faut-il donner aux historiens qui voudraient soit aborder un sujet européen, soit introduire une dimension européenne dans leur recherche ?
comment confronter à l’échelle européenne les résultats des recherches nationales (et régionales) ? Comment les évaluer ? Comment saisir les différences et les points communs ?
comment introduire telle ou telle innovation à l’échelle européenne (par exemple les Comités d’histoire, les archives orales, les banques de données) ?35
37Une réflexion d’ensemble serait bien nécessaire, car on reste le plus souvent dans l’incertitude sur ce que pourrait être une histoire européenne et son niveau de synthèse : c’est parfois une histoire toute provisoire, poreuse et par construction « probabiliste ».
38Cinquième programme : il faut, pour appliquer ces méthodes et techniques, avoir des moyens de pilotage (au sens d’un groupe de travail ou d’un Comité) pour coordonner les efforts, vérifier les niveaux de recherche et allouer les moyens nécessaires, organiser des colloques de méthode pour définir les objectifs communs et préparer les confrontations et validations nécessaires. En fait, la mécanique à monter paraît complexe, compte tenu des différences de principes, de méthodes, de visions du passé, entre historiens d’un pays à l’autre ; si l’on ne prend pas certaines précautions, on risque d’avoir des travaux de qualité fort inégale et peu utilisables pour une histoire « européenne » (il n’est pas aisé de faire travailler les historiens de pays différents dans la même direction et avec des principes à peu près cohérents, et on peut s’attendre à de vifs conflits sur les questions de méthode).
CONCLUSION
39Cherchons à tirer quelques leçons.
40Première leçon : la construction d’une histoire européenne est inévitable : il vaut mieux s’y préparer d’avance, nous avons sans doute 5-20 ans pour lancer les travaux préparatoires (mais personne ne sait s’il n’y aura pas d’accélérations brusques).
41Deuxième leçon : dès maintenant on devrait lancer une réflexion, dans chaque secteur d’histoire économique et financière, sur ce que seront les exigences de l’histoire européenne, sur les méthodes « probables » de coopération avec les autres pays pour construire cette histoire (par exemple pour élaborer sur le même modèle des guides du chercheur ou des banques de données) ; on doit faire les investissements intellectuels nécessaires – sinon on risque d’avoir une histoire où la part de la France sera singulièrement rétrécie.
42Troisième leçon : on doit pousser les jeunes à investir dans cette histoire européenne, dans la coopération européenne, les former aux méthodes de programmation, à la conception de « projets » communs36 : si on ne fait pas d’effort de formation, on risque fort – dans dix-quinze ans – de manquer d’experts et d’être prisonniers de la mécanique européenne.
Notes de bas de page
1 Sur cette question difficile de la construction d’une histoire européenne, cf. « L’histoire européenne » dans L’historien et le probabilisme, 2002, p. 113-119, « Pour une histoire européenne de la protection sociale », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, 2002, n° 46, p. 85- 92, « Pour une histoire européenne des retraites », dans Pour une histoire de la bureaucratie II, 2001, p. 257-265, et pour une application à l’histoire de la métallurgie, « Pour une histoire européenne de la métallurgie nivemaise », Marteau-Pilon, t. XIV, 2002, p. 89-94.
2 Nous ne donnons qu’une esquisse, car on pourrait aller plus loin, en inventoriant les efforts à entreprendre secteur par secteur (par exemple : que pourrait être une histoire européenne de la fiscalité aux XIXe et XXe siècles ? quelles conséquences pourrait-elle avoir sur l’histoire de la fiscalité française, son questionnaire, ses méthodes ?).
3 Les réflexions sur la façon d’élaborer cette histoire – qui ne se confond nullement avec l’histoire de la « construction européenne » – sont encore rares.
4 Tôt ou tard des crédits européens seront distribués par les instances européennes sur des projets européens ou orientés dans des perspectives européennes (pour encourager les travaux dits « comparatistes »). Mais les conditions de distribution des crédits (de type appels d’offres) risquent fort de n’être pas toujours très claires.
5 Ces fresques sont en général faites à partir de travaux de seconde ou troisième main, ce qui est toujours dangereux (elles donnent des vues qui dans le détail sont fausses).
6 Rappelons qu’il s’agit, dans la configuration actuelle, d’une Europe à 25.
7 On ne sait jamais où peuvent tendre les bureaucrates européens : Claude Allègre a dû, paraît-il, s’opposer fermement à un projet de suppression de l’enseignement de la philosophie au lycée...
8 Elle est apparemment plus facile à construire, on croit naïvement qu’on peut comparer aisément des histoires bancaires ou des histoires fiscales, il est probable que ce seront là des histoires qu’on tentera en premier (la pression des historiens anglo-saxons, qui sont souvent fidèles à un modèle d’histoire résumée, peu érudite, sera très forte).
9 On aura peut-être en France des chaires d’histoire économique européenne, tenues par des professeurs anglais ou autrichiens, payées sur crédits bruxellois et avec des « centres de recherche » plus ou moins développés : la mécanique bruxelloise est chose redoutable.
10 Pour le moment les échanges de chercheurs, la coopération intra-européenne, les « projets européens » semblent limités ; mais quand l’intégration européenne sera plus poussée, il est probable qu’on aura affaire à un système très cohérent, disposant de crédits importants, de programmes à moyen terme, en raison même de l’enjeu politique.
