Chapitre XII.
Les choses ordinaires de la vie
p. 123-132
Texte intégral
1Les choses ordinaires de la vie sont en général délaissées par l’historien de l’économie : il s’intéresse à la macroéconomie, au jeu des investissements, des innovations et des capitaux, aux décisions stratégiques, mais il ignore – ou feint d’ignorer – ce qui tient au quotidien, il oublie trop la ménagère (et la veuve de Carpentras), les choses coutumières à l’intérieur de l’entreprise, les usages quotidiens de la monnaie... S’attacher à l’ordinaire de la vie peut paraître étrange : mais on ne peut se satisfaire d’une vision abstraite, lissée, générale de l’économie, on doit entrer dans les realia : l’homme n’est pas un être de raison, une abstraction, c’est un être de chair et de sang, qui rêve, qui souffre, qui a des plaisirs, qui voit le temps passer, l’avenir se brouiller ; si l’historien de l’économie s’attache à l’ordinaire de la vie, son regard change, il ne voit pas les mêmes choses (de même que quand on retourne une pierre moussue, on découvre un monde étrange, ignoré). Plus l’histoire économique devient, par certains côtés, « technique », abstraite, plus elle a intérêt à explorer l’ordinaire de la vie. Aussi bien voudrions-nous attirer l’attention des jeunes historiens sur l’importance d’explorer les choses ordinaires de la vie1.
I. LES DIFFICULTÉS
2On ne doit pas se dissimuler les difficultés d’une telle exploration.
3Première difficulté : l’économiste, en principe s’intéresse au mesurable : or le vécu, le quotidien ne sont pas mesurables pour le passé (aujourd’hui on utilise des méthodes sophistiquées de sondage). Les choses ordinaires de la vie tiennent pour une grande part au non-mesurable : on a certes des chiffres de prix du pain, mais on ne peut guère saisir, faute de sources fiables : 1) la qualité du pain, 2) les usages pour le payer (le paiement en mauvaise monnaie, l’endettement auprès du boulanger, qui pratique des taux usuraires)2. L’historien de la monnaie ne peut pour le passé saisir les pratiques de thésaurisation, ni mesurer réellement la vitesse de circulation3. L’historien de l’entreprise a le plus grand mal à évaluer le capital immatériel de l’entreprise – tout ce qui concerne les investissements en formation, le capital intellectuel, la gestion du personnel, l’image de l’entreprise, les méthodes de direction –, on n’a que des indices souvent médiocres, on saisit mal les variations de l’immatériel4... Or la vie ordinaire d’une entreprise est très liée à cet immatériel que personne ne peut quantifier.
4Deuxième difficulté : les curiosités de l’économiste se sont multipliées, la théorie économique s’attache aujourd’hui – on ne s’en rend pas toujours compte5 – aux multiples formes de la vie (on fait aujourd’hui de l’économie de l’eau6, de l’économie de la santé, de l’économie de l’éducation, de l’économie du sport, de l’économie de l’audiovisuel, de l’économie de l’armement7...), on a des systèmes de description et d’analyse théorique. L’historien de l’économie doit-il rejoindre ces analyses économiques sectorielles, qui souvent sont très stimulantes, et explorer ces zones floues qui touchent au quotidien ; ainsi l’épargne, les assurances, l’immatériel, la spéculation, l’hospitalisation ? Les économistes fournissent des outils d’analyse sur des pratiques, des « systèmes », qui permettent d’aller plus loin dans la connaissance des realia : l’historien de l’économie ne peut être en retard et s’en tenir à une économie politique des années 1930 ignorant la microéconomie, les mutations de la théorie, la psychologie économique ou la sociologie économique. Sans doute y a-t-il des risques (le risque d’anachronisme notamment), et on peut déborder sur l’histoire sociale (mais la coupure entre histoire sociale et histoire économique est toute imaginaire, elle n’a guère que des fins « pédagogiques »)8.
5Troisième difficulté : les choses ordinaires de la vie laissent peu de traces (plus elles sont importantes, moins elles sécrètent des traces visibles)9. L’histoire sociale connaît bien cette pauvreté des sources (ainsi sur le vécu de l’ouvrier, le niveau de vie ou le mendiant)10, mais en histoire économique, dès qu’on veut aller en profondeur, on se heurte à la même carence des archives : on a bien des résultats comptables, des chiffres de production de l’entreprise, mais on ne peut guère saisir ce qui tient à l’immatériel, aux pratiques coutumières, aux défaillances comptables, aux usages financiers, aux taux de rebut ou de mal fait11, aux désordres des ateliers... Croire qu’on puisse saisir tout des choses ordinaires de la vie dans une entreprise est une rêverie : mais on peut faire effort pour explorer, pour repousser les limites du connu et du non-connu, pour chercher à comprendre ce qui se passe réellement, et souvent on finit par découvrir des sources indirectes importantes – par exemple des protestations d’un actionnaire contre les lacunes de la comptabilité d’une société anonyme12 – ou même des carnets ou des journaux intimes de maîtres de forges, qui permettent de saisir le quotidien de l’entreprise13.
II. CONSÉQUENCES
6Examinons quelques conséquences pour l’historien économique.
7Première conséquence : l’histoire doit s’interroger, dans son secteur ou sous-secteur, sur l’importance de cette zone floue, flexible, souvent difficile à saisir, qui tient à l’ordinaire de la vie et qui joue un tel rôle (l’expérience personnelle de l’entreprise le montre bien)14 : songeons à la sphère de l’immatériel (l’économie de l’immatériel n’en est qu’à ses débuts) ou aux résistances psychologiques aux changements, aux « progrès », aux décisions venues d’en haut. L’historien doit faire cette analyse en liaison avec les économistes, qui ont en charge la microéconomie et la psychologie économique, avec les sociologues, avec les spécialistes des sciences de la gestion15 ; mais cette analyse exige aussi une certaine expérience de la vie pratique, et notamment une expérience de l’entreprise ou de la gestion (notaires, avocats, fiscalistes, commissaires aux comptes)16.
8Deuxième conséquence : on doit bien voir l’ampleur des choses ordinaires de la vie, ce qui est enjeu et mérite d’être saisi en profondeur :
Le temps qui passe, le temps vécu ;
Le corps, la maladie, l’usure ;
Le métier, le corps qui travaille, le temps réglé du travail, la fatigue ;
La perception de l’avenir, le temps prévu, le temps brouillé, l’insécurité ;
L’imaginaire, les rêveries, les passions, les plaisirs ;
Les contraintes : les pressions du groupe, les sujétions ordinaires, la coutume.
9Nous donnons-là le schéma le plus simple17, qui convient pour l’entrepreneur, le négociant, mais aussi le rentier, le paysan, l’ouvrier18. Prenons l’exemple d’une grande forge, on voit les applications possibles19 :
Le temps vécu par le maître de forges, le temps vécu de l’employé, de l’ouvrier, les ruptures (la faillite, la crise)20 ;
Le corps : le rôle essentiel de la nourriture, de l’état de santé21, les maladies habituelles22 ;
Le métier : la fatigue de l’ouvrier, l’excès de travail, les temps de repos, les règles coutumières ;
La perception de l’avenir23 : pour le maître de forges24, pour l’ouvrier ; les menaces liées aux mutations techniques, au marché ;
L’imaginaire : les rêveries des entrepreneurs25, rêveries sociales, rêveries techniques, la volonté d’expansion26 ;
Les contraintes coutumières : les pratiques coutumières des maîtres de forges, les ententes, les coutumes de gestion, les profits coutumiers ; la hiérarchie ouvrière27 et les coutumes ouvrières, les castes ouvrières.
10Dans une entreprise métallurgique les usages, les coutumes ont un coût élevé, difficile à mesurer, mais qui apparaissent bien lors des chutes, des faillites des forges ; on ne peut s’en désintéresser (personne n’a encore étudié dans le détail la décadence des fourneaux et des forges au bois dans les années 1840-1860).
11Les choses ordinaires de la vie obligent l’historien à regarder de près ce qui se passe dans l’institutio, qu’il s’agisse d’une banque28, d’un tissage ou d’un arsenal : on doit affiner son regard, chercher à comprendre ce qui se passe au jour le jour.