11 Le risque est infiniment moindre en histoire de l’art (ou en histoire littéraire), car il y a les œuvres.
12 N’oublions pas les différences de formation philosophique des historiens.
13 L’histoire « politiquement correcte » se développe de façon très inégale suivant les pays.
14 Dans une autre discipline – l’histoire administrative – on constate des conflits assez vifs entre historiens européens, notamment entre historiens anglo-saxons et historiens « latins ». Or l’histoire administrative a des liens étroits avec bien des secteurs de l’histoire économique.
15 On voit bien que l’histoire de la métallurgie tendra à aller jusqu’à l’Oural... Et il paraît bien difficile de faire l’histoire financière du XIXe siècle en négligeant la Russie.
16 Les difficultés que l’on rencontre pour l’histoire monétaire française du XIXe siècle sont à peu près identiques pour les autres pays. Sur la complexité de cette histoire, cf. « Pour une histoire monétaire de la France, XVIIe-XXe siècle », Etudes et documents, t. XI, 1999, p. 515-524 et « L’histoire monétaire » dans L’historien et le probabilisme, 2002, p. 191-203.
17 Ainsi pour les machines à calculer : on s’aperçoit que les seules machines vendues jusqu’en 1870-1880, soit directement, soit sous licence, sont des machines françaises du Dr Roth (à partir de 1842) et de Thomas (à partir de 1850) – alors que l’historiographie anglo-saxonne, et même française, les passe volontiers sous silence...
18 Cf. « Pour une histoire européenne de la métallurgie nivernaise », Marteau-Pilon, t. XIV, 2002, p. 89-94.
19 Quand on commence à s’intéresser à la dimension européenne, on découvre – dans les archives privées, mais aussi dans les dépôts publics – de multiples documents : songeons qu’on n’a pas encore exploité sérieusement, pour la partie étrangère, les voyages métallurgiques des élèves-ingénieurs des mines de 1820 à 1880, conservés à l’École des Mines (supra, p. 66, note 34).
20 Le recueil de documents ne donne pas d’interprétation a priori, il laisse le lecteur libre de son jugement, en contact direct avec le témoignage brut.
21 L’histoire européenne oblige à voir ce qui est le plus important dans la recherche nationale, à saisir des « ensembles ». On doit se poser la double question : 1°) Qu’est-ce que l’histoire faite à l’échelle européenne va montrer d’important dans l’histoire que je fais ? 2°) Qu’est-ce qui sera important dans mon travail pour l’histoire européenne à construire ? Si bien qu’on est contraint de relativiser, on est moins assuré de son jeu, on voit bien que son travail risque d’être évalué, jugé au niveau européen... Tout le jeu de l’historien est modifié, quel que soit le secteur.
22 On est obligé de voir quelles sont les personnalités créatrices qui sont importantes au niveau européen, et les autres...
23 On doit être prudent, car il n’y a pas une bureaucratie économique qui ressemble à une autre, qui ait les mêmes traditions, les mêmes méthodes de raisonnement ; les « tricheries » statistiques sont une tradition séculaire.
24 Cf. supra, p. 17. À la vérité un arbre de la demande « national » peut être différent d’un arbre de la demande « européen ».
25 Cf. Florence Descamps, Avant-propos, Études et documents, t. V, 1993, p. III-IV. L’histoire de ce délaissement serait bien intéressante à faire (par exemple on n’a pas de travail récent sur l’histoire de la métallugie de 1814 à 1914, l’acier Martin, l’acier Thomas sont ignorés...).
26 Mais, hélas, on ne sait comment former.
27 Sur le principe de ces Comités, cf. « La création de Comités d’histoire régionale », dans Pour une histoire de la bureaucratie II, 2001, p. 281-297 (et notamment « le volet européen », p. 293-295).
28 Il faut savoir préparer habilement les projets pour répondre à ces appels d’offres, et les procédures de sélection sont parfois opaques.
29 Si l’on entend développer l’histoire des assurances (supra, p. 136), il faut organiser nécessairement un séminaire sur les aspects européens, et au besoin, en invitant des « intervenants étrangers » (sur le principe de ces séminaires « internationaux », supra, p. 59).
30 Avec, au besoin, un mémoire rédigé sur les sources étrangères – ce qui permet de relativiser son savoir et ses certitudes.
31 Dès qu’on donne le moyen de publier, on a de bons travaux.
32 Ce qui suppose un effort d’inventaire des travaux importants.
33 Nous avons suggéré un tel questionnaire à propos de l’histoire des retraites des fonctionnaires au XIXe (article cité supra note 1).
34 Cette grille de questions devrait faire l’objet d’un colloque.
35 Nous croyons que tôt ou tard on envisagera de créer des banques de données « européennes » pour tel ou tel secteur (par exemple l’histoire de l’actuariat ou l’histoire de l’immatériel ou l’histoire des ancres de marine...). Rappelons que Jacques Gay a nettement montré qu’on ne pouvait faire sérieusement l’histoire des ancres de marine qu’à l’échelle européenne (et il en est de même pour la plupart des secteurs de l’histoire de l’armement).
36 C’est un secteur où les historiens « non professionnels » – qui en général ont une connaissance certaine de l’étranger et des méthodes de raisonnement des entreprises dans les autres pays – peuvent jouer un rôle non négligeable pour aider à programmer et à préparer les confrontations.
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