12Troisième conséquence : l’historien doit s’attacher à ce qui bouleverse l’ordinaire des choses, aux crises et mutations qui créent le désordre : ainsi les dérèglements liés à la guerre (par exemple en 1792-1794 avec l’économie de guerre, les réquisitions, les nationalisations des forges29, en 1914-1918 avec les fabrications de guerre, le contrôle de l’économie, etc.), les effets des crises (le vécu du chômeur est encore peu étudié pour le XIXe et le XXe siècles)30. L’historien doit étudier ces bouleversements pour ce qu’ils peuvent dire sur l’ordinaire de la vie : ainsi l’économie de guerre crée le rationnement, on invente, en l’an II, la queue, les cartes de priorité (pour les femmes enceintes), on invente également de nouvelles formules de réquisition et de contrôle de forges, de marchés de guerre, de maximum des prix, de réquisition de la main d’œuvre (avec un maximum des salaires) : toutes les coutumes sont bouleversées, les résistances, les tricheries sont vives, on doit les étudier par le menu31.
13Quatrième conséquence : l’histoire économique ne peut se réfugier dans l’abstraction, le formalisme, la statistique : elle doit s’intéresser au non-mesurable, à l’ immatériel, au non-déclaré, non-enregistré32 : la faillite permet de découvrir les dissimulations comptables, les « usages », les pots-de-vin, les désordres coutumiers, les faiblesses techniques ; étudier la décadence d’une entreprise apprend beaucoup sur les « erreurs de gestion », les mauvaises décisions, la médiocrité des ingénieurs ou des ouvriers, les insuffisances comptables. Faire la part de cette « vision noire » des choses est une nécessité si l’on veut éviter de se mouvoir dans un monde d’idées et saisir les realia de l’entreprise33.
III. MOYENS
14On doit s’interroger sur les moyens de saisir les choses ordinaires de la vie : comment peut-on retrouver ce qui le plus souvent ne laisse pas de traces, ou que des traces fragmentaires, médiocres, insuffisantes ?
15La pauvreté des sources est souvent fâcheuse : mais on peut explorer des sources judiciaires (par exemple les dossiers de banqueroute, les procédures pour vols)34, la presse (qui publie des comptes rendus de cours d’assises, des publicités d’assurances, des ventes judiciaires), les archives notariales (les inventaires après-décès). Mais l’essentiel tient souvent à la découverte d’archives privées : correspondances, livres de comptes, rapports plus ou moins confidentiels, cahiers de notes et même journaux intimes (nous avons ainsi le journal du maître de forges Georges Dufaud de 1829 à 1852)35. Mais sur les pratiques sociales, sur les gestes ordinaires de la vie, notre information est souvent très faible : l’ouvrier n’écrit pas, ne parle pas (les procès-verbaux d’interrogatoires judiciaires sont des « traductions » du greffier) et les archives privées sont inexistantes ; on n’a sur la vie ordinaire que des témoignages indirects d’ingénieurs, de médecins, de commissaires de police36 ; une grande part des choses ordinaires de la vie est irrémédiablement perdue. Et si l’on s’intéresse aux usages quotidiens de la monnaie, on n’a plus souvent que des traces dérisoires37...
16Pour des périodes très récentes, on peut, pour affiner le questionnaire et conforter les analyses pour le passé, utiliser les archives orales38, qui permettent d’aller le plus loin possible, par exemple pour saisir le quotidien de l’entreprise (notamment les rapports entre les ingénieurs, les administrateurs, les financiers, les ouvriers, la vie des ateliers, les usages coutumiers, le clandestin, les mauvaises habitudes) : les archives orales – si elles sont bien conduites39 – permettent de comprendre ce qui n’est pas enregistré, écrit, ce qui ne laisse pas de traces, ce qui n’est pas visible. Dès qu’on s’attache à l’usage du temps, l’usage du corps, on peut mesurer, à travers les archives orales, l’étendue de ce que l’on ne peut plus savoir, faute de sources40.
CONCLUSION
17Peut-on tirer quelques leçons de ces simples observations ?
18Première leçon : pour s’attacher à l’étude des choses ordinaires de la vie, il faut une certaine expérience de la vie pratique, et dans certains cas, une certaine expérience de l’entreprise : c’est ce qui permet de mieux deviner les realia, de décoder ce qui est peu compréhensible, ce qui est dissimulé, de voir les limites de ce que l’on croit savoir.
19Deuxième leçon : les choses ordinaires de la vie obligent l’historien de l’économie à sortir des domaines traditionnels de l’histoire économique, à éviter les abstractions, les schémas réducteurs, à explorer des zones mal connues – les domestiques41 ou les usages de la monnaie ou la propension à l’épargne42 –, à entrer dans des détails du quotidien généralement délaissés (quel était l’emploi du temps, le mode de vie d’un maître de forges ? comment raisonnait-il ? comment voyait-il l’avenir ?) : les choses ordinaires de la vie sont un excellent outil d’analyse, elles obligent à abandonner les schémas théoriques, les belles idées, à prendre conscience de l’étendue de ce que nous ne savons pas, de ce que nous ne pouvons plus savoir.
20Troisième leçon : explorer les choses ordinaires de la vie suppose beaucoup de qualités de l’historien : une érudition étendue, le flair du beau document, de la ténacité, le sens du relatif, le goût du détail, une certaine défiance vis-à-vis de ce qu’on croit savoir43, et surtout une certaine sensibilité (ce qui est important, c’est le vécu des gens d’autrefois) : or ces qualités ne sont pas toujours réunies.
Notes de bas de page
1 Nous avons donné quelques indications sur les choses ordinaires de la vie dans Principes de l’histoire de la protection sociale, 2003, p. 90-94. Le problème est plus compliqué ici, car le champ de l’histoire économique est des plus étendus.
2 Sur les principes de l’histoire du pain, cf. « Note sur les sources régionales de l’histoire de l’alimentation au XIXe siècle », Annales, 1968, p. 1301 et suiv.
3 Sur les usages quotidiens de la monnaie, cf. La monnaie en France au XIXe siècle, 1983.
4 Sur l’importance de l’immatériel, cf. Les ouvriers des forges nivernaises au XIXe siècle. Vie quotidienne et pratiques sociales, 2002, p. 597-601. Sur les développements récents de la théorie de l’immatériel, cf. J. de Bandt et G. Gourdet. Immatériel : nouveaux concepts, 2001 (aujourd’hui les nouvelles normes comptables tendent à incorporer les actifs immatériels).
5 L’inventaire de ces nouvelles branches de l’économie n’a pas été fait, le champ est très mobile : aujourd’hui on parle de l’économie de la nuit en matière de développement urbain.
6 Avant 1968, personne ne s’intéressait vraiment à l’histoire de l’eau (notre article « Pour une histoire régionale de l’eau : en Nivernais au XIXe siècle » eut quelque mal à passer dans les Annales en 1968 : comment pouvait-on faire l’histoire de l’eau ?).
7 À l’évidence, on ne peut faire sérieusement de l’histoire de l’armement en faisant abstraction des recherches sur l’économie de l’armement.
8 C’est une barrière formelle, qui ne doit pas empêcher l’historien économique de s’intéresser au quotidien social, par exemple à la ménagère, à l’épicier de village cher à Maigret ou à la psychologie du chômeur...
9 Prenons un exemple : l’histoire des gestes, qui ne dispose d’aucune source fiable. Et pourtant c’est une histoire riche, aux conséquences économiques non négligeables (cf. Pour une histoire du quotidien au XIXe siècle..., 1977, p. 162-182, 392-406). L’historien économique ne peut pas s’intéresser uniquement à la « rationalisation » des gestes au XXe siècle...
10 Cf. « L’histoire de la mendicité », dans L’historien et le probabilisme, 2002, p. 219-231.
11 Curieusement en histoire de la métallurgie on ne s’intéresse pas aux rebuts, au mal fait, et même aujourd’hui dans les écoles d’ingénieurs, c’est un sujet presque tabou. Mais dès qu’on arrive dans un atelier, on est confronté à ces problèmes ; dans telle grande entreprise d’électroménager, pour obtenir 100, on sait bien qu’on doit produire 105 ou 108.
12 Nous avons publié ainsi les critiques en 1846 du baron du Mesnil contre les comptes de la société anonyme d’Imphy (cf. Marteau-Pilon, t. XII, 2000, p. 35-43).
13 Ainsi possède-t-on les carnets d’Émile Martin – le père de l’inventeur de l’acier Martin – et le journal intime de Georges Dufaud, le fondateur de Fourhambault, André Thuillier les a étudiés dans Économie et société nivernaises au début du XIXe siècle, 1974, p. 257-321.
14 C’est ce qui fait l’avantage des historiens « non professionnels », ingénieurs ou dirigeants, sur les historiens qui n’ont aucune expérience des affaires.
15 Songeons à la complexité des problèmes évoqués par l’Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit (dirigée par B. Colasse, Économica, 2000). Quand on fait l’histoire d’une entreprise, on doit s’intéresser au système de comptabilité, aux caissiers et à leurs méthodes, aux informations parfois biaisées qu’ils donnent aux dirigeants. Sur les manipulations comptables aujourd’hui, cf. H. Lohier, « Fraudes et manipulations comptables », dans La manipulation à la française, Économica, 2003, p. 145-158.
16 Nous ne disposons pas encore d’une bonne histoire des commissaires aux comptes...
17 Ce schéma reprend la part « psychologique » de l’histoire du quotidien (cf. Pour une histoire du quotidien..., 1977, et L’imaginaire quotidien au XIXe siècle, 1985). Il vaut aussi pour l’histoire sociale.
18 On pourrait aller beaucoup plus loin dans le détail (les monographies de Le Play ont ouvert la voie).
19 Cf. Les ouvriers des forges nivernaises au XIXe siècle, ouv. cité.
20 Sur le temps dans l’entreprise, cf. ibidem, p. 604-613.
21 C’est un souci des entrepreneurs, qui créent des services médicaux, des sociétés mutuelles obligatoires, qui ont une politique sociale active (cf. « L’innovation sociale », dans Les ouvriers des forges..., ouv. cité, p. 601-608).
22 Le médecin des forges impériales de Guérigny rédige un rapport très précis sur les maladies habituelles des ouvriers en 1861 (ibidem, p. 249-260.).
23 Faut-il rappeler le propos de Valéry ? « L’avenir tel que le concevait un homme du passé fait partie importante de son histoire » (Cahiers, t. XX, p. 476).
24 C’est une des difficultés de l’historien : comment peut-il reconstituer ce que pense réellement l’entrepreneur (on ne peut se fier à sa correspondance), ce qu’il a envie de faire et quels paris il soutient ? Seul un journal intime peut révéler ses arrière-pensées.
25 Sur la rêverie en histoire de la métallurgie, cf. Marteau-Pilon, t. X, 1998, p. 25-28.
26 Les rêveries volontaristes sont difficiles à saisir, mais on ne peut les négliger : c’est un ressort essentiel de l’expansion d’une entreprise, et souvent les motifs sont souvent précis et réalistes ; Achille Dufaud écrit en 1823 à son père : « Nous ne pouvons que par la grande quantité faire un grand bénéfice, et le grand bénéfice, il faut le faire tout de suite. Nous n’avons que 5 ou 6 ans de bons devant nous. La concurrence s’élève de tous côtés et Saint-Etienne nous tuera un jour, mais d’ici là nous devons être riches ! » (cf. Georges Dufaud et les débuts du grand capitalisme dans la métallurgie..., 1959, p. 42-43).
27 Sur la hiérarchie ouvrière, cf. Les ouvriers..., ouv. cité, p. 570-575.
28 Sur les coutumes singulières et les pratiques réelles dans une succursale, à Lorient, de la Société générale, on se reportera à Jean Morin, Souvenirs d’un banquier français, 1875- 1947, 1984, p. 54 et suiv.
29 Cf. D. Woronoff. L’industrie sidérurgique sous la Révolution et l’Empire, 1984. L’étude dans le détail des procédures administratives, juridiques, comptables et financières du contrôle des entreprises travaillant pour l’armée mériterait d’être entreprise par les juristes, on était en pleine innovation.
30 On a du mal à comprendre un mendiant – mais la psychologie du chômeur, son désarroi, ses drames psychologiques, sa décadence, sociale, sa dépréciation de soi, sont bien difficiles à saisir (Dominique Schnapper a fait des archives orales de chômeurs en 1978-1979, mais il s’agissait d’un chômage « protégé », qui a bien peu à voir avec le chômage dramatique du XIXe siècle).
31 Ce qui est important, ce n’est pas la règle fixée, mais comment elle est violée (les adjudications des forges qui étaient des biens nationaux ont été l’objet d’admirables tricheries).
32 Faut-il rappeler que les comptabilités étaient jadis mal adaptées à la décroissance d’une entreprise, qu’elles ne permettaient pas de suivre les pertes réelles ? Et avec le jeu des prix d’ordre – par exemple pour les bois tirés du domaine rural – des forges pouvaient se croire en bénéfice alors qu’elles étaient en perte... L’absence de véritable comptabilité de prix de revient était presque une règle jusque dans les années 1860.
33 Quel que soit le secteur, on ne doit pas être dupe des apparences : quand des associés se disputent, ils révèlent des choses souvent difficiles à croire, des intrigues, des contrelettres, des accords clandestins, des ententes, des tromperies, c’est souvent très réjouissant (les factums judiciaires sont souvent fort utiles pour l’historien ; pour un exemple, les querelles entre les Boigues et Guérin à Imphy en 1817-1821, citées supra, p. 111, note 17).
34 Sur l’importance des fraudes et vols, cf. Les ouvriers des forges nivernaises..., ouv. cité, p. 586-589.
35 Supra, note 13.
36 Cf. Les ouvriers des forges nivernaises..., ouv. cité, p. 618 et suiv.
37 Aussi bien ne trouve-t-on aucune étude sur l’usage de la monnaie, et notamment de la mauvaise monnaie, de la « monnaie noire » (cf. « Pour une histoire monétaire de la France au XIXe siècle : le rôle des monnaies de cuivre et de billon », Annales, 1959, p. 65-90).
38 Cf. Florence Descamps, L’historien, l’archiviste, le magnétophone, 2001.
39 C’est-à-dire si elles cherchent à répondre à un questionnaire qui concerne les choses quotidiennes ne laissant pas de traces, le dissimulé, l’occulté, le biaisé, le déformé... Encore en 1980, un ingénieur de fabrication découvre, aux ateliers de Roanne, que les chefs d’ateliers ont leurs propres « secrets de fabrication », leurs repères, leurs « pratiques », qu’ils tiennent secrètes – hors de la vue de l’ingénieur. Et tout atelier a ses petits secrets, mais la trace s’en perd nécessairement.
40 Sur les différents temps de l’entreprise, cf. Les ouvriers des forges nivernaises..., ouv. cité, p. 609-613. L’enquête orale sur les usages du temps, sur le vécu du temps au travail, permettrait d’aller très loin dans la connaissance des usages réels du temps (nous avions lancé au ministère du Travail une enquête sur le temps vécu au travail, en 1979).
41 C’est une zone négligée par les historiens, malgré leur masse (un domestique pour trois ouvriers en 1866 ?) et leur caractère « productif » (cf. P. Guiral et G. Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, 1978).
42 Les historiens ont beaucoup trop négligé les habitudes d’épargne, les encaisses de précaution, les formes de la thésaurisation (c’est-à-dire les attitudes « non rationnelles », qui jouent un tel rôle en économie), et nous ne parlons pas seulement de la thésaurisation rurale.
43 Les choses ordinaires de la vie obligent à faire effort pour quitter les abstractions, les belles idées, les grands systèmes, c’est-à-dire pour désapprendre : ce qui explique sans doute qu’à l’accoutumée l’historien, qui cherche avant tout à expliquer, les dédaignent ; les choses ordinaires ne permettent pas d’expliquer, elles n’enseignent rien, elles posent surtout des questions quasi insolubles, elles étendent le champ de nos ignorances.
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